1En 2009, à l’Ancienne Termez, l’une des cités majeures de la Bactriane grecque sur la rive nord de l’Amou Daria (Ouzbékistan), une nouvelle représentation de gigantomachie a été découverte2. Il s’agit d’un emblêma (aussi appelé « médaillon »), c’est-à-dire un moulage en plâtre d’un motif en bas-relief exécuté sur « des objets de tout genre, vases, boîtes de miroir, armes, pièces de harnachement et de parure, etc. Le but du mouleur était de prendre une empreinte de la décoration seule, sans doute pour en vendre des exemplaires comme modèles aux bronziers, argentiers et orfèvres de son temps »3. Des objets de ce type ont été trouvés dans l’ensemble du monde antique, de l’Inde à la Normandie, mais c’est ici le plus exotique de ceux connus à ce jour.

2Cet emblêma est un tirage positif sur un moule déjà ancien et fissuré, ce qui explique que de très fins bourrelets de plâtre courent indistinctement sur la surface du fond comme sur celle des formes en relief des protagonistes de la scène représentée. Il a été trouvé, cassé en trois morceaux principaux jointifs, lors de la fouille d'un dépotoir d’atelier de potier du I^er -II^e siècle. Malheureusement un long séjour dans la terre humide a provoqué une dégradation des bords de l’emblêma, en particulier à droite où visiblement manquent deux morceaux, si bien que, dans son état actuel, celui-ci a pris une forme hexagonale d’un diamètre maximal de vingt-deux centimètres4. En outre, l’humidité a aussi entraîné la perte de certaines parties de la représentation, comme tout le haut du corps d’un des personnages représentés et une main de chacun des deux autres, peut-être parce qu’elles étaient plus en relief. La face arrière de l’emblêma a été laissée brute.

3Ce qui subsiste de la scène est cependant relativement bien conservé et la lecture de celle-ci ne pose pas de réel problème. Il s’agit d’un combat en plein air et sur un sol rocheux, mettant en présence trois personnages masculins athlétiques, représentés de face et entièrement nus. Au centre, un combattant jeune doit lutter sur deux fronts : à sa gauche, il s’apprête à assommer un adversaire qui tente de lui échapper vers la droite de la scène, cependant qu’à gauche un anguipède ailé surgit de la terre et cherche à entraver le coup. Par son thème iconographique, par sa composition et par le remarquable traitement des formes, c’est incontestablement une production de haut niveau de l’art hellénistique en pleine Asie Centrale. Tel qu’il est et où il a été trouvé, ce médaillon présente donc un très grand intérêt.

4Dans un précédent article, nous avons tenté de replacer cet objet dans son contexte historico-géographique, celui d’une capitale régionale de la Bactriane grecque puis kouchane et avons cherché à dégager l’apport de cette présence pour notre connaissance de la civilisation hellénistique ou prékouchane dans cette région encore très mal connue des historiens5. Dans le présent recueil consacré au thème même de la gigantomachie, nous allons plutôt nous attacher à l’analyse de l’iconographie de ce médaillon, à sa composition et à son interprétation.

I. Analyse iconographique

5Au centre de la scène, le personnage principal, tête nue et visage imberbe, est entièrement préservé, à l’exception de sa main gauche qui a disparu. De son bras gauche tendu, il immobilise son adversaire et, de son bras droit, brandit un gourdin que l’on distingue nettement derrière sa tête. Ce bras porte une dépouille animale dont la tête est semblable à celle d’un loup ou d’un renard et dont on aperçoit une patte entre les jambes de notre combattant. Sous l’aisselle de ce personnage apparaît très distinctement une petite forme ovale bombée qu’on peut interpréter comme la poignée d’un bouclier pendu derrière son dos. Ses deux jambes prennent appui sur le sol, mais seule la droite fléchie, est entièrement visible alors que la gauche est en partie masquée par le corps de son adversaire.

6Ce personnage présente trois caractères qui pourraient conduire à l’identifier à Héraclès : c’est un combattant nu qui porte une dépouille animale et qui assomme son adversaire. Pourtant plusieurs aspects sont inusités, ce qui pourrait remettre en question cette identification. Nous y reviendrons plus loin.

7Son adversaire est dans une position déjetée en oblique vers notre droite. Sa jambe gauche est agenouillée sous lui alors que la droite, tendue dans le prolongement du buste, s’appuie sur le genou gauche du troisième personnage. Malheureusement, sa tête et tout le haut de son corps, bras compris, qui sont proches du bord droit du médaillon, se sont détachés du fond et ont disparu, ne laissant en place que sa silhouette. On devine ainsi qu’il levait le bras droit, sans doute pour se protéger du coup porté par le premier protagoniste. En revanche, on ne sait rien du geste de son bras gauche qui a totalement disparu avec la partie droite de l’emblêma.

8Le troisième personnage, de même taille que les deux précédents, porte barbe et cheveux longs. Il est dressé verticalement sur ses jambes puissantes légèrement écartées, à gauche du combattant central auquel il s’en prend et vers lequel tout son être est tendu. Son bras gauche levé est en partie masqué par son adversaire, mais on distingue sa main gauche qui tient ce qui ressemble aussi à un gourdin dont il se sert pour repousser par dessous le bras droit de son adversaire et l’empêcher d’assommer le combattant de droite. Il est serré contre la bordure de la scène et on distingue son avant-bras droit dont, malheureusement, la main qui devait tenir une pierre a disparu.

9Contrairement aux deux autres qui sont entièrement d’allure humaine, ce protagoniste donne à cette scène un caractère très particulier. On distingue, en effet, très clairement que sa cuisse gauche humaine se prolonge par un corps de serpent dont les volutes se distinguent nettement sur le sol rocheux et dont la tête vient mordre le mollet droit du personnage central. De sa jambe droite seule subsiste la cuisse et l’on ne peut déterminer si l’interruption de cette jambe est due à une cassure ou au fait qu’elle se trouve contre le rebord de la scène. De plus, ce protagoniste est ailé : le départ de son aile gauche est en partie visible au-dessus de son épaule gauche et l’extrémité de cette aile apparaît au-dessus de l’arme du personnage central. Nous avons donc affaire ici à un géant de la gigantomachie, une figure bien connue de l’iconographie grecque depuis l’époque archaïque jusqu’à l’époque romaine. Cela signifie donc que les deux autres combattants ne peuvent appartenir au monde des humains, que le personnage central est un dieu ou un demi-dieu et que son adversaire de droite est un allié de l’anguipède, donc un géant. Une telle conclusion appelle un certain nombre de questions auxquelles nous allons tenter de répondre.

II. Composition de la scène de gigantomachie

10L’état de dégradation dans lequel se trouve cet emblêma exige un réel effort pour en restituer l’apparence d’origine, en commençant par la forme de l’objet lui-même et le cadre de la scène figurée.

11Sur ce point, à droite, on l’a vu, une partie importante manque et, en bas, la limite du médaillon est rectiligne, parallèle à la surface du sol rocheux. En revanche, au-dessus de la tête du combattant central, nous disposons d’un indice précieux avec la présence d’une amorce de rebord du fond de forme courbe. Ceci nous a d’abord conduits à penser que la scène s’inscrivait, comme pratiquement tous les emblêmas, à l’intérieur d’une bordure circulaire en relief qui protégeait les personnages et autres éléments en volume de la scène représentée, ce que Hackin nommait « médaillon circulaire à bordure en relief »6. Mais on remarque alors qu’un deuxième fragment de ce cadre apparaît sur le côté gauche formant une amorce de bourrelet plutôt rectiligne contre lequel butent la tête et l’épaule de l’anguipède. Le cadre de la scène du combat n’était donc pas circulaire, mais adapté aux contours de celle-ci. Il n’est donc apparemment pas possible d’estimer l’ampleur des manques à droite et en bas de cette scène.

12D’autre part, l’absence de forme extérieure pour cet emblêma pose le problème de la position dans laquelle l’emblêma doit être regardé. C’est pourquoi nous avons cherché à en déterminer la verticale.

13Nous avons d’abord pensé que celle-ci pouvait nous être donnée par la peau animale qui pend sur le bras gauche du personnage central. En traçant une ligne le long du bord gauche de cette dépouille, on observe que celle-ci passe par plusieurs éléments du personnage central : l’extrémité du gourdin, l’aine, le sexe, la tête du serpent qui mord son mollet et l’extrémité de son pied droit qui, juste à cet endroit pose sur celui de son adversaire de droite. Cette verticale nous procurerait donc l’axe de symétrie de la scène et donc le lieu du centre de la composition. On fait alors passer un cercle ayant son centre sur cette verticale et sa circonférence à un centimètre environ du bourrelet courbe qui appartient au rebord supérieur de la scène. Cela nous conduit alors à tracer un cercle de 22 à 23 cm de diamètre dont le centre est exactement situé sur le sexe du personnage central de notre bas relief.

14Malheureusement, avec cette proposition, la surface rocheuse sur laquelle prennent appui les protagonistes du combat présente une pente de 45°, ce qui est inacceptable.

15Nous avons donc abandonné cette formule et, considérant que le combat se déroule non pas au flanc mais au sommet d’une montagne, avons considéré que c’est le sol rocheux sur lequel se tiennent les trois protagonistes qui nous donne l’horizontale de la scène. Ce parti n’est pas isolé et l’on peut évoquer ici un exemple tout proche : la phalère de Cybèle provenant de la ville hellénistique d’Aï Khanoum et publiée par P. Bernard. Sur ce disque d’argent de 25 cm de diamètre, le char de Cybèle tiré par deux lions avance dans un « cadre montagnard cher à la Mêter Oreia suggéré par un amoncellement de rochers couverts de fleurettes gravées qui occupe l’exergue inférieur du disque et forme un plan horizontal pour les éléments de la composition »7.

16Le dispositif est le même sur notre emblêma. À ceci près que :

• la surface rocheuse (et non l’exergue puisque rien n’y est inscrit) a une épaisseur d’un centimètre au maximum sur notre emblêma contre cinq centimètres sur le disque de Cybèle. On ignore si cette différence est due à une cassure du bord de notre emblêma ou si c’est une forme voulue ;
• au lieu des petites fleurs gravées sur le disque d’argent, la surface des rochers de l’emblêma porte quatre feuilles grasses et pointues semblables à des feuilles d’aloès.

17Ce sont là des différences anecdotiques car l’esprit de ces deux décors naturels est identique et l’on peut considérer que c’est bien la surface rocheuse qui constitue l’horizontale de notre gigantomachie. C’est là un trait particulier à ces deux représentations et c’est là aussi qu’on se souviendra que l’Ancienne Termez ne se situe qu’à quatre-vingts kilomètres au Nord d’Aï Khanoum.

18A partir de cette déduction on peut orienter correctement la scène de combat et établir que le premier et le troisième combattants doivent être vus en position verticale alors que le second est en position semi allongée vers la droite dans une attitude de vaincu comme nous le verrons plus bas.

19Peut-être aussi, peut-on considérer que, comme le disque de Cybèle, le médaillon était, non pas parfaitement circulaire, mais légèrement ovale, plus large que haut (24,6 x 23,1cm).

20Si on tient compte de toutes ces observations, cela nous permet de restituer l’apparence de notre gigantomachie, telle qu’on peut la voir en fig. 4. On peut ainsi évaluer l’importance des manques de la représentation, à droite et dessous, soit environ un cinquième de la surface totale, dont à peu près la moitié serait composée des rochers constituant le sol de la scène. Dans ces conditions, il nous paraît possible de tenter d’interpréter cette scène sans grand risque de manquer quelque chose d’important.

III. Identification de la scène et des personnages

21Le traitement de cette scène, avons nous dit, est caractéristique de l’art grec : la présence de personnages mythique à apparence humaine dans une représentation agonistique, la qualité de la composition en volume, le sens de la dramaturgie et la maîtrise de l’anatomie des corps, des proportions, des raccourcis appartiennent incontestablement au domaine de l’art grec d’époque classique ou hellénistique.

22Cet affrontement d’une divinité – ou semi-divinité – à forme humaine, d’un géant humanoïde et d’un autre géant barbu, aux cheveux longs et pourvu de grandes ailes d’oiseaux et de jambes serpentiformes, évoque immédiatement la gigantomachie de la mythologie grecque. Ce thème est récurrent dans la littérature grecque depuis l’Odyssée et la Théogonie d’Hésiode jusqu’au quatrième siècle de notre ère. On le trouve déjà fréquemment dans l’iconographie grecque d’époque archaïque, sur des vases à figures noires, puis à figures rouges, comme sur divers types de monuments d’époque classique et hellénistique, puis à l’époque romaine8.

Un épisode de la gigantomachie de Pergame ?

23Or la référence la plus célèbre aujourd’hui dans ce domaine, celle qui vient immédiatement à l’esprit depuis sa découverte en 1878, est l’extraordinaire frise ornant le soubassement du grand autel de Zeus à Pergame. Ce monument élevé sur ordre d’Eumène II et consacré par son frère Attale II (158-138 av. n. è.) était destiné à glorifier le triomphe des Attalides sur les Galates en exaltant le triomphe des Olympiens sur les géants, de l’ordre sur le désordre9. Un combat à mort impliquant la présence d’Héraclès, demi-dieu dont la participation au combat était la condition de la victoire des dieux, mais aussi père de Télèphe, l’ancêtre mythique de la dynastie attalide.

24Pourtant de nombreuses raisons s’opposent à l’idée que l’auteur de ce médaillon aurait cherché à reproduire la scène du combat d’Héraclès dans la gigantomachie de Pergame10.

25Sur la frise de Pergame où la position des figures des personnages est explicitement indiquée11, nous voyons Athèna saisir le géant Alkyoneus par les cheveux pour le frapper cependant que Gè, la mère des titans, surgit de la terre pour aider son plus jeune fils. Notre emblêma présente incontestablement des points communs avec cette scène à trois protagonistes : mêmes rôles, mêmes attitudes et, surtout, même composition en V, mais inversée, avec un personnage central de face, dominant et s’apprêtant à frapper à sa droite un adversaire dont le corps, une jambe tendue, l’autre repliée, traverse en écharpe toute la scène, cependant que, de l’autre côté du combattant central, un personnage sort de terre et cherche à protéger la victime.

26Mais ici s’arrête le parallèle et, par bien des aspects, ces deux représentations diffèrent. Tout d’abord, les personnages ne sont pas les mêmes :

• À la place de l’Athèna de Pergame, c’est une figure semblable à un Héraclès jeune qui occupe le centre de la composition de l’emblêma.
• Contrairement à la figure strictement humaine de Gè à Pergame, l’anguipède barbu du médaillon, possède des jambes serpentiformes et aussi des ailes.
• En revanche, le géant nommé “Alkyoneus”, dominé par Athèna, est, à peu près identique au protagoniste de droite de l’emblêma : même aspect humain nu, même position défensive étirée proche du sol. À Pergame il est représenté avec des ailes et c’était peut-être le cas du géant du médaillon12. Malheureusement, la perte de la partie gauche de cette représentation nous interdit de le savoir.

Le problème d’Héraclès

27La question se pose maintenant de savoir si on doit identifier le personnage central de notre emblêma avec Héraclès. La chose paraît difficile :

• Héraclès est généralement représenté à l’âge mûr, musculeux, barbu à la chevelure épaisse alors qu’ici nous avons affaire à un adolescent moins musclé que son adversaire anguipède, au visage imberbe et à la coiffure courte.
• La peau animale d’Héraclès est celle du lion de Némée, étouffé et écorché par le héros qui s’est fait un vêtement et une coiffure de sa dépouille. Ici, nous l’avons dit, il s’agit de la peau d’un carnassier plus modeste, loup ou même renard, nettement moins glorieux.
• L’arme que brandit le personnage au-dessus de sa tête est loin d’apparaître comme une massue avec laquelle Héraclès est généralement représenté, au moins à l’époque romaine, mais un simple gourdin cylindrique de modestes dimensions (de même que celui utilisé par l’anguipède).
• Enfin, si l’on se réfère à l’Héraclès de la gigantomachie, on se rappellera que, dans la tradition généralement acceptée de tous, cet Héraclès est archer et c’est avec ses flèches qu’il tue les géants et donne ainsi la victoire aux dieux Olympiens. Or ici, l’arc est absent alors qu’en plus de la massue, on voit apparaître ce qui semble être le brassard (porpax) d’un bouclier.

28La présence de ce probable bouclier n’est peut-être pas si étrange qu’il y paraît. À ce propos, Vian évoque un passage de l’Héraclès d’Euripide où Amphytrion s’exclame en parlant d’Héraclès « C’est mon fils, mon fils tant éprouvé, qui pour prendre part au combat où périrent les Géants, se rendit avec les dieux dans la plaine de Phlégra (péninsule de Pallène), armé du bouclier »13.

29Toutes ces contradictions avec l’image généralement reconnue d’Héraclès doivent-elles remettre en question notre identification de la scène de l’emblêma avec une gigantomachie ? Peut-être pas si l’on considère le contexte dans lequel ces deux représentations ont été réalisées.

30À Pergame, nous avons affaire à une scène emphatique qui frappe les esprits par l’extraordinaire sens du mouvement dynamique, des attitudes pathétiques et des oppositions violentes. Le talent des sculpteurs a su rendre l’atmosphère de cet affrontement général et violent, par l’ampleur de la composition, par une connaissance anatomique remarquable et par l’extraordinaire qualité de sa réalisation traitée en haut relief hardi, jouant sur les contrastes d’ombre et de lumière et mettant en valeur la virtuosité des sculpteurs. Nous sommes ici au début du II^e siècle, trois siècles après les Panathénées, dans le bouillonnement de la brillante civilisation dont les capitales sont Alexandrie, Antioche et Pergame.

31Sur le médaillon, en revanche, la composition et le traitement des formes sont beaucoup plus maîtrisés. La plastique des corps des combattants est moins emphatique, les musculatures moins mises en relief. Le visage et le corps d’Héraclès sont juvéniles et contrastent avec la majesté du beau vieillard qui tente de le maîtriser. L’aile de l’anguipède est moins fouillée sur le médaillon.

32Dernier détail iconographique, sur l’autel de Pergame, les serpents qui prolongent les jambes du géant qui combat à gauche d’Alkyoneus sont couverts d’écailles très clairement visibles alors que, sur le médaillon, le dos des serpents est lisse, comme dans le groupe du Laocoon, et leur ventre est fait d’anneaux que l’on peut suivre jusque sous les cuisses de l’anguipède. De plus, sur le médaillon, ces serpents portent des sortes de nageoires en forme de palmettes, ce qui n’existe pas à Pergame.

33Il n’y a donc vraiment pas de raison pour placer le médaillon dans l’héritage du grand autel de Pergame.

34Quant à identifier le personnage de droite, en position de vaincu, nous disposons de trop peu d’éléments pour pouvoir avancer des propositions crédibles.

Conclusion

35Le médaillon de l’Ancienne Termez ne peut donc être la copie du morceau manquant de la gigantomachie de Pergame même s’il présente avec celle-ci plusieurs points communs sur le plan de la composition. Il est sans doute inspiré par une autre gigantomachie dont les représentations étaient très fréquentes dans le monde grec. Ainsi, dans le décor architectural, la première représentation connue d’une gigantomachie se trouve au fronton du temple d’Artémis à Corfou. On trouve ensuite de telles représentations en Sicile, puis, au V^e-IV^e s., on le voit à Delphes, à Argos ou en Attique (dont les métopes du Parthénon où figure une scène à trois personnages, dont Héraclès)14.

36Mais peut-être faut-il renoncer à trouver un modèle monumental pour la création du moule de notre médaillon et revenir vers d’autres séries de productions artistiques, plus proche du médaillon lui-même, c’est-à-dire des objets d’orfèvrerie dont nous savons qu’ils voyageaient beaucoup et qui étaient souvent copiés.

37Dans sa première publication sur les gigantomachies figurées, Vian publie un grand nombre de représentations, variées et sur des supports très divers, d’affrontements entre dieux et géants15.

38En fait, ce sont deux dos de miroirs grecs attribués à un atelier corinthien et datés des environs de 375 av. n. è. qui attirent notre attention. Ces objets, exposés au Museum of Fine Arts de Boston, représentent chacun un dieu (Dionysos ou Artémis ( ?)) à gauche, brandissant au-dessus de sa tête une arme pour en frapper un géant d’allure humaine fortement tendu à droite. Il n’est pas impossible que le modèle du moule du médaillon de Termez trouve ici son origine. Ce thème du combat dieu/géant était très populaire pour orner des objets précieux circulaires. Les toreutes qui fabriquaient ces objets n’avaient nul besoin de se déplacer pour s’inspirer de représentations monumentales. Ils se servaient de modèles que l’on retrouve dans l’ensemble du monde grec et adaptaient les images au support et au goût de la clientèle.

39Il nous paraît donc très probable que l’auteur du médaillon de l’Ancienne Termez ne s’est pas inspiré de la gigantomachie de Pergame car, visiblement, il ne la connaissait pas. Sans doute parce que celle-ci n’existait pas encore puisque, on l’a vu, le style de notre médaillon est moins exubérant que celui de Pergame, donc probablement plus ancien. En outre, la personnalité d’Héraclès jeune, porteur d’un bouclier et d’une peau animale qui n’est pas encore une léontè et qui se bat sans son arc pourrait bien être le reflet d’une tradition différente de la gigantomachie de Pergame, une tradition dont, on l’a vu, Euripide se serait fait l’écho.

40On touche ici du doigt le caractère multiple, fécond et disons foisonnant16 de la religion grecque où, selon les endroits ou selon l’époque, le même mythe prenait une forme particulière avant que celui-ci ne soit codifié par des collèges d’aèdes, sur l’injonction de Pisistrate ou par le prestige d’une réalisation qui impose une image, comme la grande frise de l’autel de Pergame. Mais on reconnaît aussi, le caractère particulier de l’hellénisme bactrien, périphérique par rapport aux grands centres de civilisation du monde hellénistique méditerranéen, puis coupé de ceux-ci par l’occupation parthe de l’Iran et de la Mésopotamie et donc plus conservateur.