Conclusion générale

1Nous avons essayer de définir tout au long de cet ouvrage ce que pouvait être la « Méditerranée spartiate » du point de vue archéologique et quelle était la place de Laconie à l’époque archaïque. L’image qui nous en a été donnée par l’étude de la distribution de ses céramiques est celle d’une région ouverte vers l’ensemble du bassin méditerranéen.

2Les céramiques laconiennes ont été distribuées tout autour de la Méditerranée de la fin du VII^e au début du V^e siècles, mais l’extension maximale de la distribution, comme de la production, se situe entre 575 et 550. Les trois formes les plus exportées se sont avérées être la coupe, le cratère à volutes ou à étriers et les aryballes. Deux zones géographiques se distinguent d’après les groupes typologiques quelles que soient les catégories fonctionnelles retenues : tout d’abord l’aire occidentale qui relie la Sicile orientale au golfe de Tarente et à Tocra, et l’aire orientale qui relie la Grèce de l’Est et Naucratis à Cyrène. Cette dernière peut se rapprocher de l’aire occidentale suivant la période concernée. Un site est isolé par la typologie et fonctionne à part : Olympie. Ces différences géographiques mettent en évidence la pluralité des acteurs de la distribution.

3D’autre part, l’étude, d’abord générale puis plus détaillée de la distribution pour de nombreux sites, a mis en évidence des dates charnières qui correspondent à des changements quantitatifs, une forte augmentation ou une chute nette des exportations, mais également des changements dans les régions concernées. La première césure est située aux alentours de 575 et correspond à la chute de la distribution de la céramique laconienne dans l’aire occidentale, notamment à Tarente. C’est aussi la fin du style Laconien II et les débuts du style Laconien III à figures noires dont le premier représentant est le Peintre de Naucratis. L’aire orientale commence alors à prendre de l’importance et devient la destination principale des vases laconiens et l’aire occidentale, à l’exception de l’Étrurie, est alors résiduelle. Outre la destination géographique, un changement dans les groupes typologiques produits et exportés a également lieu. La seconde césure se situe entre 560 et 550 avec la chute des importations de l’aire orientale et notamment de Samos. On assiste à une translation de la distribution des vases laconiens de l’aire orientale vers l’Occident et Olympie. Cyrène se retrouve alors rattachée typologiquement à l’aire occidentale alors qu’elle dépendait de l’aire orientale dans la période précédente. Globalement la production laconienne diminue. La troisième coupure chronologique se situe aux alentours de 530 avec une réduction drastique du nombre de sites concernés par la céramique laconienne. Ces derniers ne se situent plus pratiquement qu’en Sicile qui connaît alors sa phase maximale d’importations laconiennes, dans le Salento et à Olympie.

4Les vases que l’on retrouve le plus en Laconie, notamment dans les sanctuaires, ne sont pas les plus exportés et la production céramique laconienne est donc bien destinée en premier lieu à l’exportation ce qui implique une ouverture sur le monde extérieur. Les typologies établies en Laconie ont montré une préférence pour les formes à paroi haute. Les vases les plus fréquents sont la lakaina pour les vases à boire, le cratère en cloche pour les vases à mélanger et l’hydrie pour le reste des vases domestiques. Les formes retrouvées dans les différents contextes de découverte se sont avérées varier d’un contexte à l’autre, impliquant alors une utilisation particulière de certaines d’entre elles comme par exemple la lakaina qui peut être considérée comme le vase de culte laconien.

5Les ruptures chronologiques constatées dans la distribution de la céramique laconienne ne trouvent pas de parallèle exact en Laconie. La césure de 575 existe ainsi que celle de 530 mais pas celle de 560-550 ; toutes ne peuvent être attribuées à des phénomènes internes à la Laconie, notamment la seconde. Cette typologie ne correspond pas à celle établie pour l’ensemble de la Méditerranée, mais elle trouve des parallèles avec certains sites comme Tarente ou les sites de Cyrénaïque, ce qui suppose l’existence de liens particuliers.

6Les acteurs ont pu être identifiés grâce à l’étude précise des contextes de découverte des vases laconiens et de l’utilisation qui en était faite. Quatre types de facteurs ont favorisé la distribution de la céramique laconienne : le déplacement des personnes, les liens de parenté entre Sparte et les cités grecques de sa filiation, les liens de proxenia et le commerce emporique. Tous les types de vases laconiens ne sont pas concernés par tous les agents définis par l’étude.

7Le déplacement des personnes a été mis en évidence lors de l’étude des sanctuaires et notamment d’Olympie et de Cyrène, il s’agit cependant de deux phénomènes distincts. Olympie a reçu des objets et vases à caractère personnel (statuettes en bronze) ou collectifs (dédicaces de vases de bronze) qui relèvent du déplacement ponctuel des individus lors de fêtes religieuses et qui ont alors apporté avec eux de Laconie les offrandes destinées aux dieux. Ces objets, notamment les offrandes collectives, ne dépendent pas du commerce mais de phénomènes annexes comme les commandes publiques pour les dédicaces de vases de bronze. Certains vases de Cyrène, notamment les vases à ornements secondaires, ont mis en évidence un afflux probable de personnes en provenance de Laconie aux alentours de 575 pour le peuplement de la cité. La typologie des formes s’est avérée être très proche de celle des dépôts des sanctuaires laconiens, tant dans les formes que dans le décor. Cette immigration de peuplement a joué un rôle important dans la distribution de la céramique laconienne sans que des agents extérieurs interviennent nécessairement. Elle a également généré certainement des liens commerciaux supplémentaires entre les deux régions, qui étaient rendus possible par la présence d’une communauté laconienne importante sur place.

8La présence probable de communautés laconiennes a pu être mise en évidence également dans le golfe de Tarente et probablement à Tocra. L’étude des vases laconiens mis au jour dans les nécropoles de Tarente et au sanctuaire de Satyrion a révélé l’existence de certaines formes de vases, exceptionnelles en dehors du territoire laconien. La concordance de la chronologie des vases de Sicile orientale et la distribution de deux peintres laconiens, le Peintre des Poissons et le peintre d’Allard-Pierson, plaident en faveur d’un rôle majeur de Tarente dans la distribution des vases laconiens au début du VI^e siècle dans l’aire occidentale. Une production sur place de certains de ces vases est à envisager ; elle semble confortée par la couleur de l’argile plus claire que celle de l’ensemble de la série. Tous ces éléments montrent l’existence probable, dans le golfe de Tarente, d’une communauté laconienne et de liens coloniaux entre Sparte et sa colonie. Le cas de Tocra est assez similaire même si l’existence d’une communauté laconienne sur place n’a pu être démontrée. La typologie des vases mis au jour du sanctuaire de Déméter est à celle rencontrée dans l’habitat laconien et les formes recensées sont très peu exportées dans le reste du monde grec. Deux possibilités peuvent être envisagées : soit des Laconiens ont participé directement à la fondation des cités de Cyrénaïque à la fin du VII^e siècle et ont alors apporté avec eux leurs vases, soit des liens directs avec la Laconie existent et tiennent aux liens particuliers que Sparte a pu entretenir avec les cités de sa filiation. L’absence de dépôts datant d’avant 580 à Cyrène ne permet pas de trancher. Ces liens particuliers peuvent également relever de la troisième catégorie mise en évidence : les liens de proxenia.

9Ces liens entre citoyens de deux cités ont pu favoriser la distribution des vases laconiens à figures noires. Ils ont été relevés dans le cadre de l’étude des sanctuaires de Samos et d’Olympie. Le matériel de l’Héraion et de l’Artémision de Samos, et notamment des formes produites par les peintres laconiens recensés dans les deux sites, a amené à formuler l’hypothèse d’une production saisonnière sur place. Les peintres laconiens ont, semble-t-il, répondu à des commandes de l’aristocratie samienne jusque vers le milieu du VI^e siècle. L’iconographie des coupes et la présence de formes inconnues ou très rares ailleurs qu’à Samos montrent que les peintres ont probablement fait le voyage et produit sur place, à la demande, les vases offerts lors des jeux donnés en l’honneur d’Héra. L’absence de certains peintres en Laconie, comme le Peintre des Boréades, et le choix des formes produites suivant leur utilisation et leur destination font penser que les vases à figures noires de Samos n’ont probablement pas été exportés de Laconie. Le problème du transport de l’argile et de ses modalités doivent alors être soulevés. On peut cependant envisager un chargement d’une matière pondéreuse, comme lest des navires, ou alors le transport des dégraissants uniquement par les potiers. Si la chute de l’aristocratie samienne après l’avènement de Polycrate n’est probablement pas la cause première de la fin de la production laconienne à figures noires, les peintres en mal de commande ont cessé cependant de faire le voyage vers Samos. Ceci atteste bien l’importance des liens entre les aristocraties des deux cités, Sparte et Samos, pour la distribution de la céramique laconienne à figures noires. Cette production de sanctuaire se retrouve dans le cas des vases à figures noires d’Olympie. L’adaptation de l’iconographie au contexte et la chronologie des vases montrent que les potiers ont fait le voyage jusqu’en Élide lors des grandes manifestations religieuses du sanctuaire. Les vases d’Olympie sont surtout produits à un moment où les vases laconiens disparaissent de l’ensemble du bassin méditerranéen. Des parallèles ont pu être établis avec d’autres productions laconiennes comme la présence de bronziers dès l’époque géométrique et la référence au toit laconien de l’Héraion. Des liens de proxenia ont pu être mis en évidence par certaines inscriptions retrouvées dans le sanctuaire et ont certainement facilité l’installation d’artisans laconiens sur place. Il reste cependant à déterminer quel était le statut, dans la société laconienne, de ces peintres voyageurs qui pouvaient être introduits auprès des élites des cités archaïques comme le Peintre d’Arkésilas.

10Ce mode de distribution ne semble toutefois concerner que les vases laconiens à figures noires et non les vases à ornements secondaires ou à vernis noir. Un seul cas d’éventuelle production sur place a été relevé à Lipari où des formes exceptionnelles dans la série laconienne et répondant plutôt à des coutumes et des critères locaux ont été relevés. La période concernée est la fin du VI^e siècle à une époque où la céramique laconienne a cessé de circuler en Méditerranée. Aucune trace de liens équivalents à ceux existant entre Sparte et Tarente ou Samos n’a pu être mise en évidence ; cependant les origines cnidiennes de Lipari données par les textes et les origines spartiates pourraient avoir permis un rapprochement entre les deux régions. Les céramiques à vernis noir ou à ornements secondaires, ainsi que quelques vases à figures noires, relèvent plutôt du quatrième mode de distribution identifié, le commerce emporique.

11Les vases distribués de cette manière ont été chargés dans les ports laconiens ou dans les ports des cités où ont pu se trouver des artisans laconiens comme Tarente, Samos et la Cyrénaïque. Différentes cités commerçantes ont pu être impliquées dans cette distribution à des moments différents. Tout d’abord les marchands samiens qui sont certainement à l’origine du transport des vases à figures noires retrouvés à Naucratis, Cyrène et dans les cités de Sicile orientale, plus particulièrement dans la région de Syracuse. Des parallèles dans les formes et l’iconographie ont été constatés notamment pour des vases qui ne se retrouvent pas en Laconie mais bien à Samos comme les cratères ou les lydia à figures noires. Ces vases n’ont certainement pas été chargés dans les ports laconiens. D’une façon plus générale, les marchands ioniens ont joué un rôle majeur dans la distribution de la céramique laconienne jusque vers 540. On les retrouve notamment à Gravisca et il est probable qu’ils soient à l’origine des importations de figures noires laconiennes en Étrurie. La présence de vases laconiens à figures noires le long des côtes de Grande-Grèce plaide pour ce commerce de port en port dont l’étape finale était les emporia étrusques.

12Les Éginètes ont dû prendre un rôle de premier plan dans la distribution de la céramique laconienne à vernis noir à partir de 550. Les similitudes rencontrées entre les typologies des sanctuaires d’Égine et de Gravisca et l’inscription étrusque relevée sur une coupe laconienne d’Égine montrent que les Éginètes ont fait escale en Laconie sur la route de l’Étrurie que ce soit à l’aller ou au retour de leur périple. Les formes transportées ne sont pas les mêmes que celles transportées par les marchands samiens car on retrouve une majorité de cratères qui montrent que, en dehors de tout lien de philia, cette forme était la plus prisée de la série laconienne.

13Ces derniers points rappellent que tous ces vases ne répondaient pas aux mêmes besoins et aux mêmes attentes de la part des différentes populations qui les recevaient. L’étude détaillée des typologies par contexte et par milieu, grec ou indigène, a permis de préciser l’utilisation des vases laconiens hors de leur région d’origine et ce qu’ils pouvaient éventuellement représenter.

14Chaque contexte a, pour la série laconienne, une forme de prédilection : les aryballes pour les nécropoles, les cratères pour l’habitat et les coupes pour les sanctuaires. Si on se réfère au type de décor, tous ne sont pas présents en quantité équivalente dans les trois contextes : les vases à figures noires sont surtout déposés dans les sanctuaires, toutes régions confondues, alors que les tombes et l’habitat reçoivent principalement des vases à vernis noir ou à ornements secondaires. Le matériel laconien des tombes étrusques qui est essentiellement constitué de vases à figures noires est à part, le reste du monde indigène importe surtout des vases à vernis noir. Si on compare, quand cela est possible, la série laconienne aux autres séries céramiques présentes dans un site donné, on constate souvent une certaine complémentarité typologique et chronologique. La production des vases laconiens connaît son apogée entre la fin de la domination des exportations corinthiennes vers 580 et le début des exportations massives de vases attiques à figures noires vers 530. Les vases à parfum laconiens semblent prendre, avec les vases ioniens, le relais des aryballes corinthiens dans le second quart du VI^e siècle au moment où la production corinthienne amorce son déclin. La série laconienne est à l’origine de formes originales se retrouvant peu dans les autres séries contemporaines, comme le cratère à volutes ou à étriers, qui a certainement inspiré les potiers attiques ou les coupes doriques qui précèdent également celles d’Athènes. L’utilisation de certaines formes laconiennes changent cependant au cours du VI^e siècle. Le cratère qui ne se retrouve pratiquement pas dans les tombes grecques avant 550 quitte l’habitat et est déposé dans les tombes sans qu’un changement dans les rites funéraires soit décelable. Il semble toutefois détrôné dans l’habitat par le cratère attique qui, comme nous venons de le signaler, reprend une forme abandonnée du cratère laconien : le cratère à volutes. Le cratère semble cependant occuper une place à part, tous contextes et milieux confondus.

15Que ce soit pour les Grecs ou pour les autres populations, le cratère laconien semble avoir été la forme la plus prisée de la série laconienne même si, quantitativement, elle n’est pas la plus exportée. Les exemplaires retrouvés en habitat sont, dans la première moitié du VI^e siècle, plus nombreux que ceux de la série corinthienne notamment à Mégara Hyblaea. Il apparaît alors comme le vase de banquet par excellence pour les Grecs alors qu’il est très peu présent dans l’habitat laconien. C’est également le vase qui est le plus exporté en dehors de tout lien de philia ou de proxenia comme nous avons pu le voir à Égine ou à Gravisca. Il semble être également le vase le plus prisé par l’aristocratie. On a relevé que les commandes de cratères laconiens à figures noires à Samos cessent quand le régime aristocratique est remplacé par la tyrannie de Polycrate. Son utilisation dans les tombes par les princes étrusques dans la première moitié du VI^e siècle montre l’hellénisation de la société étrusque qui reprend à son compte ce qui, chez les Grecs, est le vase des élites. Le même phénomène se produit dans la seconde moitié du VI^e siècle à l’intérieur de la Sicile où le cratère pénètre et est déposé dans les tombes. Son utilisation comme symbole semble confirmée par le dépôt de cratères miniatures en remplacement d’un vase certainement trop onéreux. Il s’agit également de la forme la plus imitée par les populations indigènes de Sicile et du Salento. Le cratère laconien tombe en désuétude lorsque le cratère attique commence à être distribué. Il semble bien que ce soit la fin de la demande qui entraîne la fin de la production car celle-ci continue jusqu’au début du V^e siècle. Cela peut signifier un changement dans le monde grec et dans la signification que prend le banquet, notamment à Athènes, où il se « démocratise ».

16L’étude de l’utilisation dans les différents sites et régions du bassin méditerranéen a permis de déceler des changements dans les sociétés et les conditions du commerce. Les dates charnières retenues lors de l’observation de la chronologie et de la répartition ont trouvé un début d’explication.

17Les environs de 575 correspondent à une chute des importations de l’aire occidentale et notamment de celles du golfe de Tarente qui semble entraîner celle des importations de coupes en Sicile orientale. D’une façon générale, la production des aryballes chute et les groupes produits changent radicalement. En Laconie, c’est la date de la fin des dédicaces des ivoires et des objets en or ; on passe d’offrandes à caractère personnel à des offrandes à caractère plus ostentatoire. C’est également le passage du style Laconien II au style Laconien III. Différentes hypothèses peuvent être proposées, tout d’abord au niveau des agents de la production. La production du Peintre des Poissons a pu se situer à Tarente et donc sa distribution vers la Sicile, où l’on retrouve un nombre important de ses coupes, est partie de là. La mort du peintre a entraîné la chute de ces exportations et donc la fin du rôle de distributeur que jouait Tarente pour cet atelier. Dans la même période arrive à Sparte un peintre, le Peintre de Naucratis, dont l’origine du style est probablement corinthienne qui initie les figures noires dans la production laconienne. Il est intéressant de noter que ses plus anciennes œuvres proviennent de Tarente (TAR079) et Tocra (TOC056) dans l’aire occidentale. Elles ont pu arriver dans le golfe de Tarente par l’Adriatique, un exemplaire de cet atelier a été mis au jour à Torre Santa Sabina (SAL052). Au niveau des agents de la distribution et du contexte international, la fin de la production des aryballes qui correspond à celles de la série corinthienne et des amphores de transport laconiennes vernissées, suppose un problème survenu dans l’approvisionnement en essences parfumées qui proviennent d’Orient. Les troubles causés par l’avancée des Perses en Orient avec, par exemple, la destruction de Smyrne, incitent les Ioniens à se tourner vers l’Occident et déplacent alors les réseaux commerciaux vers la Grande-Grèce et l’Étrurie. La distribution de la céramique laconienne par les Samiens débute alors, dépassant les réseaux mis en place entre Sparte et ses fondations. Au niveau de la Laconie, si des changements de comportements sociaux ont pu être décelés dans la nature des offrandes, aucun ne justifie le changement dans la distribution et on ne peut parler de la naissance d’une certaine austérité car les vases de bronzes laconiens et la céramique à figures noires connaissent leur apogée.

18La chute des exportations après 555 signifie la fin du rôle de Samos dans la distribution. Au niveau des agents de la production, cette date correspondrait à la fin de la carrière des deux peintres principaux de la première moitié du VI^e siècle : le Peintre de Naucratis et le Peintre des Boréades qui cessent alors probablement de faire le voyage saisonnier vers Samos. Si leurs successeurs continuent certainement pendant un temps à faire le voyage, celui-ci s’avère devenir périlleux avec l’avancée des Perses en Asie Mineure et surtout moins intéressant car les commandes aristocratiques cessent avec l’avènement de Polycrate. Les figures noires laconiennes perdent alors leur principal débouché. Au niveau des agents de la distribution, la chute des exportations ne peut être attribuée à la rupture des liens de proxenia puisque ceux-ci sont encore attestés au V^e siècle. C’est à partir de cette date que la distribution va passer essentiellement par les modes traditionnels du commerce emporique avec probablement des bateaux éginètes qui chargent les céramiques laconiennes sur la route de l’Étrurie. Aucun changement n’est décelé en Laconie qui puisse expliquer cette chute ce qui prouve que la cause est bien extérieure.

19L’arrêt de la distribution vers 530 touche tous les sites grecs concernés jusque là à l’exception de la Sicile intérieure, du Salento et d’Olympie. Ailleurs aucune céramique laconienne n’a été recensée. Cet arrêt ne correspond pas à une crise de la production, puisque les coupes laconiennes à figures noires d’Olympie sont encore de qualité élevée et que la Sicile connaît sa période maximale d’importations. Dans les différentes régions qui cessent d’importer les céramiques laconiennes, on constate l’arrivée massive des vases attiques à figures noires, l’arrêt définitif survenant avec les importations de figures rouges.

20La Sicile limite cependant ses importations au cratère laconien. Les derniers peintres laconiens se réfugient à Olympie et leur production montre une grande influence attique. Les distributeurs traditionnels se détournent alors de la céramique laconienne. Quelques changements sont décelables en Laconie. Tout d’abord un changement dans la forme laconienne la plus prisée ; la coupe dorique remplace la lakaina dans tous les sanctuaires sans que l’on puisse en expliquer clairement la raison. C’est également la fin des dédicaces de vases de bronze dans les sanctuaires laconiens, mais elle est contemporaine de celle dans les sanctuaires panhelléniques. Enfin on note effectivement un changement dans les motifs représentés, beaucoup plus de thèmes militaires qu’auparavant, cependant les dernières œuvres laconiennes sont destinées à une population locale et non plus aux aristocraties ou sanctuaires extérieurs et s’adaptent peut-être aux goûts des demandeurs. Si la société spartiate se replie sur elle-même et adopte un mode de vie beaucoup plus militaire et sobre, on ne peut que difficilement en trouver trace dans les sources archéologiques car tous les points de rupture sont contemporains d’autres phénomènes qui ont certainement joué un rôle beaucoup plus important. On peut tout au plus dire que le système en place n’a pas permis aux artisans de surmonter l’arrivée des céramiques attiques.

21L’étude de la distribution de la céramique laconienne montre la complexité du commerce archaïque et la multiplicité des facteurs agissants. On a pu constater l’extrême mobilité des personnes, l’importance des relations entre cités pour le commerce et l’importance des bouleversements en Orient. Cependant cette étude s’arrête à la série laconienne et il serait intéressant de confronter les données recueillies à l’étude précise d’autres séries secondaires de la période archaïque et voir si les modes de distribution, l’utilisation et les dates charnières sont les mêmes.

22La coupe d’Arkésilas (VUL012) peut à elle seule résumer les principaux points mis en avant par cette étude : il s’agit d’une coupe produite sur commande par un peintre laconien s’étant probablement rendu à Cyrène dont les liens de philia ou de proxenia avec Sparte lui ont permis d’approcher Arkésilas II, roi de Cyrène. Par les biais du commerce emporique de port en port ou de relations avec les élites étrusques, elle s’est retrouvée dans la tombe d’un prince étrusque.