1En préambule à l’étude détaillée des restes textiles, nous invitons le lecteur à se reporter au chapitre I où une synthèse des vestiges examinés a été exposée afin de rendre la collection cohérente dans le cadre de son analyse (voir fig. 34). L’ensemble des données exposées en amont en dépendait étroitement, comme c’est ici également le cas.

Données statistiques

2L’analyse repose sur 61 objets textiles différents ; les 62 exemplaires individualisés à l’issue du recoupement des données techniques comptent un vestige non tissé (inventaire : 7562 ; voir fig. 25).

Orientation des tissus

3Orienter un tissu permet d’en déterminer le sens de fabrication, c’est-à-dire d’identifier les sens de la chaîne et de la trame (voir fig. 31a). Or, les textiles archéologiques sont parfois impossibles à caractériser de ce point de vue. L’altération des vestiges, leurs dimensions souvent restreintes ne laissent pas forcément apercevoir les spécificités utiles au diagnostic.

4Certains présentent toutefois des caractéristiques favorisant leur orientation. Il s’agit de l’ondulation, de la torsion, de l’épaisseur et du relief des fils dans le tissage. Dans de nombreux cas, les fils de chaîne sont plus saillants et plus ondulés que les fils de trame. Tandis que le fil de trame s’insère sans contrainte dans une ouverture aménagée pour le recevoir, le fil de chaîne épouse le relief formé par la trame. De fait, il ondule davantage. Garantes d’une certaine solidité, l’épaisseur et la forte torsion des fils peuvent également constituer des indices probants pour identifier le sens de la chaîne. Ces occurrences ne suffisent cependant pas à trancher définitivement la question : 23 fragments n’ont pu être orientés, soit environ 37,7 %.

5Selon leurs spécificités, les décors peuvent aussi renseigner sur l’orientation des tissus ; c’est le cas de deux fragments (3,2 %). L’élément le plus fiable reste néanmoins la présence de lisières et de bordures. Au départ, à la fin ou sur les côtés de l’ouvrage, elles permettent de se prononcer sans hésitation. Neuf tissus ont ainsi pu être orientés (14,7 %).

Sens de torsion des fils

6La totalité des fils utilisés à la confection des tissus sont des fils simples en chaîne et en trame. Seuls deux textiles présentent des fils retors S2z dans le sens chaîne (voir fig. 31 b, c, d) : il s’agit du fragment 7316 et de l’ensemble des vestiges appartenant au « Tissu nº 5 ». Bien que d’apparence similaire, ces deux pièces n’ont été découvertes ni au même endroit ni la même année (fiches 88, 66).

7L’utilisation de fils tordus dans le même sens en chaîne et en trame est systématique : aucun textile n’est constitué de fils tordus dans un sens en chaîne et dans l’autre sens en trame. De même, des fils de torsions différentes ne se côtoient jamais dans une même direction de tissage. En revanche, un lien particulier existe entre le sens de torsion des fils et les fibres qui les composent. Les fils de torsion S sont essentiellement confectionnés à l’aide de matière végétale ; les fils de torsion Z sont essentiellement conçus à partir de fibres de laine, même s’il en existe un certain nombre en matière végétale (fig. 147)¹.

Diamètre des fils

8Le diamètre des fils est relevé en macroscopie. Issu d’un travail manuel, mélange de connaissances techniques, de sensibilité, d’intuition et d’approximation, le diamètre des fils filés au fuseau n’est pas constant ; il doit être apprécié en conséquence, par une observation qui reflète les réalités humaines (voir fig. 31)².

9Globalement, les fils de trame présentent des diamètres légèrement inférieurs à ceux des fils de chaîne : 0,37 mm de valeur moyenne pour les fils de trame et 0,41 mm pour les fils de chaîne. Cette spécificité pourrait aller de pair avec l’utilisation de fils plus solides en chaîne car ils doivent résister aux tensions et frottements dus aux manipulations. L’analyse du diamètre des fils en fonction des sens de torsion révèle une relative homogénéité des épaisseurs. Tout au plus, les fils tordus en S présentent-ils un diamètre moyen légèrement inférieur dans les deux sens de tissage. Les fils réalisés en matière végétale sont dans l’ensemble plus fins que ceux réalisés en matière animale (fig. 148)³.

Réductions

10La réduction caractérise le nombre de fils de trame (OX) ou de chaîne (OY) contenus dans un centimètre linéaire de tissu. Pour la décrire, il faut dissocier celle des lisières de celle du tissage. Bien que cela ne soit ni systématique ni indispensable, la réduction des lisières est souvent plus élevée que celle du tissu lui-même, quel que soit le sens de tissage. Il n’en sera pas tenu compte dans l’analyse statistique, en raison de la diversité des données associées à ces particules de tissage.

11La réduction moyenne en trame est légèrement supérieure à celle de la chaîne : 22,2 fils/cm en trame, 18,9 fils/cm en chaîne. D’un point de vue strictement statistique, les tissus semblent plus ou moins équilibrés, c’est-à-dire qu’ils comportent approximativement le même nombre de fils par centimètre dans les deux directions du tissage.

12L’analyse conjointe des sens de torsion et des réductions ne met en évidence aucune interaction particulière. En revanche, la qualité des fibres semble influencer les réductions moyennes en chaîne et en trame (fig. 149)⁴ ; les tissus réalisés en matière végétale présentent des réductions supérieures aux tissus réalisés en matière animale.

Armures de tissage

13L’un des vestiges analysés associe deux armures de tissage différentes ; comptabilisé comme deux textiles, il élève l’échantillon à 62 pièces.

14La collection comprend presque autant de toile que de sergé (fig. 150). À cet équilibre s’adjoint une particularité : un lien étroit unit la nature des matériaux aux armures de tissage (fig. 151)⁵.

15Les armures toile, bien que n’étant pas exclusivement confectionnées à l’aide de matières végétales, sont largement représentées dans cette catégorie. Le fait le plus remarquable reste l’utilisation exclusive des matières animales pour la réalisation des armures sergé. Il existe un lien étroit entre les matières d’origine végétale et les armures toile, d’une part, et les matières d’origine animale et les armures sergé, d’autre part.

16L’analyse conjointe des réductions et des armures de tissage livre d’intéressantes conclusions. Que les armures toile soient confectionnées en matières végétales ou animales n’influe pas sur les réductions : elles peuvent être basses ou élevées quel que soit le matériau. La moyenne est de 20 fils/cm en chaîne (OY) et de 29 coups en trame (OX). Les tissus en armures sergé et dérivés, exclusivement confectionnés à l’aide de matières animales, sont en revanche beaucoup moins denses. La moyenne des réductions atteint 17 fils/cm en chaîne (OY) et 14 coups en trame (OX). Il existe donc une différence notable entre ces deux catégories d’armures, les toiles étant plus finement tissées que les armures sergé (fig. 152).

Conclusion

17Les fils sont systématiquement simples et de même torsion dans les deux sens de tissage. Aucun effet décoratif ne repose sur l’alternance de torsions différentes (dans l’un, l’autre ou dans les deux sens de tissage) et aucune nécessité technique ne semble liée à l’emploi de fils tordus en S et en Z.

18En quelques points, l’analyse statistique des données montre que :
- les fils de lin sont filés indifféremment en S ou en Z mais la torsion S leur est exclusivement réservée. À une exception près, aucun fil de laine n’est tordu en S ;
- les fils de lin sont moins épais que les fils de laine. Bien qu’il soit tentant d’y associer le sens de torsion, les différences de diamètre observées entre le filés S et Z n’ont pas de lien avec la torsion adoptée mais avec la matière première utilisée : dans les mêmes conditions de filage, les fils en laine ont tendance a être naturellement plus épais que les fils en lin. Il demeure qu’au sein de la série analysée, les fils en S sont fins et en lin, les fils en Z sont plus épais et en laine ;
- les tissus en lin présentent les réductions de tissage les plus élevées, caractéristique pouvant tenir à la finesse des fils si on les compare aux fils de laine ;
- le lin est exclusivement réservé au tissage des étoffes en armure toile ; aucun tissu en armure sergé n’est confectionné à partir de fibres de lin.

19L’analyse révèle des productions clairement différenciées dont les spécificités se manifestent à plusieurs niveaux de la chaîne opératoire. Le choix des matières premières entretient une relation étroite avec le filage – les fils de lin sont volontiers filés en S et les fils de laine en Z – et avec le tissage – les armures sergé sont exclusivement tissées à partir de fils de laine. Matériaux et techniques sont indiscutablement liés.

20Les différences d’épaisseur constatées entre les fils de lin et de laine s’expliquent simplement par la nature des fibres. La texture et la résistance de la fibre à la traction expliquent ce phénomène. Les fibres de laine étant plus courtes que les fibres de lin, il est nécessaire d’apporter plus de matière pour assurer une meilleure cohésion et augmenter la résistance du fil⁶. Enfin, l’usage des fibres animales semble réservé à la production des étoffes en armures sergé, renforçant ainsi le clivage déjà observé entre les matières premières et le sens de torsion des fils.

21Nous sommes en présence d’une production divisée : d’une part, se trouvent les tissus en armure toile et/ou dérivés, aux réductions de plus de 20 fils/cm dans les deux sens de tissage, confectionnés à partir de fibres végétales et de fils tordus en S ; d’autre part, les tissus en armure sergé et/ou dérivés, aux réductions d’environ 10 fils/cm dans les deux sens de tissage, confectionnés à partir de fibres animales et de fils tordus en Z.

Caractérisation de la collection

Identification des bordures et lisières

22Plusieurs types de bordures (début et fin d’ouvrages) et de lisières (bords latéraux d’ouvrages) existent au sein de la série analysée. Certaines sont clairement identifiables en tant que bordures de départ, bordures de fin et lisières latérales, d’autres sont plus difficiles à caractériser. Il est parfois impossible de se prononcer entre une bordure de départ et de fin, entre une lisière et une bordure de départ ou de fin, etc. ; les fragments conservés ne permettent pas toujours d’apprécier la juste place de ces éléments.

Bordures de départ

23Des bordures de départ ont été repérées sur les tissus nº 3 et nº 6.

Bordure tissée

24Le tissu nº 3 (fiche 64)
Un des fragments appartenant au tissu nº 3 présente une bordure de départ formée de fils de chaîne maintenus au rythme de quatre pris et quatre laissés, en inversant les pris et les laissés au rang suivant (fig. 153). La réduction est d’environ 16 fils/cm en chaîne et 35 coups/cm en trame. Ce type de réalisation implique la mise en œuvre d’un système où le bord du tissu est construit indépendamment du futur tissage.

Fig. 153 - Tissu nº 3 (inv. fragment 18061B, tipo 18 bis) : Bordure de départ du tissu (cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299 ; schéma : F. Médard).

25La bordure est conçue comme un tissage à part entière, mais les fils de trame, au lieu d’effectuer de simples allers et retours sur la largeur de la bordure, bouclent autour d’un point fixe situé à distance de l’ouvrage avant d’être réintroduits dans le tissage. Ils deviendront les fils de chaîne du futur tissu. Cette méthode permet d’ourdir la chaîne du tissu à venir en même temps qu’elle met en place une bordure régulière, solide, dense et esthétique⁷ (voir fig. 136).

Bordure cordée

26Le tissu nº 6 (fiche 67)
Le tissu nº 6 présente une bordure de départ ou de fin et une lisière (fig. 154). Dans la mesure où il est impossible de se prononcer, nous envisagerons les deux possibilités en commençant par celle d’une bordure de départ.

Fig. 154 - Tissu nº 6 (inv. fragment 18069B, tipo 3, 6, 9) : bordure de départ ou de fin du tissu. Le retour des fils de chaîne au niveau de la bordure n’est pas visible (cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299 ; schéma : F. Médard).

27Formée d’une cordelette retordue en Z à partir de deux faisceaux de fils constitués chacun d’une dizaine de fils simples en Z de 0,2 mm de diamètre, cette bordure mesurant 2 mm de largeur peut avoir été conçue de différentes manières. Elle peut résulter d’un rang en technique cordée installé au départ de l’ouvrage à l’accroche des fils de chaîne (fig. 155). Elle peut également avoir été conçue à l’aide d’une plaquette à deux perforations. Dans ce cas, la rotation de la plaquette est d’un demi-tour à chaque passage du fil de trame, mouvement permettant de corder les deux faisceaux de fils passés chacun dans une perforation de la plaquette (fig. 156). Dans les deux cas, l’ourdissage de la chaîne et la fabrication de la bordure cordée sont réalisés simultanément.

Fig. 155 - Tissu nº 6 : hypothèse de construction de la bordure de départ (dessin d’après Schlabow 1976 ; schéma d’après Seiler-Baldinger 1991).

Fig. 156 - Tissu nº 6 : hypothèse de construction de la bordure de départ à l’aide d’une plaquette. 1 : plaquette carrée dont deux perforations sont occupées par les fils de bordure (dessin : G. Chapelin). 2 : sens d’enfilage des faisceaux de fils dans les perforations de la plaquette (dessin : F. Médard). 3 : échantillon de tissu dont la bordure est réalisée avec une plaquette (bordure : fils jaunes ; tissu : fils beiges) (reconstruction : C. Gérentet ; cliché : F. Médard).

Bordures de fin

Bordures torsadées

28Les tissus nº 6 et n° 23 (fiches 67, 84)
La bordure du tissu nº 6 (voir fig. 154) peut également être une bordure de fin. Dans la littérature, ces finitions sont décrites comme des bordures torsadées⁸. Le principe consiste à utiliser les fils de chaîne en les retordant, en les câblant ou en les assemblant par groupes pour les entrelacer au plus serré contre le bord du tissu.
Les fils de chaîne du tissu nº 23 sont ainsi groupés par lots de trois, quatre ou cinq et sont entrelacés dans le sens S sur deux rangées de hauteur (fig. 157). Ce type de finition connaît de très nombreuses variantes (fig. 158).

Fig. 157 - Tissu nº 23 (inv. fragment NI, tipo 25) : bordure du tissu réalisée à l’aide des fils de chaîne entrelacés.

Fig. 158 - Exemple d’une finition d’ouvrage réalisée en entrelaçant les fils de chaîne du tissu (d’après Seiler-Baldinger 1991).

Franges

29Les tissus n° 3 et n° 19 (fiches 4, 80)
Les tissus nº 3 et 19 présentent des bordures de fin, techniquement très simples. La plus élémentaire est celle du tissu nº 3 dont les fils de chaîne flottent librement en fin d’ouvrage. Rien n’a été prévu pour arrêter le tissu, ni un tissage différent sur quelques centimètres, ni aucun système de nouage destiné à bloquer la trame au bas de la réalisation (fig. 159).

Fig. 159 - Tissu nº 3 (inv. fragment 18061B, tipo 18) : bordure de fin formée de simples franges issues des fils de chaîne (cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299 ; schéma : F. Médard).

30Une seconde bordure formée de franges est associée au tissu nº 19 (fiche 80). Il demeure cependant impossible d’en apprécier la technique de finition ; la disposition du tissu ne permet pas de distinguer précisément la zone d’où proviennent les franges. Le seul constat possible tient au groupement de plusieurs fils de chaîne formant des franges « épaisses » (fig. 160).

Fig. 160 - Tissu nº 19 (inv. fragment 18056, particularité 4) : bordure de fin formée de franges.

Bordures de fin ou de départ

31Le tissu nº 9 (fiche 70)
Le tissu nº 9 présente une bordure formée de deux cordelettes cousues sur le bord du tissu à l’aide d’un fil simple de torsion Z, mesurant 0,6 mm de diamètre. Chacune d’entre elle est câblée en Z2S10z. Les fils simples qui les constituent sont en laine et mesurent 0,1 mm de diamètre : chaque cordelette atteint 1,5 mm d’épaisseur. Les points de couture obliques enserrent les deux cordelettes juxtaposées et plongent dans le tissu à intervalles plus ou moins réguliers de 4 mm. Le bord du tissu n’est pas visible en raison de l’importante réduction de la toile et de l’assemblage compact qui l’unit aux cordelettes câblées. On ignore ainsi si le tissu est simplement coupé sous la bordure ou s’il est soigneusement terminé par des entrelacs de fils.

Lisières

32On dénombre sept lisières dans la collection.

Lisières renforcées en chaîne

33Les tissus n^os 3, 6, 9, 13 et 18056.3 (fiches 54, 67, 70, 74, 91)
Bien qu’elles ne soient pas parfaitement identiques, les lisières des tissus n^os 6, 9 et 13 (fiches 67, 70, 74) sont construites sur la même base. Des groupes constitués de plusieurs fils de chaîne, dits cordelines, travaillent ensemble lors de l’ouverture des foules. En lisière du tissu n° 6, deux fois cinq fils de chaîne sont levés alternativement à chaque passage de trame (fig. 161). En laine, simple et de torsion Z, chaque fil de chaîne mesure environ 0,2 mm de diamètre. La lisière, large de 3,5 mm, se dessine sous la forme de deux bourrelets correspondant aux deux groupes de fils de chaîne mis en place dans cette zone au titre de renfort.

Fig. 161 - Tissu nº 6 (inv. fragment 18078B, tipo 13) : lisière formée de deux groupes de fils de chaîne, constitués chacun de cinq fils pris et laissés alternativement à chaque coup de trame (cliché : F. Médard ; schéma : G. Chapelin).

34La lisière du tissu nº 13 (fiche 74) est formée de deux cordelines comprenant chacune environ dix fils de chaîne (fig. 162). Il s’agit de filés simples en laine, de torsion Z, mesurant 0,3 mm de diamètre. La lisière mesure 5 mm de largeur et se dessine sous la forme de deux bourrelets correspondant aux deux groupes de fils de chaîne. De la même manière, la bordure du tissu nº 9 (fiche 70) est constituée de deux groupes de fils de chaîne, respectivement constitués d’une vingtaine et d’une dizaine de fils. Il s’agit de filés simples en laine, de torsion Z, mesurant 0,15 mm de diamètre. La lisière mesure 2,5 mm de largeur et se dessine sous la forme de deux bourrelets, l’un plus épais que l’autre (fig. 163).

Fig. 162 - Tissu nº 13 (inv. fragment NI, tipo 17) : lisière formée de deux groupes de fils de chaîne, constitués chacun de dix fils pris et laissés alternativement à chaque coup de trame (cliché : F. Médard ; schéma : G. Chapelin).

Fig. 163 - Tissu nº 9 (inv. fragment 18078, tipo 22) : lisière formée de deux groupes de fils de chaîne, respectivement constitués d’une vingtaine de fils et d’une dizaine de fils, pris et laissés alternativement à chaque coup de trame (cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299 ; schéma : G. Chapelin).

35Les tissus n^os 3 et 18056.3 présentent des lisières formées de trois cordelines au lieu de deux, ce qui n’engendre aucune difficulté technique supplémentaire.

36La lisière du tissu nº 3 (fiche 64) est formée de trois cordelines comprenant respectivement, de l’extérieur vers l’intérieur du tissu, trois, quatre et cinq fils de chaîne (fig. 164). On s’attendrait à ce que le faisceau le plus épais soit placé à l’extérieur du tissu pour des raisons de solidité et de résistance à l’usure. Il n’en est rien, bien au contraire le faisceau le plus mince correspond précisément au plus exposé des trois. Les fils de lisière sont identiques à ceux du tissage : il s’agit de filés simples en lin, de torsion Z, mesurant 0,3-0,5 mm de diamètre. La bordure mesure 3 mm de largeur.

Fig. 164 - Tissu nº 3 (inv. fragment 18061B, tipo 17 : lisière formée de trois groupes de fils de chaîne, respectivement constitués de trois, quatre et cinq fils, pris et laissés alternativement à chaque coup de trame (cliché : F. Médard ; schéma : G. Chapelin).

37La lisière du tissu nº 18056.3 (fiche 91) est également constituée de trois groupes de fils de chaîne comprenant chacun une dizaine d’éléments (fig. 165). Les fils sont des filés de laine, de torsion Z, mesurant 0,1 mm de diamètre. La bordure mesure 5 mm de largeur.

Fig. 165 - Tissu nº 18056.3 : lisière formée de trois groupes de fils de chaîne constitués chacun d’une dizaine de fils, pris et laissés alternativement à chaque coup de trame (cliché : F. Médard ; schéma : G. Chapelin).

38L’ensemble des tissus présentant des lisières formées par la juxtaposition de faisceaux de fils de chaîne sont tissés en armure toile ou dérivée de la toile. Pour mettre en place ces lisières, il suffit de grouper le nombre de fils de chaîne souhaité dans une même lisse. Dans le cas d’une armure toile basique et pour deux faisceaux jointifs de fils de chaîne en lisière, l’un sera enfilé dans une lisse correspondant aux fils impairs, et l’autre dans une lisse correspondant aux fils pairs. Si un troisième faisceau intervient dans la confection de la lisière, il sera associé à une lisse correspondant aux fils impairs et ainsi de suite. Ces assemblages sont tissés de la même manière et en même temps que le reste du tissu.

Lisières renforcées en chaîne et en trame 

39Le tissu nº 24 (fiche 85)
La lisière du tissu nº 24 diffère peu de celles qui viennent d’être exposées. Mesurant 1,5 mm de largeur, elle est constituée de deux faisceaux de fils de chaîne formés chacun d’une dizaine d’éléments : des filés simples en fibres libériennes, de torsion Z et de 0,3 mm de diamètre. La spécificité de cette lisière tient au mouvement du fil de trame. Au lieu d’effectuer un aller et un retour simples une fois parvenu au bord du tissu, il passe plusieurs fois autour du groupe de fils le plus extérieur avant d’être réintroduit dans le tissage (fig. 166). Il s’agit d’un point de liage. Nous n’avons pas eu l’occasion d’observer cette particularité ailleurs, car la lisière est très endommagée et la partie conservée de faibles dimensions.

Fig. 166 - Tissu nº 24 (inv. fragment 18061B, tipo 1) : lisière formée de deux fois dix fils de chaîne, avec point de liage apparent (cliché : F. Médard ; schéma : G. Chapelin).

Lisières tissées aux plaquettes

40Le tissu nº 5 (fiche 66)
Les restes d’une lisière tissée aux plaquettes sont visibles sur plusieurs fragments appartenant au tissu nº 5 (fig. 167).

Fig. 167 - Tissu nº 5 (inv. fragment 18069B, tipo 2) : lisière tissée aux plaquettes (cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299 ; schéma : F. Médard).

41Pour s’en tenir à l’expression la plus simple du système, un fil de chaîne est passé dans chaque perforation de la plaquette. Selon qu’ils sont insérés dans les trous de gauche à droite ou de droite à gauche, ils effectuent lors du tissage un mouvement cordé en S (de la gauche vers la droite) ou en Z (de la droite vers la gauche) (fig. 168 gauche). Chaque plaquette actionne donc quatre fils par le biais d’une rotation d’un quart de tour qui ouvre le pas dans lequel insérer le fil de trame. À mesure des rotations effectuées à chaque coup de trame « chaque fil de chaîne apparaît à la surface une fois sur quatre duites⁹ » (fig. 168 droite). Plus les plaquettes sont nombreuses et les couleurs variées, plus les dessins peuvent être élaborés. Grâce à un enfilage judicieux et en tournant convenablement les plaquettes, il est possible de dessiner des motifs d’une extrême complexité.

Fig. 168 - Montage des fils de chaîne dans les plaquettes. Selon le sens d’insertion des fils, le mouvement de rotation des plaquettes produira une torsion S ou Z (d’après Collingwood 2002). Principe du tissage aux plaquettes (d’après Seiler-Baldinger 1991).

42La lisière du tissu nº 5 (fiche 66) est réalisée à l’aide de quatre plaquettes à quatre trous et 16 fils de chaîne enfilés par groupes de quatre en S, en Z, en S et en Z (fig. 167 et 169). Les fils de lisière sont les mêmes que ceux du tissage : simples de torsion Z pour la chaîne et retors S2z pour la trame. Le tissage et la lisière sont conçus en même temps sur le métier (voir fig. 218). La bordure mesure environ 2 mm de largeur.

Fig. 169 - Tissu nº 5 : montage des fils de chaîne dans les quatre plaquettes utilisées pour le tissage de la lisière (d’après Collingwood 2002).

43Le tissu nº18069.13 (fiche 104)
Le tissu nº 18069.13 présente une lisière réalisée aux plaquettes selon le principe décrit pour le tissu nº 5 (fiche 66 ; voir fig. 168). Une différence fondamentale tient cependant au fait que cette lisière a été réalisée indépendamment du reste de l’ouvrage : elle est associée au tissu par une couture dont le détail n’est pas appréciable en raison de l’état de dégradation du textile dans cette zone (fig. 170 gauche). Par ailleurs, les fils utilisés diffèrent de ceux employés pour la fabrication du tissu : simples, de torsion S, ils semblent confectionnés à partir de fibres végétales. La seconde différence fondamentale tient aux plaquettes utilisées, triangulaires à trois perforations (fig. 170 droite).

Fig. 170 - Tissu nº 18069.13 : lisière réalisée aux plaquettes (cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299 ; schéma : F. Médard). Principe du tissage aux plaquettes triangulaires (d’après Béal 1984).

44La lisière de ce tissu est travaillée à l’aide de quatre plaquettes triangulaires à trois perforations. Douze fils simples de torsion S dans les deux sens de tissage sont utilisés pour confectionner cette bande étroite. Ils mesurent environ 0,4 mm de diamètre et sont enfilés dans les plaquettes selon la succession suivante : trois fils enfilés en S dans la première plaquette, trois fils enfilés en Z dans la deuxième, trois fils enfilés en Z dans la troisième et trois fils enfilés en Z dans la quatrième (fig. 171). Lors du tissage chaque plaquette effectue un tiers de tour après le passage du fil de trame. La lisière mesure environ 2 mm de largeur.

Fig. 171 - Tissu nº 18069.13 : montage des fils de chaîne dans les quatre plaquettes utilisées pour le tissage de la lisière (schéma : G. Chapelin).

45Le tissage aux plaquettes à trois perforations implique, en raison du nombre impair des fils mis en œuvre, qu’à chaque ouverture de foule, un fil se trouve au-dessus de la trame et les deux autres en dessous. De fait, l’ouvrage ne se présente pas de la même façon sur les deux faces : l’une est plus régulière que l’autre (fig. 172).

Fig. 172 - Tissu nº 18069.13 : reconstruction de la lisière à l’aide de quatre plaquettes triangulaires à trois perforations. L’aspect du travail n’est pas identique sur les deux faces en raison du nombre impair de fils actionnés par chaque plaquette. En haut : envers ; en bas : endroit (reconstruction : C. Gérentet ; clichés : F. Médard).

Identification des armures de tissage

Les armures toile et leurs dérivés

46La collection est constituée de 34 pièces tissées en base d’armure toile (voir fig. 150) : il s’agit des armures toile équilibrées, des armures toile face chaîne ou trame, des natté, des louisine et des cannelé. Dans la plupart des cas, l’orientation des textiles est connue, mais pour ceux dont on ne parvient pas identifier le sens de fabrication, on parlera d’armures à dominante chaîne ou trame et d’armures louisine ou cannelé. Les armures toile équilibrées restent ainsi nommées.

Les armures toile équilibrées et les armures toile non spécifiques (fig. 173)

Fig. 173 - Armure toile équilibrée.

47Armures toile équilibrées (fiches 62, 64, 65, 69, 75, 105, 122, 123)
Cette armure caractérise les tissus n^os 1, 3, 4, 8, 14 et les tissus n^os 18070/18078.2, NI. 20 et NI. 26 (fig. 174-175). Ils se définissent par des fils de chaîne pris et laissés alternativement par les fils de trame dans un rapport d’armure de deux fils et deux coups. Les fils, répartis en nombres équivalents dans les deux sens de tissage, sont plus ou moins de même diamètre.

Fig. 175 - Tissu nº 14 (inv. fragment 18061B, tipo 10) : armure toile équilibrée.

48Armures toile non spécifiques
Quatre tissus sont classés dans la catégorie des armures toile non spécifiques. Les réductions ne permettent de les qualifier ni d’armure toile équilibrée ni d’évoquer véritablement des toiles face chaîne ou trame. Certains exemplaires présentent des différences de réduction en chaîne et en trame, mais les écarts observés ne justifient pas de les classer parmi les dérivés de l’armure toile. Dans la plupart des cas, il semble que ces différences tiennent à la déformation des étoffes. Dans cette catégorie sont répertoriés les tissus n^os 16, 19, 25 et le tissu 18078.14 (fiches 77, 80 86, 116 ; fig. 176).

49Le tissu nº 16 est particulier. En dépit d’un aspect d’armure toile équilibrée, sa réduction en trame invite à le classer parmi les armures toile face trame. La réduction deux fois plus importante dans ce sens que dans l’autre est contre balancée par l’utilisation de fils deux fois plus fins dans cette direction de tissage. Par conséquent, on ne peut ni évoquer une toile face trame, car la trame ne domine pas la chaîne au niveau du rendu, ni une toile équilibrée, car les réductions passent du simple au double d’un sens de tissage à l’autre (fig. 177).

Fig. 177 - Tissu nº 16 (inv. fragment 18069B, tipo 14) : armure toile formée de fils de chaîne deux fois plus épais et deux fois moins nombreux que les fils de trame.

Les armures toile face chaîne et toile face chaîne ou trame (fig. 178)

Fig. 178 - Armures toile face chaîne (gauche), et toile face trame (droite).

50Armures toile face chaîne
Les tissus n^os 10, 24, 18061.2 et 18078.4 (fiches 71, 85, 93, 114) présentent un tissage en armure toile face chaîne (fig. 179). Ils sont confectionnés à partir de fils de chaîne pris et laissés alternativement par les fils de trame dans un rapport d’armure de deux fils et deux coups. Les fils de chaîne dominent visuellement le tissu en dissimulant plus ou moins les fils de trame (fig. 179-180). Par définition, on connaît le sens de fabrication de ces tissus.

Fig. 180 - Tissu nº 10 (inv. fragment 18069B, tipo 5 bis) : armure toile face chaîne.

51Armures toile face chaîne ou trame (fiches 76, 81, 90, 100)
N’ayant pas pu être orientés, les tissus n^os 20, 18068.15, 18069.4 et 21757 sont des toiles face chaîne ou trame (fig. 181-182).

Fig. 182 - Tissu nº 20 (inv. fragment 18069B, tipo 5.4) : armure toile face chaîne ou trame.

Les armures louisine et/ou cannelé, les armures natté (fig. 183)

Fig. 183 - Armure louisine de deux fils (gauche), armure cannelé de deux coups (milieu), de natté de deux fils et deux coups (droite).

52Armure louisine
Construite sur une base d’armure toile, l’armure louisine de deux fils consiste à lever les fils de chaîne par paires à chaque coup de trame (fig. 183, gauche). Le rapport d’armure est de quatre fils et deux coups. Seul le tissu nº 18070/18078.6 est réalisé selon ce principe (fiche 107 ; fig. 184-185).

Fig. 185 - Tissu nº 18070/18078, tipo 6 réalisé en armure louisine.

53Armures cannelé
Construite sur une base d’armure toile, l’armure cannelé est formée par des flottés de chaîne. Lorsque le mot cannelé n’est suivi d’aucun qualificatif, il désigne une armure au rapport de deux fils dont les côtes sont uniquement dues à l’insertion de plusieurs coups de trame consécutifs dans le même pas (fig. 186). Les tissus n^os 6, 9, 13, 18056.3, 18069.10bis, 18070.6bis, 18070/18078BI.2bis et NI.16 (fiches 67, 70, 74, 91, 102, 106, 110, 121) correspondent à cette définition. En l’occurrence, il s’agit de cannelé de deux coups, parfois de trois, évoquant davantage des erreurs de tissage que des effets intentionnels. Seul le tissu nº 18070.6bis (fiche 110) est construit sur une base d’armure cannelé de deux et trois coups, semble-t-il volontairement alternés (fig. 186-187).
Les deux coups de trame formant l’armure cannelé ont-ils été insérés successivement dans la foule ouverte ou résultent-ils d’un seul coup formé de deux fils enroulés ensemble sur la même canette ? Les observations effectuées sur le tissu nº 6 montrent que les fils de trame logés dans la même foule ne se croisent à aucun moment : cela tend à indiquer qu’ils ont été passés l’un après l’autre. De plus, ce tissu révèle parfois trois fils de trame insérés dans la même ouverture ; sans exclure totalement l’utilisation possible de canettes à deux fils préparées à l’avance, ce constat renforce l’idée de coups de trame passés à l’unité dans les foules ouvertes. Si des canettes à deux fils avaient été employées, on trouverait plus volontiers des fils de trame associés en nombre pair dans les foules.

Fig. 187 - Tissu nº 9 (inv. fragment 18078B, tipo 22) : armure cannelé de deux coups.

54Armures louisine ou cannelé
Le tissu nº 12 (fiche 73) n’ayant pas pu être orienté, il s’agit d’une louisine ou d’un cannelé (fig. 188). Très régulier, ses fils sont plus fins et de torsion plus serrée dans un sens que dans l’autre. Entièrement dissimulés par les fils orientés dans l’autre sens de tissage, ils créent ensemble un tissu dit à chaîne ou à trame couvrante (fig. 189).

Fig. 189 - Tissu nº 12 (inv. fragment 18061B, tipo 9) : détail du tissu réalisé en armure louisine ou cannelé.

55Armures natté
Construite sur une base d’armure toile, l’armure natté est produite par groupes de deux fils ou plus dans les sens chaîne et trame (fig. 190). Les exemplaires n^os 17, 18068.5 et 18069.10 correspondent à cette définition (fiches 78, 98, 101 ; fig. 190-191) ; ils sont tous de deux fils et deux coups pour un rapport d’armure de quatre fils et quatre coups.

Fig. 191 - Tissu nº 17 (inv. fragment 18061B, tipo 5) : armure natté de deux fils et deux coups.

Les armures sergé

56La collection est constituée de 28 éléments tissés en armure sergé : sergé croisé et sergé composé (voir fig. 150). L’armure sergé se définit par des côtes obliques obtenues en déplaçant d’un seul fil, vers la droite ou vers la gauche, tous les points de liage à chaque passage de la trame. Les armures répertoriées dans la collection ne révèlent la présence d’aucun tissu à chevrons ou losangé.

57Les sergé croisés
Les armures sergé croisées sont caractérisées par des flottés équivalents en chaîne et en trame : au sein de la collection, elles ne comprennent que des tissus en armure sergé de 2 lie 2, c’est-à-dire que les flottés sont de deux fils sur les deux faces du tissu (fig. 192).

Fig. 192 - Armure sergé de 2 lie 2.

58Le sergé de 2 lie 2 concerne 20 textiles sur les 28 sergé que compte la collection. Les textiles caractérisés par cette armure sont les tissus n^os 2, 5, 7, 18, 21, 22, 23, 26, 7316, 18057.2, 18061.13, 18061.14, 18069.12, 18070/18078.9, 18078.1bis, 18078.3bis, NI.1, NI.3, NI.6, NI.9bis (fiches 63, 66, 68, 79, 82, 83, 84, 87, 88, 92, 96, 97, 103, 108, 111, 113, 117, 118, 119, 120 ; fig. 193).

59Deux textiles présentent une particularité rare au sein de la collection : les tissus n^os 5 et 7316 (fiches 66, 88). La chaîne formée de fils simples en Z est associée à des fils de trame retors deux brins S2z. Tous sont en laine et mesurent entre 0,2 et 0,4 mm de diamètre, qu’ils soient simples ou retors. L’aspect remarquable de ces tissus tient à l’utilisation, presque paradoxale, de fils retors en trame et simples en chaîne. Il serait plus logique que les retors, par essence plus résistants, soient orientés en chaîne, sens dans lequel s’exercent l’usure et les plus fortes tensions. Le parti pris adopté témoigne ainsi d’un véritable choix technique, dont l’explication pourrait tenir à la finesse et à la densité des tissus. Les deux exemplaires sont en effet caractérisés par des réductions élevées, notamment en chaîne où le nombre moyen de fils/cm atteint 45. La réduction en trame s’élève (seulement !) à 26 coups/cm : il s’agit de tissus à chaîne couvrante, remarquablement compacts et résistants. Comparée à celle de la trame, la densité en chaîne semble compenser la torsion simple des fils. Finalement, le textile serait donc équilibré au niveau des forces et des résistances (fig. 194).

Fig. 194 - Tissu nº 5 (inv. fragment 18069B, tipo 2) : textile constitué de fils retors en trame. Schéma d’armure de tissage.

60Le tissu NI.3 (fiche 118) présente l’aspect d’un sergé équilibré, mais les réductions indiquent un tissu à dominante trame. La réduction presque deux fois plus importante en trame qu’en chaîne est effectivement contre balancée par l’utilisation de fils plus fins dans ce sens de tissage. On ne peut évoquer ni un sergé à dominante trame, car la trame ne domine pas au niveau du rendu, ni un sergé équilibré, car les réductions passent quasiment du simple au double d’un sens de tissage à l’autre. Cette particularité a précédemment été observée sur le tissu nº 16 (fiche 77), tissé en armure toile.

61Les sergé composés
Les sergé composés sont caractérisés par des flottés non équivalents en chaîne et en trame. Un sergé de 2 lie 1 présentera en chaîne et en trame des flottés de deux fils et un fil ; l’aspect du tissu sera différent d’une face à l’autre. La collection comprend sept textiles de ce type, tissés en armures sergé de 2 lie 1, de 3 lie 1 et de 3 lie 2 (fig. 195).

Fig. 195 - Armure sergé de 2 lie 1 (gauche), de 3 lie 1 (milieu), de 3 lie 2 (droite).

62Les sergé composés de la collection comprennent les tissus n^os 15, 18061.9bis, 18069.13 et 18078.5 (fiches 76, 94, 104, 115) pour les sergé de 2 lie 1 ; 18078.2 pour le sergé de 3 lie 1 (fiche 112) ; 18070.6 pour le sergé de 3 lie 2 (fiche 109 ; fig. 196).

63Les tissus n^os 15, 18061.9bis, 18069.13, 18078.5, 18078.2 (fiches 76, 94, 104, 112, 115) ne présentent pas de particularité, hormis le tissu nº 18061.9bis à la réduction plus importante dans un sens que dans l’autre (fig. 197).

Fig. 197 - Tissu nº 15 (inv. fragment 18061B, tipo 7) : armure sergé de 2 lie 1.

64Le tissu nº 18070.6 (fiche 109), tissé en armure sergé de 3 lie 2, présente ce qui pourrait être interprété comme des changements d’armure ou des erreurs de tissage, mais le fragment est trop petit pour en déduire une intention ou une anomalie.

Changement d’armure

65Un tissu de la collection atteste l’utilisation de deux armures différentes au sein du même ouvrage. Il s’agit du tissu nº 11 (fiche 72), confectionné en armure sergé de 2 lie 2, puis en louisine de deux fils à trame couvrante (fig. 198). Les armures de tissage de ce tissu n’ont pas été intégrées dans les précédents comptages.

66Les fragments de ce tissu sont de faibles dimensions. La partie tissée en armure sergé de 2 lie 2 ne se démarque pas de l’ensemble des sergé analysés : filés de laine en Z, réduction moyenne. Suit une partie conservée sur quelques centimètres à peine, tissée en armure louisine de deux fils. Les fils de trame utilisés pour la louisine sont très différents de ceux employés pour le tissage du sergé. Il s’agit de filés de laine en Z très fins ; fortement tassés, ils recouvrent totalement la chaîne (fig. 199).

Fig. 199 - Tissu nº 11 (inv. fragment 18069B, tipo 11) : étoffe en armure sergé de 2 lie 2 et en louisine de 2 fils (cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299 ; schéma : F. Médard).

Anomalies et effets de tissage

67Dans la plupart des cas, on ignore si les particularités observées sur les vestiges textiles de la collection sont souhaitées ou non. Il s’agit souvent de flottés générant des changements de rythme liés au soulèvement de plusieurs fils de chaîne ou par un nombre inhabituel de coups de trame passés dans une même foule. Rares sont les tissus où la volonté décorative s’exprime véritablement.

Sens trame

68Tous les tissus dotés d’effets ou d’anomalies en trame sont réalisés en armure toile et dérivés. Il s’agit des exemplaires nº 1, 4, 6, 13 (fiches 62, 65, 67, 74) ; tous présentent plusieurs coups de trame insérés ponctuellement dans la même foule, marquant une rupture de rythme avec le tissage de base.

69Construit sur une base d’armure toile équilibrée en lin, le tissu nº 1 (fiche 62 ; voir fig. 173) présente par deux fois et à peu d’intervalle, quatre fils de trame logés dans la même ouverture. Cet effet de côtes horizontales pourrait être intentionnel, mais sans répétition, aucun argument ne permet de l’affirmer (fig. 200).

Fig. 200 - Tissu nº 1 (inv. fragment 18061B, tipo 20) : erreur ou décor sens trame (cliché de gauche : C. Durand/CNRS, UMR 7299 ; cliché de droite : F. Médard).

70Le tissu nº 4 (fiche 65), également tissé en armure toile équilibrée (voir fig. 173), présente à intervalles plus ou moins réguliers deux, trois ou cinq coups de trame insérés dans la même foule. Deux fragments de tissu bien conservés permettent de repérer l’alternance suivante : 2 coups, 1 coup, 1 coup, 3, 1, 1, 3, 1, 1, 2, 1, 1, 3, 1, 1, 1, 1, 1, 2, 1, 1, 1, 1, 5, 1 pour le premier ; 1 coup, 1 coup, 3 coups, 1, 1, 3, 1, 1, 3, 1, 1, 2 pour le second. La matière et le diamètre des fils restent inchangés dans les deux cas. Il s’agit probablement d’effets intentionnels, même si aucune régularité n’est perceptible (fig. 201). La présence de cinq coups de trame constitués de fils plus fins que ceux de la toile de fond insérés dans une même foule renforce l’hypothèse d’une démarche intentionnelle. L’utilisation de fils teints est quasiment implicite dans de tels cas.

Fig. 201 - Tissu nº 4 (inv. fragment 18061B, tipo 19) : erreur ou décor sens trame (cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299 ; schéma : F. Médard).

71Les tissus n^os 6 et 13 (fiches 67, 74) sont construits sur une base d’armure cannelé (voir fig. 183 et 186). Tous deux présentent la même caractéristique, à savoir qu’au lieu de deux coups de trame passés à chaque foule ouverte, ce sont parfois trois ou quatre, sans qu’aucun rythme ne soit repérable. Une autre particularité apparaît liée au tassement différentiel des fils de trame, susceptible de créer des rayures horizontales. Cela peut toutefois aussi résulter des tensions et des déformations infligées au tissu (fig. 202).

Fig. 202 - Tissu nº 6 : erreur ou décor sens trame.

Sens chaîne

72Les tissus regroupés dans cette catégorie sont indifféremment tissés en armure toile et sergé. Ils présentent des fils de chaîne ponctuellement soulevés dans un ordre différent de celui utilisé pour l’armure de base. Parmi les tissus réalisés, on recense les nº 8 (fiche 69 ; voir fig. 174), n° 24 (fiche 85 ; voir fig. 179) et nº 18078.3bis (fiche 113 ; voir fig. 193) : deux fils de chaîne sont parfois soulevés ensemble. En raison de la faible surface du tissu n° 8 (fiche 69), cela apparaît comme une erreur de tissage. Le tissu nº 24 (fiche 85), plus important en taille, présente une succession de trente-deux fils levés un à un, deux fils levés ensemble, six fils levés un à un, deux fils levés ensemble, onze fils levés un à un, deux fils levés ensemble, six fils levés un à un. Compte tenu de l’irrégularité du rythme, on ne saurait conclure à un effet volontaire (fig. 203).

Fig. 203 - Tissu nº 24 : erreur ou décor sens chaîne.

73Le tissu nº 18078.3bis (fiche 113), construit sur une base d’armure sergé de 2 lie 2, présente une erreur liée à la levée des fils de chaîne. Par ailleurs, deux fils de chaîne se croisent dans le tissu et semblent le devoir à une erreur de manipulation. En suivant le parcours de ces fils sur plusieurs coups de trame, de nombreuses erreurs apparaissent liées à la position des uns et des autres par rapport à la trame. Il peut s’agir de maladresses ou de rattrapage d’erreurs de tissage effectuées en amont (fig. 204).

Fig. 204 - Tissu nº 18078.3bis : erreurs ou décor sens chaîne.

Sens chaîne ou trame

74Réalisés en armure sergé, les tissus n^os 2, 7 et 22 (fiches 63, 68, 83 ; voir fig. 193) n’ont pas pu être orientés. Les tissus n^os 2 et 7 (fiches 63, 68) présentent une rupture de rythme bouleversant la structure de l’armure. La base d’armure sergé de 2 lie 2 du tissu nº 2 devient ponctuellement une armure sergé de 3 lie 2, 3 lie 1 ou encore une armure toile (fig. 205). Cette arythmie tend à indiquer une erreur liée à la levée des fils de chaîne. On note également deux fils travaillant ponctuellement par paire sur un des fragments du tissu nº 2 (fiche 63).

Fig. 205 - Tissu nº 2 (inv. fragment 18067, tipo 2) : erreur ou décor sens chaîne ou trame. D’après l’observation précise d’un fragment de tissu arbitrairement orienté.

75Le fragment de tissu nº 22 (fiche 83) présente la même caractéristique. Qu’ils soient placés en trame ou en chaîne, les couples de fils suivent le schéma d’armure sergé de 2 lie 2 sans générer d’erreur au niveau de l’armure. Cela tend à indiquer une intention (fig. 206).

Fig. 206 - Tissu nº 22 (inv. fragment NI, tipo 10) : erreur ou décor généré par des fils travaillant par paires. Hypothèse des fils de trame.

Tissus décorés

76Certains vestiges attestent de véritables effets décoratifs : il s’agit des tissus n^os 5 et 18078.3bis (fiches 66, 113), ce dernier ayant déjà été évoqué à propos des erreurs de tissage (voir fig. 204).

77Le tissu nº 5 (fiche 66) atteste un décor de trame formé par l’alternance de fils retors S2z de grosseurs différentes (0,3 mm et 0,8 mm). Un effet cannelé formé par l’insertion ponctuelle de fils de trame presque trois fois plus épais que ceux de la toile de fond apparaît ainsi sur une courte séquence (fig. 207).

Fig. 207 - Tissu nº 5 (inv. fragment 18078, tipo 22 : décor de trame effectué par l’insertion ponctuelle de fils de trame plus épais.

78Le tissu nº18078.3bis (fiche 113) présente des erreurs de tissage mais aussi, semble-t-il, des effets intentionnels (voir fig. 204). En chaîne comme en trame, des fils deux fois plus fins que ceux constituant l’essentiel du tissage sont ponctuellement utilisés. Placés à intervalles réguliers de trois fils dans le sens chaîne, ils travaillent comme les autres fils de chaîne et construisent un sergé de 2 lie 2 à l’aspect irrégulier en raison de leur finesse. La présence de fils fins est également observée en trame, mais sans récurrence perceptible. Associés par paire, ils travaillent comme un seul fil de trame. Par conséquent, les paires de fils sont à peine visibles car elles ne rompent pas le rythme de l’armure sergé de 2 lie 2 ni ne forment de surépaisseur. L’utilisation de fils de couleur est implicite.

Ourlets

79Les ourlets se définissent comme des aménagements effectués sur le bord de tissus coupés ou endommagés. La collection des vestiges pompéiens comprend quatre textiles ourlés, divisés en deux catégories distinctes, celle des « ourlets cousus » et celle des « ourlets tissés ».

Les ourlets cousus

80Ils consistent à rouler ou à replier le bord du tissu et à maintenir cet arrangement à l’aide de points obliques. Les ourlets réalisés ainsi sont fonctionnels mais peu esthétiques. Les tissus n^os 19 et 18078.3bis (fiches 80, 113) sont bordés de cette façon.

81Un ourlet parallèle au sens de la trame borde le tissu nº 19 (fiche 80) en même temps qu’il associe plusieurs épaisseurs de ce tissu. La couture est réalisée à l’aide de deux fils simples juxtaposés, en Z d’environ 0,2 mm de diamètre. Ils étaient vraisemblablement enfilés dans la même aiguille, à moins qu’il ne s’agisse d’un seul fil replié sur lui-même au niveau du chas. Les points de couture obliques sont distants de 5 mm et ourlent un bord d’environ 3 mm de large (fig. 208).

Fig. 208 - Tissu nº 19 (inv. fragment 18056, part. 2) : ourlet à points obliques réalisé sur le bord de deux tissus assemblés.

82Un ourlet parallèle au sens de la chaîne borde le tissu nº 18078.3bis (fiche 113). La couture est réalisée à l’aide d’un fil simple en Z mesurant environ 0,5 mm de diamètre. Les points de couture obliques, distants de 4 à 5 mm, ourlent un bord de 3,5 mm de large.

Les ourlets tissés

83Les tissus nº 2 et n° 5 (fiches 63, 66) présentent des ourlets de facture complexe. Tissés, ils sont mis en place sur un bord d’étoffe coupé en biais par rapport à l’axe chaîne/trame (fig. 209). Le mode d’enchevêtrement des fils au niveau du tissu et de l’ourlet n’étant pas visible, la lecture technique de la liaison reste difficile. Les fils utilisés pour réaliser la finition des deux tissus présentent dans chacun des cas une torsion S et mesurent environ 2 mm d’épaisseur. Tissées en armure toile, les finitions se distinguent parfaitement du reste des ouvrages réalisés en sergé de 2 lie 2. Celle du tissu nº 2 (fiche 63) mesure 3 mm d’épaisseur ; celle du tissu nº 5 (fiche 66), 1,5 à 2 mm. Ces deux objets, ourlés-tissés sur le même mode, auraient pu appartenir à la même pièce d’origine si les fils employés pour le tissage et les réductions n’avaient été radicalement différents (voir fig. 193).

84La technique employée pour réaliser cette finition n’est pas totalement assurée, mais des précédents observés sur des capes semi-circulaires d’époque romaine permettent d’en cerner assez précisément la fabrication¹⁰. Selon la face examinée, l’ourlet ne se présente pas de la même façon. Les fils en OY sont nettement plus visibles sur l’envers de l’étoffe (fig. 209) ; ils sembleraient servir à tisser sur la partie coupée de l’étoffe. Sur l’endroit, ils sont recouverts par les fils en OX et l’ourlet se présente comme un tissage propre et esthétique. Les fils orientés en OX (sens horizontal de la fig. 209) forment l’armure toile en passant au-dessus et au-dessous de chaque montant-couture. Un tissage à la grille dont la trame servirait à la fois au tissage et à la couture sur l’étoffe est vraisemblable.

Fig. 209 - Tissu nº 5 (inv. fragment 18069B, tipo 2) : bordure ourlée-tissée.

Coutures d’assemblage et réparations

Couture d’assemblage

85Nous venons de l’évoquer, le tissu nº 19 (fiche 80 ; voir fig. 208) présente un ourlet cousu à points obliques permettant de border et d’associer deux couches de tissus. Cet assemblage est renforcé par une couture réalisée au point avant à l’aide d’un fil retors en S2z. Placés à 6 mm du bord ourlé, les points de couture mesurent 6 mm de long et sont espacés de 2-3 mm.

Réparations

86Les tissus n^os 5, 7 et 15 (fiches 66, 68, 76)présentent des réparations attestant leur entretien et leur utilisation prolongée.

87Sur le tissu nº 5 (fiche 66), une entaille sectionnant de nombreux fils de trame a été soigneusement réparée à l’aide d’une couture maintenant jointifs les deux bords coupés. Simple, de torsion Z, le fil de couture mesure environ 0,2-0,3 mm de diamètre ; zigzagant d’un bord à l’autre de l’entaille, il descend à petits points le long de la coupure (fig. 210). Si la volonté d’effectuer une réparation « invisible » n’est pas manifeste, il est en revanche évident que cette reprise est conçue pour être résistante et durable.

Fig. 210 - Tissu nº 5 (inv. fragment 18078B, tipo 12) : entaille refermée à l’aide d’une couture bord à bord.

88Sur l’autre face du tissu, des fils orientés dans le sens de la trame effectuent des mouvements d’aller-retour de part et d’autre de l’entaille. Destinés à renforcer la trame du tissu, ils forment une reprise clairement visible sur une face et quasiment imperceptible sur l’autre. Bien qu’irrégulière, elle occupe au moins 5 mm de part et d’autre de l’entaille. Les fils travaillés à l’aiguille sont simples, de torsion S ou Z, et mesurent environ 0,2-0,3 mm de diamètre (fig. 211).

Fig. 211 - Tissu nº 5 (inv. fragment 18069B, tipo 2) : détail de la reprise effectuée de part et d’autre de l’entaille.

89Le tissu nº 7 (fiche 68) présente ce qui, à première vue, pourrait ressembler à une broderie maladroite¹¹. Deux bandes larges de 2 cm, formées de points de couture serrés les uns contre les autres, se joignent à angle droit sur le tissu réalisé en armure sergé de 2 lie 2. La partie orientée dans le sens trame comble l’absence de tissu dans cette zone. Les points de couture couvrent entre 6 et 13 fils de chaîne. Dans l’autre sens, ils couvrent entre 6 et 26 fils de trame. L’irrégularité et le manque de finesse des points de couture réalisés à l’aide de fils simples en Z permettent définitivement d’éliminer l’hypothèse d’une broderie (fig. 212).

Fig. 212 - Tissu nº 7 (inv. fragment 18078B, tipo 3) : points de couture serrés les uns contre les autres formant une réparation à un angle droit sur le tissu endommagé.

90Enfin, le tissu nº 15 (fiche 76) présente une couture grossière destinée à réparer un accroc. Un fil retors en lin S2z de 1 mm de diamètre est utilisé pour rapprocher les bords déchirés (ou coupés) du tissu défectueux ; il travaille en boucles irrégulières contraignant le tissu à former un bourrelet peu esthétique (fig. 213).

Fig. 213 - Tissu nº 15 (inv. fragment NI, tipo 11) : réparation effectuée à l’aide de points de couture formant un bourrelet grossier au niveau du tissu.

Regard sur les techniques de fabrication

91L’analyse des restes textiles livre des éléments nombreux et diversifiés. Ils correspondent à une réalité technique que nous souhaitons mettre en relation avec les modes de fabrication afin de mieux en cerner les spécificités.

La confection des bordures et des lisières

92Des bordures tissées, cordées et aux plaquettes sont attestées au sein de la collection. Ces éléments constituent des indices permettant d’appréhender les dispositifs mis en œuvre pour la fabrication des tissus.

Les bordures de départ tissées

93Elles ne sont pas spécifiques à la production textile d’époque romaine. Attestées dès le Néolithique moyen en Europe occidentale¹², elles sont abondamment représentées par la suite dans la protohistoire nord-européenne, par exemple sur les tissus de l’âge du bronze danois de Dragshøj ou de Skydstrup¹³. On les retrouve à l’âge du fer dans le nord-ouest de l’Europe et elles perdurent à l’époque romaine, notamment en Grande-Bretagne (voir par exemple les tissus de Verulamium ; 50-450 apr. J.-C. ; fragment H)¹⁴.

94Elles témoignent incontestablement de l’utilisation des métiers à tisser verticaux à poids¹⁵ (fig. 214). Une fois le tissage de la bordure achevé, les fils de chaîne ourdis sont tendus sur le dispositif. La bordure est accrochée en haut du métier et les pesons mis en place au bas des fils de chaîne pour en assurer la tension. Les poids de tisserand retrouvés par milliers sur le site de Pompéi attestent largement l’utilisation de ce type de métier.

Fig. 214 - Métier à tisser vertical à poids auquel sont probablement liés de nombreux ouvrages aux bordures de départ tissées (d’après Ciszuk, Hammarlund 2008, p. 122).

Les bordures de départ cordées

95Il existe plusieurs exemples de textiles archéologiques dotés de bordures de départ cordées : les vestiges de Kalyvia (Grèce) datés du v^e siècle av. J.-C.¹⁶, mais aussi par exemple un textile d’époque romaine mis au jour à Mayence, Mainz-Schillerplatz (Allemagne)¹⁷, d’autres encore issus du Mons Claudianus, à l’est du désert égyptien (Égypte ; i^er siècle-début du iii^e siècle). Les recherches effectuées à partir des nombreux restes textiles découverts sur ce gisement montrent que ces bordures de départ sont fréquemment associées à la confection de vêtements mis en forme sur les métiers verticaux à deux ensouples amovibles¹⁸ (fig. 215).

Fig. 215 - Métier à tisser vertical à deux ensouples amovibles sur lequel ont probablement été fabriqués de nombreux ouvrages aux bordures de départ cordées (d’après Ciszuk, Hammarlund 2008, p. 124).

Les bordures de fin cordées

96Elles sont fréquentes parmi les vestiges archéologiques. La série du Petit-Creusot (France, Saône-et-Loire ; fin du ii^e-début du iii^e siècle) a livré un exemplaire dont la finition est constituée d’une torsade de deux bouts câblés en Z, chacun formé de quatre fils retors en S, faits de deux brins tordus en Z (Z4S2z)¹⁹. Un autre exemple provient du site de La Bourse à Marseille (France, Bouches-du-Rhône ; i^er-iii^e siècle) : l’étude réalisée par R. Boyer précise qu’il s’agit d’une bordure terminale formée par la torsion des fils de chaîne groupés par deux ou trois ; la même bordure apparaît également au départ du tissu²⁰. Daté du i^er-ii^e siècle apr. J.-C., le cimetière de Khirbet Qazone en Jordanie a livré deux textiles présentant une bordure de finition semblable à celles évoquées²¹ (fig. 216). On citera encore l’exemple d’un textile provenant de Londres, London-Walbrook Stream Bed (Grande-Bretagne ; ii^e siècle apr. J.-C.), dont les fils de chaîne sont tordus par lots de trois ou quatre et entrelacés en S²². Comme le tissu nº 6 (fiche 67) de Pompéi, ces vestiges sont finis par une torsade simple, mais il existe des systèmes plus complexes, tels que celui observé sur le tissu nº 23 (fiche 84). J.P. Wild explique que ces terminaisons d’ouvrages sont caractéristiques des traditions techniques méditerranéennes²³, même si on les retrouve dans des régions situées au nord de l’empire.

Fig. 216 - Bordure de fin d’unu tissu mis au jour dans le cimetière de Khirbet Qazone en Jordanie (i^er-ii^e siècle apr. J.-C.) (d’après Granger-Taylor 2000).

Les lisières renforcées en chaîne

97Parmi les plus anciens tissus archéologiques présentant ce type de lisière, l’un provient de la sépulture de Muldbjerg (Danemark) datée de l’âge du bronze, vers 1391 av. J.-C. Il est caractérisé par une lisière faite de deux cordelines de cinq fils de chaîne chacune. Le fil de trame effectue un simple mouvement d’aller-retour autour de ces deux éléments²⁴.

98Parmi les vestiges d’époque romaine, la série du Petit-Creusot (France, Saône-et-Loire ; fin du ii^e - début du iii^e siècle) a livré trois tissus dont la lisière est construite ainsi. La première est formée d’une cordeline de quatre fils, d’une autre de cinq fils et d’une dernière de deux fils. Cette répartition des fils de chaîne en lisière d’ouvrage rappelle celle du tissu nº 3 (fiche 64) de Pompéi, à savoir que la cordeline la plus épaisse n’est pas celle située sur l’extrême bord du tissu. La deuxième lisière observée parmi les vestiges du Petit-Creusot est formée d’une cordeline de six fils, une de cinq fils, une d’un fil et une dernière de deux fils. Le troisième tissu, de lecture plus difficile en raison de son mauvais état de conservation, présente une lisière formée de trois cordelines constituées de plusieurs fils chacune²⁵. Des bordures similaires existent au sein de la collection textile des Martres-de-Veyre (France, Puy-de-Dôme ; fin du i^er - début du ii^e siècle)²⁶. À des milliers de kilomètres de distance, un fragment de tunique provenant du site de Didymoi en Égypte (inventaire : 2428.15) présente une lisière faite de deux cordelines tissées en armure toile et composées chacune de six fils de chaîne²⁷. Quelle que soit leur origine géographique, ces vestiges ont en commun des lisières formées de cordelines prises par de simples allers-retours de trame.

Les lisières renforcées en chaîne et en trame

99Plusieurs vestiges d’époque romaine présentent ce type de lisière. Le cimetière du Fin Renard à Bourges (France, Cher ; iii^e siècle) a livré une tunique dont les fils de chaîne proches des lisières ont été doublés. La trame passe deux fois autour de ces cordelines avant de réintégrer le tissage ; elle forme ainsi une nervure dont l’aspect évoque le point de bourdon²⁸. Un tissu mis au jour sur le site du Petit-Creusot (France, Saône-et-Loire ; fin du ii^e-début du iii^e siècle) présente une lisière formée d’une cordeline comprenant cinq fils de chaîne autour desquels chaque coup de trame effectue un tour supplémentaire avant de réintégrer le tissage²⁹. Les fouilles effectuées sur le site de La Bourse à Marseille (France, Bouches-du-Rhône ; i^er-iii^e siècle) ont permis de recueillir trois fragments de tissu dont les lisières sont formées de cordelines autour desquelles le fil de trame est plusieurs fois enroulé. Les deux premiers présentent deux cordelines respectivement formées de sept et neuf fils de chaîne, de l’extérieur vers l’intérieur du tissu. Le fil de trame est enroulé, tantôt autour d’une seule cordeline, tantôt autour des deux et effectue un ou plusieurs tours. Le troisième tissu, daté du début du i^er siècle, présente trois cordelines faites de cinq fils de chaîne. Excepté à un endroit, le fil de trame effectue systématiquement deux tours en lisière avant d’être réintroduit dans le tissage³⁰ (fig. 217). Des bordures similaires ont également été observées sur les textiles des Martres-de-Veyre (France, Puy-de-Dôme ; fin du i^er-début du ii^e siècle)³¹ et sur ceux de Didymoi (par exemple, inventaire D99.3307.3 ; Égypte, ii^e-iii^e siècle apr. J.-C.)³². Le mode de construction adopté pour tisser ces lisières assure leur solidité en même temps que leur régularité. Tout en étant décoratif, il permet de renforcer le tissu dans une zone soumise à une usure précoce.

Fig. 217 - Site de La Bourse (France, Marseille). Lisière renforcée du tissu nº 194 (d’après Boyer, Vial 1982).

100Les mouvements de trame ne soulèvent aucune difficulté technique. Lorsque l’armure de l’ouvrage est une toile, la trame travaille au niveau des lisières comme dans le tissu. Lorsque l’armure est un sergé (un des exemplaires du Petit-Creusot est tissé en sergé de 2 lie 1), la lisière tissée en armure toile implique que les fils de lisière soient soulevés indépendamment de ceux du tissage. Il demeure que les cordelines étaient probablement sélectionnées manuellement quelle que soit l’armure de l’étoffe, car leur faible nombre ne nécessitait pas l’installation de lisses dédiées.

Les bordures et les lisières aux plaquettes

101Le tissage aux plaquettes est attesté en Europe avant l’époque romaine. Les premières évidences archéologiques datent du début de l’âge du fer³³. Dès les premiers témoignages, la maîtrise technique du système de tissage se révèle complète ; les artisans font preuve d’originalité et d’inventivité dans leurs créations. Les découvertes effectuées sur les sites de La Motte d’Apremont (France, Haute-Saône ; premier âge du fer), de La Tomba del Trono à Verucchio (Italie ; 700 av. J.-C.)³⁴, de Eberdingen-Hochdorf (Allemagne ; vers 550 av. J.-C.)³⁵ ou de Fürstenhügel-Hohmichele³⁶ en témoignent. D’après J.P. Wild, à cette époque, le tissage aux plaquettes est principalement utilisé pour fabriquer des bordures de départ³⁷. Par la suite, il continue d’être largement employé : il borde esthétiquement les tissus en même temps qu’il les renforce. Comme observé sur le tissu nº 5 (fiche 66), des lisières peuvent être ainsi confectionnées en même temps que l’ouvrage lui-même. Dans ce cas, les plaquettes sont montées sur le métier et occupent les fils de chaîne situés sur les bords de la réalisation (fig. 218). D’après les restes textiles, ce mode de fabrication des lisières ne semble pas connu dans les provinces romaines de l’Est³⁸.

Fig. 218 - Métier à tisser vertical à poids muni de quatre barres de lisses. Schéma décrivant le montage d’un tissage en armure sergé dont les lisières sont confectionnées à l’aide de plaquettes (d’après Schlabow 1976).

102D’autres systèmes existent permettant de raccorder une lisière aux plaquettes à un tissu déjà confectionné par une simple couture, telle qu’observée sur le tissu nº 18069.13 (fiche 104), ou en faisant appel à d’autres systèmes de montage. Daté autour de 300 apr. J.-C., un fragment de manteau découvert dans la tombe de Vrangstrup au Danemark présente une large bordure/lisière aux plaquettes. Ces dernières sont mises en place sur le bord du tissu achevé et chaque coup de trame inséré raccorde avec les fils de trame du tissu³⁹. Ce procédé semble également être utilisé pour la lisière du manteau de Vaalermoor et de Hunteburg (Allemagne ; âge du fer)⁴⁰.

103Le tissage aux plaquettes est aussi attesté au travers des découvertes de plaquettes. En 1955, W. La Baume indiquait les exemplaires du site danois de Deibjerg-Moor (Danemark, Jutland) comme étant les plus anciens connus. En bois, carrés à quatre perforations, ils datent du i^er siècle av. J.-C.⁴¹. D’autres exemplaires anciens ont été mis au jour depuis, comme ceux de El Cigarralejo (Espagne ; 400-375 av. J.-C.)⁴². Il s’agit également de modèles en bois à quatre perforations. Les gisements d’époque romaine ont révélé des plaquettes de tissage en de nombreuses aires géographiques. En 1970, J.P. Wild en recensait des exemplaires provenant de plusieurs sites anglais tels que London, Bank of England, Wroxeter, Corbridge ; allemands tels que Koblenz, Trier, St Barbara et aussi suisses tels que Vindonissa⁴³. Des exemplaires inachevés issus de Copthall Avenue (Grande-Bretagne) ont été par la suite publiés par F. Pritchard⁴⁴. En France, des exemplaires proviennent de la Rue des Farges à Lyon, du site de Sainte-Colombe (Vienne) ou encore du Verbe Incarné (Lyon)⁴⁵. Il s’agit dans les cas énoncés de plaquettes triangulaires à trois perforations. Les exemplaires à quatre perforations sont moins rares car ils correspondent à une forme plus couramment utilisée⁴⁶.

Les armures de tissage : choix et contraintes techniques

104L’analyse des armures de tissage permet de scinder les vestiges en quatre groupes.

Les armures toile

105Tous les tissus en armure toile sont construits sur un rapport d’armure de 2 fils et 2 coups. Les effets obtenus reposent exclusivement sur la réduction des fils en chaîne et/ou en trame. Dans cette catégorie d’ouvrages, l’utilisation du lin domine nettement (16 tissus sur 20) ; les fils de torsion S en lin caractérisent 9 toiles sur 20, les fils de torsion Z en lin, 7 toiles sur 20 et les fils de torsion Z en laine, 4 toiles sur 20 (il n’existe aucun fil de torsion S en laine). La réduction moyenne des toiles équilibrées est de 20 fils par cm ; celle des toiles à dominante chaîne ou trame est de 30 fils dans un sens et 20 fils dans l’autre. L’effet de tissage repose donc sur une densité de fil d’un tiers supérieure dans un sens par rapport à l’autre (voir supra). Les armures toile, équilibrées et à effet de chaîne ou de trame, impliquent l’utilisation de métiers à tisser munis, au minimum, d’une ou deux barres de lisses. Pour autant, cela n’exclut pas l’utilisation de métiers équipés de trois ou quatre barres. Dans le cas du système vertical à poids on aura, selon qu’ils sont inclinés ou non, des dispositifs à une, deux, trois ou quatre barres ; tous permettent d’obtenir des bases d’armure toile. Dans le cas d’un système vertical à deux ensouples, il faudra nécessairement deux barres de lisses pour obtenir les ouvertures indispensables au tissage en armure toile.

Les armures dérivées de la toile

106Les tissus en armures dérivées de la toile (cannelé, louisine, natté) sont construits à l’aide de fils actionnés le plus souvent par paires dans l’un ou l’autre sens de tissage. Selon les cas, le rapport d’armure est de 4 fils et 2 coups (louisine de 2 fils), 2 fils et 4 coups (cannelé de 2 coups) ou 4 fils et 4 coups (natté de 2 fils et 2 coups). Excepté l’armure cannelé réalisable sur un métier à deux barres de lisses, les autres armures impliquent plus volontiers l’utilisation de métiers à quatre barres. Les fils de chaîne sont enfilés chacun dans une lisse, de sorte que pour lever deux fils placés côte à côte, il faut actionner deux barres de lisses à chaque coup de trame. Les armures cannelé sont nettement mieux représentées que les louisine (huit exemplaires assurés sur neuf, soit une seule armure louisine). La facilité de mise en œuvre des unes par rapport aux autres pourrait être à l’origine de cette différence. Le lin et la laine sont à peu près équitablement répartis au sein de cette catégorie de vestiges. La plupart des fils sont tordus en Z (quatre en lin et sept en laine) ; seul un tissu en lin est conçu à partir de fils tordus en S. Les réductions de tissage varient selon les armures : on dénombre en moyenne 40 fils dans le sens trame pour les cannelé (2 × 20 fils), et entre 16 et 18 fils pour les natté, quelle que soit la direction du tissage. L’unique louisine recensée ne peut pas être considérée comme étant représentative (voir supra).

107En termes de dispositifs de tissage, la confection des armures cannelé n’implique aucune nouveauté ni aucun aménagement supplémentaire par rapport à celle des armures toile simples. On peut s’interroger sur la façon d’insérer les deux coups de trame des armures cannelé : sont-ils passés successivement dans la foule ou en même temps, dans ce cas à l’aide d’une canette formée de deux fils bobinés ensemble ? À l’observation du tissu nº 6 (fiche 67), les fils de trame logés dans une même foule ne se croisent à aucun moment. Ce détail tend à indiquer qu’ils ont été passés individuellement. De plus, ce tissu révèle parfois trois fils de trame insérés dans la même ouverture, un constat propre à renforcer cette hypothèse. Il est probable que les canettes étaient chargées d’un seul fil, permettant ainsi de choisir le nombre de passages dans une même duite et de combiner plus facilement d’éventuels fils de couleur. Les natté et les louisine impliquent en revanche des fils de chaîne travaillant par groupes ; en l’occurrence, il s’agit de groupes de deux. Sur des métiers à une ou deux barres de lisses, une solution consisterait à enfiler les fils de chaîne par paire dans une même lisse. Cela aurait une incidence ponctuelle sur le parallélisme des fils de chaîne, une incidence qui n’a pas été ici observée. On en déduit par conséquent l’enfilage d’un seul fil de chaîne par lisse et, donc, l’installation de trois ou quatre barres de lisses selon que le métier est incliné ou non.

Les sergé croisés 

108Tous sont des sergé de 2 lie 2, en laine et confectionnés à partir de fils tordus en Z. La réduction moyenne est de 11 fils par cm dans les deux sens de tissage. Comparés aux armures toile en laine, les fils réservés au sergé sont plus épais et moins nombreux. Il ne s’agit aucunement d’une incapacité à produire des fils fins en laine mais de choix délibérés effectués en fonction du type de tissu réalisé. La confection d’un sergé de 2 lie 2 nécessite l’ouverture de quatre foules différentes, soit la répartition des fils de chaîne en quatre nappes de fils. Sur un métier vertical à poids incliné, ce partage implique l’installation de trois barres de lisses et d’une barre d’encroît en partie inférieure. Sur un métier vertical non incliné, il implique l’installation de quatre barres de lisses, moins commodes d’utilisation.

Les sergé composés 

109Il s’agit de sergé de 1 lie 2, 3 lie 2, 3 lie 1. Comme les sergé croisés, ils sont tous en laine, réalisés à partir de fils tordus en Z dans les deux sens de tissage. Le diamètre des fils et les réductions de tissage sont quasiment identiques à ceux des sergé croisés. Les armures des sergé composés impliquent, selon les cas, l’installation de barres de lisses plus ou moins nombreuses. Les sergé de 2 lie 1, majoritaires au sein de la collection, nécessitent un métier équipé au maximum de trois barres de lisses. Sur un métier vertical incliné, deux barres de lisses et une barre d’encroît suffisent. Les sergé de 3 lie 1 (tissu nº 18078.2, fiche 112), comme les sergé de 2 lie 2 (voir supra), impliquent un montage des fils de chaîne répartis sur quatre barres, trois dans le cas d’un métier vertical incliné. Les sergé de 3 lie 2 (tissu nº18070/18078.6, fiche 109) nécessitent l’ouverture de cinq foules différentes. Sur un métier vertical à poids incliné, ce partage implique l’installation de quatre barres de lisses et d’une barre d’encroît en partie inférieure. Sur un métier vertical non incliné, il implique l’installation de cinq barres de lisses, d’utilisation quasiment impossible. Il faut toutefois noter que le tissu sur lequel cette armure a été repérée présente de nombreuses irrégularités dans le tissage, ainsi que de faibles surfaces conservées.

110Avec plus ou moins de facilité, l’ensemble des armures de tissage répertoriées au sein de la collection a pu être réalisé sur des métiers verticaux à poids ou sur des métiers verticaux à deux ensouples. Si l’éventualité d’autres dispositifs n’est pas exclue, la réflexion repose essentiellement sur ces deux systèmes, attestés par les sources écrites et iconographiques (voir supra).

Particularités techniques

Les franges

111En Europe, les plus anciens tissus à franges datent du Néolithique⁴⁷. On connaît également ce type de finition sur les textiles de l’âge du bronze danois⁴⁸. Plus récente, la série gallo-romaine du Petit-Creusot (France, Saône-et-Loire ; fin du ii^e-début du iii^e siècle) compte deux textiles ornés de franges (LPC 86-36-3 ; LPC 86-21-8) : le plus lisible d’entre eux présente des franges longues de 9 cm, retordues dans le sens S à partir de huit fils de chaîne tordus en Z (LPC 86-36-3)⁴⁹. Des franges sont encore visibles sur les textiles admirablement conservés des sépultures des Martres-de-Veyre (France, Puy-de-Dôme ; fin du i^er - début du ii^e siècle)⁵⁰. On les observe notamment en haut des chausses et aux extrémités de la ceinture mises au jour dans la tombe D⁵¹. Plus tardives, des franges ornent le bas d’un manteau de soie découvert dans le sarcophage XX de l’abbaye Saint-Victor (France, Marseille ; v^e-vi^e siècle) : plusieurs fils de chaîne sont assemblés en Z et deux de ces cordons sont câblés en S⁵². En Grande-Bretagne, un fragment de tissu mis au jour sur le site de Verulamium (50-450 apr. J.-C. ; fragment E) présente également des franges formées de 10 fils de chaîne repliés en deux et retordus⁵³.

112Les documents iconographiques constituent également une source d’information appréciable. Les représentations d’époque romaine illustrant des tissus à franges sont nombreuses, mais il n’existe aucun recensement véritable de ce type de document⁵⁴. Citons en exemple le bas-relief de St-Wendel conservé au Rheinisches Landesmuseum (Allemagne, Trêves ; fig. 219) : deux jeunes garçons y inspectent une pièce de textile terminée sans équivoque par de longues franges. Une autre illustration peinte sur une toile de lin met en scène une femme vêtue d’une robe bordée de franges en partie inférieure. Il s’agit d’un portrait conservé au Metropolitan Museum of Art (New-York), probablement originaire d’Antinoë en Égypte (170-200 apr. J.-C.)⁵⁵.

Fig. 219 - Jeunes garçons inspectant un tissu à franges. Bas-relief de St-Wendel.

« Anomalies » en chaîne

113Dans des ouvrages où les fils de chaîne sont soulevés individuellement pour former l’armure, il arrive que certains travaillent ponctuellement par paires. Dans ces cas précis, il semblerait davantage s’agir d’erreurs de tissage que d’effets volontaires. En chaîne ce type d’anomalie peut résulter de la rupture d’un fil en cours de travail, d’une erreur d’enfilage (oubli d’un fil de chaîne situé à l’arrière du métier), d’une lisse cassée, etc. Le plus souvent, ces défauts ne sont pas immédiatement détectés, le tisserand poursuit son ouvrage et s’aperçoit ultérieurement de son erreur. À ce stade, il lui appartient de le corriger ou de le laisser en l’état.

114Il arrive parfois que les fils de chaîne se croisent dans le tissage. Il s’agit généralement de fils placés côte à côte dont les positions sont inversées. Dans le cas d’une chaîne aux fils rigoureusement ordonnés pour le tissage, ce type d’accident peut difficilement se produire. Les exemples européens les plus anciens proviennent des sites lacustres néolithiques. Le croisement des fils de chaîne intervient systématiquement sous la lisière de départ, avant que ne débute le tissage. Dans ce cas, les fils ont été soit repris un à un manuellement pour leur assigner une place dans le tissu, soit ils ont été ordonnancés au moment de l’ourdissage⁵⁶. D’autres tissus provenant d’Égypte présentent les mêmes particularités. Il est aisé de mettre en place de tels arrangements sur des tissus dont la lisière de départ est tissée à part et dont les fils de chaîne sont ensuite montés sur des métiers verticaux à poids. Lorsque les fils de chaîne sont définitivement ordonnés et, à plus forte raison, lorsqu’ils le sont sur des métiers à deux ensouples, il faut, pour les déplacer, insérer des baguettes intermédiaires destinées à maintenir les croisements. Dans le cas de la collection analysée ici, seul l’exemplaire 18078.3bis présente deux fils de chaîne croisés. Manifestement il s’agit d’une rectification volontaire destinée à rattraper une erreur de tissage produite par plusieurs coups de trame en amont (voir fig. 204).

Finition et mise en forme des tissus

115Les éléments les plus significatifs dans ce domaine sont les ourlets et les coutures.

116Les ourlets peuvent être aménagés sur des tissus endommagés (déchirés, usés, coupés) ou sur des tissus taillés et bordés de sorte à obtenir un fini de belle facture. Dans le premier cas, on ne parlera pas nécessairement de mise en forme puisqu’il s’agit davantage du maintien en état de tissus usagés (tissus n^os 19 et 18078.3bis). Dans le même registre figurent les réparations des tissus n^os 5, 7 et 15. Les ourlets et aménagements de cette sorte, même soignés, sont utilitaires plus qu’esthétiques. Ils diffèrent des ourlets tissés qui témoignent à n’en pas douter de la mise en forme de tissus coupés, soigneusement bordés d’un ourlet manifestement ornemental (tissus n^os 2 et 5). Il est vraisemblable d’attribuer de tels fragments à des pièces vestimentaires, au moins dans le cadre de leur utilisation première.

117La mise en évidence de traitements appliqués aux tissus est plus ténue. Si les textiles de la collection ont subi de fortes températures lors de la destruction du site, certains présentent un aspect qui ne le doit pas à la carbonisation. En lin ou en laine, ils diffèrent en texture ; les premiers sont plus aérés que les autres. Les tissus de laine se révèlent être particulièrement denses, une caractéristique qui, d’après H. Granger-Taylor, ne peut être obtenue qu’à l’aide du foulonnage (information orale). Ce traitement resserre les fibres de laine et la surface du tissu se rétracte d’environ 10 %.

118La chaîne opératoire de production textile ne s’arrêtait pas à l’issue du tissage : à la tombée du métier, les tissus étaient confiés à d’autres spécialistes travaillant à leur apporter des propriétés particulières par le biais de traitements et d’apprêts spécifiques.