1Honoré d’Albert, duc de Luynes (1802-1867), fait partie de ces personnalités de premier plan dont les contemporains, déjà, s’étonnaient que les mérites ne soient pas plus reconnus. Aujourd’hui son nom est bien connu des spécialistes de l’histoire de l’art et de l’archéologie : il évoque cette figure un peu austère du riche aristocrate amoureux du savoir et conscient de ses devoirs, ayant mis ses ressources et son temps au service de la connaissance du passé, et d’abord de l’antiquité classique. Pour cela, il a revêtu les habits du mécène, de l’historien et de l’historien de l’art, du collectionneur. D’Italie et de Grèce il s’est progressivement tourné vers l’Orient, tandis que les questions techniques l’ont toujours profondément intéressé. Il a cherché aussi bien à comprendre l’art des artisans du passé qu’à soutenir les nouvelles avancées de son temps, comme la photographie.

2Si tous ces aspects sont connus depuis longtemps, la vie et l’œuvre du duc de Luynes suscitent encore bien des interrogations, lui-même n’ayant pas veillé à la postérité de ses actions. Il est, de plus, généralement vu par le prisme français comme l’un des acteurs essentiels du monde des arts parisien, intimement lié à la fabuleuse collection archéologique et numismatique donnée à la Bibliothèque nationale en 1862, où elle forme toujours un des fleurons du Cabinet des médailles.

3Tout le mérite et l’originalité de cet ouvrage sont alors de rappeler l’importance des activités de jeunesse du duc de Luynes, trop souvent oubliées, et de redonner à lire la cohérence d’un parcours dont les chemins le ramènent inlassablement vers l’Italie de ses ancêtres. On comprend alors comment s’enchaînent son rôle de directeur-adjoint au musée Charles X à tout juste vingt-deux ans, puis celui de co-fondateur de l’Institut de correspondance archéologique à Rome cinq ans plus tard. Le jeune savant se révèle véritablement aventurier dans son exploration de la terra incognita que représentait encore la côte ionienne, puis pleinement archéologue dans ses fouilles à Métaponte, mais aussi à Locres. À chaque fois, son activité intellectuelle se double d’une générosité discrète qui l’amène à compléter des collections, aider les voyages et les recherches, pousser à obtenir des publications de qualité où les illustrations soient à la fois belles et justes. Ainsi sont réunies les conditions d’une vraie circulation des découvertes dans l’Europe savante.

4C’est donc tout cela, et plus encore, que révèle et met en perspective Francesca Silvestrelli dans cette étude. Elle connaît elle-même très bien cette Italie du Sud où elle fouille et où elle s’est spécialisée dans l’étude de la production des céramiques figurées de Métaponte. Avec une grande érudition, elle a tissé entre des indices parfois minces la trame du récit de ces années de formation où s’affirme une démarche méthodologique par bien des égards novatrice. Ce livre forme ainsi un portrait de jeunesse d’un de ses plus illustres prédécesseurs comme archéologue de la Magna Grecia.