1Les organisateurs de la table ronde avaient prévu que les discussions occuperaient un temps quasi équivalent à celui consacré aux relations ; en effet, des spécialistes majeurs des questions traitées étaient réunis, il fallait permettre des débats et confrontations sur des problèmes épineux. Dès le soir du 28 novembre, les discussions ont débuté avec vivacité. Dans un assez grand nombre de cas, les auteurs des rapports ont tenu compte, dans la rédaction finale de leurs textes, des remarques de leurs collègues. On ne retrouve dans cette chronique que les compléments aux rapports, des précisions et certains aspects litigieux pour lesquels les chercheurs n’ont pas rencontré un terrain d’entente.

228 novembre après-midi. Présidents : P. Cabanes et J.-L. Ferrary. Introduction aux travaux : J.-L. Ferrary. Rapports : G. Bandelli (supra, 13-30), M. Silvestrini-P. Palazzo (31-46 ; 47-53), M. Chelotti (55-69). Intervenants : G. Camodeca, M. Cébeillac-Gervasoni, F. Coarelli, F. Tassaux, M. Torelli, C.R Whittaker.

G. BANDELLI

3F. Tassaux apporte des informations complémentaires sur l’Istrie dont G. Bandelli n’a pu parler :

4« En complément à la communication de G. Bandelli, je voudrais souligner l’originalité de l’Istrie au sein de la Regio X.

5- Originalité par la relative abondance de sa documentation épigraphique. Ainsi la représentativité de l’épigraphie lapidaire devrait atteindre 1 % de la population (3 % pour l’aristocratie municipale), chiffre certes insuffisant pour parler ici de statistiques, mais permettant d’avoir des ordres de grandeur pour l’étude de la société et de son évolution.

6- Originalité par l’ascension économique et sociale extrêmement rapide de ses élites municipales, puisqu’en l’espace de trois générations (2^ème moitié I^er s. av. J.-C. /début I^er s. ap. J.-C.) certaines familles atteignent les sommets de l’aristocratie sénatoriale (LAECANI, PALPELLII).

7- En examinant les “bolli” d’amphores Dr. 6 B et de tuiles, on a l’impression ensuite que ces grandes familles, alliées à des membres de l’aristocratie sénatoriale, venues de l’Italie péninsulaire, ne laissent plus beaucoup de place aux membres des ordines decurionum de l’Istrie pour la production et l’exportation de l’huile de cette région.

8- Enfin, on peut se demander si les activités économiques des aristocraties municipales d’Apulie n’ont pas servi de modèle aux producteurs de l’huile istrienne dont la prospérité débute justement à l’époque augustéenne. Mais il s’agit alors d’une autre échelle, puisque, dans l’Adriatique et ses marges, personne ne peut se mesurer à des producteurs comme Laecanius Bassus (et ses 30 consignataires de Dr. 6 B) et Calvia Crispinilla (cette dernière ayant d’ailleurs également des propriétés dans les Pouilles) ».

9Gino Bandelli insiste sur l’indispensable prudence qu’il faut avoir face aux chiffres et aux statistiques avec le type de documentation dont on dispose. A la demande de M. Cébeillac-Gervasoni sur ses critères pour choisir parmi les évergètes ceux qui ont fait effectivement partie de l’élite politique, il reconnaît avoir eu des paramètres très larges ; il n’a pas fait de sélection dans cette documentation qui concerne des actes d’évergétisme.

M. SILVESTRINI

10M. Torelli émet quelques réserves à propos de Brindisi. Il doute que l’on puisse établir des rapports sûrs entre les fours retrouvés sur des praedia et des membres de l’élite ; il remarque les carences de la documentation et le manque de témoignage sur les relations entre la noblesse messapique, Brindisi et Délos. Il pense que c’est dans des causes externes qu’il faut chercher les motifs de la situation particulière des carences de l’oligarchie locale. M. Silvestrini acquiesce et souligne que, bien que la colonie de 244 ait été la seule déduite, l’élite est restée faible et ce, jusqu’à la fin du I^er siècle av. J.-C. Comme M. Torelli, elle suppose qu’une intervention extérieure massive a affaibli l’aristocratie et l’a empêchée de se forger des assises solides. M. Torelli rappelle que les inscriptions récemment retrouvées dans des grottes depuis Otrante jusqu’au Gargano représentent d’extraordinaires archives avec des noms messapiens et latins ; elles représentent une source documentaire inestimable pour l’onomastique et pour l’histoire sociale puisqu’il s’agit de témoignages de libération d’esclaves entre le II^e et le I^er siècle av. J.-C. De toutes façons, la Daunia a toujours été une terre de passage et Canosa un port de mer ! Intervient F. Coarelli : « I nomi come Visellius (che mi sembra certamente arpinate) e Betilienus (questo senza dubbio di Alatri) dimostrano la presenza ad alto livello di personaggi provenienti dal Lazio meridionale. Si aggiunge che Orestes Lentulorum, proprio per il tipico plurale, sembra uno schiavo (o un liberto) di Lentulus Crus e Lentulus Spinter, noti proprietari in porti come Minturnae (cf. Gianfrotta e il recente volume su Minturnae), indica la presenza di interessi senatorii nella zona. Il fenomeno di un’immigrazione di gentes del Lazio meridionale è noto per la Campania ma anche per Delo. Dietro di ciò non si può non riconoscere la presenza di forti moventi economici».

11G. Camodeca note ; « Alle famiglie dell’oligarchia venusina, per cui sia nota una continuità fra l’età augustea e il II secolo, aggiungerei, oltre i Salvii ricordati dalla Silvestrini, i Seppii Rufi, un cui membro è, certamente, il C. Seppius Rufus, noto nel 14-15 d.C. ».

1229 novembre. Matin. Présidente : M. Chelotti. Rapports : C. Delplace (71-79), M. Cébeillac-Gervasoni (83-89). G. Camodeca (91-110), E. Lo Cascio (111-123), F. Zevi (125-138), H. Mouritsen (139-144), A. Łoś (145-152). Intervenants : J. Andreau, F. Coarelli, G. Camodeca, C. Delplace, E. Lo Cascio, A. Łoś, H. Mouritsen, Y. Perrin, F. Tassaux.

C. DELPLACE

13F. Tassaux propose une hypothèse pour expliquer la présence de doubles timbres : « les timbres doubles sont, semble-t-il, relativement rares, surtout quand un même personnage est associé à des esclaves ou affranchis différents. Plutôt que de reconnaître dans ces derniers les potiers qui ont fabriqué les amphores, on pourrait y voir des régisseurs, villici, responsables d’“unités de production” et intéressés d’une manière ou d’une autre aux bénéfices, et se chargeant éventuellement de la commercialisation des produits ».

14A. Tchernia précise qu’il y a de nombreux doubles timbres. A son avis, les bouchons portent le timbre des commerçants car c’est le marchand qui vient pour faire remplir les amphores.

G. CAMODECA

15J. Andreau, G. Camodeca et M. Torelli ont une discussion triangulaire. J. Andreau précise sa pensée : « Tu as dit que la colonisation d’Auguste et celle de Néron, à Pouzzoles, n’avaient pas eu les mêmes caractères et les mêmes conséquences. Est-ce que ces différences résultent de situations différentes de la cité et de son environnement, à ces deux époques de son histoire ? Ou bien, comme tu l’as suggéré, sont-elles l’effet de la volonté imimpériale ? Si oui, peut-on préciser comment Néron est parvenu à procéder à Pouzzoles à une colonisation plus marquante, plus traumatisante, en quelque façon, qu’Auguste ?». G. Camodeca lui répond : « Non si deve dimenticare che l’istituzione di una colonia in età sillana oppure in età posteriore sono cose assai diverse. Si ricordi che Augusto stesso (cf. Res Gestae) si vanta di aver distribuito per le sue colonie terra che egli ha comprato !!! Augusto non aveva nessun interesse a sconvolgere la vita politica cittadina puteolana ma le istituzioni delle colonie (si nota la totale differenza con quella sillana di Pompei) ; rappresenta la possibilità per l’imperatore di ristrutturare l’urbanistica e l’organizzazione delle città in regiones e spettava al notevole ingrandimento del suo territorio (più di tre volte rispetto a quello della colonia repubblicana). Le colonie imperiali sono dunque diverse dalle colonie sillane o triumvirali. Esse sono per l’imperatore l’occasione di intervenire nelle realtà cittadine ; Nerone volle dotare la sua nuova colonia del 60 di un’urbanistica e di ordinamenti pubblici nuovi. Per questo scopo egli non sembrò avere avuto alcun rispetto per i rappresentanti di potere dell’oligarchia cittadina, al contrario di questo fece invece Augusto ».

E. LO CASCIO - F. ZEVI

16F. Coarelli fait remarquer que les déductions de colonies par Sylla ou Auguste signifient qu’on a installé les effectifs d’une légion de quatre mille hommes, soit douze mille personnes en plus. La population de Pompéi a au moins doublé ; il a donc fallu opérer une nouvelle division de la terre. Par ailleurs, selon lui, les cinq divisions de Pompéi correspondraient aux cinq pagi originaux urbanisés. F. Zevi et E. Lo Cascio lui répondent en faisant référence à un article de J. Andreau qui fournit, à ce propos, quelques précisions : « Mon article de 1980, “Mais où sont les vétérans de Sylla ?”, insistait indiscutablement sur la discontinuité qu’impliquait la déduction d’une colonie – sur les ruptures plutôt que sur les permanences. Il ne me semble pas possible de faire de mon article une prise de position en faveur de la continuité, comme vient de le faire Fausto Zevi dans son intervention ».

H. MOURITSEN

17E. Lo Cascio à partir des données que Mouritsen a utilisées dans son rapport fait un calcul rapide et propose quelques réflexions : « Volevo intervenire su quel che ha detto Mouritsen a proposito del problema del ricambio sociale, in quanto attestato dall’analisi dell’onomastica dei magistrati, e anche in rapporto a quanto è stato osservato da Łoś, anche se non affronterò specificamente la questione dell’ascesa sociale dei liberti, ma piuttosto quella, più generale, dell’ascesa di nuove famiglie. Ho ripreso i calcoli statistici del Mouritsen, basati sulla distinzione della documentazione disponibile in tre tranches cronologiche (v. la tabella a p. 113 del suo libro) : 80-30 a.C., 30 a.C.-40 d.C., 50-79 d.C. A me non sembra del tutto legittimo operare i confronti tra i tre periodi prendendo in considerazione anche i nomi dei candidati, nomi, vale a dire, che compaiono nella documentazione dei programmata, e dunque nel primo periodo di Mouritsen (dove sono concentrati, peraltro in un arco brevissimo di anni) e nel terzo (dove sono, parimenti, concentrati in un lasso di tempo forse anche più breve), ma non nel secondo periodo : mi pare cioè che l’inclusione dei candidati introduca un elemento di distorsione nel campione. Dunque ho preso in considerazione i soli magistrati. In più, ho scisso i dati relativi al periodo augusteo e della prima età imperiale (30 a.C.-40 d.C.), che è troppo lungo rispetto agli altri due e perciò rende il confronto meno significativo per studiare il tasso di ricambio : la cosa si può fare perché molte delle attestazioni del periodo sono datate e la stragrande maggioranza delle altre Mouritsen riesce a datarle in maniera convincente a prima o a dopo il 14 d.C. Ora, quel che si rileva è che la proporzione delle famiglie che risultano attestate in uno solo dei periodi risulta pressoché costante da un periodo all’altro ed è una percentuale alta, il 70 %. Una percentuale inferiore, ma non di molto (il 56 %), la rileviamo proprio là dove ce la dobbiamo aspettare, e cioè nel caso del periodo 14-40 d.C., che è più breve rispetto ai precedenti. Quanto all’ultimo periodo, l’elevatezza della percentuale delle famiglie rappresentate solo in esso, il 65 %, nonostante che il periodo in questione sia solo di trent’anni, si può bene spiegare tenendo presente che non ce n’è un altro successivo. La sostanziale costanza della percentuale delle famiglie attestate in un solo periodo non pare deporre a favore della tesi secondo la quale vi sarebbe stata una fase della storia della colonia che avrebbe assistito a un ricambio sociale accentuato, maggiore rispetto al passato (come pure si è in generale sostenuto, soprattutto per gli ultimi decenni della vita della città e in particolare per gli anni successivi al terremoto), anche se un simile calcolo non vale ad escludere una tale ipotesi. Né quest’ipotesi si può dire confermata dal calcolo, periodo per periodo, delle famiglie già di magistrati, delle famiglie, vale a dire, i cui esponenti sono già attestati fra i magistrati in periodi precedenti : questa cifra sale in effetti dal 9 %, al 26.3 %, al 34.7 % (dal II al IV periodo), ma un tale incremento si spiega assai bene come effetto del tempo.

18Da questo accentuato, e costante, ricambio deduciamo comunque l’esistenza di una mobilità sociale parimenti accentuata. E tuttavia si osserva che un minimo numero di famiglie appare attestato in tutti o quasi tutti i periodi. Queste famiglie devono aver rappresentato il livello più elevato dell’ordo e quello che attraverso rapporti ad esempio di patronato controlla l’accesso delle nuove famiglie nel consesso. Appare, a questo proposito, decisiva la testimonianza dei programmata : che il numero delle scritte (almeno nel caso dei programmata recentiora) sia assai maggiore per l’edilità e che l’analisi statistica dimostri Lassai maggiore concentrazione delle scritte nel caso delle “campagne” riferibili all’edilità sono fatti che rivelano come, appunto, le “campagne” per l’edilità fossero programmate e condotte con assai maggior cura, giacché esercitare l’edilità era il passo decisivo per l’ingresso nell’ordo. In questo genere di analisi statistica dei programmata rileverei, cioè, in qualche modo, una conferma dei ragionamenti svolti recentemente da Mouritsen e da Jongman, circa il carattere delle elezioni a Pompei – elezioni in qualche misura “controllate” dall’alto, dall’élite –, anche se ciò non potrà, a mio avviso, comunque metterne in discussione la serietà e la natura di competizione effettiva, “autentica”. Dopo tutto, l’esistenza stessa dei programmata difficilmente potrebbe giustificarsi (come mostra, peraltro, il tentativo a mio avviso non riuscito di Jongman di dimostrare il contrario), qualora non si attribuisse alle elezioni, e alla ricerca del consenso popolare che sta alla loro base, questo carattere di serietà e di autenticità ».

19H. Mouritsen lui répond : « I am not entirely convinced that the social and chronological distribution of the tombs in the Porta Nocera Necropolis should be taken as indicative of the emergence of a class of rich freedmen at the middle of the Irst cent. A.D. The material in itself is very limited. Morever, the fact that curial families erected only luxurious tombs after 50 demonstrates that this kind of ostentations expenditure might be influenced by changing fashions and habits. Such factors could also explain the increase of freedmen erecting costly tombs in this period. In this case too we should consider the possibility that an apparent development may be the reflection of a change in the composition of the sources and not in the social reality of ancient Pompeii ».

20Il poursuit ses remarques à propos des réflexions de A. Łoś sur Umbricius Scaurus : « In the discussion on Umbricius Scaurus, it should be noted that this tomb has been redated by V. Kockel. He argues convincingly for a date in the 40’ies a.D. In the other hand, the mosaic showing garum vessels with the name Scaurus has been dated by I.R. Curtis to the times of Tiberius. The implication is that the family was already producing garum when Scaurus held the duovirat and was honoured with an equestrian statue in the Forum. The real significance of the example of Umbricius Scaurus lies in my opinion in its demonstration of the fact that income derived from such activities represented no obstacle to local prominence ».

2129 novembre. Après-midi. Président : C.R. Whittaker.

2230 novembre. Matin. Président : M. Humbert. Rapports : M. Torelli (153-178), J.-P. Morel (181-198), F. Coarelli (199-205), A. Tchernia (207-211). Intervenants : J. Andreau. M. Cébeillac-Gervasoni, F. Coarelli, M. Humbert, M. Lemosse, E. Lo Cascio, A. Łoś, J.-P. Morel, A. Tchernia, M. Torelli, C.R. Whittaker, F. Zevi.

23Un débat extrêmement vif et animé se noue durant lequel c’est le plus souvent l’ensemble des rapports qui sont concernés et non un en particulier. En fait, ce sont deux conceptions de l’économie antique qui s’affrontent ; les rapports entre les sénateurs et le commerce et une appréhension contrastée du rôle de la classe sénatoriale dans les grands échanges méditerranéens amènent à des échanges houleux et parfois passionnés.

A. TCHERNIA

24Dans sa communication orale, A. Tchernia a présenté, sur les activités économiques des élites romaines, quelques remarques générales qu’il n’a pas maintenues dans le texte écrit du présent volume. S’appuyant sur ces remarques, avec lesquelles il se trouve en complet accord, J. Andreau intervient pour exposer très brièvement ses propres conclusions : « 1) Même s’ils ont des intérêts dans le commerce, les sénateurs et chevaliers ne sont jamais des commerçants. C’est une question d’éthique et de mentalités, mais c’est aussi une question de style de vie et d’activité. C’est une différence globale dans la façon de concevoir et de vivre l’activité économique, c’est-à-dire ce que j’ai appelé ailleurs une différence de “statut de travail”.

252) Dans les secteurs non-agricoles, les sénateurs et chevaliers, ainsi que les aristocrates municipaux, ont de gros intérêts, c’est indéniable. Mais les sénateurs, les chevaliers et les plus importants des aristocrates municipaux se livrent souvent, dans ces secteurs, à des interventions d’ordre financier (prêts d’argent, sociétés en commandite) plutôt qu’à l’exploitation directe qui n’est pas le cas le plus fréquent (mais je sais bien que ce cas peut se présenter).

263) Est-il important de distinguer les interventions d’ordre financier des cas d’exploitation directe ? A mon avis, oui. Toute la bibliographie d’histoire économique d’époque moderne, ainsi que la science économique classique, jusques et y compris Karl Marx (qui, en critiquant cette économie classique, a été aussi son dernier grand représentant), nous ont appris qu’il ne fallait pas assimiler la vente au profit. Les sénateurs et chevaliers romains, certes, ne faisaient pas cette distinction ; il me semble que ce n’est pas une raison suffisante pour que nous nous privions d’un tel outil d’analyse ».

J.-P. MOREL

27M. Lemosse remarque que « le rôle des élites dans l’activé industrielle est inévitablement mal connu, les entreprises étant le plus souvent constituées par des unités restreintes, menées par un affranchi, dont le patron fournit les capitaux et perçoit les bénéfices grâce notamment à un contrat de société accepté comme valable vers 116 a.C. et resté inconnu du public (contrairement au maître qui aurait une entreprise composée d’esclaves) ».

28J.-P. Morel remercie le professeur Lemosse pour ses remarques et reste sur ses positions par rapport à J. Andreau. M. Cébeillac-Gervasoni rappelle l’importance, bien connue, de la terre puisque pour être magistrat municipal à l’époque qui nous intéresse il fallait être propriétaire foncier. Elle cite pour mémoire le texte fameux du De Officiis de Cicéron : « Au sujet, maintenant, des métiers et des gains, sur la question de savoir ceux qu’il faut tenir pour vils, voici l’opinion généralement reçue... Le commerce, s’il est réduit, est à considérer comme vil, mais s’il est étendu et abondant, important de partout beaucoup de choses, approvisionnant sans fraude beaucoup de gens, il n’est à blâmer absolument, et même si ce commerce rassasié de gain et plutôt satisfait, s’est transporté, comme souvent, de la haute mer au port, du port lui-même en des possessions de terres, il semble que l’on peut à très juste titre le louer (42, 150-151) ».

29J.  Andreau complète, le 30 novembre au matin, ses propos de la veille, en réponse à J.-P. Morel : « A propos des intérêts économiques des sénateurs, chevaliers et aristocrates municipaux, je voudrais ajouter une ou deux remarques à ce que j’ai déjà dit hier.

30Sur beaucoup de points, je suis en plein accord avec ce que viennent de dire F. Coarelli et J.-P. Morel, dont les communications m’ont l’une et l’autre beaucoup plu. Je suis en particulier convaincu, comme eux, que les sénateurs et autres notables ne négligent ni la perspective de gains, ni l’entretien de leurs patrimoines ; pour tenir leur rang social, ils sont tenus à posséder une fortune solide, et ils en ont bien conscience. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils soient en mesure de se livrer à n’importe quelle activité rentable, ni qu’ils y soient disposés.

31Il faut d’autre part distinguer ce que fait l’homme riche pendant son ascension sociale, avant qu’il n’accède à l’aristocratie, et les activités auxquelles il se livre par la suite, quand il a pénétré dans l’aristocratie. La communication de Coarelli est d’autant plus instructive qu’elle concerne à la fois une famille d’aristocrates municipaux, et un chevalier, le père de Cicéron. Les intérêts dont parle Coarelli, c’était un chevalier, donc un membre d’un des deux grands ordres de la cité romaine qui les avait.

32Faut-il estimer que les aristocrates cachent volontairement, par une sorte de censure, leurs intérêts non-agricoles ? J’en suis beaucoup moins persuadé que J.-P. Morel. Quoique le prêt à intérêt soit moralement condamné, nous possédons à son propos des centaines de passages. A l’inverse, certains auteurs ne parlent guère de l’exploitation des terres, que pourtant la mentalité romaine tendait à valoriser. D’une manière générale, l’aristocrate se présente comme un homme public ; c’est de son rôle dans la cité qu’il parle, et non point de son univers familial et domestique ; il est rare qu’il donne beaucoup de détails sur la gestion de ses biens, du moins dans les textes écrits qui nous sont parvenus ».

33A. Łoś intervient à propos de la communication de J.-P. Morel, « avec qui, je suis en principe d’accord. Pourtant je pense qu’il y a des points à discuter dans son rapport. J’aimerais bien commencer par une petite remarque concernant Umbricius Scaurus. On traite souvent ce cas comme un exemple modèle d’entrepreneur indépendant des propriétaires fonciers. Il faut avouer que c’est un exemple excellent, mais isolé. Donc, c’est trop peu pour conclure que les notables municipaux tiraient une bonne partie de leurs revenus de l’“industrie”. Maintenant, je voudrais m’arrêter un peu sur le problème de la contribution des recherches archéologiques à notre connaissance de l’artisanat romain. J’envisagerai seulement la situation à Pompéi. F. Coarelli a souligné hier que, dans le cas de Pompéi, nous avons tout ce qui est nécessaire à une recherche exhaustive sur l’industrie.

34Jetons un coup d’œil sur cette documentation abondante. On interprète souvent les tabernae fouillées à Pompéi comme une preuve du développement de l’“industrie” dans la ville vésuvienne. Mais avant de tirer la conclusion définitive, il faudrait savoir ce qu’on vendait dans les tabernae. Bien sûr, on pouvait vendre des produits artisanaux, mais rien ne permet d’exclure des produits agricoles. Il faut souligner qu’on a fouillé jusqu’à maintenant à peu près 70 % du terrain urbain de Pompéi. Pourtant, on a découvert très peu de grands ou même moyens ateliers artisanaux. On peut compter parmi de tels ateliers l’officina ferrania Livi Marcelli (à noter un surnom aristocratique du propriétaire) et encore deux ou trois fullonicae. Et c’est tout. Tous les autres ateliers urbains découverts sont petits ou même très petits. Je pense donc que, pour l’instant, nous pouvons dire, avec une bonne dose de certitude, que les notables pompéiens avaient des intérêts plus sérieux seulement dans l’opus doliare, ce que M. Steinby a montré d’une façon convaincante il y a douze ans. Notons qu’il s’agit d’une activité liée étroitement à la production agricole. Je ne voudrais pas pourtant m’inscrire dans le cadre de l’“orthodoxie nouvelle”. Il serait donc convenable de mentionner les recherches récentes de Madame Scatozza Höricht sur les verres d’Herculanum. L’analyse attentive a amené ce chercheur à la conclusion qu’il existait une manufacture importante de verre sur le territoire de Pompéi. Cette hypothèse reste à confirmer. Peut-être les fouilles stratigraphiques effectuées par P. Arthur et S. De Caro au centre de Pompéi permettront-elles d’éclaircir la situation. Ces fouilles ont fourni une quantité remarquable de verres. Malheureusement, on attend toujours la publication. Pour conclure, je pense qu’en l’état actuel de recherche, nous ne pouvons ni exclure, ni confirmer, l’existence de l’activité artisanale importante qui aurait été indépendante du secteur agricole, sauf pour Umbricius Scaurus. En tout cas, il semble qu’on ne peut pas traiter toutes les villes de même façon. Certainement il y avait des différences remarquables entre des cités telles que Capoue, Frégelles, Pozzuoli, d’une part, et Herculanum, Naples impériale et peut-être Pompéi d’autre part ».

M. TORELLI

35F. Zevi souhaite que M. Torelli lui apporte quelques précisions : « Un complimento per la tua comunicazione così ricca e il mio intervento riguarda alcune questioni di dettaglio. La prima riguarda Aristosseno ; sono rimasto colpito dalla tua proposta di identificazione dei Tirreni (e naturalmente dei Latini) “costruttori” della grecità, con Etruschi dell’area a nord del Sele (di Pontecagnano per intenderci) incorporati nella colonia latina del 273 a.C. Mi chiedo tuttavia : la cronologia d’Aristosseno, per quanto ci è nota, ci consente questo riferimento alla colonia del 2° quarto del III secolo a.C. ? La seconda domanda riguarda l’edificio pubblico da Mineia a Paestum, che M. Torelli identifica con la basilica. Ora, conosciamo in questo periodo vari edifici eretti da personaggi femminili di particolare risalto nell’ambito della nobilitas municipale. L’esempio più noto, e altrettanto grandioso, è quello di Eumachia a Pompéi, connesso con il culto delia casa imperiale, e composto, come dice l’iscrizione, da crypta, chalcidicum, porticus. Per inciso, noto che, come mi ha fatto osservare Stefano De Caro, la pianta di un vasto edificio a corte, di età augustea, sul foro di Cuma, è del tutto simile a quello pompeiano e potrebbe aver adempito a funzioni analoghe. A Ostia, ugualmente nell’età augustea (6 d.C., come mostra un frammento di decreto dell’ordo, che ho potuto ricomporre anni fa, e che A. Licordari ha ritenuto opportuno pubblicare a suo nome, ma senza precisazioni) una Terentia A. f. costruisce una crypta e un chalcidicum « sua pecunia ». Vi sia una tipologia in cui si cementano, per così dire, le matrone della nobilitas municipale ? Il modello è urbano. È Augusto che consente a Roma le opere Octaviae ; soprattutto più tardi saranno le realizzazioni intestate a Livia. Ed è certamente a Livia, madre di Tiberio, che si rifà Eumachia, che erige il monumento pompeiano a nome suo e del figlio Numistrio Frontone e mi sembra che ciò coincide esattamente con il tempio (sarebbe così, se ho ben capito), che la stessa Mineia erige a Livia e Tiberio. Ora, mi sembra che l’iniziativa per cosi dire femminile sia indirizzata a certe determinate categorie monumentali tra le quali mi sembra sono comprese le basiliche, un tipo di edificio per eccellenza amministrativo e non direttamente celebrativo. La domanda che pongo è dunque se, date le circostanze dello sterro più che scavo del foro di Paestum e le incertezze sulla provenienza delle iscrizioni considerate, possa immaginarsi una pertinenza dell’evergetismo di Mineia ad altro edificio che non la basilica pestana, sia che l’edificio considerato sia altro che una basilica, sia, diversamente, che le iscrizioni stesse vadano rapportate ad un altro monumento ».

36M. Torelli prend la parole : « Ringrazio molto l’amico Zevi per l’attenzione per il mio discorso e per i suggerimenti offertimi per interpretare quei misteriosi strongylae. L’iscrizione ILP, n. 163/e proveniente come le altre dall’area del foro e la scoperta delle statue di togato velato all’interno della c.d. curia (ossia basilica) sono, credo, sufficienti a fugare ogni dubbio circa la pertinenza del complesso di iscrizioni (e statue) ad una basilica, che la moneta di Mineia chiaramente rappresenta (non può essere un altro edificio del foro) e che un’iscrizione di IV sec. d.C. ci dimostra essere usata ancora per scopi giudiziari, cosa confermata dalla presenza del tribunale semicircolare e dei velaria al centro dell’aula. Non dobbiamo inventare l’esistenza (non documentata) di un’altra vela nell’area forense con le stesse caratteristiche della “curia”-basilica solo perché non pensiamo di poter attribuire come atto “eccessivo” la costruzione di una basilica ad una donna, quando questa stessa doveva addirittura battere moneta.

37Il passo di Aristosseno non si riferisce alla solita opera di musica che egli cita molte altre volte (senza mai riferirne il titolo), ma ad un’altra opera, il Συµπoτικoῖς Λóγoις, che ritengo un apocrifo nato in cerchie neopitagoriche (che si rifacevano apposta al grande autore, modello politico e culturale di IV sec. a.C.), duramente colpite dalla conquista di Taranto, avvenuta l’anno dopo la fondazione della colonia di Paestum ».

3830 novembre. Après-midi. Président : Cl. Nicolet. Rapports : M. Verzár-Bass (215-225), F. Fontana (227-246), E. Dench (247-254), J.-F. Croz (255-262). Intervenants : G. Bandelli, F. Coarelli, S. Gély, Cl. Nicolet. Rapport de synthèse de J. Andreau (285-293).

M. VERZÁR-BASS - F. FONTANA

39G. Bandelli insiste sur l’aspect d’équilibre, à la fois géographique et historique, des influences qui se sont exercées sur le nord de l’Italie ; il espère qu’on parviendra dans les recherches à une réflexion qui saura tenir compte du contexte global dans lequel il faut replacer cette étude sur les modèles centro-italiques. Quant à la sculpture néo-attique dont ces deux relations ont présenté maints visages, on est frappé que, dans la seule Gaule Cisalpine, on possède une quantité considérable, vraiment énorme, de témoignages. Ceci, selon lui, va à l’encontre du mythe du provincialisme de la Gaule Cisalpine.

E. DENCH

40S. Gély soumet quelques remarques que le rapport de E. Dench lui a inspirées : « Il conviendrait de souligner ce que comporte de nostalgique et de négatif, chez Tacite (Annales, 3, 55 et 16, 5) la condamnation du luxe sous les Julio-Claudiens et, par opposition, ce qu’un retour effectif, sous l’impulsion de Vespasien – du sabin Vespasien – à l’antique parsimonia, jadis pronée par Caton, naguère vantée par Virgile (Aen., 8, 638 etc.), par Horace (Ep., 2, 1, 12 etc.) et par Tite-Live (1, 18, 4) présente de positif et même de prometteur. Ce qui, en effet, chez les courtisans et dans les milieux du pouvoir flavien, jusque chez les notables des municipes italiens ainsi que des provinces, peut prendre les traits d’une mode passagère, rencontre en Italie une idéologie, voire une mystique, anciennes, durables et fécondes. Les fragments du De Agricultura et des Origines de Caton, étudiés par Emma Dench, annoncent, bien manifestement, les développements ultérieurs (chez Varron notamment, non sans référence à l’ascétisme néo-pythagoricien) qui contribueront à étayer le “néo-sabinisme” de la fin du I^er siècle de notre ère en le fondant, parfois, sur une référence à Sparte par le jeu d’une éponymie légendaire : les Sabins “descendent” du lacédéomnien Sabos, fils de Semo Sancus : ainsi le dieu qui garantit les serments, le dieu de la Fides, relie la loyauté Sabine à la rigueur Spartiate. On pourrait rappeler, à ce propos, l’“étymologie” varronienne – puisque de pareilles fantaisies conditionnaient alors l’imaginaire, et, partant, les conduites – : Sabus - Σάβoς, ἀπò τoῦ σέβεσθάι (cf. Lucienne Deschamps in : Actes du Congrès de Rieti. 1983, sur Vespasien), autrement dit “Sabine” dérive de “piété”, et d’une piété qui repose sur la mystique, pythagoricienne, du nombre, puisque autrement le terme s’apparente au chiffre “sept” (cf. ibid.)... ce qui vient à l’appui de l’accent mis par Emma Dench, à l’endroit de l’“Italian Austerity”, sur les influences grecques via Tarente.

41Quant au thème de la communication, Monsieur Nicolet reconnaît l’intérêt, pour l’histoire sociale, que l’on peut trouver à étudier de semblables “stéréotypes” tout en soulignant la gêne causée par l’aspect “répétitif” qui les définit. Pareille répétitivité se trouve ici, toutefois, largement compensée, me semble-t-il, par le lien (dialectique et foncier) qui unit à l’Italiae felicitas la severitas et la parsimonia des Italiens authentiques – dont seraient exclus les Etrusques, à bien comprendre Tacite et le jugement qu’il porte sur Séjan, selon Emma Dench. A la charnière, précisément, entre l’époque julio-claudienne et l’époque flavienne, dans l’Histoire Naturelle de Pline, la condamnation du luxe né des excès de la conquête et de l’exploitation systématique du monde par les Romains s’accompagne d’une aspiration au retour de l’ancienne simplicité, qui trouve sa justification dans la fertilité italienne (NH, 23, 53 etc., 37, 77). Pline rejoint le Virgile des Géorgiques et son exaltation du mode de vie des antiques Sabins. Austérité et richesse, richesse dans la paupertas – qui n’est pas le dénuement : egestas –, dans une vie conforme à la nature et qui, par conséquent, ne refuse pas l’effort, le labor, mais sans s’y asservir. Même vertu et même bonheur mesuré, pour Horace, chez le Sabin et chez l’Apulien, qui, se conformant à cette discipline, connaissent l’“Aurea mediocritas” (Horace, Odes, 2, 10, 5). Il est vrai, comme l’a remarqué F. Coarelli, que l’Italia severitas et l’Italia felicitas peuvent n’être pas complémentaires : si l’on tient compte du caractère spécifique de certaines formes de l’ascétisme italien, marqué par des influences ésotériques soit à date ancienne, lors du développement des sectes pythagoriciennes et de l’orphisme, soit aux environs de notre ère sous l’influence des doctrines et des cultes nouveaux, ainsi que d’un “revival” de doctrines et de cultes anciens (voir notamment les travaux de R. Turcan à ce sujet).

42Dans la mesure toutefois, où, liée comme l’a montré Emma Dench au “sabinisme”, l’“Italian Austerity” se trouve par là même en rapport étroit avec les aspects rustiques de la civilisation italo-romaine, le thème ici traité conduisait à poser l’une des questions fondamentales pour l’étude des “élites municipales des Gracques à Néron” : dans quelle mesure y était présente, d’une part, et reconnue, d’autre part, la rusticitas, et quelle évolution s’il y a lieu, y peut-on remarquer, tant dans les aspects de cette rusticitas que dans ses liens avec l’Italia severitas ? ». E. Dench remercie S. Gély de ces propos auxquels elle souscrit.

43Y. Perrin propose, en annexe à l’ensemble des communications sur le thème “Aspects politiques, sociaux et économiques”, quelques remarques sur l’origine des consuls de l’époque de Néron (cf. supra, 265-273).

44Les travaux et discussions des deux jours et demi de table ronde, caractérisés par l’intensité des débats et la vivacité positive des propos, se terminent par une synthèse qu’élabore J. Andreau, fidèle auditeur et participant actif aux discussions. Il dresse le bilan des acquis et des lacunes de cette rencontre qui n’avait pas l’ambition de traiter de manière exhaustive les problèmes (cf. infra, 285-293).