Les représentations d’offrandes alimentaires en contexte funéraire en Étrurie

1Les traditions funéraires étrusques, à partir de la fin de l’âge du bronze, connaissent des évolutions fondamentales. Le moteur de ces changements se trouve dans les intenses échanges commerciaux qui débutent alors avec les Grecs et les Puniques. Au moins une partie des tombes, celles des élites, deviennent collectives et prennent des proportions monumentales, ce qui traduit la fonction ostentatoire qu’elles ont désormais. L’espace funéraire devient le lieu de rituels complexes où les défunts et les ancêtres du groupe ont une place essentielle. Ces pratiques communautaires, nourries d’influences orientales, ont pour fonction d’assurer la cohésion des groupes familiaux, mais elles témoignent aussi de rapports nouveaux entre les membres de la communauté et entre les vivants, les défunts et les dieux. L’organisation de l’espace funéraire, qui devait répondre aux impératifs cultuels, témoigne des gestes et des actes pratiqués lors des funérailles et des visites successives aux défunts. Grâce aux recherches sur le mobilier funéraire, nous disposons de typologies précises pour la plus grande partie du matériel. Cependant, des études restent à faire pour comprendre la fonction de nombreux éléments composant le mobilier, les actions effectuées dans ces espaces funéraires et à quels moments.

2Les réceptacles représentent une part importante des objets qui composent les mobiliers funéraires. Ils étaient liés à l’utilisation, pour les besoins des rituels funéraires, de substances animales et végétales. Ainsi, les fouilles archéologiques, de plus en plus fines, mettent-elles en évidence l’omniprésence des substances biologiques dans les tombes, mais aussi autour d’elles. Les études sur le vin¹ et sur les substances parfumées² sont nombreuses et renouvellent les problématiques de recherche. L’étude des autres restes végétaux, qu’il s’agisse des fruits et des légumes, mais également des produits alimentaires issus de la transformation des céréales comme la bière³, les galettes et le pain, intéresse de plus en plus les chercheurs. De même, les études de contextes funéraires qui croisent des données issues de recherches pluridisciplinaires sont de plus en plus fréquentes. On peut citer, à titre d’exemple, les travaux menés après la découverte de la tombe aux Mains d’argent de la nécropole de l’Osteria à Vulci, qui a livré une quantité impressionnante de données nouvelles⁴, plusieurs tombes de Verucchio, en particulier la tombe Lippi 89, la tombe « princière » de Chianciano Terme et, naturellement, la tombe A de la nécropole orientalisante de Casa Nocera à Casale Marittimo⁵.

3On s’interroge sur les finalités des dépôts de produits alimentaires. Témoignent-ils du partage d’un repas funéraire entre les vivants et les morts ? Constituent-ils un repas spécial pour les défunts ou furent-ils déposés pour des raisons symboliques ? C’est souvent cette dernière hypothèse qu’on retient lorsqu’on retrouve des œufs, des noix ou des grenades dont la symbolique funéraire est bien connue. Dans la plupart des cas, si on retrouve des macrorestes végétaux, c’est que ceux-ci ont été brûlés avant ou au moment de leur dépôt dans la tombe. On leur faisait donc subir un traitement qui les rendait impropres à la consommation humaine. Mais d’autres produits alimentaires étaient déposés frais, comme en témoignent les analyses palynologiques ou des ossements.

4La documentation iconographique nous apporte quelques informations qui nous permettent de compléter les éléments fournis par les études archéologiques. Elle confirme l’importance symbolique de la présence des œufs ou des grenades, qu’on observe dans plusieurs tombes (tombes tarquiniennes des Lionnes et des Léopards, tombe Golini d’Orvieto pour les grenades) ou sur des reliefs archaïques de Chiusi⁶. Dans la tombe des Boucliers de Tarquinia, l’œuf est un présent que s’offrent les époux⁷. L’association des œufs et des grenades comme élément décoratif est d’ailleurs souvent reprise ailleurs (frises), par exemple dans des tombes peintes de Paestum⁸. Ce ne sont pas les seuls éléments, car c’est très certainement ainsi qu’il faut aussi comprendre la présence de pommes de pin pignon placées dans un bol dans une tombe explorée à Vulci, dans la nécropole de l’Osteria, au début des années 2000⁹. La symbolique funéraire de ce fruit, qui est également très importante dans le monde romain, est évidente¹⁰. Nous sommes parfois rapidement confrontés aux limites de notre documentation. Par exemple, les nombreux ossements qu’on retrouve dans les tombes ne correspondent pas en proportion et en qualité avec les représentations de sacrifices. On privilégie les représentations d’ovo-caprins et dans une moindre mesure les bovins et les porcins alors qu’on retrouve souvent des restes de ces derniers dans les tombes¹¹.

5De même, l’abondance des substances biologiques dans les tombes tranche avec la rareté des représentations d’offrandes en Étrurie. Même lorsqu’on dispose d’images, il est rare que l’on puisse clairement distinguer un aliment qu’on s’apprête à déposer. La plupart du temps, on ne présente clairement que le conteneur, les artistes ne se préoccupent pas habituellement de représenter des aliments. Pour illustrer la préparation des viandes et des autres mets en Étrurie, nous disposons des représentations figurées sur l’épaule de l’hydrie Ricci conservée à la Villa Giulia (fig. 1). Mais ce vase, qui a bien été découvert dans une tombe étrusque, est grec oriental et non étrusque¹².

Fig. 1 - Hydrie à figures noires (hydrie Ricci) du dernier quart du vi^e siècle av. J.-C. provenant de Caeré. Rome, musée national de la Villa Giulia.

6Il existe heureusement plusieurs représentations qui nous montrent clairement des victuailles en contexte funéraire. Il s’agit de banquets funéraires où les défunts ont une place centrale. On trouve ces représentations à deux périodes. Dans la seconde moitié du vii^e siècle av. J-C., tout d’abord, sur l’ossuaire de Montescudaio (fig. 2)¹³. Il s’agit de personnages grossièrement modelés dans de l’argile et qui sont posés sur le couvercle de l’urne. Celui qui devait représenter le défunt est assis devant une table tripode sur laquelle sont disposés de nombreux objets de formes rondes ou allongées, recourbées, pour épouser les contours de la table d’offrande. On ignore quel liquide (vin et quel vin, bière…) évoquait l’énorme dinos qui se trouve près de la table. Il reste la base d’un autre élément brisé à la droite de l’homme qu’on restitue le plus souvent comme appartenant à un autre vase. Il faudrait plutôt replacer une « corbeille » ou une table d’offrande de forme cylindrique semblable à celle en pierre qui se trouve près des trônes dans la tombe des Cinq sièges de Cerveteri, presque contemporaine de l’ossuaire¹⁴. Selon Ph. Marinval il s’agit, au moins pour les objets ronds posés sur la table, de pains ou de galettes dont on retrouve très rarement trace dans les tombes, car ils devaient avoir été brûlés pour qu’on les détecte. Ainsi, des restes de pain carbonisé ont été retrouvés dans la tombe Lippi 89 qui contenait aussi une table tripode¹⁵. Dans la tombe Lippi 85, des offrandes diverses avaient été déposées sur les tables similaires¹⁶.

Fig. 2 - Couvercle de l’ossuaire de Montescudaio.

7Les pains ou les galettes qui constituent ici les offrandes funéraires devaient sans aucun doute constituer la base de l’alimentation de l’ensemble de la population à cette époque, même si on les retrouve peu en contexte archéologique pour des raisons liées à la conservation. La conjonction de la présence du gros dinos et d’un grand nombre de pains devait suggérer l’opulence de cet aristocrate. Il faut ensuite se projeter au iv^e siècle av. J.-C., dans la tombe des Boucliers de Tarquinia, pour retrouver de nouveau des tables pleines de victuailles. Dans ces banquets funéraires les couples sont à présent à demi allongés devant des tables à quatre pieds, à la manière grecque. Celui constitué de Velia Seitithi et de Larth Velcha correspond, selon Massimo Pallottino, aux fondateurs de la tombe familiale, ayant vécu dans la première moitié du iii^e siècle av. J.-C., ou à la fin du iv^e siècle av. J.-C. selon Stefan Steingräber. Dans le second couple Ravnthu Aprthnai et Velthur Velcha seraient les parents de Larth qui a vécu à la fin du iv^e ou au début du iii^e siècle av. J.-C. (fig. 3-4)¹⁷. Alors que dans la plupart des représentations semblables depuis le v^e siècle on figure au mieux de manière très schématique les mets sur les tables, cette fois les artistes ont pris soin de peindre avec luxe de détails les aliments. On y trouve différents pains, mais aussi des raisins blancs et d’autres mets qui sont difficiles à identifier pour nous (des œufs ou des grosses olives ou des pains ?), mais qui ne l’étaient pas pour les contemporains. À la même époque, dans la tombe Golini I d’Orvieto (fig. 5), les artistes ont même orné une partie importante des parois de la chambre d’une représentation de la préparation du banquet funèbre qui se déroule en présence des souverains de l’Au-delà¹⁸. On y trouve également des grenades qui sont posées et ne semblent pas devoir être servies aux convives. De grosses grappes de raisins chapeautent des formes molles qui doivent être des pains ou des galettes et qui seront, quant à elles, proposées aux banqueteurs. Les fouilleurs ont retrouvé à plusieurs reprises trace de raisin dans des tombes, même à des périodes assez anciennes (à Casa Nocera par exemple). D’autres cuisiniers sont en train de s’affairer, mais on ne distingue pas précisément ce qu’ils servent. Toutefois, la présence de nombreuses dépouilles d’animaux sauvages et domestiques sur les fresques nous permet d’affirmer que les préparations à base de viande occupaient une place centrale dans cette cuisine que rien ne permet de qualifier de sacrificielle.

Fig. 3 - Tarquinia, tombe des Boucliers. Velia Seitithi et Larth Velcha.

Fig. 4 - Tarquinia, tombe des Boucliers. Ravnthu Aprthnai et Velthur Velcha.

Fig. 5 - Orvieto, tombe Golini 1. Dessin des fresques.

8On observe que les pains et des galettes constituent encore à la période hellénistique le cœur des offrandes et que le raisin semble être devenu beaucoup plus courant. La quantité et la qualité de ces aliments pouvaient permettre de distinguer les plus riches des plus modestes, mais on ignore si les préparations qu’on observe étaient spécifiquement destinées aux défunts. Les illustrateurs étrusques ont rarement jugé nécessaire de représenter clairement les offrandes alimentaires en contexte funéraire. Le plus souvent, ils se sont contentés de les évoquer grossièrement. Sur l’ossuaire de Montescudaio ou dans des tombes du début de l’époque hellénistique, à deux époques où il était nécessaire aux aristocrates étrusques de montrer de manière plus ostentatoire leur opulence, les artistes ont pris la peine de représenter les aliments. Le pain et les galettes couvrent une partie importante des tables¹⁹. Le raisin devient plus visible, les œufs et les grenades marquent les scènes et les espaces pour indiquer que nous sommes en contexte funéraire. L’alimentation est un moyen de communication complexe et le langage alimentaire, en contexte rituel, est spécifique ; il doit nous amener à nous interroger sur la valeur symbolique des aliments et des boissons, ou de leur mode de préparation. La rareté de la représentation de mets identifiables soulève plusieurs questions. Il semble qu’il suffisait le plus souvent de suggérer les boissons et les aliments et qu’il n’était pas nécessaire de les représenter. Il faut croire que l’ostentation du mobilier, des tenues et des services de table était suffisante. Il est vrai qu’il était compliqué pour les artistes de mettre en scène la nourriture pour évoquer l’opulence des aristocrates, sauf à représenter des tables débordant de victuailles (un procédé qui aurait été inesthétique et qui était inutile), car le régime alimentaire des élites ne devait pas être fondamentalement différent de celui des plus modestes, surtout en contexte funéraire où la consommation devait être codifiée.