1Sans tenir compte des cultes publics célébrés dans les différents temples, nous constatons que la religion tient une grande place dans une cité comme Pompéi : tous les jours, les habitants, du plus humble au plus riche, côtoient diverses divinités, au sein de leur maison, dans les boutiques, dans l’atrium du patron auquel ils viennent rendre hommage993, dans les rues sur les peintures de façades et les autels disséminés dans la ville, sans oublier la participation aux cultes dans le cadre des diverses associations. Une omniprésence incontestable qui tient plus que de l’habitude, dans la mesure où des propriétaires ont restauré, avant toute autre chose, les laraires détruits ou endommagés par le tremblement de terre de 62 après J.-C., ou de l’ostentation, puisque des laraires contiennent d’anciennes statuettes de facture grossière et d’autres plus récentes et plus belles. Les Pompéiens paraissent avoir été très attachés à leurs dieux dans la mesure où quelques-uns d’entre eux ont emporté dans leur fuite leurs Lares et leurs Pénates.

2L’étude des pratiques religieuses des Pompéiens démontre la permanence des cultes domestiques, locaux, et des rites, parfois très anciens, que nous aurions pu croire oubliés. Que ce soit au sein de la maison, dans le cadre du uicus ou des associations, ces pratiques se manifestent par un grand attachement aux dieux et coutumes religieuses. La maison reste le lieu privilégié de la pratique cultuelle romaine, quelle que soit la localisation géographique. Avant d’honorer les dieux dans les temples publics, le pater familias s’acquitte de ses devoirs envers ceux de sa famille.

3En dehors de quelques divinités locales, propres à chaque cité, il ne semble pas que Pompéi se soit singularisée par ses cultes : les divinités du panthéon gréco-romain prédominent, même si la triade capitoline n’est guère présente dans les laraires, et nous les rencontrons à la même époque dans d’autres régions de l’empire. Néanmoins, Annie Dubourdieu constate que les renseignements que nous donnent les laraires de Pompéi sont limités à la fois dans l’espace avec, parmi les Pénates, le rôle important de deux divinités locales, Vénus Pompeiana et Sarnus, et dans le temps, puisque les laraires les mieux préservés couvrent une période allant du I^er siècle avant J.-C. à 79 après J.-C. : ainsi la religion domestique nous est très mal connue pour les IV-II^e siècles avant J.-C.994. Il est certain que, même si nous pouvons considérer Pompéi comme un modèle, nous devons émettre quelques sérieuses réserves. En effet, la limite imposée dans le temps par la destruction de Pompéi fait que nous ne trouvons aucune trace du culte de Mithra, lequel s’est développé plus tardivement, comme à Ostie où il est très présent. De même, dans l’état actuel des fouilles, nous ne pouvons pas prouver que le Christianisme a fait des adeptes à Pompéi.

4Les peintures de laraires confirment et complètent les textes des auteurs anciens sur les offrandes et sacrifices aux divinités du foyer ; cependant nous ignorons si ceux-ci étaient les mêmes pour les autres divinités que pour le Génie et les Lares. Nous n’avons pas conservé de témoignage concernant les cérémonies familiales à Pompéi : en l’absence de documents, nous pouvons penser que les rites du mariage, de la prise de la toge virile et les autres fêtes se déroulaient de la même façon qu’à Rome. De même, si nous sommes renseignés sur les usages funéraires, nous ignorons le déroulement des funérailles. L’incinération semble être plus courante que l’inhumation, bien que cette dernière se rencontre dans les différentes nécropoles pompéiennes. L’évolution chronologique a certainement joué un rôle plus important que le rang social du défunt. Les laraires nous informent essentiellement sur le rituel quotidien, laissant dans l’ombre les autres événements de la vie familiale. L’épigraphie nous apporte parfois un complément, mais elle ne nous permet pas de reconstituer les attitudes religieuses de toute une familia. Nous savons, par les textes des auteurs anciens, les inscriptions épigraphiques, les peintures de laraires, que les Pompéiens comme les Romains avaient encore, au I^er siècle après J.-C., un comportement religieux. Mais qu’en est-il de leurs sentiments religieux, qui vont bien au-delà de l’observance des rites ? Dans ce domaine, nos investigations ne peuvent aller très loin.

5Nous avons pu néanmoins distinguer, dans plusieurs cas, cultes et lieux de cultes des quartiers aristocratiques et des quartiers serviles au sein de la maison. Le culte des Pénates est réservé au maître ; aux esclaves revient celui des Lares et du Genius du pater familias. Cependant, cette division des cultes doit être nuancée : si nous pouvons concevoir, à la rigueur, que le culte des Lares soit quelque peu tombé en désuétude auprès des membres de la famille du maître de maison, pour n’être plus réservé qu’aux serviteurs, ce qui est plus que douteux vu le grand nombre de statuettes souvent de très belle facture découvertes dans les maisons, le culte du Génie nous paraît être, quant à lui, un culte réunissant l’ensemble de la familia ; et ce n’est pas parce que les peintures représentant ce dernier se trouvent essentiellement dans les cuisines que serviteurs et famille du maître ne se réunissent pas pour le célébrer. Peut-être le culte quotidien était-il assuré, dans les grandes demeures, d’un côté par les serviteurs dans la cuisine et, de l’autre, par le maître dans l’atrium ou le péristyle, mais les fêtes devaient réunir la totalité de la familia.

6D’une façon générale, les esclaves suivent le modèle patronal, ce qui ne les empêche pas d’avoir leurs propres cultes, bien que, dans l’ensemble, il ne semble pas y avoir de divinités propres à telle ou telle catégorie sociale. En revanche, certaines d’entre elles sont plus étroitement liées au commerce et à l’artisanat995. Les serviteurs sont chargés des formes conventionnelles du culte, comme les dédicaces, jugées indispensables au bon fonctionnement de l’ensemble de la domus. Les serviteurs occupent une place cultuelle à part qui se manifeste par l’apparence et le contenu des laraires bien distingués de ceux du maître. Les peintures de laraires des quartiers serviles sont pour les serviteurs une copie de la chapelle du maître où il honore les statuettes des divinités. Les graffiti formulant des vœux et remerciements retrouvés près du laraire de la cuisine imitent les dédicaces faites par le maître dans le quartier aristocratique. L’épigraphie apporte un précieux complément sur la piété : c’est ainsi que des inscriptions nous suggèrent l’existence de communautés cultuelles d’esclaves et d’affranchis qui se sont constituées dans les demeures importantes. En fait, les peintures de laraires servent à mettre l’accent sur les différences de statut, tout en étant un moyen de s’assurer de la loyauté des serviteurs vis-à-vis du maître et de sa maison996. Quant au commanditaire des peintures, s’il semble évident que c’est le maître qui décide du choix des divinités dans les maisons de petite et moyenne taille, nous pouvons penser que les esclaves des vastes demeures disposaient d’une plus grande liberté, surtout lorsque le maître, possédant plusieurs propriétés, n’était pas constamment présent. Si ce dernier avait donné des instructions pour la réalisation du premier laraire, sa réfection avait pu être prise en charge par un intendant d’origine servile ou non. Néanmoins, lorsque le maître est présent, c’est lui qui prend en charge l’ensemble du culte domestique.

7Au sein de la maison, il n’est pas toujours aisé d’apprécier le degré de “religiosité” des habitants. Beaucoup de graffiti et de dédicaces relèvent de la spontanéité : dans les grandes demeures, la plupart sont dus à la familia, esclaves et affranchis, et non aux propriétaires eux-mêmes. Dans les maisons plus humbles et les boutiques, elles sont le fait de catégories sociales inférieures, bien qu’alphabétisées.

8Il est plus difficile de cerner la conduite des catégories supérieures, car celle-ci, moins spontanée, se manifeste surtout par des dédicaces dans les temples et des dons aux sanctuaires. N’en concluons pas pour autant que les humbles sont plus attachés au culte domestique que les plus aisés. Néanmoins, nous constatons que ces derniers cherchent à obtenir une certaine reconnaissance sociale par leur générosité vis-à-vis des cultes publics, des associations dont ils espèrent occuper les charges de prêtres, de magistri.

9L’édit de Théodose997, qui renouvelle l’interdiction du culte rendu aux Lares, aux Pénates et au Génie à la fin du IV^e siècle après J.-C., montre bien que les cultes domestiques sont encore pratiqués à une date tardive dans tout l’empire romain par une grande partie de la population. La meilleure preuve de la survivance de ces usages se trouve dans les petites chapelles dédiées à la Vierge ou aux Saints que nous rencontrons fréquemment dans les rues de Naples, sur les façades et, dans une moindre mesure, à Rome et dans d’autres villes italiennes.