Le mobilier funéraire
p. 243-255
Texte intégral
1Tous les défunts étaient accompagnés d’un mobilier funéraire sauf, pendant les premiers temps, les nouveaux-nés ou les nourrissons enterrés dans des grands vases, qui avaient tout au plus un petit bijou (ambre, bronze ou verre), très rarement un petit vase.
2On a observé une certaine régularité dans le dispositif à l’intérieur de la fosse, mais en même temps une évolution très visible des objets au cours des deux siècles de durée de la nécropole de l’Uomo Morto ou Paladino.
Le temps des héritages. Une première génération dans la nécropole
Les métaux
3La publication en 1973 d’une série de mobiliers funéraires du VIIe siècle fouillés dans le secteur Paladino Ouest12, a fait apparaître que certains bronzes, notamment des bijoux féminins, étaient des objets caractéristiques de l’Âge du fer en Calabre ; ils avaient été nombreux dans les tombes de cette phase à Amendolara comme l’illustrent les trouvailles sporadiques dans les zones de S. Sebastiano, et surtout d’Agliastroso, deux secteurs qui se rapportent à des nécropoles, malheureusement détruites, entourant l’habitat établi alors, comme on l’a dit plus haut, sur la colline du Rione Vecchio ; colline naturellement fortifiée, qui sera occupée à nouveau depuis le Moyen Age13.
4Dans la nécropole de Paladino Ouest, l’association de bronzes de l’Âge du fer, souvent usés et réparés, avec des céramiques beaucoup plus récentes, dont les plus anciennes sont datables autour du début du VIIe siècle av. J.-C., trouve son explication dans les changements survenus au nord de la Calabre dans les dernières décennies du VIIIe siècle. On sait que l’arrivée des Achéens dans la plaine du Crathis a provoqué l’effacement, parfois complet, de la plupart des habitats de l’Âge du fer occupant les hauteurs des alentours14. C’est à la même époque, et probablement dans la même séquence d’événements, que l’habitat du Rione Vecchio d’Amendolara a été abandonné et, que, peu après15, celui de S. Nicola, sur une colline aux pentes douces à peu de distance, a commencé sa modeste existence. Que ce déplacement des habitants soit lié à la fondation de Sybaris, paraît confirmé par le mobilier de l’une des plus anciennes tombes de la nécropole de Paladino, P.O. 105, qui a livré une coupe de Thapsos, c’est-à-dire un vase grec d’une catégorie présente dans les strates les plus profondes de Sybaris. Et, dans les bouleversements occasionnés par la présence nouvelle des colons achéens dans la région, les habitants du Rione Vecchio, au moment où ils se sont (ou ont été) déplacés, ont emporté quelques objets précieux, c’est-à-dire métalliques.
5On pourrait objecter que les nouveaux habitants de S. Nicola n’étaient peut-être pas venus seulement du Rione Vecchio, mais d’autre sites abandonnés vers la fin du VIIIe siècle ? On sait en effet qu’à cette époque, les remous dans le monde œnôtre ont provoqué d’amples déplacements que l’on a observés jusqu’au Val di Diano. Cependant l’exiguïté de l’habitat de S. Nicola, qui, au début, ne regroupait guère plus de quelques familles, ne rend guère vraisemblable l’idée qu’elles pourraient être venues d’ailleurs. En effet, même si les tentatives de chiffrer les premières générations qui ont habité la colline de S. Nicola se heurtent à une série d’inconnues (combien de tombes anciennes ont-elles été détruites ? Quelle a été l’extension précise de la nécropole de Mangosa ?), un calcul approximatif des tombes d’adultes attribuables à la génération qui s’est éteinte dans le premier tiers du VIIe siècle, ne dépasse pas le chiffre de trente à quarante individus.
6Le lien étroit, la parenté pourrait-on dire, entre les habitants de S. Nicola de la première génération et ceux qui avaient occupé le Rione Vecchio est illustré par la parfaite ressemblance des bijoux de bronze des plus anciennes tombes de Paladino Ouest et de Mangosa avec ceux qui ont été trouvés sporadiquement dans la nécropole détruite d’Agliastroso et celle de Piantata dei Pucci-San Sebastiano. On en donnera quelques exemples.
7Parmi les objets patiemment collectionnés par le Docteur Vincenzo Laviola figure un curieux pendentif de bronze, découvert en 1964 à Agliastroso (fig. 5). Deux protomés stylisées d’oiseaux, symétriques, soutiennent quinze tiges rigides, chacune d’entre elles terminée par un peson allongé. Cet objet présente beaucoup d’analogies avec des pendentifs à double protomé d’oiseau connus d’un bout à l’autre de l’Italie méridionale, comme au Picenum, et aussi sur la rive orientale de l’Adriatique, avec quelques variantes mineures selon les sites16. Cependant, sur la plupart des exemplaires connus, ce sont des chaînettes souples qui pendent de trous pratiqués dans la plaque aux protomés d’oiseau17. La rigidité du pendentif d’Agliastroso paraît être une originalité locale. Or, on a trouvé le même bijou, avec les mêmes particularités, dans la nécropole de Paladino (fig. 6) ; il appartenait à l’une des tombes les plus anciennes qui a été détruite lors du creusement, peu avant le milieu du VIe siècle, de P.O. 217 (fig. 2). La présence de ce bijou de bronze, presque identique à celui d’Agliastroso est encore une preuve de l’origine locale des occupants de S. Nicola.

Fig. 5 — Pendentif de bronze trouvé à Agliastroso (Vincenzo Laviola).

Fig. 6 — Pendentif de bronze, sporadique dans la nécropole de Paladino Ouest, proche de la tombe 217.
8Dans les tombes de femmes, les fibules à quatre spirales des P.O. 4, 68, 97, 126,128, 143, les fibules en lunettes P.O. 97,126 sont identiques à celles qui ont été recueillies à Agliastroso18 ; les cercles de bronze plein connus à Agliastroso ont été découverts à Paladino comme à Mangosa au niveau de la taille ou du bassin (P.O. 4, 97, 99, 104, 125, 220, 263, 288 ; M. 3, 5, 6, 21) ; on a retrouvé dans plusieurs tombes de Paladino et de Mangosa (P.O. 125 ; M. 21) des bracelets faits d’un ruban de bronze enroulé sur lui-même en cylindre, des pendentifs d’oreille en double fil de bronze, tout à fait comparables à plusieurs exemplaires d’Agliastroso ; beaucoup de ces bijoux étaient déjà incomplets ou réparés lorsqu’ils ont été déposés dans la tombe, ce qui confirme l’idée qu’ils n’étaient plus produits, et qu’ils avaient été probablement transmis d’une génération à une autre ; idée qu’impose également leur association avec des céramiques datables au VIIe siècle av. J.-C.
9Plusieurs tombes de femmes ou de jeunes filles (P.O. 104, 143 ; M. 5, 6) ont livré, le plus souvent près de la tête, une quantité souvent importante de petits boutons de bronze en demi-sphère (fig. 7), avec un anneau intérieur pour la fixation (on en a compté 519 dans P.O. 220) ; ils étaient probablement cousus sur une étoffe ou une peau. Là encore, on constate que, seules, les premières générations peuvent encore donner parfois à leurs défuntes la coiffure brillante qui distinguait certaines défuntes parmi les tombes de l’Âge du fer. Ces petits ornements sont bien connus des Balkans à l’Italie méridionale à l’Âge du fer, de la Macédoine à la Calabre19 ; certains seront conservés à Amendolara jusqu’au troisième quart du VIIe siècle (P.O. 263).

Fig. 7 — Petits boutons de bronze en demi sphère avec anneau intérieur pour la fixation.
10Enfin, les scarabées présents dans plusieurs tombes d’enfant, ou de femme (jeune ?), posent le problème de leur éventuelle transmission en famille, comme l'à montré, (p. 231 s.), le Prof. F. De Salvia.
11À Paladino cependant, on est bien loin désormais des somptueux costumes funéraires qu’avaient connus certaines femmes du Rione Vecchio, enterrées à Agliatroso ou à San Sebastiano avec de lourds et somptueux bijoux de bronze, comparables à ceux d’autres nécropoles de l’Âge du fer du nord de la Calabre, comme celles de Torano, Bisignano, Castiglione dei Paludi, mieux connus à Francavilla Marittima (Macchiabate). Et ainsi, les publications de P. Zancani Montuoro montrent les femmes “sovraccariche di bronzi d’ogni sorta”20. Doit-on penser que le Rione Vecchio d’Amendolara avait connu, à la veille de la fondation de Sybaris, une aristocratie gentilice en formation, comparable à celle que R. Peroni voit dans un grand site de l’Âge du fer comme Torre Mordillo peu avant la colonisation21 ? Certes, les armes récupérées dans la nécropole d’Agliastroso ne peuvent rivaliser avec celles de Torre Mordillo ; elles se limitent à des pointes de lance en bronze, mais la qualité de l’une d’entre elles évoque un défunt privilégié (fig. 8).
12La transmission d’objets métalliques de l’Âge du fer est beaucoup moins évidente pour les mobiliers funéraires des hommes dont il n’est pas toujours facile de distinguer la première génération.
13Très probablement, on peut compter parmi les plus anciennes tombes celles qui sont proches de la ciste, et dont la fosse est exceptionnellement longue (P.O. 64, 96, 107, 113) ; les pointes de lance ne sont plus en bronze, mais en fer ; dans P.O. 107, une pointe de lance en fer voisine avec un javelot, qui est en bronze ; la lance se trouve parfois avec des outils, comme la hachette pour travailler le bois et la faucille. Par la suite, l’usage d’accompagner le mort avec ses armes, ou des instruments de chasse, ou de travail, se perd progressivement et il est plus rare de les rencontrer. Au VIe siècle, on ne peut guère citer que la pointe de lance de P.O. 304, datée par un aryballe d’imitation corinthienne et celle de la tombe 11 de Mangosa qui a livré en même temps une coupe de type ionien B222.

Fig. 8 — Pointe de lance en bronze trouvée à Agliastroso.
14Parmi les tombes dont la fosse est particulièrement longue, on compte P.O. 103, celle d’un homme porteur d’une lance de fer munie du sauroter ; une dalle plate marquait l’emplacement où, à côté de la pointe de lance, avait reposé sa tête, qui était probablement coiffée de la coupe-calotte en bronze trouvée au même endroit. Une coupelle presque identique a été recueillie dans la tombe 5 de Mangosa, près des traces du crâne d’une morte ; elle était sans doute posée sur un tissu décoré des petits boutons de bronze recueillis au même endroit, qui avait donc couvert la tête de la défunte. Les coupes en calotte ont été découvertes dans de nombreuses tombes de l’Âge du fer en Calabre, en particulier à Torre Galli où P. Orsi en signale une dizaine23 ; plusieurs d’entre elles ont été trouvées derrière le crâne (ainsi, P.O. 181, ibid. col. 96). Dans la nécropole de Macchiabate près de Francavilla Marittima, la tombe U. 9 était celle d’un homme dont le crâne semble avoir été couvert par une coupe en calotte24 ; parmi les objets du mobilier, la tombe U. 9 a livré une belle œnochoé protocorinthienne qui rend probable une datation de la tombe dans les premières décennies du VIIe siècle, et aussi une fibule de bronze à arc mince revêtu, d’un type représenté deux fois dans la tombe 5 de Mangosa. Les trois tombes, Macchiabate U. 9, Mangosa 5, Paladino 103, ne sont assurément pas éloignées dans le temps.
15L’histoire de ces coupelles de bronze est longue dans le bassin méditerranéen, depuis le trésor de Tirynthe25, les exemplaires connus à Chypre qui seraient datables au XI-Xe siècle av. J.-C.26, ceux de Pa lestine27, ou bien les coupelles coiffant les amphores cinéraires du Protogéométrique d’Athènes28, ou encore les ex-voto des strates profonds proches de l’autel de Zeus à Olympie29. On dispose depuis peu d’une classification rigoureuse de ces récipients de bronze, qui a autorisé son auteur, L. Mercuri, à présenter une série de réflexions sur leur usage, les possibles rituels qu’ils servent, leurs origines, les voies maritimes ou les chemins qui les ont apportés en Italie30.
16Au chapitre des métaux, ajoutons encore la présence dans certaines tombes de femmes, la plupart appartenant aux premières générations de S. Nicola (P.O. 99, 108, 136, 158, 255, 160, 263, 325), d’un instrument de fer non identifié : un ruban de fer, long d’au moins une vingtaine de cm, qui, au point où il plie à angle droit, devient une tige à section ronde, longue de plus de vingt cm s’achevant en pointe. L’état, toujours fragmentaire, de cet objet n’a pas permis d’en faire un dessin complet. Parmi les hypothèses envisagées, celle qui en ferait un instrument pour travailler la laine, rejoindrait l’explication que proposait prudemment P. Orsi pour un objet courbe, rencontré dans deux tombes de femmes de Torre Galli, qu’il désignait comme “arpione”31. M. Pacciarelli32 range parmi les “utensili di lavoro” ces objets désignés comme des “uncini” ; observant qu’on les a trouvés au niveau de la poitrine, et à peu de distance de bobines, il fait l’hypothèse d’une relation fonctionnelle entre ces objets. Une telle lecture à Amendolara serait comme une annonce du rôle important que jouera le travail des étoffes au VIe siècle av. J.-C.33.
La naissance d’une tradition ; les céramiques d’argile claire de l’Âge du fer au Rione Vecchio
17Les potiers de S. Nicola, dont nous avons mis au jour quelques fours34, s’inscrivaient dans une longue tradition d’artisanat remontant à l’Âge du fer dont on a trouvé quelques illustrations dans le matériel provenant du Rione Vecchio d’Amendolara, site qui fut occupé successivement, comme on a l’a vu plus haut, par un habitat de l’Âge du fer et par l’habitat médiéval et moderne (voir note 13) ; cependant, c’est surtout à Santo Cavalcatore que l’on a recueilli le plus grand nombre de documents ; ils se trouvaient dans les terrains qui ont glissé au pied de l’habitat du Rione Vecchio, à la verticale du quartier désigné comme “le case cadute”. Il est donc assuré que la plupart des fragments de Santo Cavalcatore proviennent de vases utilisés par les habitants du Rione Vecchio.
18Le travail de conservation des fragments recueillis a Santo Cavalcatore, que l’on doit à la longue patience du Docteur V. Laviola, et les ramassages de surface qu’on a pu y mener, ont constitué pour le Musée d’Amendolara une petite collection de fragments, non seulement d’impasto, mais aussi d’argile claire, beige rosé.
19Dans ce matériel sporadique on distingue trois catégories successives de céramiques à décor géométrique.
20Les plus anciens fragments d’argile claire appartiennent à des cruches, des askoi, des coupelles à bord rentrant, des vases biconiques, toutes formes modelées sans l’usage du tour, ou avec un tour très lent. Parmi les décors les plus courants, des bandes parallèles noirâtres bordées d’une bande ondulée ; alternance de bandes ondulées horizontales et de bandes lisses ; lignes obliques formant des triangles, parfois bordés d’une file de points ou de traits, parfois réticulés, souvent imbriqués (fig. 9-11). Les récents travaux de Francesca Ferranti ont affiné les premières classifications du Géométrique ancien d’Italie du sud, tel que l’avait défini Douwe Yntema35.

Fig. 9 — Fragments de céramiques du Géométrique ancien d’Italie du sud (de Santo Cavalcatore). (1/1)

Fig. 10 — Géométrique ancien de l’Italie du sud : bandes horizontales encadrant bandes ondulées (de Santo Cavalcatore). (1/2)

Fig. 11 — Géométrique ancien de l’Italie du sud : triangles réticulés emboités (de Santo Cavalcatore). (1/2)

Fig. 12a — Céramique tournée : embouchure de cruche à “tenda” ( ?) (du Rione Vecchio). (1/2)

Fig. 12b — Céramique tournée : coupelle a “tenda” (de Santo Cavalcatore). (1/1)

Fig. 13 — Fragment de cruche à décor géométrique soigné : losanges, zigzags. (1/1)

Fig. 14 — Fragment de cruche ( ?) décorée de files d’oiseaux géométriques. (1/1)
21Les formes auxquelles appartient un autre groupe de fragments sont peu différentes, à part celle du “vase-canthare” à deux anses verticales en ruban. Les parois sont plus fines ; les surfaces plus lisses ; les traces du tour ne sont pas toujours visibles. Les décors soignés et précis sont exécutés en une peinture mate, gris-noirâtre ; sur l’embouchure des cruches, notamment celles qui sont décorées de la “tenda”, les motifs angulaires dessinent un parfait carré (fig. 12a ; la trace du tour est très visible sur ce fragment) ; les larges bandes sont désormais plus étroites ; elles mettent en relief les décors, parmi lesquels le motif en triple flèche répandu, comme la “tenda” (fig. 12b), jusqu’à l’arrière-pays de Métaponte et au Bradano36, et même au-delà37. Une cruche à une anse verticale en ruban est garnie, au niveau de l’épaule d’une série de registres réguliers : files de losanges et files de zigzag (fig. 13) ; sur une autre, des défilés d’oiseaux d’eau stylisés alternent avec des bandes de damier (fig. 14). Bref, cette deuxième catégorie présente des analogies parfois étroites avec des céramiques géométriques répandues dans l’ensemble de la Basilicate et partage certains traits avec le Géometrique iapyge moyen de Pozzo d’Eredità38 ; lui-même parfois enrichi par le contact avec la céramique dévollienne39. La plupart des chercheurs s’accordent à dater ces séries au VIIIe siècle av. J.-C.

Fig. 15 — Fragment de vase bicolore : entre col et panse (de Santo Cavalcatore). (1/1)

Fig. 16 — Fragment de vase-canthare bicolore : le col (de Santo Cavalcatore). (1/1)
22Enfin, Santo Cavalvatore a livré une troisième catégorie de fragments, actuellement limitée à deux exemplaires : ils appartiennent à des vases bicolores dont l’un est peut-être une cruche (fig. 15), l’autre étant un vase-canthare (fig. 16). Le premier se situe à l’horizon terminal de l’Âge du fer ; la chronologie du second pourrait être légèrement plus basse. La couleur rouge est mal conservée, tendant, vers l’orangé ou vers le brun. Il semble que l’on soit ici en présence d’une situation comparable à celle qui a été constatée à Broglio di Trebisacce (secteur 7), où les premières céramiques bicolores ont été recueillies dans la strate supérieure de l’Âge du fer qui a précédé l’abandon du site, lié à la colonisation achéenne40. Une datation dans le dernier quart du VIIIe siècle av. J.-C. s’accorderait avec celle que proposait L. Malnati pour la première céramique bicolore trouvée à l’Incoronata41.
Les céramiques de la première génération
23Les céramiques des tombes étaient placées le plus souvent à l’extrémité de la fosse près des pieds du défunt, parfois même sur les pieds.
24Dès les premiers temps, la préoccupation essentielle semble avoir été d’éviter que le mort n’ait soif ; s’il n’a que deux vases, l’un est destiné à contenir des liquides et l’autre est un vase à boire. Pour le choix des céramiques, on ne remarque pas de différences entre les tombes d’hommes et celles des femmes.
25Trois tombes de femmes ont livré un récipient d’impasto pour les liquides ; deux d’entre eux paraissent avoir été exécutés par le même potier (P.O. 68, 220) ; le troisième (P.O. 104) est très fragmentaire. Ces vases sont biconiques ; le mieux conservé est celui de P.O. 220 ; on remarque l’embouchure évasée, le renflement du col souligné par un ressaut, une anse verticale en ruban épais reliant le col à la partie supérieure de la panse, une anse à section ronde fixée obliquement sur l’épaule, encadrée par deux protubérances ; la forme est dictée par la fonction de puiser et verser des liquides. Très probablement, ces trois récipients ont été apportés à S. Nicola depuis le Rione Vecchio ; en effet, s’ils avaient été fabriqués à S. Nicola, on connaîtrait d’autres vases comparables, ou dans la nécropole, ou dans le matériel de l’habitat ; or, ce n’est pas le cas. L’idée que ces vases soient les oeuvres d’un potier du Rione Vecchio est d’autant plus vraisemblable que les trois tombes qui les contenaient ont livré des bijoux de l’Âge du fer bien représentés à Agliastroso.
26À part ces trois vases d’impasto, les autres récipients qui accompagnent le vase à boire sont des cruches d’argile beige rosé, héritière de la tradition artisanale raffinée du VIIIe siècle ; leur forme répète presque à l’identique celle des cruches porteuses du décor à “tenda” : embouchure large, évasée, col tronconique, panse globulaire, anse verticale en ruban. Les parois sont extrêmement fines et d’une grande fragilité, bien illustrée par les cruches des tombes P.O. 10542, 107, 323, ou par le vase biconique de la tombe P.O. 288 ; certes, l’articulation entre le col tronconique et le haut de la panse est moins marquée qu’auparavant ; mais la répartition du décor entre col et épaule du vase demeure la même ; on retrouve sur les plus anciennes cruches (P.O. 12, 107, 323) le motif du carré inscrit dans le cercle de l’embouchure qui caractérisait les cruches raffinées décorées de la “tenda”43. En même temps, des motifs nouveaux, losanges au col, larges bandes décoratives à l’épaule, flèches dressées ou filets pendants sur la panse, rapprochent les cruches d’Amendolara des séries “West-Lucanian subgeometric” de D. Yntema, en particulier des cruches du VIIe siècle de Sala Consilina44. Désormais, les cruches sont toutes bicolores ; certes, la bichromie n’est pas toujours évidente car, sur la plupart des vases, le noir est devenu gris et le rouge a viré au brun.
27Le vase à boire qui accompagne la cruche n’est plus la lourde coupelle à bord rentrant de l’Âge du fer. Cette forme a complètement disparu en même temps que l’artisanat qui la produisait, lors de l’abandon de l’habitat de l’Âge du fer ; désormais les typologies sont grecques, et surtout de production coloniale. Que le changement ait été très rapide est illustré, on l’a dit plus haut, par la présence d’une coupe de Thapsos (sans panneau) associée à la cruche de la tombe P.O. 105 qui pourrait être l’une des premières de la nécropole de Paladino. Or, on le sait, les coupes de Thapsos sont les documents grecs les plus anciens découverts dans les fouilles de Sybaris.
28Avec le grand vase d’impasto cité plus haut, la tombe de femme P.O. 104 a livré un profond skyphos protocorinthien (Protocorinthien moyen) ; le même type de skyphos provient de la tombe, également féminine, P.O. 288, où l’on a trouvé, comme dans la tombe précédente, des bijoux de bronze caractéristiques de la phase de l’Âge du fer.
29Trois tombes de la première génération, P.O. 80, 99, 100, ont livré un “canthare”, ou tasse à deux anses latérales en ruban, forme connue dans le Géométrique récent corinthien45. À Amendolara, les exemplaires connus n’ont d’autre décor que des traces peu visibles de vernis. Après l’étude approfondie que J. K. Papadopoulos a consacrée à ces petits vases, on peut cesser de les désigner comme des “canthares de type Ithaque”, mais adopter le qualificatif de “canthare achéen”46.
30Ces trois types de vases à boire, répandus entre le Géométrique récent et le Protocorinthien moyen, rendent probable une datation des tombes de la première génération de S. Nicola au premier tiers du VIIe siècle av. J.-C.
31Cependant les vases à boire les plus courants à cette période sont les coupes à filets qui se réclament avec plus ou moins de distance des modèles corinthiens subgéométriques ; la plupart ont une lèvre évasée, souvent garnie de filets. L’argile est presque toujours de couleur beige rosé, proche des teintes Munsell 7.5 YR 7/4 ou 7.5 YR 7/6, très comparable aux argiles utilisées pour les cruches, ce qui implique que les ateliers de potiers ne soient pas très éloignés. Aucun déchet de cuisson n’ayant été trouvé à proximité des fours de potier mis au jour à S. Nicola, on ne peut cependant pas envisager une fabrication locale ; la production dans un ou plusieurs ateliers des cités grecques voisines est l’origine la plus vraisemblable. On sait que ces coupes à filets sont nombreuses, aussi bien dans la nécropole de Madonnelle à Policoro47 qu’à Métaponte48, comme à Sybaris49. Il est donc probable que chacun de ces centres a produit ces vases à boire.
Une deuxième génération
32La première génération, dont on a pu grouper une trentaine de tombes contenant des objets qui paraissent la caractériser, se sera éteinte au cours du premier tiers du VIIe siècle. Il est évident que l’attachement de ces pionniers aux usages funéraires de l’Âge du fer, à la présentation traditionnelle des objets appartenant au défunt, et tout particulièrement à la défunte, est encore très fort. La seule innovation acceptée par tous a été celle du vase à boire, toujours de forme grecque désormais.
33Bien entendu, ce très petit nombre ne doit pas être compris comme le chiffre total des habitants, car il laisse de côté les mobiliers disparus, comme les mobiliers les plus pauvres, notamment certaines tombes d’hommes dépourvues d’armes ou d’instruments de travail.
34Il semble qu’un nombre à peu près égal de tombes puisse être considéré comme caractéristique d’une génération successive, enterrée au cours du deuxième tiers du siècle.
Les métaux
35Dans les tombes de femmes, il peut arriver encore qu’un bijou métallique soit un “héritage” de l’Âge du fer ; ainsi le bracelet de P.O. 54, les pendentifs d’oreille, les boutons décoratifs, le cercle plein de P.O. 209, la fibule de P.O. 195. Cependant d’autres bijoux apparaissent, peu nombreux ; parfois ce sont des fibules de bronze à pied long, arc à “sanguisuga” (P.O. 135), ou proches de ce type ; presque toujours de qualité médiocre, ces fibules sont souvent incomplètes (P.O. 145, fibule à arc en petit cheval) et pourraient l’avoir été au moment de l’enterrement ; elles sont parfois réparées, l’épingle de bronze ayant été remplacée par une épingle de fer (P.O. 192). L’inventaire, dans sa pauvreté, fait apparaître que, désormais, les vêtements n’impliquent plus nécessairement l’usage de la fibule, et que les habitants de S. Nicola étaient certainement éloignés des lieux de production de ces petits bronzes qu’ils n’utilisaient pas régulièrement.
36Cependant, deux tombes de cette période, P.O. 259 et 263, échappent à la modestie de la plupart d’entre elles ; bien que partiellement détruites par la proximité du mur ouest de la maison Paladino, ces deux sépultures, qui sont celles de très jeunes filles comme pourrait l’indiquer la présence de plusieurs scarabées (étudiés ici par F. De Salvia, p. 213 s.), paraissent avoir conservé intégralement leur mobilier particulièrement riche. On remarque, dans la fosse 263, un cercle de bronze plein au niveau de l’abdomen et, à la hauteur de la poitrine, une fibule de bronze en lunettes, l’un et l’autre objets hérités de la phase de l’Âge du fer, au même titre que les 324 petits boutons de bronze recueillis autour du crâne (fig. 7) ; le souci de maintenir une tradition ancestrale est illustré par ce mobilier très soigné, auquel une fine coupelle de bronze donnait un raffinement supplémentaire.
37La tombe voisine, P.O. 259, (fig. 17), qui a également livré des scarabées, renfermait aussi des petits bijoux de bronze connus à Agliastroso (un anneau de bronze porteur de quatre anneaux, des serre-cheveux de bronze) ; un fragment d’un bijou d’argent analogue à celui qui, également fragmentaire, provient de la tombe P.O. 143 (bijou connu également dans la nécropole de Torre Mordillo, Musée de Cosenza). Elle a livré aussi une phiale de bronze à laquelle St. Verger a consacré une étude publiée ici à p. 148. Cette phiale, dont l’ombilic central est entouré d’un filet en relief, est un objet phrygien. Sa présence dans un mobilier particulièrement abondant d’Amendolara illustre apparemment les contacts que les habitants de S. Nicola ont pu avoir avec les Colophoniens établis près du fleuve Sinni50. Enfin, un aryballe protocorinthien ovoïde, trouvé au niveau de la main de la jeune morte, permet de situer peu après le milieu du VIIe siècle l’ensemble de ce mobilier51.
38Ces deux mobiliers funéraires des tombes P.O. 263 et 259 qui présentent, avec des objets thésau-

Fig. 17 — Tombe 259, détail.
39risés depuis plus d’un demi-siècle, d’autres acquis récemment, et peut-être pour les jeunes mortes, rappellent, comme un écho amoindri, les tombes “émergentes” de l’Âge du fer, dont l’exemple le plus évident était celui des Tre notabili enotrii dell’VIII sec. a. C. de la nécropole de Macchiabate52.
40Quelques tombes d’hommes ont livré encore des armes ou des instruments de fer : ainsi, une lance et une faucille (P.O. 100, 187, 194), une faucille (P.O. 291). Cependant, l’abandon progressif de l’usage d’accompagner le défunt par des objets illustrant son statut social est de plus en plus marqué, et il devient parfois difficile de distinguer les tombes d’hommes des tombes de femmes pauvres d’objets.
La céramique
41En même temps que progresse la perte des repères de la culture de l’Âge du fer, la marque de l’influence grecque s’intensifie dans la nécropole : ce sont les petits aryballes corinthiens qui introduisent à Amendolara l’usage grec de parfumer les défunts. Ces vases sont peu nombreux et apparaissent surtout dans les tombes d’enfant (P.O. 201), ou de très jeunes gens, comme l’adolescente de P.O. 259 ; ils sont presque toujours séparés des autres vases du mobilier funéraire, et placés en général à portée des mains.
42La céramique locale présente peu d’innovations par rapport à la phase précédente. La cruche à embouchure large est, plus souvent qu’auparavant, accompagnée d’une autre cruche ; celle-ci a un col étroit, cylindrique ou tronconique sur une panse sphérique. La paroi des vases est moins fine. On remarque dans certaines tombes de cette période de très petits vases à parfum à col étroit (P.O. 9, 10, 176) qui pourraient être une lointaine imitation locale des aryballes du style “Kreis u. Wellenband” ou, plus familièrement, “Spaghetti Aryballoi” ; vases qui sont très présents dans les tombes de Pithecusses vers la fin du VIIIe siècle et dans plusieurs tombes de Gela au VIIe siècle, mais dont l’origine rhodiennen’est pas encore sûrement établie53 ; on ne peut exclure que l’un d’eux, dans la tombe 18 de Mangosa, ne soit authentique
43Quant aux vases à boire, à côté des séries de type subgéométrique, on remarque quelques coupes ou cotyles profondes (P.O. 10, 50 ; M. 19) qui présentent une zone des anses réservée, garnie de groupes de traits verticaux, et des arêtes rayonnantes au bas de la vasque ; ce sont des imitations de vases à boire protocorinthiens datables vers le milieu ou le troisième quart du VIIe siècle54.
44L’usage de l’enchytrismos pour les nourissons est progressivement abandonné.
45Les mobiliers funéraires d’enfants comportent souvent un récipient biconique à deux anses latérales (P.O. 9, 10, 54, 145 ; M. 21bis) qui porte un décor géométrique comparable à celui des cruches. On constate qu’un soin particulier préside au choix des objets destinés à certaines tombes d’enfants : comme on l’a vu plus haut, c’est près de l’enfant enterré dans P.O. 162, 201 qu’a été placé un aryballe protocorinthien ; le petit vase à parfum grec était déposé à proximité de ses mains.
46Enfin des petits bronzes sont présents dans les tombes des petites filles : fibules, bracelets, petits boutons ; on y a recueilli aussi de nombreuses perles d’ambre.
Les dernières décennies du VIIe siècle
47Il n’est pas aisé de distinguer ce qui caractérise les tombes postérieures au deuxième tiers du VIIe siècle, et cela d’autant moins que la documentation est lacunaire ; en effet, étant donné le développement vers l’est de la nécropole, il est probable qu’une partie des tombes de cette période a été recouverte par la maison Paladino.
48L’absence des fibules est presque complète, sauf dans quelques tombes d’enfants ; et ce sont des fibules d’un type nouveau qui ont été livrées par P.O. 63, 193, 198 : la fibule à arc simple, pied à bouton, type largement répandu dans toute la Basilicate vers la fin du VIIe et les premières décennies du VIe siècle, en particulier à Sala Consilina au Val di Diano, à Chiaromonte et à Roccanova près de la vallée de l’Agri (nécropole inédite de la zone des Tre confini).
49Les céramiques locales évoluent peu. Beaucoup de mobiliers funéraires d’adultes se réduisent à trois vases : la cruche à embouchure large, la cruche à col conique plus ou moins étroit ; ce dernier vase, gagne en taille et perd en finesse (P.O. 215, 278) ; il est normalement porteur d’un modeste décor géométrique, parfois lisible ; enfin, le vase à boire, de type subgéométrique, à lèvre à filets, à la vasque souvent très basse (P.O. 77, 112, 140), est connu sur la rive ionienne de la Basilicate, de Métaponte à Syba ris55 et au-delà56.
50Un vase nouveau, dont la forme est adaptée à la fonction, le biberon, apparaît dans les tombes d’enfant, comme P.O. 63 et 193. Deux petits vases corinthiens, un aryballe dans P.O. 198, un cotyliskos dans P.O. 200, permettent de dater ces mobiliers dans les dernières décennies du VIIe siècle. On remarque à nouveau que les vases raffinés corinthiens se trouvent presque exclusivement dans les tombes de petits enfants, et qu’ils sont en général placés à portée des mains ; c’est encore le cas pour l’alabastre corinthien de P.O. 188. Toutefois, beaucoup de tombes de petits enfant ont un mobilier très modeste, se limitant à une petite cruche (P.O. 202, 203, 212, 213, 275).
Les premières décennies du VIe siècle
51La majeure partie des tombes de cette période se trouve à l’est de la maison Paladino, comme nous l’ont appris les sondages menés dans ce secteur. Cependant quelques sépultures ont été encore creusées dans le secteur ouest, auprès des tombes plus anciennes, ou au-dessus d’elles. Au cours des fouilles, les recherches de murets qui pourraient illustrer des limites entre différents secteurs familiaux n’ont pas donné de résultats ; peut-être ces limites, si elles ont existé, étaient-elles indiquées par des clôtures de bois ou de paille.
52Dans les tombes d’adultes, on trouve, moins régulièrement, mais encore fréquemment, la cruche à embouchure large et celle dont le col tronconique ou cylindrique est étroit ; leur décor est parfois assez riche tout en demeurant dans les schémas traditionnels (P.O. 90, 215). On remarque sur les embouchures une évolution déjà amorcée avant la fin du VIIe siècle : l’abandon progressif du motif rigoureux du carré inscrit dans le cercle (P.O. 107, 323), hérité du VIIIe siècle ; les motifs angulaires s’incurvent désormais (P.O. 191, 198, 203), et parfois leur nombre passe de quatre à cinq (P.O. 215).
53Cependant des formes nouvelles se diffusent rapidement. Des pyxides sphériques à deux anses dressées qui rappellent les profils du Corinthien moyen (P.O. 81, 90, 278...), sont fréquentes ; elles comportent parfois un pied ; et on les trouve sous des formes très miniaturisées dans les tombes d’enfants (P.O. 166, 306). On rencontre aussi des petites pyxides sphériques, basses, ou reposant sur un court pied conique, sans anse, parfois décorées de cercles concentriques ; vases soignés qui sont assez largement diffusés entre la région de Tarente et la Basilicate dans la première moitié du VIe siècle av. J.-C.
54Parmi les vases à boire on remarque une forme nouvelle, de type hellénique : c’est la cotyle profonde, à lèvre évasée, souvent garnie de filets (P.O. 81, 182, 324 bis). Fréquemment associée à des pyxides sphériques à anses dressées (ainsi la tombe d’enfant P.O. 322), cette cotyle, produite dans un atelier de la région, précède l’arrivée des coupes ioniennes.
55A côté de mobiliers funéraires d’enfants très modestes, d’autres, particulièrement soignés, ont livré des vases grecs, importés ou de production coloniale : ainsi P.O. 227, qui réunit, à une cruche locale, un amphoriskos et un skyphos corinthiens, un aryballe d’imitation.
56La tombe 278 (fig. 18) surprend par la quantité d’objets réunis dans une très petite fosse et la qualité de certains d’entre eux : à côté d’une cruche locale à col cylindrique haut, on compte trois pyxides cylindriques dont l’une est corinthienne (Corinthien moyen), un alabastre de bucchero, vase unique dans la nécropole ; plusieurs petits vases miniature pourraient être des jouets de l’enfant ; quant à la statuette-pinax trouvée à portée de la main, doit-on la lire comme une simple poupée ? Ou doit-on rouvrir le débat sur la signification de ces figurines qui, pour certains, seraient des images de divinité protégeant l’enfant57 ? Ici, bien qu’une double lecture ne soit pas invraisemblable, l’identification de l’objet à une poupée paraît la lecture la plus problable.

Fig. 18 — Tombes 278 et 279, en cours de fouille.
57Une autre tombe d’enfant, P.O. 322, illustre particulièrement bien le soin avec lequel on préparait parfois le mobilier de l’enfant mort. La cruche à embouchure large est absente, remplacée par une petite hydrie et un amphoriskos imitant les modèles corinthiens ; les modèles grecs ont inspiré aussi les deux pyxides sphériques, le “ cothon” (ou exaleiptron) à pied, les skyphoi, bref tous les vases présents dans le petit espace de la fosse. En même temps, on a recueilli dans la tombe deux objets de bronze exceptionnels. L’un est une longue épingle, proche des exemplaires orientalisants étudiés par P. Jacobstahl58, et datable vers la fin du VIIe siècle ; c'est une de ces épingles qui auraient joué un rôle sanglant lors d’un conflit entre Athènes et Égine, et auraient été en conséquence interdites désormais aux femmes d’Athènes (Her. V, 87). L’autre objet est un anneau de bronze, apparemment masculin, qui a pu être porté par l’enfant en pendentif. Le choix de ces objets reflète apparemment la grande émotion provoquée par la mort de l’enfant.
Deuxième tiers du VIe siècle.
58On continue à déposer des morts dans le secteur de Paladino Ouest alors que, désormais, le plus grand nombre est enterré à l’est.
59Un changement, qui paraît avoir été rapide, s’opère dans les mobiliers funéraires au cours du Corinthien récent ; les dernières formes héritées de l’Âge du fer disparaissent rapidement, remplacées par une céramique grecque de production coloniale. On ne trouve plus de cruches à embouchure large, lointaines descendantes de la cruche à “tenda”. En revanche, la cruche à col cylindrique est encore présente dans les tombes, mais transformée ; la silhouette est allongée, le col plus haut et étroit qu’auparavant ; la panse repose sur un court pied conique ; la paroi du vase est toujours plus épaisse (P.O. 142, 214, 217). Sur ces vases fabriqués localement on remarque que la peinture noire est souvent remplacée par une sorte de vernis, difficile à reconnaître, car très mat et s’écaillant facilement ; il est souvent appliqué à la brosse, donnant parfois l’impression d’un décor de bandes et filets horizontaux.
60Malgré ces nouveautés, le rituel qui veillait à ce que les morts n’aient pas soif n’est apparemment pas oublié. Désormais il est illustré le plus souvent par l’association de deux vases : amphore de type grec et coupe ionienne de type B2, l’une et l’autre de production coloniale. On compte à Paladino Ouest plus d’une vingtaine de mobiliers funéraires présentant ces deux vases et, lorsque la fosse n’est pas trop détruite, on a souvent trouvé la coupe coiffant l’embouchure de l’amphore. Ces amphores, dont la forme se répète, - embouchure souvent moulurée, panse très large, brusquement rétrécie vers la base, ou vers un pied conique - ont-elles été produites à proximité ? Les analogies étroites que l’on peut établir entre une douzaine d’exemplaires autorisent cette question ; la réponse doit attendre les résultats des études d’amphores de la façade ionienne, de Sybaris à Métaponte. Il peut arriver parfois qu’un contenant de grande taille remplace l’amphore, comme c’est le cas dans la tombe P.O. 295.
61Alors que les cotyles profondes à lèvre évasée avaient remplacé progressivement les coupes de type subgéométrique auxquelles elles étaient parfois associées, les coupes de type ionien B2 arrivent brusquement, en masse, à Amendolara au cours de la phase du Corinthien récent ; elles ne sont pas associées aux vases à boire utilisés jusqu’alors qu’elles remplacent immédiatement ; très nombreuses dans l’habitat de S. Nicola, elles sont présentes jusque dans les plus récentes tombes de Paladino. En une période qui voit la disparition de Siris, ce qui fait de Sybaris l’unique cité coloniale proche, il est vraisemblable qu’elles y ont été produites, comme les amphores ; en effet, les fouilles de Parco del Cavallo, comme celles de Stombi en ont livré de grandes quantités59 ; on se souvient aussi des 42 coupes de type B2 posées sur la défunte,“una gracile donnina”, dans la tombe T. 26 de Macchiabate60, qui illustrent une proximité, une grande facilité d’accès aux ateliers producteurs. Certes, en présence de la multiplication des lieux de production des coupes de type B2 en Italie méridionale et en Sicile, une analyse approfondie des argiles sera nécéssaire pour confirmer cette provenance.
62Outre ces deux vases les plus courants, on peut trouver aussi, tout particulièrement dans les tombes d’enfants, et presque toujours à portée des mains, des petits vases à parfum, surtout des aryballes, corinthiens ou d’imitation (P.O. 283) ; parfois apparaît un lécythe d’une forme dérivée du type B des lécythes “samiens” (P.O. 284), ces vases à parfum dont l’origine est à chercher en amont des cités ioniennes, dans les vallées de l’Hermos et du Méandre61.
Les dernières décennies du VIe siècle
63La majeure partie des sépultures de cette période est réunie dans le secteur est de Paladino, mais on a continué jusqu’à la fin à enterrer parfois auprès de tombes plus anciennes à Paladino Ouest comme à Mangosa62.
64Les céramiques traditionnelles ont presque toutes disparu sauf les cruches à col cylindrique étroit et décor géométrique. Le mobilier funéraire est presque exclusivement constitué désormais de vases de facture coloniale. On voit apparaître quelques formes nouvelles. Ainsi, la coupe entièrement vernie, à profil continu, sans lèvre, sur un pied incurvé comparable au pied des coupes de type B2, rejoint parfois dans les tombes les coupes ioniennes, toujours nombreuses (P.O. 161, 170) ; souvent aussi, on y trouve la coupe de type C (P.O. 170, 290 bis), forme également présente à Sybaris, à Parco del Cavallo63 comme à Stombi64 dans les strates supérieures. À cette phase appartient P.O. 161, qui a livré un lécythe à figures noires attique de la classe Vatican G. 52, datable vers 520-510 av. J.-C.65.
Notes de bas de page
12 MEFRA 85, 1973, p. 7-53.
13 La présence sur le Rione Vecchio de quelques fragments de céramiques, dont plusieurs proviennent de tombes, a convaincu la Dottoressa De Rose de l’existence d’un village à l’époque archaïque, qui aurait occupé un hectare et demi (G. De Rose, in : Workshop di archeologia classica, 5, 2008, p. 103-136) ; cependant, à part deux cotyliskoi qui sont clairement des vases votifs, et dont on a parlé ailleurs, en abordant la question de Lagaria (La Genière 2010, p. 225-235), on connaît moins d’une demi-douzaine de documents du Rione Vecchio datables probablement entre la fin du VIe et le milieu du IVe siècle av. J.-C. ; la modestie de ce mobilier ne permet pas d’imaginer plus que des présences très sporadiques pendant cette période. Les fragments d’époque hellénistique étant plus nombreux, on ne peut exclure qu’il y ait eu, alors, quelques habitations sur le Rione Vecchio, surtout si l’on évoque sa position naturellement défendue, recours possible donc pour les nombreuses fermes isolées dans les campagnes au début de la période hellénistique (IVe-début IIIe siècles).
14 J. de La Genière, RA, 1978, p. 257-276. Peroni 1993, p. 103-136. R. Peroni, A. Vanzetti, Broglio di Trebisacce, campagna 1998, ACT 1998, Tarente, 1998, p. 753-755.
15 Le transfert a-t-il été immédiat ? Seule une connaissance précise des derniers documents de l’habitat du Rione Vecchio permettrait de répondre à cette question.
16 La Genière 1968, p. 119.
17 F. G. Lo Porto, Not. Sc., 1969, p. 120-171, pendentifs d’Anzi, p. 161, fig. 53 et 54 ; le motif est peint sur un cratère de Ferrandina, ibid. p. 160, fig. 52.
18 Ces fibules sont publiées dans Lo Schiavo 2010.
19 M. Andronikos, Vergina, To Necrotapheion tôn tumbôn p. 236-237, pl. 13. Dans une tombe de Kompolje, le crâne de la défunte était couvert de ces petits boutons de bronze serrés, R. Drechsler-Bisic, Rezultati istrazivanja japodske Nekropole u Kompolju, 1955-1956, tav. 1, n. 2, tav. XVII, XXI. Dans la tombe d’une « notable » de Macchiabate (Francavilla Marittima), P. Zancani Montuoro en a compté 1020 exemplaires (Zancani Montuoro 1974-76), p. 23, pl. VIII a.
20 P. Zancani Montuoro, Gente vestita di bronzo, Rend. Acc. Lincei, 1968, p. 249-252.
21 Peroni 1993, p. 103-136 Sur la formation d’une “aristocrazia gentilizia” à la veille de la colonisation en Sybaritide, R. Peroni, Fl. Trucco, Tarente, 1994, ACT 1995, p. 832-879.
22 Not. Sc., 1980, p. 357-360, fig. 51, 54, 55.
23 P. Orsi, MonAnt, XXXI, col. 183.
24 Zancani Montuoro 1977-1979, p. 59-61, fig. 39,18, Tav. XXXVII, a-e.
25 G. Karo, AM 55, 1930, 134 g, beil. 36,2.
26 E. Gjerstadt, The Swedish Cyprus Expedition I, pl. 46, 3 ; 49 ; II, pl. 180, 1.
27 C. Watzinger, Denkmäler von Palestina, I, 83.
28 Kerameikos IV, p. 29, pl. 38 ; Kerameikos V, I, p. 9, p. 205, pl. 163.
29 A. Furtwängler, Olympia IV, p. 96, taf. 35.
30 L. Mercuri, Eubéens en Calabre à l’époque archaïque, Rome, 2004 ; échanges et récipients en bronze du haut archaïsme, p. 139-202.
31 P. Orsi, MonAnt, XXXI, col 23-24, fig. 13.
32 Pacciarelli 1999, p. 72 et fig. 18, n. 16, 17.
33 La Genière 1991, p. 55-66.
34 La Genière, Nickels 1975, p. 483-498, fig. 6 et 7.
35 Yntema 1990, p. 32, fig. 17. Ferranti 2009, p. 37-71.
36 L. Malnati, Tombe arcaiche di Santa Maria d’Anglona, in : Studi e Ricerche archeologiche in Basilicata, Milano, 1984, tav. XXVI, XXX A. F. G. Lo Porto, Not. Sc., 1969, p. 120-171, fig. 23 ; vase biconique à décor de “tenda” sur l’épaule à S. Leonardo ; fig. 41 : cratère à “tenda” à l’épaule et motif de triple flèche sans tige au-dessus de la panse. À Cozzo Presepe, Not. Sc., 1977, Suppl. p. 298, fig. 93, n. 39.
37 F. D’Andria, Salento arcaico, 1979, p. 15-39.
38 F. G. Lo Porto, Il deposito prelaconico di Borgo Nuovo a Taranto, MA, Serie Miscellanea IX, 2004.
39 Les travaux de K. Kilian, de M. Korkuti, de F. Prendi, ont montré comment, à la faveur d’échanges pratiquées entre les deux rives de l’Adriatique aux Âges du bronze et du fer, certains motifs décoratifs géométriques de la céramique dévollienne ont été connus et parfois imités dans le monde œnôtre. K. Kilian, in : Atti del I Convegno Studi Ant. Adriat., Chieti, 1975, p. 40. M. Korkuti, I rapporti fra le due coste dell’Adriatico meridionale nell’epoca del Bronzo e del Ferro, Illiria 1985, I, p. 103-109. F. Prendi, Alcune considerazioni sulla ceramica dipinta “Devolliana” della tarda età del Bronzo e del Ferro antico in Albania, ACT Taranto 1985, p. 181-197).
40 S. Luppino, R. Peroni, A. Vanzetti, ACT, 2006, p. 487-495, et fig. 3a. Ferranti 2009, à n. 35, p. 48.
41 L. Malnati, ACME, Vol. XXIII, I, p. 275-283.
42 MEFRA 1973, p. 34, fig. 3.
43 La Genière 1968, pl. 38, 1.
44 Yntema 1990, p. 131, fig. 103-105.
45 J. N. Coldstream, Greek Geometric Pottery, London, 1968, p. 102 et pl. 19, f. À Pithecuses, ce canthare est assez fréquent ; ainsi, Pithecussai I, tombe 171, n. 2, pl. 76 ; tombe 212, n. 3, pl. 92.
46 J. K. Papadopoulos, Achaian Late Geometric a. Archaic Pottery in South Italy a. Sicily, Hesp. 70, 2001, p. 373-460. Id. : The Achaian a. Achaian-style Pottery, Boll. Arte, Vol. speciale, 2008, p. 57-84.
47 Berlingò 1986, p. 117-125, pl. 13 et 16.
48 A. De Siena, Metaponto. Nuove scoperte in proprietà Andrisani in : Siris-Polieion, p. 135-156, rapporte la présence de rebuts de cuisson à p. 149.
49 Not. Sc., 1970, III Supplemento, p. 159, fig. 163-165 ; p. 264, fig. 28 ; p. 266, fig. 282.
50 Le Musée National de la Siritide, à Policoro, conserve deux fibules “phrygiennes” provenant de la nécropole occidentale de Policoro. Ces fibules sont largement répandues dans les sites ioniens de la Grèce d’Asie ; à Claros, sanctuaire extra-urbain de Colophon, elles sont nombreuses, offertes en ex-voto à Artémis, J. de La Genière, REA 100, 1998, p. 235-256, notamment p. 239.
51 Neeft 1987, p. 379-380, fig. 186.
52 Zancani Montuoro 1974-1976, p. 9-82.
53 R. Panvini, Gela, Il Museo archeologico, Gela, 1998, p. 156-157. Sur ces petits vases à parfum, voir Cristofani Martelli 1973, pl. 33, 1-4. L’aryballe du style Kreis u. Wellenband de la tombe 18 du secteur de Mangosa, paraît datable dans la première moitié du VIIe siècle av. J.-C.
54 R. Pierobon, Not. Sc., 1980, p. 366-369, fig. 62 et 63.
55 Not. Sc., 1970, III Supplemento, p. 159, fig. 163-165 ; p. 264, fig. 28 ; p. 266, fig. 282.
56 Ces coupes basses à lèvre sont nombreuses aussi dans la nécropole archaïque des Murge, J. de La Genière, Au pays de Philoctète, la montagne des Murge, Épéios et Philoctète en Italie, Lille, 1987, Naples, 1991 (Cahiers CJB XVI), p. 75-116, fig. 3, 6, 7, 8, 10.
57 Une présentation récente de la question a été donnée par V. Jammet à propos des idoles-cloches de Béotie, (Jammet 2003). Maia Pomadere, dans son ouvrage : Les enfants dans le monde égéen, du Néolithique au début de l’Âge du fer, p. 123-124, sous presse, souligne également la difficulté de saisir, pour ces objets, les relations entre leur aspect ludique et leur valeur religieuse.
58 Jacobstahl 1956, p. 20-33, fig. 82-88, 105-111.
59 Not. Sc., 1970, III Suppl., saggio IV, p. 156-157, fig. 60-62. “massiccia presenza di coppe di tipo ionico”, ibid., p. 261-265, fig. 278-279.
60 Zancani Montuoro 1980-1982, p. 83-87, fig. 29.
61 La Genière 1984b, p. 91-98.
62 Tombe B, Not. Sc., 1980, p. 307-309, fig. 3, 5.
63 A. Bedini, Not. Sc., 1969, Suppl. I, Sondage 3, strate e, p. 72, fig. 63 n. 110, 111.
64 P. G. Guzzo, Not. Sc., 1970, Suppl. III, p. 260, fig. 274, n. 205, a-d.
65 Un seul vase, une coupelle basse qui appartient peut-être, ainsi qu’une grande olla, à un même mobilier funéraire (P.O. 326), paraît beaucoup plus récente (IVe s. ?). Signalons que l’on a recueilli sur la colline de S. Nicola trois fragments de cratères à figures rouges, datables au Ve siècle av. J.-C.
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