1Cela a été un grand plaisir de retrouver ici une bonne partie des collègues et amis français et italiens qui, en 1981, participèrent au colloque de Naples sur les “bourgeoisies” municipales, et nous devons, pour cette intéressante et fort agréable rencontre, un grand remerciement à Mireille Cébeillac Gervasoni, à Pierre Cabanes, au C.N.R.S. et à l’Université de Clermont-Ferrand.

2Parmi les présents, beaucoup se connaissent depuis vingt ou vingt-cinq ans, et il est toujours instructif et stimulant pour eux de reprendre les uns avec les autres un dialogue qui dure depuis tant d’années. Il faut toutefois veiller à ce que de telles retrouvailles périodiques ne tournent pas à la réunion d’anciens combattants. Remercions vivement Mireille Cébeillac Gervasoni d’avoir introduit du sang neuf dans cette compagnie, d’avoir convié à parler une bonne demi-douzaine de plus jeunes chercheurs de grande qualité, qui ont apporté à la fois de la documentation et des points de vue nouveaux. Félicitons-la aussi d’avoir su, dans cette manifestation surtout franco-italienne, veiller à la représentation d’autres pays qui, comme chacun sait, possèdent, à des degrés divers, de brillantes traditions et de très grands spécialistes d’histoire ancienne et d’archéologie – le Danemark, la Grande-Bretagne, la Pologne.

3Cela dit, au moment de proposer quelques remarques de conclusion, tâche toujours délicate car elle suppose une constante attention et un esprit de synthèse que je crains de ne pas avoir, je souhaite à nouveau évoquer un ami très cher qui nous a tant manqué au cours de ces journées et auquel nous avons si souvent pensé les uns et les autres, Ettore Lepore. Que son art des conclusions, à juste titre depuis longtemps fameux, m’aide à établir les miennes, ou bien que la médiocrité de mon exposé, contrastant avec la valeur et le brio des siens, nous incite encore davantage à lui rendre hommage !

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4On ne pouvait pas espérer qu’au cours de la table ronde, fussent traités tous les problèmes touchant aux élites municipales de l’Italie romaine des Gracques à Néron et tous les aspects de leur vie en société. Il eût pu en résulter beaucoup de dispersion et de superficialité. Il ne faut donc pas trop regretter l’absence de certains champs ; mais il me paraît nécessaire de la relever, d’autant qu’elle est souvent révélatrice des tendances actuelles de la recherche, surtout en Italie et en France.

5Au début de mon article de 1973 sur la société pompéienne, j’écrivais que je souhaitais poser les problèmes relatifs « à la nature des groupes sociaux de Pompéi, à leurs rapports, à leur hiérarchie, à leur recrutement, et aux caractères, aux intérêts des minorités politico-sociales qui dirigent la cité » (Andreau 1973, 213). C’est précisément de tels problèmes qu’il a été le plus question au cours de la présente table ronde : activités économiques des élites, sur lesquelles le matériel archéologique et l’épigraphie de l’instrumentum fournissent sans cesse de nouveaux documents ; caractérisation des groupes sociaux et phénomènes de mobilité ; conséquences de la colonisation, qui, au moins dans une partie des cas, bouleverse le paysage social de la cité concernée ou même de toute la région ; dimensions sociales et économiques de la vie politique municipale. Bref, l’histoire économique et sociale, soit dans le cadre d’une cité (Ostie, Pompéi, Pouzzoles), soit dans le cadre d’une région : articulation de l’activité économique et des hiérarchies sociales ; implications sociales de la vie politique.

6Je me réjouis évidemment beaucoup de cette orientation, plutôt rare il y a vingt ans, infiniment plus répandue aujourd’hui et qui rejoint mes propres thèmes de recherche. D’un autre côté, il me semble que, dans cette table ronde, les thèmes institutionnels, religieux, culturels et artistiques ont été un petit peu sacrifiés – non pas certes par la volonté de son organisatrice, mais sans doute pour des raisons historiographiques qu’il serait trop long d’analyser ici.

7La documentation antique est, on le sait, massivement politique, religieuse, artistique, culturelle avant d’être économique. Et dans les informations économiques et sociales que nous parvenons à intercepter, les sources non économiques jouent un rôle de tout premier plan. Mon article de 1973 se fondait sur la recherche de P. Castrén (1975), qui portait avant tout sur les magistrats et l’ordo decurionum de Pompéi. Quoi qu’on pense du détail de ses conclusions et des miennes, l’histoire sociale et économique, dans une telle démarche, prenait forme par rapport aux hiérarchies politiques et se détachait pour ainsi dire sur le décor de fond de cette civilisation fortement “politique”. Est-il souhaitable de faire l’économie de tels détours ?

8Ainsi, les difficultés institutionnelles et politiques qu’a connues la colonie syllanienne de Pompéi au début de son histoire, difficultés dont nous entendons parler dans le Pro Sylla de Cicéron, sont le biais par lequel E. Lo Cascio esquisse une vision globale de la société pompéienne de cette époque. Nous reviendrons plus loin sur sa contribution ; bornons-nous à remarquer ici que dans ce cas, et surtout en ce qui concerne la terre, les conclusions sociales et même économiques, quelles qu’elles soient, découlent pour une bonne part de l’idée qu’on se fait de la colonisation, dans ses aspects les plus institutionnels. Il faut donc regretter que la vie politique municipale soit curieusement, en dehors de deux ou trois contributions, l’un des parents pauvres de cette table ronde. Il me semble par exemple qu’il eût été intéressant d’étudier les carrières municipales des chevaliers (et même de certains sénateurs), ainsi que les relations qu’ils entretenaient avec les élites municipales. Chr. Delplace est la seule qui en ait un peu parlé, pour le Picenum.

9Il est vrai que la politique et la vie institutionnelle des cités reparaît d’une autre manière dans les contributions relatives à l’évergétisme, en particulier celle de M. Chelotti sur l’Apulie et l’éblouissante contribution de M. Torelli. Celui-ci, à partir des évergésies de prêtresses de Paestum à l’extrême fin de la République et au début de l’Empire, met en lumière quelques-uns des ressorts essentiels de cette vie sociale municipale, en particulier en ce qui concerne les cultes et sanctuaires. Partout, nous possédons des noms de magistrats et de décurions, dont le pouvoir réel et la place exacte dans la hiérarchie ne sont d’ailleurs pas toujours très claires. Mais quand M. Torelli commente ces évergésies de Paestum, on perçoit admirablement à quel point telle ou telle lignée (surtout celle à laquelle appartient Mineia, et qui avait, il est vrai, accédé à l’ordre sénatorial) se révèle posséder, dans la colonie ou le municipe, un prestige et une influence exceptionnels. On saisit aussi que, dans ces cultes locaux, à l’époque augustéenne, l’influence culturelle, cultuelle et architecturale de Rome va de pair avec un goût perceptible de l’archaïsme et des particularismes locaux et régionaux. Enfin, M. Torelli, étudiant d’abord dans sa logique interne le fonctionnement du sanctuaire et le rôle qu’y ont joué les prêtresses, nous fait bien percevoir, dans la suite de son enquête, combien ce fonctionnement local, en quelque manière autonome, ne peut se comprendre sans la présence de Rome et des orientations idéologiques et institutionnelles de l’Empire augustéen. C’est une belle leçon d’histoire locale, à méditer pour toute autre enquête de ce type : la cohérence interne des procédures municipales n’est nullement sacrifiée à l’intervention des pouvoirs publics de Rome, et, à l’inverse, la cité (ici, la colonie de Paestum) n’apparaît en aucune façon comme une espèce d’îlot de vie locale idyllique isolé de l’extérieur. L’élite municipale, dans ses éléments les plus brillants, constitue un trait d’union particulièrement efficace entre le petit monde local et les exigences de l’Empereur et de ses collaborateurs.

10Quant aux domaines des représentations, de la culture et de l’art, ce sont d’autres parents pauvres de la table ronde, malgré la subtile communication de E. Dench – une intéressante réflexion sur la pensée commune en fait de construction de l’objet ethnographique. Elle a bien montré comment les Latins constituent l’Autre d’une façon spécifique qui n’est pas celle des Athéniens, comment les différences qu’ils lui attribuent varient au gré d’exigences idéologiques ou même simplement politiques, et comment cet Autre, parfois très proche, est susceptible, tôt ou tard, d’être totalement assimilé. Quant aux élites des autres cités d’Italie, qui nous intéressent ici, sa contribution amène à conclure que Rome, très tôt, leur a fait une place dans son imaginaire, par exemple par l’intermédiaire de ce qu’on y pensait des Sabins. Comme elle l’écrit, les Romains sont allés jusqu’à situer à l’extérieur des limites de leur cité une partie de ce qu’ils tenaient pour la “vraie” romanité. Dans un avenir proche, je lui suggérerais volontiers de compléter cette réflexion par une étude des représentations des différentes régions et cités d’Italie, envisagées comme elle l’a fait ici, à la fois dans la chronologie et en quelque sorte structuralement, les unes par rapport aux autres.

11Vers la fin des années 60, R. Bianchi Bandinelli et ses disciples ont puissamment renouvelé l’histoire de l’art romain en attirant l’attention sur certaines formes de l’art “municipal” italien1. Depuis, comme me le confirme F. Coarelli, la bibliographie sur ces formes d’art s’est considérablement accrue. Il est dommage que ce colloque ne leur ait pratiquement fait aucune place. Les œuvres dont parlent M. Verzár Bass et F. Fontana sont davantage l’expression des interventions culturelles de Rome dans les colonies d’Italie du Nord au début de leur existence que des spécificités culturelles des élites municipales. Elles montrent, c’est sûr, que, dès une haute époque, la Cisalpine ne méritait plus, du point de vue artistique, d’être tenue pour un monde provincial – ou, à tout le moins, que les aristocraties romaines et les colons eux-mêmes y diffusaient alors un art qui n’avait rien de provincial. On le saisirait sans doute mieux encore si, par ailleurs, il avait été davantage question de l’art municipal des cités de la péninsule. En se consacrant presque uniquement à des œuvres de collections isolées de leur contexte géographique et social, J.-Fr. Croz a malheureusement beaucoup réduit la portée de ses analyses stylistiques. Il faut le regretter, car l’expression artistique des élites locales est de toute première importance pour l’histoire sociale : elle permet de saisir comment ces élites se concevaient par rapport aux deux grands ordres privilégiés de la cité romaine et de l’Empire ; elle permet aussi d’entrevoir comment, dans leurs cités, elles se différenciaient culturellement du reste de la population.

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12Avant de passer aux points forts de la table ronde, ceux qui ont été le plus souvent évoqués et ont suscité le plus de discussions, insistons sur l’apport que va représenter sa publication : vue la richesse de la documentation qui y est rassemblée, le volume constituera un précieux instrument de travail. La plupart des contributions fournissent en effet de très utiles bilans prosopographiques, soit sur les élites municipales elles-mêmes, soit sur les manifestations évergétiques, soit parfois sur les sénateurs et chevaliers. Chr. Delplace, par exemple, présente sur le Picenum une mise au point inspirée de son livre, La Romanisation du Picenum, l’exemple d’Urbs Salvia, qui va être publié dans la collection de l’École Française de Rome. Pour l’Italie du Nord, G. Bandelli a fourni, lui aussi, beaucoup de documentation, et l’épigraphie des amphores apuliennes va être mieux connue grâce aux contributions de P. Palazzo et de M. Silvestrini. Quant aux fouilles de Frégelles, il est inutile de souligner l’importance de l’apport que constitue la communication de F. Coarelli.

13Les principaux points forts de la table ronde sont à mon avis au nombre de trois. Ils concernent : la mobilité sociale ; les continuités et ruptures dans l’histoire des cités, avec un accent mis sur les déductions de colonies et sur leurs conséquences ; les patrimoines et les intérêts économiques des élites.

14Le dernier de ces trois points, qui touche aux activités économiques et aux revenus des élites municipales, mais aussi, comme nous allons le voir, à ceux des sénateurs et chevaliers, est souvent revenu sur le tapis et a donné lieu à de très vifs échanges, auxquels j’ai moi-même pris part. C’est par lui que je terminerai ces conclusions.

15La mobilité sociale est aussi un thème fréquemment débattu, et plusieurs colloques lui ont été consacrés au cours des quinze dernières années, en particulier un colloque du GIREA à Lecce (1983)2 et un colloque encore inédit de l’Université de Strasbourg. La réalité de la mobilité, en direction des couches supérieures de la hiérarchie sociale, se constate en particulier à partir de la prosopographie des magistrats et des membres des Sénats, qu’il s’agisse de ceux de Rome ou de ceux des diverses cités, sans compter, en dehors de Rome, les “quasi-magistrats”, par exemple les Augustaux et sévirs Augustaux. Quel que soit le matériel disponible, on observe que certaines lignées se maintiennent très durablement, parfois plusieurs siècles, mais que ces lignées ne sont pas très nombreuses, et qu’à l’inverse, se produit autour d’elles un relatif renouvellement – sans compter les lignées qui disparaissent de l’aristocratie pour réémerger ensuite. Comme le remarque justement H. Mouritsen, pour les lignées dont les biens étaient relativement modestes, il n’était pas facile de se maintenir à flot plusieurs générations, surtout quand plusieurs enfants vivaient jusqu’à l’âge adulte, ce qui nécessitait un partage du patrimoine.

16Les grands bouleversements politiques au niveau de l’Empire peuvent être à l’origine d’un renouvellement plus ou moins brusque du personnel dirigeant des cités. Dans le Pro Cluentio, Cicéron nous permet d’entrevoir une situation de ce type à Larinum, à l’époque des guerres civiles entre Marius et Sylla. Et Chr. Delplace nous a parlé des nouvelles lignées qui émergent dans le Picenum au cours des guerres civiles du I^er siècle av. J.-C., pour se maintenir jusqu’au siècle suivant. Mais le renouvellement de l’élite n’est pas toujours lié aux grandes conjonctures de la politique romaine, loin de là. Dans tous les cas, on peut s’interroger sur le rapport entre ascension sociale et ascension politique, entre déclin social et déclin politique : si l’ascension politique implique toujours, dans le monde antique, une certaine ascension sociale, l’inverse n’est pas nécessairement vrai ; et d’autre part, il peut y avoir, me semble-t-il, déclin politique sans déclin social.

17Ce mélange de stabilité et de renouvellement a conduit H. Mouritsen à élaborer un schéma qu’il résume par l’expression « order and disorder ». L’accès aux magistratures de nouveaux notables, dont les familles vont d’ailleurs longtemps rester moins riches et plus fragiles que celles des vieilles lignées nobles, fait en quelque sorte partie du jeu, et n’est nullement l’expression d’une crise politique et sociale dans la cité. A Pompéi, par exemple, H. Mouritsen ne croit pas qu’au cours des dernières décennies de la vie de la cité, un plus grand nombre de fils d’affranchis ait accédé aux magistratures et au conseil des décurions. La nature de la documentation disponible nous incite à croire que davantage de fils d’affranchis sont devenus des notables sous Néron et Vespasien, mais ce n’est pas vrai ; à toutes les époques, il y a eu des fils d’affranchis, et, plus généralement, de nouveaux venus au sein de l’aristocratie municipale.

18Comme E. Lo Cascio, je suis intéressé et relativement convaincu par ce “modèle” de H. Mouritsen, aussi bien pour Rome que pour les cités d’Italie. Il y a vingt ans, en réaction contre certains excès des époques précédentes (et en particulier contre les trop fameux articles de M.L. Gordon (1927 et 1931), que je ne considère toujours pas comme une grande réussite), j’avais certainement accordé trop peu de place à l’ascension sociale et à cette relative ouverture structurelle des aristocraties d’époque romaine (Andreau 1973). Mais ce modèle Mouritsen n’est en contradiction ni avec l’idée que dans certaines cités ou à certaines époques, l’élite s’ouvrait encore plus ou au contraire se fermait davantage, ni avec l’existence de crises politiques plus aiguës, aboutissant à un renouvellement accéléré et parfois violent d’une partie de ses membres. On peut accepter le modèle Mouritsen et conclure, avec M. Cébeillac Gervasoni, que l’élite municipale d’Ostie, jusqu’au I^er siècle ap. J.-C., était particulièrement fermée. C’est une question de degrés.

19A mon avis, ce que dit Mouritsen n’empêche donc pas de conclure éventuellement, si la documentation fournit des éléments en ce sens, que, sous Néron et Vespasien, l’ordo de Pompéi s’est ouvert davantage qu’auparavant à des fils d’affranchis. Le règne de Néron et celui de Vespasien ont-ils été des époques de mobilité sociale accrue, à Pompéi et ailleurs ? Et, si oui, les bénéficiaires de ce mouvement d’ascension sociale ont-ils avant tout été des affranchis ? Ces questions se posent depuis longtemps. A. Łoś fournit sur Pompéi de sérieux indices, et son interprétation de l’évolution sociale de l’Italie romaine (aux dépens des ingénus pauvres) est très séduisante.

20Quant aux élites municipales de la Campanie dans son ensemble, Y. Perrin, en étudiant les origines des consuls néroniens, parvient indirectement à l’idée d’un important taux de renouvellement. En ce qui concerne le sénat, comme il en a pleinement conscience, son enquête renseigne autant, ou même plus, sur les règnes antérieurs à celui de Néron que sur celui de Néron lui-même, car le consulat est l’aboutissement d’un long mouvement d’ascension sociale, qui a au moins duré deux ou trois décennies.

21On voit que la Campanie, et en particulier Pompéi et Pouzzoles, continuent à être au centre de ces questions d’histoire sociale du I^er siècle ap. J.-C. Il faut se réjouir que les jeunes générations, celle de A. Łoś et celle de H. Mouritsen, reprennent le flambeau du “pompéianisme”, en affinant les questionnements, en inventant d’autres moyens de recherche, en trouvant d’autres angles d’attaque, en proposant de nouveaux schémas d’explication.

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22Le second point à être souvent revenu dans les contributions et la discussion touche aux permanences et aux ruptures. Toutefois, la notion de rupture, de discontinuité, n’a jamais débouché, au cours de cette table ronde, sur le problème de l’éventuelle crise économique et sociale de l’Italie impériale, et il faut, je crois, s’en réjouir, car, sur ce thème de la crise, tant de choses ont été dites qu’il eût été difficile de ne pas se répéter.

23C’est à partir du phénomène de la déduction de colonies, à la fin de la République et au premier siècle de l’Empire, que la continuité et le changement ont été surtout appréhendés et discutés. La colonisation, au sens romain du terme, est en effet une forte rupture, une « refondation ex novo des structures sociales », comme le dit M. Silvestrini – un « tremblement de terre social », selon le mot de F. Coarelli. J’apprécie ce mot d’autant plus qu’en rédigeant mon article sur les colons de Sylla (Andreau 1980b), je songeais au tremblement de terre de 62 ap. J.-C. et établissais dans mon esprit une sorte de parallélisme entre les deux phénomènes. Le tremblement de terre est un phénomène naturel, certes, mais qui, dès la première seconde, devient social, et qui engendre d’immédiates conséquences sociales et économiques, ensuite plus ou moins durables. Comme le tremblement de terre (mais bien sûr de façon différente !), la colonisation crée dans le monde romain, me semble-t-il, une cité spécifique, partiellement différente de celles qui l’entourent, au moins pendant un certain temps. Dans le cas de la colonisation, cette cité, me semble-t-il, est provisoirement plus égalitaire que la moyenne des autres. Par les bouleversements agraires qu’elle suppose le plus souvent (mais pas toujours : voir ce que dit à juste titre G. Camodeca sur la déduction augustéenne de Pouzzoles), elle a en tout cas des conséquences sociales de première grandeur. Cela n’empêche pas que les élites issues de la colonisation ressemblent par leurs patrimoines et leur genre de vie à celles qui les avaient précédées (ou, peut-être, finissent par leur ressembler après une période transitoire). C’est là, il est vrai, un élément de continuité, et l’on pourrait sûrement en trouver d’autres, mais il ne faut pas qu’ils fassent oublier le traumatisme que représente la colonisation, tant socialement que sur le plan politique.

24Les effets politiques de la colonisation ont été évoqués à propos de Venosa (par M. Silvestrini), du Picenum (Chr. Delplace), de Pouzzoles aussi (G. Camodeca), où il faut distinguer complètement la déduction augustéenne de celle de Néron. Mais c’est encore à Pompéi qu’on est revenus le plus massivement avec la recherche de E. Lo Cascio et de F. Zevi, qui, tous les deux, malgré des réserves apparentes, et avec des accents différents, ont, en fin de compte, bien souligné, et avec raison, les solutions de continuité introduites par la déduction syllanienne – l’un sur le plan institutionnel, l’autre sur le plan urbanistique, architectural et des arts décoratifs. Certes, essayant de montrer (et d’une manière assez efficace) que les anciens Pompéiens n’ont pas cessé d’être citoyens de la cité et pouvaient même accéder aux magistratures, E. Lo Cascio atténue dans une certaine mesure l’impression de rupture totale que pouvaient donner les conclusions de Castrén – mais ce n’est pas du tout au nom d’une historiographie de la continuité à tout prix, tant s’en faut. Sur ce point encore, cette Table ronde me semble marquée par une vision plus complexe des phénomènes – par une tentative partielle pour faire la part des ruptures et des permanences, pour les analyser précisément et les hiérarchiser.

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25The last, but not the least : nous en arrivons au point le plus souvent évoqué, et avec quelle ardeur ! Nous en arrivons au problème des intérêts économiques des élites.

26Pourquoi déchaîne-t-il à ce point les passions ? Les explications que j’entrevois ne paraissent pas tout à fait suffisantes. Et où se situent les divergences ? Des tables rondes comme celle-ci permettent, en confrontant les points de vue, de mieux les cerner, donc d’affiner les argumentations et d’éliminer certains faux problèmes qui empoisonnent le débat.

27La question se pose-t-elle de la même manière pour les sénateurs, les chevaliers et les aristocrates municipaux ? Doit-on penser, comme le faisait P. Veyne et comme je l’ai fait aussi3, que les élites municipales (ou du moins la partie de ces élites qui dirigeait les cités et était au sommet de la pyramide sociale) formaient, avec les sénateurs et les chevaliers, une classe sociale dominante unique, dont toutes les couches avaient des intérêts similaires ? Ou faut-il au contraire, comme par exemple Fr. Jacques, insister sur l’hétérogénéité de ces élites ? La question reste posée, et il n’est pas facile d’y répondre.

28La présente table ronde, même si, comme toujours, on n’y a touché, par la force des choses, qu’au “dessus du panier” des élites municipales, paraît fournir des arguments en faveur d’une partielle hétérogénéité – au moins pour les élites de quelques cités à vocation particulière. M. Cébeillac Gervasoni et F. Zevi insistent fortement sur le fait que l’aristocratie municipale d’Ostie, jusqu’à la fin du I^er siècle ap. J.-C., n’était nullement impliquée dans les affaires commerciales. G. Camodeca, au contraire, voit dans celle de Pouzzoles une élite affairiste. Pour les élites de ces deux cités, les indices disponibles portent donc à pencher vers l’hétérogénéité. De même, F. Coarelli conclut qu’au II^e siècle av. J.-C., les élites municipales de Frégelles, d’Aquinum et d’Arpinum exploitaient de grosses entreprises textiles. S’il en est ainsi (si les maisons concernées appartenaient bien à des notables, et dont le rôle ne se limitait pas à louer leurs immeubles à des entrepreneurs au moins partiellement indépendants), cela prouve que dans certaines cités spécifiques, les élites municipales étaient davantage commerciales ou manufacturières.

29La contribution de F. Coarelli est importante aussi en ce qui concerne la structure du secteur textile, surtout si les ateliers de Frégelles se consacraient à la filature et au tissage (et non point seulement à la première préparation de la laine brute). On admet en effet aujourd’hui qu’en Italie romaine, beaucoup de produits textiles et de vêtements faisaient l’objet d’un commerce, et le débat, pour ce secteur, a eu tendance à se déplacer vers les problèmes posés par la localisation des lieux de production. W. Jongman, un disciple de Finley, soutient que la laine était filée et tissée dans les lieux de consommation (les diverses villes, et notamment Rome), et qu’il n’y avait donc pas de grands centres de production (Jongman 1988, 155-186). Avant lui. J.-P. Morel avait montré que Tarente était un lieu de production de laine brute, mais non point un centre de transformation de la matière première textile, et W. Jongman s’est évidemment beaucoup appuyé sur son article (Morel 1978). Si l’on pratiquait la filature et le tissage dans les ateliers découverts à Frégelles, alors on tient là un démenti flagrant des thèses de W. Jongman.

30Et dans le reste des cités, que dire des intérêts économiques des élites ? Par certains textes littéraires surtout (le Pro Roscio Amerino, les Verrines, le Pro Cluentio, les correspondances de Cicéron et de Pline, etc.), nous atteignons une couche supérieure d’aristocrates municipaux dont les intérêts ressemblent fort à ceux des sénateurs et des chevaliers. Aussi le débat concerne-t-il à la fois cette couche et les deux ordres supérieurs – avec la nuance que les sénateurs étaient soumis, au moins en principe, à des limitations qui ne concernaient nullement les autres (pensons à la lex Claudia et aux adjudications des biens de l’Etat romain). Reste à savoir si ces limitations étaient en pratique relativement bien respectées ou non. Cela dépend sans doute des époques. Dans l’ensemble, j’ai moi-même tendance à insister sur l’existence de ces limitations, tandis que J. D’Arms (1981), F. Coarelli et J.-P. Morel soupçonnent davantage qu’on ne cessait de les enfreindre.

31Le problème des intérêts économiques des élites municipales est ainsi rendu très complexe et même confus par le fait que nous ignorons à quel point ils étaient en moyenne semblables à ceux des sénateurs et chevaliers, et à quel point ils en différaient. Les rares aristocrates municipaux sur lesquels nous ayons des renseignements précis sont, je l’ai dit, dans leurs patrimoines et leurs façons d’agir, très proches des sénateurs et chevaliers. Nous sommes toujours amenés à poser que l’ensemble des élites municipales leur ressemblait, mais sans aucune garantie que ce postulat soit justifié. Il risque d’être d’autant moins justifié que, comme y insistait Fr. Jacques, les ordres de décurions et les élites locales ne constituent, d’un bout à l’autre de l’Empire ou même de l’Occident romain, ni une classe sociale unique, ni même un unique ordre ramifié d’une cité à l’autre.

32Mais malgré cela, le débat dérive inévitablement vers les sénateurs et les chevaliers. Ceux d’entre eux dont nous possédons les œuvres, en particulier Cicéron, Sénèque et Pline le Jeune, parlent très peu d’intérêts commerciaux et manufacturiers, ou même pas du tout. Est-ce parce qu’il est inconvenant d’en parler ? Faut-il éviter de tenir compte de ce silence, et chercher la vérité au-delà de ce paravent idéologique ? Ou bien estimer que, s’ils n’en parlent pas, c’est qu’en fait leur patrimoine comprend peu d’intérêts de ce type ? F. Coarelli et J.-P. Morel (qui parle d’aller découvrir, derrière le « rideau des apparences », l’« ignominieuse vérité »...) sont favorables à la première des deux thèses, A. Tchernia et moi-même à la seconde. Refuser le témoignage des textes antiques sous prétexte qu’ils dissimuleraient la vérité me paraît plus que contestable. D’une façon générale, ces aristocrates donnaient d’ailleurs peu de détails sur la gestion de leur patrimoine. Certes, il n’est guère question d’artisanat dans les textes littéraires, mais l’exploitation des terres et l’élevage n’y occupent pas grande place non plus. On y parle des prêts d’argent aussi souvent que des terres, sans doute plus souvent même – et pourtant le prêt d’argent était moralement condamné. J’en conclus que les sénateurs et chevaliers prêtaient, certes, beaucoup d’argent et louaient des immeubles, mais qu’ils n’étaient pas souvent de vrais entrepreneurs du commerce et de la manufacture. Il arrivait qu’ils le fussent, mais selon moi pas souvent. C’est aussi ce que dit C. Domergue pour le secteur minier.

33Autre point de divergence : si un propriétaire exploitait un atelier et si un autre le donnait en location, la différence vaut-elle la peine d’être soulignée ? Ne tirent-ils pas l’un et l’autre des revenus de leur atelier ? Ce qui compte, n’est-ce pas l’argent, plutôt que le détail du rôle joué ? F. Coarelli a tendance à minimiser l’importance de la différence, A. Tchernia et moi au contraire à la souligner, comme je l’ai expliqué au cours de la discussion de la présente table ronde4.

34Mais l’indication de ces divergences ne doit pas occulter les points d’accord, qui ne sont nullement négligeables. Accord sur le fait que ces aristocrates avaient tous des patrimoines fonciers, et en même temps d’autres intérêts – certains de ces intérêts étant liés à la propriété rurale et d’autres non5. Accord pour dire que leurs âmes n’étaient pas nécessairement altruistes, qu’ils aimaient l’argent et tout ce qu’on peut acquérir avec de l’argent, qu’ils étaient soucieux de la bonne gestion de leur patrimoine, et que certains d’entre eux cherchaient même vivement à s’enrichir (les quaestuosi), soit pour mener plus grand train (les sumptuosi), soit pour accroître leur patrimoine, soit avec les deux objectifs à la fois. Accord sur l’énorme importance de leurs prélèvements financiers, dans la plupart des secteurs de l’économie.

35Tout le monde reconnaît que, si l’on trouve des objets de verre ou de métal, il a bien fallu les fabriquer. On peut discuter sur les quantités produites, qui ne sont évidemment pas connues, mais de toute façon, il y avait quelque part des ateliers. Il est maintenant indispensable d’aller au-delà de telles évidences. Le problème est de savoir où étaient les ateliers, s’ils étaient ou non concentrés, comment ils étaient organisés, qui les exploitait, qui les possédait. Où se trouvaient les ateliers ? Dans de grands centres de production (comme Capoue), ou dispersés dans tous les centres de consommation ? J.-P. Morel a insisté au cours de la table ronde sur le fait qu’à Pompéi il devait y avoir de nombreux ateliers (que les fouilles, d’ailleurs, n’ont jamais révélés...). Admettons qu’il ait raison : ce résultat plaiderait contre sa thèse, car, comme Pompéi n’était pas un grand centre connu de fabrication – ni pour le métal, ni pour le verre, ni pour la céramique – cela prouverait que les activités artisanales se situent au plus près de la consommation, dans de petites boutiques au cœur de chaque centre urbain.

36Tout le monde reconnaît en outre que les propriétaires fonciers, ou du moins les plus actifs d’entre eux, s’efforçaient de vendre ou de faire vendre les produits de leurs domaines. Mais faut-il assimiler cette commercialisation des produits de la terre à une pratique du commerce ? En principe, non, car sinon n’importe quel cultivateur actuel ou même antique devrait être tenu pour un commerçant : quel est l’exploitant agricole qui ne vend jamais rien ? Mais D. Manacorda, F. Coarelli et d’autres ont soutenu que ces propriétaires fonciers se chargeaient de l’acheminement des produits, qu’ils avaient des bateaux et connaissaient des réseaux de commerçants, si bien que leur activité ne se bornait pas à vendre du vin. Les indices disponibles d’une telle participation au commerce restent, à mon avis, assez faibles et n’autorisent pas à prétendre que ce serait, pour les sénateurs, le cas le plus fréquent. Mais pour les aristocrates municipaux, je serais sur ce point beaucoup plus en accord avec F. Coarelli. Certes, à cet égard, nous ne disposons guère pour eux d’informations dans la partie occidentale de l’Empire ; mais il y en a d’assez révélatrices en Orient (Pleket 1983). Les aristocrates municipaux étaient sans doute plus souvent des entrepreneurs du commerce et de la manufacture que les sénateurs ou même les chevaliers.

37Tout le monde reconnaît encore que les esclaves et les affranchis tenaient une grande place dans les activités économiques non agricoles, et qu’une partie d’entre eux étaient les intermédiaires grâce auxquels leurs maîtres et patrons intervenaient dans ces secteurs. Mais jouaient-ils le rôle d’entrepreneurs, ou bien se bornaient-ils, dans la plupart des cas, à représenter leur maître ou leur patron, qui restait le véritable patron de l’entreprise ? Là aussi, il y a débat ; et cette question, sur laquelle l’érudition et la réflexion ont heureusement fait des progrès ces dernières décennies, requiert désormais plus de finesse et de précision dans les notions employées et les interprétations6. Quand H. Mouritsen écrit, après J.E. Skydsgaard et bien d’autres, que les notables de Pompéi avaient des intérêts dans le commerce urbain, je ne refuse pas cette idée, mais à condition de savoir précisément ce qu’il entend par là. Veut-il dire que ces notables étaient à la fois des propriétaires fonciers et des commerçants de détail ? Ou bien s’agit-il seulement de locations d’immeubles ? Ou bien encore de prélèvements opérés sur les bénéfices du commerce, prélèvements dont l’importance et les modalités peuvent être partiellement connus grâce aux textes, notamment juridiques, sur le pécule, sur la préposition et sur les droits et devoirs des affranchis ?

38Sauf exception, ni le document archéologique (la maison pompéienne entourée de boutiques) ni l’onomastique (l’affranchi qui porte le même gentilice que son patron) ne nous informent sur les rapports d’affaires (en ce cas, les rapports qui unissent les boutiquiers au propriétaire de la maison). Ces rapports d’affaires, nous ne pouvons nous en faire une idée qu’à partir des textes – textes épigraphiques (épigraphie de l’instrumentum), littéraires ou juridiques, qui nous fournissent des modèles d’explication et des probabilités. L’onomastique des gentilices est un outil grossier, et particulièrement peu adapté à la détermination rigoureuse de ces rapports d’affaires.

39Dans le cas précis dont nous parlons (celui des boutiques de Pompéi), les textes disponibles interdisent de penser que les notables étaient des boutiquiers. Mais rien ne les empêchait de prélever, d’une manière ou d’une autre, une partie des bénéfices (par divers moyens, plus ou moins directs – les plus indirects de ces moyens étant par exemple la location d’immeubles, ou encore la part d’héritage que leur devaient, dans certains cas, leurs affranchis).

40Cette dernière remarque sur le droit de succession des affranchis prend d’autant plus d’importance si, comme le pense P. Weaver (1990), les affranchis latins juniens étaient beaucoup plus nombreux qu’on l’imagine souvent. Dans le présent volume, A. Łoś formule des objections contre les conséquences politiques que P. Weaver tire de ses analyses. Je ne m’attarde pas ici à ces aspects politiques de la question, sur lesquels la conclusion de A. Łoś me paraît logique et documentée. Mais sur le phénomène lui-même des Latins Juniens, sur l’ampleur de ce groupe juridique trop négligé dans la bibliographie récente, la recherche de P. Weaver est, sans nul doute, à la fois nouvelle et importante.

41Les différentes positions sur les intérêts économiques des élites sont liées à des interprétations divergentes de la documentation, en particulier en ce qui concerne l’épigraphie de l’instrumentum. Naguère, quant aux marques des briques et tuiles, M. Steinby (1978 et 1981) s’est opposée à T. Helen et à P. Setälä (Helen 1975 et Setälä 1977), la première insistait sur le rôle commercial et entrepreneurial des propriétaires fonciers, les deux autres sur l’existence d’adjudicataires privés, de fermiers, en sorte que les propriétaires de la terre et des bancs d’argile leur paraissaient n’être que des rentiers du sol. Au cours de cette table ronde, nous avons vu que Fr. Tassaux et A. Tchernia interprètent différemment certaines marques d’amphores et surtout de bouchons d’amphores ; l’interprétation de Fr. Tassaux accorde davantage au rôle commercial des propriétaires de terres que celle d’A. Tchernia.

42Il ne faut en tout cas pas oublier de distinguer les élites en place des personnalités en ascension, déjà riches, mais extérieures au milieu aristocratique proprement dit, et donc beaucoup moins soumises au style de vie aristocratique. A ce point de vue, l’exemple d’Aulus Umbricius Scaurus, de Pompéi, est important, car son activité de fabricant de garum paraît tout à fait contemporaine de sa carrière municipale. C’est, certes, comme le remarque A. Łoś, un exemple isolé dans la cité vésuvienne, mais il existe, et il faut en tenir compte.

43Il faudrait enfin distinguer les époques (du moins dans les rares cas où la documentation peut nous permettre de le faire).

44Autre aspect du problème : si les sénateurs, chevaliers et aristocrates municipaux étaient des entrepreneurs du commerce ou de la manufacture (ce dont je doute fortement, au moins pour les sénateurs et chevaliers), serait-ce là un signe de modernité de l’économie romaine ? Cela signifierait-il qu’elle était structurellement proche de transformations techniques et économiques comparables à celles qu’a connues l’Europe occidentale entre le XVII^e siècle et le début du XIX^e ? A l’inverse, si les aristocrates n’avaient pas de grands intérêts commerciaux, faut-il en conclure à l’archaïsme de l’économie antique ? A ces deux questions, la majeure partie des historiens de l’Antiquité donnent une réponse affirmative, réponse qui pourtant ne va pas de soi. Il n’est pas sûr du tout que l’hypothétique existence d’une unique oligarchie, participant à l’exploitation de tous les types d’entreprises, soit la marque d’un système économique particulièrement évolué et susceptible de nouvelles transformations. J’ai entrepris récemment sur ce thème des études comparatives, et aurai donc l’occasion d’y revenir plus longuement ailleurs.

45Quant aux intérêts économiques des élites, d’autres questions ont été abordées au cours de la table ronde, mais de manière passagère et sans insister. On a évoqué le problème des limites de l’élite : M. Cébeillac Gervasoni a avec raison mis en garde contre une tendance à l’ouvrir trop généreusement, comme certains anciens porte-parole de la “tradition pompéianiste”, qui, de proche en proche, finissaient par introduire dans l’élite la plupart des Pompéiens connus (Andreau 1973). On s’est interrogés aussi sur la place respective des patrimoines des élites locales et de ceux des sénateurs et chevaliers venus d’ailleurs : Fr. Tassaux a évoqué ce problème à propos de l’Istrie et M. Torelli à propos de l’Apulie. Mais ces thèmes intéressants n’ont pas disputé la première place au grand débat sur lequel j’ai jugé utile de revenir assez longuement dans ces conclusions.

46Pour l’intérêt des communications – pour les débats animés –, pour ce dialogue sans cesse poursuivi, certes, mais qui a plus étroitement prolongé celui de 1981 à Naples – pour toutes les informations scientifiques ainsi communiquées – et pour les amicales pauses-cafés, remercions encore une fois les organisateurs de la table ronde, et souhaitons que sa publication ait des effets bénéfiques sur les recherches relatives aux élites municipales de l’Italie antique.