1L’étude des cités “historiquement” laconiennes a montré que les liens de parenté jouaient un rôle prépondérant dans la distribution de la céramique laconienne et que certains réseaux de distribution pressentis après l’étude de la répartition des vases dans l’ensemble de la Méditerranée avaient pour points nodaux la cité de Tarente et la Laconie. En dehors de ces réseaux commerciaux, de nombreux sites grecs d’Orient et d’Occident ont livré un nombre conséquent de vases laconiens sans que pour autant leur histoire les relie d’une façon ou d’une autre à Sparte. Il convient désormais d’essayer de préciser quels sont les agents de la distribution, comment celle-ci s’organise et quel est le statut des productions laconiennes dans le monde grec. Pour cela les vases laconiens doivent être remis dans leur contexte de découverte.

2Nous traiterons ici du « milieu grec » et avant tout des sites reconnus comme tels sans ambiguïté ; l’identité grecque de certains sites intérieurs de la Sicile, comme Grammichele ou Monte San Mauro, n’est encore que supposée39. Seuls les sites côtiers ont été pris en compte. Des établissements grecs en milieu indigène, comme les sanctuaires de Gravisca en Étrurie ou de Naucratis en Égypte, ont été incorporés au corpus du présent chapitre pour l’étude statistique ; cependant leur position d’interface entre les milieux grecs et indigènes en font des sites particuliers qui ne peuvent être considérés hors des relations qu’ils entretiennent avec leur arrière pays, leur étude se fera donc ultérieurement (Cf. p. 151-155). Les vases des nécropoles de Tarente ont également été incorporés aux statistiques générales pour souligner à nouveau leur caractère particulier. Nous ne reviendrons cependant pas dessus.

3En milieu grec40, les vases laconiens sont présents dans les trois types de contextes les plus fréquents : l’habitat, les nécropoles et les sanctuaires. L’habitat et les sanctuaires sont parfois difficiles à distinguer et des sanctuaires peuvent passer inaperçus dans la fouille générale d’un habitat. À Géla, par exemple, des stamnoi et de nombreux vases proviennent tous de l’acropole où de nombreux sanctuaires devaient certainement se situer. À la difficulté de distinguer nettement le contexte de découverte s’ajoute celle de la publication des fouilles. La céramique de certains sites a fait l’objet d’une beaucoup plus grande attention et il faut tenir compte de ce paramètre. Deux sites sont par exemple surreprésentés : Mégara Hyblaea pour l’habitat et Tarente pour les nécropoles.

4Sur l’ensemble des sites ayant livré de la céramique laconienne, comme pour la majorité des catégories fonctionnelles, ce sont les sanctuaires qui ont fourni le plus de vases. C’est toutefois le type de contexte le plus exploré, notamment à l’Est et en Grèce propre, et il est normal d’y découvrir la plupart des vases laconiens. Cependant, pour certaines catégories de vases, ce n’est pas le contexte cultuel qui a donné le plus d’éléments : les vases à parfum proviennent majoritairement de nécropoles et les amphores de transport ont été mises au jour surtout en habitat. Certaines catégories sont absentes d’un des trois contextes comme les plats de l’habitat et les supports des nécropoles.

5Les différentes catégories fonctionnelles ne se répartissent donc pas de la même façon dans les trois contextes. En habitat, la moitié des vases découverts sont des vases à mélanger. Si on rajoute les 140 exemplaires de Mégara Hyblaea, on arrive à une proportion de presque 70 % des vases découverts en habitat ; la seconde catégorie est celle des vases à boire (26,5 %), puis les amphores de transport (7,5 %). Ce sont donc les deux principaux types de vases du banquet qui priment sur les autres catégories. Dans les nécropoles, environ un tiers des vases découverts sont des vases à parfum (31,5 %) ; viennent ensuite les vases à mélanger (27,5 %) et les vases à boire (26,5 %). Cependant, si on enlève les 52 vases à boire de Tarente, ces derniers, ne représentent plus que 10 % de l’ensemble et ils se placent après les vases à verser. Dans les sanctuaires, environ deux-tiers des vases découverts sont des vases à boire (63 %) ; viennent ensuite les vases à mélanger (15,7 %). Les sanctuaires ont cependant livré la plus grande variété de formes.

6D’une façon générale, chaque contexte semble avoir une catégorie fonctionnelle de prédilection et tous les vases laconiens n’ont donc pas le même statut suivant leur contexte d’utilisation. Cependant la série laconienne est ici artificiellement isolée et on ne peut en tirer des conclusions préliminaires. Le statut des vases laconiens ne saurait être défini sans l’étude de chaque type de contexte et celle de leur place par rapport aux autres séries.

Le matériel laconien en contexte d’habitat

7Un nombre restreint de sites d’habitat ont livré du matériel laconien en contexte, mais certains, de par la qualité de leur matériel ou le caractère exceptionnel de leur découverte, permettent de dresser un tableau de la place qu’occupait la Laconie par l’intermédiaire de ses vases dans le quotidien des Grecs du VI^e siècle.

8Le matériel laconien en contexte d’habitat se limite à la céramique ; il n’a pas été relevé, en effet, pour les différents sites, d’objets appartenant à d’autres catégories de l’art laconien. Le matériel provient de 18 sites répartis entre quatre régions différentes : en premier, la Sicile avec 172 exemplaires, soit environ 80 % des vases de la base de données mentionnés pour le contexte d’habitat, état qui tient avant tout aux publications42.

9En habitat, les vases laconiens retrouvés sont peu décorés. On ne recense toutefois que quelques vases à figures noires, et quatorze exemplaires décorés dans le style Laconien II.

10Le vase laconien de l’habitat est le cratère (50 %). Ils proviennent pour la plupart de Sicile (88 exemplaires sur les 108 recensés). Il s’agit majoritairement de cratères à étriers à décor secondaire ou à vernis noir (85 exemplaires pour les deux catégories). Les cratères à ornements secondaires se retrouvent en habitat surtout dans la première moitié du VI^e siècle, ce qui correspond à leur période de production. On trouve également des cratères à volutes, qui proviennent tous de Mégara Hyblaea, et des stamnoi, tous de l’acropole de Géla, à l’exception d’un exemplaire de Syracuse. Par rapport aux cratères produits par d’autres centres à la même époque, le cratère laconien pourrait avoir eu un statut particulier dans le monde grec.

11Les coupes constituent la deuxième catégorie présente en habitat (26,5 %). Les groupes recensés sont les groupes B (deux exemplaires), C (douze exemplaires), E (quinze exemplaires) et G (douze exemplaires). Les deux premiers sont présents dans le premier quart du VI^e siècle, après lequel ils cessent d’être produits et exportés (Cf. p. 18). Les groupes E et G sont produits en Laconie entre 575 et 500, mais les coupes E ne sont présentes en habitat qu’entre 550 et 525, alors que les coupes G le sont tout au long de la période. On recense peu de types à paroi haute : plusieurs kothons et skyphoi, un seul canthare et une seule lakaina.

12Les amphores de transport laconiennes représentent la troisième catégorie, mais elles sont peu nombreuses (seize exemplaires), par rapport aux deux catégories précédentes, et proviennent surtout de Géla : treize exemplaires sur l’acropole et trois de l’aire urbaine. Les autres catégories de vases apparaissent peu. Si ces vases sont identiques par leur décor à ceux relevés par la prospection de l’École Britannique en Laconie (Cf. p. 68-69), quelques nuances existent toutefois pour les formes. Tout d’abord au niveau des catégories représentées : on remarque l’absence totale des grands vases domestiques et notamment des hydries, ce qui contraste avec ce qui a été observé en Laconie où elles sont nombreuses. Les hydries laconiennes ne semblent donc pas avoir intéressé les Grecs pour leur usage quotidien. Les cratères font bien partie de l’habitat laconien, mais il s’agit le plus souvent de cratères en cloche et non à étriers. Le cratère à étriers représenterait, en Laconie, le vase par excellence du banquet aristocratique et non le vase quotidien. Les exemplaires retrouvés proviennent d’une même partie du territoire de la prospection et sont associés aux coupes à tige, contrairement au reste de l’aire de prospection où l’on relève surtout des coupes basses et des vases à paroi haute (Cf. p. 70). Ces derniers sont pratiquement absents, alors qu’en Laconie ils représentent une part importante de la vaisselle, notamment les skyphoi et les kothons. Les amphores de table sont également nombreuses dans l’habitat laconien, mais avec des types différents de ceux exportés.

13Les vases laconiens se retrouvent en habitat dès le premier quart du VI^e siècle, leur niveau demeure ensuite constant tout au long de la période de diffusion.

14Cette courbe n’est parallèle ni à celle de la production, ni à celle de la distribution, qui ont un pic situé dans le second quart du VI^e siècle. Elle est en revanche parallèle à celle de l’arrivée des vases laconiens en Sicile, ce qui illustre la place particulière de la région pour ce type de contexte.

15Les observations sur l’évolution chronologique ne concernent que les vases à boire et les vases à mélanger compte tenu du peu d’exemplaires datés pour les autres catégories.

16Durant le premier et le second quarts du VI^e siècle, les vases à boire et les vases à mélanger sont présents en proportion équivalente et leur nombre diminue parallèlement dans le second quart. Ensuite, le cratère laconien disparaît, vers 550, alors que sa production et sa distribution continuent jusqu’au début du V^e siècle (graph. 4). Le type de coupes utilisé change également : les coupes du type G avec figures noires ou ornements secondaires présentes auparavant disparaissent également ; seules continuent d’être utilisées des coupes du groupe E qui proviennent toutes de Sicile. Dans la première moitié du siècle, on utiliserait donc la coupe de banquet laconienne parallèlement au cratère. Dans le troisième quart du VI^e siècle, les vases à boire disparaissent totalement et l’on retrouve à nouveau des vases à mélanger, il s’agit cependant de stamnoi, qui proviennent tous de Géla et semblent répondre à une attirance locale pour cette forme, et non plus de cratères à étriers, le parallèle est donc difficile à faire.

17L’utilisation des vases laconiens en milieu grec ne peut donc être cernée que par l’étude de contextes d’habitat précis.

1. Le matériel laconien en contexte d’habitat : l’aire urbaine de Mégara Hyblaea

18Le site de Mégara Hyblaea a été choisi en raison de l’étendue du matériel laconien publié mis à disposition pour l’habitat (MH2 et Pelagatti 1989, p. 172-180 ; 208-211) et de la diversité des contextes fouillés, l’aire urbaine et les nécropoles, pour une même communauté d’habitants. Nous allons ici nous intéresser aux fouilles de l’aire urbaine réalisées entre 1949 et 1961 et dont le matériel archaïque a été publié par G. Vallet et F. Villard. L’étude du matériel des nécropoles viendra ultérieurement. La publication des céramiques archaïques de l’aire urbaine permet une comparaison quantitative et typologique des vases laconiens avec les séries contemporaines (corinthienne, ionienne et attique) en contexte d’habitat ; elle aide à comprendre s’ils ont un statut particulier par rapport aux autres.

19Le volume de MH2 fournit la base de l’étude comparative. La méthode de recensement des vases est exposée par G. Vallet et F. Villard (MH2, p. 9-10) et donne l’ordre de grandeur des différentes séries recensées sur le site : « un fragment égale au minimum un vase ». Dans la publication de 1964

20(MH2, p. 127-129) 180 vases ont été recensés pour la série laconienne qui doivent être mis en perspective avec les 15000 vases corinthiens et les 2000 vases attiques retrouvés sur le site. Des publications plus récentes complètent ces données44. La base actuelle comprend 209 vases pour la seule aire urbaine45. Les vases recensés pour l’étude sont :

• 175 cratères (36 de la base de données plus les 139 mentionnés sous la référence MHA073) dont 149 du groupe F, treize du groupe E, cinq du groupe B, cinq du groupe C et trois du groupe D, le cratère est donc le vase principal de la série laconienne ;
• treize coupes dont sept du groupe C et quatre du groupe E, une coupe à figures noires du groupe G (MHA023) ;
• dix aryballes globulaires, le type n’est connu que pour deux exemplaires, un du groupe C et un du groupe F ;
• deux dinoi, un à figures noires et un à vernis noir ;
• deux skyphoi ;
• une amphore de table ;
• un canthare ;
• une lékané ;
• une pyxis ;
• deux supports ;
• une tasse cylindrique ;

21Il s’agit surtout de vases à vernis noir, mais il y a également quelques exemplaires de vases à décor du style Laconien II et à figures noires.

22Pour les autres séries contemporaines, nous ne donnons ici que les chiffres globaux qui sont de 1958 vases attiques, 1156 vases ioniens, 1153 vases corinthiens et 34 vases chiotes. La série laconienne est donc la quatrième série importée.

– Les cratères

23Les vases à mélanger représentent 84,5 % des vases laconiens de l’habitat de Mégara Hyblaea. On compte une majorité de cratères des groupes E (treize exemplaires) et F (149 exemplaires) par rapport aux cratères à figures noires ou à ornements secondaires (cinq exemplaires des groupes B et C, et trois exemplaires du groupe D), auxquels on peut ajouter le dinos à figures noires. Mégara Hyblaea est le seul site grec à avoir livré des vases à mélanger laconiens à figures noires en contexte d’habitat. Les cratères de Mégara Hyblaea datent de la première moitié du VI^e siècle, y compris les cratères du groupe F. Ces derniers sont pourtant produits jusqu’aux environs de 475 avec une phase maximale de production dans la seconde moitié du VI^e siècle et une phase maximale d’arrivée en Sicile dans le dernier quart du VI^e siècle. Les cratères laconiens de l’aire urbaine de Mégara Hyblaea dépendent donc d’un besoin limité dans le temps et non des aléas des importations en provenance de Sicile.

24Parmi les séries importées, seules les séries corinthienne et attique ont livré des cratères : 72 cratères à colonnettes pour la série corinthienne sur 1153 vases, soit environ 6 % des vases corinthiens de Mégara Hyblaea, et 226 cratères pour la série attique sur 1958 vases, soit environ 11,5 %. Au sein des autres séries, le cratère tient donc une moins grande place que dans la série laconienne. Les cratères corinthiens sont pour la plupart datés entre 590 et 570 et sont alors contemporains des cratères laconiens. Les cratères attiques sont utilisés dans l’habitat de Mégara Hyblaea à partir de 575 (52 exemplaires) donc après les cratères laconiens et corinthiens, mais la majorité date cependant du dernier quart du VI^e siècle (139 exemplaires). Ils sont d’ailleurs les seuls cratères importés à partir de 550.

25Le type existe également dans la céramique mégarienne depuis le protocorinthien (MH2, p. 148-149). Au VII^e siècle, les vases à mélanger constituent le principal type produit dans la céramique locale alors qu’il est peu représenté dans les importations protocorinthiennes. Il s’agit cependant surtout de dinoi (MH2, p. 190). Aucun cratère n’a été recensé dans la céramique à vernis noir locale du VI^e siècle qui succède à la céramique décorée vers la fin du VII^e siècle. Les formes produites à cette époque sont le négatif de celles importées. Les importations répondent alors aux besoins qui ne sont pas couverts par la production locale (MH2, p. 182) comme dans le cas des cratères laconiens dans la première moitié du VI^e siècle. La forme n’existe pas à la même époque pour le type à volutes à Corinthe et n’est pas encore produite à Athènes. Les habitants de Mégara Hyblaea choisissent donc spécifiquement le cratère laconien à étriers, et non ceux contemporains, corinthiens ou attiques, à colonnettes. Le cratère attique, notamment le type à volutes, le remplace à partir de 525, alors que les importations de cratères laconiens à étriers continuent en Sicile.

26Il apparaît donc que le cratère laconien était importé pour lui-même, et non comme substitut aux autres séries, et qu’il occupait une place particulière dans l’ensemble de la production céramique archaïque.

– Les coupes

27Nous disposons de treize exemplaires de coupes laconiennes à Mégara Hyblaea soit 6,2 % des vases de la série donc loin derrière les cratères. Il s’agit de coupes du type C et du type E, et d’un exemplaire à figures noires du Peintre de la Chasse (MHA023) du type G.

28De la fin du VII^e siècle aux environs de 575, on trouve à Mégara Hyblaea des coupes du type C, ce qui correspond à leur phase de production et de distribution dans l’ensemble du bassin méditerranéen. Les coupes sont absentes entre 575 et 550, ce qui correspond à la phase de baisse des importations laconiennes en Sicile pour cette époque notamment pour les coupes (graph. 6). Les exemplaires du type E datent tous du troisième quart du VI^e siècle, période durant laquelle elles sont le plus produites. Il s’agit cependant d’un groupe correspondant plus à la consommation locale en Laconie qu’à une production d’exportation.

29Pour la série corinthienne, le vase à boire le plus prisé au VI^e siècle est le skyphos. On recense plus de 650 exemplaires dont la moitié date du troisième quart du VI^e siècle, et qui est contemporaine des coupes laconiennes du type E. On trouve également une centaine de coupes importées surtout entre la fin du VII^e siècle et 590, avec quelques exemplaires datés des environs de 580. Ils sont toujours en nombre inférieur aux skyphoi (environ 150 exemplaires pour la même période). Les coupes laconiennes du type C sont légèrement postérieures car datées entre 600 et 575. Elles se situent à un moment où les coupes corinthiennes font défaut. Les skyphoi sont toutefois toujours présents (plus d’une centaine d’exemplaires).

30Pour la période 620-540, 903 coupes ioniennes à vernis noir et une coupe à figures noires ont également été mises au jour à Mégara Hyblaea. Elles se répartissent en trois groupes (Vallet, Villard 1955, p. 29) : 51 pour le groupe B1 (620-580), 703 pour le groupe B2 (580-540) et quatre pour le groupe B3 (560/550-530). Les coupes corinthiennes et laconiennes type C sont donc contemporaines des importations de coupes B1, il s’agit toujours d’un type à pied bas conique.

31Les importations de coupes attiques deviennent conséquentes à Mégara Hyblaea à partir de 550 avec 50 exemplaires avant 550 et presque 400 entre 550 et 500. Elles semblent être la cause du déclin des coupes ioniennes qui disparaissent peu après, vers 540. Il s’agit alors de coupes à tige à lèvre ou à bandes, alors que les types attiques importés dans la première moitié du VI^e siècle sont à pied bas conique du type des cômastes ou de Siana (Villard 1946, p. 180-181). Les coupes à tige sont contemporaines des coupes laconiennes du type E, qui contrastent alors tant par leur forme sans pied que par leur décor ; elles sont donc certainement liées à un déplacement de personnes plus qu’à un commerce.

32Dans le cas des vases à boire de l’aire urbaine de Mégara Hyblaea, une série semble donc en chasser une autre avec tout d’abord la série corinthienne, puis la série ionienne et la série attique. La série laconienne est parallèle dans son évolution à la série corinthienne pour les coupes du type C, mais pas pour les coupes du type E dont la forme et le décor ne sont pas en accord avec le type de coupes le plus importé alors, les coupes attiques à tige à figures noires et figures rouges. Les coupes laconiennes ne semblent pas avoir de statut particulier par rapport aux autres séries à l’exception des coupes E qui seraient des vases personnels.

– Les aryballes

33Dix aryballes globulaires laconiens ont été mis au jour à Mégara Hyblaea. Une comparaison globale avec les autres séries est impossible car aucun n’est daté de façon précise. La production et la distribution des aryballes globulaires laconiens se situe cependant entre 600 et 550 (graph. 4) avec un pic entre 600 et 575.

34La majorité des aryballes (36 exemplaires) et des alabastres (47 exemplaires) corinthiens de l’aire urbaine de Mégara Hyblaea datent de la fin du VII^e siècle et sont absents entre 600 et 575. Dix aryballes datent du second quart du VI^e siècle. Les aryballes laconiens sont donc importés à Mégara Hyblaea à un moment où les vases à parfum corinthiens font défaut.

35On recense très peu de vases à parfum pour les autres séries : sept alabastres et deux lydia pour la série ionienne et deux alabastres du début du V^e siècle pour la série attique. La série laconienne se substitue à la série corinthienne pour les vases à parfum. Ces derniers ne sont cependant que très peu présents d’une façon générale en habitat (Cf. p. 107) et nous devons nous référer plutôt aux découvertes des nécropoles de la cité (Cf. p. 117-118).

– Les vases à verser et à stocker

36Les vases à verser laconiens sont absents : il n’a été recensé qu’une amphore de table laconienne. On les trouve dans les autres séries, bien qu’en nombre très inférieur aux coupes : pour la série corinthienne, 63 œnochoés, 19 amphores et 18 olpès ; pour la série ionienne neuf amphores et huit œnochoés ; et pour la série attique une majorité d’amphores, 87 exemplaires, 23 olpès et neuf œnochoés.

37L’exemplaire laconien date du troisième quart du VI^e siècle, époque à laquelle les amphores attiques sont les plus nombreuses. L’apparition de ce vase à stocker ou à présenter dans l’habitat peut correspondre à de nouveaux usages autour du banquet, tout comme notamment l’utilisation des coupes à tige.

38L’étude du matériel laconien de l’aire urbaine de Mégara Hyblaea montre la place particulière occupée par le cratère laconien dans l’habitat d’une cité grecque de Sicile. Facilement identifiable, qu’il soit à figures noires ou à ornements géométriques pour les types les plus luxueux des groupes B, C et D, ou à vernis noir, il n’a pas son équivalent dans les autres séries où le cratère à volutes ne fait son apparition qu’à la fin du VI^e siècle. Le cratère laconien pourrait alors être l’élément de banquet aristocratique par excellence ; nous disposons du matériel laconien d’autres habitats grecs qui peuvent permettre de le vérifier.

2. Le matériel laconien en contexte d’habitat : Lipari, Punta Chiarito et Corinthe

– Le matériel laconien de l’acropole de Lipari

39La céramique laconienne, assez abondante sur l’acropole de Lipari (ML9, p. 246-258), offre un premier point de comparaison, en Sicile, aux vases de Mégara Hyblaea. Les exemplaires recensés lors des fouilles de la cité sont les suivants : 21 cratères, 18 du groupe F et trois du groupe E, soit 67,8 % de l’ensemble de la série : sept coupes, quatre du groupe E et trois coupes à figures noires probablement du groupe G et trois bassins. Neuf pièces sont datées : un cratère du groupe E entre 600 et 575, un cratère du groupe F entre 575 et 550, les quatre coupes E entre 550 et 525, et les trois coupes à figures noires des environs de 550. Il est donc difficile d’établir une courbe de distribution. On remarque cependant que les coupes laconiennes ne sont présentes à Lipari qu’après 550. On peut ajouter à ces vases ceux découverts dans un Bothros, au fond duquel un trou a été percé, laissant place à une circulation d’air qui le rattache au culte d’Éole, dieu des vents.

40Le caractère votif s’est cependant perdu transformant cette cavité en dépotoir au cours du VI^e siècle. Les vases laconiens mis au jour sont les fragments de sept cratères à vernis noir de grandes dimensions, l’embouchure d’un stamnos et les fragments d’une coupe du groupe E. La typologie est donc identique à celle du matériel de la cité.

41Parmi les importations, la série laconienne est la troisième série après la série corinthienne (179 exemplaires- ML9, p. 246) et la série ionienne (79 exemplaires- ML9, p. 249), et devant la série attique. La majorité du matériel céramique mis au jour est cependant d’origine locale (700 exemplaires- ML9, p. 258). Les vases corinthiens sont importés à Lipari dès les débuts de la cité vers 600. Ce sont surtout des vases à parfum ou pour la toilette (aryballes, alabastres, pyxides), mais aussi des vases à boire, principalement des skyphoi (89 exemplaires sur les 179 recensés pour la série). Le cratère (dix exemplaires) ne représente que 5,5 % des vases corinthiens. Les vases ioniens sont surtout des coupes des types A1 et B1, 40 exemplaires sur les 79 vases mis au jour (Vallet, Villard 1955, p. 29). Les vases attiques parviennent à Lipari pour la plupart à partir de 550, même si quelques individus sont datés entre 580 et 570, les deux tiers sont des vases à boire (136 coupes et 52 skyphoi). Les vases à verser sont une autre catégorie importante de la série attique (32 amphores et six œnochoés). Les cratères représentent quant à eux 9 % de l’ensemble avec 28 exemplaires sur les 310 de la série. Les importations de vases attiques sont donc contemporaines de l’apogée des importations de céramique laconienne. Pour finir, les formes de la céramique locale sont également assez diversifiées. Les plus nombreux sont les vases à boire avec 360 exemplaires dont 250 coupes et 115 skyphoi. L’hydrie est bien représentée avec 60 exemplaires sur les 700 recensés alors qu’elle est absente des séries importées. On recense 20 cratères, qui ne représentent que 2,8 % de l’ensemble des vases.

42La typologie des vases laconiens de l’acropole de Lipari est donc assez semblable à celle de l’ensemble du matériel laconien en contexte d’habitat : les cratères sont le vase le plus présent, puis les coupes. Elle est également identique à celle que l’on trouve à Mégara Hyblaea et dans la maison archaïque fouillée sur l’agora de Cyrène (Cf. n. 38 p. 88). Une partie des cratères et les coupes de l’habitat de ces différentes cités appartiennent aux mêmes groupes : le groupe F pour les cratères et le groupe E pour les coupes. Il est toutefois impossible de comparer la chronologie des importations de céramique laconienne dans ces différents sites : les coupes E de Mégara Hyblaea et de Lipari sont contemporaines et se retrouvent dans ces deux habitats après un vide entre 575 et 550, probablement lié à la chute des importations des coupes laconiennes en Sicile à cette époque.

43La complémentarité de la série laconienne avec les formes exportées par les autres centres producteurs du VI^e siècle, tout comme la place particulière du cratère laconien dans les importations, semble être confirmée à Lipari comme à Mégara Hyblaea. Les cratères laconiens sont les plus nombreux, notamment le type F, dans la première moitié du VI^e siècle. Pour la seconde moitié du VI^e siècle, malgré l’absence d’exemplaires datés de façon précise, la série laconienne, avec une supériorité du nombre de cratères, peut avoir compensé les manques de la série attique. Le cratère laconien a donc bien un statut particulier pour les Grecs qui semble le préférer, en Occident tout du moins, au cratère des autres séries. La découverte sur l’île d’Ischia d’un cratère laconien dans son contexte d’utilisation renforce cette hypothèse.

– Punta Chiarito : un cratère laconien dans son contexte d’utilisation

44Sur l’île d’Ischia, au début des années 1990, une installation grecque détruite à deux reprises par des éruptions volcaniques a été mise au jour à Punta Chiarito. La première éruption, au début du VII^e siècle, a mis fin à une occupation qui avait débuté dans le troisième quart du VIII^e. Le site a été ensuite réinvesti, à la fin du VII^e siècle, avant d’être à nouveau détruit par une seconde éruption dans les premières décennies du VI^e siècle (De Caro, Gialanella 1998, p. 338-353). Pour le deuxième habitat, tout le matériel en place au moment de la catastrophe a été découvert, ce qui permet d’avoir une vision instantanée du mobilier quotidien des occupants de la maison. Celle-ci se divise en trois zones sur une surface de 27 m². Dans l’entrée se trouvaient une quinzaine de vases dont un cratère laconien du groupe E (GRG001), une lékané du Corinthien Moyen et une amphore de transport corinthienne, les autres vases étaient d’origine locale. La partie Nord servait de magasin avec plusieurs grands vases conteneurs en place et un bassin contenant une râpe en bronze. C’est dans la zone centrale qu’a été mis au jour le plus grand nombre d’exemplaires céramiques avec plus d’une soixantaine de vases d’importation corinthiens et ioniens, et un bassin de bronze à rebord perlé. Les vases de la partie centrale étaient surtout des vases à boire, mais également quelques vases à parfum, comme un aryballe quadrifolié et une pyxis du Corinthien Moyen, et une autre râpe. Dans la zone du foyer se trouvaient des hameçons et d’autres instruments de pêche ainsi qu’une double-hâche et des poids de métier à tisser.

45L’ensemble de ce mobilier a permis de dater la maison des premières années du VI^e siècle ; sa constitution exclut la possibilité d’une structure cultuelle, notamment les vases du banquet comme le cratère et les vases conteneurs. La présence du matériel de pêche et du métier montre cependant une vie basée sur le travail quotidien qui n’est pas en accord avec les vases se rattachant au banquet aristocratique. La présence de ces vases, et surtout du cratère, amène les inventeurs de cet établissement à envisager soit qu’il s’agit du lieu de résidence occasionnel d’un aristocrate et, dans ce cas, la structure se réfère à un paysan colon et à sa famille, soit que nos critères d’évaluation du mode de vie aristocratique et des statuts sociaux sont à revoir et que la condition de travailleur manuel des occupants n’est pas incompatible avec les signes du luxe aristocratique (De Caro, Gialanella 1998, p. 351-353 ; Lubtchansky 1998). La première hypothèse me semble en accord avec ce que nous avons observé sur la place du cratère laconien dans le monde grec.

46Le cratère laconien correspond typologiquement et chronologiquement à ceux mis au jour à Mégara Hyblaea dans l’habitat. Dans les deux cas, le cratère laconien a un statut particulier comme vase du banquet aristocratique par excellence dans la première moitié du VI^e siècle, alors que ces deux sites n’ont aucun lien historique avec la Laconie qui pourrait éventuellement expliquer cette préférence. Deux hypothèses sont alors envisageables quant à la place occupée par le cratère laconien dans l’habitat grec de la première moitié du VI^e siècle. La première est que le cratère laconien peut se substituer au cratère corinthien à figures noires qui disparaît vers 570 et occupe alors les mêmes fonctions que ce dernier. Cependant si les premiers cratères laconiens sont contemporains des derniers cratères corinthiens, la production de cratères laconiens en bronze dès la fin du VII^e siècle et leur succès à l’exportation montre que cette forme laconienne était déjà connue et appréciée. De plus, c’est un vase à vernis noir qui remplace un vase à figures noires, mais les cratères laconiens à figures noires ne rencontrent pas le même succès que les cratères des types E et F, alors que dans les années 575-550 la production à figures noires laconienne est à son maximum. Le cratère corinthien et le cratère laconien se distinguent également par leur forme, le premier est à colonnettes, le second à volutes. Le changement de forme peut être à l’origine du succès des cratères des groupes E et F car seuls les cratères attiques mettent fin à l’utilisation du cratère laconien dans l’habitat grec d’Occident, cependant le cratère laconien à vernis noir était aisément identifiable et ne laissait aucun doute sur son origine à l’inverse des cratères laconiens à figures noires, le cratère laconien ne se substituerait donc à aucun autre.

47Cela nous amène à envisager une autre raison à la présence sans concurrence, à un certain moment, du cratère laconien dans l’habitat : sa forme et son origine véhiculent l’image du banquet aristocratique propre à Sparte et évoquent la mise en scène d’un corps social détenant le pouvoir (Nafissi 1999, p. 250-251) et cherchant à se distinguer du reste des occupants de la Laconie. La valeur aristocratique du banquet à Sparte est montrée par l’importance du thème symposiaque sur les coupes laconiennes dans la première moitié du VI^e siècle par rapport aux productions contemporaines, notamment corinthiennes (Powell 1998, p. 128-129). Cette image d’une élite aristocratique participant à un banquet qui est leur prérogative ne disparaît que lorsque le cratère à volutes devient un objet courant dans la production à figures noires attique et dans l’utilisation qui en est faite par l’ensemble du corps des citoyens, à moins, comme le propose C. Gialanella, que nos modes d’évaluation des critères sociaux ne soient à reconsidérer, ce qui semble cependant difficile.

48Nous n’avons pour l’instant d’exemples de vases laconiens en contexte d’habitat que pour le monde colonial, à l’exception de Corinthe.

– Les vases laconiens découverts à Corinthe

49Il est intéressant de retrouver des exemplaires de la série laconienne dans un centre de production massive de céramique tel que Corinthe. Quinze vases laconiens ont été recensés pour le contexte d’habitat : sept coupes, trois kothons, deux amphores de table, un cratère du groupe F, un aryballe et une œnochoé. Ces vases ont été découverts au Sud du forum romain dans une zone résidentielle à l’époque archaïque (Siegel 1978, p. 45). Ils ont donc été utilisés dans un contexte domestique et profane. Deux exemplaires supplémentaires proviennent du quartier des potiers. Hormis la coupe Gf du Peintre de Naucratis (COR006), tous ces vases sont à vernis noir et diffèrent donc beaucoup de la production corinthienne archaïque.

50À l’exception d’une coupe du groupe Ed, les coupes importées sont toutes doriques, six exemplaires du groupe Gg et un exemplaire du groupe Gf, celle du Peintre de Naucratis (COR006). Corinthe est le seul site grec à avoir livré des coupes doriques laconiennes en nombre significatif en contexte d’habitat (un seul autre exemplaire provient de l’agora d’Athènes). Cette forme n’existe pas dans le répertoire corinthien, de même que les tasses et le cratère à étriers (Siegel 1978, p. 45). Les Corinthiens qui ont importé ces vases, notamment ceux du quartier des potiers, ont été attirés par ces formes qui n’appartiennent pas à leur répertoire. Elles n’ont toutefois pas été imitées par les potiers. L’intérêt des Corinthiens pour la céramiques laconienne est illustré par la découverte d’un cratère du type F comportant une inscription sur la bordure en alphabet corinthien, KETO pour laquelle L. J. Siegel (Siegel 1978, p. 45) propose la restitution suivante : [ὁδετνα ἀγ] ẸΘ [ε] κετό [ιθέῳ], « donné au dieu ». La dédicace de ce cratère laconien montre sa valeur élevée.

51Les vases laconiens de Corinthe se répartissent sur tout le VI^e siècle. On note cependant une concentration aux environs de 550 et une évolution des formes : les formes closes dans la première moitié du VI^e siècle (l’aryballe, l’œnochoé et un cratère), les coupes aux environs de 550, puis de nouveau des formes closes avec les deux amphores de table datées entre 525 et 500. Ils arrivent donc à Corinthe lors du déclin de la production de la cité au moment où elle va être supplantée dans l’ensemble du bassin méditerranéen par la production attique.

52Les vases de Corinthe montrent encore que certaines formes laconiennes, en particulier les cratères et les coupes doriques, inventées en Laconie, ont intéressé également les grands centres de production de céramique. Il s’agit toujours de vases qui n’ont pas leur équivalent dans les grandes séries à la même époque et dont la spécificité laconienne ne devait certainement pas être ignorée par leurs acquéreurs.

53L’étude détaillée des sites d’habitat à notre disposition a permis de préciser la place qu’occupait la série laconienne par rapport aux autres céramiques contemporaines. On importe et on utilise le plus souvent les vases laconiens qui n’ont pas d’équivalents dans les autres séries, et qui disparaissent dès que les potiers attiques reprennent ces formes à la fin du VI^e, comme dans le cas des cratères à volutes et des coupes doriques. Le cratère bénéficie d’un statut particulier, notamment dans la première moitié du VI^e siècle : il serait le vase principal du banquet et renverrait alors à la cité aristocratique par excellence, Sparte. Cette hypothèse est renforcée par la découverte de l’exemplaire de Punta Chiarito. Le cratère laconien n’est détrôné que par le cratère attique à partir des environs de 550. Il reste à savoir si celui-ci remplace la série laconienne pour son décor à figures noires ou si le cratère laconien cesse d’être le symbole d’un certain idéal aristocratique à partir de ce moment-là ; l’étude des autres contextes doit nous éclairer.

Le matériel laconien en contexte funéraire

54Les vases laconiens proviennent de 33 nécropoles réparties dans six régions différentes, mais 57 % proviennent de Sicile où, tout comme pour l’habitat, ces chiffres s’expliquent en partie par la précision de la publication de P. Pelagatti. Hormis Tarente, sur laquelle nous ne revenons pas (Cf. p. 84-87) et dont les vases ne figurent pas dans ce chapitre, peu d’exemplaires proviennent des nécropoles grecques d’Italie du Sud et de Méditerranée orientale. On remarque, par exemple l’absence des nécropoles de Pithécusses ou d’Amathonte de Chypre. Nous nous pencherons donc surtout sur les nécropoles siciliennes sans pour autant omettre de les comparer avec le reste du matériel laconien des autres nécropoles grecques.

55La catégorie la plus importante est celle des vases à mélanger (28 % des vases), surtout des cratères qui peuvent avoir deux fonctions : soit ils sont utilisés comme urne cinéraire, soit seulement comme éléments du mobilier. Les cratères laconiens des tombes sont peu décorés, à vernis noir ou à ornements géométriques, à l’exception de deux cratères à figures noires des nécropoles de Samos (SAM151 et SAM248). Viennent ensuite les vases à parfum et parmi ceux-ci les aryballes (29 % de l’ensemble des vases), qui ont pu contenir les huiles utilisées lors de la toilette du mort ou être déposés comme offrande dans la tombe. La troisième catégorie est celle des vases à boire et essentiellement des coupes, mais on retrouve aussi un nombre significatif de lakainai canoniques (huit exemplaires). Comme les vases à mélanger et les vases à parfum, les vases à boire peuvent correspondre à deux fonctions, soit comme vases utilisés lors des libations faites au mort, soit comme vase du banquet. Il s’agit de coupes du type E et de coupes doriques des groupes Ge et Gg. Les coupes sont donc peu décorées et on ne compte que quatre coupes à figures noires à Syracuse (SYR023-024) et à Akraiphia (GRE002-003).

56On remarque que par rapport à la typologie générale qui incluait les coupes de Tarente (Cf. p. 104-105), les coupes laconiennes, tout comme les autres vases à boire, sont exceptionnelles dans les tombes grecques. Les vases à stocker et à verser se retrouvent en quantité équivalente. Les vases à verser peuvent avoir été utilisés pour éteindre le bûcher funéraire ou comme simple offrande (D’Agostino 1999, p. 88).

57Si on laisse de côté les nécropoles tarentines, les vases laconiens ne font leur entrée dans les autres nécropoles grecques, et notamment dans les nécropoles siciliennes qu’aux environs de 600 (graph. 3). Ils sont déposés dans les tombes grecques jusqu’à la fin du VI^e siècle, malgré un reflux entre 550 et 525. Dans le premier quart du VI^e siècle, les vases à parfum dominent avec treize exemplaires sur les 20 vases recensés, on compte quelques vases à mélanger et à boire. Les aryballes appartiennent aux groupes A et B (deux exemplaires de chaque), au groupe N (trois exemplaires) et au groupe G (un exemplaire). Dans le second quart, les types précédents font toujours partie du mobilier funéraire, mais d’autres formes laconiennes commencent à être déposées dans les tombes comme les hydries et les œnochoés. La proportion des vases à parfum diminue cependant, alors que leur production est encore conséquente (graph. 23), au profit des vases à boire et à mélanger. Hormis les aryballes du groupe A (cinq exemplaires), on trouve désormais des aryballes à base plate des groupes F, K et L (deux exemplaires de chaque), mais également des lydia (trois exemplaires) et un lécythe. On a également une grande diversité pour les cratères avec des exemplaires des groupes C, D, E, F et des cratères en cloche. Dans le troisième quart du VI^e siècle, les vases à parfum ont quasiment disparu des tombes grecques et sont remplacés par les amphores de table (six exemplaires), les autres types restent constants. Le type des cratères change toutefois avec uniquement des cratères entièrement noirs des groupes F, G et H. La disparition des groupes C et D s’explique par l’arrêt de la production, il n’en est pas de même pour le groupe E qui est produits au moins jusqu’en 525 (graph. 7). Dans le dernier quart du siècle, on trouve surtout des cratères (treize exemplaires) et des amphores de table (neuf exemplaires). Au début du V^e siècle, seuls les cratères et stamnoi laconiens sont encore présents dans les tombes ; ils sont d’ailleurs les seuls vases laconiens encore exportés.

58La typologie des vases laconiens des tombes grecques change donc au cours du VI^e siècle. Les vases de la première moitié du VI^e siècle sont surtout des vases à parfum (des aryballes essentiellement), à mélanger et quelques vases à boire, des coupes E et des lakainai. Les vases de la seconde moitié du VI^e siècle sont les grands vases du banquet, surtout le cratère et les amphores de table, et quelques coupes G. L’évolution globale du matériel laconien est différente de ce qui a été observé à Tarente tout d’abord par l’importance du cratère, absent des tombes tarentines et le faible nombre de vases boire, première catégorie à Tarente. La spécificité tarentine se trouve donc renforcée tout comme le statut particulier du cratère laconien. La répartition des sites et la typologie des vases montrent cependant la nécessité d’une étude régionale afin de nuancer les constatations générales ; l’étude du contexte des vases dans plusieurs nécropoles grecques et leur situation par rapport aux différentes séries aide à préciser les premières observations faites en contexte d’habitat.

1. Le matériel laconien des nécropoles grecques de Sicile

59Le choix des différentes nécropoles de Sicile étudiées s’est effectué selon des critères variables : la présence de plusieurs contextes, l’importance de la série laconienne, le dépôt de formes laconiennes particulières ou encore une publication exhaustive montrant les vases des autres séries.

60L’importance numérique de la série laconienne impose de se pencher tout d’abord sur les nécropoles de Sélinonte pour comparer le matériel avec celui du sanctuaire de Déméter Malophoros (Cf. p. 148). Une place particulière doit être ensuite faite aux vases laconiens de la nécropole de Mégara Hyblaea qui complète les observations faites pour l’habitat. Les nécropoles d’Agrigente et de Camarine n’ont livré que peu de vases laconiens mais bénéficient cependant d’une publication qui permet de comparer la série laconienne avec les autres séries, ce qui n’est pas possible pour les autres cités. Enfin, les nécropoles de Syracuse et Lipari, quant à elles, offrent une typologie particulière de vases laconiens qu’il faut mettre en perspective avec l’ensemble de la céramique laconienne du bassin méditerranéen.

– Les nécropoles de Sélinonte

61Nous connaissons le matériel laconien des nécropoles de Sélinonte par les publications de P. Pelagatti (Pelagatti 1989, p. 186-187 et 216-217), les catalogues de C. M. Stibbe (LMB, LBPII et LBPIII) et des publications d’A. Kustermann-Graf (Kustermann-Graf 2002) et d’E. Meola (Meola 1996-1998). Il est toutefois difficile de voir le contexte précis des vases laconiens et d’établir des comparaisons avec les autres sériescéramiques à l’exceptionde lanécropole Gaggera ; nous ne procéderons donc qu’à une étude globale.

62Des nécropoles de Sélinonte proviennent 41 vases laconiens au Nord-Est, de la nécropole de Buffa, au Nord, de la nécropole de Galera-Bagliazzo, et à l’Ouest, de la nécropole de Manicalunga, qui se divise en trois secteurs, Gaggera à l’Est, Pipio au Nord-Est et Timpone Nero à l’Ouest. Ces nécropoles auraient contenu plus de 100 000 tombes dont seulement 5 000 ont été fouillées, le reste ayant été livré au pillage (Isler 1994, p. 166). Les vases laconiens dont la provenance est connue se répartissent de façon équivalente entre les trois nécropoles. Ce sont surtout des vases à vernis noir et quelques exemplaires à décor secondaire, deux lakainai (SEL055 et SEL058) et un cratère (SEL032). Les vases à mélanger sont majoritaires (21 exemplaires sur 40 et un kratériskos) ; on ignore leur fonction première sauf pour les cratères des tombes 116 et 127 (SEL063-066) de la nécropole Gaggera et des tombes D145 et D162 (SEL058 et SEL069) de la nécropole Buffa qui ont pu être utilisés comme urnes cinéraires. La deuxième catégorie est celle des vases à parfum avec huit aryballes de deux lécythes. On relève quelques vases à boire, une coupe, un bol et une lakaina et quelques vases à verser, deux cruches à col étroit et une œnochoé.

63Pour l’ensemble des vases laconiens mis au jour à Sélinonte, le pic maximum des importations se situe dans le premier quart du VI^e siècle, ils ne sont cependant placés dans les tombes qu’à partir de 575 et majoritairement dans la seconde moitié du VI^e siècle.

64Les cratères entrent dans le mobilier des tombes à partir du second quart du VI^e siècle sans que l’on puisse préciser s’il s’agit d’un fait général dans les nécropoles de la cité ou si cela concerne les seuls cratères laconiens. Cependant, pour la nécropole Gaggera, seulement deux cratères corinthiens de la première moitié du VI^e siècle ont été mis au jour dans deux tombes au mobilier exceptionnel (tombes 113 et 152, Kustermann-Graf 2002, p. 180-181 p. 207-212) et quinze cratères dans les tombes du V^e siècle toutes séries confonfues. Ces cratères servent alors d’urne cinéraire et suivent une augmentation de la crémation (Kustermann-Graf 2002, p. 39 et 74). Les quatre cratères laconiens du dernier quart du VI^e siècle (SEL063-066) répondent à ce schéma. Le cratère semble également un vase assez exceptionnel comme élément du mobilier funéraire dans la nécropole Buffa, les grands vases sont alors l’amphore, l’hydrie et le pithos (Meola 1996-1998, p. 5-9). Les vases à parfum sont déposés uniquement jusqu’en 550. Pour les vases de la nécropole Gaggera, les aryballes laconiens disparaissent des tombes en même temps que les vases à parfum de la Grèce de l’Est qui s’étaient ajoutés, semble-t-il, aux vases à parfum corinthiens au début du VI^e siècle (Kustermann-Graf 2002, p. 78).

– Les nécropoles de Mégara Hyblaea

65Les nécropoles de Mégara Hyblaea comprennent trois ensembles principaux fouillés à ce jour au Nord, à l’Ouest et au Sud. La nécropole occidentale a livré près de 1000 tombes fouillées à la fin du XIX^e siècle (Orsi 1889 et 1892), la nécropole septentrionale quelques dizaines de tombes fouillées dans les années 1950 et la nécropole méridionale environs 350 tombes fouillées dans les années 1970 (Cébeillac-Gervasoni 1975, p. 13-25), soit près de 1500 tombes pour l’ensemble des nécropoles. Le recensement des vases laconiens s’appuie surtout sur les publications de P. Pelagatti (Pelagatti 1989, p. 173-180 et p. 208-211) et C. M. Stibbe (LBPIII) et les publications antérieures de P. Orsi consécutives à ses fouilles de la nécropole occidentale entre 1889 et 1892 (Orsi 1889, p. 689-952 et Orsi 1892, p. 124-132, 172-183, 210-214, 243-252 et 278-288).

66Sur plus de 1500 tombes fouillées à Mégara Hyblaea, seulement 25 ont livré un ou plusieurs vases laconiens. Il s’agit surtout de tombes de la nécropole occidentale fouillée par P. Orsi et de quelques tombes de la nécropole méridionale, aucune tombe de la nécropole septentrionale, toutefois peu documentée, ne contenait de vase laconien.

67Les vases des nécropoles de Mégara Hyblaea sont à vernis noir (fig. 20), à l’exception d’un lydion peint du Peintre de Naucratis (MHA094) et de deux lakainai à décor canonique (MHA090-091).

68Les vases à mélanger sont les plus nombreux : douze exemplaires dont huit cratères, trois stamnoi et un cratériskos, viennent ensuite les vases à parfum, neuf aryballes principalement du groupe A, un lydion et un lécythe, puis les vases à verser, quatre cruches à col étroit, à stocker, deux amphores de table et deux hydries, et pour finir les vases à boire, deux lakainai, une coupe E et un bol. La typologie est donc identique à celle établie pour les tombes de Sélinonte.

69Les vases à parfum disparaissent aux environs de 550 au moment où les cratères entrent dans la composition du mobilier funéraire. Cette présence du cratère laconien, alors utilisé comme urne cinéraire ou comme ossuaire (Gras 1975, p. 49) dans les tombes mégariennes de la seconde moitié du VI^e siècle, ne saurait être due à une progression de la crémation sur l’inhumation car ces deux types de sépultures sont utilisés tout au long du VI^e siècle. Le tableau typologique des sépultures de la nécropole occidentale (Cebeillac-Gervasoni 1975, p. 14) utilisée jusqu’au début du V^e siècle comprend une majorité de tombes en sarcophage ou les incinérations sont la plupart du temps déposées dans des stamnoi ou à côté de ceux-ci46.

70Les stamnoi laconiens de la seconde moitié du VI^e siècle correspondent à cet usage et serait alors l’adaptation d’une forme peu présente en Laconie à un usage local.

71Deux tombes de la nécropole occidentale méritent une attention particulière : la tombe 770 et la tombe 949. La tombe 770 (Orsi 1892, p. 278) a livré les deux lakainai de Mégara Hyblaea (MHA090-091) avec pour tout autre mobilier deux lécythes aryballistiques de fabrication locale. Leur dépôt commun, et l’absence d’autres vases d’importation, ne saurait être anodin, surtout si l’on se réfère à ce qui a été observé à Tarente à la même période et pourrait indiquer l’origine des deux défunts inhumés. La tombe n^o 949 de la nécropole occidentale datée du second quart du VI^e siècle, a livré un mobilier exceptionnel par la taille des vases qu’il contient, dont le lydion laconien du Peintre de Naucratis (MHA094), forme exceptionnelle dans la série, et trois lydia à bandes.

72Les vases laconiens des nécropoles de Mégara Hyblaea ont donc un décor plus modeste que ceux de l’habitat ; on ne retrouve en effet qu’un seul vase à figures noires, le lydion du Peintre de Naucratis (MHA094) dans les nécropoles, contre cinq vases à figures noires et plusieurs à ornements secondaires dans l’habitat. La typologie diffère également : tout d’abord par le faible nombre de cratères provenant de la nécropole, comparativement à ceux mis au jour dans l’habitat ; ensuite, les vases à boire n’ont pas leur place dans les tombes, alors qu’ils étaient bien présents dans l’habitat, et, inversement, les vases à verser et à stocker laconiens y sont quasiment absents ; ils sont en revanche bien présents dans les nécropoles avec des formes peu fréquentes, comme les cruches à col étroit et les hydries.

73En outre, les vases laconiens n’entrent dans les tombes qu’à partir du second quart du VI^e siècle alors qu’ils sont présents à Mégara Hyblaea dès la fin du VII^e siècle. Ce décalage peut être attribué à leur durée d’utilisation, mais on constate toutefois que certaines formes changent de contexte au cours du VI^e siècle comme les cratères laconiens, présents surtout dans l’aire urbaine, dans la première moitié du VI^e siècle. Ils en disparaissent après 550 et se retrouvent alors dans les tombes, d’où ils manquaient jusqu’à présent.

– Les nécropoles d’Agrigente

74Les huit vases laconiens d’Agrigente proviennent principalement de la nécropole Contrada Pezzino au Nord-Ouest de la cité ; il ne s’agit pas d’un corpus exhaustif, et il est impossible de connaître, à partir des publications actuelles, le nombre exact de vases découverts dans ces nécropoles et la composition du mobilier funéraire par tombe.

75Les vases laconiens publiés pour les nécropoles d’Agrigente (Veder greco, p. 272-274, 278 et 294) sont des aryballes, deux à base plate et six globulaires, tous datés du second quart du VI^e siècle, une hydrie et une amphore de table. Les aryballes se retrouvent en général dans les tombes avec des aryballes du Corinthien Récent et disparaissent des nécropoles en même temps que ces derniers vers 560-550. Ils semblent être remplacés par les lécythes attiques, les cratériskoi et de grands vases qui commencent à être déposés dans les tombes. Ce sont des stamnoi, des amphores ou plus tard des cratères provenant pour la plupart d’Attique. L’amphore de table et l’hydrie laconiennes leur sont contemporaines. Les principaux vases funéraires sont toutefois les vases à verser. Quelques vases à boire sont présents, mais demeurent rares comme dans la première moitié du VI^e siècle.

– Les nécropoles de Camarine

76Les trente vases laconiens de Camarine sont connus par la publication de P. Pelagatti (Pelagatti 1989, p. 161-163 et 202-203) ; ils proviennent essentiellement de la nécropole orientale Rifriscolaro dont les fouilles ont débuté en 1969. Pour certains, un aperçu de la composition du mobilier des tombes et des séries présentes dans la nécropole est également donné. Il s’agit de quatorze cratères, douze aryballes, deux amphores de transport comportant une inscription (CAM002-003) et une coupe E.

77Les aryballes et les cratères sont présents en nombre presque équivalent ; cependant les premiers cessent d’être distribués en Sicile aux environs de 550 et ne se retrouvent donc plus dans les tombes à partir de cette date.

78Les cratères sont présents de 575 à la fin du VI^e siècle avec cinq exemplaires avant 550 et cinq exemplaires après. Ils sont le plus souvent déposés à l’extérieur de la tombe comme signalement, ou parfois à l’intérieur comme urne cinéraire (Pelagatti 1989, p. 163), mais jamais seulement comme élément du mobilier. Les vases à boire sont absents à l’exception de la coupe E, alors qu’on les trouve pour les autres séries.

79Les vases laconiens de Camarine correspondent donc, typologiquement et chronologiquement, à ce que l’on a observé à Sélinonte et à Agrigente. Des vases laconiens de forme particulière, qui ont été mis au jour dans les autres nécropoles siciliennes, incitent à nouveau à s’interroger sur le statut des vases laconiens dans le monde grec.

– Les nécropoles de Syracuse

80Les 26 vases laconiens des nécropoles de Syracuse sont également connus par la publication de P. Pelagatti (Pelagatti 1989, p. 187-192 et 218-219) ; ils proviennent des nécropoles du Fusco (tombes 2, 3, 75, 425 et 559) et du Giardino Spagna (tombes 23, 32, 46 et 94). Outre les formes classiques, on trouve un certain nombre de vases dont la forme sort du répertoire habituel de la série laconienne, les lydia (SYR036-038) et les prochoés (SYR040-041). Il s’agit essentiellement de pièces à vernis noir à l’exception de deux coupes (SYR023-024) et d’un lydion du Peintre de Naucratis (SYR037) à figures noires.

81Les vases à parfum sont majoritaires, avec sept aryballes et trois lydia, mais ont une typologie particulière par rapport à l’ensemble de la série laconienne : pour les aryballes ont compte deux exemplaires du groupe Q, groupe dont les exportations concernent principalement les côtes siciliennes, notamment Catane, Naxos et Syracuse et trois exemplaires sporadiques en Étrurie et à Cyrène. Quant au lydion, il s’agit d’une forme originaire de la Grèce de l’Est, rare dans la série laconienne, et qui n’a été recensée que dans la région de Syracuse, à l’exception d’un lydion d’Orvieto en Étrurie (ETR011), Laconie comprise. Les lydia, notamment les lydia à bandes, sont des vases courants dans les nécropoles grecques de Sicile et peuvent être présents en plusieurs exemplaires dans les tombes, comme dans la tombe 949 de la nécropole occidentale de Mégara Hyblaea, déjà mentionnée (fig. 20). Ces vases témoignent de la capacité des potiers laconiens à s’adapter à des formes du répertoire des autres séries céramiques, ici de la Grèce de l’Est.

82Les vases à boire sont la deuxième catégorie pour laquelle on recense cinq coupes à tige doriques d’ordinaire absentes des tombes grecques hormis à Tarente, et plusieurs vases « marqueurs culturels », comme les deux lakainai et le kothon. Quatre coupes de cette période proviennent de la tombe 3 de la nécropole du Fusco qui a livré un matériel laconien exceptionnel, tant par la quantité que par le contexte. Elles appartiennent toutes au groupe G de type dorique : deux sont à figures noires du Peintre de la Chasse (SYR023-024) et deux sont entièrement noires (SYR021-022). Elles soutenaient un vase en bronze dont il n’a été retrouvé que des fragments. Peu de coupes à figures noires laconiennes ont été retrouvées dans les nécropoles grecques en dehors des coupes de la nécropole de Tarente (une à Samos-SAM053), tout comme les coupes à pied à vernis noir (une à Halieis-HAL003). Le choix de disposer quatre coupes laconiennes dans la même tombe ne relève donc pas du hasard.

83Viennent ensuite les grands vases domestiques avec deux amphores de table et une hydrie. Les cratères sont quasiment absents, on ne recense qu’un seul cratère en cloche, contrairement aux autres nécropoles siciliennes, et notamment celles de Mégara Hyblaea toute proche.

84On recense pour finir deux prochoés (SYR040-041) qui, comme les lydia, sont des vases exceptionnels dans la série laconienne et trouvés uniquement à Syracuse ; ils sont cependant présents en quelques exemplaires en Laconie. D’une façon générale, les prochoés sont des vases peu répandus et destinés principalement aux tombes d’enfants (Collin-Bouffier 1999, p. 91-92).

85Les vases laconiens sont présents jusque vers 525 avec seulement un léger recul dans le second quart du VI^e siècle. Les vases à parfum sont déposés dans la première moitié du VI^e siècle puis disparaissent ; ils sont ensuite remplacés par les vases à boire. Les coupes de la tombe 3 du Fusco appartiennent à cette période. Cette tombe particulière, la présence de vases « marqueurs culturels », et l’adaptation d’une forme étrangère aux potiers laconiens, le lydion font des vases des nécropoles syracusaines des exemplaires à part. Cette particularité est renforcée par l’absence des vases laconiens communs dans les autres nécropoles siciliennes comme les cratères ou les aryballes des groupes A et B. D’une part, des vases de Syracuse renvoient à des personnages particuliers dont les liens directs avec la Laconie peuvent être envisagés, comme dans le cas de la tombe n^o 3 du Fusco où les coupes et le vase de bronze ont pu marquer l’origine du défunt tout comme les lakainai et les prochoés. Ceci apparaît d’autant plus que ces vases sont peu fréquents dans les tombes en dehors de Laconie et que l’évidence du vase comme marqueur culturel a été montré dans le cas des nécropoles tarentines (Cf. p. 84-86), les liens commerciaux entre la Sicile, Tarente et la Laconie semblent de plus bien effectifs dans le troisième quart du VI^e siècle. Reste à déterminer les modalités de ces liens et les raisons de la présence de Laconiens dans la région de Syracuse à ce moment là, comme le suppose les lydia qui datent de la première moitié du VI^e siècle et n’ont pas leur pendant dans les sanctuaires laconiens. La référence à la Grèce de l’Est est évidente et il faut reconsidérer la forme à l’instar des découvertes des nécropoles samiennes sur lesquelles nous allons revenir.

– La nécropole de Lipari

86La nécropole grecque et romaine de la Contrada Diana à l’Ouest de l’acropole de Lipari, a été fouillée dans les années 1960 (ML2, ML11 et Pelagatti 1989, p. 170-172 et 207-208), et a livré 20 vases laconiens dont la typologie semble particulière : dix cratères, sept stamnoi et une amphore géante, tous entièrement à vernis noir, qui proviennent de huit tombes47 et se distinguent par leur taille et par leur forme, dans le cas des stamnoi.

87Les vases laconiens de la nécropole de Lipari sont beaucoup moins nombreux que ceux de l’habitat, il sont de plus moins variés et beaucoup plus récents. Contrairement aux vases de l’habitat qui étaient contemporains des importations corinthiennes et ioniennes, ceux de la nécropole parviennent à Lipari en même temps que les vases attiques.

88La série corinthienne est la principale série importée (ML9, p. 799). Il s’agit surtout de petits vases : skyphoi (46 fragments du Corinthien Moyen au Corinthien Récent II tardif), pyxides (cinq exemplaires), œnochoés (quatre exemplaires de 600 à 550), auxquels s’ajoutent deux fragments de cratères et un fragment de grande amphore du Corinthien Moyen. Seulement cinq pièces ont été mises au jour pour la Grèce de l’Est (ML9, p. 799) dont une amphore de Chios à engobe et bandes peintes. La typologie des vases laconiens de la nécropole de Lipari diffère donc totalement de celle de ces deux séries.

89La série attique (ML9, p. 800-813) comprend environs 532 individus pour le VI^e et le V^e siècles dont 30 % de cratères, les formes sont donc beaucoup plus variées que pour la série laconienne ; nous ne nous intéresserons ici qu’aux vases de forme et fonction parallèles à ceux de la série laconienne, c’est-à-dire les cratères et les stamnoi et tous les autres grands vases. Avant 550 on compte 17 fragments de cratères à colonnettes de dimensions variées ; entre 550 et 525, deux cratères à colonnettes et un cratère en calice ; entre 525 et 500, au moins 33 cratères à figures noires, dont un dinos, 24 cratères à colonnettes et neuf cratères à volutes ; entre 500 et 475, trois cratères à colonnettes et quatre cratères à volutes à vernis noir et deux cratères à volutes, deux cratères à colonnettes, deux stamnoi et un cratère en calice à figures rouges. À partir de 475, les cratères deviennent la forme attique la plus importée puisqu’ils représentent les trois quarts des 109 pièces mises au jour. Ils sont aussi nombreux dans la céramique locale (ML9, p. 814-816) et les cratères laconiens répondent donc à cet engouement liparote pour le dépôt des grands vases de banquet dans les tombes.

90À Lipari, ces grands vases sont déposés à l’extérieur de la tombe en sarcophage ou en caisson, en général à l’angle sud-ouest, et contiennent parfois d’autres vases plus petits, le plus souvent des vases à boire, qui peuvent aussi être déposés au pied du grand vase. Cet usage, propre à Lipari, ne s’applique pas aux seuls vases laconiens, mais à l’ensemble des grands vases de la nécropole qu’ils soient locaux ou importés ; il s’agit d’ailleurs la plupart du temps de stamnoi ou de pithoi globulaires d’origine locale (ML2, p. 209). Ce mode de déposition du mobilier dans les tombes semble se mettre en place aux environs de 500, date à laquelle sont produits les vases laconiens dont il est question ici48 ; les stamnoi laconiens ne se retrouvent jamais dans les tombes sauf à Lipari.

91Si on se réfère aux chiffres donnés par F. Villard (ML9, p. 816-817), la seconde moitié du VI^e siècle a livré une cinquantaine de grands vases utilisés dans les tombes comme pièce du mobilier funéraire et plus de 90 pièces pour la première moitié du V^e siècle. Ces vases représentent 35 % des importations de la nécropole contre 7 % dans le Bothros d’Éole sur l’acropole et 10 % dans l’habitat liparote, ce qui suppose qu’ils étaient directement acquis pour l’usage funéraire. Ces vases, toujours selon F. Villard, ne doivent pas être vus comme le reflet du monde des vivants et du symposion compte tenu du faible nombre de coupes par rapport au nombre de vases à mélanger, mais comme une partie importante et autonome du mobilier funéraire (ML9, p. 816).

92De façon générale, il faut chercher les raisons de l’emploi des vases laconiens dans les nécropoles siciliennes soit dans un usage défini par les coutumes funéraires locales sans attachement à leur provenance, soit dans une attention délibérée à leur origine laconienne.

93Les vases laconiens sont déposés dans les tombes environ une génération après leur arrivée dans la cité, à partir de 575 (Cf. Sélinonte ; Mégara Hyblaea ; Lipari). Les vases les plus représentés sont les aryballes dans la première moitié du VI^e siècle, et les cratères dans la seconde, même si ces derniers apparaissent un peu avant 550. La disparition des aryballes laconiens aux environs de 550 est parallèle à celle des aryballes corinthiens (Cf. Agrigente) et peut donc s’expliquer par un changement dans les rites et le mobilier funéraire. Ce changement, déjà constaté à Tarente vers 575 (Cf. p. 82), serait donc à l’origine de l’arrêt de la production des aryballes laconiens. Celle-ci avait déjà beaucoup diminué et les types s’étaient modifiés aux environs de 575 ; la Sicile était alors devenue un « marché refuge », et une fois clos ce dernier débouché, la production laconienne cesse. Les aryballes laconiens répondent donc à l’usage général sans qu’il soit possible de dire si leur origine a pu influencer le choix des déposants. Concernant les cratères, leur présence croissante dans les tombes siciliennes peut être attribuée à une augmentation des incinérations et donc de leur utilisation comme urne cinéraire (Cf. Sélinonte et Camarine). Cette explication ne saurait cependant s’appliquer à toutes les nécropoles de Sicile, notamment à Mégara Hyblaea ou à Lipari, où le cratère est un élément du mobilier à part entière. Dans les deux cas la forme s’adapte à un usage locale, tout comme les cratères des autres séries, et les cratères laconiens se trouvent remplacés vers la fin du VI^e siècle par le cratère attique qui s’était déjà imposé auparavant dans l’habitat.

94La série laconienne se plie donc aux usages funéraires en cours dans les tombes siciliennes du VI^e siècle, notamment aux usages locaux, et les vases laconiens ne semblent pas avoir de statut particulier. Toutefois, certains éléments permettent d’envisager une présence laconienne en Sicile, voire d’artisans laconiens hors de Laconie à certains moments comme l’a déjà signalé C. M. Stibbe pour Lipari (Stibbe 1984, p. 8) à la fin du VI^e siècle.

95Premièrement, on observe la concentration de formes rares ou inconnues, y compris en Laconie : les aryballes du groupe Q, les lydia et les stamnoi.

96Les aryballes du groupe Q ne se retrouvent que rarement en dehors de la Sicile, principalement sur les côtes est et sud, y compris en Laconie (seulement trois exemplaires) entre 600 et 575. Ce type d’aryballes diffère de ceux de Tarente et de l’Est de la Méditerranée, il est alors difficile de relier leur distribution à un des deux réseaux identifiés pour le début du VI^e siècle (Cf. p. 51).

97Les lydia laconiens se concentrent dans la région de Syracuse avec de nombreux lydia ioniens à bandes. Deux exemplaires sont de la main du Peintre de Naucratis (MHA094 et SYR037) dont les œuvres ont surtout été mises au jour dans l’Est du bassin méditerranéen à Samos, Naucratis et Cyrène (Cf. p. 40-41). Les lydia, et notamment les lydia à bandes, sont des vases courants dans les séries de la Grèce de l’Est, mais rares dans la série laconienne ; il semble difficile d’envisager en Laconie la production et l’exportation d’une forme inconnue sur place à moins d’envisager un travail de commande. On peut toutefois penser que les lydia laconiens ont été produits dans une région où la forme est courante et où des peintres laconiens ont pu séjourner, comme le Peintre des Boréades sur l’île de Samos, avant d’être exportés vers la Sicile. Il faut alors envisager les liens étroits entre les Ioniens et la région de Syracuse car les lydia à bandes sont peu présents dans les autres nécropoles siciliennes notamment à Agrigente (seulement deux exemplaires) et peuvent tenir à la première vague d’émigration ionienne du début du VI^e siècle (Gras 1991, p. 271 ; Gras 2000, p. 128-129).

98La date de fabrication des stamnoi de Lipari et leur forme exceptionnelle, étrangère aux potiers laconiens avant le troisième quart du VI^e siècle, montrent qu’ils ont été produits pour répondre à une demande locale et qu’ils ne sont pas parvenus à Lipari au hasard des chargements commerciaux. Pour C. M. Stibbe (Stibbe 1984, p. 5 et 7), il s’agirait de potiers laconiens produisant sur place à la demande. Si on laisse pour un temps le problème du transport de l’argile, on peut au moins supposer l’existence de liens privilégiés entre la Laconie et la Sicile à la fin du VI^e siècle, comme l’a montré l’étude des épaves de Géla (Cf. p. 46-47). Outre les artisans, la présence de Laconiens dans les cités grecques de Sicile est envisageable si on tient compte de certaines particularités des vases laconiens mis au jour dans les nécropoles. On note en effet, en plus des formes particulières mentionnées plus haut, la présence de vases dont l’emploi relève du quotidien en Laconie et de l’identité culturelle laconienne. Il s’agit de vases à boire comme les kothons ou les lakainai ou de groupes particuliers comme les coupes du groupe E. De plus, certains d’entre eux ont été placés de manière ostensible dans des tombes exceptionnelles, comme les lakainai de la tombe 770 de Mégara Hyblaea ou les coupes doriques de la tombe 3 de la nécropole du Fusco à Syracuse. Ils peuvent être vus comme le signe du passage d’individus originaires de Laconie et désirant marquer leur identité, comme nous l’avons déjà constaté à Tarente (Cf. p. 84-86) : ils relèvent alors de rites funéraires particuliers propres à la Laconie (Cf. p. 67-68).

99Les observations faites pour les vases laconiens des tombes siciliennes ne sauraient cependant être valides sans une étude des quelques vases mis au jour dans les nécropoles grecques du reste du bassin méditerranéen.

2. La céramique laconienne en contexte funéraire grec dans le reste du bassin méditerranéen

– Les nécropoles de Grande-Grèce

100Peu de vases laconiens proviennent des nécropoles de Grande-Grèce hormis ceux nombreux de Tarente, déjà étudiés, alors que d’autres nécropoles grecques importantes ont été fouillées, ce qui souligne encore la particularité de la fondation laconienne. Il a été recensé trois amphores de table à Locres, deux cratères du groupe F à Cumes, un aryballe à Ischia et une lakaina à Sybaris. Nous ne nous attacherons ici qu’à un des cratères de Cumes (CUM016) qui éclaire quelque peu le satut du cratère laconien en Grande-Grèce et les usages successifs qui en ont été faits (Lombardi 2000, p. 157-162).

101Ce cratère laconien provient de la tombe d’un individu de moins de vingt ans et utilisé comme conteneur du mobilier funéraire de la tombe (Lombardi 2000, p. 157- tombe 220 de Cumes).

102Il s’agit d’un cratère du groupe F comportant deux inscriptions gravées sur une des anses, une sur la partie supérieure, près du col (« BIO TO ») et une sur la face latérale (« Εὐφρονίο ἔμι »). L’analyse de la graphie et du contexte de découverte donnent comme dates pour l’inscription « Εὐφρονίο ἔμι » 500-480 et pour l’inscription « BIO TO » vers 420-400. P. Lombardi conclut que le cratère a appartenu à un certain Euphronios et est resté utilisé dans la famille pendant plusieurs années avant d’être déposé comme mobilier funéraire dans la tombe d’un parent, Biotos, dont le nom a été inscrit sur le cratère au moment de la sépulture (Lombardi 2000, p. 160-161). Ceci semble confirmé par l’étude de l’onomastique : Euphronios et Biotos appartiendraient bien à la même famille. Pour P. Lombardi la présence du cratère dans une tombe, comme élément du mobilier et non comme urne cinéraire, est à mettre en relation avec la religion dionysiaque.

103Une autre explication peut toutefois être proposée si on tient compte de ce que nous avons déjà constaté sur la place qu’occupe le cratère laconien dans le monde grec d’Occident. Tout d’abord, le cratère de Cumes éclaire la chronologie de l’arrivée des cratères laconiens dans les nécropoles siciliennes dans la seconde moitié du VI^e siècle, alors qu’ils sont présents dans l’île dès les alentours de 600. Tout comme le cratère de Cumes, les cratères de Sicile au décor peu travaillé peuvent avoir été placés dans les tombes après une utilisation pendant plusieurs générations, notamment lors de l’arrivée des cratères attiques dans l’habitat. On constate donc une perte de prestige du cratère laconien et de l’imaginaire qu’il véhicule comme élément essentiel du banquet aristocratique. Son emploi tend désormais à se limiter aux tombes. C’est comme signe d’un idéal du banquet passé que le cratère laconien est placé dans la tombe de Cumes tout comme ses homologues de Sicile.

– Les nécropoles de la Grèce de l’Est

104Deux nécropoles de l’Est du bassin méditerranéen ont livré des vases laconiens en contexte funéraire : Samos et Rhodes. À Rhodes, nous avons recensé : quatre aryballes à Siana, deux amphores de table et une œnochoé à Rhodes, un cratère du groupe D, une hydrie à figures noires (RHO008) et une œnochoé à Ialysos et deux aryballes à Camiros. Il est impossible de préciser la place de la série laconienne par rapport aux autres séries. La nécropole archaïque de Samos se situe à l’Ouest de la cité antique et a été fouillée au XIX^e siècle. Sur 161 tombes, 50 ont été publiées par J. Boehlau, elles ont depuis fait l’objet d’une réédition partielle (Kassel 1996, p. 76-81) ; une seule, la tombe 40, a livré un aryballe laconien (SAM010). Les autres vases laconiens (neuf exemplaires) ont été mis au jour à proximité d’une tombe construite, la tombe 30, dans un espace qui pourrait correspondre à une aire sacrificielle selon J. Boehlau. Aucun ossement animal n’a cependant été découvert, mais il existe une certaine concentration de vases endommagés par le feu qui laissent supposer l’emplacement d’un périmètre ayant reçu des offrandes. Tous sont à figures noires et appartiennent au second quart du VI^e siècle, à l’exception d’un calice (SAM249). La tombe 40 est une des plus riches de la nécropole, vraisemblement une tombe d’enfant ; elle contenait 23 vases dont l’aryballe laconien, quatre figurines de terre cuite et une « rouelle » de bronze (Kassel 1996, p. 51-55). L’aryballe est à figures noires, de la main du Peintre de Naucratis (SAM010).

105Les vases laconiens qui proviennent de l’aire sacrificielle sont deux cratères en cloche à figures noires, deux coupes à figures noires, deux calices, un aryballe, une œnochoé à figures noires et un plat. Ils représentent la principale série à cet endroit avant la céramique Fikellura. Il est cependant impossible de comprendre la signification réelle de leur présence dans ce dépôt sacrificiel dont la typologie correspond à celle de l’ensemble des tombes de la nécropole où l’on retrouve une majorité de vases à parfum locaux, en particulier des lydia. On doit signaler cependant que les deux calices correspondent à une forme produite localement et non à une forme classique du répertoire laconien, comme nous le verrons lors de l’étude des dépôts des sanctuaires samiens (Cf. p. 135-144)

106Globalement les tombes de la nécropole de Samos ont livré peu de vases d’importation en dehors des différentes cités de la Grèce de l’Est, plus particulièrement Milet. On trouve, à côté des vases laconiens, quelques vases corinthiens concentrés dans les tombes 11 et 21 (Kassel 1996, p. 31 et p. 36-41). La tombe 21, comme la tombe 40 est une des plus riches de la nécropole et montre alors le statut particulier de ces vases d’importation qui sont probablement le signe d’échanges et de relations aristocratiques. Si l’on considère que les Samiens se sont occupés de la distribution d’une grande partie des vases laconiens à figures noires dans le second quart du VI^e siècle, ceci n’a pu se faire sans contact entre les élites samiennes et la Laconie, la présence de vases laconiens dans la nécropole samienne serait la trace de ces ententes (Cf. p. 141).

– Les nécropoles de Grèce

107Les tombes de Grèce qui ont livré des vases laconiens se situent dans le Péloponnèse. Il s’agit presque exclusivement de coupes : deux coupes du groupe E et une à figures noires à Argos, une à Dikaia et une à Néapolis, et deux du groupe Gg à Halieis. On recense également un calice à Argos, un aryballe à Rhitsona. L’importance des vases à boire, notamment des coupes du groupe E, par rapport à l’ensemble des vases laconiens recensés dans ces nécropoles, contraste avec ce que l’on a pu observer en Sicile où les dépôts de coupes laconiennes sont exceptionnels. La prépondérance de ces coupes par rapport aux autres groupes amène à penser que leur utilisation renvoie à des pratiques propres au Péloponnèse, confirmant ainsi que les coupes du groupe E retrouvées dans les tombes de Sicile pourraient bien être la marque de passage d’individus originaires de Laconie.

108L’étude détaillée des nécropoles de Sicile et de l’ensemble du bassin méditerranéen a permis de préciser les premières observations faites en introduction à l’étude du matériel laconien en contexte funéraire grec. Les vases à parfum et les cratères laconiens sont couramment utilisés comme vases funéraires à différentes époques, dans la première moitié du VI^e siècle pour les premiers, dans la seconde moitié pour les seconds, ainsi que les vases à verser qui le sont tout au long du VI^e siècle, alors que les vases à boire ne le sont que de façon exceptionnelle. Ces données confirment le caractère particulier des vases laconiens retrouvés à Tarente, par rapport à l’ensemble du bassin méditerranéen, qui sont essentiellement des vases à boire. Le cratère laconien se retrouve dans les tombes siciliennes au moment où le cratère attique fait son apparition dans l’habitat sans que nous puissions faire de comparaison quantitative. Son arrivée dans les tombes n’était certainement pas due à une progression de l’incinération sur l’inhumation, mais plutôt à un changement de la composition du mobilier funéraire avec une volonté de placer avec le défunt le symbole du banquet. Le cratère laconien est chassé de l’habitat par le cratère attique sans doute pour la modestie de son décor et parce qu’il symbolise peut-être moins le banquet aristocratique lacédémonien qu’au début du VI^e siècle. L’observation de certaines particularités typologiques régionales confirme la présence de potiers laconiens, saisonniers ou non, à l’extérieur de la Laconie notamment à Samos dans le second quart du VI^e siècle, et en Sicile, au moins à Lipari, à la fin du VI^e siècle.

Le matériel laconien des sanctuaires grecs

109L’étude qui suit comprend pour l’instant 1074 éléments recensés qui proviennent de 28 sanctuaires différents dont trois sanctuaires panhelléniques, répartis dans l’ensemble du monde grec de l’époque archaïque entre 650 et 475 av. J.–C. Certains se distinguent par un nombre élevé de vases laconiens que le hasard des fouilles et l’existence de publications précises ne peuvent seuls expliquer. La présence de nombreux vases laconiens justifie donc l’étude détaillée des sites d’Olympie en Grèce avec 169 vases (16 % du corpus), nombre plus important que dans les deux autres sanctuaires panhelléniques, que sont Delphes (0,9 % du corpus) et Délos (0,5 % du corpus), et également celle de Samos (27,5 % du corpus). Certains sanctuaires ont déjà fait l’objet d’une étude plus haut comme ceux des deux cités de Cyrénaïque (Cyrène 20,5 % et Tocra 11 % du corpus) ou encore de Satyrion, mais ils ont été inclus à l’étude globale. En revanche, l’étude des vases laconiens des sanctuaires grecs des emporia comme Naucratis et Gravisca seront inclus à l’étude des contextes indigènes car leur typologie est à mettre en perspective avec l’arrière-pays non grec qu’ils approvisionnent. Il en est de même pour certains sites du Salento qui sont probablement d’occupation grecque notamment ceux du sanctuaire d’Oria (Semeraro 1997, p. 134-236).

110Les vases à boire sont les vases laconiens les plus offerts dans les sanctuaires grecs (674 exemplaires soit 63 % du corpus de départ) dont une majorité écrasante de coupes (553 exemplaires soit 51,6 % du corpus de base). 339 sont à figures noires, 97 à décor ou ornementation secondaire, 37 à vernis noir et 49 sont décorées dans le style Laconien II. La majorité sont du type G (202 exemplaires). Ces coupes ont probablement été utilisées lors des libations liées au culte des différentes divinités. La lakaina (47 exemplaires) et les autres types se retrouvent de façon sporadique et leur présence ne peut prendre de sens que dans l’étude précise d’un sanctuaire donné. Ils peuvent être le signe d’éventuels déplacements de pèlerins laconiens ou de personnes ayant fréquenté la Laconie, ou encore être produits sur place pour les besoins des dédicants.

111Viennent ensuite les vases à mélanger notamment le cratère (168 exemplaires dont seize cratères en cloche soit 15,7 %). Ce sont essentiellement des vases à vernis noir comportant peu de décors (31 exemplaires du groupe F, 26 du groupe E et un des groupes H et G). Les cratères à figures noires ou à décor plus élaboré des groupes B (34 exemplaires) et D (sept exemplaires) sont présents cependant en proportion importante par rapport à l’ensemble des vases de leur groupe typologique recensés pour le milieu grec (59,5 % pour le groupe B). Les cratères les plus précieux seraient donc destinés aux sanctuaires. Le stamnos et le dinos, font figure d’exception dans ce type de contexte.

112Tous les groupes typologiques d’aryballes retrouvés en dehors de la Laconie sont présents. Les aryballes du groupe I à figures noires ne semblent se retrouver qu’en sanctuaire et majoritairement à Samos, les deux exemplaires provenant d’un contexte funéraire grec proviennent des nécropoles de l’île (SAM005 et SAM010).

113La quatrième catégorie est celle des vases à verser avec en premier lieu les œnochoés. On note également la présence de deux formes supplémentaires absentes dans les tombes et l’habitat : les cruches à col rond et les olpès qui ont également été recensées dans les sanctuaires de Laconie. Il s’agit presque uniquement de vases à vernis noir à l’exception de deux cruches à col étroit et une à col rond et de trois œnochoés, deux qui comportaient quelques ornementations secondaires et un à figures noires du Peintre d’Evangelidis (SAM160).

114La cinquième catégorie est celle des plats. Elle ne se retrouve qu’en sanctuaire à l’exception d’une phiale à vernis noir de Tarente (TAR096). Ils sont tous décorés d’ornements de type secondaire, mais deux assiettes de Cyrène (CYR017-018) sont à figures noires. Les vases à stocker sont présents en nombre notable avec onze amphores de table et six hydries. Les amphores de transport sont très peu présentes.

115Un type à part est celui des supports ; les exemplaires recensés dans les sanctuaires hors de Laconie proviennent tous de Samos et sont à figures noires du Peintre de Naucratis (SAM092 et SAM140) ou à ornements secondaires qui peuvent être mis en relation avec les grands vases à mélanger à figures noires mentionnés plus haut.

116Le matériel laconien des sanctuaires grecs extérieurs à la Laconie est donc caractérisé par sa diversité, tant dans les formes que dans la richesse du décor par rapport aux vases retrouvés dans les deux autres types de contextes. Il est quelque peu différent de celui retrouvé dans les sanctuaires de Laconie (Cf. p. 64) : tout d’abord le décor des vases est beaucoup plus riche, les coupes à figures noires sont nombreuses, ce qui n’est pas le cas en Laconie même, ensuite, si la forme la plus prisée est également un vase à boire, il s’agit cependant de kylikes et non de lakainai. Enfin, les grands vases à mélanger, notamment les cratères à volutes et à étriers, représentent la deuxième catégorie de vases laconiens dans les sanctuaires grecs alors qu’ils sont quasiment absents des sanctuaires laconiens à l’exception de quelques cratères en cloche.

117La courbe de répartition des vases laconiens dans les sanctuaires grecs est parallèle à celle de la production et de la distribution (graph. 24) avec un pic dans le second quart du VI^e siècle et une diminution brutale à partir de la seconde moitié du VI^e siècle, cependant, tout au long du VI^e siècle, les sites concernés varient. Dans le premier quart du VI^e siècle, le plus grand nombre de vases provient de Catane en Sicile et des sites de Cyrénaïque, peu de vases proviennent des sanctuaires de l’Est de la Méditerranée (graph. 2). Le pic de 575-550 est dû au dépôt de nombreux vases laconiens dans des sites de l’Est du bassin méditerranéen et de Cyrénaïque : Samos (graph. 25), Cyrène et Tocra (graph. 19). Ces sites voient leurs dépôts diminuer vraiment à partir de 550, notamment Samos (graph. 25) et Tocra (graph. 19). Seuls des sites plus occidentaux, comme ceux de Sicile, conservent un niveau significatif de vases laconiens après 550, tout comme Olympie jusqu’à la fin du V^e siècle (graph. 25).

118Les céramiques laconiennes cessent d’être déposées dans les sanctuaires grecs au début du V^e siècle, date d’arrêt de la production. La composition des dépôts évolue peu. Les vases à boire dominent toujours tout au long de la période de diffusion. On note cependant une évolution dans les formes retrouvées avec une grande diversité à la fin du VII^e et au début du VI^e siècle, même si la coupe demeure la forme la plus représentée. Les lakainai disparaissent dans le troisième quart du VI^e siècle et, jusqu’à la disparition des vases laconiens, on ne retrouve plus que des coupes. Les coupes du type C sont présentes dans les sanctuaires grecs jusqu’en 575, date d’arrêt de leur production, avec les coupes du groupe B et du groupe D ; elles sont remplacées par les coupes du type G jusqu’à la fin du siècle.

119Les coupes du groupe E sont dédiées dans le troisième quart du VI^e siècle. Les vases à mélanger sont également présents de façon constante, bien que moins nombreux jusqu’à la fin du VI^e siècle, tout comme les plats. Les vases à parfum disparaissent vers 550 comme dans l’ensemble des contextes grecs étudiés en dehors de Laconie et semblent être remplacés par des vases à verser.

120Le matériel laconien doit cependant être remis dans son contexte de découverte tout comme il doit être confronté au matériel autre que céramique, notamment les bronzes. L’étude d’Olympie, seul sanctuaire panhellénique à avoir livré du matériel laconien en quantité importante, permet de mettre en évidence les relations privilégiées qu’entrenaient la Laconie et Sparte avec le sanctuaire qui remplissait alors, outre son statut panhellénique, le rôle de sanctuaire régional pour les Laconiens. Le matériel de l’Héraion et de l’Artémision (Pipili 2001) de Samos, dont la publication de différentes séries céramiques permet d’établir des comparaisons entre la série laconienne et les autres séries contemporaines, doit faire l’objet d’une attention particulière afin d’essayer de comprendre le lien entre la série laconienne et une des principales cités intéressées dans sa distribution. Pour finir, deux sanctuaires grecs de Sicile, Catane et Sélinonte montrent la place de la série laconienne dans des cités sans lien direct avec la Laconie (Rizza 1960 ; Dehl 1995).

1. Le matériel laconien d’Olympie

121Les sources littéraires et épigraphiques montrent deux niveaux de relations entre Sparte et la Laconie : les rapports « diplomatiques » et la participation des Spartiates aux concours. Pour ce qui est de la participation d’athlètes concourant pour Sparte, nous pouvons nous référer à la liste des vainqueurs des concours donnée par la chronique d’Eusèbe de Césarée (Patrologia T. 7, Livre I, Chap. 33, trad. de Saint Jérôme) ; même si d’autres auteurs plus anciens comme Hérodote (Hérodote VI, 103), Pausanias (Pausanias III, 13, 9 ; V, 8-9 ; VI, 8-10) et Diogène Laërce (Diogène Laërce I, 33) mentionnent également quelques vainqueurs spartiates. Je ne discuterai pas ici de l’exactitude de la chronologie d’Eusèbe et la tiendrai, comme A. Hoenle (Hoenle 1968, p. 128 - 130), pour une source valable en ce qui concerne la liste des vainqueurs d’Olympiades. Sur cette liste, le premier spartiate à remporter une épreuve aux jeux est un certain Acanthos vainqueur au doliochos lors de la quinzième Olympiade, soit en 716, si l’on se réfère à la date traditionnelle de la fondation des concours. À la suite de la victoire d’Acanthos vient une longue liste de vainqueurs spartiates et chaque Olympiade connaît au moins une victoire de Sparte, si ce n’est plusieurs. Les disciplines remportées par les athlètes sont la course, le pentathlon ou la lutte. Cette liste ininterrompue prend fin vers la 57^e Olympiade en 548 ; les épreuves remportées deviennent rares et ne concernent plus que les courses d’attelage.

122Si l’on s’en tient aux listes de vainqueurs, les Spartiates ont donc fréquenté Olympie à partir de 716 et n’ont cessé de s’y rendre jusqu’au début du V^e siècle. Leur participation aux concours est attestée par les victoires qu’ils ont remportées. Ces victoires spartiates succèdent à une liste importante de vainqueurs Messéniens ou Éléens qui avait débuté avec les premiers concours ; il s’agissait donc essentiellement de vainqueurs locaux attestant du caractère péloponnésien du sanctuaire dans ses premiers temps d’existence. Le fait que les premières victoires aient lieu à la fin de la première guerre de Messénie laisse à penser que les Spartiates se sont intéressés de plus près au sanctuaire qui dorénavant jouxtait leur territoire et prenait une place de plus en plus importante dans le monde grec. Si les victoires spartiates se raréfient dans le courant du VI^e siècle et ne concernent pas les mêmes disciplines, rien n’indique une participation moindre aux jeux. Les jeux de la période archaïque sont en effet de plus en plus fréquentés par un nombre croissant de cités du monde grec, notamment les cités d’Occident qui remportent quasiment toutes les victoires à partir du dernier quart du VI^e siècle.

123L’intérêt soutenu des Spartiates pour Olympie semble toutefois être antérieur à la victoire de Spartiates aux concours. L’événement le plus ancien dont les sources font mention est la fondation même des concours. Plutarque dit que le législateur Lycurgue y aurait participé et mis en place la trêve sacrée avec l’Éléen Iphitos (Plutarque, Lyc., 1-2). La tradition veut donc que les Spartiates aient été présents dans le sanctuaire dès le début des concours. Les bonnes relations entre Sparte et les autorités d’Olympie sont ensuite attestées par une inscription trouvée dans le bouleuterion (SEG XI, 1180a), gravée sur un siège de marbre qui mentionne des proxénoi lacédémoniens ; l’alphabet donne pour date la fin du VI^e siècle. L’élévation d’un siège dans un lieu tel que le bouleuterion, ainsi que la présence de proxénoi lacédémoniens, montrent les bons rapports que Sparte entretenait avec Élis gestionnaire du sanctuaire au VI^e siècle.

124Les sources littéraires et épigraphiques ne donnent cependant d’informations que sur la fréquentation du sanctuaire par des personnalités exceptionnelles (vainqueurs) ou par des collèges de représentation de la cité laconienne, et non sur la fréquentation des Laconiens eux-mêmes au cours de la période archaïque. Seule l’étude du matériel archéologique, et en particulier de la céramique, permet d’approcher la fréquentation quotidienne et les activités et déplacements d’éventuels pélerins laconiens. Plusieurs éléments doivent permettre d’envisager les modalités de fréquentation du sanctuaire par les Laconiens. Il s’agit de voir d’abord si la proximité a influé sur la typologie des offrandes laconiennes d’Olympie et donc si les Laconiens ont, comme à Cyrène, reproduit leurs pratiques dédicatoires personnelles (Cf. p. 91), ou si Olympie possède une typologie qui se rapproche de la typologie générale. Olympie est le troisième sanctuaire grec à avoir livré une quantité importante de céramique laconienne après ceux de Samos et Cyrène. Ce chiffre est dû probablement en partie à sa proximité par rapport à la Laconie, mais son statut de sanctuaire panhellénique et les relations mentionnées dans les sources littéraires doivent également être prises en compte. La place de la série laconienne parmi les autres séries céramiques permet également d’évaluer l’influence de la Laconie sur le sanctuaire, tout comme la présence d’autres catégories archéologiques comme les vases de bronze.

125La céramique laconienne d’Olympie a fait l’objet d’une publication dans la série des Olympische Forschungen (OF28) ; celle-ci s’ajoute au volume sur les vases de bronze (OF20) et aux différents catalogues de C. M. Stibbe (LV, LNS, LMB, LBPII et LBPIII). Le corpus de départ est constitué de 168 vases laconiens dont la majeure partie provient de la zone Sud-Ouest du sanctuaire et du mur Nord du stade (OF28, p. 10).

126Toutes les catégories de vases sont présentes. La majorité est décorée de figures noires ou d’ornements géométriques, mais certaines catégories comme les cratères ne comptent que des vases à vernis noir.

127Les vases à boire constituent la première catégorie ; la majorité est à figures noires ou à ornements secondaires ; un seul skyphos (OLY080) appartient au style Laconien II. Les coupes représentent 65 % du corpus d’étude ; on compte 60 exemplaires du groupe G, dont 30 du groupe Gf et quinze du groupe Ge, douze du groupe E, quatre du groupe D et une du groupe F. Les autres types rencontrés sont les bols, les canthares, les lakainai et un skyphos. Les autres catégories sont présentes en beaucoup moins grande quantité, avec une prédominance des aryballes. Il s’agit de vases à vernis noir des groupes A, B, C et E, et d’un exemplaire à figures noires du groupe I (OLY011), auxquels s’ajoute un lécythe à figures noires (OLY074). Viennent ensuite les cratères qui sont peu présents à Olympie et uniquement à vernis noir : quatre du groupe F et deux cratères en cloche.

128Les vases à verser sont également tous à vernis noir, une œnochoé (OLY078) comporte toutefois une décoration plastique en forme de palmette prolongée par deux serpents qui imite celle des œnochoés de bronze (Pelagatti 1999, p. 21-36). Les autres formes sont représentées par quelques individus, plats, couvercles, saladier… qui montrent la diversité du dépôt par rapport à des sanctuaires de moindre importance ; on recense notamment une hydrie à vernis noir et de deux amphores de transport qui sont rares en contexte cultuel.

129Si on compare la typologie des vases d’Olympie à celle globale des vases laconiens en contexte cultuel, on constate que la catégorie principale, les coupes à figures noires, est identique dans les deux cas, mais qu’Olympie se distingue par le faible nombre de cratères. Ce phénomène peut correspondre à la typologie des sanctuaires de Laconie où ils sont quasiment absents. Cependant, la catégorie principale en Laconie est celle des aryballes, et, contrairement aux sanctuaires laconiens, les vases à boire d’Olympie sont des kylikes à tige, et non des lakainai, assez richement décorées quand les coupes sont surtout à vernis noir.

130Toutefois, si les formes présentes sont les formes les plus exportées de la série laconienne, quelques vases révèlent la présence de Laconiens : les coupes de type D, bien présentes dans l’habitat laconien et à Tocra (Cf. p. 95), et un aryballe du groupe L, type retrouvé principalement dans les dépôts du sanctuaire d’Amyclées (Cf. p. 64).

131Tous ces vases sont datés entre la fin du VII^e siècle et le début du V^e. Le maximum des dépôts se situe dans le troisième quart du VI^e siècle après une période de croissance continue jusque vers 525 (graph. 25). Les dédicaces de vases laconiens diminuent ensuite, mais restent tout de même significatives dans le dernier quart du VI^e siècle, avant de connaître une chute brutale aux environs de 500 et un arrêt définitif au début du V^e siècle. Cette courbe n’est donc pas parallèle à celle de la production globale de céramique laconienne (graph. 1) qui augmente régulièrement jusqu’en 550 avant de diminuer ; les deux courbes ont cependant le même profil avec un retard d’environ 25 ans pour les offrandes d’Olympie. Les formes laconiennes apportées à Olympie jusqu’en 575 sont des types propres à la Laconie qui ne font pas l’objet d’une grande distribution. Ces céramiques sont le fait du déplacement des individus et témoignent de la fréquentation du sanctuaire par les Laconiens. Le second quart du VI^e siècle est le moment où l’on rencontre la plus grande variété de formes, celle-ci diminue ensuite et seules les coupes parviennent au sanctuaire à la fin du VI^e siècle.

132Le nombre des types de coupes varie également au cours du VI^e siècle : les coupes G et D se répartissent tout au long du siècle, alors que les coupes E arrivent à partir de 550. Parmi les coupes G, les coupes à ornements secondaires du groupe Ge sont majoritaires dans le troisième quart du VI^e siècle, même en tenant compte des exemplaires non classés, et les coupes à figures noires du groupe Ge dans le quatrième quart. Ces observations contrastent avec la chute des exportations de figures noires dans le troisième quart du VI^e siècle dans l’ensemble du bassin méditerranéen (graph. 13) ou de celle, générale, du matériel laconien en contexte cultuel. L’étude des datations plus précises des coupes à figures noires permet de mieux appréhender ce phénomène. Il semble exister deux périodes d’arrivée des coupes à figures noires laconiennes à Olympie : la première entre 570 et 530, avec une diminution constante à partir de 550, date à partir de laquelle elles sont remplacées par des coupes à ornements secondaires, et la seconde entre 525 et 500 où les importations de figures noires à Olympie reprennent, alors qu’elles ont disparu de l’ensemble du bassin méditerranéen. La première période correspond à la courbe générale des exportations laconiennes de vases à figures noires et la première chute à celle de la distribution des coupes à figures noires observée précédemment qui diminue à partir de 550, avant de disparaître aux alentours de 525. La seconde correspond à d’autres phénomènes liés à la production elle-même ; la reprise des offrandes de vases à figures noires laconiens pourrait être en effet le signe d’une production destinée uniquement au sanctuaire d’Olympie.

133L’absence de vases à figures noires laconiens en dehors d’Olympie entre 525 et 475 montre en effet la spécificité de ces vases par rapport à l’ensemble de la production laconienne. L’hypothèse d’une production dans le sanctuaire même ne pourra être confirmée que par l’étude des différents peintres laconiens présents à Olympie au cours du VI^e siècle.

134À côté des cinq principaux peintres laconiens, on relève à Olympie la présence de nombreux peintres mineurs, peu diffusés en dehors de la sphère laconienne49 : trois coupes du Peintre de la Chimère (OLY049, OLY096 et OLY151) et deux coupes du Peintre de Cyrène (OLY102-103). On trouve également une dizaine d’exemplaires provenant de ce que E. Kunze-Götte a appelé « l’Atelier Réformé » (OF28, p. 48), dont un des peintres est désigné comme « Peintre d’Olympie » (OLY101 et OLY115), et qui semble être localisé dans le sanctuaire, nous y reviendrons. Tous ces petits ateliers sont présents en nombre supérieur à ceux de peintres dont la production est pourtant beaucoup plus importante et beaucoup plus diffusée, comme le Peintre d’Arkésilas ou le Peintre des Cavaliers.

135Les peintres laconiens ne sont pas tous présents en même temps à Olympie. C’est entre 575 et 525 que le nombre d’ateliers représentés est le plus important. Celui-ci diminue après 550, alors que le nombre de vases à figures noires reste relativement constant. Les œuvres des peintres majeurs, comme les Peintres de Naucratis, des Boréades, de la Chasse ou des Cavaliers arrivent essentiellement avant 550. On remarque la faible représentation des deux derniers entre 550 et 525 alors que leur production est encore très présente dans le bassin méditerranéen et en Laconie (Cf. p. 42). C’est l’époque où les vases de l’atelier réformé, du Peintre de Cyrène et du Peintre de la Chimère, sont offerts au sanctuaire. Ces derniers ne datent cependant pas d’avant 540, pour l’atelier réformé, et d’avant 525, pour les vases du Peintre de Cyrène. Ces peintres de la seconde moitié du VI^e siècle ont en commun de s’inspirer des compositions et des images de la céramique attique. La qualité des figures montre que la céramique laconienne à figures noires connaît alors un nouvel essor ce qui amène E. Kunze-Götte à penser que le maître d’atelier aurait été formé au Céramique à Athènes (OF28, p. 48). L’absence des peintres d’Olympie, de Cyrène et de la Chimère en Laconie suggère qu’ils appartenaient à ce même atelier localisé à Olympie. L’exemplaire du Peintre de Cyrène (TAR082) découvert à Tarente confirme les liens du sanctuaire panhellénique d’Olympie avec les cités d’Occident (Philipp 1992, p. 35-38). Des éléments de l’iconographie des coupes laconiennes d’Olympie, notamment la représentation des dieux, plaident également en faveur d’une installation de la production dans le sanctuaire.

136Il est toutefois difficile d’identifier les scènes représentées sur les vases laconiens d’Olympie compte tenu de leur état de conservation. Parmi les fragments mis au jour, on remarque cependant la récurrence de certains sujets tels que les divinités trônant présentes sur trois coupes : une du Peintre des Boréades (OLY054) où figurent un personnage debout et un personnage assis, une du Peintre de la Chimère (OLY049) figurant peut-être Zeus, Héra, et Hermès, et une du Peintre de Cyrène (OLY102) qui montre un personnage debout couronné de lierre face à deux personnages assis. Toutes ont donc leur sujet construit selon le même schéma. Les personnages figurés sur ces coupes font référence au culte du sanctuaire, en particulier à Zeus et Héra, car ces trois coupes présentent en effet toujours deux divinités dont une divinité masculine au premier plan. S’il s’agit effectivement de Zeus et d’Héra cela sous-entend que les potiers ont produit, à la demande des clients, pour un culte particulier.

137L’incertitude relative à l’identité des personnages et le peu d’exemplaires retrouvés ne permettent cependant pas de formuler une conclusion définitive. Toutefois, la composition, le nombre et le sexe des autres divinités trônant de la céramique laconienne diffèrent des trois exemplaires d’Olympie comme, par exemple, celles du sanctuaire de Cyrène (Cf. p. 92-94) ou de Naucratis (NAU014) ce qui confirme une production sur commande.

138Le deuxième thème est celui des chevaux, attelés ou montés. On les retrouve sur une coupe du Peintre de Naucratis (OLY058), une du Peintre des Boréades (OLY090) et une du Peintre d’Olympie (OLY101- fig. 21 a et b). Seuls les fragments de la coupe du Peintre d’Olympie laissent voir, dans le médaillon, la scène dans laquelle les chevaux sont intégrés. Celle-ci figure un attelage retenu par un personnage placé devant les chevaux, un fragment montrant un personnage barbu se place à gauche de la scène et pourrait alors figurer l’aurige. Un char est également représenté sur le bol, mais il semble s’agir d’une scène de combat car deux des fragments montrent partiellement des hoplites en armes. Les décors figurés extérieurs sont assez peu nombreux sur les coupes laconiennes, notamment les scènes narratives comme cela semble être le cas ici ; on trouve le plus souvent des frises animales ou des scènes de banquet. Aucun autre exemplaire de ce type n’a pour l’instant été découvert et les motifs intérieurs et extérieurs en font une pièce particulièrement soignée. Le thème peut être mis en rapport avec les concours hippiques d’Olympie car c’est en effet, à partir de cette époque, que les sports de chevaux deviennent les sports officiels de Sparte (Hoenle 1968, p. 150) et que les listes de vainqueurs nous signalent des victoires spartiates essentiellement aux épreuves de courses d’attelage (SEG XI, 1204a). Nous pouvons donc à nouveau penser à une production sur commande en rapport direct avec le lieu dans lequel elle devait être déposée, ici le sanctuaire d’Olympie.

139L’étude des vases à figures noires confirme donc les premières remarques d’ordre général sur la série laconienne dans le sanctuaire, à savoir un fonctionnement en marge du reste du bassin méditerranéen. Le décalage d’un quart de siècle entre la courbe d’importation de la plupart des sites étudiés et celle d’Olympie incite à penser que le sanctuaire fut un lieu refuge pour la production laconienne, et en particulier la production à figures noires. Celle-ci connaît en effet un renouveau vers 530, alors que les principaux peintres ont cessé leur activité. Ils sont relayés à Olympie par des peintres mineurs dont la production semble localisée sur le lieu même de son écoulement. Un autre argument renforce cette hypothèse : la céramique laconienne d’Olympie est de haute qualité alors que pour les autres séries, notamment corinthienne et attique, les vases sont des marchandises courantes.

140La céramique corinthienne a fait l’objet d’une publication, tout comme la céramique attique à figures noires, dans le même volume des Olympische Forschungen (OF28, p. 170-197). Ces vases proviennent essentiellement de la partie sud-ouest du sanctuaire et du mur nord du stade. Il a été recensé en tout 258 individus dont 107 sont inclus dans catalogue de la publication ; il s’agit donc de la seconde série archaïque après la série attique à figures noires. Compte tenu du faible nombre de vases mis au jour, les arrivées de vases corinthiens dans le sanctuaire seraient plutôt dues à la présence des athlètes plutôt qu’à un véritable commerce, (OF28, p. 176). Les principaux types de formes sont l’aryballe globulaire et le kotyle, les premiers arrivant à Olympie dans la première moitié du VI^e siècle, les seconds jusque vers 525. Si la céramique corinthienne parvient à Olympie dès le VIII^e siècle (OF28, p. 174), la phase majeure d’arrivée est cependant le premier quart du VI^e siècle. À partir de 570, la quantité et la diversité des formes présentes diminuent jusqu’à la disparition de la série vers 525-520.

141Dans les Olympische Forschungen (OF28, p. 203-316) 646 vases à figures noires attiques ont été publiés parmi lesquels 156 seulement sont datés de façon précise. Ils proviennent en majorité de la partie sud-ouest du sanctuaire. La forme la plus présente est le lécythe (315 exemplaires), puis la coupe à tige (92 exemplaires). La phase majeure d’arrivée de la série attique à figures noires à Olympie est le premier quart du V^e siècle, cependant les importations connaissent une augmentation constante à partir de 550, ainsi qu’une plus grande diversité dans les formes présentes, diversité qui est la plus importante entre 525 et 500. Les formes évoluent avec une phase maximale d’arrivée des coupes à figures noires entre 550 et 525 suivie d’une diminution et d’une disparition aux alentours de 500. À partir de 525, le nombre de lécythes augmente pour atteindre son maximum dans le premier quart du V^e siècle.

142La typologie des vases de ces trois séries diffère donc : la série laconienne est la seule à ne pas avoir comme vase principal un vase à parfum alors que les aryballes laconiens sont pourtant contemporains des aryballes corinthiens présents au sanctuaire, et surtout le nombre de coupes laconiennes est supérieur à celui des coupes attiques. Il semble donc y avoir une certaine détermination dans le choix des vases offerts à Olympie suivant la série : pour la série laconienne, les coupes à tige à figures noires ou à ornements secondaires, et pour la série attique, les lécythes à figures noires.

143Chronologiquement, la série laconienne arrive dans le sanctuaire après la série corinthienne et avant la série attique. Leurs phases culminantes se succèdent : 600-575 pour les vases corinthiens, 550 - 525 pour les vases laconiens et 500-475 pour les vases attiques à figures noires. D’autres différences existent pour les formes, notamment dans le cas des coupes. Les coupes laconiennes à figures noires de la fin du VI^e siècle ont une courbe d’arrivée exactement inverse à celle des coupes attiques à figures noires et ont pu les remplacer dans le dernier quart du VI^e siècle. Les coupes à tige laconiennes ont une phase maximale d’arrivée contemporaine de celle des coupes attiques (24 exemplaires) et en nombre équivalent (24 exemplaires), cependant les coupes laconiennes de cette époque ne comportent pas de scènes figurées, il s’agit surtout de coupes du groupe Gf à ornements secondaires. Les coupes à figures noires (groupe Ge) arrivent à une époque où les importations de coupes attiques s’essoufflent (seulement neuf coupes attiques à figures noires entre 525 et 500, treize coupes laconiennes du groupe Ge).

144Les céramiques laconiennes ne sont pas des importations passagères à Olympie, de même que les céramiques corinthiennes, comme le montrent la proportion de vases présents et les types de vases spécifiques que ne fournissent pas ou plus les autres séries.

145Cette position particulière de la céramique laconienne se retrouve également dans la céramique de production locale. Il a été mis au jour à Olympie des fragments de vases qui reprennent les motifs ornementaux laconiens classiques, les frises de végétaux et les représentations d’animaux (OF28, p. 126-151). Il s’agit de « cruches » (16 exemplaires), de coupes (huit exemplaires) et de vases ouverts (huit exemplaires) dont un dinos et un cratère à volutes. Les « cruches » datent du troisième quart du VI^e siècle, époque où la céramique laconienne connaît son apogée dans le sanctuaire, mais avec une écrasante majorité de coupes. Les coupes d’origine locale datent du quatrième quart du VI^e siècle, à l’exception d’une coupe de 575-550, et d’une de 550-525 ; elles sont donc contemporaines des dernières coupes laconiennes du sanctuaire provenant de « l’atelier réformé ». Les grands vases ouverts sont datés entre 525 et 480, trois exemplaires entre 525 et 500 et quatre exemplaires entre 500 et 480. Ils continuent d’être produits alors que la céramique laconienne a disparu du sanctuaire. Ce sont les seuls vases locaux qui représentent des figures humaines. Les motifs laconiens sont donc repris sur des formes locales contemporaines des arrivées de céramiques laconiennes dans le sanctuaire et persistent quelque temps après la disparition des vases qui les ont inspirés. On peut envisager que les céramistes locaux et laconiens ont pu travailler au sein des mêmes ateliers dans le cadre du sanctuaire. Même s’il demeure difficile de mesurer la place des motifs laconiens dans la céramique locale par rapport aux autres séries50, l’hypothèse d’artisans travaillant dans le sanctuaire, et installés, comme dans le cas de l’Atelier Réformé, est à considérer sérieusement surtout qu’elle ne concerne pas la seule céramique. Olympie a en effet livré d’autres types de matériel laconien, qu’il faut comparer avec la céramique et en premier lieu les objets de bronze, statuettes et vases.

146La chronologie des statuettes de bronzes laconiennes mise au jour à Olympie est beaucoup plus étendue que celle des céramiques. Les premières statuettes identifiées comme laconiennes datent du second quart du VIII^e siècle et les plus récentes de la fin du VI^e siècle avec cependant une interruption entre 720 et 640.

147Les bronzes laconiens d’Olympie du VIII^e siècle sont de petites statuettes d’animaux. La Laconie ignore alors en effet totalement la production des grands chaudrons comme les autres centres grecs de l’époque. On trouve des chevaux (112 exemplaires- OF12, p. 137, cat. n^o 458-507, pl. 60-67) dont deux ratés de coulée (Rolley 1977, n. 2 p. 126) du second quart du VIII^e siècle, des taureaux ou bovidés (78 exemplaires- OF12, p. 137, cat. n^o 508-538, pl. 70-71 ; Rolley 1983, cat. n^o 209) et des oiseaux (douze exemplaires-Rolley 1977, n. 2 p. 126), des cerfs (deux exemplaires- OF12, cat. n^o 507 et 507a, pl. 68), des lièvres (deux exemplaires- OF12, p. 275), soit, au total, 211 statuettes auxquelles s’ajoute un groupe du dernier quart du VIII^e siècle représentant un homme combattant contre un centaure (Rolley 1994, p. 109).

148Toutes ces découvertes semblent coïncider avec le début des concours panhelléniques vers 776 et avec le déclin de l’atelier des bronziers argiens à Olympie (OF12, p. 130). La majeure partie des petits animaux laconiens est en effet datée entre le second quart et le troisième quart du VIII^e siècle. Ils succèdent à une domination des bronzes argiens qui voient alors leur production décliner avec la concurrence de l’atelier laconien. Les animaux laconiens représentent alors près de 80 % des petites statuettes mises au jour pour cette époque (OF12, p. 137). Cette fréquentation du sanctuaire dès les débuts des concours implique des rapports étroits entre la Laconie et Olympie et confirment ce que nous donne les sources littéraires et notamment Plutarque dans la Vie de Lycurgue. La chronologie des petits bronzes laconiens d’Olympie par rapport aux découvertes de Laconie amène à penser à une production dans le sanctuaire. Les premiers bronzes laconiens datent en effet du premier quart du VIII^e siècle, alors que les premiers petits bronzes mis au jour dans le sanctuaire d’Artémis Orthia à Sparte dateraient des années 750 (OF12, p. 130). Les données chronologiques et la présence des ratés de coulée montrent que les petits bronzes ont été produits sur place dans un atelier à l’intérieur du sanctuaire. Ils cessent d’être présents à Olympie dans le troisième quart du VIII^e siècle. Cette disparition est contemporaine en Laconie même notamment au sanctuaire d’Artémis Orthia (OF12, p. 130).

149La production laconienne des bronzes ne reprend que vers la fin du siècle avec des formes différentes de celles connues à l’époque géométrique : les statuettes vont être dorénavant en majorité anthropomorphes. Cet arrêt momentané de la production est attribué aux deux guerres de Messénie, le premier est interprété comme le signe du début de la première guerre de Messénie vers 743/742 par W.-D. Heilmeyer, la date de la fin de la deuxième guerre étant généralement placée dans la seconde moitié du VII^e siècle (Nafissi 1991, p. 37). On recense pour le VII^e siècle seulement une statuette de Palladion (Rolley 1977, p. 130), mais c’est au VI^e siècle que se situe l’apogée de l’art du bronze laconien tant pour les statuettes que pour les vases. Une quinzaine de statuettes ont été recensées pour l’ensemble du VI^e siècle à Olympie : pour le premier quart un cheval (600-580- HK, K170), une femme en chiton (610-590- HK, K28) et un sphinx (590-580- HK, K160) ; pour le second quart un kouros couronné (560-550- HK, K91) ; pour le troisième quart jusque vers 530 un cavalier (535-530- HK, K119) et un hoplite (550-540- HK, K142) ; entre 530 et la fin du VI^e siècle quatre silènes (530-520- HK, K147-150) et une statuette de Zeus (525-515- HK, K117). On signale également quatre autres statuettes d’hoplites non-datées (BCH84, 1960, p. 718 et BCH90, 1966, p. 812). Le nombre de statuettes ne permet pas de rendre significative la courbe de leurs arrivées : on note cependant que plus de 40 % d’entre elles datent du dernier quart du VI^e siècle ; il s’agit toutefois de statuettes du même type pouvant appartenir à une même série. Toutes ces statuettes sont la trace du déplacement d’individus isolés au sanctuaire.

150À Olympie, 31 vases de bronze ont été recensés qui se répartissent en deux catégories : les hydries et les chaudrons. Ils sont datés entre la fin du VII^e siècle et la fin du VI^e siècle.

• pour le troisième quart du VII^e siècle : trois anses verticales d’hydrie dont deux à protomé féminine et une à protomé de chevaux (HK, K12, K15, K168), une anse horizontale (Annexe 2- n^o 1) et une protomé féminine datée des environs de 640 (OF20, V3, pl. 116).
• pour le premier quart du VI^e siècle : deux anses verticales d’hydrie dont une avec tête de lion (Annexe 2- n^o 3) et une à protomé féminine (Annexe 2- n^o 2) et quatre anses horizontales (Annexe 2- n^o 6 à 8), un pied de vase représentant une figure féminine surmontant une patte de lion (590-580- HK, K30) et un pied de chaudron (590-580- HK, K183) ;
• entre 575 et 550 : trois anses d’hydrie dont une avec lions et palmette (Annexe 2- n^o 10), une avec lion (Annexe 2-n^o 11) et une à protomé féminine (Annexe 2- n^o 13), un sphinx (575-550-Stibbe 2000, p. 11), un lion (580-550- OF20, Le60, pl. 9) et quatre statuettes éléments de décor de vase (560-550- HK, K127-130), une applique de chaudron ou de cratère représentant deux griffons affrontés (570-560-OF20, M8, pl. 73) ;
• entre 550 et 525 : deux lions (560-530- OF20, Le61-62, pl. 10), deux anses de chaudron (540-530- OF20, Le207 et Le 210, pl. 10) et une statuette élément de décor (535-530- HK, K119), deux anses verticales d’hydrie, un lion de la partie supérieure d’une anse (Annexe 2-n^o 17) et une anse à protomé féminine (Annexe 2-n^o 19) ;
• pour le dernier quart du VI^e siècle : un pied de vase en forme de patte de lion surmonté d’une gorgone (530-500- OF20, E228, pl. 110) et une statuette élément de décor (525-515-HK, K117).

151On signale de plus : un pied de chaudron daté des environs de 600 (HK, K184), une anse d’hydrie datée vers 550 (HK, K19) et une bordure de chaudron comportant une inscription datée de la première moitié du VI^e siècle gravée sur sa bordure (OF20, Le12, p. 179), « Les Spartiates », qui témoigne du caractère collectif de l’offrande et du statut des dédicants qui appartiennent au corps civique de la cité.

152Les arrivées de vases sont donc relativement constantes jusque vers 525, avec cependant un maximum entre 575 et 550, avant de chuter brutalement. Les différents types ne sont cependant pas présents en même temps. Les hydries connaissent leur maximum entre 600 et 575 avant une baisse constante jusqu’en 530, date de la dernière anse recensée. Les chaudrons sont présents en nombre réduit, mais constant à partir de 600. Les derniers vases datent au plus tard de 515 et sont contemporains des dernières statuettes.

153Typologiquement, on remarque que les vases de bronze ne correspondent pas aux vases céramiques. La forme principale est l’hydrie dont il n’a été mis au jour dans le sanctuaire qu’un seul exemplaire en céramique (OLY071). Le fragment de bord de ce vase ne permet pas de voir s’il comportait des éléments plastiques pouvant l’apparenter aux vases de bronze. Il date du premier quart du VI^e siècle comme la plupart des hydries de bronze laconiennes du sanctuaire. De même, les courbes d’arrivée de la céramique laconienne et des vases de bronze laconiens ne sont pas parallèles. Les vases de bronze arrivent en nombre significatif à Olympie dès la fin du VII^e siècle alors que les céramiques sont, jusqu’en 575, le fait du déplacement des individus (les formes apportées sont des types propres à la Laconie et qui ne font pas l’objet d’une grande distribution). Le nombre de vases de bronze est quasiment équivalent à celui des vases céramiques entre 600 et 575 (huit exemplaires pour les vases de bronze et neuf exemplaires pour les céramiques). Le pic d’arrivée des céramiques laconiennes se situe entre 550 et 525 quand les vases de bronze commencent à décliner pour disparaître, les céramiques, quant à elles, continuent d’arriver jusqu’au début du V^e siècle. La chute des vases de bronze, vers 530, est cependant contemporaine de la première chute des coupes à figures noires.

154Les vases de bronze ne répondent donc pas au même schéma de diffusion que les céramiques. Il s’agit d’offrandes de prix ponctuelles qui ne font pas l’objet d’un commerce, mais plutôt d’une production de commande et peuvent être des offrandes collectives. Les découvertes archéologiques attestent donc un intérêt pour le sanctuaire de Zeus dès les origines et la participation des Spartiates aux jeux dès la haute époque, confirmant ainsi ce qui est mentionné dans les sources littéraires et épigraphiques.

155Il faut toutefois distinguer trois catégories dans le matériel archéologique laconien mis au jour à Olympie. La première est celle d’éléments qui témoignent de la présence sur place de Laconiens ou d’individus passés par la Laconie, comme les statuettes ou les vases marqueurs culturels. La seconde comprend les vases de bronze qui constituent des offrandes de prix liées aux relations entre le sanctuaire et la cité de Sparte. La troisième est celle des vases qui font l’objet d’une distribution plus large dans le bassin méditerranéen, comme les coupes à figures noires ou les petits animaux de bronze, qui ont un mode de distribution passant par des acteurs différents des individus isolés. Les Laconiens semblent avoir fréquenté le sanctuaire à titre individuel depuis le haut archaïsme, comme en témoignent les petits animaux en bronze du VIII^e siècle ou les vases propres à l’habitat laconien comme les coupes D. La proximité du sanctuaire explique certainement l’intérêt qu’il suscite auprès des Laconiens pour les pèlerinages individuels.

156Les vases de bronze font référence à des relations plus aristocratiques entre Sparte et Olympie comme le montre l’inscription gravée sur le chaudron de bronze, et attestent l’intérêt que Sparte porte à Olympie dans les trois premiers quarts du VI^e siècle. Il faut également mentionner ici deux périrrhantèria laconiens (HK, p. 127) qui doivent être rattachés à cette catégorie d’offrandes. Le statut de sanctuaire panhellénique d’Olympie et sa situation géographique expliquent la présence des offrandes importantes, comme les vases de bronze qui relèvent des couches les plus hautes de la société ou de groupes de personnes.

157L’étude des vases courants de la série laconienne montre enfin que des artisans laconiens sont probablement venus travailler sur place. D’autres séries témoignent de la présence d’ateliers dans le sanctuaire comme les séries argienne et corinthienne (OF12, p. 137). Des bronziers laconiens, auteurs des petites statuettes du VIII^e siècle, étaient certainement installés sur place pour produire à la demande. La fin de leur activité se situe vers 740 sans qu’il soit possible de déterminer si d’autres ont pris leur succession à la fin du VII^e siècle. Les acrotères faîtiers de l’Héraion qui sont des copies de ceux du temple d’Artémis Orthia à Sparte (Rolley 1977, p. 127) montrent également que des artistes laconiens ont pu participer à l’érection des grands monuments du sanctuaire.

158Les céramistes laconiens ont certainement travaillé à Olympie au moins à la fin du VI^e siècle comme l’attestent les coupes à figures noires de l’atelier réformé. Ces artisans ont pu s’installer là où il restait une demande pour leurs vases ou là où il était encore possible de les vendre quand leur production ne trouvait plus de débouchés dans le reste du bassin méditerranéen. Cela expliquerait le décalage entre la courbe des arrivées de céramique laconienne à Olympie et la courbe générale de la distribution. La spécificité des formes de la série laconienne par rapport aux autres séries montre que les potiers savaient s’adapter à la demande et prendre la place laissée vacante sur le site par d’autres, comme c’est le cas pour les figures noires laconiennes de la fin du VI^e siècle. Les liens très étroits entretenus par Sparte et Olympie, comme le laisse entendre la présence de proxénoi, peuvent avoir été à l’origine de l’installation de potiers dans le sanctuaire.

2. Le matériel laconien des autres grands sanctuaires panhelléniques

159Seulement trois autres grands sanctuaires du même niveau de rayonnement qu’Olympie ont livré du matériel laconien, mais en quantité beaucoup moins importante : Delphes, Délos et Dodone.

– Delphes

160Il existe de nombreuses références dans les sources attestant l’importance de Delphes pour la cité de Sparte. D’après les textes, le système politique spartiate découlerait des consultations de l’oracle d’Apollon : selon Hérodote, Lycurgue alla consulter l’oracle qui lui aurait alors inspiré sa constitution (Hérodote I, 65). D’autres exemples nous sont fournis pour les différentes expéditions de conquête que mène Sparte à l’époque archaïque : pour la prise de l’Arcadie que l’oracle leur refuse tout en leur concédant Tégée (Hérodote I, 66), pour la colonisation de Tarente (Strabon VII, 3, 2).

161Sparte aurait consulté l’oracle à chaque décision importante et désignait, pour cela, des messagers dont la nomination était une des prérogatives des rois de Sparte, les Pythiens (Hérodote VI, 57). Les rois de Sparte avaient en effet comme prérogative de nommer ces messagers qui devaient consulter l’oracle ; ceux-ci étaient nourris avec les rois aux frais de la cité, indice de leur importance civique.

162Seulement dix vases laconiens ont été recensés pour le sanctuaire de Delphes : cinq coupes et une tasse cylindrique, trois aryballes et un cratère. Tous appartiennent aux catégories communes de la série laconienne et comportent peu de décor.

163Le matériel de bronze se divise en deux catégories comme à Olympie : les statuettes et les vases. La plus ancienne pièce laconienne est un petit cheval de bronze du VIII^e siècle (Rolley 1969, p. 61). On dénombre pour le VI^e siècle trois statuettes, une péplophore (540-HK, K37) et deux kouroi (540- HK, K83-et 530-520- HK, K86), et cinq vases de bronze laconiens fragmentaires, une applique représentant Ulysse (580-570- HK, K125), deux œnochoés (Annexe 2, n^o 5 et 6), une hydrie (Annexe 2, n^o 20) et un cratère (Annexe 2, n^o 4). À ce matériel s’ajoute une statuette de fonte coupée à la taille (Rolley 1969, p. 122). Les bronzes laconiens semblent donc apportés au sanctuaire dans la seconde moitié du VI^e siècle, au plus tard vers 520.

164La rareté des vases montre que Delphes était peu fréquentée à titre personnel par les Laconiens. Toutefois les relations politiques entre deux cités ou une cité et un sanctuaire ne se traduisent pas obligatoirement par la circulation des objets et des individus à titre personnel.

165Si on se réfère aux différentes sources archéologiques et littéraires, le sanctuaire de Delphes a concerné avant tout la cité en tant qu’entité politique contrairement à celui d’Olympie qui a connu plutôt une fréquentation à titre individuel ou collectifs de Laconiens.

166Sparte ne diffère pas de l’ensemble du monde grec archaïque par ses relations avec le sanctuaire de Delphes. Celles-ci deviennent plus ténues par la suite et se manifestent par des offrandes plus imposantes comme le monument des Spartiates à l’entrée de la voie sacrée.

– Délos

167Si nous disposons de sources littéraires et archéologiques pour le sanctuaire de Delphes, ce n’est pas le cas pour Délos pour lequel il n’existe pas de références dans les textes ; seuls quelques objets ont pu être recensés. Seulement six vases laconiens ont été mis au jour : trois aryballes du groupe G, une coupe du groupe E, une tasse cylindrique et une cruche à col étroit. Il s’agit de vases personnels, déposés par des individus isolés. Les trois derniers sont des vases identiques à ceux découverts dans l’habitat en Laconie et qui peuvent témoigner du passage de Laconiens.

– Dodone

168Aucune céramique laconienne n’a été recensée à Dodone, mais des petites statuettes de bronzes laconiennes, dont certaines sont des éléments de décor de vase, se retrouvent en quantité significative. On dénombre trois hoplites (HK, K136-137 et K141), une jeune fille courant (550-540- HK, K48), un kouros (HK, K139) et un cavalier (Annexe 2, n^o 5). Toutes sont datées de la seconde moitié du VI^e siècle.

169Selon Cl. Rolley, les bronzes laconiens de Dodone sont à interpréter comme des vases laconiens auparavant exportés vers l’Occident et qui seraient des offrandes des Grecs de l’Ouest ou d’autres dédicants qui se les seraient procurés en Grande-Grèce (Rolley 1982, p. 96). L’absence de céramique laconienne et notamment de vases personnels va dans le sens de l’hypothèse de Cl. Rolley.

170On distingue donc pour les sanctuaires panhelléniques trois types de fréquentations : la présence et les dédicaces d’individus isolés, venant de Laconie ou d’ailleurs, à titre privé ; l’installation d’artisans sur place pour répondre à une demande en offrandes destinées au sanctuaire ; et la consultation ou la représentation de Sparte et de son corps de citoyens.

171À la première catégorie correspondent les petites statuettes de bronze et les vases dont la forme rappelle ce qui se retrouve dans l’habitat et les sanctuaires laconiens, comme les lakainai ou les tasses cylindriques présentes à Olympie, Delphes et Délos. Les Laconiens ou des individus de passage apportaient de Laconie les objets qu’ils comptaient offrir. Ces objets pouvaient être disponibles sur place dans le cas d’Olympie, comme l’a montré l’analyse du matériel laconien du sanctuaire à différentes époques. L’installation d’artisans sur place implique de bonnes relations entre Sparte et le sanctuaire. À ce type de fréquentations, on peut adjoindre les vases de Dodone qui auraient transité par l’Illyrie et qui n’auraient pas alors été dédiés forcément par des Laconiens de passage. Ces bonnes relations relèvent du troisième type de consultations, la représentation collective du corps civique de Sparte. Elles concernent les sanctuaires d’Olympie et de Delphes avec une participation aux jeux et une place privilégiée des Spartiates en tant que proxénoi pour Olympie et des consultations de l’oracle pour les grandes décisions importantes que devait prendre Sparte pour Delphes.

3. Le matériel laconien des sanctuaires de Samos

172Les Samiens sont, depuis les travaux de P. Cartledge (Cartledge 1982), considérés comme les principaux transporteurs des vases laconiens, notamment vers l’Occident et l’Étrurie. L’étude de la distribution a montré que leur rôle était cependant circonscrit dans le temps et que d’autres cités, notamment Tarente, s’étaient occupées de la redistribution des vases laconiens. Il n’en demeure pas moins que Sparte et Samos ont entretenu des liens particuliers à l’époque archaïque dont le cadre et le rôle dans la distribution des vases doivent être précisés.

173La quantité de matériel laconien mis au jour dans l’île de Samos, en particulier dans ses sanctuaires, et les particularités typologiques relevées lors de l’étude de la distribution montrent bien qu’une grosse partie de la production laconienne de la première moitié du VI^e siècle était destinée à Samos. Nous ignorons cependant encore les modalités d’échanges et le poids des relations entre cités sur la production. L’étude détaillée des vases laconiens des sanctuaires samiens, l’Héraion et l’Artémision, s’impose alors.

174Les 239 vases laconiens enregistrés dans la base de données font de l’Héraion de Samos le premier site de destination de la céramique laconienne en dehors des sanctuaires de Laconie. Il n’en existe pas cependant de publication exhaustive et nous nous appuyons essentiellement sur les catalogues de C. M. Stibbe (LV ; LMB ; LBPII ; LBPIII ; LVS ; Stibbe 1997 ; Stibbe 1998), sur la publication de M. Pipili (Pipili 1987, p. 111-119) et les publications du matériel de certaines parties du sanctuaire comme celle de H. P. Isler (Isler 1978) et A. E. Fürtwangler et H. J. Kienast (Fürtwangler ; Kienast 1989).

175Les 52 vases laconiens de l’Artémision, quant à eux, ont fait l’objet d’une publication par M. Pipili (Pipili 2001). Ce sanctuaire situé juste à l’extérieur des murs de l’ancienne cité a été découvert en 1979 lors de fouilles sur le site d’une basilique paléochrétienne consacrée à la Vierge Marie, à côté du lac de Glyphada. Les fouilles ont livré un matériel daté exclusivement du VI^e siècle (Pipili 2001, p. 17).

176Plusieurs vases portant des dédicaces à Artémis ont permis de rapprocher ce sanctuaire du sanctuaire d’Artémis mentionné par Hérodote (Hérodote III, 48). Une route lie le site à la cité et à l’Héraion. La plupart des offrandes appartiennent au troisième quart du VI^e siècle qui serait la période la plus florissante du sanctuaire ; aucune ne semble dater d’après 520, date supposée de sa destruction. M. Pipili suggère alors de mettre celle-ci en relation avec l’attaque spartiate de 524 et les années troubles qui suivent la mort de Polycrate de Samos en 522 (Pipili 2001, p. 18).

– Le matériel de l’Héraion

177Globalement, l’ensemble des vases de l’Héraion comporte un décor riche avec 158 vases à figures noires, 36 à décorations secondaires et quatorze décorés dans le style Laconien II. Seuls six vases, quatre cratères et deux œnochoés sont entièrement à vernis noir.

178Toutes les catégories sont présentes à l’exception des amphores de transport et des hydries. La première est celle des vases à boire : les coupes représentent 65,5 % du corpus, essentiellement des coupes à tige (48 sur les 63 exemplaires).

179Sur les 158 coupes, 134 sont à figures noires, quinze sont décorées dans le style Laconien II, toutes du groupe C, et une est à ornements secondaires. Les autres types de vases à boire laconiens sont peu représentés ; on dénombre cinq lakainai dont trois exemplaires du style Laconien II, un à figures noires et un à ornements secondaires, un gobelet cylindrique du style Laconien II, un canthare à figures noires et un à ornements secondaires, et un kothon. Les vases à mélanger sont la deuxième catégorie avec 38 cratères dont 22 appartiennent au groupe B type peu fréquent dans la série laconienne dont certains sont richement décorés dans le style Laconien II (SAM125, SAM126 et SAM127) ou de figures noires. On recense également deux cratères en cloche et quatre dinoi, forme qui ne se retrouve presque qu’à Samos51.

180Les supports, tous à figures noires, mis au jour étaient certainement destinés à porter ces grands vases. Les vases des autres catégories comportent aussi un décor très riche : cinq aryballes laconiens sur les sept de l’Héraion appartiennent au groupe I à figures noires peu présent en dehors de Sparte (Cf. p. 32-33), deux œnochoés sont à ornements secondaires et deux sont à vernis noir, mais portent des décorations plastiques au niveau des attaches de l’anse (SAM157 et 159) ; les plats et le tube à libations sont à ornements secondaires.

181Le caractère spécifique des vases laconiens de l’Héraion de Samos réside dans la présence de formes absentes en Laconie comme les dinoi, les supports, et, au sein des formes courantes, des vases de décor ou de formes exceptionnels comme les cratères à volutes du groupe B ou les aryballes à figures noires du groupe I. La typologie de l’Héraion de Samos contraste en cela avec celle des sanctuaires de Laconie où on trouve une majorité de vases à vernis noir et une préférence pour les vases à boire à paroi haute comme la lakaina, le skyphos ou le kothon. De même en Laconie, les cratères sont quasiment exclus des lieux de culte, à l’exception du cratère en cloche, alors qu’on retrouve à Samos de nombreux cratères à volutes à figures noires. Quelques vases font référence cependant à la culture laconienne comme les cinq lakainai et le kothon et peuvent être le signe de la présence de Laconiens. Leur quantité est faible toutefois comparée à celle de Laconie ou des fondations laconiennes du golfe de Tarente ou de Cyrénaïque (Cf. p. 25-26).

182La céramique laconienne arrive à l’Héraion de Samos dès la fin du VII^e siècle (graph. 28) de façon modeste toutefois par rapport aux sanctuaires de Cyrénaïque par exemple (Cf. p. 90, 96) ; c’est à Samos cependant qu’ont été mis au jour les plus anciens tessons en dehors de la sphère laconienne, au moins deux fragments d’une amphore du Géométrique Récent (Stibbe 1978, note 89 p. 44 et Diehl 1964, n^o 32 p. 543). La phase majeure de dépôt dans le sanctuaire se situe dans le second quart du VI^e et Samos est alors, avec Cyrène, le principal importateur de céramique laconienne. Ce pic est suivi d’une chute brutale vers 575 et d’un arrêt définitif peu après. La typologie du dépôt évolue parallèlement (graph. 19). Les vases à boire et les vases à mélanger sont présents en nombre équivalent entre la fin du VII^e siècle et le début du VI^e siècle. À partir de 575, la proportion des vases à boire, et parmi eux des coupes à tige à figures noires, devient écrasante même si les autres formes sont toujours présentes. La datation haute du plus grand nombre se situe entre 570 et 555 ; pour les datations basses, la période est identique, mais un pic se produit vers 545 qui peut être traduit comme la date minimale d’arrivée des coupes et serait le reflet des dernières importations. Les coupes laconiennes de l’Héraion de Samos semblent donc dater principalement de la période 570-555. Quelles peuvent être les causes de la chute des importations laconiennes à Samos vers 560-550 ?

183Nous savons que la chute des importations laconiennes n’est pas liée à l’incendie de l’Héraion qui survient plus tard, vers 540 (Pausanias VII, 5.2 ; Shipley 1987, p. 78). Si l’arrêt des dépôts de céramique laconienne n’est pas lié à des événements extérieurs, il faut donc penser à des problèmes survenant dans les relations entre Samos et la Laconie. Notre principale source littéraire sur la période du VI^e siècle à Samos est Hérodote ; nous ne mentionnerons ici que ses plus anciennes allusions sur les rapports entre Sparte et Samos pour le VI^e siècle. Toutes concernent les raisons et le déroulement d’une expédition des Lacédémoniens contre Samos qui eut lieu à la fin du troisième quart du VI^e siècle. Hérodote fait part des deux points de vue : samien et lacédémonien. Il nous donne deux raisons principales comme étant à l’origine de cette expédition. La première est le vol d’un cratère de bronze laconien envoyé en présent à Crésus, vers 561-546 (Hérodote I, 70 et III, 47). Les Spartiates auraient, en effet, fait ce présent au roi de Lydie pour le remercier d’avoir donné de l’or en échange d’un traité d’alliance avec les Perses. Le cratère est décrit comme un des chefs-d’œuvre de l’art laconien (Hérodote I, 70). Son vol avait été précédé, peu avant, de celui d’une cuirasse qu’Amasis, pharaon d’Égypte (568-525), avait envoyée aux Lacédémoniens (Hérodote III, 47). Ces deux objets disparurent dans les eaux samiennes. La version de Sparte est qu’ils auraient été dérobés par des pirates Samiens tandis que la version samienne veut que les émissaires chargés de porter le cratère l’aient vendu aux Samiens qui l’auraient alors dédié à l’Héraion (Hérodote I, 70). Il n’est pas fait mention de la cuirasse. Les émissaires de retour à Sparte racontèrent que les Samiens la leur avaient volée. Une date est donnée pour cet événement quelle que soit la manière dont il s’est déroulé : Hérodote dit que, toujours d’après les Samiens, les émissaires lacédémoniens avaient vendu le cratère car ils avaient du retard et entre temps Sardes avait été prise par Cyrus le Grand, roi des Perses (557-530). La chute de Sardes a lieu en 546, le vol du cratère s’est donc déroulé vers cette date qui ne correspond pas à la fin des importations laconiennes à l’Héraion, si on suit les datations données par les coupes à figures noires laconiennes du sanctuaire. Si les relations entre Sparte et Samos se dégradent ce ne peut être qu’une dizaine d’années après la fin du commerce entre les deux cités et cet événement n’aurait pas joué de rôle dans l’arrêt des importations après 545.

184Il faut également exclure une détérioration des relations due à l’avènement du tyran Polycrate contre lequel les sources mentionnent une alliance des Spartiates à des Samiens dissidents (Hérodote III, 44-47).

185Ces événements sont postérieurs à la chute des vases laconiens, le règne de Polycrate commençant probablement dans les années 540 (Shipley 1987, p. 77-78) et l’expédition de Sparte contre Samos ayant lieu aux environs de 525 (Hérodote III, 39). L’arrêt des dédicaces de vases laconiens au sanctuaire d’Héra semble donc venir plutôt d’un problème interne aux ateliers producteurs et il faut alors se pencher sur les œuvres des peintres laconiens présentes au sanctuaire. Les cinq principaux peintres laconiens sont présents à l’Héraion (Stibbe 1997, Anhang 11, p. 140-142), mais nous prenons ici également en compte les exemplaires mis au jour dans la nécropole (Cf. p. 122) ainsi que les quelques exemplaires des peintres présents à l’Héraion mis au jour à l’Artémision (Cf. p. 143-144) et ceux dont le contexte de découverte précis est inconnu (une coupe du Peintre de Naucratis, une coupe du Peintre d’Arkésilas, une du Peintre des Cavaliers et deux du Peintre de la Chasse). Tous les ateliers ne sont pas représentés avec la même intensité (graph. 29) : les deux principaux sont ceux du Peintre de Naucratis et du Peintre des Boréades.

186L’atelier du Peintre de Naucratis n’est présent à l’Héraion que dans le second quart du VI^e siècle alors que sa production continue aux environs de 550 (graph. 14). Certaines formes issues de l’atelier sont inconnues en Laconie comme les dinoi, les calices, les cratères à volutes ou les supports, mais bien représentées à l’Héraion, elles pourraient alors correspondre à un phénomène de commande pour satisfaire une clientèle spécifique à Samos. Ces dinoi sont à mettre en parallèle avec les lydia mis au jour en Sicile sud-orientale qui semblent se rattacher à ce même phénomène (Cf. p. 118-119), et avec certains vases d’Étrurie (Cf. p. 162) sur lesquels nous reviendrons. La distribution étendue de ses œuvres, la variété des formes présentes à l’Héraion, qui n’appartiennent pas toutes au répertoire classique laconien, et leur relation avec les goûts régionaux incitent à penser que l’atelier du Peintre de Naucratis devait produire en partie sur commande à la demande de l’aristocratie samienne. Le même phénomène d’adaptation de la production d’un peintre à une probable demande samienne a été constaté pour le peintre KX d’Athènes, contemporain du Peintre de Naucratis, dont les coupes se retrouvent toutes à Samos et aucune pour l’instant en Attique (Pipili 2004, p. 412-415). La forme de ses coupes et leur iconographie correspond à une typologie ionienne et montrent qu’elles ont été faites pour Samos.

187L’atelier du Peintre des Boréades est le seul à ne pas être représenté en Laconie. Une majorité de sa production provient de Samos (35,9 %), le reste a été retrouvé pour l’essentiel en Méditerranée orientale (Cf. p. 40-41) et s’arrête en même temps que les dépôts de vases laconiens à l’Héraion. C’est sur ces observations que C. M. Stibbe fonde l’hypothèse d’une production sur place et d’une diffusion au départ de l’île pour le Peintre des Boréades plutôt qu’à partir de la Laconie (Stibbe 1997, p. 36 et Pelagatti, Stibbe 2001, n. 52 p. 376). Son style inspiré de la Grèce de l’Est, notamment au niveau des motifs et frises ornementaux qu’il introduit dans ses œuvres et qui n’existaient pas dans celles de son prédécesseur (Pompili 1986a, p. 70-71), l’absence de vases ioniens dans les sanctuaires de Laconie et les observations faites pour le Peintre de Naucratis confirmeraient cette hypothèse. De plus, sa production est tout à fait parallèle à la courbe des importations de figures noires à Samos et semble donc réellement dépendante de la demande et du commerce avec l’Héraion.

188L’atelier du Peintre des Cavaliers est présent en plus faible quantité que les deux précédents et surtout dans une proportion moindre par rapport à sa production totale. Il ne paraît pas tributaire du « marché » samien car sa production (graph. 14) n’est pas affectée par la fin des dédicaces à l’Héraion.

189C’est également le cas de l’atelier du Peintre de la Chasse. Si ses œuvres sont essentiellement destinées à Samos dans le second quart du VI^e siècle, elles changent de destination après 550 et la production n’est pas affectée par la fin des exportations vers Samos. Le Peintre de la Chasse est le peintre dont la production s’étend le plus dans le temps avec une activité allant des environs de 560 à la fin du VI^e siècle (graph. 14) ; c’est, en outre, le plus proche de la Laconie pour le répertoire des formes utilisées. Il répondrait donc lui aussi à une demande régionale, les vases retrouvés en dehors de Laconie ont pu être embarqués à partir des ports du Sud du Péloponnèse sans passer par les intermédiaires samiens.

190Une partie de l’iconographie des vases laconiens de Samos renforce l’hypothèse d’un travail sur place ou sur commande répondant aux goûts des dédicants de l’Héraion (Pipili 1998, p. 86-96). Les thèmes iconographiques sont beaucoup plus nombreux que ceux relevés à Olympie. M. Pipili met en évidence l’existence de motifs inspirés de l’environnement samien notamment dans le cas des coupes figurant une déesse ailée et celle représentant un joueur de lyre (Pipili 1998, p. 91-92). Ces motifs ne se retrouvent pas en dehors des sanctuaires de Samos et de Naucratis.

191La déesse ailée est présente à Samos sur deux coupes du Peintre de Naucratis (SAM043 ; SAM045) datées vers 565-560, et également sur une coupe de Naucratis (NAU005) montrant l’image d’une divinité seule, sans contexte narratif, interprétée comme une maîtresse des animaux. Pour l’auteur, la composition est samienne et la déesse, certainement Artémis Orthia qui a pu être interprétée comme Héra par les dédicants de Samos. Le type ne correspond cependant pas à celui des autres divinités de la céramique laconienne (Coudin 2009) et il pourrait bien s’agir de l’Héra samienne. Les scènes avec un citharède trouvées sur des coupes de l’Héraion (SAM066, SAM067, SAM088, SAM119), sont interprétées par M. Pipili (Pipili 1987, p. 26-27) comme des représentations des Héraia de Samos qui incluaient des concours athlétiques et poétiques. Ces coupes sont fragmentaires, mais une kylix entière du Peintre des Cavaliers (fig. 22) s’inspirant des œuvres du Peintre de Naucratis, malheureusement sans contexte, permet de comprendre la composition entière des quatre coupes de Samos. On y voit un citharède au centre entouré de cômastes qui, pour M. Pipili, ne peut être identifié ni à Dionysos à cause de la lyre, ni à Apollon à cause des cômastes : elle propose d’y voir une scène de culte. Les coupes de l’Héraion auraient donc été faites pour la clientèle samienne des jeux. La familiarité des peintres avec le sujet montre qu’ils travaillaient à partir d’évènements auxquels ils avaient assisté.

192On trouve aussi des scènes du quotidien comme les banquets présents sur cinq coupes : deux coupes du Peintre de la Chasse (SAM057-058), deux du Peintre d’Arkésilas (SAM083-084), et une du Peintre des Boréades (SAM030) et enfin sur un dinos du Peintre de Naucratis (SAM138). Les représentations de guerriers seuls ou de combats se retrouvent sur six coupes : trois du Peintre de la Chasse (SAM050, SAM056 et SAM063), deux du Peintre de Naucratis (SAM046 - 047) une du peintre de Samos (SAM131) et un cratère non attribué (SAM308). Les représentations de cavaliers ou de chevaux sont très fréquentes, qu’il s’agisse de frises ou d’individus isolés : un aryballe (SAM022) et un support (SAM140) du Peintre de Naucratis, deux coupes du Peintre des Boréades (SAM031 ; SAM074), deux coupes du Peintre d’Arkésilas (SAM091-092) et une coupe non attribuée (SAM010).

193À ces représentations de réalités locales s’ajoutent des thèmes plus universels, mais dont l’utilisation dans l’art laconien ne se retrouve pas en dehors de « l’aire samienne » définie lors de l’étude de la distribution (Cf. p. 49-50). C’est le cas des scènes du combat entre Héraklès et l’Hydre de Lerne présent sur deux coupes de Samos, une du Peintre des Boréades (SAM037) et une du Peintre de la Chasse (SAM049), et qui se retrouve également sur une coupe de Naucratis du Peintre des Boréades (NAU010). C’est aussi le cas de l’embuscade d’Achille contre Troïlos présent sur une coupe du Peintre des Boréades (SAM027) et une du Peintre des Cavaliers (SAM059), et enfin de l’enlèvement de Thétis par Pelée présent sur deux coupes du Peintre de Naucratis (SAM046-047).

194D’autres scènes mythologiques sont des pièces uniques dans la série et montrent le caractère exceptionnel des vases de l’Héraion de Samos : l’aveuglement de Polyphème (SAM215), les Boréades poursuivant les Harpies (SAM026) par le Peintre des Boréades auxquelles s’ajoute la coupe du Peintre des Cavaliers provenant de la nécropole et montrant Sisyphe poussant son rocher (SAM053).

195Que ce soit dans la forme, dans l’intensité des importations ou dans les thèmes iconographiques choisis, la production laconienne à figures noires et les clients samiens dépendent extrêmement les uns des autres. Quelques nuances existent cependant selon les ateliers. Les plus affectés par l’arrêt des dédicaces de vases laconiens à Samos sont l’atelier du Peintre de Naucratis et celui du Peintre des Boréades. Ce sont également les deux ateliers pour lesquels les arguments en faveur d’une production saisonnière sur place sont les plus forts, que ce soit pour les thèmes ou les formes choisies. On peut donc envisager que la chute des « importations » de céramique laconienne est due en grande partie à l’arrêt de leur production. La fin de la carrière du Peintre de Naucratis est probablement la première raison, la date de ses premières œuvres se situant vers 580, celle de ces dernières vers 555, soit une carrière d’environ un quart de siècle. La situation du Peintre des Boréades est plus complexe car le Peintre d’Arkésilas, le Peintre des Cavaliers et le Peintre de la Chasse semblent avoir appartenu à son atelier. M. Nafissi et F. Pompili placent la fin de la production du maître vers 560 avec alors un accroissement de la production des autres membres de l’atelier (Nafissi 1986, fig. 22, p. 169 et Pompili 1986a, p. 70-71). Or la fin de la production du maître est contemporaine de la chute des importations à Samos. On peut donc penser que les peintres qui ont pris la succession de l’atelier n’ont plus fait le voyage saisonnier que l’on suppose pour leurs prédécesseurs ou ont changé leur lieu de résidence et sont revenus s’installer dans leur région d’origine. Ils ont cependant continué à travailler sur commande dans certains cas, comme nous l’avons vu. Pourquoi n’ont-ils pas fait ce voyage ? Soit leur présence n’est plus désirée sur place ou leur production ne trouve plus de clientèle, et ils continuent donc leur activité en Laconie ou dans d’autres régions, avec une intensité moindre cependant, soit le climat des années 550 en Méditerranée orientale et à Samos s’est suffisamment dégradé pour que les potiers ne se déplacent plus. Plusieurs événements susceptibles de perturber les échanges entre les Laconiens et les Samiens surviennent, aux environs de 550. Tout d’abord l’avènement du tyran Polycrate vers 545 dont les relations avec la Laconie ne sont pas bonnes, les Laconiens prenant parti pour les Samiens exilés (Hérodote III, 39-60). Cependant, l’avènement de Polycrate est postérieur à la chute des dédicaces laconiennes à Samos et il faut donc plutôt regarder du côté du climat économique général de l’Est du bassin méditerranéen. L’avancée des Perses vers la mer Égée a pu perturber le commerce des marchands samiens, provoquer une translation des points de commerce ioniens vers l’Occident et donc faire baisser la demande de coupes laconiennes. La question ne peut cependant être envisagée sans une approche même partielle des autres séries céramiques présentes à l’Héraion.

196Une comparaison avec l’ensemble des vases des différentes séries pour l’ensemble du sanctuaire est difficile, cependant nous disposons du corpus et de l’étude de la porte archaïque nord qui permet de faire quelques observations (Isler 1978 ; Fürtwangler ; Kienast 1989). A. E. Fürtwangler et H. J. Kienast ont établi une comparaison et une évolution chronologiques des différentes séries dans cette partie du sanctuaire ainsi qu’une typologie des vases ioniens découverts (Fürtwangler, Kienast 1989, p. 103-108).

197Il apparaît que la phase maximale des importations de céramique fine se situe vers 580/570. La céramique fine est, à ce moment-là, la quatrième catégorie présente à l’Héraion après les amphores de transport, les coupes ioniennes et les olpès. La phase suivante, 570/550, est la période de plus forte importation des céramiques laconiennes. Elle correspond à un recul de la céramique importée dans les dépôts et à un changement dans l’ordre de préférence des vases dédiés avec, en premier, les coupes ioniennes dont les coupes à bandes et à figures noires, puis les tasses à bandes vernies. Pour la période 540/535, sont dédiées surtout les coupes ioniennes, puis les amphores de transport et enfin les olpès. La céramique importée reste présente dans les mêmes proportions que précédemment. Pour l’ensemble des séries importées, on voit qu’elles n’arrivent pas toutes au même moment. La céramique corinthienne est présente tout au long du VI^e siècle, la céramique étrusque uniquement entre 590 et 575, la céramique laconienne entre 575 et 550, la céramique chiote entre 545 et 535 et la céramique attique à partir de 520. On retrouve les grandes phases déjà constatées pour d’autres types de contextes (Cf. p. 110).

198Si on compare les formes de la céramique ionienne destinées au culte et contemporaines de la phase maximale d’arrivée des vases laconiens (Fürtwangler, Kienast 1989, abb. 17, p. 103), on retrouve les groupes suivants : des coupes ioniennes des groupes J et K (Fürtwangler, Kienast 1989, abb. p. 84) à pied bas, sans bandes, des tasses, des olpès et œnochoés.

199Pour la typologie générale, il semble exister une certaine spécialisation dans les formes présentes pour le matériel retrouvé au niveau de la porte nord. Pour la Grèce de l’Est et la Laconie, on note une large supériorité du nombre de coupes même si d’autres formes sont présentes comme les assiettes ou les vases à parfum pour la Grèce de l’Est (Isler 1978, p. 88-99) et une lakaina (SAM254) et un aryballe (SAM009) pour la série laconienne. La série corinthienne fournit en majorité des formes closes et surtout des vases à parfum, aryballes, alabastres et amphoriskoi (Isler 1978, p. 100-102) dans la première moitié du VI^e siècle, et la série attique des amphores (Isler 1978, p. 103-104) dans le troisième quart du VI^e siècle. L’arrivée des coupes laconiennes correspond donc à un changement dans les formes déposées dans le sanctuaire, elles n’ont cependant pas de parallèle ni dans la céramique ionienne, qui ne comprend ici à la même époque que des coupes à pied bas, ni dans les séries importées, notamment la série corinthienne. Il est difficile cependant de conclure de manière définitive, la publication de A. Fürtwangler et H. J. Kienast ne portant en effet que sur le matériel d’une petite partie du sanctuaire. Les potiers laconiens ont donc, semble-t-il, cessé de produire ou d’exporter vers Samos pour d’autres raisons que les changements dans les formes offertes. Ils occupent aussi une place particulière dans les années 575-560 et il faut tenter d’expliquer la raison de leur présence à Samos comme celle de leur départ.

200Outre la céramique, quelques objets à caractère personnel témoignent soit du déplacement d’individus isolés (marchands étrangers faisant escale ou Laconiens voyageant à Samos), soit de cadeaux échangés dans le cadre de relations d’amitié (xenia) ou « diplomatiques » (proxenia) : il s’agit à l’Héraion surtout de statuettes de bronzes et d’ivoire.

201Cinq statuettes de bronze laconiennes ont été mises au jour à l’Héraion de Samos : pour l’époque géométrique, un cheval (Gehrid 1964, n^o 4, p. 35-58) et un groupe avec combat de lions (Gehrid 1964, n^o 3, p. 25-35) ; pour l’époque archaïque, une statuette de lion portant une inscription datée entre le début et le milieu du VI^e siècle (HK, K163a et Cartledge 1964, p. 255), une statuette de koré datée vers 570 (Stibbe 1997, p. 33) et un hoplite daté vers 550-540 (HK, K132). Ces objets personnels dédiés à l’Héraion ont pu être apportés soit par des Samiens ayant fait escale en Laconie, soit par des Laconiens présents à Samos. La date de certaines pièces contemporaines des premiers tessons laconiens découverts à l’Héraion atteste l’ancienneté et l’importance des relations entre Samos et la Laconie. C’est le cas notamment du petit lion de bronze couché daté de 550-540.

202Celui-ci comporte une inscription sur sa crinière (Eumnastos Spartiatès Héra anétéken, « Eumnastos, Spartiate, à Héra »). Comme le montre P. Cartledge, il s’agit certainement de celui qui a apporté l’objet, un aristocrate, car il se définit comme Spartiate et non comme Lacédémonien (Cartledge 1982, p. 255-256). Il constitue un témoignage des relations particulières qui unissent Samos à Sparte dans la première moitié du VI^e siècle. Cette dédicace fait écho à un autre passage d’Hérodote où sont mentionnés les liens existant entre les aristocraties des deux cités au sujet du proxenos samien Archias (Hérodote III, 55). Hérodote dit avoir rencontré cet individu dans son quartier de Pitana à Sparte, un des plus riches de la cité, et que celui-ci honorait les Samiens au-dessus de tous les étrangers. Il semble donc bien qu’il s’agisse d’un proxenos samien à Sparte, c’est-à-dire, un aristocrate chargé des bonnes relations avec les aristocrates de Samos (Cartledge 1982, p. 250-251)52. Les proxenoi étaient désignés par les rois parmi les Spartiates (Hérodote VI, 52) et la proxenia semble avoir été une charge héréditaire, le père et le grand-père d’Archias ayant rempli les mêmes fonctions. Le père d’Archias est mort pendant les quarante jours de siège des Spartiates devant Samos en 524 (Hérodote III, 55), ce qui fait remonter la proxenia de cette famille au milieu du VI^e siècle.

203L’existence probable d’une proxenia samienne ancienne à Sparte montre que les deux cités entretenaient des relations d’intérêts intenses et continues, au moins sur le plan diplomatique, et donc probablement sur le plan commercial. Pausanias signale également la venue d’artistes samiens comme Théodore de Samos pour l’édification de la Skias vers 550 (Pausanias III, 12. b). Celles-ci sont encore en vigueur au V^e siècle quand écrit Hérodote, leur rupture éventuelle n’est donc pas à l’origine de la fin des dédicaces de céramique laconienne dans le sanctuaire de Samos.

204Quatre objets en ivoire ont également été recensés, tous datés du début du VI^e siècle : un relief représentant Persée (Freyer-Schauenburg 1966, n^o 5, taf. 6a) ; un relief représentant Troïlos (Freyer-Schauenburg 1966, n^o 6, pl. 8a), dont le mythe est déjà présent sur les vases laconiens de Samos dont on note alors le parallèle iconographique ; un relief représentant Méduse (Freyer-Schauenburg 1966, n^o 7, pl. 8b) et une statuette de jeune homme agenouillé (Freyer-Schauenburg 1966, n^o 3, pl. 8b).

205Aux bronzes et aux ivoires s’ajoutent une tête de koré dédalique moyen (Kyrileis 1978, p. 395, Abb. 14) ; un périrrhantèrion de marbre laconien daté de 650 (Freyer-Schauenburg 1974, p. 23) ; un hoplite de marbre local ou laconien pour lequel des réserves sont cependant émises quant à son origine (Freyer-Schauenburg 1974, p. 158-162, pl. 66-67 ; Stibbe 1996, chap. 11). Tout comme les ivoires, ces offrandes sont exceptionnelles, notamment le périrrhantèrion, dont seulement trois exemplaires ont été relevés en dehors de Laconie : deux à Olympie et un à Sélinonte. Ils témoignent tous, en tant qu’objets de prestige, aussi des relations étroites qu’entretenaient les Spartiates avec les Samiens.

206En conclusion, le matériel laconien de l’Héraion de Samos fournit plusieurs niveaux de renseignements : sur les individus qui ont fréquenté le sanctuaire, sur les relations qu’entretenaient les cités de Sparte et de Samos et sur le climat économique général du milieu du VI^e siècle en Méditerranée occidentale. Tout d’abord, différents arguments plaident en faveur d’un travail de potiers laconiens à Samos que ce soit de manière saisonnière ou perpétuelle suivant le peintre considéré : la richesse des vases mis au jour à l’Héraion par comparaison à ceux découverts dans les sanctuaires de Laconie et même d’Olympie, la présence de formes peu communes dans la production laconienne générale pouvant répondre à des phénomènes de commande comme certaines œuvres du Peintre de Naucratis, la proportion de l’œuvre de certains peintres à l’Héraion comme le Peintre des Boréades et quelques thèmes iconographiques se référant aux Héraia. Ces vases rappellent ce qui a été observé pour Olympie pour la fin du VI^e siècle et il faut envisager le déplacement, non pas définitif, comme le montrent les vases à figures noires des sanctuaires de Laconie qui correspondent aux typologies locales, mais saisonnier des artisans à l’occasion d’événements importants. Dans le cas d’Olympie et de Samos, ces déplacements ont pu être facilités par la présence de proxenoi dans les deux cités. Le problème du transport de l’argile se pose toujours cependant : les potiers venaient-ils avec leur matière première ou se servaient-ils de l’argile locale ? Nous avons également des signes de la présence d’individus laconiens de passage, marchands ou voyageurs, comme les tessons et le cheval du VIII^e siècle, les vases « marqueurs culturels » que sont les lakainai ou le petit lion de bronze dédié par Eumnastos.

207Tout ce matériel se concentre majoritairement sur la période 570-555 avant de disparaître presque totalement des dépôts. Aucun des événements politiques de la cité mentionnés par Hérodote comme le vol du cratère de bronze, l’avènement de Polycrate ou la destruction de l’Héraion n’explique cette chute soudaine qui leur est antérieure d’une dizaine d’années. La fin des liens de proxenia n’est pas envisageable car Hérodote atteste leur existence au début du V^e siècle comme l’a montré P. Cartledge. Un changement dans les formes dédiées au sanctuaire n’est également pas la cause de la fin des dédicaces de vases laconiens à l’Héraion. L’arrêt de la production des principaux maîtres de la première moitié du VI^e siècle, et notamment du Peintre des Boréades qui a pu être installé dans l’île, semble donc l’explication la plus plausible. Cependant ses successeurs cessent de fournir des vases à Samos aux environs de 550. Ce départ des potiers de Samos est plus certainement dû au contexte économique général de l’Est du bassin méditerranéen, qui semble se dégrader vers le milieu du VI^e siècle, à la suite en partie de l’avancée des Perses et au départ de certains Ioniens vers l’Occident. Ces potiers trouvent alors un refuge pour leur production dans d’autres sites comme Olympie où les importations laconiennes atteignent leur maximum entre 550 et 530. Cette hypothèse doit cependant être confrontée à l’étude du matériel de l’Artémision.

– Le matériel de l’Artémision

208Il s’agit de vases à figures noires ou à ornements secondaires. On remarque tout d’abord l’absence de certaines catégories, et notamment celles des vases à mélanger pourtant assez bien représentés à l’Héraion. Là aussi les vases à boire constituent la catégorie principale ; les coupes sont toutes du type G. Les lakainai sont peu nombreuses mais présentes, tout comme à l’Héraion. Deux autres formes, rares à l’Héraion et dans le reste du bassin méditerranéen, sont bien représentées : les calices et les tasses à deux anses (Annexe 1). Ces dernières ont été retrouvées en nombre équivalent en Laconie mais uniquement à Rhégion et Satyrion pour le reste du bassin méditerranéen (Cf. p. 25-26), le type est cependant différent des exemplaires de Laconie qui sont des vases à paroi concave alors que les tasses de l’Artémision sont à parois droites. Leur distribution est limitée à l’Artémision et met les peintres laconiens en rapport direct avec le sanctuaire. Un seul exemplaire de calice a été mis au jour en Laconie pour le VI^e siècle (LCB046), même si la forme existe dans la série au VII^e (Pipili 2001, p. 55). Si la forme existe auparavant en Laconie, les potiers samiens sont les seuls à la produire au VI^e siècle, nous sommes donc en présence d’un vase propre à l’Artémision ce qui va dans le sens d’une production sur place ou à la commande et les potiers laconiens auraient donc bien répondu à une demande locale directe. Deux autres calices, dont un du Peintre des Miniatures montrant une procession (SAM249) ont été mis au jour dans l’aire sacrificielle de la nécropole (Pipili 2004, p. 96).

209Les vases laconiens de l’Artémision sont surtout dédiés dans le troisième quart du VI^e siècle à une époque où l’Héraion cesse de recevoir la série laconienne. On dénombre, en effet, sept vases laconiens à l’Héraion, dont six coupes G, entre 550 et 525, soit moins de 3 % des vases recensés pour le sanctuaire, et 26 à l’Artémision, soit 50 % des dédicaces. Outre la présence importante des calices, les typologies des deux sanctuaires entre 550 et 525 sont assez proches, les vases à mélanger disparaissant aussi de l’Héraion à cette époque. Tous les vases de l’Artémision datent d’après l’avènement de Polycrate de Samos vers 546 et donc de la fin de la domination des aristocrates sur la cité et le sanctuaire. Le statut des clients de l’Artémision, qui n’ont pas besoin de manifester leur puissance par le biais de dédicaces ostentatoires, peut expliquer les différences typologiques entre les deux sanctuaires samiens notamment l’absence des grands vases de banquet53. La date de la fin des dédicaces correspond aux troubles qui surviennent à Samos vers 525, sans que l’on puisse donner un événement précis que ce soit l’attaque spartiate de 524, les troubles suivant la mort de Polycrate en 522 ou la destruction de Samos par les Perses en 517.

210Les différences typologiques entre les deux sanctuaires suggèrent donc que les dédicants n’ont pas été les mêmes ou que le culte n’exigeait pas les mêmes formes. Celles présentes à l’Artémision relèvent plutôt d’une utilisation rituelle spécifique et ont alors été fabriqué uniquement dans ce but, ce qui est confirmé par leur iconographie.

211Les vases de l’Artémision sont de qualité inférieure à ceux de l’Héraion (Pipili 2001, p. 97) et se sont probablement adressés à une clientèle différente. Sept peintres laconiens sont présents à l’Artémision. Le plus représenté est un peintre mineur, le Peintre des Miniatures, dont les œuvres n’ont été recensées qu’à l’Artémision. Son style est très proche de celui du Peintre de la Chasse et il a probablement appartenu à son atelier (Pipili 2001, p. 97-98). Les deux principaux peintres de l’Héraion, le Peintre de Naucratis et le Peintre des Boréades, sont peu représentés, toutefois la tranche chronologique des vases de l’Artémision est postérieure à l’apogée de leur atelier. La présence d’œuvres du Peintre de la Chasse notamment, confirme que la fin des importations de céramique laconienne à l’Héraion est plutôt à rattacher à la mort des peintres qu’à la rupture des relations entre Sparte et Samos, comme cela a été pressenti pour l’Héraion.

212La spécificité des vases de l’Artémision se retrouve dans l’iconographie. Trois thèmes iconographiques sont identifiables. Tout d’abord, on trouve sur les tasses à deux anses des frises d’animaux, réels ou imaginaires, sur deux registres. Les animaux sont ceux du répertoire iconographique laconien : les coqs, les sphinx, etc. Les calices sont décorés de processions qui mettent directement la forme en rapport avec le culte : des processions de chars et d’hoplites (SAM287), de vieilles femmes (SAM285) ou d’orants en himation accompagnés d’aulètes (SAM289). Un calice porte une scène de banquet qui rappelle celles des coupes de l’Héraion. Ces scènes de procession et la manière dont sont représentés les participants, notamment les vieilles femmes et les tenues vestimentaires (Pipili 2001, p. 100), montrent qu’il s’agit bien d’un travail sur commande. La proximité des scènes figurées renvoie sans aucun doute à une production sur place. Pour les coupes, les motifs présents n’ont pu être identifiés avec certitude. On met en parallèle cependant le cavalier de la coupe SAM261 du Peintre des Miniatures avec la série de cavaliers laconiens (LV 306 et 307 et LVs 135).

213Les découvertes de l’Artémision permettent de confirmer les premières constatations faites lors de l’étude du matériel de l’Héraion. Tout d’abord, il semble certain que les potiers laconiens ont travaillé sur commande et certainement sur place. L’hypothèse d’un travail saisonnier lié aux fêtes religieuses est la plus probable plutôt qu’une installation permanente car si certaines formes de Samos, en effet, sont exceptionnelles pour la série laconienne, la majorité des vases, plus particulièrement ceux de l’Héraion, et le style des figures noires restent rattachés à la typologie générale des vases laconiens. Les processions des calices de l’Artémision, tout comme certaines coupes de l’Héraion, montrent des scènes auxquelles le peintre a probablement assisté et renforce cette hypothèse d’une présence sur place. Le problème du transport de l’argile demeure toujours cependant car il est, dans le cas des vases de Samos, certainement d’origine laconienne. Deux solutions sont envisageables : soit les potiers étaient en possession de « carnets » de croquis avec lesquels ils rentraient en Laconie avant de réexpédier les vases, soit ils ont transporté leur argile avec eux. La première hypothèse peut s’appliquer à des commandes de vases de prestiges comme les cratères à volutes figurés dont le commerce, dans ce cas, se rapproche de celui des vases de bronze. Nous sommes alors en présence de relations aristocratiques qui ne répondent pas aux mêmes problématiques de distribution que l’ensemble des vases céramiques échangés en Méditerranée. Cette hypothèse de commandes aristocratiques peut s’appliquer aux offrandes des cratères laconiens à l’Héraion par les aristocrates samiens avant l’avènement de Polycrate, mais pas aux modestes vases de l’Artémision. Pour ce sanctuaire ainsi que pour d’autres petits vases laconiens de l’Héraion, le transport de l’argile avec les artisans semble être la solution la plus probable. On peut envisager alors que l’argile est utilisée comme ballast à bord des bateaux et constitue un élément à part entière de la cargaison. V. Stissi a également envisagé le transport d’additifs par les potiers pour améliorer la qualité de l’argile locale (Stissi 1999, p. 85). Seules des analyses permettraient cependant de savoir si les vases de l’Artémision sont faits dans une matière locale ou laconienne.

214L’étude des vases de l’Artémision a permis également de préciser les raisons de l’arrêt des dépôts de vases laconiens dans les sanctuaires samiens. Ils confirment que l’on ne peut envisager une fin des relations de xénia entre Sparte et Samos car les offrandes continuent à l’Artémision après qu’elles ont cessé à l’Héraion. Nous pouvons attribuer la fin des offrandes des deux principaux ateliers laconiens présents à l’Héraion, celui du Peintre de Naucratis et celui du Peintre des Boréades, à l’arrêt de la production des maîtres d’ateliers. À la suite de l’étude du matériel de l’Artémision, nous savons qu’un membre de l’atelier du Peintre de la Chasse, le Peintre des Miniatures, a continué de faire le voyage vers Samos, mais que les vases laconiens ont cessé d’être dédiés à l’Héraion. La fin définitive, mais non la chute, des dédicaces de vases laconiens à l’Héraion doit sans doute être attribuée à l’avènement de Polycrate de Samos vers 545 et à la chute de l’aristocratie samienne qui constituait la base de la clientèle des peintres laconiens. Ils auraient donc cessé de faire de Samos une destination privilégiée à partir de 550-545 et se seraient détournés définitivement de la cité quand les troubles politiques et économiques consécutifs à la mort de Polycrate et à l’avancée des Perses auraient rendu le voyage trop périlleux et peu fructueux. Face à l’insécurité croissante dans l’Est du bassin méditerranéen dans la seconde moitié du VI^e siècle, certains Ioniens ont émigré vers l’Occident et ont pu emporter avec eux les vases laconiens produits à Samos et prendre le relais des relations mises en place avec les potiers et peintres laconiens.

4. Le matériel laconien du sanctuaire d’Aphaia à Égine

215Les vases laconiens d’Égine54 proviennent principalement des fouilles du sanctuaire d’Aphaia, et au sein de celui-ci de la zone Sud du Propylon de la fin de l’époque archaïque. Située à l’extérieur du sanctuaire, cette aire semble avoir été réservée aux célébrations rituelles comme l’indique la présence de salles où devaient avoir lieu des banquets (Williams 1993, p. 589). À ce matériel, s’ajoute celui mis au jour lors des fouilles du port (Felten 1982, p. 19-22). Égine est une cité commerçante qui n’exporte pas sa propre production mais se charge de redistribuer celles d’autres cités ; qu’en est-il pour la céramique laconienne qui est la quatrième série importée au sanctuaire d’Aphaïa, après les séries corinthienne, attique et chiote (Williams 1993, p. 571) et comment la circulation des céramiques laconiennes s’organise en dehors de tout lien de proxenia ou d’affiliation ?

216Les vases laconiens d’Égine sont surtout des vases à vernis noir. On recense quatorze exemplaires à figures noires ou à ornements secondaires. Les principales catégories fonctionnelles sont représentées à l’exception des vases à parfum, ce qui s’explique par la date des dépôts qui appartiennent en majorité à la seconde moitié du VI^e siècle ; les formes sont en revanche peu variées.

217Les vases à mélanger constituent la principale catégorie (47,8 %) ; il s’agit uniquement de cratères, majoritairement à étriers à vernis noir. Peu d’entre eux ont pu être rattachés à un groupe typologique : un cratère du groupe D et trois du groupe E, les autres peuvent être rattachés au groupe F. Un nombre important de fragments portent une inscription : 60 sur le plat de l’anse et 25 sur la bordure et le plat de l’anse (Williams 1993, p. 591). Ce sont surtout des dédicaces à Aphaïa dont certaines, par l’écriture ou l’onomastique, renseignent sur l’origine des dédicants et sur les éventuels liens entre les différentes parties du bassin méditerranéen fréquentées par les Éginètes.

218La deuxième catégorie est celle des vases à boire (43,5 %) représentée uniquement par des coupes, en majorité du groupe E (22 exemplaires sur 31).

219Parmi les sept coupes à figures noires, on recense une coupe du Peintre de Naucratis (EGI031), une du Peintre d’Allard-Pierson (EGI029), une du Peintre de la Chimère (EGI077) et une du Peintre des Hoplites (EGI030). Ces peintres et les coupes E relient Égine à Cyrène et au golfe de Tarente, et confirment une fois encore l’existence d’autres agents que les Samiens. Une coupe E notamment (EGI039- fig. 23) porte sous le pied une inscription étrusque qui témoigne des liens entre Égine, la Laconie et l’Étrurie. Si on ne peut en déduire que les marchands Eginètes ont été impliqués dans la distribution des céramiques laconiennes en Étrurie car la coupe peut avoir été ramenée d’Étrurie, cette inscription atteste soit le passage des marchands éginètes en Laconie dans le cadre d’un commerce avec l’Étrurie, et la coupe témoigne alors d’un commerce de retour, soit la présence de xenoi étrusques à Égine (Cristofani 1994, p. 162) ; elle montre en tout cas que les circuits de distribution vers l’occident dans la seconde moitié du VI^e siècle impliquaient d’autres acteurs que les marchands de la Grèce de l’Est.

220La typologie du sanctuaire d’Aphaïa et du matériel provenant des fouilles du secteur du port sont semblables pour l’ordre des catégories représentées : les cratères sont également le vase laconien le plus présent dans port d’Égine (huit exemplaires) et sont exclusivement à ornements géométriques sur la bordure, donc le plus probablement du groupe E. Cette typologie est atypique car elle diffère des autres sanctuaires grecs dans l’ordre des catégories représentées avec une majorité de vases à mélanger et dans le décor peu recherché de l’ensemble des vases, y compris pour les coupes, qui sont surtout à vernis noir quand les autres sanctuaires reçoivent surtout des coupes à figures noires.

221Peu de vases ont pu être datés de manière précise ; les plus anciennes pièces sont une coupe du style Laconien II et une œnochoé, toutes deux datées entre 630 et 600. La majorité des vases datent de la seconde moitié du VI^e siècle, période où la série laconienne est sur son déclin, et notamment les cratères à vernis noir (Williams 1993, p. 589). La chronologie est donc proche de celle d’Olympie où les offrandes de vases laconiens continuent d’augmenter après 550 ; il s’agit cependant de coupes et non de cratères. La courbe des dédicaces du sanctuaire d’Égine se rapproche alors de celles de la Sicile intérieure et du Salento (Cf. p. 165-171).

222Pour le contexte général, peu d’informations nous sont données dans la publication de D. Williams quant à la typologie et la chronologie des autres séries. Il semble cependant que les cratères laconiens soient les seuls dédiés dans le sanctuaire entre 550 et 520. Aucun fragment de cratère corinthien n’a été mis au jour et seulement 17 cratères attiques, dont neuf datés entre 575 et 550 et huit datés autour de 550 (Cristofani 1993, p. 589). Les cratères laconiens auraient alors remplacé les cratères attiques dans la seconde moitié du VI^e siècle jusqu’à leur disparition.

223Le matériel laconien du sanctuaire d’Aphaïa à Égine est donc atypique par rapport à celui des autres sanctuaires étudiés précédemment (vases peu décorés à l’exception des quelques coupes à figures noires, les cratères comme catégorie principale). Les dates des vases et la croissance des importations de cratères montrent que la distribution des vases laconiens à Égine ne dépend pas des relations commerciales entre Sparte et Samos. L’aspect commun des céramiques plaide en faveur d’un commerce qui n’est pas régi par des liens de xenia, comme c’est le cas à Samos, ni par des liens familiaux, ou culturels comme à Tarente ou dans les cités de Cyrénaïque. Cette absence de liens permet de voir à nouveau la place que tient le cratère laconien dans le monde grec comme symbole du banquet aristocratique car il semble être le seul vase à faire l’objet d’une demande et d’un commerce spécifique à large échelle dans la série laconienne.

5. Le matériel laconien des sanctuaires de Sicile

224Nous nous intéresserons ici à deux sanctuaires siciliens de rayonnement local, celui de Déméter à Catane et celui de Déméter Malophoros à Sélinonte. Ces sanctuaires n’ont aucun lien historique connu avec la Laconie et leur matériel permet de voir comment ont alors été reçues et employées les importations laconiennes et la place qu’elles occupent.

– Le sanctuaire de Déméter à Catane

225La céramique laconienne de Catane provient en partie d’un sanctuaire fouillé en 1960 par G. Rizza (Rizza 1960) dont la publication est complétée par le catalogue de P. Pelagatti (Pelagatti 1989, p. 164 et p. 203) et le catalogue des aryballes de C. M Stibbe (LBPIII, p. 97-139). Ce sanctuaire dédié à Déméter se situe au pied de la face Sud de l’acropole de la cité antique à l’emplacement actuel de la place S. Francesco dans la partie adjacente au corso Vittorio Emmanuele. Catane est la troisième colonie chalcidienne de Sicile, après Naxos et Léontinoi. Sa fondation suit probablement celle des deux autres colonies, mais aucun vestige archéologique d’avant 600 n’a été retrouvé en raison des éruptions successives de l’Etna et des coulées de lave qui ont recouvert la cité antique (Boardman 1995, p. 207). Le sanctuaire de Déméter est donc le seul site qui permette un aperçu sur la vie de la cité archaïque. Il a livré une grande quantité de céramiques figurées datées pour la plupart du VI^e siècle parmi lesquelles 53 vases laconiens.

226Il s’agit presque uniquement de vases du type Laconien II, à figures noires ou à ornements secondaires à l’exception de trois cratères en cloche à vernis noir, donc datés en majorité du premier quart du VI^e siècle avec : 20 vases entre 600 et 575 (19 coupes, deux aryballes et un skyphos) et seulement trois entre 550 et 525. Les vases à boire constituent la catégorie la plus importante, la seconde est celle des aryballes (cinq exemplaires du groupe A, quatre du groupe Q, trois des groupes B et G et un du groupe E). Pour les coupes, on compte une majorité de coupes du groupe C (quatorze exemplaires sur 23) et la présence de six lakainai, soit 12 % des céramiques laconiennes, nombre important comparé aux données des sanctuaires déjà étudiés. Parmi les vases décorés dans le style Laconien II, deux coupes du groupe C sont ornées d’une frise d’oiseaux (Rizza 1960, p. 251) identique à celle de certaines coupes de Tarente du Peintre des Poissons et renforcent donc l’hypothèse d’un rôle de la fondation laconienne dans la redistribution des coupes dans le premier quart du VI^e siècle (Cf. p. 51). Deux thèmes représentés sur les coupes datées entre 575 et 550 ont pu être identifiés : Héraklès et Cerbère (CAT036) sur un coupe du Peintre de la Chasse, et Bellérophon et la Chimère (CAT039) sur une coupe du Peintre des Cavaliers. Le thème de la capture de Cerbère est rare dans l’iconographie laconienne et ne se retrouve que sur une autre coupe du Peintre de la Chasse dont la provenance est inconnue (LV217). Le combat de Bellérophon contre la Chimère est plus fréquent et est présent sur une coupe du Peintre de Naucratis provenant de Pratica di Mare (GRG003) et sur une coupe du Peintre des Boréades de provenance inconnue (Pipili 1987, n^o 57). Les autres scènes figurées n’ont pu être identifiées, un fragment (CAT052) pourrait représenter Héraklès et l’Hydre de Lerne.

227Le sanctuaire de Catane est donc assez proche de la typologie générale du matériel laconien dans un sanctuaire avec surtout des coupes décorées. Les aryballes et les cratères viennent ensuite et il s’agit de cratères en cloche et non à volutes ou étriers. Ce dernier point le rapproche des sanctuaires laconiens où le principal vase à mélanger dédié est le cratère en cloche.

228Numériquement, la série laconienne arrive en troisième position derrière les séries corinthienne et attique. Pour la série corinthienne, on recense des vases datés entre 600 et 540 avec une majorité de vases à parfum : aryballes globulaires, pyxides, alabastres et amphoriskoi. Les coupes, les olpès, les hydries, les kothons et les œnochoés à embouchure trilobée, ainsi que de nombreux vases miniatures, sont également présents ; cependant la publication ne permet pas de rendre compte des quantités et proportions pour chaque forme (Rizza 1960, p. 248), la comparaison avec la série laconienne est donc difficile.

229La série attique couvre tout le VI^e siècle à partir de 580 avec comme formes présentes : les coupes, les skyphoi, les lékanai, les pyxides, les œnochoés et les lécythes, les amphores et les cratères pour les vases de plus grandes dimensions. Il s’agit de vases à figures noires ou à vernis noir. Les coupes de la série laconienne sont contemporaines des coupes de Siana et des coupes des petits maîtres présentes au sanctuaire. On note aussi la présence de quelques coupes de type dorique de la seconde moitié du VI^e siècle contemporaines de l’unique coupe dorique laconienne du sanctuaire (CAT037).

– Le sanctuaire de Déméter Malophoros à Sélinonte

230Le sanctuaire de Déméter Malophoros se situe à l’extérieur de la cité antique, à l’Ouest de l’acropole sur la colline de la Gaggera. Ce culte provient de la métropole de Sélinonte, Mégara Hyblaea, où il est également attesté. Les observations qui suivent sont faites à partir du matériel archéologique publié par C. Dehl (Dehl 1995) dont 24 vases laconiens.

231Il s’agit surtout de vases à figures noires ou à ornements secondaires. Le sanctuaire de Déméter Malophoros à Sélinonte suit la typologie générale établie pour le matériel laconien en sanctuaire grec : les vases à boire représentent le principal type rencontré, viennent ensuite les vases à mélanger puis les vases à parfum. Les coupes sont toutes à figures noires à l’exception de deux coupes du Peintre des Poissons décorées dans le style Laconien II (SEL014-015) qui renvoient à nouveau à Tarente pour la distribution des coupes laconiennes en Sicile au début du VI^e siècle (Cf. p. xxx). Seulement trois vases sont postérieurs à 575 : une coupe du Peintre des Boréades (SEL023) et une lakaina (SEL057) datées entre 575 et 550, ainsi qu’un canthare du Peintre des Cavaliers (SEL013) daté entre 550 et 525.

232La céramique laconienne ne représente que 0,5 % et arrive en cinquième position après les séries corinthiennes (69,06 % des vases-Dehl 1995, p. 417-419), locales, de la Grèce de l’Est et étrusque. Ces dernières voient leurs importations disparaître aux environs de 550, alors que les vases laconiens continuent d’arriver dans le sanctuaire même en quantités réduites. Après 550, les dépôts sont constitués essentiellement de céramique attique et locale.

233Si on distingue les différentes formes de vases, on constate que les onze coupes laconiennes suivent la tendance générale ; le sanctuaire de la Malophoros a en effet livré un nombre important de coupes et de vases à boire que C. Dehl attribue à la pratique du culte elle-même (Dehl 1995, p. 341). Les coupes laconiennes arrivent dans le sanctuaire à un moment où les coupes corinthiennes disparaissent peu après 570 (Dehl 1995, p. 418). Les cratères constituent une part importante de la série laconienne (28,5 % des vases) qui est la seule à fournir au sanctuaire une forme de grand vase en quantité significative ; les cratères corinthiens ne représentent en effet qu’une quantité infime des vases corinthiens recensés (33 exemplaires sur 3393 vases corinthiens du catalogue soit 0,9 % - Dehl 1995, p. 426).

234Il est possible de comparer les vases laconiens du sanctuaire de Déméter Malophoros à ceux mis au jour dans les nécropoles de Sélinonte (Cf. p. 146). D’une manière générale, ils sont antérieurs à ceux de la nécropole car si les vases laconiens cessent d’être offerts au sanctuaire vers 550, ils continuent d’être déposés dans les tombes jusqu’au début du V^e siècle et surtout après 550. La typologie diffère également avec une majorité de cratères en contexte funéraire et une seule coupe alors que les coupes sont le vase laconien principal du sanctuaire ; seules les lakainai se retrouvent en nombre équivalent dans les deux contextes. Les sanctuaires de Catane et de Sélinonte reflètent, à l’échelle locale, ce qui a pu être constaté de façon générale pour le matériel laconien en sanctuaire grec. Les vases à boire, et surtout les coupes, viennent en première position pour la série laconienne, puis les lakainai, tandis que les cratères sont quasiment absents. Si les formes de coupes changent au cours du VI^e siècle, la typologie générale reste la même. Les vases à mélanger sont peu nombreux, mais se remarquent dans l’ensemble des dépôts des deux sanctuaires où les grands vases semblent peu présents, toutes séries confondues. Deux traits propres à la Sicile ressortent cependant qui la lient à Tarente dans le premier quart du VI^e siècle : la présence de coupes du groupe C à frise d’oiseaux et la part importante des lakainai au sanctuaire de Catane.

Conclusion

– L’utilisation des vases laconiens dans les sanctuaires grecs

235Les vases des sanctuaires sont toujours à figures noires pour les plus décorés ou à ornements secondaires. Quel que soit le lien qu’ait pu avoir un sanctuaire grec avec la Laconie, la catégorie dominante de la série laconienne est presque toujours celle des vases à boire. La fonction de vases à libations, plus que la forme, semble être importante. Les types évoluent au cours du VI^e siècle, mais la coupe constitue toujours le premier vase laconien offert dans le sanctuaire. Il s’agit de coupes à tige, ce qui diffère de la typologie observée en Laconie où la lakaina est le vase à boire le plus dédié. En revanche la première place occupée par les vases à parfum en Laconie correspond aux dépôts abondants de vases à parfum corinthiens et attiques observés pour Olympie qui sont, pour ces séries, les vases les plus offerts. Une exception a été observée pour Égine dans la seconde moitié du VI^e siècle où on a une majorité de vases à vernis noir et où les cratères arrivent en première position.

236L’étude du sanctuaire d’Égine, mais également des dépôts de l’Héraion de Samos, ont confirmé la place particulière du cratère laconien dans les cités grecques à l’époque archaïque. Il demeure le vase que l’on recherche en priorité dans la série laconienne et pourrait alors représenter le symbole du banquet aristocratique.

– Les dédicants et la circulation des vases laconiens au VI^e siècle

237Différents types de dédicants laconiens ont été identifiés dans les sanctuaires panhelléniques et à Samos notamment à travers l’étude des objets en bronze, des offrandes particulières ou des offrandes collectives.

238On peut supposer la production des artisans laconiens dans différents sanctuaires grâce à l’étude des formes et de l’iconographie. On peut envisager des déplacements saisonniers d’artisans laconiens à Olympie et à Samos qui ont alors produit sur place en répondant à une demande locale adaptée au culte. Certaines des formes, très rares dans la série laconienne, correspondent en effet plutôt au répertoire des vases de la région où ils ont été mis au jour comme, par exemple, les dinoi de Samos. L’iconographie des coupes d’Olympie ou de Samos répond parfois à des références locales comme les divinités des sanctuaires de Zeus et d’Héra ou les jeux cultuels.

239Des installations temporaires ou permanentes ont pu exister grâce aux liens de proxenia que Sparte entretenait avec les cités d’Élis et Samos. La céramique laconienne d’Égine ou des sanctuaires de Sicile ne répond pas au même schéma et n’a pas été produite sur place.

240La fin des commandes ou des voyages des potiers et/ou des peintres laconiens vers Samos semble se situer vers 550, date à laquelle les vases laconiens changent de destination pour l’Occident. La cause peut être une modification des conditions du commerce en Méditerranée orientale à la suite de l’avancée des Perses vers 550, suivi d’un probable transfert vers l’Ouest de l’aire d’influence ionienne. Des vases laconiens ont été transportés par les Ioniens vers l’Occident à partir de 575, comme les lydia laconiens des nécropoles de Mégara Hyblaea.

241Cependant, ce n’est qu’à partir de 550 que la majorité de la production laconienne se retrouve à l’Ouest avec une augmentation des importations à Gravisca (graph. 30) et une reprise des importations laconiennes en Sicile (graph. 3).

242Si l’origine samienne des marchands qui ont apporté les vases laconiens à Gravisca est pratiquement certaine, le cas de la Sicile reste à étudier notamment au travers des différentes séries céramiques grecques de la région de Syracuse où l’on sait que les Ioniens commerçaient depuis le VII^e siècle (Gras 1991, p. 274). La présence, dans la seconde moitié du VI^e siècle, de typologies identiques à Égine et en Sicile confirme le rôle des Éginètes dans la distribution des vases laconiens vers l’Occident après 550. L’avancée des Perses n’est toutefois certainement pas la raison principale de l’arrêt des importations laconiennes vers l’Est, il s’agit plus probablement de la mort d’un maître d’atelier, le Peintre de Naucratis, mais elle a certainement contribué à la dégradation des conditions d’échange dans l’Est du bassin méditerranéen. Cette « migration à l’Ouest » des marchands ioniens a pu entraîner la modification des circuits de distribution de la céramique laconienne.