Chapitre IV. Le tissage
p. 71-110
Texte intégral
Dispositifs techniques
1Appréhender les dispositifs de tissage sur la seule base des vestiges archéologiques est un exercice délicat. Un métier à tisser, selon qu’il permet de réaliser des toiles simples ou complexes, en grandes largeurs ou en bandes étroites, n’implique pas la même mise en œuvre. Les documents ethnologiques en attestent : de nombreuses possibilités existent, parfois si simples et si peu exigeantes en termes de structure et d’outillage qu’elles ne laisseront aucune trace archéologique. Il s’agit, par exemple, des métiers horizontaux installés à même le sol et des dispositifs utilisant l’environnement naturel et l’action du corps pour assurer la tension des fils de chaîne (métiers à tenseur dorsal). On imagine sans peine la disparition totale d’indices attestant l’utilisation de nombreux systèmes de tissage d’époque romaine. L’iconographie, parfois quelques écrits et plus rarement les vestiges matériels nous laissent entrevoir ce monde de diversité fait de tressages et tissages aux doigts, de réalisations en sprang, de tissages aux plaquettes, de feutre, etc. Des scènes peintes sur les céramiques grecques illustrent ainsi des cadres de tissage portatifs utilisés pour la réalisation de petits ouvrages1. Plus abondants sont les indices attestant l’utilisation des métiers verticaux, à poids ou à deux ensouples.
2Les deux systèmes techniques ne se valent pas : ils présentent des avantages et des inconvénients liés, entre autres, au nombre de barres de lisses nécessaires à la réalisation des ouvrages. Le métier vertical à poids permet de tisser des largeurs allant jusqu’à plus de 2 m grâce aux larges ouvertures des foules. La navette peut être accompagnée à la main sur de longues distances, relayée par deux personnes travaillant chacune à une extrémité du métier2. Généralement inscrit dans un plan incliné, il permet d’économiser le montage d’une barre de lisse : le tissage progresse du haut vers le bas3. Dans le monde romain, le métier vertical à poids aurait été préférentiellement utilisé pour réaliser des tissus en grandes largeurs4.
3Sur le métier vertical à deux ensouples, les fils de chaîne sont fixés à deux barres parallèles distantes de la hauteur du métier. Il impose des contraintes de tissage aux incidences directes sur le type d’armure confectionnée et serait davantage lié au tissage de vêtements en laine de faible largeur. Le dispositif est moins souple d’utilisation que le métier vertical à poids en raison de la faible ouverture des foules contrainte par la tension de la chaîne entre deux éléments fixes. Cette limite physique ne permet pas d’accompagner le fil de trame sur de grandes distances5. Le travail progresse de bas en haut, inversement au métier vertical à poids. Le métier à deux ensouples est aussi celui de la tapisserie (haute lisse)6.
4Les métiers à deux ensouples ne laissent généralement pas de traces matérielles, excepté peut-être un exemplaire retrouvé à Herculanum sous la forme de bois carbonisés disjoints. Avant de concentrer la recherche sur le métier vertical à poids abondamment représenté par les milliers de pesons recueillis sur le site de Pompéi, il paraît utile d’exposer cette étonnante découverte.
Un métier à tisser à deux ensouples sur le site d’Herculanum7
5Ce vestige exceptionnel serait le seul et unique exemplaire de ce type dans le monde romain. Son interprétation nécessite toutefois d’être discutée car le mode d’utilisation supposé de ce métier a semble- t-il bénéficié d’un diagnostic approximatif.
Description
6Une seule source crédible concerne ce dernier avant sa « restauration » pour le moins fantaisiste : le dessin réalisé par F. Ferrajoli (fig. 68).
Fig. 68 - Croquis réalisé par F. Ferrajoli représentant les restes probables d’un métier à tisser à deux ensouples découvert dans la casa del telaio (V, 3 ; Archivio disegni PAP P658 f° 3, 18 janvier 1933.

© N. Monteix
7Le schéma reporte la position respective des différentes pièces de bois découvertes ainsi que l’indication de leurs dimensions : les indications cotées alternent mètres et centimètres ; les rapports de taille restent schématisés, particulièrement pour la profondeur. Huit pièces ont été dessinées. Les deux premières sont des montants verticaux dont la cotation n’est que partielle. Celui de droite a une section de 4 × 10 cm et est percé de deux séries verticales de trous. Pour le second, seule la hauteur préservée est indiquée (1,12 m). Entre ces deux pièces se trouve une traverse, longue de 2,25 m, large de 8 cm et dont l’épaisseur n’est pas précisée. Bien que les quatre traits délimitant sa face inférieure soient représentés, elle paraît s’encastrer dans le montant droit grâce à une encoche ; le dessin manque ici de clarté ; rien n’interdit formellement de considérer que cette traverse se trouve en avant du montant droit. En considérant que le rapport de hauteur est juste, elle se situerait au-dessus de la partie conservée du montant gauche. Enfin, au sommet du montant droit se trouve une seconde barre large de 10 cm et épaisse de 7 cm selon les indications reportées. Toutes les autres pièces sont de section circulaire, sans que leur diamètre ne soit indiqué. L’une d’elle, positionnée en biais, a une longueur conservée de 1,60 [m]. À son extrémité gauche est fixé un fragment d’étoffe. Une seconde baguette, brisée en trois morceaux, se trouve en avant de la précédente. Une seule dimension est indiquée, pouvant correspondre à la longueur (0,70 [m]) de l’un de ces fragments. Enfin, accolés au montant droit se trouvent deux autres morceaux de baguettes, l’un proche de la barre horizontale, le second à proximité du sommet. La représentation de stries, qui pourraient être incisées sur ces deux fragments, permettrait de reconstituer une unique pièce. Ces différents éléments paraissent représenter les restes d’un métier vertical à deux traverses horizontales. L’état et la position des fragments autorisent également cette interprétation. L’indice le plus probant tient aux deux montants qui semblent avoir été trouvés dans une parfaite verticalité. La baguette sur laquelle des fragments d’étoffe ont été trouvés serait alors la traverse inférieure. L’ensouple pourrait être constituée par la barre de section circulaire présentant des stries. Les encoches visibles dans le montant droit permettraient de positionner la barre de lisse à différentes hauteurs8. Ce très probable métier à deux traverses horizontales correspond à la seule attestation du tissage à Herculanum : contrairement aux interprétations proposées par A. Maiuri, aucune trace de production textile n’a été mise en évidence dans la casa della Stoffa (IV, 19-20), qui ne tire son nom que de la découverte de morceaux d’étoffe à l’étage (GSE 1931 : 11 novembre)9.
Le métier à deux ensouples dans l’histoire des techniques
Sources écrites
8Tandis que dans le monde méditerranéen, le métier vertical à poids appartient à ce que Pollux désigne au iie siècle comme « les anciennes méthodes de tissage10 », le métier à deux ensouples semble connaître son plein essor à la période romaine, au cours du ier siècle apr. J.-C. Traditionnellement, on date pourtant son apparition de cette période11, en se fondant sur un passage d’une lettre de Sénèque qui en parle comme d’un système résolument moderne12. Le philosophe s’y exprime sur la position des sages vis-à-vis des techniques. Volontiers polémique, il cherche à différencier sa perception de celle de Posidonius d’Apamée. Il moque les descriptions techniques non actualisées de l’Apaméen – ce dernier ayant pu renvoyer à des détails archaïsants à dessein13 – en les comparant avec celles d’Ovide, aux traits plus « modernes »14. Dans la logique du texte de Sénèque, le tissage tel que décrit par Ovide présenterait une « innovation technique » (subtilius genus). Si le poète ne mentionne pas, au contraire du philosophe, le montage des fils de chaîne accrochés aux pesons, rien ne permet d’affirmer que l’évolution présentée corresponde à l’apparition du métier vertical à deux traverses horizontales. Bien au contraire, les deux vers précédents d’Ovide15 – non repris par Sénèque – peuvent s’interpréter comme le montage des fils de chaîne sur l’ensouple seule, reliés à des pesons non mentionnés, la seconde traverse étant alors celle décrite au v. 55, début de la citation de Sénèque. En ce sens, l’opposition montrée par Sénèque entre la description archaïsante de Posidonius et celle « moderne » d’Ovide porterait plus sur les outils associés au tissage : soit la navette que seul le poète évoque ; soit, et cela semble beaucoup plus probable, celui utilisé pour resserrer la trame – Posidonius mentionne un battant (spatha) tandis qu’Ovide décrit un peigne. Si aucun de ces deux textes, par ailleurs datés autour du changement d’ère, ne semble renvoyer à un métier à deux traverses, un papyrus daté de 54 apr. J.-C. comporte la description de ce type d’appareil (P.Oxy. II, 264)16. Ce contrat de vente a pour objet un métier à tisser : deux montants (ἱστόπους, 1.5) et deux traverses (ἀντἰον, 1.4) servent à le caractériser. L’absence de mention de pesons autorise à considérer ce métier à tisser comme vertical à deux traverses.
Iconographie
9Certaines représentations iconographiques de la fin du ier siècle de notre ère attestent l’utilisation du métier à tisser vertical à deux ensouples. Le duel entre Arachné et Minerve illustré sur les frises du Forum transitorium (terminé sous Trajan) constitue la première et la mieux datée de ces figurations17. On l’observe également sur les murs de l’Hypogée des Aurelii à Rome (fig. 69) et sur le bas-relief de Genetiva à Baugy (France)18. Le relief de Forlì, daté du iie siècle et généralement interprété comme représentant les activités d’un foulon, pourrait également montrer un métier à tisser à deux traverses, plutôt qu’un séchoir à linge19.
Fig. 69 - Représentation d’un métier à tisser vertical à deux ensouples. Hypogée des Aurelii, Rome (d’après Walton-Rogers 2001).

© Fototeca Unione, American Academy in Rome
Réalisations textiles
10Si les textes et l’iconographie font du métier à tisser vertical à deux traverses une réalité du ier siècle de notre ère, rien ne permet d’estimer véritablement sa période d’apparition, en Italie ou ailleurs. Dans ce domaine, les vestiges textiles offrent un point de vue instructif : ils montrent que le métier à tisser vertical à deux ensouples est connu en Europe à partir des âges des métaux. Son apparition serait liée au développement de la laine dans le tissage à l’âge du bronze, même s’il connaît un essor particulier durant l’Antiquité. À l’époque romaine, il est utilisé pour tisser les armures louisine, cannelé et natté. Ces dérivés de la toile semblent être des productions d’origine typiquement méditerranéenne ; les armures cannelé, comme les natté, seraient parvenues dans les territoires septentrionaux de l’empire, véhiculées par les troupes romaines en poste dans les provinces du Nord20. L’armure sergé de 2 lie 1 serait également d’origine méditerranéenne. Rare, voire inexistante au nord-ouest de l’Europe avant l’arrivée des Romains21 elle serait née sur les métiers à deux ensouples où les fils de chaîne ne bénéficient pas d’une ouverture naturelle comme sur les métiers verticaux à poids22. L’armure sergé de 2 lie 1, contrairement au sergé de 2 lie 2, nécessite seulement l’ouverture de trois foules et non quatre. Dans un système où les fils de chaîne sont fortement contraints par leur attache aux ensouples et en raison de la faible ouverture des foules, il est plus facile de diviser la chaîne en trois nappes qu’en quatre. Pour obtenir des armures sergé sur un dispositif finalement mal adapté à ce type de tissage, le sergé de 2 lie 1 constitue une alternative ingénieuse, fruit de l’adaptation des besoins aux contraintes techniques. Pourtant, l’aspect contraignant du système a sans doute provoqué son abandon par les populations des territoires septentrionaux, autour de 200 apr. J.-C. À cette époque, le métier vertical à poids réintègre pleinement sa place, vraisemblablement parce qu’il est mieux adapté au tissage des armures sergé nécessitant trois et quatre barres de lisses23.
11Le métier à deux ensouples est aussi celui de la tapisserie. Les représentations d’époque romaine figurant ce type de métier illustrent d’ailleurs systématiquement des scènes de tapisserie (voir supra, stèle de Genetiva, l’Hypogée des Aurelii) : seule une barre de lisse est représentée24. Ainsi, les bandes de toile à dominante trame sont-elles tissées, à partir du iie siècle, sur des métiers à deux ensouples25. Ce métier est désormais utilisé de manière pérenne dans toute l’Europe, peut-être davantage pour la réalisation de tapisseries. « D’innombrables illustrations en témoignent [...] le métier à haute lisse [...] représente, de nos jours encore, l’héritage du monde romain26 ».
Le métier à tisser vertical à poids
12En Europe, le métier à tisser vertical à poids est connu dès la Préhistoire27. Attesté aux âges des métaux, il constitue à cette période le principal système de tissage employé. Il continue d’être largement utilisé à l’époque romaine, notamment jusqu’au ier siècle apr. J.-C., date à laquelle apparaît en Italie le métier à deux ensouples28. Au cours des iie-iiie siècles, dans le monde méditerranéen, les deux systèmes se côtoient29. Au Moyen Âge, le métier à poids perdure, en dépit d’une nouvelle introduction : celle du métier horizontal à pédales autour des xie-xiie siècles30. Ce n’est qu’aux xve-xvie siècles qu’il est délaissé au profit des deux autres systèmes. Son utilisation est désormais limitée aux territoires du nord de l’Europe, la Scandinavie et les îles Feroë, où il restera en usage jusqu’au xxe siècle31. La longévité du métier vertical à poids tient à des avantages spécifiques et indéniables sur les autres dispositifs.
Fonctionnement
13Les métiers à tisser verticaux à poids, généralement inscrits dans un plan incliné, appuyés contre un mur ou une cloison, sont constitués de deux montants, maintenus à leur extrémité supérieure par une poutre transversale dont la dimension détermine la largeur maximale du tissu. L’obliquité du dispositif assure par gravité, la séparation des fils de chaîne en deux nappes (dans le cas des armures toile) et permet d’économiser le montage d’une barre de lisse. De petites fourches, fichées ou liées à chacun des montants, servent à bloquer la (ou les) barre(s) de lisses, dont la fonction est de soulever alternativement les différentes nappes de fils. Enfin, une troisième barre transversale installée au bas du métier sert à maintenir à l’avant-plan la moitié des fils de chaîne pour éviter qu’ils ne se mêlent à l’autre moitié placée à l’arrière. Sur ce type de métier, les fils de chaîne maintenus ensemble par une bordure de départ préalablement tissée sont tendus à l’aide de pesons (fig. 70).
Fig. 70 - Métier vertical à poids à une barre de lisses (d’après Ciszuk, Hammarlund 2008).

© DR
Les poids de tisserand
14Bien que les pesons n’aient jamais été étudiés statistiquement, leur présence sur le site de Pompéi et sur les sites d’époque romaine en général est connue de longue date. Si des interprétations nombreuses et variées ont autrefois été proposées, leur utilisation pour tendre les fils de chaîne des métiers à tisser est désormais admise. D’après A. Ferdière32, la compréhension du rôle des pesons dans l’exercice du tissage daterait de la fin du xixe siècle. On lisait encore dans l’Encyclopédie que « ces pesons ou contre-poids à bon marché, de fabrication facile, ont été employés dans des industries diverses et non exclusivement par des tisserands »33. On considère aujourd’hui que la majorité d’entre eux servait au tissage, en attestent d’ailleurs les nombreux témoignages iconographiques d’époque antique34.
Outillage
Effectif et mode d’enregistrement
15Les pesons représentent l’essentiel de l’outillage examiné, même si le temps imparti à la recherche n’a pas permis de les étudier tous, loin s’en faut. L’exhaustivité n’aurait d’ailleurs présenté qu’un intérêt limité, car les pesons actuellement déposés dans les réserves du site ne constituent sans doute qu’une faible part des exemplaires présents dans la ville au moment de l’éruption, en 79 apr. J.-C. Dans le registre des pièces absentes et/ou non recensées, existent également des séries mentionnées dans les journaux de fouilles, impossibles à examiner parce qu’elles manquent à l’inventaire. Compte tenu des contraintes et situations particulières liées à cette recherche, l’analyse repose sur un échantillon de matériel que nous avons souhaité suffisamment conséquent pour être représentatif.
16Le déséquilibre numérique entre les pesons et les autres ustensiles potentiellement employés au tissage est flagrant. Il pourrait être expliqué par l’histoire des recherches sur le site, par la destruction partielle des réserves durant la seconde guerre mondiale, par la sélection des objets au moment de leur découverte et par l’identification erronée des vestiges, il est vrai parfois peu éloquents hors de leur contexte d’utilisation. Ce dernier point est sans doute le plus facilement réversible. Une partie des erreurs d’attribution fonctionnelle peut être corrigée à mesure que les spécialistes examinent le matériel. La procédure d’accès au matériel implique toutefois une première étape limitative : nous sommes tenus aux fiches d’inventaire et aux journaux de fouilles pour sélectionner les objets d’étude. Ce mode opératoire naturellement compréhensible dans le cadre de la préservation des biens culturels, prive la recherche de données importantes pour l’identification d’objets mal définis. En conséquence, les ustensiles de tissage répertoriés dans le cadre de cette étude restent peu nombreux et peu diversifiés (fig. 71).
Fig. 71 - Recension des objets examinés et/ou pris en compte dans l’étude.
Localisation | Pesons | Autres objets | |
Plomb | Terre cuite | ||
Pompéi I, 6, 10 | 82 non examinés | - | - |
Pompéi I, 8, 5 | - | - | 1 couteau en os |
Pompéi I, 9, 10 | 41 non examinés | - | - |
Pompéi I, 10, 8 | 57 | - | - |
Pompéi I, 13, 3 | 50 non examinés | - | 2 couteaux en os |
Pompéi I, 13, 10 | - | - | 1 couteau en os |
Pompéi II, 3, 3 | 33 | - | - |
Pompéi III, 4 B | 41 non examinés | - | - |
Pompéi V, 4, 13 | 42 non examinés | - | - |
Pompéi VI, 15, 8 | 54 non examinés | - | - |
Pompéi VI, 16, 26 | 32 non examinés | 28 non examinés | - |
Pompéi VII, 16, 19 | 37 non examinés | - | - |
Pompéi VIII, 2, 1 | - | 4 | 1 couteau en os |
Pompéi IX, 13, 1-3 | - | 45 | - |
Herculanum | - | - | 1 cadre de tissage (?) |
Diverses et sans provenance | - | 697 | 1 couteau en os 1 grille en tissage |
Total | 469 | 774 | 8 |
17Les informations recueillies autour des vestiges permettent de scinder le matériel en trois catégories :
Les vestiges non documentés : année de découverte et localisation inconnues. Cette catégorie représente environ 60 % de l’échantillon pris en compte.
Les vestiges insuffisamment documentés : journaux de fouilles et localisation peu précis. Cette catégorie représente environ 10 % de l’échantillon pris en compte.
Les vestiges bien documentés : années de découverte connues, journaux de fouilles détaillés et localisation renseignée. Cette catégorie représente environ 30 % de l’échantillon pris en compte.
18Compte tenu des informations recueillies, l’analyse repose donc essentiellement sur l’étude statistique des pesons avec environ 70 % du matériel pris en compte. Les vestiges pour lesquels la documentation permet d’aller au-delà représentent les 30 % restants.
19Chaque objet est caractérisé en fonction de plusieurs critères : localisation, année de découverte, zone de découverte, inventaire, état de conservation, morphologie, matériau, dimensions, masse, traces de façonnage et d’utilisation.
20Les mesures sont relevées selon le protocole suivant (fig. 72) :
Fig. 72 - Protocole de relevé des mesures. À gauche : peson standard en terre cuite. À droite : peson standard en plomb.

© F. Médard
21Exprimées en grammes, les masses correspondent au poids actuel des pesons, quel que soit leur état de dégradation. Les exemplaires intégralement conservés présentent ainsi des masses quasiment identiques à celles d’origine. Dans le cas d’objets dégradés, le volume manquant est évalué, de sorte à calculer la masse manquante à partir de la masse existante. Par exemple, un peson de 150 g conservé à 50 % aura une masse initiale estimée à 300 g environ.
Les pesons en terre cuite
22Les premières recherches effectuées dans les archives photographiques révèlent la présence de très nombreux pesons sur le site de Pompéi, une observation préliminaire confirmée à l’ouverture des réserves du Parco archeologico di Pompei. Des milliers de pesons en terre cuite recueillis sur le site durant plusieurs décennies de fouilles sont entreposés dans les réserves de plein air du site (Granai del Foro). Stockés dans des caisses numérotées au marqueur (dont l’inscription est parfois effacée), les pesons sont normalement au nombre de cinquante par caissette. Malheureusement, ils sont inventoriés de la manière la plus élémentaire qui soit : numérotés à la file, ils portent simplement un numéro permettant de les différencier les uns des autres, offrant ainsi un décompte plus ou moins précis du nombre d’exemplaires conservés. La lisibilité du marquage et les rares annotations reportées sur les fiches d’inventaire indiquent qu’il s’agit d’une recension récente effectuée dans les années 1990 (fig. 73). Comme cela le présageait, la consultation des registres d’inventaire reste muette sur la provenance de ces milliers de pesons, autant que sur leurs date et conditions de découverte.
Fig. 73 - Gauche : poids de tisserand entreposés dans une caissette. Droite : peson marqué d’un numéro d’inventaire relativement récent.

© F. Médard
23Ce constat soulève quelques interrogations quant à la constitution de cette immense collection. Une collecte exhaustive du matériel exhumé au fil des siècles par des équipes nombreuses et internationales paraît improbable. Selon toute vraisemblance, le matériel recensé aujourd’hui correspond au regroupement des vestiges effectué dans les années 1980, reprenant l’ensemble des découvertes antérieures. Aux côtés de cette gigantesque série, quelques pesons infiniment moins nombreux sont conservés à l’abri d’une réserve installée dans le dépôt de casa Bacco. Il s’agit de modèles en terre cuite et en plomb. Si les pesons en terre cuite occupent indifféremment les deux dépôts, ceux en plomb sont exclusivement conservés dans la casa Bacco. Ils bénéficient d’un inventaire précis et certains d’entre eux sont encore dotés de leur étiquette d’origine (fig. 74).
Fig. 74 - Pesons portant d’anciennes étiquettes d’inventaire (nos 15494, 15493, 15165).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
24Ce marquage permet d’accéder aux données de l’inventaire (fiches, registres et journaux de fouilles) et de recueillir quelques informations sur la provenance des objets ; mais les données s’avèrent être d’inégale qualité. La majorité des pesons est mal renseignée. Désignés comme peso da telaio ou peso fittile da telaio ou encore peso da telaio fittile, piramidale, forato nella parte superiore, ils sont grossièrement localisés sur le site parce que déposés dans une zone de décharge35. Zona antistante la torre VIII, Sterro delle mura ad ouest di porta di Nola, Fuori porta Vesuvio constituent des mentions insuffisantes pour situer les potentiels espaces dédiés aux activités de tissage. Dans la plupart des cas, les journaux de fouilles ne sont pas plus explicites.
Stigmates de façonnage et d’utilisation
Matière première et façonnage
25L’essentiel des pesons examinés est modelé dans une argile locale ponctuée de particules sombres caractéristiques des terres volcaniques. Les exemplaires fracturés laissent parfois apercevoir des nodules d’argile pris au cœur de la pâte ; ils indiquent que le matériau n’a pas nécessairement été finement travaillé (fig. 75 gauche). Ces premières observations signalent les pesons comme des objets communs, façonnés dans une argile ordinaire plus ou moins affinée, plus ou moins homogène.
Fig. 75 - Poids de tisserand. 1 : usure de la surface du peson laissant apparaître les irrégularités de l’argile (inventaire n° 42247). 2 : peson dont la base n’est pas perpendiculaire à l’axe vertical (inventaire n° 44165). 3 : peson de petite taille (inventaire n° 42279).

© F. Médard
26Les traces de façonnage confirment ce diagnostic. Les pesons sont mis en forme à la main, vraisemblablement sans utiliser de moules utiles au calibrage et au travail en série. Les empreintes ligneuses habituellement laissées par les moules en bois n’apparaissent pas ici, même sur les exemplaires les moins usés. En revanche, quelques pesons conservent la marque des doigts imprimée dans l’argile fraîche au moment du façonnage. Le modelage manuel laisse aussi la marque d’autres déformations, les bases et les sommets n’étant pas systématiquement plans. Certains pesons ont-ils ainsi un profil déjeté une fois posés sur une surface plane. Révélateur d’un façonnage rapide, ce détail reste sans incidence sur la fonctionnalité de l’objet, utilisé en suspension grâce à l’aménagement d’une perforation (fig. 75 milieu).
27Dans la plupart des cas, les exemplaires sont perforés à l’aide d’un objet circulaire passé dans l’argile fraîche à partir d’une seule face. Généralement centrée sur la face où elle est initiée, la perforation est souvent décentrée sur la face où elle aboutit ; de même, son axe est souvent incliné, placé plus haut au départ qu’à l’arrivée. Ce phénomène tient à la force qu’il faut imprimer au mouvement pour traverser l’épaisseur d’argile. Lorsque l’ustensile de perforation est ôté, le retrait aspire une partie de la matière et un bourrelet d’argile se forme autour de l’ouverture sur la face d’entrée. Nombreux sont les pesons qui présentent cette caractéristique. Ce mode opératoire a également pour conséquence d’ouvrir des perforations coniques, plus larges et plus circulaires sur la face d’entrée que sur celle de sortie. Moins nombreux, certains pesons présentent des bourrelets d’argile des deux côtés de la perforation. Dans ce cas, l’ustensile a transpercé l’argile alternativement à partir d’une face et de l’autre. Cette particularité touche davantage la catégorie des pesons de petite taille, bénéficiant d’une meilleure qualité de façonnage (fig. 75 droite). Initié à partir d’une face ou des deux, le sens de perforation est clairement identifiable sur la plupart des exemplaires dont les irrégularités n’ont aucune incidence sur l’utilisation. Comme la qualité de l’argile et le façonnage l’indiquaient déjà, elles montrent que l’aspect fini des pesons n’a pas grande importance.
Marquage
28Sur les 750 pesons en terre cuite examinés, 276 (37 %) présentent un marquage. Plusieurs motifs sont utilisés et, mis à part ceux qui semblent accidentels, involontaires ou que l’on devine sans pouvoir en définir la forme, ils se répartissent en huit catégories (fig. 76). Dans la plupart des cas (97 %), ces marques, tantôt imprimées, tantôt incisées, sont placées au sommet des pesons, plus rarement au niveau de la base ou des flancs.
Fig. 76 - Catégories et répartition des marques repérées sur la collection de pesons examinés.
catégories de motifs | ligne | croix | cupule | cercle | poinçon | médaillon | cartouche | autres |
nombre de pesons recensés (T : 261) | 15 | 58 | 23 | 11 | 60 | 38 | 42 | 15 |
29– Les lignes
Les lignes incisées sont très rares ; il s’agit le plus souvent d’un élément rectiligne imprimé dans la pâte fraîche. Nombreux sont les ustensiles qui permettent d’obtenir ce type d’empreintes pourvu qu’ils soient droits et larges de quelques millimètres (bâtonnet en bois, en os ou en métal, brut ou travaillé). La dépression formée en appliquant l’objet dans l’argile se trouve tantôt placée dans l’axe de la perforation, tantôt perpendiculairement. La plupart des pesons sont marqués d’une seule ligne, très rarement de deux (fig. 77).
Fig. 77 - Peson marqué d’une ligne imprimée sur son sommet (inventaire n° 41203).

© F. Médard
30– Les croix
Les croix sont largement représentées ; imprimées ou incisées, elles occupent le sommet des pesons (fig. 78). Elles peuvent être simples, formées de deux lignes se croisant à angles droits, ou de deux lignes formant deux angles aigus et deux angles obtus (croix de saint André). Un seul exemplaire est orné d’une croix à six branches formée par l’intersection de trois lignes.
Fig. 78 - Peson marqué d’une croix imprimée sur son sommet (inventaire n° 15561).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
31– Les cupules
Elles se présentent sous la forme de petites dépressions souvent centrées sur le sommet du peson ; seul un exemplaire en présente une sur le flanc. La dépression est généralement unique, aménagée en imprimant l’extrémité d’un doigt dans l’argile. Les marques d’ongle repérées au creux des cavités en témoignent (fig. 79).
Fig. 79 - Pesons marqués d’une cupule et d’une trace d’ongle sur leur sommet (inventaire nos 41094 et 42200).

© F. Médard
32– Les cercles incisés
Quelques pesons peu nombreux sont marqués de cercles incisés tracés à main levée (fig. 80).
Fig. 80 - Pesons marqués d’un cercle incisé sur leur sommet (inventaire nos 16809, 16810).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
33– Les poinçons
Les décors au poinçon sont nombreux. Ils sont imprimés dans l’argile à l’aide d’une tige creuse (végétale ou métallique) ou d’une pointe. Les décors faits à la tige creuse forment deux cercles emboîtés dont le diamètre varie entre 4,8 et 7 mm. Généralement unique et centré au sommet du peson, ce motif est parfois double, les deux cercles étant placés à deux angles opposés du carré sommital.
Les décors aménagés à la pointe forment des trous dont les diamètres varient de 2 à 6,6 mm. Comme précédemment, ils sont souvent uniques et centrés au sommet du peson, mais des variantes existent où les trous sont au nombre de 2, 3, 4 et 5. À de rares exceptions près, leur disposition est semblable à celle des marques incrustées sur les faces des dès de jeu (fig. 81).
Fig. 81 - Pesons marqués de cinq poinçons sur leur sommet (inventaire nos 16809, 16810).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
34– Les médaillons
Il s’agit d’impressions creuses, ovales ou circulaires – rarement carrées ou rectangulaires – aménagées à l’aide d’un ustensile dans l’argile fraîche. De dimensions variables, elles n’excèdent pas 13 mm de diamètre. La plupart semblent exemptes de motifs (peut-être disparus avec le temps), mais l’intérieur de quelques-unes laisse clairement apercevoir un décor. Les motifs actuellement visibles représentent des visages de profil, généralement des femmes lorsque l’état de conservation permet ce degré de précision. Un exemplaire marqué d’un médaillon ovale est orné d’une paire de petites mains ou de petits pieds logés au creux de l’impression. La dimension et la qualité des impressions suggèrent l’utilisation d’intailles ou de camées appliqués dans l’argile fraîche (fig. 82).
Fig. 82 - Peson décoré d’un médaillon imprimé sur son sommet (inventaire n° 15533).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
35– Les estampilles
Il s’agit d’impressions plus ou moins rectangulaires agrémentées de chiffres romains. De dimensions variables, elles affichent les signes suivants : « IV » ; « VI » ; « VII » ; « VIII » ; « IIVI » ; « IIIVI » ; « IVII » ; « X » ; « XII » ; « IXI ». Si certains composent des chiffres, d’autres en revanche forment des combinaisons inintelligibles de ce point de vue (fig. 83). Deux cartouches identiques n’auront pas forcément la même dimension.
Fig. 83 - Pesons décorés de cartouches imprimés sur leur sommet.

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
36– Autres
D’autres motifs existent, mais leur nombre ne justifie pas de les regrouper en catégories. Parmi eux, se trouvent des fleurs à six pétales, des lignes pointillées, des méandres et autres signes serpentiformes, des lettres probables, des coquillages imprimés en creux et divers signes utilisant la juxtaposition de plusieurs motifs (fig. 84).
Fig. 84 - Pesons ornés de différents motifs sur leur sommet. À gauche et au milieu : n° inventaire 4836 (clichés : C. Durand/CNRS, UMR 7299). À droite : n° inventaire 41095 (cliché : F. Médard).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299 – F. Médard
37– En résumé
Le volume de la collection examinée influence évidemment la diversité et le nombre des marques recensées (fig. 85). Par ailleurs, l’usure de certains pesons invite à nuancer le rapport numérique entre les exemplaires marqués et ceux qui ne le sont pas ; on le devine, certaines marques ont presque intégralement disparu. Reste enfin la possibilité qu’un tri ait été effectué parmi les vestiges au moment de leur découverte ; les pesons ornés étant plus attractifs que ceux exempts de signe distinctif, ils auraient été préférentiellement conservés. Le rapport entre les exemplaires marqués et ceux qui ne le sont pas pourrait ne pas être fidèle à la réalité.
Fig. 85 - Marques et estampilles relevées sur les pesons.

© F. Médard
38En dépit de motifs récurrents, la diversité des motifs n’invite pas à les interpréter comme des données techniques en rapport avec le tissage. Dès lors, il peut s’agir de marques de propriété ou d’ateliers. Dans la plupart des cas, poinçons, cartouches et autres estampilles sont placés de travers, sur les arêtes, fortement appuyés ou, au contraire, effleurant à peine l’argile fraîche. Ils ne se signalent pas comme des décors soignés valorisant l’objet, mais plutôt comme des marques rapidement imprimées au moment du façonnage. Cette situation plaide en faveur de marques d’atelier plus que de propriété. À l’évidence, les pesons en argile sont fabriqués rapidement et en nombre : ils ne bénéficient d’aucun traitement particulier et ne semblent investis d’aucune valeur.
Traces d’utilisation
39Les traces d’utilisation se manifestent au travers de l’usure plus ou moins prononcée de la base, des arêtes et de la perforation des pesons.
40Le premier cas rassemble plusieurs options : il est rare que les quatre angles inférieurs soient rognés par l’usure, mais plus fréquent que deux angles soient érodés, placés sur le flanc gauche ou droit du peson (en utilisant le sens de perforation comme repère d’orientation). Lorsque les pesons ont été longuement utilisés, cette érosion de surface remonte le long des arêtes. Il existe également des cas où un des quatre angles de la base est plus émoussé que les autres ; de même, une face sera plus érodée que les trois autres.
41Ces zones d’usure livrent des indications sur la position des pesons en mode suspendu. De toute évidence, les perforations sont orientées de l’avant vers l’arrière du métier à tisser, de sorte qu’elles sont alignées en partie frontale du dispositif. Le maniement des barres de lisses ouvrant et fermant les foules génère des mouvements souples, mais leur répétition occasionne des micro-chocs déformant le contour des pesons (fig. 86).
Fig. 86 - Pesons déformés par l’usure. À gauche : n° inventaire 42214. Milieu : n° 41253. À droite : n° 42261.

© F. Médard
42L’usure apparaît également au niveau des perforations, les traces de suspension témoignant de l’utilisation prolongée de certains exemplaires. Si les liens entaillent rapidement l’argile crue, il en va différemment avec la terre cuite. Or, certains pesons pompéiens sont profondément entaillés par le lien qui servait à les suspendre. Ces exemplaires correspondent par ailleurs aux objets dont les surfaces sont les plus érodées (fig. 87).
Fig. 87 - Traces de suspension au débouché des perforations. À gauche : n° inventaire 41264. À droite : n° 44169.

© F. Médard
43Les liens de suspension peuvent être faits de cordelette, d’un anneau en métal ou en matière végétale (branchettes, éclisses). Ils permettent d’associer plusieurs fils de chaîne à un peson. Un élément carbonisé formé de deux brindilles retordues en Z nichées au creux d’une perforation a été retrouvé sur un peson : il semble s’agir d’un reste d’anneau de suspension (voir fig. 87, inventaire n° 41264).
Analyse statistique de la collection
Typo-morphologie
44L’analyse repose sur les pesons en terre cuite sans localisation et de provenances diverses (les quatre exemplaires inventoriés en VIII 2, 1 y sont associés), soit 701 exemplaires (voir fig. 71).
45Globalement, ils diffèrent peu les uns des autres, mais un examen de détail fait apparaître quelques variations morphologiques. Il s’agit de trouver la juste mesure entre ces deux pôles en adoptant un classement suffisamment précis pour ne pas négliger d’éléments discriminants et suffisamment large pour ne pas complexifier la classification. Il faut notamment passer outre la forme actuelle de certains exemplaires pour comprendre l’intention de l’artisan au moment de la fabrication, c’est-à-dire passer de l’objet au concept malgré la dégradation du matériel. Seuls les pesons encore couverts d’engobe sur l’ensemble des faces et des arrêtes présentent assurément une morphologie intacte ; ces exemplaires sont très rares (fig. 88).
Fig. 88 - Gauche : peson fortement érodé ; n° inventaire 42525. Droite : peson dont la surface est lissée par l’engobe ; n° inventaire 42210.

© F. Médard
46L’examen de plusieurs centaines d’exemplaires a permis de distinguer cinq catégories morphologiques (fig. 89-90) :
- groupe 1 : pesons en forme de « parallépipède rectangle » La base et le sommet présentent des surfaces rectangulaires équivalentes, reliées aux angles par des lignes droites à peu près parallèles. La perforation est située dans le quart supérieur de l’objet.
- groupe 2 : même type de pesons que ceux du groupe 1, mais les quatre angles du sommet et de la base sont arrondis. La perforation est aménagée dans le quart supérieur.
- groupe 3 : même type de pesons que ceux du groupe 1, mais le sommet est légèrement plus étroit que la base. Cette distorsion inscrit les objets dans un plan légèrement trapézoïdal à angles plus ou moins vifs. La perforation est aménagée dans le quart supérieur du peson.
- groupe 4 : pesons en forme de « pyramide tronquée ». La base et le sommet présentent des surfaces carrées, reliées aux angles par des lignes obliques dans la mesure où le sommet est de dimension nettement inférieure à celles de la base. La perforation est située dans le quart supérieur de l’objet.
- groupe 5 : même type de pesons que ceux du groupe 4, mais les quatre angles de la base sont arrondis. L’écart de surface entre la base et le sommet est moins important que dans la catégorie précédente et la géométrie de la base est incertaine. La perforation est aménagée dans le quart supérieur.
Fig. 89 - Classification des pesons par groupes morphologiques.

© F. Médard
47Les objets se répartissent comme suit (fig. 90) :
Fig. 90 - Répartition des pesons en fonction de leur groupe morphologique.

Les masses
48Les données reposent sur la masse actuelle des pesons intégralement conservés et sur une estimation lorsqu’ils sont incomplets.
49Toutes morphologies confondues, la masse moyenne est de 269 g (coefficient de variation : 36 %), la plupart des exemplaires étant compris entre 200 et 350 g (fig. 91).
Fig. 91 - Répartition de la masse des pesons.

50Cette répartition des masses est à nuancer en fonction des catégories de pesons dont l’examen détaillé révèle des exemplaires plus ou moins lourds selon les types morphologiques (fig. 92).
Fig. 92 - Répartition de la masse des pesons en fonction de leur catégorie morphologique.
Groupe 1 | Groupe 2 | Groupe 3 | Groupe 4 | Groupe 5 | |
nombre d’éléments (n =700) | 58 | 49 | 91 | 316 | 186 |
Masses moyennes (g) | 217 | 241 | 275 | 284 | 277 |
coefficient de variation (%) | 73 | 28 | 54 | 42 | 21 |
51Les pesons appartenant aux groupes 1 et 2 tendent à être plus légers que ceux appartenant aux trois autres groupes. Cette différence est particulièrement nette si on compare les groupes 1 et 5 ; le premier est constitué de pesons aux masses essentiellement comprises entre 100 et 250 g, le second, de pesons aux masses principalement comprises entre 250 et 350 g (fig. 93). Ce constat montre que les petits volumes sont préférentiellement modelés en forme de parallépipède rectangle.
Fig. 93 - Répartition de la masse des pesons en fonction des groupes morphologiques (exprimée en %).

Les dimensions
52– Rapport entre la largeur et l’épaisseur des pesons
La largeur des pesons est prise au niveau des faces perforées. Les deux autres faces correspondent à l’épaisseur (voir fig. 72, gauche). Exprimé par un indice, le rapport entre la largeur et l’épaisseur des exemplaires permet de cerner si les quatre faces sont égales ou non : pour un indice inférieur à 1, la largeur est inférieure à l’épaisseur ; un indice égal à 1 correspond à un peson dont les quatre faces sont de dimensions identiques ; un indice supérieur à 1 indique que la largeur est supérieure à l’épaisseur (fig. 94-95).
Fig. 94 - Indice largeur/épaisseur des pesons en fonction de leur catégorie morphologique.
Groupe 1 | Groupe 2 | Groupe 3 | Groupe 4 | Groupe 5 | |
nombre d’éléments (n =700) | 58 | 49 | 91 | 316 | 186 |
rapport moyen largeur/épaisseur | 0,81 | 0,89 | 0,94 | 0,98 | 0,96 |
coefficient de variation ( %) | 18 | 10 | 8 | 6 | 6 |
Fig. 95 - Répartition des indices largeur/épaisseur des pesons en fonction des groupes morphologiques (exprimée en %).

53Les moyennes montrent que la plupart des pesons n’ont pas quatre faces d’égale dimension, mais que les deux faces perforées sont plus étroites que celles qui leur sont opposées. Cette caractéristique est accentuée pour les pesons du groupe 1, tandis que ceux des autres groupes ont tendance à plus de symétrie et moins de diversité.
54– Hauteur
Toutes morphologies confondues, la hauteur moyenne des pesons est de 93,4 mm (cv : 17 %). Comme pour les masses, cette moyenne ne reflète pas l’exacte réalité, puisque certaines catégories de pesons s’en démarquent clairement (fig. 96).
Fig. 96 - Répartition des hauteurs des pesons en fonction des catégories morphologiques.
Groupe 1 | Groupe 2 | Groupe 3 | Groupe 4 | Groupe 5 | |
nombre d’éléments (n =680) | 56 | 49 | 90 | 307 | 178 |
hauteurs moyennes (mm) | 80 | 92,2 | 93,3 | 92,9 | 97,5 |
coefficient de variation (%) | 25 | 16 | 18 | 18 | 12 |
55Les groupes 1 et 5 sont les plus éloignés de la valeur moyenne. Le premier est caractérisé par une majorité d’exemplaires de faible hauteur, et inversement pour le deuxième. Dans le détail, ces résultats sont nuancés par la variabilité des pesons au sein des groupes (fig. 97) : les exemplaires du groupe 1 sont nettement moins hauts et plus diversifiés que ceux des autres groupes.
Fig. 97 - Répartition des indices largeur/épaisseur des pesons en fonction des groupes morphologiques (exprimée en %).

Les perforations
56À de rares exceptions près, tous les pesons examinés présentent une perforation localisée dans le quart supérieur de l’objet, située en moyenne à 17 % de la hauteur en partant du sommet (cv : 28) (fig. 98).
Fig. 98 - Localisation des perforations par rapport au sommet des pesons (exprimée en %).

57Le diamètre des perforations n’est pas davantage discriminant ; toutes les catégories de pesons présentent des diamètres essentiellement compris entre 5,5 et 6,5 mm (fig. 99).
Fig. 99 - Répartition des diamètres de perforation en fonction des catégories morphologiques.
Groupe 1 | Groupe 2 | Groupe 3 | Groupe 4 | Groupe 5 | |
nombre d’éléments (n =657) | 56 | 47 | 85 | 297 | 172 |
Diamètres moyens (mm) | 6,2 | 5,8 | 5,4 | 6 | 5,6 |
coefficient de variation (%) | 22 | 16 | 24 | 20 | 19 |
58Rapport entre les catégories de pesons et le marquage (fig. 100-101).
59Groupe 1 : 24 pesons marqués sur 59, soit 40,6 %
Groupe 2 : 9 pesons marqués sur 49, soit 18,3 %
Groupe 3 : 33 pesons marqués sur 91, soit 36,2 %
Groupe 4 : 138 pesons marqués sur 316, soit 43,8 %
Groupe 5 : 58 pesons marqués sur 186, soit 31,3 %
60La répartition des motifs par catégorie de pesons est peu éloquente. Aucun type de marque n’est préférentiellement lié à un type de peson. Ce constat renforce l’idée selon laquelle les marques n’ont pas de rapport avec l’utilisation des pesons ; au moins ne semblent-elles liées ni à la masse ni au volume. Elles excluent vraisemblablement l’hypothèse d’un repérage lié à la position des pesons au bas du métier.
Fig. 100 - Nombre de pesons marqués par type de signe et par catégorie morphologique.
catégories de motifs | ligne | croix | cupule | cercle | poinçon | médaillon | cartouche | autres | Total |
Groupe 1 | 1 | 6 | 4 | 3 | 4 | 4 | 1 | 1 | 24 |
Groupe 2 | 2 | 2 | 1 | - | 3 | - | - | 1 | 9 |
Groupe 3 | 1 | 10 | 1 | 3 | 7 | 5 | 5 | 1 | 33 |
Groupe 4 | 6 | 31 | 9 | 3 | 29 | 23 | 29 | 8 | 138 |
Groupe 5 | 5 | 9 | 8 | 2 | 17 | 6 | 7 | 4 | 58 |
Total | 15 | 58 | 23 | 11 | 60 | 38 | 42 | 15 | 262 |
Fig. 101 - Répartition proportionnelle des différentes marques relevées sur les pesons en fonction de leur catégorie morphologique.

Conclusion de l’analyse statistique
61L’examen détaillé des spécificités morphologiques propres à chaque groupe de pesons tend à simplifier les catégories. Il permet de dégager deux groupes principaux : celui des pesons parallélépipédiques (groupe 1) opposé au reste des exemplaires (groupes 2, 3, 4, 5), de morphologie globalement pyramidale.
62Les pesons du groupe 1 se démarquent à plusieurs niveaux : souvent en meilleur état, ils constituent l’essentiel des petits volumes. De forme rectangulaire, ils sont les moins hauts de la collection et présentent une largeur nettement inférieure à leur épaisseur. Cette caractéristique gagne en spécificité si on la compare aux autres catégories morphologiques, plus symétriques de ce point de vue.
63Il s’agit d’une donnée incidente dans le domaine technique. Comme le montrent les traces d’usure observées sur les pesons, ces derniers sont suspendus au bas du métier, les perforations orientées en façade (voir supra). En étant moins larges sur cette face, ils occupent moins de place une fois alignés ; ils peuvent ainsi être plus nombreux au bas du métier à tisser et assurer une tension mieux répartie des fils de chaîne (fig. 102).
Fig. 102 - Représentation schématique de l’espace occupé par les pesons au bas du métier à tisser. La largeur des pesons alignés doit être en adéquation avec la largeur du tissu au niveau de la bordure de départ pour éviter les distorsions.

© F. Médard
64Ce constat tend à montrer que les variations de masse jouent davantage sur la hauteur et l’épaisseur des pesons que sur leur largeur, nécessairement contrainte par le système de tissage. Il y a effectivement moins d’obstacles à faire varier la hauteur, dès lors que le peson est accroché suffisamment haut pour ne pas toucher le sol ; de même, l’épaisseur peut varier car le dispositif laisse davantage d’espace libre en profondeur qu’en façade.
65De toute évidence, les pesons du groupe 1 forment une catégorie à part, répondant à des objectifs définis. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées en guise d’explication :
66Si les pesons pompéiens ne peuvent être postérieurs à 79 apr. J.-C., ils ne sont pour autant pas nécessairement contemporains. Certains sont sans doute plus anciens que d’autres et de possibles écarts chronologiques pourraient expliquer certaines différences morphologiques. Il ne s’agit malheureusement que de conjectures, non vérifiables au vu de la collection.
67De façon plus pragmatiquement, les pesons du groupe 1 pourraient être associés à la réalisation d’ouvrages spécifiques. De la masse dépend la tension exercée sur les fils de chaîne, variable selon la qualité des matières premières travaillées. Les autres dimensions impactent, ainsi que nous venons de le voir, sur l’organisation des pesons au bas du métier à tisser et influent sur la maniabilité du système. Les pesons du groupe 1 ont pu servir à confectionner des tissus particuliers au niveau des matières premières, des fils ou des armures de tissage.
Regard sur la collection « Iulius Polybius » (IX 13, 1-3)
68La série de pesons découverte en IX 13, 1-3, casa di Iulius Polybius, constitue la seule série d’exemplaires en terre cuite cohérente en termes de provenance. Un examen statistique du groupe permet de cerner d’éventuelles similitudes et différences comparées à l’ensemble de la collection.
69Sur les 45 exemplaires analysés, on dénombre 5 pesons appartenant au groupe 1, les autres entrant dans le vaste ensemble des groupes 2, 3, 4, 5. Les pesons du groupe 1 de la maison représentent 11 % des éléments, tandis qu’ils représentaient 26,5 % des exemplaires sans provenance. Ces proportions restent toutefois difficiles à comparer en raison de la collecte par trop aléatoire des objets non localisés. De même, les pesons du groupe 1 recueillis en IX 13, 1-3 sont en moyenne plus lourds d’une centaine de grammes que leurs homologues non localisés ; ils ne sont cependant que cinq, ce qui reste insuffisant pour en tirer des conclusions.
70En revanche, il est possible d’affirmer que la masse moyenne des pesons appartenant aux catégories 2, 3, 4, 5 est globalement identique dans les deux cas (fig. 103).
Fig. 103 - Comparaison de la masse des pesons sans provenance et de celle des pesons de la maison de Polybius (catégories 2, 3, 4 et 5 ; exprimée en %).

71De même, les indices largeur/épaisseur des pesons montrent que le rapport est globalement le même pour les exemplaires de la maison et pour ceux de provenance inconnue. La majorité a un indice compris entre 0,9 et 1,1 (voir fig. 91 et 92) : les pesons de IX 13, 1-3 tendent ainsi vers la symétrie de leurs quatre faces. Les pesons du groupe 1 présentent des indices variables.
72L’analyse des hauteurs montre que les pesons de la casa di Polybius sont légèrement plus grands que les autres, à l’exception de ceux du groupe 1, plus petits que leurs homologues sans provenance (fig. 104). Les perforations et les marques inscrites sur les pesons ne sont pas discriminantes.
Fig. 104 - Comparaison des hauteurs des pesons sans provenance avec celles des pesons de la maison de Polybius.
groupe 1 | groupes 2, 3, 4, 5 | |
Pesons sans provenance | 80 mm | 95,2 mm |
Pesons de la casa di Iulius Polybius | 69 mm | 99,2 mm |
73En conclusion, mis à part les cinq pesons du groupe 1 trop peu nombreux pour fonder un bilan statistique solide, les exemplaires de la casa di Iulius Polybius sont globalement semblables aux centaines d’autres dont la provenance reste (et restera) un mystère. Cette similitude est par ailleurs réconfortante car, d’une certaine manière, elle valide la représentativité des exemplaires non localisés.
Les pesons en plomb
La collection36
74Les pesons en plomb sont dans l’ensemble beaucoup mieux répertoriés que les pesons en terre cuite (fig. 105). À la fin du xixe siècle, ils suscitent la curiosité en raison des inscriptions figurant sur certains d’entre eux. Diverses interprétations fonctionnelles sont alors proposées. Selon S. De Luca, le premier à exprimer son avis sur cette question, la grande variabilité de masse empêche de les considérer comme adaptés à la pesée avec une balance, tandis que la présence d’un trou longitudinal permettant le passage d’un fil de suspension indiquerait soit des fils à plomb, soit des enseignes37. Il évoque brièvement l’éventualité de poids de tisserand tout en proposant également une utilisation pour le traçage de lignes sur les murs. Dans un second article publié quelques années plus tard, il soumet les mêmes interprétations et signale sa surprise lors de la mise au jour d’un peson en terre cuite38. Th. Mommsen considère que la masse des pesons est trop peu éloignée de la livre romaine (327,45 g) pour qu’ils ne correspondent pas à une utilisation de la mine attique (436,6 g). Face à la distorsion entre le poids mesuré et la valeur théorique de la mine attique (près de 80 g), l’article conclut par une évocation peu amène de la malhonnêteté des boutiquiers romains39. Une dernière contribution à ce débat est fournie par E. Pernice qui réfute tous les arguments précédents et qui, partant du constat non justifié que l’ensemble de ces pesons auraient été découverts dans des boutiques, en conclut à des sceaux dont les inscriptions seraient autant d’avertissements ou d’incitations à l’égard de la clientèle40.
Fig. 105 - Exemple de peson en plomb (inventaire n° 5165.13).

© F. Médard
75Aujourd’hui encore, l’interprétation des pesons en plomb n’est pas claire. Les inventaires les décrivent de différentes manières comme contrapesi per reti, pesi uguali di forma trapezoidale, pesi da telaio, contrappesi forati ou pani di forma rettangolare. À la différence des pesons en terre cuite, peu contestés en tant que poids de tisserand, les pesons en plomb ne font toujours pas l’unanimité. Pourtant certaines découvertes bien documentées permettent d’en définir le rôle ; leur répartition spatiale suggère une utilisation comme poids de tisserand et nous avons choisi de les considérer comme tels.
Stigmates de façonnage et d’utilisation
76D’après les mentions qui en sont faites, les pesons en plomb semblent relativement nombreux à Pompéi, mais seules deux séries sont étudiées dans le cadre de cette recherche (voir fig. 71). Il serait imprudent de les généraliser aux exemplaires non examinés, d’autant que les deux séries en question sont dissemblables.
Matière première et façonnage
77La première série, recueillie en I 10, 8, forme un ensemble cohérent, homogène morphologiquement et au niveau de la masse. Coulés dans des moules, les pesons sont perforés dans l’épaisseur. Suivant la perforation, on observe très souvent une légère dépression creusant la surface du peson. Bien que logiquement comblée par l’installation d’une barrette (dont nous ignorons la nature) destinée à éviter le remplissage de la future ouverture au moment de la coulée, la différence de densité entre cette zone et le reste du peson a vraisemblablement conduit à l’affaissement du métal dans ce secteur. De nombreux exemplaires présentent également une gorge plongeant dans l’épaisseur du peson, de l’entrée à la sortie de la perforation en passant par le sommet. Il ne s’agit pas d’un aménagement volontaire mais d’une spécificité liée à la coulée. À signaler également les contours incurvés des bases et des sommets évoquant un écrasement du métal, peut-être dû aux manipulations et aux outils utilisés pour extraire l’objet de son moule (pinces, fig. 106).
Fig. 106 - Pesons en plomb découverts en I 10, 8 ; n° inventaire du lot 5165 : dépression du métal au niveau de la perforation ; n° inventaire 5165-XXVIII. b : gorge creusée au niveau du profil : n° inventaire 5165-XII. c : contours incurvés à la base et au sommet du peson ; n° inventaire 5165-LII.

© F. Médard
78La seconde série, recueillie en II 3, 3, est formée de pesons homogènes très différents des précédents. Les épaisseurs sont plus régulières, plus larges, et les pesons présentent des arêtes beaucoup plus nettes que celles de la première série ; le façonnage de ces exemplaires coulés dans des moules est de meilleure qualité et les modèles plus standardisés (fig. 107).
Fig. 107 - Pesons en plomb découverts en II 3, 3 ; n° inventaire du lot 9973.

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
Marquage
79Les deux séries examinées (I 10, 8 et II 3, 3) comprennent des exemplaires marqués d’inscriptions en relief. La première série ne comporte qu’un seul peson inscrit dont les lettres sont plus ou moins déchiffrables : il s’agit de la succession « fvr cave // malvm » (« voleur, crains le mauvais œil »), dont la lecture varie légèrement selon les sources. On trouve « (f)vr.cave // (m ?)alvm » (MAAN, Inv. nos 64521 et 74520 ; CIL X, 8067.6) et « fvr.ca(ve) // malv (m) » (GSPomp, n.s. 3, 1877, 137). Tous les pesons de la seconde série sont marqués : les trente exemplaires portent l’inscription eme (« achète moi ») et habbeb[is] (« tu m’auras ») écrite de trois façons différentes : eme//habebis (CIL X, 8067.5.c.d), eme//habebbi(s) (CIL X, 8067.5.e.f.h) et eme//et habebis (CIL X, 8067.5.g). Trois exemplaires portent la marque d’atelier ex off. m. // badelvs41 (fig. 108). D’après les sources consultées, la marque eme//habebis se retrouve également sur certains pesons en plomb découverts en I 6, 10, de même que eme//habebis et ex off. m. // badelvs se retrouve sur d’autres, découverts en I 9, 10.
80Les inscriptions étant en relief et les pesons marqués sur les deux faces, il est évident que les lettres faisaient partie du moule. Les trois versions relevées au sein du même lot pour une même inscription eme//habebis, s’expliquent par l’utilisation de plusieurs moules identiques, plus ou moins usés, au sein d’une même chaîne de fabrication. Ces marques sont vraisemblablement des marques d’atelier produisant des séries de pesons.
Traces d’utilisation
81Les déformations observées sur certains pesons en plomb confirment une utilisation comme poids de tisserand. Un des pesons découverts en I 6, 10 a subi une importante déformation plastique modifiant sa morphologie par l’allongement de sa hauteur et la diminution de son épaisseur. D’autres exemplaires révèlent un écrasement de l’inscription (voir par exemple fig. 108 gauche). Ces déformations proviennent du battement répété des pesons les uns contre les autres. Une ultime confirmation nous est apportée par l’un des pesons, découvert aux côtés de cinquante-trois autres dans l’atrium de la maison I 10, 8 : après avoir été aplati suite à des conditions « normales » d’utilisation, un second trou de suspension, perpendiculaire au premier, a été aménagé pour en pérenniser l’emploi. Les micro-chocs répétés des autres pesons sur le module nouvellement orienté, l’ont déformé. L’analyse détaillée des traces d’usure affectant les pesons en plomb évacue ainsi les derniers doutes quant à leur fonction. Il s’agit pour l’essentiel de poids de tisserand utilisés au bas des métiers verticaux.
Fig. 108 - Pesons en plomb marqués d’une inscription. À gauche : « EME//HABEBIS » ; n° inventaire du lot 9973 (cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299). À droite : « FVR CAVE // MALVM » ; n° inventaire du lot 5165 (cliché : F. Médard).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299 – F. Médard
Typo-morphologie
82Dresser un bilan typo-morphologique des pesons en plomb serait présomptueux car le nombre d’exemplaires examinés dans le cadre de cette analyse est insuffisant.
83Au total, 78 pesons en plomb ont été étudiés. L’examen de la première collection exhumée en I 10, 8 met en évidence l’homogénéité du groupe ; les quelques différences morphologiques résultent manifestement de l’usure et de la dégradation du matériel. La masse moyenne de la série constituée de 57 pièces est de 371g (écart-type : 31) ; les valeurs extrêmes sont de 318 g pour la masse la plus faible et 490 g pour la plus importante (fig. 109 haut).
84L’examen partiel (en raison de douze exemplaires manquants à l’inventaire) de la seconde collection exhumée en II 3, 3 atteste une plus grande homogénéité. La masse moyenne des exemplaires, reposant sur 21 pièces, est de 377 g (écart-type : 12,6) ; les valeurs extrêmes sont de 359 g et 398 g. (fig. 109 bas). Cet ensemble est moins endommagé que le précédent.
Fig. 109 - Répartition de la masse des pesons en plomb de I 10, 8 (en haut) et de II 3, 3 (en bas).


85Du point de vue strictement morphologique, les pesons de I 10, 8 ont des lignes moins régulières que ceux de II 3, 3 (voir fig. 106-107). Ces derniers, de forme parallélépipédique moins large vers le sommet que vers la base, sont perforés sur la face la moins épaisse (comme tous les pesons en plomb). Ceux de I 10, 8 diffèrent car aucune arête clairement dessinée ne démarque les quatre faces ; en ce sens, ils sont presque lenticulaires.
86Du point de vue des masses (même si celles de la première série ne sont pas parfaitement homogènes) et en dépit d’aspects différents, les pesons en plomb semblent conçus pour peser environ 370 g. On conclura à la relative standardisation des masses, simplificatrice lors de la répartition des fils de chaîne sur le métier. Le tisserand accrochera plus ou moins le même nombre de fils à chaque peson et obtiendra sans difficulté une égale répartition des masses et des tensions exercées.
Autres ustensiles de tissage
87Le tissage peut faire appel à d’autres ustensiles que les pesons. Certains demeurent cependant très difficiles à identifier en raison de leur manque de spécificité. Quelques objets en tabletterie retiennent néanmoins l’attention.
Grille de tissage
88Une grille de tissage a été mise au jour à Pompéi. Cet ustensile permet de tisser des bandes étroites, des galons, des lanières et autres textiles de largeur limitée, réalisés sur une base d’armure toile. Il s’agit en l’occurrence d’un objet de tabletterie extrêmement rare dont la provenance sur le site reste inconnue en raison de la dispersion accidentelle et ancienne d’une partie des collections (fig. 110).
Fig. 110 - Grille de tissage en os (inventaire n° 18443).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
89Inventoriée sous le numéro 18443, la grille mesure 52,1 mm de longueur, 26,5 mm de largeur et 2,8 mm d’épaisseur. Les faibles dimensions de cet artefact en font un objet particulièrement soigné et délicat. S’il est unique à Pompéi, il existe quelques parallèles archéologiques d’époque romaine, par exemple en Angleterre42, en France43 et en Autriche44. Les exemples ethnologiques et artisanaux ne sont, en revanche, pas rares ; parfois munis d’une poignée destinée à en faciliter la manipulation, ces ustensiles sont encore employés en Europe, notamment en Scandinavie.
90La grille est un dispositif de tissage à part entière qui fonctionne dans un plan horizontal. Chaque fente et chaque perforation reçoivent un fil qui traverse la grille de part en part. Ce sont les fils de chaîne de l’ouvrage. En actionnant la plaquette de haut en bas, les fils placés dans les trous sont entraînés vers le bas tandis que ceux placés dans les fentes gardent leur position initiale. L’ouverture ainsi créée sépare automatiquement les fils en deux nappes distinctes : il s’agit de la première foule dans laquelle est inséré le fil de trame. Le mouvement suivant consiste à actionner la grille de bas en haut ; suivant le même principe, les fils placés dans les trous sont entraînés vers le haut tandis que ceux placés dans les fentes ne bougent toujours pas : dans cette seconde foule est inséré un autre fil de trame. Le tissage se poursuit sur une base d’armure toile en répétant ainsi les mêmes gestes (fig. 111).
Fig. 111 - Utilisation d’une grille de tissage en os pour tisser la bordure de départ d’un ouvrage par la suite installé sur un métier vertical à poids (reconstitution et cliché : F. Médard).

© F.Médard
91La grille pompéienne est conçue pour actionner vingt et un fils. Des variantes sont envisageables si l’artisan choisit de passer plusieurs fils par loge (il faut pour cela que les fils soient fins car les espaces ne sont pas prévus pour insérer des fils épais). Un travail expérimental réalisé par C. Cheval a montré que la grille reproduite à l’identique permettait de tisser des bandes n’excédant pas 18 mm de large.
92La matière osseuse est adaptée à cet ustensile : pérenne, mais surtout douce et très lisse, elle a l’avantage de se lustrer à l’usage sans accrocher la fibre. Elle altère moins le fil que d’autres matériaux (même le bois), un atout essentiel dans le cadre de cette utilisation générant tensions et frottements répétés au niveau des fils de chaîne.
93Une rapide observation de la grille pompéienne permet d’y repérer sans difficulté les traces d’une utilisation prolongée. Les extrémités irrégulières des fentes sont autant de marques provoquées par le frottement répété des fils de chaîne butant alternativement en haut et en bas des incisions. Le fait que l’usure n’entaille pas les extrémités des fentes systématiquement dans leur axe est également un signe d’utilisation intense : il provient de manipulations légèrement désaxées par rapport à l’alignement de la chaîne.
94Compte tenu du nombre de fils actionnés par la grille, compte tenu de la largeur maximale de la bande de toile obtenue, il est tentant d’y associer la fabrication des bordures de départ d’ouvrages par la suite installés sur des métiers verticaux à poids. Rappelons que l’une des caractéristiques principales des tissus confectionnés sur ce type de métier est d’impliquer la fabrication des bordures de départ en amont, à l’aide d’un dispositif isolé.
Couteaux de tisserand
95Des ustensiles désignés sous les termes d’épées de tisserand, lames de tisserand ou encore couteaux de tisserand servent à tasser les fils de trame lors de la confection des tissus. La documentation ethnologique en atteste couramment l’emploi sur des métiers verticaux à poids45, des métiers horizontaux, des métiers à tenseur dorsal ou des dispositifs permettant de tisser des bandes étroites (tissage à la grille ou tissage aux plaquettes ; fig. 112). En contexte archéologique, il est souvent difficile de reconnaître ce type d’ustensile dont les dimensions et les aspects peuvent varier. En cas de doute, il est opportun de faire appel à des analyses tracéologiques afin d’observer les polis d’usure dont les spécificités révèlent la catégorie de matériau travaillé.
Fig. 112 - Tissage d’un galon décoratif à l’aide d’une grille de tissage et d’une lame en os servant à la fois de navette et d’ustensile de tassage (Finlande, Laponie), d’après Vallinheimo 1956.

© DR
96Dans un de ses écrits, Posidonius mentionne l’utilisation d’un battant ou spatha46 indiquant que les lames de tisserand appartiennent bien au cortège des ustensiles de tissage durant l’Antiquité.
Sen., Ep., 90, 20 :
Ecce Posidonius, ut mea fert opinio, ex is qui plurimum philosophiae contulerunt, dum vult describere primum, […] deinde quemadmodum tela suspensis ponderibus rectum stamen extendat, quemad modum subtemen insertum, quod duritiam utrimque conprimentis tramae remolliat, spatha coire cogatur et iungi, textrini quoque artem a sapientibus dixit inventam, oblitus postea repertum hoc subtilius genus […].
« Voici Posidonius, un des hommes envers qui la philosophie a, selon moi, le plus d’obligations : il décrit […] comment ensuite la toile, à l’aide de poids suspendus, s’étire en une chaîne droite, comment la trame introduite pour amollir la tension de la chaîne qui la serre de part et d’autre s’unit et s’incorpore à elle par la pression de la lame ; il conclut en attribuant au sage jusqu’à l’invention des procédés techniques de la tissanderie, oubliant qu’on a découvert depuis un mécanisme plus ingénieux » [trad. CUF].
97En ce sens, l’opposition montrée par Sénèque entre la description archaïsante de Posidonius et celle, « moderne », d’Ovide porterait plus sur les outils associés au tissage : soit la navette que seul le poète évoque ; soit, et cela semble beaucoup plus probable, l’outil servant à resserrer la trame – Posidonius mentionne un battant (spatha) tandis qu’Ovide décrit un peigne47. Il demeure que les textes, l’iconographie et les vestiges archéologiques convergent parfois pour que puisse être définie l’utilisation de certains ustensiles comme lames de tisserand. À l’époque romaine, il s’agit essentiellement d’objets de tabletterie, sorte de spatules en os marquées de polis d’usure caractéristiques accompagnés de fines entailles régulièrement espacées et localisées sur les « tranchants » (fig. 113).
Fig. 113 - « Couteaux » en os, possibles lames de tisserand. À gauche : inventaire n° 11646. À droite / inventaire n° 6329.

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
98Au total, six couteaux en os ont été recensés à Pompéi (voir fiches 6, 24, 26, 54) :
Inv. 6329, découvert en VIII 2, 1 le 6 février 1937 ; L : 108 mm – l : 23,3 mm – ép. 3,6 mm ;
Inv. 6866, découvert en I 8, 5 le 17 novembre 1938 ; L : 170 mm – l : 33,8 mm – ép. 3,3 mm ;
Inv. 11254, découvert en I 13, 10 le 12 juillet 1955 ; L : 148 mm – l : 31,4 mm – ép. 4,8 mm ;
Inv. 11633, découvert en I 13, 3 le 24 octobre 1955 ; L : 227 mm – l : 37 mm – ép. 4,8 mm ;
Inv. 11646, découvert en I 13, 3 le 22 novembre 1955 ; L : 127 mm – l : 18,9 mm – ép. 3,3 mm ;
Inv. 18442, sans provenance. L : 101,8 mm – l : 23,9 mm – ép. 5,3 mm.
99Parce qu’ils ne reflètent sans doute qu’une infime partie des ustensiles de ce type présents dans la cité lors de sa destruction, il est difficile d’accorder du crédit à leur répartition spatiale. Coïncidence ou véritables témoins de l’activité textile, deux exemplaires ont cependant été mis au jour en I 13, 3 aux côtés d’une cinquantaine de pesons en plomb. Cette association de vestiges pourrait constituer un indice en faveur d’une activité de tissage exercée dans cet espace (voir infra).
100D’un point de vue morphologique, les longueurs de lame varient considérablement d’un objet à l’autre, une diversité qui ne fait pas obstacle à l’interprétation, puisque les dimensions peuvent être adaptées aux largeurs de tissus travaillées. Lorsque le manche est conservé, on remarque sa forme ergonomique, rectiligne en partie supérieure (dos du couteau) et légèrement renflée au centre de la partie inférieure (excepté l’exemplaire 11646). Les doigts épousent ainsi naturellement les lignes de la poignée et assurent à la main une meilleure préhension. Ce détail de conception témoigne du soin accordé à la fabrication de ces objets, ainsi que de leur fonctionnalité. Il indique également le sens dans lequel est maintenu le couteau. Or, cette orientation ne convient pas au travail sur des métiers verticaux à poids, dont l’ouvrage progresse de haut en bas, impliquant un mouvement contre nature pour tasser la trame. La position de la main sur le manche des couteaux en os impliquerait que le tisserand fasse pivoter son poignet pour tasser les fils, ce qui, outre le désagrément de la position, diminuerait considérablement la force des coups. En conséquence, la morphologie des couteaux les destinerait préférentiellement au tissage sur des métiers à deux ensouples, sur des dispositifs (grille de tissage ou plaquettes) sur lesquels le tassage de la trame s’effectue de haut en bas ou de l’extérieur vers soi. La dimension des lames (10-12 cm) paraît même particulièrement adaptée au tissage de bandes étroites.
101Comme pour la grille de tissage, le choix de la matière osseuse pour les couteaux de tisserand est parfaitement indiqué. Le matériau poli (à la fabrication puis à l’usage) glisse entre les fils sans les accrocher, qualité indispensable lorsque la lame passe et repasse entre les fils de chaîne.
Contextes de découverte
102Les poids de tisserand constituent l’essentiel des ustensiles de tissage mis au jour à Pompéi. En dépit des perturbations diverses et en raison du nombre d’exemplaires recueillis et/ou mentionnés, on s’attendrait à trouver des ensembles de pesons dans des zones autrefois consacrés au tissage. Or, il n’en est rien ; les regroupements d’exemplaires dans une même pièce sont étonnamment rares. Les livres d’inventaire (essentiellement ceux compris entre 1860 et 1960) dressant la liste des objets conservés à Pompéi ne mentionnent au total que 177 pesons et 90 numéros d’inventaire. Hormis les pesons isolés, les seuls groupes identifiés proviennent de la fouille de la décharge située au sud-est de l’îlot VIII 2, à l’extérieur de la ville, où 70 pesons ont été découverts, répartis en six groupes distincts (inv. nos 8760-8778, nos 8821-8835, nos 8876-8885, nos 8897-8914, nos 8968-8977, nos 9273-9278). Dans les journaux de fouilles, les mentions des pesons sont également rares ou floues : una quantità di pesi da telaio a été découverte dans la cuisine de la maison IX 7, 19 en 1881, sans précision de nombre (NSc, 1881, p. 196). Dans la description qu’il donne des objets découverts au cours des fouilles effectuées entre 1862 et 1873, G. Fiorelli n’indique aucun peson en terre cuite parmi les arnesi, serviti alle transazioni dei pubblici e privati negozi48. Ce détail est symptomatique, car les seuls groupes de pesons véritablement recensés au fil du dernier siècle de recherches sur le site sont constitués d’exemplaires en plomb. Les contextes de découverte détaillés ci-après en sont le reflet ; ils concernent presque exclusivement ces derniers.
103Les informations recueillies, qu’elles soient d’ordre bibliographique ou matériel, permettent de dresser un bilan provisoire de la répartition des ustensiles de tissage sur le site. Nous avons choisi d’exposer le détail de certaines découvertes pour les avoir examinées et/ou repérées. Il faut y ajouter les recherches de N. Monteix, qui a lui-même dressé une liste des bâtiments abritant des ensembles de pesons d’après la consultation des livres d’inventaire et « au gré de la consultation des archives les plus anciennes, en particulier la PAH […]. La localisation de ces métiers est donnée ci-après, avec soit la date de découverte, soit la référence bibliographique, suivie par le nombre de pesons : I 2, 28 (GSPomp n.s. 3, 1874 : 93 ; 30) ; I 6, 10 (13/05/1912 et 15/09/1927 ; 80) ; I 9, 10 (23/12/1952 ; 41) ; I 10, 8 (02/11/1932 ; 53) ; I 13, 2 (14/12/1955 ; 50) ; II 3, 3 (13 et 16/01/1953 ; 33) ; III 4, a/b (12/06/1918 ; 41) ; V 4, 13 (23/05/1903 ; 42) ; VI 1, 7 ( ?) (PAH I, 1 : 248 ; 38) ; VI 9, 7 (BdI 1830 : 121 et PAH II : 236) ; VI 15, 8 (30/03/1898 ; 54) ; VI 16, 26 (21/12/1904 ; 32) ; VII 9, 47(PAH II : 28 et PAH III : 26 ; 20) ; VII 15, 8 (GSPomp n.s. 2, 1873 : 416 ; 50) ; VII 16, 19 (16/01/1962 ; 37) ; IX 2, 5 (GSPomp n.s. 2, 1873 : 170 ; 36)49 ».
104Seront traités ici certains de ces ensembles, parmi les mieux documentés, et quelques autres ayant livré du matériel potentiellement utilisable dans les travaux de tissage (fig. 114). De fait, ils apportent des éléments de discussion autour du débat encore très ouvert concernant les officines de tissage aussi nommées textoriae.
Fig. 114 - Ensembles de pesons recensés et localisés dans le cadre de l’analyse.
Localisations | Pesons | Ustensiles associés et inscriptions | |
Pompéi | 8 pesons en plomb < (inv. 1321) 72 pesons en plomb (inv. 4097) | non examinés | - |
Pompéi | - | 1 couteau en os (inv. 6866) | |
Pompéi | 41 pesons en plomb (inv. 9919) | non examinés | - |
Pompéi | 53 (57 ?) pesons en plomb (inv. 5165) | grafitti | |
Pompéi | 50 pesons en plomb (inv. 11666) | non examinés | 2 couteaux en os (inv. 11633 et 11646) 1 fuseau et fusaïole en os (inv. 11650A et B) |
Pompéi | - | 1 couteau en os (inv. 11254) | |
Pompéi | 21 pesons en plomb (inv. 9969 A) 12 pesons en plomb (inv. 9973) | enduit peint illustrant une fileuse | |
Pompéi | 41 pesons en plomb (inv. 2731) | non examinés | 1 fuseau (inv. 2734A) 4 fusaïoles (inv. 2721A+B ; 2449A+B) 1 fuseau et fusaïole |
Pompéi | 42 pesons en plomb (ancien inv. 3051) | non examinés | - |
Pompéi | 54 pesons en plomb (ancien inv. 1436) | non examinés | - |
Pompéi | 28 pesons en terre cuite (inv. : 3585) 32 pesons en plomb (ancien inv. : 3584 ; inv. actuel : 56118 à 56149) | manquants | 1 fuseau en os (inv. 56173) |
Pompéi | 37 pesons en plomb | non examinés | 2 fuseaux et fusaïoles |
Pompéi | 4 pesons en terre cuite (inv. 14838 à 14841) | 1 couteau en os (inv. 6329) 2 fuseaux et fusaïoles en os (inv. 6113A et 6113D) 1 fuseau (inv. 6113B) | |
Pompéi | 45 pesons en terre cuite (inv. 21471 à 21516) |
Vestiges en I 6, 10
105En I 6, 10 ont été découverts en deux fois 80 pesons en plomb dont certains portent l’inscription eme // habebis. Le premier lot, mis au jour en 1912 ( ?), comportait 8 pesons (inv. : 1321) ; le second, 72 pesons recueillis le 15 septembre 1927 (inv. : 4097). Le livre d’inventaire où est consigné ce dernier lot mentionne : n° 72 contrapesi per reti ? Altezza media m. 0,072 (nº 26, p. 241). Malgré l’incertitude affichée dans le registre quant à la fonction de ces objets, la description qu’A. Maiuri fait de cette seconde découverte est sans équivoque. Il rend compte de la disposition des restes d’un métier à tisser fossilisé par l’éruption du Vésuve. En soulignant la linéarité des pesons sur le terrain, il indique également que le métier était en place au moment de sa destruction ; on regrette qu’il n’ait pas précisé le nombre d’alignements formés par les pesons, car nous aurions ainsi pu nous forger une image plus précise de l’ouvrage en cours de réalisation (fig. 115).
Fig. 115 - Pompéi. I 6, 10 : plan du site, de l’îlot et de la domus où ont été découverts 80 pesons en plomb (d’après Jashemski 1993).

© DR
Nello scavo completo della bottega e del retrobottega si raccolse la seguente suppellettile : (4097) una lunga serie di pesi di piombo (n. 72) di forma trapezoidale si rinvenne quasi regolarmente allineata lungo il lato orientale della bottega m, come se fosse originariamente sospesa ai due lati del bancone di legno che doveva occupare quel lato della bottega. Ciascun peso è forato superiormente ; misura metri 0,065 × m.0,042, e varia dal peso di gr. 396 al peso di gr. 356 ; su alcuni pesi si legge a caratteri molto corrosi da uno dei lati, la consueta iscrizione : EME.
« Dans la fouille complète de la boutique et de l’arrière boutique on a recueilli le mobilier suivant : (4097) une longue série de poids en plomb (72) de forme trapézoïdale alignée de façon presque régulière le long du côté oriental de la boutique m, comme si elle avait été suspendue à l’origine aux deux côtés du gros banc en bois qui devait occuper ce côté de la boutique. Chaque poids est perforé dans sa partie supérieure ; il mesure 0,065 m × 0,042 m et varie de 396 gr à 356 gr. ; sur certains poids on peut lire en caractères très corrodés l’habituelle inscription EME50. »
106La lecture des journaux de fouilles (GSP, 1927, 15 septembre) ne livre pas tant de précisions : les objets découverts ce jour sont énumérés sans aucun détail de localisation. Cependant, grâce à la première découverte effectuée en 1912, il est possible d’avancer que le métier à tisser se trouvait contre le mur occidental, placé à droite de l’entrée :
A circa 1 m dalla soglia e verso lo stipite destro, nel vano n. 10, si sono trovati otto panelli di piombo, di forma rettangolare rastremata, alti m. 0,065, forati nel lato più corto per tenerli sospesi.
« À environ 1 m de l’entrée et vers le montant droit dans l’espace n° 10 on a trouvé huit pesons en plomb de forme rectangulaire effilée d’une hauteur de 0,065 m et percés dans leur côté court pour les suspendre51. »
Vestiges en I 8, 5
107En I 8, 5 a été mis au jour l’un des rares couteaux en os recensés sur le site (fig. 116). Quasiment complet mais brisé en plusieurs endroits, il a été découvert le 17 novembre 1938, comme l’indique le journal de fouilles. Inventorié sous le numéro 6866, il est décrit comme suit : osso (6866) - Coltello tagliacarte in vari frammenti, restaurabile, con élégante manice sagomato. Lunghezza m. 0.165 (GSP, 1938, 17 novembre). Il provient de l’Ambiente M, ainsi que de nombreux autres objets (verrerie, vaisselle, clefs, amphores, meubles, sculptures, etc.) (fig. 117).
Fig. 116 - I 8, 5 : couteau en os (inventaire n° 6866).

© F. Médard
Fig. 117 - Pompéi. I 8, 5 : plan du site, de l’îlot et de la domus où a été découvert le couteau en os 6866 (d’après Jashemski 1993).

© DR
Vestiges en I 9, 10
108En I 9, 10, une série de 41 pesons en plomb a été découverte le 23 décembre 1952. Inventoriés sous le numéro 9919, ils portent tous une inscription, pour la plupart eme // habebis et pour quelques autres ex off. m. // badelvs. Le livre d’inventaire qui en fait mention indique : n° 41 pesi da telaio a panetti a sezione piramidale con foro passante in alto per la suspensione, e le seguenti iscrizioni sulle due facce piatte, di cui 35 con EME/HABBEBI e 6 con EX OFF.M./BADELUS [ ?]52.
109On n’en connaît aucune localisation précise ; les données de l’inventaire et les journaux de fouilles sont manquants (fig. 118).
Fig. 118 - Pompéi. I 9, 10 : plan du site, de l’îlot et de la domus où ont été découverts les 41 pesons en plomb inventoriés 9919 (d’après Jashemski 1993).

© DR
Vestiges en I 10, 8
110En I 10, 8 ont été découverts, le 28 novembre 1932, 53 pesons en plomb inventoriés sous le numéro de série 5165 (voir fig. 106).
28 novembre 1932
Con l’impiego di 14 operai, 2 cavalli e 3 vagonneti è stato completato lo scavo dell’atrio e dell’ambiente decorato ad oriente che confina con la fronte settentrionale dell’insula, proseguendo il disterro negli altri ambienti dei lati meridionale ed orientale. L’atrio è di m 7,70 × 6,40, ha l’impluvio di tufo al centro per metà sprofondato di m 2 × 2 costituito da lastroni di buona lavorazione e con modenatura in giro nella parte interna; l’impluvio si trova un po' sportato ad oriente rispetto all’asse dell’androne. L’intero pavimento dell’atrio è di terra battuta e soltanto le pareti del lato meridionale recano un avanzo d’intonaco gialletto, notandosi anche all’esterno di un pilastro due rafforzi rustici di malta. Nell’ala orientale dell’atrio, presso il pilastro di matoni e pezzoti del vano dell’angolo sud-est, si sono rinvenuti i seguenti oggetti sul pavimento:
Bronzo : (5163) Pelvio con le anse a cartoccio finienti all’estremità a testa di cane. Diam. 0,32.
Terracotta : Cratere a pancia sferica con un’ansa frammentata e scheggiata in giro all’orlo, ornata all’estremità del collo da (non renseigné). Alt. 0,55. Diam. 0,37.
Sul pavimento dell’ala occidentale a m 1 della sponda dell’impluvio, si è raccolto :
Piombo: N° 53 pesi uguali di forma trapezoidale, ognuno della lunghezza di m. 0,075 (fig. 119).
Pietra vesuv.: Meta, diam. 0,35.
Idem: Misura di peso di forma ovale. Lunghezza massim 0,22.
Marmo: Misura di peso di forma circolare con i resti della maniglia impiombata. Diam. m. (non renseigné)
Pietra vesuv. e marmo: Due ciottoli di forma sferica.
« Avec l’aide de 14 ouvriers, 2 chevaux et 3 wagonnets, nous avons achevé la fouille de l’atrium et de la pièce décorée située à l’est, accolée à la façade nord de l’îlot, poursuivant le dégagement des autres espaces des côtés sud et est. [...] Sur le sol de l’aile ouest à 1 m du bord de l’impluvium, on a recueilli : plomb : (5165) 53 poids égaux de forme trapézoïdale, chacun mesurant 0,075 m de long53. »
Fig. 119 - Pompéi. NSc, 1932, p. 245 : indication de la découverte de 53 pesons en plomb de I 10, 8.

111La lecture du journal permet de connaître précisément le lieu de découverte de la série de pesons : elle est localisée à l’est de l’atrium, près de la colonne en brique située dans l’angle sud-est (fig. 120).
Fig. 120 - Fig. 120 – Pompéi. I 10, 8 : plan du site, de l’îlot et de la domus où ont été découverts les 53 pesons en plomb inventoriés 5165 (d’après Jashemski 1993).

© DR
112Il existe toutefois un problème d’inventaire : le journal de fouilles, les livres d’inventaire et la littérature qui s’y rapportent54 mentionnent la découverte de 53 pesons. Or, la série examinée en rassemble 57, numérotés de 5165.1 à 5165.57. De toute évidence, quatre pesons en plomb ont été ajoutés à la série sans possibilité d’identification et sans savoir quand ce rapprochement a eu lieu. On note que l’un des pesons se démarque de l’ensemble par sa morphologie légèrement différente et parce qu’il porte une inscription (voir fiche 22) : peut-être fait-il partie des quatre éléments ajoutés.
113Mis à part les pesons en plomb, la fouille de la domus I 10, 8 a révélé la présence, en 1927 et 1932, de graffitis inscrits sur les parois nord et sud du cubiculum 3, situé au nord-est de l’atrium. Ces inscriptions, au nombre de sept, mentionnent les noms de cinq hommes, respectivement Rarus, Rufus, Qietus, Onesimus et Primigenius, et de deux femmes : Gelaste et Savilla55 (fig. 121).
Fig. 121 - I 10, 8 : graffiti révélant le nom d’Onesimus (ONIISIMII) (d’après PPM II, 1999 / référence : 77 N 36253).

© DR
114La remarquable série de pesons mise au jour non loin des inscriptions a conduit W. Moeller a affirmer que ces noms correspondaient à des textores ou à des quasillariae au service de la famille qui vivait en ces lieux, les Minucii56. Cette affirmation, plus proche nous semble-t-il de l’intuition que du fait avéré, ne suffit pas à qualifier cet espace d’officine de tissage employant plusieurs artisans à plein temps. Si un métier à tisser était installé en ce lieu, comme tend à l’indiquer le nombre des pesons, il servait peut-être simplement un usage domestique.
Vestiges en I 13, 3
115Cinquante pesons en plomb ont été découverts en I 13, 3 le 14 décembre 1955. Inventoriés sous le numéro 11666, ils étaient localisés dans le 2° ambiente ad oriente della fauces (seconde pièce à l’est de l’entrée). Ils sont mentionnés en ces termes dans le livre d’inventaire : n° 50 pesi da telaio a panetti piramidali con foro passante nella parte superiore (anepigrafi)57 (fig. 122).
Fig. 122 - Pompéi. I 13, 3 : plan du site, de l’îlot et de la domus où ont été découverts les 50 pesons en plomb inventoriés 11666 (d’après Jashemski 1993).

© DR
116La même année, deux couteaux en os sont exhumés dans la domus, respectivement inventoriés 11633 et 11646. Le premier est découvert le 24 octobre et le second le 12 novembre 1955. La localisation précise de ces artefacts demeure inconnue car le journal de fouilles est manquant (fig. 123).
Fig. 123 - I 13, 3 : Couteaux en os 11633 (à gauche / cliché : F. Médard) et 11646 (à droite / cliché : C. Durand/CNRS, UMR 7299).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299 – F. Médard
Vestiges en I 13, 10
117Un couteau en os légèrement amputé au niveau de la pointe a été mis au jour en I 13, 10. Découvert le 12 juillet 1955, il porte le numéro d’inventaire 11254 mais n’est pas mentionné dans le journal de fouilles, par ailleurs incomplet. De fait, on ignore sa localisation précise (fig. 124-125).
Fig. 124 - Pompéi. I 13, 10 : plan du site, de l’îlot et de la domus où a été découvert le couteau en os 11254 (d’après Jashemski 1993).

© DR
Fig. 125 - I 13, 10 : couteau en os 11254.

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
Vestiges en II 3, 3
118En II 3, 3, ont été découverts, en deux fois, 33 pesons en plomb. Le premier lot, constitué de 21 pesons, a été exhumé le 13 janvier 1953 ; le second lot, formé de 12 pesons, a été mis au jour trois jours plus tard, le 16 janvier 1953. Inventoriés respectivement sous les numéros de série 9969 A et 9973, ils portent tous une inscription : eme // habebis pour la plupart et ex off.m./badelvs, pour trois d’entre eux (fig. 107-108).
119Signalés dans le livre d’inventaire n° 28 : n° 21 pesi da telaio di forma piramidale di cui 18 con i seguenti nomi sulle facce piane : EME/HABBEBI e gli altri 3 con i seguenti nomi EX OFF.M./BADELVS [ ?], et plus tard n° 12 pesi da telaio a panetti di forma piramidale recanti sulle facce piatte i seguenti nomi a lettere rilevate EME/HABBEBI (p. 337), ils ne peuvent être précisément replacés dans l’espace car le journal de fouilles est manquant (fig. 126).
Fig. 126 - Pompéi. II, 3, 3 : plan du site, de l’îlot et de la domus où a été découverte la série de pesons 9973 (d’après Jashemski 1993).

© DR
120Outre les 33 pesons en plomb, une fresque peinte illustrant une fileuse existe également dans cette demeure (voir fig. 64 ; fiche 32). L’une et l’autre découverte ne signalent pas nécessairement un bâtiment dédié au tissage mais rendent présentes les activités textiles, si ce n’est à des fins commerciales, au moins à des fins domestiques.
Vestiges en III 4, B
121Dans le bâtiment III 4, probablement en zone B, a été découverte, le 12 juin 1918, une série de 41 pesons en plomb. Inventoriés sous le numéro 2731, ils sont décrits dans le livre d’inventaire : 41 pesi di forma rettangolare, di lungh. mt. 0,06 a 0,08, qui en donne aussi la localisation approximative : casa a ridosso di quelle N° 1 e 2 (probable III, 4, B). Nell’ambiente F, sul pavimento, ambiente SE58 (fig. 127).
Fig. 127 - Pompéi. III 4, B : plan du site, de l’îlot et de la domus où a été découverte la série de pesons 2731 (d’après Jashemski 1993).

© DR
122Outre cette série de pesons, la fouille de cet espace a également livré un fuseau, quatre fusaïoles et une association fuseau et fusaïole en os tourné (voir chapitre III, fiches 35 à 38).
Vestiges en V 4, 13
123Un lot de 42 pesons en plomb provient de la demeure V 4, 13. Découverts le 23 mai 1903, ils portent le numéro d’inventaire originel 3051. La consultation du livre d’inventaire en donne la description suivante : 42 contrappesi forati, dico di forma romboidale (n° 22, p. 139). Celle du journal de fouilles permet de les localiser dans la pièce S : salone a nord tra l’atrio e l’ultimo ambiente59 (fig. 128).
Fig. 128 - Pompéi. V 4, 13 : plan du site, de l’îlot et de la domus où a été découverte la série de pesons 2731 (d’après Jashemski 1993).

© DR
124On note une différence de deux pesons entre les éléments recensés dans le livre d’inventaire (42) et ceux mentionnés dans le journal de fouilles (40) (information : N. Monteix).
Vestiges en VI 15, 8
125Une série de 54 pesons en plomb provient du bâtiment VI 15, 8. Découverte le 30 mars 1898, elle porte le numéro d’inventaire originel 1436. Les documents d’archives en donnent la description suivante : Numero 54 contropesi co’ fori per sospenderli di figura rettangolare60 et regione VI isola XV casa che ha l’ingresso al n° 8 nel vicolo orientale, e precisamente nella prima stanza a sin. del peristilio (« dans la première pièce à gauche du péristyle ») soit vraisemblablement dans l’espace C. Le journal de fouilles les signale ainsi : Nel sottoscala P si raccolsero il giorno 30 cinquantaquattro cosidetti pesi di Piombo, in forma piramidale61. De fait, la localisation précise de ce groupe de pesons demeure incertaine (fig. 129). Cette série de pesons est l’une des plus importantes mise au jour sur le site de Pompéi.
Fig. 129 - Pompéi. VI 15, 8 : plan du site, de l’îlot et de la domus où a été découverte la série de pesons 1436 (d’après Jashemski 1993).

© DR
Vestiges en VI 16, 26
126En VI 16, 26 ont été mis au jour plusieurs ustensiles liés aux activités textiles, parmi lesquels une série de 60 pesons (voir fig. 114). Le même jour, le 21 décembre 1904, 32 pesons en plomb sont exhumés, suivis de 28 pesons en terre cuite, tous localisés dans l’angle nord-ouest de l’atrium (fig. 130). Cet ensemble constitue l’un des plus importants attestés sur le site de Pompéi ; en dépit de matériaux différents, une telle concentration indique vraisemblablement l’emplacement d’un métier à tisser.
Fig. 130 - Pompéi. VI 16, 26 : plan du site, de l’îlot et de la domus où ont été découverts les 60 pesons en plomb et en terre cuite (d’après Jashemski 1993).

© DR
127Les recherches effectuées dans les journaux de fouilles et les livres d’inventaire donnent à ce sujet des informations contradictoires. D’après les NSc62, les deux séries de pesons ont été découvertes le 22 décembre 1904 dans la pièce E de la maison VI 16, 19.26-2763. La date de découverte diffère d’un jour dans les livres d’inventaire. Au moment de la découverte, les exemplaires en plomb sont inventoriés sous le n° 3585, ceux en terre cuite sous le n° 3584. Par la suite, on attribuera de nouveaux numéros d’inventaire aux pesons en plomb (56118 à 56149), tandis que les pesons en terre cuite disparaissent des registres, faute d’une nouvelle numérotation. Ils sont aujourd’hui considérés comme manquants.
Vestiges en VII 16, 19
128Une série de 37 pesons en plomb provient du bâtiment VII, 16, 15. Découverts le 16 novembre 1962, ils portent le numéro d’inventaire originel 13623. La consultation du livre d’inventaire en donne la description suivante : n° 37 contrapesi per telaio, dei quali alcuni rovinati et casa di M. Fabio Rufo Ins. Occ. Taberna a destra della fauce sul vicolo dei Soprastanti (n° 30, p. 379) (fig. 131). Deux fuseaux munis chacun de leur fusaïole en os tourné ont également été retrouvés dans ce bâtiment lors de fouilles ultérieures, en 1967 (voir chapitre III, fiche 51).
Fig. 131 - Pompéi. VII 16, 19 : plan du site, de l’îlot et de la domus où a été découverte la série de pesons 13623 (d’après Jashemski 1993).

© DR
Vestiges en VIII 2, 1
129Quatre pesons en terre cuite inventoriés de 14838 à 14841 ont été découverts en VIII, 2, 1 au mois d’avril 1974. Le journal de fouilles étant manquant, seul le livre d’inventaire nous renseigne sur la localisation de ces exemplaires situés dans les étages inférieurs du bâtiment : piccola stanza sotto la casa di Championnet64 (fig. 132). Un couteau en os cassé au niveau du manche provient également de cette demeure. Découvert le 6 février 1937, il est inventorié sous le numéro 6329 et était localisé au sud du bâtiment (fig. 133). Dans le même secteur et au cours de la même année ont été mis au jour un axe de fuseau ainsi que deux fuseaux en os garnis de leur fusaïole. Plusieurs décennies séparent ces découvertes de celle des pesons (voir chapitre III, fiche 53).
Fig. 132 - Pompéi. VIII 2, 1 : plan du site, de l’îlot et de la domus où ont été découverts les pesons en terre cuite (d’après Jashemski 1993).

© DR
Fig. 133 - Couteau en os retrouvé en VIII 2, 1 (inv. 6329).

© C. Durand/CNRS, UMR 7299
Vestiges en IX 13, 1-3
130La série de pesons découverte en IX 13, 1-3 (casa di Iulius Polybius), est à la fois unique et précieuse car elle constitue le seul ensemble de pesons en terre cuite dont la localisation est connue au sein de la demeure.
131Les pesons y ont été mis au jour entre 1971 et 1974 ; au total 45 exemplaires ont été examinés, inventoriés de 21471 à 21516 (fig. 134).
Fig. 134 - Pompéi. IX 13, 1- : plan du site, de l’îlot et de la domus où ont été découverts les pesons en terre cuite (d’après Jashemski 1993).

© DR
132En fonction des données reportées dans le journal de fouilles et dans le livre d’inventaire, les pièces dans lesquelles ont été retrouvés les pesons peuvent être repérées65. Même si l’emplacement exact des exemplaires n’est pas indiqué, au moins est-il possible de dresser un plan de répartition spatiale approximatif (fig. 135).
Fig. 135 - Pompéi. IX 13, 1-3 : répartition des pesons dans l’habitat.

133L’essentiel des pesons se trouve dans le premier tiers de la demeure, au plus près de l’entrée, tandis que l’arrière de l’habitat en est totalement dépourvu. Force est de constater que l’activité textile se déroulait dans la partie la plus cloisonnée du bâtiment, tandis que la partie la plus spacieuse devait être réservée à des activités moins industrieuses. Les pièces C et D, remarquables par le nombre de pesons qu’elles contiennent, tendent à signaler la présence de métiers à tisser. Il s’agit pourtant d’espaces faiblement éclairés, principalement l’espace D, exigu et privé de lumière naturelle. Faut-il en déduire que le tissage n’était pas une activité suffisamment « noble » pour être exercée dans des espaces naturellement éclairés ? L’obscurité est pourtant défavorable à la réalisation de travaux reposant sur l’observation, l’organisation, le comptage des fils et la couleur. Mais peut-être s’agit-il d’une conception moderne de l’activité, car l’histoire du textile montre que les locaux dédiés au tissage ont souvent été faiblement éclairés (ateliers excavés, sous-sols, etc.). On ignore enfin si au moment de la destruction de la cité, le tissage pratiqué en IX 13 1-3 était de nature domestique ou artisanale.
Tisser sur un métier vertical à poids
Interprétation fonctionnelle du « petit » matériel : grille de tissage et couteau de tisserand
134L’analyse des restes textiles pompéiens a mis en évidence la présence de bordures de départ tissées à destination d’un montage sur des métiers verticaux à poids (voir chapitre V ; tissu n° 3, fiche 64). La méthode consiste à travailler la bordure indépendamment du futur tissu : le tissage s’effectue dans un plan horizontal. L’ouvrage débute en tendant plusieurs longueurs de fil par des mouvements d’aller et retour entre deux points fixes : elles correspondent aux fils de chaîne de la bordure. Leur longueur va déterminer la largeur du futur tissu. Ces fils sont tissés en base d’armure toile à l’aide de fils de trame qui deviendront les fils de chaîne du futur tissu une fois installés sur le métier vertical.
135Cette technique était encore en usage en Scandinavie au milieu du xxe siècle, offrant ainsi l’opportunité d’en comprendre parfaitement le fonctionnement66. La restitution illustrée en fig. 136 est particulièrement intéressante car elle met en scène une grille de tissage. L’exemplaire découvert à Pompéi présente des dimensions parfaitement adaptées à cet usage (voir fig. 110). Les bordures de départ ainsi construites ont l’avantage d’être régulières, solides, denses et parfois ouvragées. Elles nécessitent pour leur fabrication un ustensile permettant de tasser vigoureusement les fils de trame sans les endommager. Les lames en os conviennent parfaitement à cet usage. Sans affirmer que l’ensemble des couteaux en os pompéiens a servi à tisser des bordures, au moins peut-on en suggérer la vraisemblable utilisation dans ce domaine. En résumé, la grille de tissage et les lames en os découvertes sur le site pourraient, non seulement être impliquées dans la préparation des ouvrages tissés sur des métiers verticaux à poids, mais également être complémentaires puisque potentiellement employées conjointement au même stade de la chaîne opératoire.
Fig. 136 - Réalisation d’une bordure de départ destinée au montage sur un métier vertical à poids (d’après Schlabow 1976).

© DR
Fonctionnalité des pesons
Matériel et problématique
136Il s’agit de définir quels types de pesons ont été utilisés pour tisser les étoffes représentées dans la série analysée. Pour préciser les liens existant entre l’outillage et les produits finis, nous disposons des données suivantes :
- la dimension des pesons, notamment les masses et la largeur des bases,
- les caractéristiques des tissus, notamment le diamètre des fils et la réduction des étoffes (ces éléments seront exposés en détail au chapitre V),
- la nature des fibres textiles employées.
Dans quelle mesure la dimension des pesons est-elle utile ?
137La largeur des bases influe directement sur l’espace linéaire occupé par les poids au bas du métier à tisser. Cette donnée est techniquement importante, car des pesons de faible largeur seront alignés en plus grand nombre au bas des fils de chaîne, dont la tension sera du même coup plus finement répartie.
138La masse des pesons constitue naturellement une donnée primordiale pour le tissage puisqu’elle influe sur la tension des fils de chaîne. Toutefois, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce paramètre est moins contraignant que le précédent sur le plan fonctionnel. Pour une même largeur de base, la masse des pesons peut varier en modulant les hauteurs et les épaisseurs, deux dimensions sans influence sur la disposition des pesons au bas du métier. Il n’y a effectivement pas d’obstacle à allonger ou à raccourcir la hauteur des poids, ni à en faire varier l’épaisseur car le système de tissage laisse davantage d’espace libre en profondeur qu’en façade (voir fig. 102).
Dans quelle mesure les caractéristiques techniques des tissus sont-elles utiles ?
139Il existe une relation bilatérale entre la place occupée par les pesons suspendus à l’aplomb des fils de chaîne, le diamètre de ces derniers et leur réduction. Il s’agit d’un équilibre mutuel visant à ce que les pesons occupent plus ou moins le même espace au bas du métier que les fils qu’ils tendent en occupent en haut. De fait, le tissage en place sur le métier doit idéalement présenter des lisières parallèles (voir fig. 199).
Dans quelle mesure la connaissance des fibres textiles est-elle utile ?
140La tension exercée sur les fils de chaîne, à la fois tributaire de la masse des pesons et du nombre de fils accrochés à chacun, se règle aussi en fonction de la nature des fibres utilisées. Pour un produit de même diamètre, le fil de lin résistera et demandera plus de tension que le fil de laine.
141Cette différence tient aux qualités intrinsèques des fibres. Les fibres de lin lisses, rigides, longues et solides nécessitent une torsion ferme lors du filage. Les fibres de laine, courtes, élastiques, bouclées se lient de façon plus aléatoire sous l’effet de la torsion : celles qui ne sont pas réduites dans les spires confèrent au fil un aspect mousseux et un surcroît de volume. Cette douceur a pour contrepartie la relative fragilité du filé qui implique une tension plus ajustée que celle imposée au lin.
Données
142Les informations recueillies au cours de l’analyse des vestiges constituent les fondements de la réflexion portant sur l’interaction entre les pesons et les étoffes réalisées. Brièvement, nous en déclinerons les points forts afin d’obtenir une vision synthétique des éléments utiles à l’interprétation.
À propos des pesons en terre cuite
143L’analyse montre qu’à la fabrication des pesons en terre cuite prédomine la volonté d’obtenir des bases de section carrée ; que la perforation soit positionnée en façade ou sur le côté du peson est sans incidence sur l’espace occupé par les poids au bas du métier. Ce constat s’applique à l’ensemble des catégories (catégories 2, 3, 4, 5), sauf à la catégorie 1 (voir fig. 94, 95, 137).
144Cette dernière se démarque des autres à plusieurs titres : souvent en meilleur état, les pesons de ce groupe rassemblent l’essentiel des petits volumes. La section rectangulaire des bases leur est étroitement associée, les largeurs étant nettement inférieures aux épaisseurs et les hauteurs étant moins importantes que celles des autres pesons. Nous l’avons mentionné en amont, cette spécificité permet d’aligner plus de pesons au bas du métier comparé à ceux dont les bases sont carrées. La différence est également marquée au niveau des masses, les pesons de catégorie 1 pesant entre 100 et 150 g, tandis que les autres exemplaires atteignent 250 à 300 g. La différence entre les pesons de catégorie 1 et les autres tient vraisemblablement à une intention, celle de confectionner des étoffes différentes au niveau des fibres textiles, des fils ou des armures de tissage (fig. 137).
Fig. 137 - Largeurs et épaisseurs moyennes des pesons en terre cuite (en mm) regroupés par catégories de dimensions.

À propos des pesons en plomb
145Les pesons en plomb n’obéissent pas aux mêmes contraintes de fabrication que les pesons en terre cuite ; coulés dans des moules, ils sont moins épais. Leur morphologie implique un sens de suspension où les perforations alignées en façade du métier se trouvent sur la partie étroite de l’objet. Les séries mesurées (I 8, 10 et II 3, 3) montrent que la largeur de la face perforée des pesons est comprise entre 15 et 20 mm. En conséquence, ils occupent très peu de place au bas du métier (voir fig. 145).
Variabilité de la collection
146Tous matériaux confondus, l’analyse globale des pesons met en évidence trois groupes distincts (fig. 138-139) :
- les pesons en terre cuite de catégorie 1 ;
- les pesons en terre cuite de catégories 2, 3, 4, 5 ;
- les pesons en plomb, standardisés.
Fig. 138 - Détails des largeurs, épaisseurs et masses moyennes des pesons.
Largeur moyenne des bases (faces perforées) (mm) | Epaisseur moyenne des bases (faces non perforées) (mm) | Masses moyennes des pesons (g) | |
Pesons en terre cuite : groupe 1 | 38,8 | 48,4 | 100-150 |
Pesons en terre cuite : groupe 2 | 42,3 | 47,6 | 250-300 |
Pesons en terre cuite : groupe 3 | 46 | 49 | 250-300 |
Pesons en terre cuite : groupe 4 | 50,5 | 51,4 | 250-300 |
Pesons en terre cuite : groupe 5 | 48,9 | 51,2 | 250-300 |
Pesons en plomb | 15-20 | 47,5 | 370 |
Fig. 139 - Synthèse des dimensions associées aux différentes catégories de pesons.
Dimension moyenne de la base faisant face au tisserand | Masse moyenne des pesons | |
Pesons en terre cuite (1) | 38 mm | 100-150 g |
Pesons en terre cuite (2, 3, 4, 5) | 49 mm | 250-300g |
Pesons en plomb | 15-20 mm | 370 g |
147Quelle que soit la catégorie à laquelle ils appartiennent, les pesons en terre cuite sont plus légers et occupent plus de place au bas du métier que les pesons en plomb. L’écart de masse entre les exemplaires en plomb et la plupart des exemplaires en terre cuite (2, 3, 4, 5) est d’environ 100 g.
148En résumé, l’échantillon nous confronte à :
- des pesons lourds occupant peu de place au bas du métier et offrant la possibilité d’alignements serrés. Ils permettent d’imposer une forte tension aux fils de chaîne et de travailler des réductions élevées ;
- des pesons de masse moyenne occupant beaucoup de place au bas du métier, impliquant des alignements peu denses. Ils imposent une tension moyenne aux fils de chaîne et permettent de travailler des réductions peu élevées ;
- des pesons légers occupant un espace moyen au bas du métier et impliquant des alignements moyennement denses. Ils imposent une faible tension aux fils de chaîne et permettent de travailler des réductions moyennes.
149Ce constat fondé sur l’examen exclusif des pesons ne suffit pas pour établir un lien avec les tissus ; il faut y adjoindre l’ensemble des variables relatives aux textiles eux-mêmes, notamment celles ayant trait aux fils et aux réductions en chaîne, largement influentes sur le nombre de fils accrochés à chaque peson.
À propos des tissus
150Nous sommes tenus de raisonner essentiellement sur des valeurs moyennes qui ne reflètent qu’imparfaitement la réalité. Toutefois, la permissivité technique, le nombre de paramètres à prendre en compte et le nombre d’éléments inconnus ne permettent pas d’établir une stricte relation entre un tissu et les pesons qui ont servi à le fabriquer. Dans le cadre de ce raisonnement, seules les données associées aux fils de chaîne sont nécessaires.
151Pour les tissus en laine comme pour ceux en lin, les réductions en chaîne oscillent autour de 20 fils/cm (voir chapitre V, fig. 149). Les données moyennes de la collection sont les suivantes :
- Lin et fibres végétales : 18,6 fils/cm pour les fils de chaîne tordus en z ; 19,6 fils/cm pour les fils de chaîne tordus en s.
- Laine : 18,8 fils/cm pour les fils de chaîne tordus en z.
152Compte tenu des propriétés inhérentes aux matériaux, une même réduction n’implique pas une même tension : la chaîne en lin nécessite une tension supérieure à celle de la chaîne en laine. De même, l’épaisseur des fils influe sur la réduction des étoffes. Les valeurs moyennes recensées pour l’ensemble de la collection sont les suivantes (voir chapitre V, fig. 148) :
- lin et fibres végétales : 0,36 mm de diamètre pour les fils tordus en z ; 0,42 mm de diamètre pour les fils tordus en s ;
- laine : 0,44 mm de diamètre pour les fils tordus en z.
153Ces données moyennes donnent un aperçu de la collection textile, mais elles restent insuffisamment détaillées dans le cadre d’une réflexion portant sur l’interaction entre les pesons et les tissus. Un repérage des valeurs les mieux représentées va permettre la mise en évidence des catégories de fils et des réductions les plus usitées (fig. 140).
Fig. 140 - Diamètres des fils et réductions les mieux représentés au sein de la collection.

154La confrontation des valeurs les mieux représentées permet d’associer l’épaisseur des fils aux réductions en chaîne et inversement (fig. 141). Elle permet ainsi de dresser un bilan mettant en exergue des tendances dans le choix des fils selon qu’ils sont destinés à la confection d’un type d’étoffe ou d’un autre.
Fig. 141 - Relation entre le diamètre des fils et la réduction des étoffes.
Réductions en chaîne les mieux représentées | Diamètres moyens des fils correspondants | Diamètres de fils les mieux représentés | Réductions moyennes correspondantes |
8-10 fils/cm | 0,59 mm | 0,1-0,2 mm | 22,3 fils/cm |
10-12 fils/cm | 0,51 mm | 0,3-0,4 mm | 22,6 fils/cm |
12-14 fils/cm | 0,41 mm | 0,4-0,5 mm | 13,1 fils/cm |
18-20 fils/cm | 0,29 mm | 0,7-0,8 mm | 11,3 fils/cm |
Plus de 34 fils/cm | 0,3 mm |
155On peut conclure aux relations suivantes :
❶ réduction de 8 à 12 fils par cm : utilisation de fils mesurant entre 0,6 et 0,8 mm de diamètre. Tissus de faible réduction, essentiellement constitués d’armures sergé, tissés de fils de laine épais (fig. 142).
❷ réduction de 12 à 14 fils par cm : utilisation de fils mesurant entre 0,4 et 0,5 mm de diamètre. Tissus de réduction moyenne, indifféremment tissés en armures sergé et toile, principalement à l’aide de fils de laine de diamètre moyen (fig. 142).
❸ réduction de 18 à 24 fils par cm : utilisation de fils mesurant entre 0,2 et 0,4 mm de diamètre. Tissus de réduction élevée, exclusivement tissés en armure toile, utilisant indifféremment des fils de laine et de lin (fig. 142)
❹ réduction de 30 à 45 fils par cm : utilisation de fils mesurant entre 0,3 et 0,4 mm de diamètre. Tissus de réduction très élevée, essentiellement constitués d’armures toile, indifféremment tissés à l’aide de fils de laine et de lin (fig. 142).
Fig. 142 - Détail des catégories de tissus les mieux représentés au sein de la collection analysée.
Réduction | Diamètre des fils | Matière première | Armure de tissage |
8-12 | 0,6 | 16 × laine | 15 sergé (14 laine, 1 indet.) 9 toile et dérivés (6 lin, 2 laine, 1 indet.) |
12-14 | 0,4 | 4 × laine | 3 sergé (3 laine) 3 toile et dérivés (2 lin, 1 laine) |
18-24 | 0,2 | 4 × laine | - 8 toile et dérivés (4 lin, 4 laine) |
30-45 | 0,3 | 5 × laine | 2 sergé (2 laine) 8 toile (5 lin, 3 laine) |
Interprétation
156Il n’est pas d’équation précise en termes de tissage ; des tissus confectionnés à l’aide des mêmes fils, d’une même armure de tissage et d’une même réduction supportent d’importants écarts de tension par fil. En d’autres termes, le nombre de fils accrochés à chaque peson, comme la masse des pesons, peut varier sans avoir de conséquences palpables sur le tissu. Une récente expérimentation menée par nos soins à partir de fils de lin tendus sur une même chaîne par des pesons aux écarts de masses parfois importants montre que l’ouvrage en cours de réalisation ne fait quasiment aucun écho à ces différences. Pour des pesons aux masses plus ou moins équivalentes à celles des pesons de Pompéi (entre 200 et 400 g), de substantiels écarts de tension par fil (de 13,1 g à 55,2 g) ne modifient pas l’aspect du tissu.
157La véritable différence se joue au niveau du confort d’utilisation ; des pesons trop nombreux en bas de chaîne se chevauchent et se heurtent sans cesse, de sorte que la manipulation des barres de lisses devient rapidement pénible. Trop peu nombreux, ils n’entravent pas le fonctionnement du métier mais risquent de sous-tendre les fils de chaîne : si cela n’affecte pas l’aspect du tissu, la sous-tension rend malaisé le travail du tisserand. On estime, dans les conditions de l’expérimentation (fils retors en lin de 0,5 mm de diamètre), à environ 30-40 g la tension moyenne de confort par fil.
158Compte tenu des éléments recueillis à partir du matériel pompéien, quelques calculs devraient, si ce n’est apporter des réponses précises, au moins donner des bases sur lesquelles raisonner. Pour l’ensemble des tissus recensés, l’hypothèse de l’utilisation d’un métier à tisser à quatre barres de lisses est retenue pour sa vraisemblance au vu des armures identifiées. La largeur de l’alignement des pesons en bas du métier est considérée comme équivalente à la largeur du tissu en haut du métier.
159Pesons en terre cuite de catégorie 1 (fig. 143)
Largeur moyenne de la base = 38 mm.
Masse = 100-150 g
Fig. 143 - Calcul du nombre de fils hypothétiquement accrochés aux pesons de catégorie 1 ; estimation de la tension exercée sur chaque fil (d’après une illustration publiée, Grömer 2010).
Réduction des groupes de tissus | Diamètres moyens des fils utilisés | Espace linéaire occupé par la des fils | Nb de fils contenus dans la largeur | Répartition des fils en 4 nappes, soit | Tension par fil |
8-12 fils/cm | 0,6-0,8 mm | 9,6 mm | 45,6 fils | 11,4 fils/ peson | 13,1 g |
12-14 fils/cm | 0,4-0,5 mm | 7 mm | 53,2 fils | 13,3 fils/ peson | 11,2 g |
18-24 fils/cm | 0,2-0,4 mm | 9,6 mm | 91,2 fils | 22,8 fils/ peson | 6,5 g |
30-45 fils/cm | 0,3-0,4 mm | 9,6 mm | 171 fils | 42,7 fils/ peson | 3,5 g |
160Pesons en terre cuite de catégories 2, 3, 4, 5 (fig. 144)
Largeur moyenne de la base = 49 mm.
Masse = 250-300 g
Fig. 144 - Calcul du nombre de fils hypothétiquement accrochés aux pesons de catégories 2, 3, 4, 5 ; estimation de la tension exercée sur chaque fil (d’après une illustration publiée, Grömer 2010).
Réduction des groupes de tissus | Diamètres moyens des fils utilisés | Espace linéaire occupé par la juxtaposition des fils | Nb de fils contenus dans la largeur d’un peson | Répartition des fils en 4 nappes, soit sur 4 pesons | Tension par fil |
8-12 fils/cm | 0,6-0,8 mm | 9,6 mm | 58,8 fils | 14,7 fils/ peson | 20,4 g |
12-14 fils/cm | 0,4-0,5 mm | 7 mm | 68,6 fils | 17,1 fils/ peson | 17,5 g |
18-24 fils/cm | 0,2-0,4 mm | 9,6 mm | 117,6 fils | 29,4 fils/ peson | 10,2 g |
30-45 fils/cm | 0,3-0,4 mm | 9,6 mm | 220,5 fils | 55,1 fils/ peson | 5,4 g |
161Pesons en plomb (fig. 145)
Largeur moyenne de la base = 20 mm.
Masse = 370 g
Fig. 145 - Calcul du nombre de fils hypothétiquement accrochés aux pesons en plomb ; estimation de la tension exercée sur chaque fil (d’après Monteix 2010).
Réduction des groupes de tissus | Diamètres moyens des fils utilisés | Espace linéaire occupé par la juxtaposition des fils | Nb de fils contenus dans la largeur d’un peson | Répartition des fils en 4 nappes, soit sur 4 pesons | Tension par fil |
8-12 fils/cm | 0,6-0,8 mm | 9,6 mm | 24 fils | 6 fils/ peson | 61,6 g |
12-14 fils/cm | 0,4-0,5 mm | 7 mm | 28 fils | 7 fils/ peson | 52,8 g |
18-24 fils/cm | 0,2-0,4 mm | 9,6 mm | 48 fils | 12 fils/ peson | 30,8 g |
30-45 fils/cm | 0,3-0,4 mm | 9,6 mm | 90 fils | 22,5 fils/ peson | 16,4 g |
162Sans expérimentation, il est difficile de se prononcer sur la meilleure adéquation entre la tension imposée aux fils de chaîne, la dimension des pesons et la réduction des tissus. Elle dépend notamment de la résistance des fils (variable selon la qualité des fibres, le diamètre des fils et leur torion, lâche ou serrée) et de la nécessité de leur imposer une tension plus ou moins importante (potentiellement variable selon la texture souhaitée pour l’étoffe et l’armure de tissage sélectionnée).
163Les éléments qui se dégagent de l’analyse sont principalement tangibles à l’examen des valeurs extrêmes. Intuitivement, ils laissent à penser que les sergé de laine dont le diamètre des fils se situe autour de 0,6 mm et la réduction 8-14 fils/cm (❶ et ❷) ont été tissés à l’aide des pesons en terre cuite parmi les plus répandus (catégories 2, 3, 4, 5). Eu égard à la permissivité technique du tissage sur les métiers verticaux à poids, les armures toile en lin présentant plus ou moins les mêmes caractéristiques que les sergé de laine pourraient avoir été tissées à l’aide du même type de pesons (fig. 146).
164Même si l’analyse met en évidence leur particularité incontestablement chargée de sens sur le plan fonctionnel, on se gardera d’établir un lien spécifique entre les pesons de catégorie 1 et les tissus. Les données obtenues ne se démarquent pas suffisamment pour être interprétées.
165Enfin, les pesons en plomb semblent pouvoir être associés au tissage des étoffes faites de fils fins, compris entre 0,2 et 0,4 mm de diamètre, densément répartis (❸ et ❹) avec des valeurs de plus de 20 fils/cm. Le lin étant très présent dans cette catégorie de textile, il est possible que les tensions les plus élevées aient été réservées aux fils de chaîne des étoffes conçues à partir de ce matériau (fig. 146).
Fig. 146 - Synthèse des données associant les tissus aux pesons de la collection.
Réduction | Diamètre des fils | Armure de tissage | Matériaux | Tension par fil | ||
Pesons en terre cuite, cat. 1 | Pesons en terre cuite, cat. 2,3,4,5 | Pesons en plomb | ||||
8-12 fils/cm | 0,6-0,8 mm | 15 sergé 9 toile et dérivés | 15 laine 6 lin, 2 laine | 13,1 g | 20,4 g | 61,6 g |
12-14 fils/cm | 0,6-0,8 mm | 3 sergé 3 toile et dérivés | 3 laine 2 lin, 1 laine | 11,2 g | 17,5 g | 52,8 g |
18-24 fils/cm | 0,2-0,4 mm | 8 toile et dérivés | 4 lin, 4 laine | 6,5 g | 10,2 g | 30,8 g |
30-45 fils/cm | 0,3-0,4 mm | 2 sergé 8 toile | 2 laine 5 lin, 3 laine | 3,5 g | 5,4 g | 16,4 g |
166En résumé, les nombreux pesons en terre cuite recueillis sur le site pourraient essentiellement être liés au tissage des étoffes en laine de qualité ordinaire. Les pesons en plomb seraient davantage réservés au tissage des étoffes fines, en lin ou en laine. Ces informations doivent néanmoins être considérées avec prudence ; il ne s’agit pas de vérités premières mais uniquement de tendances vraisemblables.
Notes de bas de page
1 Jehasse, Jehasse 1973, pl. 49, 52; Gleba 2008, fig. 106; Spantidaki 2016, fig. 6.1.
2 Wild 1970, p. 68; Hoffmann 1964, p. 46.
3 Seiler-Baldinger, Médard 2014.
4 Wild 1970.
5 Ibid., p. 68.
6 Walton-Rogers 2001, p. 161.
7 Avec la contribution de N. Monteix.
8 Hoffmann 1964, p. 331.
9 Maiuri 1958, p. 426.
10 Pollux, Onomastikon, VII, 36.
11 Wild 2002, p. 11: « A way to account for the paucity of loomweights in Britain would be to argue that the two-beam loom began to displace, but not fully replace, the warp-weight loom here by the second century. There is literacy authority for such a change in Italy. »
12 Sénèque, Lettres à Lucilius 90, 19.
13 Chaumartin 1988, p. 25.
14 Ovide, Métamorphoses, 6, 55-60.
15 Ovide, Métamorphoses, 6, 53-54
16 Johnson 1936, cat. 300, p. 475.
17 Picard-Schmitter 1965, pl. XXI, 3 ; Wild 1970, p. 69, fig. 59 ; d’Ambra 1993, p. 116-119, 123-125 et pl. 57-59, 74, 80.
18 Walton-Rogers 2001, p. 16.
19 Monteix 2010.
20 Bender-Jørgensen 1992, p. 130; Walton-Rogers 2001, p. 161.
21 Wild 1970, p. 49.
22 Hoffmann 1964, p. 200 et suiv; Wild 1970, p. 70.
23 Bender-Jørgensen 1992, p. 122.
24 Wild 1970, p. 71; Walton-Rogers 2001, p. 160.
25 Walton-Rogers 2001, p. 161.
26 Endrei 1968, p. 117.
27 Médard 2010; Broholm, Hald 1940; Schlabow 1976, …
28 Rast-Eicher 1992, p. 67.
29 Walton-Rogers 2001, p. 160.
30 Rast-Eicher 1992.
31 Hoffmann 1964 ; Endrei 1968, p. 117.
32 Ferdière 1984, p. 223
33 Daremberg, Saglio 1877-1919, « Textrinum », p. 166.
34 Voir par exemple le célèbre skyphos attique à figures rouges illustrant Pénélope en attente du retour d’Ulysse. Chiusi, ve siècle av. J.-C. (Furwängler, 1932, pl. 142).
35 Zanella 2017.
36 Avec la contribution de N. Monteix.
37 De Luca 1866, p. 68-70.
38 Ibid.
39 Mommsen 1881, p. 318.
40 Pernice 1890, p. 44-45.
41 Livre d’inventaire, nº 28, p. 337.
42 Wild 1988, p. 39.
43 Perraud 1971, p. 69.
44 Cheval 2011, p. 144-145.
45 Hoffmann 1964 ; Broudy 1979.
46 Chaumartin 1988 ; Posidonius cité par Sénèque.
47 Monteix 2010.
48 Fiorelli 1873, p. 169-172 ; en revanche 211 pesons en plomb sont mentionnés en p. 170.
49 Monteix 2010.
50 NSc, 1929, p. 402.
51 NSc, 1912, p. 217. Sur cet atelier, voir également Monteix 2011, p. 23-26.
52 Livre d’inventaire nº 28, p. 329.
53 NSc, 1932, p. 245.
54 Eschebach 1993, p. 55 ; Allison 2006.
55 CIL IV, 8380-8381, 8384 ; NSc., 1929, p. 467 et NSc., 1933, p. 310 ; Della Corte 1965, p. 301-302, 467 ; Eschebach 1993, p. 55.
56 Moeller 1969, p. 566 ; 1976, p. 39.
57 Livre d’inventaire n° 29, p. 329.
58 Livre d’inventaire n° 26, p. 51.
59 NSc, 1905, p. 97
60 Livre d’inventaire n° 22, p. 36.
61 NSc, 1898, p. 127.
62 NSc, 1906, p. 186.
63 NSc, 1906, fig. 1, p. 181.
64 Livre d’inventaire n° 31, p. 27-28.
65 Au fil du Nil. 2001 ; Auricchio 2001 ; livre d’inventaire n° 33, p. 119-122.
66 Hoffmann 1964, p. 64-67, 83-85.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les bois sacrés
Actes du Colloque International (Naples 1989)
Olivier de Cazanove et John Scheid (dir.)
1993
Énergie hydraulique et machines élévatrices d'eau dans l'Antiquité
Jean-Pierre Brun et Jean-Luc Fiches (dir.)
2007
Euboica
L'Eubea e la presenza euboica in Calcidica e in Occidente
Bruno D'Agostino et Michel Bats (dir.)
1998
La vannerie dans l'Antiquité romaine
Les ateliers de vanniers et les vanneries de Pompéi, Herculanum et Oplontis
Magali Cullin-Mingaud
2010
Le ravitaillement en blé de Rome et des centres urbains des début de la République jusqu'au Haut Empire
Centre Jean Bérard (dir.)
1994
Sanctuaires et sources
Les sources documentaires et leurs limites dans la description des lieux de culte
Olivier de Cazanove et John Scheid (dir.)
2003
Héra. Images, espaces, cultes
Actes du Colloque International du Centre de Recherches Archéologiques de l’Université de Lille III et de l’Association P.R.A.C. Lille, 29-30 novembre 1993
Juliette de La Genière (dir.)
1997
Colloque « Velia et les Phocéens en Occident ». La céramique exposée
Ginette Di Vita Évrard (dir.)
1971