Les Laconiens et la Méditerranée à l’époque archaïque
|Chapitre V. Le matériel laconien aux marges du monde grec
Texte intégral
1La céramique laconienne se retrouve également dans les milieux indigènes de Sicile et du Salento ainsi qu’en Étrurie tyrrhénienne.
2Il faut, dans un premier temps, se pencher sur la céramique laconienne mise au jour dans des lieux d’interface entre le monde grec et les autres populations du bassin méditerranéen notamment sur celle de deux sites d’emporion, Naucratis et Gravisca. Trois régions du bassin méditerranéen retiendront ensuite notre attention : l’Étrurie pour l’importance du matériel mis au jour, la Sicile et le Salento pour la précision des publications. Le matériel d’Étrurie, comparé à celui de Gravisca dans le cas de Tarquinia, permet d’apporter quelques éléments sur la distribution des vases laconiens et ses acteurs. Les types importés par les Étrusques donnent, de plus, un aperçu de l’image des Grecs dans cette région et des relations que pouvaient entretenir les deux populations. Le matériel des sites intérieurs de la Sicile doit être étudié en parallèle avec ce qui a été constaté pour les cités grecques de la côte dans les différents contextes. Quels vases ont pénétré le milieu indigène, par quel biais et à quelle époque ? La dernière région considérée est le Salento qui correspond à l’ancienne Messapie. La céramique laconienne découverte doit être mise en perspective typologiquement et chronologiquement avec celle de la Sicile intérieure et celle de Tarente. La comparaison avec la Sicile intérieure doit permettre de voir si les vases laconiens sont les mêmes et représentent la même chose pour deux populations indigènes distinctes. Le parallèle avec Tarente peut nous aider à comprendre si elle a joué un rôle dans la redistribution vers l’arrière-pays ou si les vases laconiens ont suivi d’autres voies commerciales.
La céramique laconienne des sites d’emporion
1. Le sanctuaire de Naucratis
3Le site de Naucratis est mentionné par Hérodote (Hérodote II, 178) comme seul lieu de commerce octroyé aux Grecs en Égypte par le pharaon Amasis. Il précise que plusieurs cités de différentes origines y ont fondé des sanctuaires, le plus grand, appelé Hellénion, a été érigé par des cités d’Ionie (Chios, Téos, Phocée et Clazomène) et de Doride (Rhodes, Cnide, Halicarnasse et Phasélis) ainsi qu’une ville d’Éolide (Mytilène). Les Éginètes ont fondé un sanctuaire de Zeus, les Samiens un sanctuaire d’Héra et les Milésiens un d’Apollon (Hérodote II, 178-179). Les fouilles menées à la fin du XIXe siècle (1884-1885) et au début du XXe siècle (1899 et 1903) ont permis d’attester la présence des différents sanctuaires mentionnés par Hérodote et de dater l’installation des Grecs aux environs de 630-620, donc avant le règne d’Amasis. L’accord passé avec le pharaon correspondrait alors à la réorganisation d’une situation déjà existante plutôt qu’à une première fondation.
4Les différentes séries céramiques ont permis de confirmer la participation de certaines cités comme Rhodes, Chios, Samos, Clazomène ou Lesbos. Le matériel mis au jour est cependant dispersé dans diverses collections et les journaux de fouilles ne rendent que peu compte de la stratigraphie et des emplacements exacts de découverte des vases. Seules les inscriptions, dans quelques cas, permettent de dire à quelle divinité ils ont été offerts. Le corpus des céramiques laconiennes a été établi à partir des ouvrages de C. M. Stibbe (LV, LMB, LBPII et LBPIII), complétés par l’article de M. S. Venit (Venit 1985). Il comprend 47 vases soit 1,25 % du corpus total dont 33 coupes, 30 à figures noires, deux à ornements secondaires et une du groupe C, et quatorze cratères, dix du groupe E, trois du groupe B, dont deux à figures noires et un du groupe D.
5Les coupes du groupe G représentent la principale forme laconienne de Naucratis (30 exemplaires sur 33). Toutes sont à figures noires à l’exception toutefois d’une coupe à tige à ornements secondaires (NAU033). Trois des coupes laconiennes de Naucratis comportent des inscriptions ne laissant aucun doute sur leur statut d’offrande à la déesse du sanctuaire, Aphrodite (NAU001, NAU004 et NAU027) et trois fragments d’une quatrième coupe provenant du sanctuaire d’Apollon, portent également deux morceaux d’inscription se référant peut-être à la divinité à qui elle était destinée (NAU045). Parmi les 28 datées du second quart du VIe siècle, onze se situent entre 575 et 565 et cinq entre 565 et 560. Si on compare les courbes de datation haute et basse, comme cela a été fait pour les exemplaires de Samos, on obtient une période située entre 570 et 560 soit une durée sensiblement équivalente à celle observée à Samos située entre 570 et 555 (Cf. p. 137). Cette correspondance des datations est un des éléments qui amènent M. S. Venit à proposer l’hypothèse d’une seule et même cargaison (Venit 1985, p. 394). Les cratères arrivent en même temps dans la première moitié du VIe siècle, l’exemplaire le plus ancien daterait cependant de la fin du VIIe siècle (NAU035).
- 55 Histoire du marchand samien Colaios faisant commerce avec l’Égypte avant d’être détourné par les v (...)
6Outre les sources littéraires55, plusieurs arguments montrent effectivement que les vases de Naucratis proviennent certainement de Samos, notamment ceux des peintres laconiens présents.
7Dix-neuf coupes proviennent de l’atelier du Peintre des Boréades, huit de l’atelier du Peintre de Naucratis et le cratère à figures noires, une de l’atelier du Peintre de la Chasse et une du Peintre d’Arkésilas, trois n’ont pas d’attribution établie. La surreprésentation du Peintre des Boréades par rapport aux autres ateliers, pourrait conforter l’hypothèse d’un seul chargement ou au moins d’une seule provenance, Samos, lieu de localisation présumée de l’atelier (Cf. p. 40-41). Si celui-ci est situé à Samos alors les coupes proviennent directement de l’Héraion, s’il s’agit de vases produits en Laconie, les vases de Naucratis sont le reliquat de la cargaison d’un bateau ayant d’abord fait escale dans l’île.
Vases à boire |
Coupes |
33 |
Total |
33 |
|
Vases à mélanger |
Cratères |
14 |
Total |
14 |
|
Total |
47 |
Tabl. 34 – Les vases laconiens à Naucratis.
Naucratis |
Naucratis et Samos |
Total des œuvres recensées |
Proportion de l’œuvre du peintre présente dans les deux sanctuaires (%) |
|
Peintre des Boréales |
19 |
71 |
122 |
50 |
Peintre de Naucratis |
8 |
60 |
182 |
37,5 |
Peintre de la Chasse |
1 |
28 |
131 |
23,6 |
Peintre d’Arkésilas |
1 |
9 |
24 |
4,1 |
Tabl. 35 – Les peintres laconiens à Naucratis.
8L’ensemble des coupes à figures noires présente trois types de thèmes iconographiques : les cômastes chez le Peintre des Boréades (NAU023) et chez le Peintre de Naucratis (NAU006 et NAU009), les représentations d’animaux apparentés au domaine de la chasse, mythique ou non, chez le Peintre des Boréades (NAU011, NAU015 et NAU017), et les représentations mythologiques. Pour ce dernier thème, il s’agit soit de représentations de personnages sans sens narratif évident, comme dans le cas de la coupe du Peintre de Naucratis représentant une déesse ailée (NAU005) ou les représentations de Typhon par le Peintre des Boréades (NAU002) et sur une coupe qui n’a pu être attribuée (NAU030), soit de scènes narratives comme le combat d’Héraklès et de l’Hydre (NAU010) et Achille et Troilos (NAU024) chez le Peintre des Boréades. À ces motifs élaborés s’ajoutent les Gorgoneïon en médaillon toujours chez le Peintre des Boréades (NAU012-013). On constate alors certains parallèles avec l’iconographie des vases laconiens de Samos pour les thèmes d’Héraklès et l’Hydre et d’Achille guettant Troïlos. Ceux-ci ne se retrouvent qu’à Cerveteri sur une coupe du Peintre des Boréades pour le thème d’Héraklès et de l’Hydre (CER036), et sur une coupe du Peintre des Cavaliers pour le thème d’Achille et Troïlos (CER048). La coupe du Peintre de Naucratis avec la déesse ailée (NAU005) fait également écho aux deux coupes du peintre trouvées à Samos (SAM043-044) décorées du même thème. Les vases laconiens de Naucratis pourraient provenir également du sanctuaire d’Héra mis en place par les Samiens ce qui renforcerait les parallèles chronologiques et iconographiques et les différences avec l’Artémision de Samos. Toute conclusion reste cependant impossible en l’absence de données sur les contextes exacts de découverte des vases de Naucratis.
9Ces observations renforcent l’hypothèse de vases provenant de Samos où ils ont certainement été produits. En revanche, si les scènes de banquet sont figurées sur les coupes de Naucratis, elles sont différentes de celles rencontrées à Samos où est représenté le banquet aristocratique et non le kômos comme sur les coupes de Naucratis. Le dernier argument en faveur d’une cargaison en provenance de Samos est l’absence de céramique laconienne dans les autres sites ayant livré de la céramique grecque archaïque en Égypte.
10Le sanctuaire de l’emporion de Naucratis fonctionne donc de façon parallèle à ceux de Samos pour les arrivées de vases laconiens : la période chronologique est presque la même, 570-560 pour Naucratis et 570-555 pour Samos, ainsi que les formes les plus répandues, les coupes à figures noires et les cratères, et certains thèmes iconographiques qui leur sont propres. Naucratis n’a cependant certainement pas hébergé de production laconienne comme le montrent le peu de diversité des formes et l’absence de découvertes autres que céramiques. Le sanctuaire a donc probablement reçu des cargaisons en provenance de Samos avec qui il semble en relation directe ; les vases laconiens cessent alors d’être importés quand Samos cesse de les transporter.
2. Le sanctuaire de Gravisca
11Gravisca est, comme Naucratis, un site de bord de mer voué au commerce, un emporion. Il se situe sur la côte tyrrhénienne de l’Étrurie à proximité de la cité étrusque de Tarquinia. La présence grecque débute dans les premières années du VIe siècle (Torelli 1977, p. 400-402) ; elle s’est imméditament accompagnée de la mise en place d’une aire sacrée par les marchands fréquentant l’emporion (Torelli 1977, p. 358). Plusieurs divinités y ont un culte ; les trois principales étant Aphrodite, Héra et Démeter (Torelli 1977, p. 427-438). Au VIe siècle la fréquentation est surtout ionienne, principalement de l’Ionie du Nord entre 600 et 580, puis de l’aire samienne de 560 à 530 (Boldrini 1994, p. 263).
12Nous disposons pour Gravisca de la quasi-totalité du matériel laconien mis au jour, ainsi que de son contexte précis de découverte, lors des fouilles, à partir de 1969, de cinq édifices de l’aire sacrée : les édifices « alpha », « bêta », « delta », et « epsilon » (Boitani 1992). On compte 117 vases qui représentent 31 % du corpus général. Les informations données sur la localisation des vases au sein du sanctuaire permettent, après les études typologiques et chronologiques, de voir comment ils ont été utilisés.
13Le matériel laconien de Gravisca se compose en majorité de cratères (52 % des vases laconiens publiés) et en moins grand nombre de vases à boire (32,5 % des vases laconiens), ce qui contraste avec la typologie des sanctuaires grecs où les vases à boire représentent la catégorie dominante.
14Les cratères de Gravisca appartiennent pour la plupart au groupe F (35 exemplaires). D’autres groupes sont présents mais en nombre moins important : quatre exemplaires du groupe H, identique pour son décor au groupe F, deux du groupe E, un groupe D et un cratère en cloche à vernis noir. De nombreux fragments de col mis au jour présentent pour la plupart un décor géométrique qui pourrait les rattacher au groupe E. Un pied de cratère (GRA044) possède des éléments de décor laconiens à figures noires et pourrait appartenir aux groupes B, C ou D ; il s’agit du cratère laconien au décor le plus riche découvert à Gravisca.
- 56 Huit sur les douze relevées au total pour l’ensemble des sanctuaires grecs du bassin méditerranéen (...)
15Les vases à boire de Gravisca sont surtout des coupes, toutes du groupe G, à figures noires ou à ornements secondaires, à l’exception d’une coupe C du style Laconien II (GRA042) ; on recense aussi sept lakainai. Les amphores de transport viennent en troisième position ; Gravisca est le contexte cultuel qui en a livré le plus grand nombre56. Nous pouvons rattacher à la catégorie des vases à transporter l’hydrie à vernis noir.
16Les autres catégories sont très peu représentées. Trois amphores de table, un seul aryballe du groupe L (GRA012), peu exporté, et une phiale (GRA115) à figures noires du Peintre des Cavaliers. Les phiales sont assez rares et n’ont été relevées en dehors de la Laconie qu’à Tarente, Satyrion, ainsi qu’un autre exemplaire du Peintre des Cavaliers à Rome (ROM013).
17La typologie des vases laconiens de Gravisca est différente de ce qui a été constaté pour l’ensemble des sanctuaires grecs et à Naucratis où les vases à boire constituent la catégorie la plus offerte avant les cratères. Gravisca contraste aussi avec les dépôts des sanctuaires de Laconie où les vases à boire sont également la catégorie la plus représentée après 575. La typologie est comparable cependant à celle du sanctuaire d’Égine où les vases à mélanger sont également les premiers.
18La majeure partie des vases laconiens provient des édifices « gamma » et « alpha » et en second lieu des édifices « bêta » et « delta ». Ils sont quasiment absents de l’édifice « epsilon » qui ne correspond à aucune occupation archaïque. Le premier édifice recensé à Gravisca et contemporain de l’ensemble des vases laconiens, est le sanctuaire d’Aphrodite daté des environs de 580, situé dans l’édifice « gamma » au niveau des pièces I et L (Torelli 1977, p. 402-404). À cet édifice s’ajoutent, à l’Ouest, probablement un sanctuaire d’Héra et, au Sud-Est, un sanctuaire de Déméter dont les dédicaces datent plutôt de la seconde moitié du VIe siècle. Cet ensemble est, semble-t-il, détruit vers 530-520, date des ex-voto les plus tardifs. Si on considère l’ensemble des découvertes du sanctuaire, l’édifice « gamma » a livré le matériel le plus ancien. L’édifice « delta » semble contemporain mais toutefois d’édification plus récente. L’édifice « alpha » dont le matériel devient consistant à partir de 575, est le sanctuaire d’Héra mentionné plus haut. L’édifice « béta » est le plus récent avec un matériel daté à partir de 550 (Boitani 1994, p. 254).
19Les différentes formes laconiennes se répartissent de façon équivalente dans les édifices. Les cratères se retrouvent dans l’ensemble du sanctuaire et sont souvent présents en plusieurs exemplaires. Dans le cas du lot de la cour S (édifice « delta »), le cratère laconien (GRA044) demeure le seul exemplaire de sa catégorie ; il est accompagné du lot de kylikes laconiennes le plus important de Gravisca et de coupes de provenances diverses, notamment de nombreuses coupes ioniennes (Boitani 1994, p. 255). Les coupes laconiennes se concentrent surtout dans la pièce S de l’édifice « delta » et les pièces A et F de l’édifice « alpha », soit les parties les plus anciennes du sanctuaire. Elles sont accompagnées généralement de plusieurs cratères, à l’exception du cas du cratère à figures noires (GRA044) de la pièce S. Les lakainai sont isolées ; certaines constituent le seul vase laconien dans une pièce, comme pour la pièce P de l’édifice « gamma » ou la pièce U de l’édifice « épsilon », ce qui ne s’observe pour aucun autre vase laconien, sauf dans le cas de l’amphore de table de la pièce R de l’édifice « gamma ».
20Les amphores de transport accompagnent les cratères ou sont seules. Nous ne sommes donc pas en présence ici d’un profil d’entrepôt. L’unique aryballe laconien provient de la pièce I du sanctuaire d’Aphrodite ; il accompagne de nombreux vases à parfum des autres séries céramiques (Boitani 1994, p. 255).
21Dans la première moitié du VIe siècle, et surtout entre 575 et 550, les cratères et les coupes ne sont pas offerts dans les mêmes édifices. Les cratères se retrouvent surtout dans les édifices « alpha », correspondant au sanctuaire d’Héra, et « bêta », alors que les coupes sont en majorité dans les édifices « gamma » et « delta » correspondant au sanctuaire d’Aphrodite. Les lakainai sont isolées et les coupes et les cratères sont placés dans des pièces distinctes sans être mélangés. Des changements interviennent dans les lieux d’offrandes entre le second et le troisième quart du VIe siècle, date des premières offrandes d’amphores de transport laconiennes. Les lieux de dédicaces des coupes se déplacent vers l’Ouest dans les édifices « alpha » et « bêta » où les cratères se raréfient malgré un accroissement du nombre de vases laconiens dans ces secteurs. Quand ils accompagnent les coupes ils semblent résiduels et ne sont alors jamais en plus d’un exemplaire. Les lakainai sont toujours isolées sauf celle de la pièce G de l’édifice « bêta » où une coupe a été mise au jour.
22Ces changements amènent à penser que les vases ont une fonction précise lorsqu’ils sont offerts et que la composition progressive des dépôts n’est pas laissée au hasard des dédicants. Ces lieux de cultes connaissent également une évolution dans les types de vases offerts. Ces constatations doivent toutefois être confrontées à la chronologie globale de la série ainsi qu’aux autres séries attestées dans le sanctuaire.
23La céramique laconienne commence à arriver à Gravisca (graph. 30) dès le début du VIe siècle avec deux cratères à pseudo-volutes et décor géométrique sur le bord externe et la coupe du groupe C (GRA042) datée entre 600 et 590. Les vases laconiens sont donc présents dès les premières années du sanctuaire mais leurs importations ne deviennent cependant significatives qu’à partir du second quart du VIe siècle. Elles augmentent alors jusque dans le troisième quart avant de s’arrêter brusquement. Seule une amphore de transport appartient à la fin du VIe siècle et une amphore de table au début du Ve siècle.
- 57 Boldrini 1994, p. 262-264, parle d’une prépondérance samienne du matériel de Gravisca au vu de l’é (...)
24L’évolution n’est cependant pas la même pour toutes les catégories de vases (graph. 31). Les coupes voient leurs importations augmenter jusque vers 525, avec un maximum dans le troisième quart du VIe siècle (22 exemplaires), avant un arrêt brutal, alors que les cratères ont leur phase d’arrivée maximale dans le second quart (quatorze exemplaires), suivie d’une diminution avant l’arrêt total vers 525. De plus, si on considère les datations hautes et basses des coupes à figures noires, une majorité ne peut être antérieure à 550 et ne peut être postérieure à 540. La phase maximale d’arrivée des coupes se situe donc entre ces deux dates et l’arrêt brutal des importations de céramique laconienne à Gravisca aurait lieu non vers 525, mais plutôt vers 540. Si on compare cette date à celle des autres sanctuaires ioniens déjà étudiés, l’arrivée des coupes laconiennes de Gravisca est postérieure d’environ quinze ans par rapport à celle de Samos, 570-555, et Naucratis, 570 - 560. Il semble donc difficile d’attribuer leur arrivée aux mêmes circuits commerciaux ce qui correspondrait alors aux différences de formes et de décor. On peut alors également penser à un déplacement des zones de commerce samiennes57 à la suite de la dégradation de la situation à l’Est comme nous l’avons vu précédemment (Cf. p. 149). Les autres types de vases ne sont pas présents en un nombre suffisant d’exemplaires datés pour que nous puissions établir des tendances. Cependant l’unique exemplaire d’aryballe date du second quart du VIe siècle et le vase le plus récent est une amphore de table. La majeure partie des amphores de table, sept sur les huit exemplaires mis au jour à Gravisca, appartiennent à la seconde moitié du VIe siècle.
25La chronologie des importations laconiennes de Gravisca rejoint alors celle du sanctuaire d’Égine avec un maximum dans la seconde moitié du VIe siècle et peut expliquer leur parenté typologique. On peut rapprocher Gravisca et Égine par leur activité commerciale ainsi que par l’inscription étrusque retrouvée à Égine (fig. 23- EGI039), cependant les arrivées de vases laconiens cessent à Gravisca vers 525 quand Olympie et Égine continuent d’en recevoir. Des différences existent toutefois : les vases à mélanger sont bien la catégorie la plus importée à Gravisca et à Égine mais les cratères de Gravisca sont datés du second quart du VIe siècle et ceux d’Égine de la seconde moitié.
- 58 Pipili 1987, p. 50-51. Cette scène est également interprétée comme Kadmos tuant le Dragon. M. Pipi (...)
26Les vases à figures noires donnent d’autres indications. Quatre des principaux peintres laconiens sont attestés : deux coupes du Peintre de Naucratis, trois coupes du Peintre des Boréades, cinq coupes du Peintre de la Chasse, quatre coupes et une phiale du Peintre des Cavaliers. Les sujets représentés sont difficilement identifiables à l’exception de deux mythes : Sisyphe et son rocher sur une coupe du Peintre de la Chasse (GRA036) datée de 560-550, et Apollon et le serpent sur une coupe du Peintre des Cavaliers (GRA017) datée de 550-540. Le mythe de Sisyphe poussant son rocher ne se retrouve que sur une coupe de Samos (SAM053) par le même peintre et datant des années 565-550. Les similitudes iconographiques comme les canards du registre inférieur et la représentation de la montagne sous forme d’édifice incitent à penser que les deux coupes ont pu être produites en même temps et pourraient alors bien lier Gravisca à Samos pour cette période. Le mythe d’Apollon tuant Python ne se retrouve que sur une autre coupe du Peintre des Cavaliers de Cerveteri (CER041)58. Les deux coupes pourraient faire partie d’un lot même si les différences iconographiques entre les deux œuvres montrent qu’elles n’ont pas été produites en même temps.
27Il demeure donc difficile de déterminer par ces seules observations les acteurs de l’échange des céramiques laconiennes à Gravisca qui apparaissent multiples. Si les Samiens et leur réseau de commerce sont bien présents, les vases de Gravisca ne semblent pas intégrés aux réseaux d’échanges qui desservent l’Héraion au moins dans la seconde moitié du VIe siècle, mais reflètent cette translation vers l’Ouest des réseaux ioniens à la suite de la pression exercée par les Perses en Orient. Nous ne sommes plus alors dans le cas d’une redistribution des vases apportés ou produits à Samos, mais dans celui de céramiques destinées au commerce, comme les cratères à vernis noir, pour les populations d’Occident en particulier les Étrusques. Les Éginètes ont pu également participer à la distribution des vases laconiens vers l’Étrurie sous le même mode lorsque la suprématie samienne s’essouffle après 540.
28Les proportions de matériel laconien par rapport à l’ensemble du matériel du sanctuaire ne nous sont pas données. Il s’agit cependant d’une série secondaire par rapport aux séries ionienne et attique. Les découvertes de vases corinthiens sont plutôt maigres à Gravisca, hormis dans le dépôt du sanctuaire d’Aphrodite (Torelli 1977, p. 409), dans l’édifice « gamma ».
29Chronologiquement, les phases maximales d’arrivée des coupes ioniennes et laconiennes ne semblent pas coïncider : les coupes ioniennes sont diffusées dans le second quart du VIe siècle avec un maximum aux alentours de 550 (Boldrini 1994, p. 253) et les coupes laconiennes dans le troisième quart du VIe siècle.
30Les importations ioniennes demeurent cependant présentes à Gravisca jusqu’à la fin du VIe siècle avec un déclin à partir de 525 alors que les importations laconiennes cessent à ce moment-là.
31Quelques différences sont également à noter entre la répartition des vases de la série laconienne et ceux la série ionienne au sein du sanctuaire.
32Tout d’abord dans l’édifice « alpha » attribué à Héra, on retrouve surtout des cratères et des coupes à tige laconiens alors que la série ionienne est représentée par des coupes à pied bas et des formes closes. Hormis dans l’édifice « alpha », la pièce I de l’édifice « gamma » et dans l’édifice « delta » où les coupes laconiennes sont bien représentées, les vases laconiens sont peu offerts ailleurs alors que les vases ioniens sont présents dans tout le site. Ces derniers ont une majorité d’exemplaires dans l’édifice « gamma ». L’absence d’aryballes laconiens contraste avec les nombreux vases à parfum de la Grèce de l’Est. Les lots offerts à Aphrodite tout au long du VIe siècle dans l’édifice « gamma » sont, en effet, essentiellement composés de vases à parfum ou à onguents ioniens ou corinthiens (Torelli 1977, p. 427 ; Boldrini 1994, p. 254) alors que l’on y trouve, pour la série laconienne, essentiellement des coupes et des cratères. L’unique aryballe laconien présent date de la période principale des importations de contenants à parfum ioniens entre 575 et 550.
33La série attique (Iacobazzi 2004) compte environ 6400 coupes, une cinquantaine de cratères et environ 750 formes closes, principalement des amphores, des œnochoés et des olpès. L’ordre des catégories offertes dans le sanctuaire diffère de celui établi pour la série laconienne où les vases à mélanger sont les plus représentés. La proportion des cratères est très différente pour les deux séries : 52 % de vases à mélanger pour la série laconienne et 0,7 % pour la série attique.
34Les importations attiques sont attestées à Gravisca dès le début de l’occupation grecque. Tous les céramistes attiques qui travaillent pour le marché étrusque sont alors présents dans le sanctuaire (Iacobazzi 2004, p. 471).
35Les premiers vases attiques sont contemporains des premières importations laconiennes (Iacobazzi 2004, graph. 489-498) et, dans les deux cas, en nombre réduit. La pièce la plus ancienne est une œnochoé du peintre de la Gorgone datée entre 600 et 590. Les importations augmentent jusque vers 520 avec un maximum entre 560 et 540. La chute du nombre de vases vers 520 est due probablement à l’arrivée des premiers vases à figures rouges et à vernis noir à Gravisca. Entre 520 et 500 les coupes à figures noires sont pratiquement la seule forme attique importée. Leur courbe d’arrivée semble donc parallèle à celle des importations laconiennes qui disparaissent presque complètement aux environs de 525. La série laconienne est cependant proportionnellement beaucoup plus présente entre 575 et 550 avec 26 exemplaires, soit 4,5 % des vases laconiens de Gravisca, que la série attique avec 55 exemplaires, soit 0,7 % des vases attiques (Iacobazzi 2004, p. 478). On observe toutefois une reprise des importations attiques au début du Ve siècle.
36D’autres différences chronologiques existent. Les cratères attiques datent tous d’après 550, à l’exception d’un cratère à colonnettes du peintre de Prométhée daté entre 560 et 550 (Iacobazzi 2004, no 35 p. 40-42). Ils arrivent après la majorité des cratères laconiens recensés dans le sanctuaire dont quatorze exemplaires appartiennent à la période 575-550. Les cratères attiques pourraient donc alors se substituer aux cratères laconiens, car une grande partie d’entre eux est datée entre 510 et 500 (Iacobazzi 2004, no 1094-1140, p. 388-399), et les remplacer tout à fait à partir de 520.
37On remarque que la fin ou le déclin des importations des différentes séries, en particulier les séries laconienne et ionienne, coïncide avec l’arrivée massive des vases attiques à figures noires en Étrurie et le début des importations de figures rouges à la fin du VIe siècle. Auparavant les séries ionienne et laconienne semblent complémentaires pour la production de certaines formes comme le cratère qui n’existe que dans la série laconienne avant d’être remplacé par le cratère attique à partir de 525, et les vases à parfum ioniens et corinthiens.
38Il demeure cependant difficile de voir si les transporteurs de ces vases changent en même temps que les vases distribués.
Sites |
Nombre de vases |
Cerveteri |
92 |
Tarquinia |
14 |
Vulci |
14 |
Rome |
13 |
Tolfa |
6 |
Veies |
3 |
Murlo |
3 |
Pian della Conseva |
3 |
Bisenzio |
2 |
Orvieto |
2 |
Populonia |
2 |
Pratica di Mare |
2 |
Satricum |
2 |
Canino |
1 |
Capodimonte |
1 |
Pian dei Santi |
1 |
Tuscania |
1 |
Vétulonia |
1 |
Total |
160 |
Tabl. 37 – Les vases laconiens en Étrurie.
39Le sanctuaire de Gravisca est donc atypique par rapport aux autres sanctuaires grecs et aux sanctuaires de Laconie tant par les formes de vases offerts, (une majorité de cratères et non de vases à boire), que par leur décor, (la céramique à vernis noir domine). Ces différences semblent tenir à sa situation de sanctuaire d’emporion comme le montre sa proximité avec la typologie du sanctuaire d’Égine, cité vouée au commerce. La présence en majorité de cratères laconiens à vernis noir dans les deux sites montre quelle forme laconienne était la plus exportée hors de tous liens de xenia attestés.
40Le maximum des importations laconiennes entre 575 et 550, le changement dans la constitution des dépôts avec une diminution des cratères entre 550 et 525, et une augmentation des vases à boire, les importations de figures noires décalées d’environ quinze ans avec celle de Samos et de Naucratis et l’absence de parallèle chronologique avec les offrandes de coupes ioniennes font qu’il est difficile de rattacher les vases laconiens de Gravisca aux circuits commerciaux empruntés par les Samiens dans le second quart du VIe siècle. Il demeure cependant que l’étude de la série ionienne et des inscriptions présentes sur les vases, notamment de l’onomastique, semble avoir montré la prépondérance du rôle des Samiens à Gravisca à partir de 560. On peut donc penser à des marchands émigrés vers l’Occident qui auraient alors gardé leurs contacts laconiens ; les vases ne partiraient plus de Samos mais directement de Laconie par des circuits qu’il reste encore à déterminer. Le peu de vases des deux principaux peintres laconiens de Samos, le Peintre des Boréades et le Peintre de Naucratis, et la présence importante des peintres dont la production se situe certainement en Laconie, le Peintre de la Chasse et le Peintre des Cavaliers, vont dans ce sens.
41L’étude du matériel laconien du sanctuaire de Gravisca a également permis de voir que les dédicaces de vases n’étaient pas faites au hasard. Les vases semblent remplir une certaine fonction comme le montre leur répartition et l’isolement de certains d’entre eux comme les lakainai. Cette fonction évolue au cours du siècle et est définie par le culte auquel l’offrande appartient. Les séries semblent, de plus, spécialisées et ne sont pas toutes employées de la même façon au même moment. La place particulière d’un vase comme le cratère dans un site d’échange avec des populations non grecques doit être considérée et mise en relation avec les découvertes faites dans l’arrière-pays en Étrurie.
La céramique laconienne en Étrurie tyrrhénienne et dans le Latium
42Il n’existe pas de publication exhaustive de la céramique laconienne des différents sites d’Étrurie, les vases proviennent donc des différents catalogues de C. M. Stibbe (LV, LVS, LMB, LBPII, LBPIII) et d’autres articles plus spécifiques (Martelli 1979 ; Olivotto 1994 ; Rizzo 1990) : ils représentent 4,2 % du corpus total. Ont été exclus de l’étude le matériel de Gravisca et celui de l’épave de l’île du Giglio (Cf. p. 45-46).
43Les vases laconiens proviennent de 19 sites de l’aire tyrrhénienne ; ils appartiennent tous à des contextes funéraires à l’exception d’un vase de Murlo (ETR008) et d’un de Satricum (ETR022) mis au jour en contexte d’habitat. Les sites qui reçoivent les vases laconiens se situent majoritairement sur les côtes. Le site de Cerveteri, l’antique Caere, se distingue par le grand nombre de pièces laconiennes (55 % des vases).
44Elles sont importées en Étrurie tyrrhénienne dès la fin du VIIe siècle à Cerveteri (graph. 32). Leur diffusion augmente quantitativement et géographiquement jusque vers 550 : entre 600 et 575 on les retrouve à Cerveteri (douze exemplaires), Populonia (deux exemplaires), Murlo, Tarquinia, Veies et Vulci (un exemplaire) et entre 575 et 550 à Cerveteri (27 exemplaires), à Tarquinia (six exemplaires), à Rome et à Vulci (trois exemplaires) et un à Veies. À partir de 550, la répartition est moins diffuse avant de cesser vers 525 avec onze exemplaires à Cerveteri, deux à Tolfa, un à Canino, Capodimonte, Rome et Vulci. La distribution de la céramique laconienne en Étrurie tyrrhénienne a donc une courbe parallèle à celle des dépôts de vases laconiens à l’Héraion de Samos et à Naucratis ; elle diffère de celle de l’emporion de Gravisca qui importe surtout des vases laconiens entre 550 et 525.
1. Cerveteri
45Il ne s’agit pas à Cerveteri d’un corpus exhaustif, compte tenu des publications disponibles, et les chiffres fournis ne donnent qu’un ordre de grandeur et non des données exactes. La surreprésentation des vases à figures noires notamment peut tenir à l’état des publications qui les ont privilégiés. Les vases laconiens de Cerveteri représentent 2,45 % du corpus global, ils proviennent essentiellement des deux grandes nécropoles de la Banditaccia (23 exemplaires) et de Monte Abbatone (32 exemplaires).
46La première catégorie est celles des vases à mélanger (35 % des vases laconiens de Cerveteri) : ils appartiennent aux groupes E et F (douze exemplaires), au groupe D (quatre exemplaires), et aux groupes B et C (deux exemplaires). On recense aussi un dinos à figures noires. La nécropole de la Banditaccia reçoit une majorité de cratères E (huit exemplaires) et peu de cratères F (trois exemplaires), alors que l’inverse se produit pour la nécropole de Monte Abbatone qui reçoit une majorité de cratères F (neuf exemplaires) et peu de cratères E (trois exemplaires). Hormis les douze cratères F, les cratères laconiens de Cerveteri comportent tous des éléments de décor plus ou moins élaborés : un cratère à volutes du groupe B (CER076) et les quatre cratères du groupe D sont richement décorés sur la bordure mais également sur les épaules et le pied, le décor minimum est la bande de sigma de la bordure des cratères E. Le dinos à figures noires (CER043-fig. 24) est une œuvre du Peintre des Cavaliers ; il s’agit d’une forme rare de la céramique laconienne produite auparavant par le peintre de Naucratis et que l’on ne retrouve alors qu’à Samos (SAM138) et Mégara Hyblaea (MHA086). Nous ne revenons pas sur le lieu de production et la diffusion probablement samienne de cette forme de la céramique laconienne.
47Les vases à boire sont surtout des coupes à figures noires du groupe G (quatorze sur les 20 exemplaires) et deux lakainai dont une décorée dans le style Laconien II. Quant aux aryballes, ils appartiennent à un nombre assez divers de groupes typologiques (groupes A, B, F, I, K, L et Q). Les vases à stocker sont représentés par les amphores de table (quinze exemplaires) et une hydrie à vernis noir. À cela s’ajoutent deux amphores de transport et deux œnochoés également à vernis noir.
- 59 Les autres coupes ont été trouvées dans les sites de Vulci (cinq exemplaires), Tarquinia (trois ex (...)
48Les vases laconiens de Cerveteri apparaissent donc comme un corpus d’assez haute qualité par leur décor. Ils contrastent alors avec ce qui a été retrouvé dans les nécropoles grecques contemporaines (Cf. p. 113-121) où les vases à figures noires laconiens sont peu présents. Les catégories représentées changent également puisque les Étrusques de Cerveteri semblent privilégier les vases laconiens en relation avec le banquet, la coupe et le cratère, contrairement au milieu grec où les vases à parfum sont le principal type déposé dans les tombes. La typologie de Cerveteri présente des parallèles avec celle de Gravisca, notamment pour les cratères qui sont les vases laconiens les plus importés, en particulier pour le groupe D dont un exemplaire est présent à Gravisca : la demande locale est donc élevée. Le décor des cratères et des coupes de Gravisca est cependant moins riche que celui des vases de Cerveteri, ce qui peut cependant tenir au choix des publications ; l’absence des types à vernis noir se retrouve cependant dans l’ensemble des sites d’Étrurie59 et pourrait donc résulter de la demande réelle des Étrusques en céramique laconienne.
49La période d’arrivée maximale des vases laconiens dans les nécropoles de Cerveteri se situe entre 575 et 550 (graph. 32). Elle conclut une augmentation progressive des importations laconiennes dans la première moitié du VIe siècle, initiée dès la fin du VIIe avec l’arrivée des premiers aryballes. Tout s’arrête vers 525. Cette courbe est parallèle à celle de la production des vases laconiens et également à celle des découvertes en contexte funéraire grec (graph. 23), si on excepte le cas des vases de Tarente. Elle est également parallèle aux courbes des importations de l’Héraion de Samos (graph. 25) et de l’emporion de Naucratis (graph. 30) ainsi qu’à celle des dépôts dans les tombes des cités grecques de la côte sicilienne (graph. 3) ; elle ne correspond pas en revanche aux importations laconiennes de Gravisca (graph. 30).
50La typologie des vases laconiens de Cerveteri évolue (graph. 33) : les catégories ne sont pas toutes déposées dans les tombes en même temps, sauf dans le second quart du VIe siècle qui connaît la plus grande variété de formes. Les aryballes laconiens cessent d’arriver à Cerveteri vers 550 comme dans l’ensemble de la Méditerranée. Les coupes ne sont mises dans les tombes qu’à partir de 575 en même temps que les premiers vases à verser. Si on prend en considération les datations hautes et basses, la majeure partie n’est pas antérieure à 565 et ne peut être postérieure à une date située entre 550 et 540, sans qu’il soit possible au vu des données actuelles de la préciser.
51Tous contextes confondus cette typologie n’est parallèle à aucun des sites grecs étudiés, mais certains points communs avec Gravisca existent. Les coupes laconiennes entrent dans les tombes de Cerveteri et commencent à arriver à Gravisca à la même époque où il existe une certaine antériorité des coupes de Cerveteri avec deux exemplaires du Peintre des Boréades datés d’avant 565. Elles cessent d’être mises dans les tombes cérétaines au moment où leur nombre culmine à Gravisca. La chronologie des coupes laconiennes de Cerveteri se situe donc entre celle des figures noires laconiennes de Samos, 570-555, et celle des figures noires laconiennes de Gravisca, 550-540.
- 60 Outre les deux exemplaires de Cerveteri (CER035 et CER036), on recense seulement une coupe à Gravi (...)
52Les cinq principaux peintres laconiens sont présents à Cerveteri. À ceux-ci s’ajoutent trois peintres secondaires : le Peintre des « frises en spirales », le Peintre de Typhon et le Peintre des Hoplites. Les deux derniers ne sont présents qu’en Étrurie avec un exemplaire à Rome (ROM005) et un à Bisenzio (ETR002), pour le premier, et un exemplaire à Tarquinia (TAQ010), pour le second. Tous deux semblent suivre le style du Peintre des Boréades dont peu d’œuvres proviennent d’Étrurie60.
53Ces œuvres appartiennent surtout au second quart du VIe siècle pour lequel on recense trois coupes du Peintre de Naucratis, trois du Peintre des Cavaliers, deux du Peintre des Boréades, une du Peintre d’Arkésilas et une du Peintre de Typhon. Quatre exemplaires sont recensés pour le troisième quart du VIe siècle : deux coupes et le dinos du Peintre des Cavaliers (CER043), une coupe du Peintre de la Chasse et une coupe du Peintre des Hoplites.
54L’iconographie de ces vases est très riche par rapport à tous les autres sites étudiés. Les sujets mythologiques sont les plus fréquents et correspondent aux sujets des vases attiques retrouvés en Étrurie entre 575 et 550 (Rosati 1989, p. 199) ; ils montrent donc que les céramistes laconiens, tout comme les céramistes attiques, avaient parfaitement conscience des attentes de leurs clients. Parmi les personnages mythologiques on trouve à Cerveteri Prométhée et Atlas pour le Peintre d’Arkésilas (CER049), les Dioscures pour le Peintre de la Chasse (CER090), Poseïdon chevauchant un hippocampe pour le Peintre de Naucratis (CER046), et Typhon sur la coupe éponyme du peintre (CER039). Quelques scènes narratives sont recensées : les Boréades poursuivant les Harpies (CER035) et Héraklès et l’Hydre (CER036) pour le Peintre des Boréades, Kadmos tuant le dragon ou Apollon et le serpent (CER041) et Achille guettant Troïlos (CER048- fig. 25), sur deux coupes, et la Centauromachie d’Héraklès sur le dinos (CER043) pour le Peintre des Cavaliers.
55Le parallèle au sujet des coupes montrant Achille guettant Troïlos (Cf. p. 139-140) a déjà été évoqué. La coupe de Cerveteri du Peintre des Cavaliers (CER048- fig. 25), datée entre 560 et 550, est semblable à la coupe contemporaine de Samos du même peintre (SAM059). Les deux registres narratifs et les personnages sont identiques : en haut, on voit Achille attendant Troïlos à la fontaine et, sur le registre inférieur, on voit Troïlos à cheval et Polyxène tenant une hydrie. Ces deux œuvres s’inspirent certainement des deux coupes antérieures du Peintre des Boréades datées entre 575 et 570, trouvées à Samos (SAM027) et à Naucratis (NAU024). Le registre supérieur avec Achille correspond dans sa composition à la représentation de Kadmos/Apollon de deux coupes du Peintre des Cavaliers (CER041 et GRA017), datées toutes deux entre 550 et 540. Ces motifs iconographiques lient les importations de Cerveteri à Gravisca et à la Grèce de l’Est où l’histoire de Troïlos est présente dans d’autres pans de l’art laconien (Coudin 2009). Le mythe d’Héraklès et de l’Hydre (CER036) appartient aussi à cette aire géographique avec une coupe du Peintre des Boréades (SAM037) et une coupe du Peintre de la Chasse (SAM049) de Samos. De même la coupe éponyme du Peintre des Boréades (CER035) affiche une iconographie identique à celle contemporaine du peintre trouvée à Samos (SAM026), la composition n’est toutefois pas la même.
56Les vases laconiens de Cerveteri sont des vases de très grande qualité, et leur typologie et certains thèmes iconographiques renvoient à la Grèce de l’Est et, plus particulièrement, à Samos. Ils ne sont toutefois pas identiques à ceux mis au jour à Gravisca où les vases à vernis noir dominent.

Fig. 25 – Coupe laconienne de Cerveteri représentant Achille guettant Troïlos et Polyxène à la fontaine (CER048).
57La différence peut toutefois tenir au contexte de découverte, vases de tombes princières à Cerveteri et offrandes d’un sanctuaire d’emporion à Gravisca. Dans les deux cas cependant le cratère laconien tient une place à part dans la première moitié du VIe siècle et il semble être le principal vase à mélanger déposé dans les tombes jusqu’à l’arrivée du cratère attique, situation que nous avons pu constater à Gravisca. Cette remarque doit toutefois être formulée avec réserve car il n’a pas été possible de connaître le nombre de cratères corinthiens contemporains.
58Compte tenu de l’état des publications, il est en effet difficile de comparer la série laconienne aux autres séries. Seules des observations faites sur quelques tombes publiées ou exposées sont possibles, comme dans le cas du mobilier des salles consacrées à Cerveteri au musée étrusque de la Villa Giulia à Rome. Nous disposons également de quelques tombes publiées par M. A. Rizzo (Rizzo 1990) et V. Olivotto (Olivotto 1994) ainsi que des recensements effectués par M. Martelli (Martelli 1979, p. 44) et de R. Rosati (Rosati 1989).
59Il semble que la phase maximale des importations laconiennes corresponde au début de la chute des importations de la Grèce de l’Est qui sont à leur apogée entre 600 et 575 (Martelli 1979, p. 44) au moment où la céramique attique commence à arriver sur le marché étrusque, celle-ci est majoritaire parmi les vases du musée de la Villa Giulia. Les arrivées de céramique laconienne prennent place entre le dépôt des vases corinthiens et celui des vases attiques, et contemporains des vases de la Grèce de l’Est. Pour les formes, le cratère laconien semble être le type dominant pour les grands vases jusqu’à l’arrivée des vases attiques. Si on se réfère à l’étude de R. Rosati sur la distribution de la céramique attique entre 630 et 560, 40 vases attiques à Cerveteri appartiennent à cette période (Rosati 1989, p. 37, 53 et 87). Pour l’ensemble de l’Étrurie, l’amphore de table est le vase attique principal (22 exemplaires, onze kylikes, trois dinoi. L’arrivée massive de céramique attique en Étrurie commence à partir de 550 (Martelli 1979, p. 38) en même temps que les importations de la Grèce de l’Est. Les vases attiques de Cerveteri ne suivent donc pas la même évolution que les vases laconiens : les coupes et le cratère laconien précèdent les vases attiques dans les tombes cérétaines.
2. Tarquinia
60Tarquinia est le site indigène directement lié à l’emporion de Gravisca. Comme pour Cerveteri, les données sur la céramique laconienne ont été obtenues par la réunion de différents catalogues sans que le contexte précis de découverte soit connu ; le corpus retenu est donc loin d’être exhaustif. On recense sept aryballes dont un exemplaire des groupes A, F, I et L, trois coupes à figures noires dont deux du groupe G, deux lakainai et deux cratères dont un du groupe B et du groupe F. Ce dernier a été utilisé comme urne funéraire et est exposé au musée de Tarquinia. Il s’agit du seul vase laconien du site sur lequel nous disposons de renseignements relatifs à sa réutilisation.
61Les vases à parfum sont donc le type le plus représenté et la typologie diffère de celle de Cerveteri. Elle ne saurait cependant être tenue pour exacte compte tenu des conditions de constitution du corpus d’étude. Tous les vases qui ont pu être datés, deux aryballes, deux lakainai, une coupe G et un cratère B, appartiennent au second quart du VIe siècle.
- 61 On doit à son atelier notamment la représentation de trois chasses au sanglier (LV 220, LV 225 et (...)
62Les vases de Tarquinia sont majoritairement à figures noires. Trois peintres laconiens sont présents : le Peintre de Naucratis avec un aryballe, le Peintre de la Chasse avec une coupe (TAQ009) et un cratère ou dinos (TAQ011) et le peintre des « frises en spirales » avec une coupe. Ici, l’iconographie des vases du Peintre de la Chasse se réfère directement au quotidien de l’aristocratie spartiate et fait penser que ces vases n’ont pas été produits à l’origine pour l’exportation mais plutôt pour une clientèle laconienne. Ces scènes sont figurées sur le cratère ou dinos (TAQ011), représentant une scène de chasse et sur la coupe (TAQ009) montrant des guerriers ramenant leur compagnon mort au combat. Nous avons déjà vu que ce peintre est le plus « laconien » des ateliers (Cf. p. 41), la représentation de sujets renvoyant au quotidien de ses clients correspond au portrait que l’étude de son œuvre a permis de dresser jusqu’ici61. Il reste à déterminer la manière dont ces coupes sont parvenues jusqu’en Étrurie.
63Il n’est pas possible, en effet, d’établir un parallèle entre les vases laconiens de Tarquinia et ceux de Gravisca, tant sur le plan typologique qu’iconographique. Les aryballes laconiens sont absents à Gravisca, alors qu’ils représentent la principale forme retrouvée à Tarquinia. Les coupes des deux sites sont toutes à figures noires et du groupe G. Elles sont attribuées au Peintre de Naucratis et au Peintre de la Chasse, présents dans les deux sites.
64Aucun rapprochement iconographique n’est cependant possible. Le peu de données sur le contexte du matériel laconien de Tarquinia ne permet pas de statuer sur ces différences qui peuvent être dues à la façon aléatoire dont se constitue le corpus du site.
3. Vulci
65À l’étude de Tarquinia, nous ajoutons celle de Vulci dont la nécropole a livré des pièces laconiennes exceptionnelles. Tout comme pour les autres sites d’Étrurie le corpus d’étude est constitué à partir de catalogues divers et non de rapports de fouilles exhaustifs sur le matériel. Cinq coupes, une du groupe C et quatre du groupe G, quatre amphores de transport, trois aryballes dont un du groupe L, une amphore de table et une hydrie à figures noires ont été recensés. Ces vases datent de la première moitié du VIe siècle, seule l’hydrie date du troisième quart du VIe siècle.
66Tout comme à Tarquinia, les vases laconiens sont en majorité à figures noires. Trois peintres laconiens sont présents : le Peintre de Naucratis avec une amphore de table et une coupe, le Peintre d’Arkésilas avec sa coupe éponyme (VUL012- fig. 26), le Peintre de la Chasse avec une hydrie (VUL014- fig. 27) et le Peintre des Hoplites avec une coupe (VUL011). Les vases à figures noires de Vulci sont de qualité élevée et de formes peu communes.
67Tout d’abord, la coupe représentant le roi Arkésilas II assistant à la pesée du silphion (VUL012- fig. 26) comporte une iconographie exceptionnelle. Elle est datée d’environ 560 et représente le premier sujet « d’actualité » connu dans la peinture des vases grecs : on y voit le roi Arkésilas II de Cyrène assister à la pesée du silphion, une plante qui constitue un monopole royal à Cyrène, ou de ballots de laine (Stucchi 1987, p. 34) suivant les interprétations. Plusieurs éléments de cette coupe renvoient à la problématique des agents de distribution de la céramique laconienne. La présence de la balance, qui rappelle celles des psychostasies égyptiennes, ou encore celle des singes, qui sont des animaux exotiques, font penser à un travail ou, au moins, à la prise d’un croquis sur place et attestent la familiarité du peintre avec la scène. Ceci conforte l’hypothèse d’un travail des potiers à la commande et sur place, comme on l’a déjà évoqué pour les sanctuaires de Samos et d’Olympie (Cf. p. 129-130 ; 139-140 ; 144). Ensuite, la représentation d’une scène qui se passe en Cyrénaïque et la date de la coupe, 560, correspondent à l’immigration probable de populations laconiennes à Cyrène vers 575 et aux liens directs qui ont dû en découler avec la Laconie (Cf. p. 91-92).
68Le Peintre d’Arkésilas, présent en Sicile et en Étrurie, lie à nouveau la Cyrénaïque aux réseaux de l’aire occidentale, sans qu’il soit nécessaire d’envisager qu’il ait séjourné en Occident. La date de la coupe correspond aussi à une période où les Ioniens sont le moteur de la distribution des figures noires laconiennes ; la coupe rattache donc Cyrène à Samos et à l’Étrurie et montre à nouveau la pluralité des acteurs et la complexité de la distribution de la céramique en Occident au cours du VIe siècle.

Fig. 26 – Coupe du Peintre d’Arkésilas provenant de Vulci : Arkésilas II de Cyrène assistant à la pesée du silphion (VUL012).
69Les autres coupes de Vulci ne comportent pas de sujets narratifs comme ceux de Cerveteri ou de Tarquinia. La coupe du Peintre des Hoplites (VUL011) montre deux divinités, un dieu et une déesse trônant, thème récurrent dans l’œuvre des différents peintres, et notamment du Peintre de Naucratis, mais qui n’a été mis au jour qu’en contexte cultuel à Cyrène (Cf. p. 92-93) et Olympie (Cf. p. 129-130).
70Les autres vases sont exceptionnels par leur forme qui sortent du répertoire traditionnel des peintres laconiens. Tout d’abord l’hydrie de Vulci (VUL014- fig. 27) appartient à une série du Peintre de la Chasse qui comprend une hydrie de Ialysos (RHO008) et une de provenance inconnue (Boston, Museum of Fine Arts 68.698), une hydrie du Peintre de Naucratis conservée au Louvre s’ajoute à cette série (LV 43, Louvre E660), toutes datées entre 550 et 530 ; l’hydrie du musée de Boston et celle de Vulci sont tout à fait identiques et pourraient appartenir à un même lot. L’amphore du Peintre de Naucratis (VUL001), datée entre 575 et 550, est une pièce unique dans l’ensemble du corpus.
71Ces vases exceptionnels ne semblent pas relever du commerce emporique classique ou d’un système d’échanges commun, mais plutôt de relations étroites entre milieux aristocratiques. Les parallèles iconographiques de la coupe du roi Arkésilas et des divinités trônant lient Vulci à Cyrène. L’hydrie et l’amphore peuvent être des commandes ou des pièces d’exception s’inscrivant dans un système de relations entre l’aristocratie étrusque et les fournisseurs de ces vases. La date de l’hydrie de Vulci (VUL014- fig. 27), 550-530, correspond à une période où Samos n’est plus un agent majeur de la redistribution des vases laconiens et où les acteurs sont probablement différents.
72Les vases laconiens mis au jour en Étrurie sont de qualité, de formes ou avaient une iconographie le plus souvent exceptionnelle. Certains de ces vases, comme nous l’avons vu à Vulci, sont donc probablement la trace de relations particulières entre les aristocraties étrusques et les Grecs. Les Étrusques ont pu commander certains vases laconiens ou ont pu recevoir certains présents « diplomatiques » qui sortaient du cadre traditionnel des échanges commerciaux. Cette hypothèse est renforcée par les différences typologiques avec les vases laconiens de Gravisca et par la présence de vases exceptionnels dans la série qui ne trouvent aucun parallèle ailleurs comme la coupe d’Arkésilas ou l’hydrie de Vulci. Nous renvoyons également aux vases de bronze qui ont précédé les vases céramiques en Étrurie (Cf. p. 47-50) et à la supériorité de la présence du cratère par rapport aux autres coupes. Celui-ci symbolise le banquet aristocratique et a pu séduire les princes étrusques parce qu’il était déjà le symbole des « meilleurs » chez les Grecs au début du VIe siècle. Le cratère laconien comme symbole ne trouve pas de concurrent avant l’arrivée des Ioniens en Occident qui peuvent alors l’avoir « démocratisé » dans un système d’échanges qui ne répond plus aux mêmes règles d’entente entre élites. Il devient alors dans la seconde moitié du VIe siècle un objet d’usage courant prêt à être remplacé par le cratère attique, produit destiné au commerce vers l’Étrurie et non réservé à l’élite des cités grecques et à leurs homologues.
Sites |
Nombres de vases |
Morgantina |
24 |
Monte San Mauro |
13 |
Monte Bubbonia |
12 |
Randazzo |
11 |
Ragusa |
8 |
Grammichele |
7 |
Monte Navone |
6 |
Castiglione |
5 |
Licodia Eubea |
5 |
Poira |
5 |
Ramacca |
5 |
Maestro |
3 |
Montagna di Marzo |
3 |
Monte Casasia |
3 |
Calascibetta |
2 |
Caltagirone |
2 |
Marianapolis |
2 |
Montedoro |
2 |
Monte Iato |
2 |
Portella Tagliata |
2 |
Rossomano |
2 |
Assoro |
1 |
Centuripe |
1 |
Cozzo Matrice |
1 |
Eloro |
1 |
Enna |
1 |
Mendolito |
1 |
Mineo |
1 |
Monte Casale |
1 |
Monte Catalfaro |
1 |
Paterno |
1 |
Pergusa |
1 |
Poggioreale |
1 |
Total |
136 |
Tabl. 40 – Sites retenus pour l’intérieur de la Sicile.
73L’étude des vases laconiens d’Étrurie a mis en évidence la complexité des réseaux et des modalités de l’échange des vases dans une région où les liens ethniques ou politiques ne jouent pas. La coupe d’Arkésilas représente une synthèse des différents agents et réseaux de distribution des vases laconiens : les peintres/potiers voyageurs, les liens de philia entre Cyrène et Sparte, les marchands ioniens. Elle symbolise à elle-seule les deux aires de distribution définies : l’aire occidentale qui lie Tarente, Tocra et les côtes de la Sicile, mais également Samos, Cyrène et l’Étrurie.
La céramique laconienne dans les sites intérieurs de la Sicile
74L’étude porte sur le matériel céramique publié par P. Pelagatti dans son bilan sur la céramique laconienne de Sicile (Pelagatti 1989). Au catalogue de P. Pelagatti s’ajoutent des publications spécifiques pour certains sites ou certains vases (Spigo 1979 ; Bacci 1988 ; Lyons 1996 et Frasca 2001). Nous avons exclu de l’étude les vases provenant d’Akrai et de Palerme pour lesquels aucun contexte de découverte n’est connu (Pelagatti 1989, p. 159-160 et p. 184). Nous ne parlerons pas de « sites indigènes », le caractère indigène de certains sites n’étant pas assuré en raison de la présence d’un certain nombre d’éléments pouvant attester de l’installation de populations grecques, mais de « sites intérieurs » par opposition aux sites côtiers déjà étudiés.
75La céramique laconienne étudiée ici provient de 33 sites répartis essentiellement dans la partie orientale de l’île, sous influence grecque, jusqu’à une ligne reliant Lipari à Agrigente. La partie occidentale est alors sous influence punique ; elles représentent 3,7 % du corpus global.
76Le site le plus important est celui de Morgantina avec 24 vases laconiens (17,5 % du corpus). Viennent ensuite trois sites (entre 8 et 10 % du corpus), deux dans l’arrière-pays de Géla, Monte San Mauro et Monte Bubbonia, et un dans l’arrière-pays de Naxos, Randazzo.
77Les vases proviennent pour la majeure partie de nécropoles (85 % du corpus), 20 ont été mis au jour dans quelques sites d’habitat à Maestro, Mendolito, Monte Iato, Monte San Mauro, Morgantina (huit individus sur les 24 recensés pour le site), Ramacca (trois individus sur les cinq recensés) et Randazzo (une amphore de table). Aucun vase n’appartient au contexte cultuel.
78Le principal vase laconien à l’intérieur de la Sicile est le cratère (61 % du corpus), majoritairement du groupe F, 62 exemplaires auxquels s’ajoute l’exemplaire du groupe L. Les autres types sont présents en moins grand nombre : treize exemplaires du groupe E, un cratère du groupe D, un cratère en cloche, et un cratère à figures noires du groupe B provenant de Grammichele (SIL017).
79La seconde catégorie est celle des vases à parfum avec 35 exemplaires répartis de façon équivalente entre les aryballes (18 exemplaires) et les cratériskoi (17 exemplaires). Les aryballes appartiennent aux groupes A, B, C, G, L et Q ; ils proviennent de huit sites différents avec cependant une majorité à Monte San Mauro (sept exemplaires). La plupart des cratériskoi laconiens proviennent des sites intérieurs de la Sicile, les cités grecques de la côte en ont livré que sept exemplaires. Le site de Randazzo, dans l’arrièrepays de Naxos, a livré à lui seul neuf exemplaires qui proviennent des fouilles de la nécropole (Pelagatti 1989, no 524 à 532). Peu de cratériskoi ont été mis au jour en dehors de la Laconie où la forme est très présente notamment à Amyclées, deux seulement à Rhégion et un à Gravisca. L’isolement géographique de la forme va dans le sens d’exportations répondant à une demande spécifique de la population locale. Les cratériskoi ont pu être utilisés pour leur valeur symbolique, comme des cratères miniatures, plutôt que pour leur valeur usuelle de vases à parfum qui sont peu présents comparés aux cratères dans les nécropoles de l’intérieur.
80Les autres catégories sont résiduelles. On trouve sept vases à boire : cinq coupes dont une du groupe Gb provenant de Raguse (SIL112) qui pourrait être une œuvre du Peintre d’Arkésilas, une lakaina de Monte San Mauro et un kothon de Morgantina. Les vases à stocker sont représentés par cinq amphores de table et une hydrie de Monte Casasia dans l’arrièrepays de Camarine. Les quatre amphores de transport proviennent de Monte Iato (deux exemplaires), Grammichele et Monte San Mauro. La cruche à col étroit provient de Morgantina. Le prochoé provient d’Eloro, au Sud de Syracuse, où ont été recensés les deux seuls autres exemplaires trouvés hors de Laconie.
81Par rapport au matériel laconien des sites de la côte, outre une diversité moindre des formes, on note le très faible nombre de vases à boire. Les seules coupes recensées ont été mises au jour dans des sites au sud de la ligne Mégara Hyblaea-Géla, dans la partie sud-orientale de la Sicile, à l’exception de la lakaina de Monte San Mauro. Si le cratère est le vase le plus présent, les groupes recensés sont peu diversifiés avec une supériorité du groupe F quand tous les groupes typologiques sont présents dans les cités de la côte. La diversité des types de vases à mélanger est moindre mais dans les deux cas avec une nette majorité de cratères à vernis noir. Les autres types de vases à mélanger laconiens, et notamment le stamnos, sont totalement absents. C’est également le cas pour les vases à verser et à stocker dont toutes les formes se retrouvent sur les côtes alors que seules les amphores de table pénètrent à l’intérieur, à l’exception de la cruche à col étroit de Monte San Mauro. Les aryballes, en revanche, appartiennent aux mêmes groupes typologiques que ceux retrouvés dans les cités côtières.
82D’une façon générale, les vases à parfum, très présents dans les nécropoles grecques, sont peu déposés dans les tombes des sites intérieurs de la Sicile, à l’exception de la nécropole de Monte San Mauro.
83Ces comparaisons varient dès que l’on considère les nécropoles des cités côtières individuellement (Cf. p. 116-121). Certaines ont une typologie assez proche de ce qui se retrouve dans les sites intérieurs comme celles de Sélinonte, de Camarine et de Lipari avec une majorité de vases à mélanger laconiens, alors que les nécropoles de Syracuse et Agrigente suivent en revanche le schéma général avec une majorité de vases à parfum. Mégara Hyblaea a une typologie intermédiaire avec un nombre de cratères et de vases à parfum laconiens équivalent.
84Les vases laconiens ont de plus été imités localement dans les sites intérieurs de la Sicile. On dénombre onze cratères pouvant être vus comme des imitations locales des cratères à vernis noir laconiens : cinq exemplaires à Monte Bubbonia et un exemplaire à Castiglione, Licodia Eubea, Morgantina (fig. 28), Poggioreale et Randazzo, ainsi que neuf cratériskoi à Morgantina. Les cinq exemplaires de Monte Bubbonia s’ajoutent aux neuf cratères laconiens provenant de la nécropole (sept cratères F et un cratère E). Les imitations de vases laconiens retrouvés dans les sites de la côte n’appartiennent pas à la même catégorie : il s’agit essentiellement de vases à verser et à boire. On recense quatre cruches à col étroit (deux à Sélinonte et une à Mégara Hyblaea et Syracuse), deux œnochoés (à Agrigente et Sélinonte), deux cratères (à Mégara Hyblaea et Naxos) et une lakaina miniature (à Sélinonte). Toutes ces imitations semblent de facture locale et elles proviennent toutes de contextes funéraires.
85Les importations laconiennes en Sicile (graph. 2) augmentent jusqu’en 575 et restent constantes jusqu’en 525 avant de croître à nouveau jusque vers 500. Elles connaissent une chute importante après 500 et disparaissent dans le premier quart du Ve siècle.
86Les vases laconiens pénètrent à l’intérieur de la Sicile dès le début du VIe siècle (carte 2), mais ne se retrouvent cependant qu’à Monte San Mauro (deux exemplaires en contexte funéraire), et à Maestro (trois exemplaires en contexte d’habitat). Un aryballe de Licodia Eubea, daté d’avant 600, peut être rattaché à cette période. Ce n’est qu’à partir du second quart du VIe siècle que les vases laconiens arrivent dans quelques sites intérieurs (carte 3) : Monte San Mauro (quatre exemplaires), Morgantina (trois exemplaires), Ragusa (deux exemplaires), Grammichele et Ramacca (un exemplaire). Les importations concernent donc alors surtout l’arrière-pays de Léontinoi qui reçoit également des vases laconiens à cette époque. Monte San Mauro est toujours un site particulier, tant géographiquement que typologiquement, tout comme Grammichele pour cette période. Durant le troisième quart du VIe siècle (carte 4), les importations demeurent constantes en nombre, mais elles changent de destination et concernent surtout les sites des arrièrepays de Camarine et Géla : Castiglione, Grammichele, Licodia Eubea, Mineo, Monte Bubbonia, Monte Casale, Monte San Mauro, Portella Tagliata et Ragusa. À l’exception de Licodia Eubea et Ragusa où l’on recense deux vases laconiens, un seul exemplaire de la série a été mis au jour dans les autres sites. C’est entre 525 et 500 (carte 5) que les importations laconiennes sont les plus importantes en quantité et que leur diffusion est la plus étendue. Elles se retrouvent surtout dans les sites centraux de l’île toujours dans les arrière-pays de Camarine et Géla et à nouveau dans celui de Léontinoi et Catane. Elles concernent les sites de Monte Bubbonia (trois exemplaires), Montagna di Marzo, Morgantina et Ramacca (deux exemplaires), Caltagirone, Castiglione, Centuripe, Grammichele, Licodia Eubea, Monte Catalfaro et Randazzo (un exemplaire). Si les importations laconiennes augmentent, leur diversité diminue. À partir de 525, seuls les cratères continuent d’arriver dans les sites de l’intérieur de la Sicile, si on considère que les cratériskoi sont des cratères miniatures et non des vases à parfum identiques aux aryballes. L’augmentation du nombre de vases déposés dans les tombes est due uniquement à celle des importations de cratères. Il y a donc une demande spécifique en cratères laconiens pour les sites intérieurs. Aux environs de 500, on ne recense plus qu’un vase à Morgantina en contexte d’habitat et deux amphores de transport à Monte Iato dans l’ouest de la Sicile où toutefois très peu de vases laconiens ont été trouvés.
87Si on compare le matériel laconien de l’intérieur de la Sicile à celui des cités côtières (graph. 3), leurs courbes d’évolution chronologiques sont inversées. Les cités de la côte voient leurs importations laconiennes au maximum dans le premier quart du VIe siècle alors qu’elles sont encore quasiment inexistantes à l’intérieur. Les vases laconiens connaissent une chute de leurs arrivées sur les côtes jusqu’en 525 alors que leur pénétration vers l’intérieur s’accentue jusqu’en 550 et reste ensuite constante. La reprise est contemporaine dans les deux zones géographiques dans le dernier quart du VIe siècle avec cependant une proportion plus forte pour les sites intérieurs puisque les vases datés entre 525 et 500 représentent 33 % des vases à l’intérieur de l’île et 7 % sur les côtes. La demande intérieure est donc proportionnellement beaucoup plus importante que celles des cités grecques de la côte.
88Les vases laconiens ne pénètrent à l’intérieur de la Sicile que lorsque tous les sites de la côte ont été touchés par les importations de la série à partir de 575. Cependant, ils arrivent dans l’arrière-pays de Catane et de Léontinoi, alors qu’aucun vase laconien n’est recensé à Catane à cette époque et que les importations sont essentiellement concentrées à Mégara Hyblaea, Syracuse et sur la côte sud de Camarine à Sélinonte. On relève toutefois la présence d’un cratère à Léontinoi et la situation de Catane tient certainement au peu de fouilles effectuées sous la ville moderne. Les céramiques de Monte San Mauro recensées pour cette période ne semblent pas répondre aux mêmes problématiques que les autres sites intérieurs de la Sicile. Entre 550 et 525, les vases laconiens se retrouvent dans l’arrière-pays de Géla et de Camarine alors que ces deux cités, ainsi que l’ensemble de la côte sud de la Sicile à l’exception de Sélinonte, ne reçoivent que très peu de céramique laconienne. Les importations sont alors concentrées sur la côte est, de Lipari à Syracuse. Ce n’est que dans le dernier quart du VIe siècle que l’on trouve une certaine concordance entre les côtes et l’intérieur : celui-ci semble alors desservi par les cités des côtes sud-orientales de Géla à Mégara Hyblaea. Il existe donc, jusque vers 525, un décalage d’environ un quart de siècle entre l’arrivée des vases laconiens sur les côtes et leur pénétration dans l’arrière-pays à l’exception du site de Monte San Mauro. Le décalage chronologique peut être assimilé au temps nécessaire à l’adoption des formes laconiennes dans les contextes indigènes de Sicile ou à une différence dans l’usage et la typologie des vases laconiens alors présents dans les deux zones géographiques entre 525 et 500.
89Si on tient compte du contexte, ce n’est qu’à partir de 550 que les vases laconiens se retrouvent dans les tombes de l’intérieur de façon plus importante et toujours croissante, alors que leur quantité diminue dans les tombes de la côte de façon régulière à partir de 550. On peut distinguer trois types d’évolution : les cités grecques dont les nécropoles connaissent une évolution parallèle à celles de l’intérieur, comme Sélinonte ou Lipari (Cf. p. 116-121), celles qui suivent une évolution parallèle à l’évolution générale des cités côtières, comme Camarine et Agrigente, et celles qui connaissent une remontée des dépôts dans les tombes après 550, comme Mégara Hyblaea et Syracuse. On peut difficilement mettre en évidence des changements de contexte pour les vases des sites intérieurs étant donné le peu de vases recensés dans l’habitat tout au long du VIe siècle. Les changements typologiques ne concernent donc pratiquement que le contexte funéraire. On constate dans les deux zones, côtière et intérieure, une augmentation des dépôts de cratères laconiens dans les tombes tout au long du VIe siècle, avec toutefois une proportion plus forte dans les tombes de l’intérieur que dans les nécropoles de la côte. Les imitations de vases laconiens proviennent de contextes funéraires et appartiennent à cette période où les importations de cratères laconiens atteignent leur maximum en Sicile, notamment dans les sites de l’intérieur. Elles marquent donc bien le succès que rencontrent les cratères laconiens dans le monde indigène à une époque où ils tombent en désuétude dans les cités de la côte et sont alors remplacés par les cratères attiques. C’est à ce moment là qu’ils sont déposés dans les tombes grecques.
90Celles-ci continuent cependant de recevoir des vases à mélanger au début du Ve siècle, alors qu’ils disparaissent à l’intérieur, mais il s’agit en majorité de stamnoi et non de cratères comme précédemment. Toutes les nécropoles de la côte sicilienne et de l’intérieur suivent une évolution parallèle, à l’exception de celle de Syracuse.
91Toutes ces constatations d’ordre général doivent cependant être nuancées par l’étude des quelques contextes publiés pour les sites de l’intérieur. Trois sites nous montrent que les profils peuvent être très différents : tout d’abord le site de Morgantina qui a livré le plus de vases laconiens et pour lequel nous disposons de deux types de contextes, l’habitat et la nécropole (Lyons 1996) ; ensuite, Monte San Mauro, dont la typologie tranche avec celle de l’intérieur de l’île ; et le site voisin de Grammichele, où on a mis au jour un cratère laconien exceptionnel (SIL017) dans une tombe aristocratique qui contraste avec l’ensemble des cratères laconiens de la région.
– Morgantina
92Morgantina est située dans l’arrière-pays de Léontinoi et Catane. Les nécropoles fouillées se situent au Nord et au Nord-Ouest du site et ont livré une soixantaine de tombes de l’époque archaïque. L’étude générale de la nécropole a montré qu’il s’agissait d’un site indigène avec certainement des immigrants de différents endroits de la Méditerranée comme l’atteste l’évolution des pratiques funéraires. Dans certains cas, on assiste à l’intégration de rites extérieurs aux pratiques locales avec cependant un maintien au cours du VIe siècle de l’identité indigène sicule (Lyons 1996, p. 133).
93Les vases laconiens de la nécropole, déposés dans les tombes principalement entre 525 et 500, sont quatorze cratères F, une coupe D et un kothon ainsi qu’une imitation locale de cratère laconien et une série de cratères à étriers miniatures de fabrication sicéliote. Ces imitations seraient des vases d’origine locale produits dans les colonies grecques occidentales et ensuite importés dans les sites indigènes de l’intérieur (Lyons 1996, p. 55).
94Le cratère laconien occupe, semble-t-il, une place à part dans la nécropole de Morgantina où il fait partie du mobilier funéraire : l’emploi des cratères laconiens comme urne funéraire n’est en effet attesté de manière certaine que dans un cas où des restes humains ont été retrouvés dans le fond du vase (Lyons 1996, p. 48). On ne retrouve pour les autres séries qu’un cratère attique, deux cratères sicéliotes (un à colonnettes et l’imitation de cratère laconien- fig. 28) et deux cratères de production locale (un à colonnettes et un imitant la forme laconienne). Il est difficile de dire si cette place est due à un coût moins élevé que celui du cratère attique qui commence à se diffuser largement dans le bassin méditerranéen à ce moment-là, ou si son image particulière d’élément du banquet aristocratique lui vaut d’être placé dans les tombes indigènes. La forme est cependant absente des importations contemporaines de Corinthe et de la Grèce de l’Est mais également de la céramique locale.
95Dans l’habitat, la diversité des formes est plus importante avec quatre cratères du groupe E, trois aryballes des groupes A, B et C et une cruche à col étroit. Aucun de ces vases n’est daté de façon précise et les comparaisons avec la nécropole ne peuvent être proposées. On remarque cependant que les vases à parfum sont assez rares en contexte d’habitat dans les cités grecques de la côte et que ceux provenant des autres séries sont assez rares également dans la nécropole.
– Monte San Mauro
96Une partie de l’habitat de Monte San Mauro a été fouillée en 1978 par U. Spigo et quelques fragments de céramique laconienne ont alors été mis au jour. Il s’agit uniquement de fragments de cratères à vernis noir et un fragment de bordure d’un cratère E, tous sporadiques (Spigo 1979, p. 30). La majeure partie des vases laconiens de Monte San Mauro provient cependant du mobilier des tombes de la première moitié du VIe siècle dont une partie a été fouillée par P. Orsi en 1910 et P. Pelagatti en 1973 : il s’agit de sept aryballes (deux exemplaires du groupe F et un exemplaire des groupes A, B, G et Q), deux amphores de table, une lakaina et une amphore de transport.
- 62 Frasca 2001, p. 6-17. Il s’agit d’une des plus riches tombes de la nécropole de Monte San Mauro ap (...)
97Le mobilier s’apparente à celui des tombes des nécropoles des sites de la côte datant de la même époque : il ne dépasse pas la dizaine de vases, à l’exception de celui de la tombe 164 particulièrement riche62, et comporte des céramiques apparentées aux rites funéraires de la toilette du mort comme les aryballes. On retrouve également des vases à verser comme les amphores laconiennes des tombes 158 et 164, des amphores de table corinthiennes de la tombe 206 ou encore l’œnochoé de la tombe F. Les grands vases, comme les cratères, sont absents. Ils sont également rares dans les nécropoles des cités de la côte dans la première moitié du VIe. On note la présence exceptionnelle d’une amphore de transport laconienne dans la tombe 125. Nous devons mentionner et ajouter au corpus un cratère de bronze publié par P. Orsi mis au jour à Monte San Mauro (Pelagatti 1989, pl. 19), utilisé comme urne cinéraire. Le vase est daté du début du VIe siècle. Son origine laconienne est proposée notamment par J. Johannowsky qui le met en parallèle avec un cratère de bronze laconien trouvé dans une tombe de Capoue (Johannowsky 1974, n. 71 p. 17). On peut également le rapprocher d’autres vases de luxe mis au jour dans la même partie de la Sicile : l’hydrie et l’amphore-situle de Géla (Pelagatti 1989, pl. 19 a-c) et le cratère à figures noires et volutes exceptionnel du site voisin de Grammichele (SIL017). La particularité de la typologie des vases laconiens et des vases des tombes en général ainsi que l’antériorité des importations laconiennes montrent que le site est un habitat grec établi dans l’intérieur des terres. Ceci semble confirmé par le matériel de l’habitat qui est semblable à celui des nécropoles (Spigo 1979, p. 31). Les constatations pour la série laconienne sont parallèles aux découvertes récentes faites sur le site qui le donnent comme un habitat grec fondé et occupé par les Grecs dans un endroit stratégique aux confins des arrière-pays de Géla et Léontinoi (Frasca 2001, p. 21), notamment les découvertes de Grammichele.
– Grammichele
98Il a été mis au jour à Grammichele lors des fouilles de l’hiver 1985, une tombe contenant plus d’une centaine de vases et dont le contenu exceptionnel et certains types de vases peu habituels, comme les cratères, font penser à celui d’une tombe princière ou de personnage important (Bacci 1988, n. 3 p. 16). L’origine des vases, tout comme leur fonction, est diverse. Outre les trois vases laconiens, la tombe contenait une centaine de vases corinthiens, attiques, de Grèce de l’Est et indigènes, plus quelques bijoux en bronze et des ornements secondaires. L’ensemble du mobilier a permis de dater la sépulture de la fin du VIe siècle. Le mobilier de la tombe ne correspond pas à celui des tombes grecques car, outre les vases pouvant être rattachés à la toilette du mort, on y trouve des vases de fonction plus quotidienne comme des assiettes, des casseroles, des bols, etc. Une autre tombe contenant des vases laconiens, un cratère F et deux cratériskoi, a été mise au jour en 1915 par P. Orsi (Pelagatti 1989, no 388). On y constate la même profusion de matériel, varié tant par l’origine que par la forme. Ce type de coutumes funéraires perdure jusqu’à la fin du Ve siècle (Bacci 1988, n. 5 p. 13).
99La disparité, la profusion et la typologie générale des vases des tombes publiées rattache plus le site à un milieu indigène employant des éléments de la culture grecque environnante plutôt qu’à un habitat grec comme à Monte San Mauro et prouve la diversité de sites très proches. Les grands vases de la tombe 16 de Grammichele sont deux cratères laconiens réemployés dont l’un représente une pièce inhabituelle pour la région (SIL017) tant pour sa forme que pour son décor. Le troisième vase est une amphore de table à vernis noir. Le cratère n’a pu être attribué à un des peintres laconiens déjà connus, il se rattache cependant, semble-t-il, à l’entourage ou aux successeurs du Peintre d’Arkésilas (Bacci 1988, p. 11). Ce type de cratères à volutes du groupe B ne se retrouve en nécropole à la même époque, vers 575-565, que dans les tombes de Cerveteri (Cf. p. 159-162) ; il ne s’agit pas cependant de pièces aussi belles que celle de Grammichele car elles ne comportent pas de représentations figurées. Ce cratère du Peintre d’Arkésilas correspond à la seule coupe à figures noires trouvée en milieu indigène à Ragusa et qui est du même peintre (SIL112), ainsi qu’à une coupe de Catane (CAT052). Cette utilisation d’une pièce théoriquement destinée, en milieu grec, au contexte cultuel (Cf. p. 136) souligne le caractère indigène et princier de la sépulture et donc du site.
100On note également à Grammichele la présence d’une amphore de transport laconienne provenant de la tombe 29.
101Les sites de Monte San Mauro et Grammichele mettent en évidence les diversités existant entre les sites de l’intérieur de la Sicile. La présence de pièces céramiques luxueuses dans cette partie de l’île, et peut-être celle du cratère de bronze, montre l’intérêt et la richesse de ces deux centres dont la situation à la confluence des arrière-pays de Léontinoi-Catane et de Géla-Camarine était favorable aux échanges. M. Gras a proposé d’envisager une route terrestre reliant Géla aux trafics de la mer Tyrrhénienne par l’intérieur de la Sicile et passant par Grammichele (Gras 1980-1981, p. 131), ce qui pourrait expliquer la présence du cratère à volutes (SIL017) dont le type se trouve à Géla et en Étrurie. Les liens avec les ports de la côte peuvent être montrés également par l’attestation inhabituelle des amphores de transport laconiennes dans cette région, à Grammichele et à Monte San Mauro que l’on rencontre aussi à Géla et Camarine. L’installation de Grecs à Monte San Mauro pourrait s’expliquer alors par le caractère nodal de la région et s’apparenter à une installation « emporique » qui a pu assurer le relais des marchandises à l’intérieur de la Sicile vers le monde indigène. La présence d’une pièce exceptionnelle à Grammichele tend à montrer le caractère important des aristocrates locaux et leur rapport direct avec les Grecs de Monte San Mauro. Il ne faut cependant pas exclure la route maritime car des cratères de type B ont été mis au jour dans l’habitat de Mégara Hyblaea à la même époque et les importations laconiennes sont quasiment inexistantes dans la région de Catane et Léontinoi entre 575 et 550.
102L’entrée des vases laconiens à l’intérieur de la Sicile ne suit donc pas immédiatement le début des importations dans les cités grecques de la côte. Un décalage de 25 ans est nécessaire, et ce n’est qu’à la fin du VIe siècle que l’ensemble du monde indigène de la Sicile est touché par les productions laconiennes. Les échanges des côtes vers l’intérieur semblent passer par des sites relais comme Monte San Mauro, proches de sites indigènes importants comme Grammichele, et se rapprochent alors des types d’échanges effectués dans les emporia côtiers. Les demandes indigènes semblent spécifiques avec une majorité de cratères, souvent déposés dans les tombes comme élément central du banquet aristocratique. Il est difficile de voir quelle image a le cratère laconien dans le monde indigène de Sicile, il semble cependant être le vase aristocratique par excellence. Dans les quelques exemples étudiés, les cratères des autres séries sont quasiment absents, notamment à Morgantina. À la fin du VIe, la production laconienne décline dans l’ensemble du bassin méditerranéen, les cratères attiques remplacent les cratères laconiens dans les cités grecques et les importations attiques à figures noires se généralisent à l’intérieur de la Sicile. L’entrée des vases laconiens du banquet, comme les vases à verser et le cratère, participe du phénomène d’acculturation progressif des populations indigènes de Sicile tout au long du VIe siècle.
La céramique laconienne dans le Salento et l’aire adriatique
103Le présent chapitre se fonde essentiellement sur la publication de G. Semeraro (Semeraro 1997) sur le Salento ; celle-ci a recensé pour chaque site fouillé la céramique archaïque dans chaque type de contexte et réalisé des études comparatives entre les différentes séries. Son catalogue comporte au final plus de 10 000 vases (Semeraro 1997, p. 325) dont 129 appartiennent à la série laconienne soit moins de 2 % de l’ensemble. Les constatations de G. Semeraro sur l’ensemble du matériel archaïque permettent alors de replacer la série laconienne dans un cadre plus général.
104Les vases du Salento représentent un peu moins de 3 % du corpus global, mais ce nombre réduit donne toutefois un aperçu de la façon dont sont reçues les formes laconiennes dans l’ancienne Messapie proche de la seule colonie historique de Sparte connue, Tarente.
105Les vases proviennent de seize sites différents appartenant aux trois contextes : sanctuaire (Oria, Vaste, Ostuni et Leuca), habitat (Otrante, Vaste, Valesio et Cavallino) et nécropole (Oria, Otrante, Ceglie Messapico, Mesagne et Muro Tenete). À ceux-ci s’ajoute un contexte portuaire particulier de Torre Santa Sabina. Le sanctuaire d’Oria est le site qui a livré le plus grand nombre de vases laconiens.
106Hormis une coupe à figures noires du Peintre de Naucratis (SAL052) et un cratère E d’Otrante, tous les vases du Salento sont à vernis noir.
107Les vases à boire sont la catégorie la plus représentée. Il s’agit essentiellement de coupes se rapprochant des groupes E et D (38 exemplaires) d’Oria et de Torre Santa Sabina. Elles sont définies par G. Semeraro comme coupes echiniforme (fig. 29), nous conserverons ce terme. Les cinq exemplaires de Torre Santa Sabina se rattachent de façon certaine au groupe Eb. Un doute peut être émis pour les coupes d’Oria qui sont en effet sans pied et à vernis noir, mais leur profil beaucoup moins évasé et l’absence de bordure font que la forme n’est pas identique à celle des catégories définies par C. M. Stibbe (LBPII). Le vernis avec lequel elles sont couvertes diffère également de celui généralement employé pour les vases laconiens à l’exception de certains aryballes (Semeraro 1997, p. 172-173). Enfin, leur datation, entre 525 et 475, les détache des groupes E et D qui cessent d’être produits dans le dernier quart du VIe siècle. Leur attribution à la série laconienne est due uniquement à l’observation de l’argile. On note d’autres exemplaires de cette forme à Ostuni et Torre Santa Sabina (quatre exemplaires), Otrante et Vaste (un exemplaire). Cette forme pourrait donc être une adaptation locale de la forme laconienne originale. On note également quatre exemplaires du groupe G, tous de Torre Santa Sabina.
108Le deuxième groupe est celui des cratères avec uniquement des cratères à vernis noir du groupe F à l’exception de celui du groupe E d’Otrante cité plus haut. Viennent ensuite les vases à verser qui se divisent en deux catégories : les formes classiques du répertoire laconien (les amphores de table, les œnochoés et l’olpè) et une forme originale que l’on ne retrouve que dans la région et qui est quantitativement la plus importante, les « pichets » (fig. 30). Comme pour les coupes echiniformes, il pourrait s’agir d’une adaptation locale du répertoire laconien. Douze sur les treize de la base de données proviennent du sanctuaire d’Oria.
Sites |
Nombre de vases |
Oria |
47 |
Torre Santa Sabina |
17 |
Otrante |
12 |
Vaste |
10 |
Ostuni |
6 |
Cavallino |
3 |
Rudiae |
2 |
Valesio |
2 |
Bari |
1 |
Ceglie Messapica |
1 |
Egnazia |
1 |
Leuca |
1 |
Massera Fano |
1 |
Mesagne |
1 |
Muro Tenete |
1 |
Torre a Mare |
1 |
Ugento |
1 |
Total |
108 |
Tabl. 42 – Sites retenus pour le Salento.
109La pauvreté du décor des vases laconiens de la Messapie archaïque contraste avec la richesse du décor des vases retrouvés dans les nécropoles de Tarente. Les deux formes les plus communes à Tarente, les aryballes et les coupes, sont absentes ou peu présentes. Le cratère, absent de Tarente, est, en revanche, bien diffusé dans les centres indigènes du Salento. Il faut cependant tenir compte des différences dans les contextes de découvertes et dans la chronologie de la distribution. Si on exclut les formes particulières d’Oria, la typologie du Salento renvoie à celle des sites intérieurs de la Sicile où les cratères sont également la forme la plus présente et où l’on retrouve l’amphore de table. Cependant la diversité des formes de vases à verser et à boire est plus importante dans le Salento qu’en Sicile intérieure où les coupes E et les œnochoés sont absentes.
110On a pu rattacher 83 vases à un contexte précis de découverte. Le contexte cultuel est celui qui a livré le plus de vases laconiens ; il s’agit essentiellement de vases du sanctuaire d’Oria. Le cratère est le vase laconien le plus représenté dans le contexte d’habitat. Cela contraste avec ce qui a été constaté pour l’ensemble des séries d’importation dans l’habitat archaïque du Salento où les vases à boire, et notamment la coupe, sont la forme principale pour toutes les autres séries (Semeraro 1997, p. 333). Si l’on a recensé des cratères corinthiens et attiques en habitat, notamment à Otrante (Semeraro 1997, ig. 268a p. 332) et Cavallino (Semeraro 1997, ig. 264 p. 327), le nombre de cratères laconiens est toujours, dans tous les cas, supérieur. Il est également le vase laconien le plus présent en contexte funéraire. Cependant seul un exemplaire a été retrouvé dans une tombe à Messagne, les autres exemplaires proviennent de l’aire de différentes nécropoles sans que l’on puisse préciser s’ils ont été utilisés comme mobilier funéraire, comme élément du banquet funéraire ou comme marqueurs de sépultures. Le cratère de Messagne date du troisième quart du VIe siècle et est contemporain des quelques cratères attiques qui commencent à être mis dans les tombes à partir de ce moment-là ; ils demeurent cependant exceptionnels et les coupes sont le vase d’importation le plus représenté, notamment les coupes ioniennes B2. Elles accompagnent généralement un grand vase de fabrication locale. En contexte cultuel, les vases à boire sont la catégorie la plus représentée. La série laconienne est alors parallèle à la tendance générale car les coupes, toutes séries confondues, sont les vases d’importation les plus offerts (Semeraro 1997, p. 347). On constate donc des similitudes avec les contextes de la Sicile indigène : les cratères laconiens sont le vase le plus représenté dans les différents contextes et les vases à boire sont absents des nécropoles indigènes.
111Cependant, contrairement à ce qui a été observé en Sicile, où le cratère laconien semble avoir une image particulière notamment à la fin du VIe siècle, on ne distingue pas dans le Salento d’emploi spécifique de la série laconienne, les cratères laconiens entrant dans les tombes en même temps que les cratères attiques et se retrouvant dans l’habitat en même temps que les cratères corinthiens.
112Tout comme en Sicile, la phase principale d’arrivée de la céramique laconienne est le quatrième quart du VIe siècle. La montée des importations a cependant été amorcée dès 550 et leurs prémices datent de la première moitié du VIe siècle. Une réserve doit cependant être émise quant au troisième quart du VIe siècle car la majorité des vases sont soit des coupes echiniformes, soit des « pichets », deux formes inconnues dans la série laconienne en dehors du Salento. On peut envisager un phénomène de commandes ou de production sur place d’après ce qui a été constaté à Samos, Olympie et en Étrurie pour les peintres laconiens, et en Sicile pour les stamnoi. Ceci n’est cependant valable que si ces formes existent dans les productions locales et ont un rôle bien défini dans le Salento. Un doute demeure quant à l’origine laconienne de ces vases, leur production sortant des cadres chronologiques de la série laconienne alors que, par exemple, les stamnoi de Sicile sont contemporains d’une montée des importations laconiennes. Si on compare cette courbe à celle des importations laconiennes à Tarente, on remarque que la cité a quasiment cessé ses importations quand celles-ci débutent dans le Salento.
113Les différentes formes laconiennes n’arrivent toutefois pas au même moment et avec la même évolution chronologique. La plus grande diversité des types se rencontre dans le troisième quart du VIe (quatre coupes, trois œnochoés, trois cratères, une amphore de table et une olpè). Les cratères à vernis noir du groupe F sont présents dès la première moitié du VIe siècle (trois exemplaires). Ils n’arrivent cependant en quantité notable qu’à partir de 550 (treize exemplaires). Les importations sont à leur maximum dans le troisième quart du VIe avant de disparaître totalement vers 500. Les coupes sont présentes dans le Salento dès 600 (quatre exemplaires du groupe G), mais surtout entre 550 et 525 avec une majorité de coupes du groupe E. La coupe G de Torre Santa Sabina doit certainement être rattachée à la période précédente dont date une autre coupe G provenant du même site. Les vases à verser sont présents à partir de 550 jusque dans les premières années du Ve siècle. Le dernier type de vases laconiens à parvenir dans la région sont les « pichets » d’Oria.
114Sur le plan géographique, les vases se retrouvent dans les sites de la partie adriatique de la Messapie. Pour la mer Ionienne, seuls les sites de la pointe du Salento reçoivent des vases laconiens et aucun vase n’a été recensé au Nord d’Ugento. La distribution suit la côte adriatique ; on retrouve en allant vers le Nord un cratère F à Torre a Mare, un canthare à Bari et un cratère F à Spina. Tarente est donc isolée par rapport au reste de la Messapie alors qu’il s’agit du principal dépôt de céramique laconienne de la région. Les coupes et les cratères ne se trouvent pas dans les mêmes endroits : les cratères sont surtout présents dans les sites intérieurs du Salento alors que les coupes ont été découvertes dans les sites proches des côtes adriatiques, l’anse de Torre Santa Sabina, Otrante, Vaste sauf pour les 33 exemplaires d’Oria. Les vases à verser se situent en bord de mer à Torre Santa Sabina et Otrante à l’exception des trois œnochoés d’Ostuni.
115Les vases de la première moitié du VIe siècle proviennent de la côte adriatique (deux cratères à Otrante, deux cratères et une coupe à Vaste, une coupe E et une coupe G à Torre Santa Sabina). Ils datent surtout du second quart du VIe siècle à une époque où Tarente ne reçoit quasiment plus de vases laconiens. L’absence de vases de la série dans l’arrière-pays de Tarente entre 600 et 575 alors qu’elle est le principal importateur dans tout le bassin méditerranéen et la présence de vases à Torre Santa Sabina et Otrante confirment que les vases laconiens arrivent dans le Salento par la route adriatique et que Tarente ne joue pas de rôle de redistributeur. Une extension de la diffusion des vases laconiens vers l’intérieur à partir de la côte Est a lieu dans la seconde moitié du siècle. Torre Santa Sabina est le dépôt le plus important de la région avec cinq coupes (dont une coupe echiniforme équivalente à celles d’Oria), une œnochoé à bec trilobé et deux formes closes pouvant s’apparenter aux « pichets » trouvés dans la région. Il s’agit de vases surtout datés entre 550 et 525. Vient ensuite Valésio avec quatre cratères. Les exemplaires non datés d’Otrante sur la côte pourraient se rattacher à cette époque. La plus grande diversité de formes se retrouve cependant à Oria avec la présence des coupes echiniformes, des « pichets » et d’un cratère. Tous ces vases datent de la fin du VIe siècle, les seuls vases datés du Ve siècle proviennent de ce sanctuaire, il s’agit de quatre « pichets ». Tarente ne joue pas le rôle de redistributeur également après 550 : les types de vases sont différents et elle demeure donc isolée de son arrière-pays.
- 63 Ceka 1986, p. 89. Découverte d’une amphore de transport laconienne, d’un cratère, d’une œnochoé et (...)
116Tout comme la Sicile, la céramique laconienne arrive dans le Salento surtout dans la seconde moitié du VIe siècle. Cette arrivée se fait de la côte adriatique vers l’intérieur, d’autant qu’on retrouve un matériel similaire en Albanie63 et à Spina (Bruni 1988). On note cependant que ces régions proches de la Laconie ne reçoivent que peu de matériel laconien en comparaison d’autres plus éloignées comme la Sicile méridionale. Tarente ne peut alors être envisagée comme redistributeur. Les importations laconiennes sont contemporaines des importations corinthiennes et attiques qui débutent aux alentours de 550. Elles cessent cependant quand la région est largement touchée par les importations attiques vers la fin du VIe siècle.
117Ces observations doivent être approfondies par l’étude des sites d’Oria et de Torre Santa Sabina : Oria en raison du nombre important de vases laconiens qui y ont été mis au jour par rapport au reste de la Messapie et de la présence de formes particulières, et Torre Santa Sabina comme dépôt portuaire pouvant renseigner sur les modalités d’échanges entre Grecs et indigènes.
– Oria
118Le matériel d’Oria provient de deux types de contextes : un sanctuaire et une nécropole. Le sanctuaire se situe sur la colline de Monte Papalucio et a livré une cinquantaine de vases probablement d’origine laconienne. Les débuts de la fréquentation de ce sanctuaire sont situés aux alentours de 550. Elle cesse au début du Ve avant de connaître une nouvelle phase à l’époque hellénistique (Semeraro 1997, p. 343-347). Deux cratères du groupe F ont été publiés pour l’aire de la nécropole et 33 coupes echiniformes, douze « pichets » et un cratère pour le contexte cultuel.
119La céramique laconienne représente 0,85 % du matériel et est présente en quantité négligeable par rapport à la céramique coloniale (80 % du matériel) et à la céramique attique (15 % du matériel, la céramique attique à figures noires représente 3 % du matériel global). La proportion dans les sites de la face côtière est plus significative et résiduelle à Oria (Semeraro 1997, fig. 227a p. 344). Comme Oria semble dépendre fortement de Tarente dans l’acquisition de produits d’importations, notamment pour la céramique attique (D’Andria 1976, p. 21), le faible nombre d’importations laconiennes atteste plutôt d’une arrivée par l’Adriatique et non par la colonie laconienne (Semeraro 1997, p. 377). Un doute demeure sur l’attribution à la série laconienne des coupes et des « pichets » qui ne possèdent aucun équivalent ailleurs et qui sont quasiment les seuls représentants de la série à Oria alors que d’autres sites ont livré un nombre de vases plus important et appartenant aux formes laconiennes traditionnelles. Le décalage chronologique avec l’ensemble des importations du Salento qui se situent entre 550 et 525, alors que les vases d’Oria sont datés entre 525 et 500, va dans le sens d’une origine non laconienne.
– Torre Santa Sabina
120Il s’agit à Torre Santa Sabina du matériel découvert dans la baie. Celui-ci s’échelonne du VIIe siècle à la première moitié du Ve siècle et est composé de vases jetés par-dessus bord car jugés, semble-t-il, impropres aux échanges. L’étude de ce dépôt a permis de mieux comprendre les modalités de fréquentation de l’aire adriatique par les Grecs, celui-ci étant constitué exclusivement des classes de céramique importée de Grèce (D’Andria 1976, p. 21).
121Nous avons recensé d’après la publication de F. D’Andria : neuf coupes dont cinq du groupe E et trois du groupe G, deux œnochoés, une amphore de table, un bol et une olpé. La typologie du dépôt diffère donc de celle des autres sites du Salento : aucun cratère n’a été mis au jour et les seules coupes à figures noires laconiennes de la région proviennent de Torre Santa Sabina. Les vases laconiens sont présents en quantité importante par rapport à l’ensemble du dépôt et à l’ensemble des régions les plus méridionales (D’Andria 1976, p. 23). Ils sont datés pour l’essentiel du troisième quart du VIe siècle à l’exception d’une coupe du groupe E, datée entre 575 et 550 et d’une coupe à figures noires du Peintre de Naucratis, datée entre 575 et 565 (SAL052).
122Par rapport aux autres séries, on note la faible représentation de céramique corinthienne (seulement 32 fragments) dont le commerce s’essouffle à partir du début du VIe siècle, de la céramique attique (seulement huit fragments dont deux coupes à figures noires) et la présence en revanche notable de la céramique ionienne (77 fragments), en particulier des coupes. Le rôle des marchands ioniens en Occident et dans la distribution de la céramique laconienne, notamment des coupes à figures noires, est attesté ici. Il faut également noter l’absence de grands vases exceptés quelques cratères de la Grèce de l’Est et surtout l’absence de fragments d’amphores de transport. Ces dernières sont cependant présentes dans les fouilles des dépotoirs indigènes de l’intérieur (D’Andria 1976, p. 22).
123Toute cette documentation témoigne d’une activité commerciale grecque sur la côte adriatique méridionale dès la fin du VIIe siècle qui explique les découvertes plus au Nord à Spina où deux cratères à vernis noir (Bruni 1998, p. 209) ont été recensés. Ces dépôts de céramique laconienne permettent d’affirmer, comme nous l’avons vu plus haut, que la redistribution du matériel laconien ne passe pas par Tarente mais par des points d’accostage indépendants mettant en relation directe les marchands grecs avec les populations indigènes.
124Il semble que les acteurs du transport de la céramique laconienne dans la Messapie archaïque soient les marchands ioniens. La présence d’amphores commerciales samiennes peuvent lier la région au commerce de la Grèce de l’Est, les typologies de vases laconiens sont toutefois très différentes de ce qui a été constaté à Samos et Naucratis ce qui excluerait les Samiens. Si elles correspondent chronologiquement à ce qui a été observé à Gravisca, il n’y a pas pas de continuité le long des côtes ioniennes et tyrrhéniennes à la même époque. Le parallèle le plus proche semble bien être la Sicile où les cratères à vernis noir sont très présents dans la seconde moitié du VIe siècle. Les objets en provenance de la Grèce de l’Est sont assez dispersés et disparates, à l’exception des vases de Torre Santa Sabina, et ne permettent pas d’affirmer que l’action des marchands ioniens a été prépondérante dans l’aire adriatique.
Notes
55 Histoire du marchand samien Colaios faisant commerce avec l’Égypte avant d’être détourné par les vents vers la Libye (Hérodote IV, 150). Si Samos n’a pas participé à la fondation de Naucratis, Hérodote dit qu’elle y a érigé un temple et prétend avoir droit de commerce (Hérodote II, 178).
56 Huit sur les douze relevées au total pour l’ensemble des sanctuaires grecs du bassin méditerranéen. Les quatre autres exemplaires proviennent d’Olympie (deux exemplaires) et de Naxos en Sicile (deux exemplaires).
57 Boldrini 1994, p. 262-264, parle d’une prépondérance samienne du matériel de Gravisca au vu de l’étude des inscriptions présentes sur les vases et de l’onomastique ; la suprématie des Samiens sur le commerce de Gravisca est alors datée des années 560-530.
58 Pipili 1987, p. 50-51. Cette scène est également interprétée comme Kadmos tuant le Dragon. M. Pipili note les ressemblances iconographiques entre Apollon/Kadmos de ces coupes et les représentations d’Achille guettant Troïlos par le même peintre.
59 Les autres coupes ont été trouvées dans les sites de Vulci (cinq exemplaires), Tarquinia (trois exemplaires), Murlo, Pratica di Mare, Tolfa (deux exemplaires), Canino, Satricum, Veies et Vétulonia (un exemplaire). Ce sont toutes des coupes à figures noires du type G à l’exception d’un exemplaire à Murlo et d’un à Veies qui appartiennent au style Laconien II (groupe C).
60 Outre les deux exemplaires de Cerveteri (CER035 et CER036), on recense seulement une coupe à Gravisca (GRA034) et une coupe à Vulci (VUL013) mais dont l’attribution est incertaine.
61 On doit à son atelier notamment la représentation de trois chasses au sanglier (LV 220, LV 225 et LV 262). Nous connaissons seulement un exemplaire du Peintre des Cavaliers provenant de Satyrion (SAT047) et deux exemplaires du peintre d’Allard Pierson également de Satyrion (SAT057-058).
62 Frasca 2001, p. 6-17. Il s’agit d’une des plus riches tombes de la nécropole de Monte San Mauro appartenant probablement à une jeune fille. Elle s’insère dans un groupe de quatre tombes particulièrement riches des environs de 570, probablement un noyau familial aristocratique. L’étude de ce groupe de tombes a montré la pratique de rites funéraires grecs.
63 Ceka 1986, p. 89. Découverte d’une amphore de transport laconienne, d’un cratère, d’une œnochoé et d’une coupe laconienne à vernis noir.
Table des illustrations
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Légende | Tabl. 36 – Les vases laconiens à Gravisca. |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 121k |
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Légende | Tabl. 38 – Les vases laconiens à Cerveteri. |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 107k |
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Légende | Fig. 24 – Dinos à figures noires du Peintre des Cavaliers (CER043-LV313, Taf. 110 et 111). |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 217k |
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Légende | Tabl. 39 – Les peintres laconiens à Cerveteri. |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 164k |
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Légende | Fig. 25 – Coupe laconienne de Cerveteri représentant Achille guettant Troïlos et Polyxène à la fontaine (CER048). |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 171k |
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Légende | Fig. 26 – Coupe du Peintre d’Arkésilas provenant de Vulci : Arkésilas II de Cyrène assistant à la pesée du silphion (VUL012). |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 232k |
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Légende | Fig. 27 – Hydrie du Peintre de la Chasse provenant de Vulci (VUL014). |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 182k |
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Légende | Tabl. 41 – Les vases laconiens dans les sites intérieurs de la Sicile. |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 118k |
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Légende | Fig. 28 – Imitation sicéliote de cratère à étriers laconien (Lyons 1996, no 17-86, pl. 52). |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 57k |
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Légende | Tabl. 43 — Les vases laconiens dans le Salento. |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-10.jpg |
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Légende | Fig. 29 — Coupes échiniforme d’Oria (Semeraro 1997, fig. 118, cat. no 433-436, p. 171). |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-11.jpg |
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Légende | Fig. 30 – « Pichets » d’Oria (Semeraro 1997, ig. 122, cat. no 441-450, p. 175). |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/4947/img-12.jpg |
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