Introduction

1La figure d’Honoré-Théodoric-Paul-Joseph d’Albert, duc de Luynes (1802-1867), est bien connue en France, et son activité aux multiples facettes, souvent caractérisée par un esprit novateur, suscite un intérêt toujours croissant (fig. 1)1. Des travaux récents ont étudié sa vie et l’ensemble de son œuvre, d’autres ont rappelé sa contribution active aux débuts de la photographie grâce au concours qu’il a institué2 ; enfin, ses recherches expérimentales sur la fabrication des céramiques, des bijoux et de l’acier, où se manifestait son approche positiviste de l’archéologie3, ont joui de l’attention qu’elles méritaient. Ses rapports avec Jean-Auguste-Dominique Ingres ont également retenu les chercheurs, en particulier la commande – jamais menée à son terme – des peintures de la salle d’Athéna pour le château de la famille Luynes à Dampierre (Dampierre-en-Yvelines, Île-de-France)4. Par ailleurs, dans une exposition qui a fait date, l’intégralité de sa collection a été présentée au public en 2013 par le département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France, conformément aux dispositions prévues par son propriétaire lors de la donation de 18625.

2Cependant, la plupart de ces travaux se sont concentrés sur une époque relativement tardive de la vie et de l’activité de Luynes, laissant dans l’ombre ses années de jeunesse et la période de ses premiers voyages en Italie – y compris ses recherches en Grande Grèce, qui font l’objet de la présente étude. Les sources contemporaines présentent d’ailleurs la même carence. Les biographies publiées à sa mort, en 1867, ne s’attardent guère sur les années de formation6, au cours desquelles ses travaux liés à la création du musée Charles X – inauguré en 1827 – et ses rapports avec la Société des Hyperboréens et l’Institut de correspondance archéologique fondé en 1829 ont pourtant joué un rôle capital. Cette situation peut s’expliquer : après la publication, en 1833, du volume dédié aux fouilles de Métaponte, Luynes s’est peu à peu tourné vers d’autres centres d’intérêt, notamment l’archéologie française et orientale, ainsi que la photographie. On comprend que ses contemporains aient surtout retenu l’impressionnante activité encyclopédique déployée dans la seconde partie de sa vie, dont témoignent sa correspondance7 et ses publications8.

3Les travaux de Luynes sur la Grande Grèce n’ont pas trouvé un meilleur écho dans la recherche italienne, où la connaissance de leur rôle demeure superficielle. D. Adamesteanu lui reconnaît le mérite d’avoir inauguré les fouilles de Métaponte – chose au demeurant contestable – et d’avoir fourni des informations importantes sur la topographie et sur l’histoire de la cité9. P. E. Arias, dans son histoire de la recherche archéologique à Locres10, le traite avec générosité et souligne l’intérêt de ses descriptions géographiques et topographiques, « malgré ses erreurs et sa naïveté ». Si, dans les études les plus récentes sur l’histoire de l’archéologie en Grande Grèce, Luynes n’est pas pris en compte11, d’autres ont tenu à le remettre en lumière, comme D. Mertens qui a justement montré son importance dans le domaine des études relatives à l’architecture12, ou comme G. Ceserani13.

4De fait, l’apport du duc de Luynes fut loin d’être négligeable. Il fit en 1825 et en 1828 deux voyages dans une région peu étudiée du royaume de Naples ; il entreprit des fouilles à Métaponte, et les objets qu’il en rapporta à Paris attirèrent l’attention sur des édifices d’ordre dorique de la colonie tout désignés pour nourrir le débat dont faisait l’objet la polychromie de l’architecture grecque. La décision même de publier le résultat de ses fouilles, dans la droite ligne des principes professés à cette époque par l’Institut de correspondance archéologique, contrastait nettement avec l’attitude qui prévalait alors dans ce domaine, où il fallut attendre la fin du xix^e siècle pour voir paraître des études sur la topographie, les monuments et les objets de la colonie achéenne ou, plus généralement, de l’Italie du Sud. La forme que prit cette publication, le choix significatif d’illustrer par la gravure les vestiges exhumés eurent d’ailleurs un retentissement tel que la méthodologie de l’ouvrage fut érigée en modèle14. Bien que sa contribution directe aux recherches concernant la Grande Grèce semble s’interrompre dans les années 1840, Luynes ne perdit pas le contact avec l’Italie méridionale et ceux qui s’y intéressaient15 ; il les finança à l’occasion, comme en témoignent le patronage qu’il accorda aux travaux de Jean-Louis-Alphonse Huillard-Bréholles – lesquels contribuèrent grandement à révéler les monuments normands et souabes des Pouilles et de la Basilicate16 – ou le soutien financier dont bénéficièrent les recherches de Carlo Bonucci dans le domaine de la préhistoire17.