Introduction

1Depuis le début des années 1990, la fouille des forts de l’armée romaine du désert oriental d’Égypte, grâce à un état de conservation exceptionnel, a éveillé notre attention sur la place considérable tenue par les objets en cuir dans la vie civile et militaire des anciens. Citons les artefacts des sites du Mons Claudianus, de Maximianon et Krokôdilô sur la voie caravanière reliant Coptos à Myos Hormos et ceux de Didymoi, Dios et Xéron sur celle reliant Coptos à Bérénice1. À Didymoi, plus de 700 objets ont été découverts, allant des chaussures aux tentes en passant par les outres. Aussi, lorsque l’opportunité s’est présentée de travailler sur la vie économique antique en Campanie, notre choix s’est porté sur l’artisanat de la peau, en particulier le tannage, jusqu’à présent largement délaissé par les études sur le monde antique.

2Nous avons alors débuté l’étude et la fouille de la grande tannerie située à l’est de la Porta Stabia à Pompéi2. Le déroulement de ces recherches, qui débutèrent en 2001 pour s’achever en 2010, nous a conduits à enquêter sur les autres tanneries antiques mises au jour par l’archéologie. Soulignons d’emblée leur rareté : souvent situées hors de centres urbains ou en périphérie, elles sont peu fouillées et parfois mal interprétées. Tout au plus peut-on citer trois exemples en Italie en dehors de Pompéi : Saepinum, Santa Cecilia à Rome3 et Piazza Meda à Milan4. À ces installations italiennes, ajoutons-en une à Aquincum en Pannonie, une à Vitudurum en Germanie et une demi-douzaine en Gaule, dont une possible mégisserie à Dijon, et des installations controversées à Liberchies en Gaule Belgique5. Très récemment, en 2014, une équipe de l’université de Foggia, dirigée par R. Goffredo, G. De Venuto, G. Volpe et par D. Totten (Davidson College NC), a mis au jour trois cuves coniques enduites de mortier de tuileau dans une maison ouvrant sur une rue de la ville antique de Salapia, près de Foggia. La fouille n’est pas assez avancée pour assurer que ces trois cuves font partie d’une tannerie, mais leur ressemblance avec celles de Saepinum est une indication en ce sens. L’installation dont ces cuves font partie a été construite dans la seconde moitié du ii^e siècle et elle a fonctionné probablement jusqu’au début du v^e siècle. Saepinum et Salapia sont des villes intégrées dans les circuits de la transhumance ovine et il est probable que leurs tanneries ont été suscitées par le grand nombre de peaux de moutons localement disponibles.

3Dans la partie orientale de l’Empire, rares sont les tanneries publiées. Tout au plus peut-on citer la tannerie d’époque byzantine mise au jour après la deuxième guerre mondiale au sud de l’Olympéion d’Athènes, à peu de distance de l’Ilissos où les tanneurs étaient installés depuis le v^e siècle av. J.-C. au moins. Un décret des environs de 420 av. J.-C. leur interdit de tremper les peaux et de jeter les déchets dans la rivière6.

4Certaines tanneries récemment fouillées sont bien documentées grâce à des publications détaillées, mais l’installation de Saepinum, dégagée très rapidement et largement restaurée dans les années 1950, restait mal connue faute de documentation. Elle nécessitait une nouvelle approche sous le double angle de l’étude des installations artisanales et de l’établissement de leur datation. En effet, si un brillant article publié par Stefano De Caro en 1991 a avancé qu’il s’agissait d’une tannerie, restaient à en comprendre le fonctionnement et à proposer une chronologie la plus précise possible.

5C’est ce programme que nous nous sommes fixé lors des campagnes d’études que la Surintendance archéologique du Molise a bien voulu nous permettre d’effectuer entre 2004 et 2009. Nous remercions chaleureusement, pour leur accord et leur compréhension, les Surintendants Mario Pagano et Angelo Maria Ardovino, ainsi que la Dottoressa Valeria Ceglia, directrice du site de Saepinum, dont l’aimable soutien ne nous a jamais fait défaut.

6Les fouilles ont été financées par la Direction générale de la coopération internationale et du développement au ministère des Affaires étrangères. Les études préparatoires à la publication ont été rendues possibles grâce au soutien de l’Agence nationale de la recherche dans le cadre du projet Artifex.