1Plusieurs cités égéennes étaient tenues, aux époques classiques et hellénistiques, pour des descendantes directes de Sparte, comme Théra (Hérodote IV, 147-148 ; Malkin 1993, p. 370-371), Mélos (Hérodote VIII, 48 et Thucydide V, 112.2 ; Malkin 1993, p. 372-375) ou Cnide (Hérodote VIII, 48 et IG XII, 3.322 ; Malkin 1993, p. 378-379), sans que la date exacte de leur fondation soit réellement établie. À l’exception de Théra pour laquelle nous avons des allusions à sa fondation par Sparte dès le VII^e siècle (Pindare, Pyth., V, 65-84), leurs ktiseis appartiennent à des traditions trop tardives pour pouvoir les tenir pour exactes et résultent probablement de la volonté de ces cités d’entrer dans la sphère d’influence spartiate à partir du IV^e siècle. Il n’a en effet été relevé aucune trace archéologique de liens éventuels pour l’époque archaïque, ou des périodes antérieures, avec la Laconie. Nous ne discuterons donc pas de la véracité d’une origine laconienne des cités de la mer Égée.

2Seules Théra, Tarente et les cités de Cyrénaïque ont une ascendance laconienne directe reconnue à la fin du VI^e et leur fondation était située au IX^e siècle pour Théra, à la fin du VIII^e pour Tarente et à la fin du VII^e pour Cyrène. La fondation de Théra est trop ancienne pour que l’on puisse mettre en relation le matériel archéologique du IX^e siècle avec celui de la Laconie : les productions céramiques, notamment celle de Laconie, ne sont en effet pas clairement définies, ce qui n’est pas le cas pour Tarente qui est une fondation tardive de la première vague de colonisation occidentale à la fin du VIII^e siècle. Pour les cités de Cyrénaïque, Sparte apparaît comme acteur indirect des fondations dont le récit inclut, dès la fin du VII^e siècle, des œcistes spartiates. Cyrène se proclame « petite-fille » de Sparte par l’intermédiaire de Théra et est reconnue par Pindare (Pindare, Pyth., V, 65-84) comme étant d’ascendance laconienne. Un abondant matériel archéologique laconien a été mis au jour à Tarente et en Cyrénaïque et son étude peut apporter des informations supplémentaires sur les relations que Sparte entretenait avec ses fondations directes ou indirectes. Existe-t-il ou reste-t-il une identité laconienne tangible dans les fondations historiques de Sparte et qu’en subsiste-t-il au VI^e siècle ?

3Nous avons déjà remarqué le caractère particulier des typologies de Tarente et des cités de Cyrénaïque par rapport à celles de l’ensemble de la Méditerranée (Cf. p. 50-51), notamment la présence de vases personnels peu fréquents en dehors de Laconie. Les parallèles entre les dépôts de Tarente et ceux de Tocra ont été relevés, ainsi que la dichotomie existant entre les deux cités de Cyrénaïque, Tocra et Cyrène ; il s’agit à présent de préciser ces observations pour comprendre les liens culturels qui unissent encore, peut-être, ces différentes cités et quel a pu être leur rôle dans la diffusion et l’influence de la culture laconienne au VI^e siècle.

4Le matériel des fondations laconiennes doit bien évidemment être étudié à l’aune de ce qui a été observé en Laconie. Il faut d’abord voir s’il existe des parallèles entre ce qui a été mis au jour à Tarente et Satyrion, premier point d’installation lors de la colonisation, et les découvertes de Laconie, et si les dates charnières observées sont les mêmes. Les mêmes problématiques s’appliquent aux cités de Cyrénaïque, Cyrène et Tocra, pour lesquelles il est également nécessaire d’expliquer les différences typologiques et chronologiques observées par l’examen du matériel archéologique.

Les Laconiens et le golfe de Tarente

1. Les rapports entre Sparte et Tarente dans les sources littéraires et épigraphiques

5Tarente a livré un grand nombre de vases laconiens pour la fin du VII^e siècle et tout le VI^e ; ces importations et les origines de la cité en font le lieu privilégié d’étude de la culture et de l’identité laconienne, mais il convient tout d’abord de dresser le bilan des informations données par les textes pour l’époque archaïque concernant la fondation ou les « traits » laconiens. Que reste-t-il à Tarente de ses origines au VI^e siècle et au début de l’époque classique ? Outre les récits de sa fondation, des parallèles entre la cité et sa métropole semblent exister sur les plans institutionnel, politique et géographique, notamment en ce qui concerne l’occupation du territoire et confirment ses origines laconiennes.

6Voyons tout d’abord la fondation dont le récit nous est donné par plusieurs auteurs, les deux principaux étant Antiochos de Syracuse et Éphore de Cumes rapportés successivement par Strabon (Strabon VI, 3, 2-3). Dans la version d’Antiochos, Tarente aurait été fondée par un groupe de Laconiens, enfants de Spartiates frappés d’atimie pour ne pas avoir participé à la guerre de Messénie et, qui furent appelés Parthéniens. Ils se révoltèrent sous l’égide d’un certain Phalanthos lors de la cérémonie des Hyacinthies à Amyclées. La révolte fut déjouée et ils décidèrent alors de s’exiler. L’oracle de Delphes leur indiqua comme lieu de fondation, la terre de Satyrion et de Tarente, où ils s’installèrent. La version d’Éphore diffère sur l’origine des Parthéniens et les conditions de la fondation : les Parthéniens seraient les enfants spartiates, nés pendant la guerre, qui ne furent pas autorisés à participer au partage de la Messénie. Ils convinrent également d’une révolte mais sur l’agora. La révolte fut déjouée et les Parthéniens invités à quitter Sparte et à fonder une colonie. Ils arrivèrent dans un lieu où les Achéens étaient en guerre contre les Barbares, prirent part au combat et fondèrent ensuite Tarente. Les deux auteurs s’accordent donc sur les protagonistes de la fondation décrits comme des individus en marge du corps civique spartiate dans lequel ils ne peuvent être intégrés de plein droit ; c’est pour cela qu’ils sont invités à fonder une colonie (Moggi 2001, p. 63-64). Cette expédition est liée au contexte de la première guerre de Messénie et placerait donc la fondation de Tarente au VIII^e siècle av. J.-C., date que l’on retrouve chez Eusèbe qui la place vers 706-705 av. J.–C. (Eusèbe, Hieronym., Chron. ad a. 706, p. 91, éd. Helm).

7Les sources archéologiques donnent une datation équivalente. Trois fragments de plats datés du VIII^e siècle (TAR040, TAR092 et TAR097) seraient contemporains de la fondation de Tarente, ils ont été découverts au bout de la péninsule Ouest fermant le Mare Piccolo à Scoglio del Tonno. Sur ce site, aujourd’hui recouvert par le port marchand de Tarente, ont été mises au jour les traces d’une occupation continue depuis l’époque néolithique et notamment celles d’un important habitat iapyge de l’âge du bronze. Les premières traces d’occupation iapyge dateraient du X^e siècle et continuent sans interruption jusqu’à la fin du VIII^e siècle où l’un des premiers habitats grecs lui succède immédiatement (De Juliis 2000, p. 15-16).

8Concernant les institutions et l’histoire, il semble difficile de pouvoir définir avec certitude quel était le régime politique de Tarente, de sa fondation à la fin du VI^e siècle même si les quelques allusions données par les sources rappellent les institutions spartiates. Les trois organes originaux des institutions de Sparte sont la royauté, les éphores et la gérousie ; les deux premiers semblent exister à Tarente. Nous disposons toutefois de peu de sources littéraires ou épigraphiques pour les VII^e et VI^e siècles sur l’histoire, les institutions et la vie des Tarentins si ce n’est une allusion d’Hérodote sur l’existence d’un roi à Tarente à la fin du VI^e siècle (Hérodote III, 136) et une inscription peinte sur l’épaule d’une amphore chiote du III^e siècle mise au jour dans la nécropole qui mentionne l’existence d’un éphorat (De Juliis 1984, p. 559-581 et SEG XL 901).

9Lorsqu’il relate le premier événement historique connu pour la cité, la défaite contre les Iapyges en 473 qui entraîna le passage à la démocratie, Hérodote mentionne en effet l’existence d’un roi, mais non de deux comme à Sparte (Hérodote VII, 170). La royauté dans l’Occident grec est un fait rare et M. Moggi rappelle que ce terme se confond souvent chez Hérodote avec celui de tyran (Moggi 2001, p. 75). Il propose donc de voir pour la fin du VI^e siècle la succession de trois régimes : une tyrannie suivie d’une politeia, c’est-à-dire un régime modéré avec un basileus entendu comme magistrat, et une démocratie après la victoire contre les Iapyges en 473 et la probable disparition d’une grande partie de l’aristocratie tarentine dans cette guerre. Il semble donc difficile de faire un parallèle avec la diarchie spartiate et les autres sources ne permettent pas d’aller plus loin. La mention de l’éphorat, quant à elle, est trop tardive pour pouvoir contribuer à la connaissance des institutions de Tarente à ses débuts surtout que l’éphorat n’existait probablement que depuis les environs de 750 à Sparte (Moretti 1970, p. 38 ; Nafissi 1999, p. 248-249), lors de la fondation. L’éphorat évoque la réalité laconienne et, peut-être, une volonté de s’afficher comme telle à l’époque hellénistique. L’inscription ne donne cependant pas d’information sur les deux premiers siècles d’existence de la cité ; de plus on ne note aucune mention de l’existence d’une gérousie dans toute l’histoire de la cité (Moretti 1970, p. 37). Le profil laconien de Tarente ne saurait donc ressortir de ses institutions et c’est vers les cultes de la cité, un peu mieux renseignés qu’il faut se tourner.

10Il existe en effet certains parallèles entre les cultes de Tarente et ceux de Sparte, tout comme dans l’écriture et le dialecte, mais il ne peut être cependant établi s’ils ont été importés au VIII^e siècle avec les premiers occupants, ou s’ils ont été adoptés plus tardivement, quand les relations entre Sparte et Tarente se sont renforcées, notamment à l’époque classique (Lippolis, Garaffo, Nafissi 1995, n. 5, p. 17-18). On peut toutefois penser que les premiers colons ont amené avec eux les cultes présents sur l’acropole de la cité mère, la délimitation de l’aire sacrée d’une cité étant un des actes fondateurs. Certains lieux de culte ont, semble-t-il, été établis par les premiers colons à Satyrion et à Tarente (Lo Porto 1964, p. 183) où, dans les deux cas, l’habitat iapyge a été nivellé pour y installer un sanctuaire. Un édifice votif et son matériel ont été mis au jour sur l’acropole dont les plus anciens tessons, laconiens, argiens et corinthiens, datent de l’arrivée des colons (Lo Porto 1964, p. 190-191). Les terres cuites votives retrouvées sur place sont rattachées soit au culte de Perséphone, d’après F. G. Lo Porto, soit au culte d’Aphrodite Basilis, d’après M. Osanna (Osanna 1990, p. 90-91). Dans l’un ou l’autre cas, ces cultes sont présents à Sparte sur l’acropole et il pourrait s’agir des premiers cultes coloniaux, même s’il reste difficile de l’affirmer.

11D’autres parallèles avec la métropole existent sans que l’on puisse dire s’ils datent des premières années de la colonie. Deux des divinités majeures célébrées sur l’acropole de Tarente sont Artémis et Athéna avec les épiclèses de Chalkioikos, Ergané et Ophtalmitis pour la première, Areia et Ambologeia pour la seconde. Ces cultes semblent être la réplique de ceux présents sur l’acropole de Sparte (Lippolis, Garaffo, Nafissi 1995, p. 37-38). On note également la présence, comme à Sparte, d’un Mouseion et de cultes typiquement laconiens comme ceux d’Apollon Hyakinthos, Apollon Carneios et des Dioscures (Lippolis, Garaffo, Nafissi 1995, p. 37-38). L’existence des Hyakinthies et les Carneïa, qui étaient liées à l’éducation et la vie communautaire de Sparte et donnaient lieu à des fêtes de première importance pour la communauté laconienne, n’est cependant pas établie avec certitude pour l’époque archaïque. Tout comme pour les institutions, les cultes tarentins affichent donc une certaine ressemblance avec les cultes de Sparte, mais sans qu’il soit possible de voir s’ils ont été installés dès l’origine, et s’ils se sont maintenus pendant toute l’époque archaïque, ou s’ils sont d’importation plus tardive.

12L’occupation du territoire tarentin peut offrir également des parallèles avec le territoire laconien ; elle semble dater des origines de l’installation des colons et s’être maintenue par la suite. Les données archéologiques ont nuancé l’approche traditionnelle de l’histoire de la colonisation du golfe de Tarente qui veut que les Parthéniens se soient d’abord installés à Satyrion avant de prendre Tarente aux Iapyges. L’occupation des deux points du territoire tarentin auraient, en effet, été simultanée et suppose que la colonie ne s’est pas fondée sur un seul point d’irradiation, mais sur une occupation plus diffuse du territoire. Pour cela Tarente se distingue des autres cités de Grande−Grèce dont l’occupation du territoire s’est faite à partir d’un point fort et unique (Greco 1981, p. 146). L’espace territorial aurait ensuite été occupé, durant les premiers siècles de l’histoire de Tarente selon la forme définie comme kata komai, c’est-à-dire celle d’une cité organisée autour de plusieurs implantations archaïques réparties dans l’ensemble de la chora. La carte archéologique du territoire au Sud-Est de Tarente montre une occupation agricole diffuse et une division de l’espace selon ces modalités dès les premiers temps de la colonie (Cocchiaro 1982, fig. 2 p. 64). Cette forme d’organisation est celle de Sparte et de son territoire que nous donnent les sources à l’époque classique (Thucydide I, 10). Elle n’est cependant pas la seule cité organisée ainsi à l’époque archaïque, ce qui relativise le caractère laconien de l’occupation du territoire tarentin.

13D’autres ont vu une preuve du caractère laconien de Tarente dans la présence de tombes à l’intérieur de l’enceinte (Lo Porto 1964, p. 257) qui rappelle l’évocation des herôa dont Sparte est remplie selon Pausanias (Pausanias III). Cette vision se trouve également modifiée par les récentes recherches archéologiques. La cité du VIII^e siècle est limitée au promontoire et l’espace occupé par les nécropoles est situé en contrebas de l’habitat à un endroit où l’isthme s’élargit (Greco 1981, p. 147). Cet endroit n’était pas destiné à être urbanisé et ne l’est qu’au V^e, à un moment où l’extension de la ville pousse vers l’isthme et aurait donc conduit à construire sur la nécropole. Aucune sépulture n’a pour l’instant été mise au jour dans la ville archaïque si ce n’est un groupe de tombes près de l’agora (Greco 1981, p. 149). Cette dernière, d’après Strabon (Strabon VI, 3, 1), se situait à l’Est à l’endroit où l’isthme s’élargit, il est cependant difficile de dire si elle existait déjà à cet emplacement aux VII^e et VI^e siècles ou si elle date de l’époque classique, et donc de savoir si ce groupe de tombes était intégré à la cité archaïque. L’occupation du territoire et la division de l’espace tarentin ne permettent donc pas de définir un éventuel caractère laconien spécifique tout comme les institutions et les cultes.

14Tarente est-elle alors toujours laconienne deux siècles après sa fondation ? Les sources historiques ne donnent que peu d’informations sur ce qu’il en est réellement de l’identité laconienne de Tarente aux VII^e et VI^e siècles, elles sont plus tardives et écrites à un moment où les relations entre Sparte et sa fondation ont pu changé et il est dangereux de penser que chaque correspondance institutionnelle ou cultuelle découle directement de la métropole (Nafissi 1999, p. 247-248). Nous disposons en revanche pour cette période d’un abondant matériel archéologique pouvant permettre d’approcher un peu plus la réalité laconienne de Tarente dans le quotidien de ses habitants au VI^e siècle.

2. le matériel archéologique des nécropoles et des sanctuaires

15Le matériel archéologique comprend les découvertes de Tarente et celles de Satyrion.

16Satyrion est localisé sur l’actuel site de Saturo à 12 km au Sud-est de Tarente. Il s’agit d’un petit promontoire entre Porto Perone et Porto Saturo près de Leporano. Pour Satyrion, les fouilles de l’acropole par F. G. Lo Porto ont révélé l’existence d’un sanctuaire, et d’une nécropole (Lo Porto 1964, p. 177-279). Pour Tarente, nous disposons du matériel retrouvé lors des fouilles de la nécropole. Celui-ci a été repris en grande partie par C. W. Neeft (Neeft 1994) et plus récemment par P. Pelagatti et C. M. Stibbe au Congrès de Tarente en 2001 (Pelagatti, Stibbe 2001). On compte en tout 104 vases pour Tarente et 81 pour Satyrion soit presque 5 % du corpus.

17Les vases de Tarente sont principalement des vases à ornements géométriques (40 exemplaires), mais également à décors du Laconien II (21 exemplaires), à vernis noir (18 exemplaires) et à figures noires (quinze exemplaires).

18Les vases à boire sont les plus nombreux, et en premier les coupes ; les autres types sont ceux que l’on retrouve en Laconie comme les canthares, les kothons et les lakainai. Il s’agit de formes peu exportées et à vernis noir qui répondent à un usage spécifique en Laconie, comme la lakaina, et que nous avons définis alors comme « marqueurs culturels ». Pour les coupes, le groupe principal est le groupe G (treize exemplaires dont trois du groupe Gg, deux des groupes Gb, Ge et Gf, un des groupes Ga et Gd), viennent ensuite les coupes du groupe B (douze du groupe Ba), du groupe C (neuf du groupe Cb), et une coupe du groupe F. Là encore, le principal groupe, le groupe B, est peu exporté en dehors de Tarente.

19La deuxième catégorie est celle des aryballes : quinze exemplaires du groupe B (dont douze du groupe Bb et trois du groupe Bd), douze du groupe Ab, trois du groupe Ea, deux des groupes D, G et L et un des groupes I, K et R. Les groupes A, B et E ont été bien distribués en Méditerranée, cependant Tarente est le principal débouché pour les aryballes B ainsi que pour les aryballes L et l’unique pour les aryballes D.

20Les autres catégories sont très peu représentées, ce qui peut tenir au contexte de découverte unique. Le cratère à étriers, pourtant très répandu en Méditerranée, est absent ; seuls deux cratères en cloche à vernis noir de type particulier ont été mis au jour : un exemplaire miniature (TAR084) et une imitation de chaudron en bronze avec des anses décorées de serpents (TAR085). Seule l’amphore de table à vernis noir représente les vases à stocker et on note l’absence des vases à verser. Les plats sont rares et de formes plus diverses, cependant ils sont peu exportés et, comme les coupes B, les lakainai et les aryballes D, renvoient aux dépôts de Laconie. En dehors de la céramique, il a été mis au jour un petit cheval de bronze, imitation des chevaux géométriques laconiens (Lo Porto 1959-1960, fig. 2d p. 11) et des épingles de vêtement dont le type à disque rappelle celui du Péloponnèse (Cf. p. 57).

21Outre les trois fragments mentionnés plus haut, aucun vase laconien n’a été mis au jour ni pour le VIII^e, ni pour le VII^e, ce qui peut toutefois s’expliquer par l’état même de la production céramique en Laconie qui est peu importante (Margreiter 1988, p. 55-56). Les petits chevaux de bronze sont alors la seule production laconienne importante que l’on ait retrouvée en nombre significatif en dehors de Laconie, notamment à Olympie. On peut alors citer à nouveau le petit cheval de bronze de la tombe 21. Celui-ci et trois vases de la Grèce de l’Est sont les seuls éléments non corinthiens découverts à Tarente pour cette période. Il peut alors attester de liens existants encore entre Tarente et sa métropole.

22Les éléments laconiens des VIII^e et VII^e siècles témoignent plus de la présence d’individus originaires de Laconie, notamment lors de la fondation, que d’un éventuel commerce, même si celui-ci n’est pas totalement à exclure, et les importations laconiennes commencent véritablement vers la fin du corinthien ancien avec les premières séries importantes des nécropoles tarentines. Pour le VI^e siècle, la série laconienne tient alors à Tarente une place exceptionnelle pour l’époque archaïque : elle est la deuxième après la série corinthienne pour les vases à parfum avec 3 % des découvertes et la quatrième pour les vases à boire avec 2,75 % des coupes déposées dans les nécropoles tarentines. Il ne s’agit donc plus de vases personnels mais d’objets qui relèvent d’un commerce effectif, et ses proportions montrent les rapports privilégiés que Tarente entretient alors avec sa métropole.

23Les premiers vases « commerciaux » de la fin du VII^e siècle sont un aryballe et trois coupes du style Laconien II ; la plupart des vases laconiens datent cependant du premier quart du VI^e siècle (graph. 16 et 17). La majorité sont des vases à figures noires ou à ornements secondaires à l’exception des deux kothons (fig. 13) et d’une lakaina à vernis noir. On trouve alors uniquement des aryballes, quatorze exemplaires du groupe B, dix du groupe A, deux du groupe E et un des groupes D et K, et des vases à boire, dont neuf coupes du groupe B et neuf du groupe C, trois lakainai, deux kothons et un canthare. Le terme de kothon s’applique ici, selon la typologie établie par C. M. Stibbe, à une forme de tasse laconienne à une seule anse dont la panse s’évase vers le bas et qui se développe dans la première moitié du VI^e siècle en Laconie (fig. 13– LBPII, p. 43-47). On remarque alors, pour cette époque, que la plupart des vases laconiens déposés dans les tombes sortent peu de Laconie, comme les coupes B, ou revêtent une utilisation propre à la culture laconienne, comme les lakainai. Les liens avec Sparte semblent donc encore assez ténus dans ce premier quart du VI^e siècle qu’ils soient commerciaux, comme peuvent le suggérer les aryballes, ou identitaires, dans les cas des vases « marqueurs culturels » (Cf : p. 23-24).

24Une chute importante des importations survient aux environs de 575 (graph. 16 et 17), elles sont ensuite réduites mais constantes jusqu’en 525. On note toutefois un changement dans les formes par rapport à la période précedente. Tout d’abord, les aryballes A et B disparaissent. On ne relève plus en effet pour le troisième quart du VI^e siècle que deux exemplaires du groupe G et un du groupe N. La disparition des aryballes laconiens A et B à Tarente correspond à leur disparition dans les sanctuaires de Laconie (Cf. p. 65) et s’inscrit dans une évolution générale des dépositions de matériel dans la nécropole de Tarente, les vases à parfum cessent en effet d’être placés dans les tombes vers 570 (Neeft 1994, p. 187-188). La production des aryballes des groupes A et B semble donc être conditionnée par la demande tarentine puisque la fin des dépôts de ces deux types entraîne la fin de leur production mais n’entraîne cependant pas celle d’autres types, comme les types E et G qui continuent d’être exportés.

25Les formes de coupes changent également : les types B et C sont remplacés par le type G, dont une des plus anciennes coupes à tige découvertes hors de Laconie (TAR079), mais cependant en quantité beaucoup moins importante (cinq exemplaires). Entre 575 et 525, des amphores de table laconiennes sont également déposées dans les tombes ce qui correspond à une évolution générale de l’ensemble de la nécropole (Lippolis 1997, p. 360) où les formes de vases se diversifient et où l’amphore de table devient fréquente et peut alors marquer la volonté d’afficher sa richesse (Bats, D’Agostino 1999, p. 88). C’est le cas de la tombe n^o 397 qui, outre une amphore laconienne, contenait un lécythe et deux coupes corinthiennes et 38 autres vases attiques (Neeft 1994, p. 207 et 222). Cela ne suffit cependant pas à expliquer la diminution des importations de coupes laconiennes car les coupes d’autres séries continuent d’être mises dans les tombes.

26L’arrêt total des importations laconiennes de Tarente a lieu vers 525 (graph. 16 et 17) et correspond à la fin des exportations de céramique laconienne en Méditerranée ainsi qu’à celle des dédicaces de céramiques à figures noires dans les sanctuaires laconiens. Tarente n’est pas touchée par les productions des céramistes laconiens de la fin du VI^e siècle et s’inscrit alors dans le contexte méditerranéen général. Ceux-ci en effet exportent un certain temps vers la Sicile des vases à vernis noir et à figures noires à Olympie.

27Si on regarde les autres séries, une partie des fluctuations des importations laconiennes à Tarente peut s’expliquer. Les vases laconiens sont déposés dans les tombes tarentines au même moment que les premières importations de la Grèce de l’Est, quand l’exclusivité corinthienne diminue (Borschung 1994, p. 179) à partir de la fin du VII^e siècle, mais à une époque où ils sont cependant encore peu exportés. La courbe des importations laconiennes demeure parallèle à celle des importations de la Grèce de l’Est et les catégories rencontrées sont identiques, coupes à pied bas et vases à parfums : ces deux séries secondaires remplaceraient donc en partie la faiblesse du commerce corinthien surtout dans le premier quart du VI^e siècle. Les liens filiaux de Tarente avec sa métropole expliqueraient la place privilégiée de la série laconienne dans la cité à une époque où les vases laconiens sortent très peu de leur région d’origine. Pour ce qui est de la fin des importations, elle semble postérieure à la fin des importations ioniennes qui diminuent drastiquement vers 540 avec l’arrivée à Tarente des produits attiques. L’étude du matériel de Satyrion complète celle de Tarente.

28Comme à Tarente, les vases de Satyrion comportent un décor assez riche : seuls sept vases à vernis noir ont été recensés, mais les vases à figures noires (43 exemplaires) sont plus nombreux que ceux à ornements secondaires (douze exemplaires) et du style Laconien II (onze exemplaires). Les coupes constituent les premiers vases (54 exemplaires), comme à Tarente, mais les types sont différents avec quatorze coupes du groupe G (dont cinq du groupe Ge, quatre du groupe Gg et trois du groupe Gf), sept du groupe C et une du groupe Ed. Les autres catégories de vases à boire sont les mêmes qu’à Tarente à l’exception des tasses.

29La seconde catégorie est celle des cratères avec six cratères en cloche, ce qui contraste avec la typologie tarentine. La présence de cratères à Satyrion confirme que leur absence à Tarente tient avant tout au contexte funéraire. Le type de cratère en cloche mis au jour est le même que celui d’exemplaires découverts dans les sanctuaires de Sparte, le type A, où, sauf pour le sanctuaire d’Amyclées, il est le principal type découvert. Les autres catégories sont les mêmes que celles recensées pour Tarente à l’exception des aryballes quasiment absents de Satyrion alors qu’ils représentent la deuxième catégorie à Tarente.

30Les plus anciens tessons laconiens mis au jour à Satyrion, un fragment de vase globulaire (SAT073) et un fragment d’un vase apparenté à une tasse à décor linéaire (SAT074), sont, comme à Tarente, contemporains de l’arrivée des premiers colons dans la seconde moitié du VIII^e siècle. Tout comme à Tarente, il n’a pas été retrouvé de céramique laconienne datée d’avant la fin du VII^e siècle, où les importations commencent réellement à Satyrion avec quatre cratères en cloche et une coupe. Les céramiques laconiennes augmentent jusqu’en 525 à Satyrion mais connaissent une crise dans le premier quart du VI^e siècle, phase d’importation majeure pour Tarente. La plupart des vases appartiennent donc au troisième quart du VI^e siècle (graph. 16 et 17). La plus grande diversité se situe cependant dans le premier quart du VI^e siècle. À cette période appartiennent quatre cratères en cloches, des coupes, des vases à parfum et un plat. La variété disparaît ensuite car on ne retrouve plus quasiment que des coupes à partir de 550 ; il s’agit de coupes assez riches du groupe G et notamment des coupes doriques à ornement secondaires ou à figures noires.

31Parmi les vases laconiens du golfe de Tarente on remarque donc la présence de formes qui renvoient à la typologie du matériel mis au jour en Laconie : les vases à boire à paroi haute, en particulier les lakainai, les coupes B, les aryballes D, les canthares ou les cratères en cloches. Sans pour l’instant parler de culture laconienne, ces vases témoignent au moins de relations maintenues entre Tarente et sa métropole au VI^e siècle.

32Tarente et Satyrion diffèrent surtout par leur phase maximum d’importations (graph. 16 et 17). Tarente connaît un pic des arrivées de céramique laconienne dans le premier quart du VI^e siècle alors que Satyrion semble plutôt avoir des importations qui augmentent de manière constante tout au long du siècle. Cette différence, entre 600 et 575, pourrait cependant tenir en partie au contexte de découverte tarentin ; les importations sont en effet parallèles si on exclut les deux types spécifiques aux tombes tarentines, les coupes B et les aryballes, et les cratères de Satyrion. Cette observation est renforcée par le seul aryballe de Satyrion qui provient, comme ceux de Tarente, de la nécropole du premier quart du VI^e siècle. De plus, l’arrivée de nouveaux types de vases, comme les coupes doriques est contemporaine dans les deux sites, vers 575, tout comme le début des découvertes d’amphores de table laconiennes dans les tombes tarentines et des phiales au sanctuaire de Satyrion.

33D’une façon générale, le matériel archéologique du golfe de Tarente montre également l’existence de deux césures dans l’histoire de la colonie sans que pour autant celles-ci traduisent un changement des relations de Tarente avec sa métropole. La première se situe aux environs de 575 et survient à la même époque que les changements notés dans les sanctuaires laconiens. Aucun lien direct n’a pu cependant être établi : disparition des aryballes A et B, changement dans la nature des offrandes faites aux morts qui souligne un besoin d’ostentation nouveau. La chute des importations n’est alors à attribuer qu’à un changement global dans les coutumes funéraires tarentines sans que les liens avec la métropole ne soient en cause car les importations ne chutent pas à Satyrion. La deuxième rupture advient aux environs de 525 avec la fin des importations laconiennes tant à Tarente qu’à Satyrion. Elle tient sans doute d’une part à la fin des exportations de céramique laconienne dans l’ensemble du monde grec, consécutif à celui de la production des ateliers et dont la cause ne saurait venir de la demande tarentine. Elle est contemporaine également de l’arrivée massive des produits attiques à Tarente qui a pu accélérer la chute de la production laconienne figurée.

3. La référence laconienne dans le golfe de Tarente

34Les importations de céramiques laconiennes à Tarente montrent donc que les relations avec sa métropole existaient au VI^e siècle malgré les fluctuations des arrivées de vases. Le seul recensement des vases ne permet cependant pas de savoir si la culture ou les usages laconiens s’étaient transmis à la colonie et s’il subsistait encore une communauté laconienne. Les premières traces de la présence de Laconiens à Tarente sont les tessons de la fin du VIII^e siècle qui attestent l’origine des colons et le petit cheval de bronze trouvé dans la tombe n^o 21 (Neeft 1994, p. 198 et 210). Ces éléments sont cependant insuffisants pour parler de communauté laconienne. Les vases doivent donc être étudiés dans leur contexte à l’instar des découvertes faites en Laconie.

35Le contexte des vases laconiens de Tarente est exclusivement funéraire (Neeft 1994 et Pelagatti, Stibbe 2001) car même si les plus anciens tessons de Tarente ont été découverts en contexte d’habitat sur ce qui a pu être l’acropole de la ville archaïque (Stibbe 1975, p. 34), leur nombre est cependant trop faible pour tirer d’éventuelles conclusions. Le contexte de découverte précis des différents vases de Satyrion est peu connu ; nous ne disposons que de l’inventaire de l’édifice cultuel de l’époque archaïque fouillé par F. G. Lo Porto (Lo Porto 1964, p. 236). Dans les deux cas, plusieurs éléments amènent cependant à supposer l’éventualité de la présence d’une communauté de Laconiens dans le golfe de Tarente : tout d’abord la typologie particulière des vases laconiens des tombes, le regroupement de certaines d’entre elles et la possible présence de céramistes laconiens sur place

36Pour la période archaïque, les tombes tarentines33 sont pour la grande majorité des tombes à fosse en pleine terre et à de rares exceptions vers la fin du VI^e siècle et le début du V^e en sarcophage ou à chambre. Au VII^e siècle, elles sont assez pauvres en matériel par rapport à d’autres nécropoles contemporaines avec une moyenne de deux vases par tombes dont 95 % sont des vases à parfum d’origine corinthienne (Neeft 1994, p. 186).

37E. Lippolis y voit l’existence de lois somptuaires ou des coutumes d’origine spartiate d’austérité funéraire (Lippolis 1994, p. 133) et donc un trait de l’ascendance laconienne de Tarente. Cependant la comparaison avec les contextes funéraires en Laconie est difficile (Cf. p. 67-68) et pour les autres contextes, la mise en place des lois de restriction du luxe serait beaucoup plus tardive et daterait du troisième quart du VI^e siècle (Cf. p. 73). Il est donc difficile d’affirmer que l’austérité des tombes tarentines du VII^e siècle est due aux origines laconiennes de la cité.

38Au début du VI^e siècle, le nombre de vases par tombe augmente et passe à une moyenne de cinq vases. Il s’agit en majorité de vases à parfum (95 %) provenant de Corinthe mais également de la Grèce de l’Est (Neeft 1994, p. 186) et à partir de 590, le mobilier funéraire se diversifie. Même si les vases à parfum restent dominants (48 %), les vases à boire représentent une part notable des vases déposés dans les tombes (32,4 %), et notamment les coupes laconiennes de types B et C (2,75 %). Sur l’ensemble des 209 tombes mises au jour à Tarente pour le premier quart du VI^e siècle, 41 contenaient une ou plusieurs coupes, et seulement 21 ont livré des coupes décorées (tombes n^o 130, 132, 145, 152, 172, 182, 184, 198, 204, 208, 210, 218, 233, 263, 282, 283, 292, 295, 308, 317, 320), soit 10 %, dont huit des coupes laconiennes (n^o 130, 132, 145, 172, 184, 295, 317, 320), soit 38 % des coupes figurées. Par rapport à l’ensemble du monde grec ce phénomène est unique car le dépôt dans les tombes de coupes laconiennes, décorées ou figurées, est exceptionnel surtout en plusieurs exemplaires comme dans le cas de la tombe n^o 317 où l’on trouve douze coupes du groupe B (Neeft 1994, p. 219). Pour le groupe C, beaucoup plus diffusé, sur les 106 coupes recensées dans l’ensemble du monde grec, seulement neuf proviennent de nécropoles et toutes de Tarente. Les données changent après 575 où les coupes deviennent fréquentes comme élément du service à vin dans les tombes. La présence de coupes laconiennes dans les contextes funéraires du monde grec demeure cependant exceptionnelle : sur les 300 coupes du groupe G, 23 seulement proviennent de nécropoles dont treize de Tarente34 et on peut voir dans cette spécificité tarentine un attachement à son origine laconienne.

39Ces coupes sont de plus déposées en lots à Tarente comme dans le cas de douze coupes B de la tombe n^o 317. Elles sont toutes identiques et ont certainement été acquises ensemble, ce qui pourrait signifier la volonté de marquer l’ascendance laconienne du défunt ou les liens que celui-ci entretenait avec Sparte, le groupe B sortant peu de Laconie, comme nous l’avons déjà vu (Cf. p. 18). Cette hypothèse est renforcée par la présence dans cette tombe de deux phiales de bronze, les seules de la nécropole. Si leur provenance n’est pas déterminée, cet objet est commun dans les sanctuaires laconiens. Un exemplaire a en effet été retrouvé à Satyrion. On remarque aussi l’existence d’un lot pour la tombe n^o 132 qui a livré un matériel céramique riche dont trois coupes C du Peintre des Poissons. Celles-ci ont certainement été acquises en même temps afin d’être déposées directement dans la sépulture. L’existence de lots se remarque aussi pour les aryballes. Les aryballes laconiens d’une même tombe appartiennent toujours au même groupe35, sauf dans le cas de la tombe n^o 245. Des lots existent aussi pour la série corinthienne, avec des groupes homogènes d’aryballes décorés de la même main ou provenant d’un même atelier (Neeft 1994, p. 189). Les vases auraient alors été acquis simultanément pour être déposés directement dans les tombes (il n’y a de plus aucune inscription ou trace de réparation indiquant que les vases ont déjà été utilisés avant l’inhumation). Ils étaient alors achetés soit à l’atelier producteur sur place soit à des marchands de passage. Il est cependant difficile de déterminer le statut des aryballes laconiens par rapport aux autres séries car ils sont toujours accompagnés de vases à parfum corinthiens.

40D’autres éléments mettent encore plus nettement en évidence la spécificité du matériel laconien des nécropoles de Tarente. Le premier est la présence dans les tombes tarentines et au sanctuaire de Satyrion, au VI^e siècle, de vases dont l’usage renvoie directement à la culture laconienne et qui donnent un indice de la présence d’individus venus de Laconie ou d’ascendance laconienne supposée : les lakainai (l’exemplaire de la tombe n^o 466 et les quatre exemplaires de Satyrion) qui représentent le vase de culte laconien par excellence (Cf. p. 65) ; les kothons de la tombe n^o 367 (fig. 13) qui renvoient à la coutume spartiate du don d’un vase au soldat équivalant à la « ration de guerre » (Stibbe 1975, p. 37 et n. 45 et Pelagatti, Stibbe 2001, p. 385) et le canthare à vernis noir de la tombe n^o 122 qui rappelle ceux d’Amyclées36 d’où serait partie la révolte de Phalanthos d’après Antiochos de Syracuse (Strabon VI, 3, 2). Pour finir, les phiales (un exemplaire à Tarente et quatre à Satyrion), très présentes dans les sanctuaires laconiens (Cf. p. 54-56), n’ont été retrouvées qu’en deux exemplaires en dehors du golfe de Tarente (un exemplaire à Gravisca et un à Rome). On signale aussi la présence d’imitations locales de vases à boire de style laconien (Lo Porto 1964, p. 238) ainsi que deux statuettes (Lo Porto 1964, p. 243-244) qui peuvent correspondre aux modèles laconiens : une tête féminine du dernier quart du VII^e siècle de production locale (Lo Porto 1964, n^o 1, fig. 60 p. 244) et une protomé en forme d’orante rappelant le style primitif trouvé à Artémis Orthia mais certainement d’artisanat local (Lo Porto 1964, fig. 62, p. 245).

41Outre les vases, certains attributs vestimentaires rappellent les usages péloponnésiens, comme l’utilisation des épingles dans le vêtement féminin. Ces épingles à anneaux surmontées d’un disque ont été découvertes en nombre important dans les sanctuaires de Laconie (AO, pl. 86). Un exemplaire provient d’un habitat (Laconia survey II, n^o 109 p. 195, pl. 13). Cette coutume distingue Tarente des autres centres de l’Ouest qui utilisent plutôt la fibule pour attacher le vêtement. L’état de publication des exemplaires de Tarente ne permet cependant que des rapprochements approximatifs avec la typologie des épingles de Laconie, et pour l’instant seule leur utilisation à la place de la fibule rappelle le Péloponnèse.

42Le regroupement de certaines tombes amène également à penser que certains individus ont affiché leurs liens familiaux et leurs liens avec la Laconie qu’ils soient descendants des premiers émigrés ou issus d’une émigration plus récente. La nécropole a livré deux groupes de trois tombes de la même époque disposées les unes à côté des autres. Il s’agit des tombes n^o 130, 131 et 132 mises au jour près de l’arsenal (Neeft 1994, p. 201, 213) et des tombes n^o 367, 466 et 478 (Neeft 1994, p. 206, 208 et 221) près des rues Iapigia et Vaccarella. Ces deux groupes contiennent du matériel laconien spécifique : dans le premier, une lakaina dans la tombe n^o 131 et trois coupes du Peintre des Poissons ainsi que deux épingles en fer dans la tombe n^o 132, et, dans le deuxième, les deux kothons de la tombe n^o 367 (fig. 13) ainsi qu’une lakaina dans la tombe n^o 466. La présence de lakainai qui renvoient aux pratiques cultuelles et funéraires laconiennes (Cf. p. 65, 67-68) renforcée par les lots d’autres vases laconiens dans une même tombe montrent que les occupants ont probablement voulu marquer leur origine ou leur appartenance à une communauté spécifique.

43L’installation d’artisans est le dernier élément en faveur de la présence de Laconiens à Tarente au VI^e siècle. Ils auraient bénéficié des liens de philia entre la colonie et sa métropole. La distribution des peintres laconiens en Méditerranée et la datation de leurs œuvres conduisent à penser qu’au moins deux d’entre eux auraient pu travailler à Tarente ou à Satyrion : le Peintre des Poissons et le Peintre d’Allard-Pierson, d’après l’hypothèse formulée par P. Pelagatti et C. M. Stibbe (Pelagatti, Stibbe 2001).

44Trois coupes de Tarente peuvent être attribuées à l’atelier du Peintre des Poissons de façon certaine (TAR050-052). Elles proviennent toutes de la tombe n^o 132 et ont donc certainement été achetées en lot. Six autres exemplaires pourraient également provenir de l’atelier ainsi que de Satyrion. Le golfe de Tarente est alors le seul endroit, Laconie comprise, avec seulement deux exemplaires, une lakaina et un plat à fruits, où ce peintre soit représenté dans une telle proportion (Cf. p. 39-40). La concentration des œuvres du Peintre des Poissons dans la région semblent prouver sa présence sur place à un moment donné de sa carrière voire durant toute celle-ci. L’argile plus claire que celle utilisée pour la céramique laconienne tendrait à montrer que le savoir-faire et les goûts laconiens ont voyagé à Tarente et que le Peintre des Poissons aurait pu utiliser l’argile locale. En l’absence d’analyses d’argile rien ne peut cependant être affirmé.

45Quant au Peintre d’Allard-Pierson, 51 vases lui sont actuellement attribués (33 avec certitude, dix probablement et sept « à la manière de » - LVS 313 à 364) dont 17 provenant de Tarente et de son territoire (onze cependant ont été trouvés sur le marché de l’art comme provenant de tombes près de Tarente-Pelagatti, Stibbe 2001, p. 372). Toutes ces pièces sont datées entre 550 et 525. Le Peintre d’Allard-Pierson est alors le seul peintre laconien présent dans le golfe de Tarente à l’exception d’une coupe du Peintre de la Chasse et une du Peintre de Cyrène. Cette concentration laisse entendre qu’il pourrait alors résider dans la région. Le problème du transport de l’argile demeure et il est impossible de dire pour l’instant si l’atelier utilisait de l’argile locale ou de l’argile en provenance de Laconie. La couleur claire de celle-ci semble cependant la distinguer des autres coupes laconiennes retrouvées à Tarente (Pelagatti, Stibbe 2001, n. 52, p. 376). De toutes les pièces publiées du peintre, seulement une coupe provient avec certitude des nécropoles tarentines. Dans ce cas nous n’avons pas d’évidence d’achat en lot comme c’est le cas pour le Peintre des Poissons. Il semblerait donc que, si le Peintre d’Allard-Pierson a exercé dans le golfe de Tarente, ce ne soit pas dans la cité même, mais peut-être à Satyrion.

46La différence du nombre d’importations entre 600 et 575 constatée plus haut entre Tarente et Satyrion pourrait trouver une explication dans la production de ces deux peintres : celle du Peintre des Poissons à Tarente dans le premier quart du VI^e siècle, et celle du Peintre d’Allard-Pierson à Satyrion dans le troisième quart. La fin du dépôt des coupes dans les tombes peut correspondre à la fin de leur activité notamment dans le cas du Peintre des Poissons pour les coupes du types C, pour lesquelles on constate que même les œuvres extérieures à Tarente ne datent pas d’après 580-575. La Sicile connaît par exemple une crise de ses importations de coupes laconiennes dans le deuxième quart du VI^e siècle (graph. 6) : la reprise est, comme à Tarente, faible et les anciennes coupes du groupe C ne sont que peu remplacées par les autres types, peints ou vernis. La fin de l’activité du Peintre d’Allard-Pierson correspond à la fin des importations de céramique laconienne dans la région. Il est quasiment le dernier peintre présent et le seul représentant de la figure noire laconienne à Tarente.

47Les données archéologiques montrent que les traits culturels laconiens sont donc encore bien présents à Tarente au VI^e siècle. Outre les parallèles déjà observés, dans les institutions ou les cultes, sans qu’on sache cependant s’ils datent des origines de la cité, le matériel archéologique de Tarente montre que celle-ci a maintenu des liens culturels étroits avec sa métropole à l’époque archaïque. La typologie des vases rappelle celles des sanctuaires de Laconie et les vases typiquement laconiens sont plus fréquents que dans n’importe quelle région du monde grec. Les fluctuations des importations ne semblent pas correspondre à une interruption de ces relations fondation/métropole, mais plutôt à des changements dans la production des vases influencée par les usages proprement tarentins et l’activité des ateliers. Ces derniers ont certainement deux représentants laconiens sur place avec le Peintre des Poissons et le Peintre d’Allard-Pierson. Outre les peintres, la présence d’individus laconiens ou se revendiquant comme tels au VI^e siècle semble bien attestée par les découvertes faites dans les nécropoles de Tarente et de Satyrion.

La céramique laconienne en Cyrénaïque

48Nous allons maintenant examiner le matériel des cités de Cyrénaïque. La représentation de la nymphe Cyrène sur une coupe mise au jour à Tarente (TAR082), ainsi que d’autres sujets cyrénéens de la céramique laconienne (Faustoferri 1985, p. 337-348) tel que celui de la coupe d’Arkésilas (VUL012) signalent l’existence de liens entre les deux régions d’ascendance laconienne à l’époque historique. Il faut désormais voir si les traits culturels laconiens mis en évidence à Tarente existent en Cyrénaïque et si les césures chronologiques repérées sont les mêmes. Dans les sources anciennes, dès sa fondation en 631 (Eusèbe, Chronique, I, 33) et les débuts de la présence grecque, l’histoire de Cyrène est liée à celle de Sparte. Les récits les plus anciens, ceux de Pindare et d’Hérodote, n’impliquent pas directement Sparte, qui n’apparaît également pas dans le décret de fondation de Cyrène (SEG IX, 3), mais uniquement Théra, elle-même fondation de Sparte.

49Pindare fait de très brèves allusions aux origines de Cyrène dans ses quatrième et cinquième Pythiques en l’honneur d’Arkésilas IV de Cyrène vainqueur à la course de chars aux jeux pythiques en 462.

50S’il ne s’agit que d’allusions, elles montrent cependant que l’histoire de la fondation de Cyrène par Théra, avec Battos comme œciste, et la fondation de Théra par Sparte, sont un fait établi et fixé déjà au VII^e siècle. Le premier récit complet de la fondation et des premiers temps de l’histoire de Cyrène est donné par Hérodote (Hérodote IV, 145-167).

51Sous la conduite du Théréen Battos, les colons se seraient, dans un premier temps, installés dans l’île de Platea, au large de la Libye, pendant deux ans, puis sept ans à Aziris sur la côte avant de fonder Cyrène.

52Auparavant, Hérodote raconte les conditions de la fondation de Théra par Sparte. Un rôle direct dans les premiers temps de l’histoire de la Cyrénaïque est reconnu également aux Lacédémoniens au IV^e siècle par Isocrate (Isocrate, Phil., 5). Celui-ci parle alors de Cyrène comme d’une fondation de Lacédémone. Au II^e siècle ap. J.-C., Pausanias (Pausanias III, 14) cite, au côté de l’œciste Battos lors de l’expédition vers Cyrène, le Spartiate Chionis, vainqueur aux jeux olympiques sans cependant faire mention de colons lacédémoniens accompagnant l’expédition. La mise en place dans la tradition de la participation d’un œciste spartiate, réelle ou non, montre que les liens étroits entre Sparte et Cyrène étaient reconnus dans l’ensemble du monde grec.

53Outre la filiation, les liens de Cyrène avec le Péloponnèse et avec la Laconie apparaissent à un autre moment de son histoire sous le règne de Battos II. Hérodote (Hérodote IV, 159-161) écrit que ce roi, qui arriverait au pouvoir vers 57537, a lancé un appel à tous les Grecs pour le peuplement de Cyrène (Hérodote IV, 159). Les colons affluèrent, mais Hérodote ne mentionne pas leur région d’origine, il dit cependant que, sous le règne de Battos III, petit-fils du précédent, Démonax de Mantinée, à qui il avait demandé de réformer le système de la cité, divise la population en trois tribus : une pour les Théréens et les Périèques, une pour les Péloponnésiens et les Crétois et une pour les Grecs des îles (Hérodote IV, 161). La mention de « Périèques » renvoie au système dorien en vigueur à Sparte et à Théra sans que l’on puisse dire quelle population est désignée ici par ce terme. On peut se demander aussi quels sont les colons originaires du Péloponnèse et s’ils ne viendraient pas en partie de Laconie.

54L’étude du matériel archéologique doit permettre de préciser quel lien existe entre les différents récits de l’histoire de la Cyrénaïque sur la réalité d’une présence laconienne au VI^e. Nous disposons pour cela du matériel de deux sanctuaires de Déméter, celui de Cyrène et celui de Tocra. Après les avoir considérés indépendamment l’un de l’autre pour retracer les évolutions et le caractère propre à chacun, toujours en référence avec le matériel des sanctuaires laconiens, il conviendra ensuite de les comparer entre eux.

1. Le matériel laconien de Cyrène

55Le matériel archéologique publié pour la période archaïque à Cyrène provient du sanctuaire de Déméter et Korè, fouillé par l’équipe américaine dans les années 1970. Les archéologues italiens avaient auparavant mis au jour dans les années 1960 quelques éléments archaïques dans le secteur de l’agora. L’équipe italienne dirigée par I. Baldassarre a repris les fouilles de l’agora ces dernières années et a eu l’amabilité de me faire part des découvertes céramiques faites alors.

56Les vases de Cyrène représentent environ 6 % de l’ensemble du corpus. Le plus ancien tesson laconien provient de l’agora : il s’agit d’un fragment décoré dans le style Laconien I (CYR064), daté d’avant 630, et qui laisse envisager la présence de Laconiens dès les premiers temps de la cité. Il demeure pour l’instant le seul fragment laconien daté de l’époque de la fondation. Les vases laconiens provenant de l’agora sont peu nombreux et doivent faire l’objet d’une publication prochaine38. Nous étudierons surtout ici le matériel du sanctuaire de Déméter et Koré et ne nous réfèrerons au matériel mis au jour sur l’agora que par comparaison.

57Le culte de Déméter a été introduit à Cyrène par les premiers colons, mais son origine exacte semble difficile à déterminer. Elle pourrait être laconienne, théréenne, rhodienne ou crétoise (White 1984, p. 23).

58La majorité du matériel de l’époque archaïque provient de la partie médiane du sanctuaire qui correspond aux phases architecturales les plus anciennes, les parties hautes et basses datant de 115 ap. J.-C. Les niveaux archaïques les plus importants se situent contre le mur du péribole archaïque dans les secteurs F14/G14 (White 1984, p. 83-84). La fondation du sanctuaire daterait de 600 d’après l’étude de l’ensemble du matériel (DS, p. 93) c’est-à-dire une génération après la fondation de Cyrène en 631 (White 1984, p. 116).

59La série laconienne comporte une grande variété de formes ; toutes les catégories à l’exception des amphores de transport sont attestées.

60On recense cinq types de vases à boire, ce qui représente 58 % des vases laconiens mis au jour : les coupes à pied bas ou à tige, les lakainai, les canthares, un kothon et un skyphos.

61La coupe est la forme principale, surtout à figures noires. Sur les 99 vases du corpus, 34 appartiennent au groupe G dont une majorité de coupes doriques (douze du groupe Ge, sept du groupe Gf, cinq des groupes Ga et Gb), cinq appartiennent au groupe E ; trois aux groupes B et C. Les lakainai sont le deuxième type de vase à boire, elles représentent presque 30 % de l’ensemble des lakainai mises au jour en dehors de Laconie. Les cratères représentent la deuxième catégorie. Sur les 42 que compte le sanctuaire, 39 sont à décor géométrique et deux à figures noires. Seize appartiennent au groupe E, cinq aux groupes B et D, trois au groupe C, un au groupe H, avec un stamnos à vernis noir ; onze n’ont pu être rattachés à un groupe particulier. Le stamnos est une forme laconienne peu exportée, si ce n’est en Sicile, à Lipari et à Géla (Stibbe 1984, p. 4) ; l’exemplaire de Cyrène est entièrement noir avec des rayures incisées au niveau de l’anse dont seul le départ est visible, il s’apparente alors aux exemplaires les plus imposants de Lipari et de Géla. Viennent ensuite les plats et les assiettes, qui sont tous à ornements secondaires, hormis deux exemplaires à figures noires. Ils représentent environ 40 % des plats retrouvés hors de Laconie. Les groupes d’aryballes sont présents en nombre à peu près équivalent, mais appartiennent à des groupes très variés : trois exemplaires du groupe A, deux des groupes B, E et I, et un exemplaire des groupes L, M, O et Q. On trouve peu de vases à verser et de vases à stocker ; ils sont tous à vernis noir.

62Outre la céramique, on recense divers petits objets d’origine laconienne datés du IV^e siècle : un bélier en ivoire daté du VII^e siècle (White 1975, n. 30 p. 41, pl. 5), une fibule « chouette » en ivoire datée du VII^e siècle (White 1975, n. 25 p. 40), deux lions couchés en or (White 1976, n. 15-16 p. 171, pl. 26), des épingles en argent et en bronze (White 1976, p. 177).

63Ces objets personnels sont antérieurs à l’ensemble des dépôts du sanctuaire de Cyrène et attestent la présence de Laconiens qui ont fait offrande.

64La richesse du décor des vases laconiens du sanctuaire de Cyrène, tous pratiquement à décor secondaire ou à figures noires, contraste avec celui des vases des sanctuaires laconiens qui sont essentiellement à vernis noir. On relève d’autres différences au niveau des formes : les vases à parfums sont présents en faible quantité alors qu’ils constituent une catégorie essentielle des sanctuaires laconiens, et les vases à mélanger, absents en Laconie, se retrouvent en nombre plus important. Il existe cependant des points communs marquants : tout d’abord l’importance des vases à boire, et notamment le nombre significatif de lakainai comme offrandes, qui rappellent la fonction cultuelle du vase en Laconie et son importance culturelle ; ensuite, la présence des plats, forme bien présente dans les sanctuaires laconiens au VI^e siècle et peu exportée ; enfin celle de types d’aryballes plutôt confinés à la Laconie, les groupes L, M et O. Ces particularités typologiques qui rappellent la culture laconienne ne sauraient cependant être significatives sans une étude diachronique de l’évolution des offrandes dans le sanctuaire de Cyrène.

65Dans le sanctuaire de Déméter et Koré, les offrandes de céramique laconienne débutent aux environs de 600 (graph. 19). Le type le plus ancien est la céramique du style Laconien II avec neuf vases sur les 18 datés entre 600 et 575. La phase la plus abondante date du second quart du VI^e siècle, avec 90 exemplaires ; elle est suivie d’une diminution significative dès le troisième quart avec seulement 36 exemplaires. Il n’y a presque pas de céramique laconienne datée de la fin du VI^e siècle et du début du V^e. Si toutes les catégories de vases sont présentes dans le sanctuaire au premier et au second quart du VI^e siècle, la diversité disparaît dans le troisième quart (graph. 20.) où l’on ne retrouve plus que des vases à boire et quelques plats. Les différentes importations de vases laconiens ne suivent donc pas la même évolution.

66Tout d’abord, les vases à boire sont surtout présents dans le sanctuaire de Cyrène entre 575 et 525 (graph. 19 et 20), même si quelques exemplaires arrivent encore à la fin du VI^e siècle. Entre 600 et 575, les coupes appartiennent aux groupes B et C du style Laconien II. Elles sont remplacées dans le deuxième quart du VI^e siècle par les coupes à tige à figures noires qui restent la principale forme de vase à boire laconien offerte au sanctuaire jusqu’à la fin du VI^e siècle. Il s’agit alors, surtout à partir de 540, de coupes doriques des groupes Ge, Gf et Gg, même si on trouve quelques exemplaires des groupes Ga et Gb. Les autres types de vases à boire, et notamment les lakainai, sont déposés à partir de 600 et disparaissent après 525. Quatre lakainai du style Laconien II ont été mises au jour, mais la forme est surtout présente entre 575 et 550 ; seuls trois exemplaires appartiennent au troisième quart du VI^e siècle. Il semblerait que les autres vases à boire comme les canthares, le skyphos et le kothon soient tous datés du second quart du VI^e siècle. Nous pouvons cependant obtenir des dates d’arrivée plus précises des coupes laconiennes de Cyrène en nous appuyant sur la datation des coupes à figures noires dont l’analyse stylistique permet une datation plus fine. La datation haute du plus grand nombre se situe entre 560 et 540, avec un pic en 550, la datation basse du plus grand nombre se situe entre 540 et 510, avec un pic entre 540 et 530. Cela indique que la majorité des coupes à figures noires serait datée entre 550 et 530. Ce phénomène contraste avec la courbe générale de l’arrivée des vases laconiens à Cyrène qui atteint son apogée dans le second quart du VI^e siècle. On observe cependant pour cette période une majorité de vases à ornements secondaires (49 exemplaires contre 32 à figures noires et neuf à vernis noir) qui explique la différence entre deux courbes. Ces vases disparaissent quasiment à partir de 550 (plus que six exemplaires de vases à ornements secondaires contre 23 à figures noires ; les vases à vernis noir restent en nombre constant avec seulement sept exemplaires).

67Les cratères sont surtout dédiés dans la première moitié du VI^e siècle (graph. 20) et majoritairement dans le second quart où l’on retrouve la plus grande diversité de types (groupes B, D, E et H). La forme est présente dès 600 où il s’agit alors d’exemplaires du groupe C, qui disparaissent aux environs de 575, et du groupe E. Dans la seconde moitié du VI^e siècle, il n’y a plus de cratères dans le sanctuaire ; on ne peut cependant en conclure que les cratères ont totalement disparu dans le troisième quart du VI^e siècle si on tient compte des onze exemplaires datés entre 575 et 525. Toutefois aucun cratère laconien du sanctuaire de Cyrène n’est daté du dernier quart du VI^e siècle, alors qu’on en retrouve dans d’autres régions comme la Sicile (Pelagatti 1989, p. 138-143).

68La plus grande partie des plats est datée d’après 575 avec neuf exemplaires, sur les 18 recensés, datés du second quart du VI^e siècle. Parmi les exemplaires non datés en quart de siècle, la majorité est située entre 560 et 540.

69Plusieurs observations sur le matériel du sanctuaire de Déméter et Koré à Cyrène peuvent être mises en relation avec ce que mentionnent les sources littéraires. La majorité des vases qui sont déposés comme offrandes entre 575 et 550 sont des vases à ornements secondaires et des formes caractéristiques des sanctuaires laconiens peu exportées : les lakainai, les plats et les deux aryballes des groupes M et O dont la production semble être située à Amyclées (Cf. p. 74). Ces observations et la similarité apparente des offrandes de Cyrène avec celles des sanctuaires laconiens rappellent le passage d’Hérodote sur l’appel de Battos II (Hérodote IV, 161) et une immigration de Laconiens vers un territoire dorien familier vers 575 ; les offrandes ponctuelles entre 575 et 570 de vases « marqueurs culturels » va dans ce sens, tout comme la courbe d’évolution des arrivées de coupes à figures noires. Les vases à ornements secondaires de Cyrène ne semblent en effet pas répondre à la même problématique que les vases à figures noires et leurs courbes d’arrivée ne sont pas parallèles : ils seraient le signe d’un déplacement de population originaire de Laconie contrairement aux vases à figures noires qui sont fabriqués pour être exportés ou répondre à une demande spéciale. Hérodote mentionne aussi d’autres populations (Crétois, Théréens, Grecs des îles) venues peupler Cyrène pendant le règne de Battos II. Qu’en est-il des autres séries céramiques qui peuvent révéler la présence éventuelle d’autres populations ?

70La série laconienne est numériquement la troisième série céramique présente au sanctuaire de Cyrène après les séries attique et corinthienne (White 1984, p. 119). Chronologiquement, la série attique arrive à Cyrène après les séries laconienne, corinthienne et de la Grèce de l’Est.

71La céramique attique (Moore 1987, p. 1-6) a été mise au jour en quantités considérables dans le sanctuaire de Déméter et Koré ; elle appartient à deux catégories, les vases à figures noires, qui sont les plus nombreux pour notre période, et les vases à vernis noir, tous de qualité élevée. Ils sont datés entre le début du VI^e siècle et le premier quart du V^e avec une écrasante majorité d’exemplaires datés de la seconde moitié du VI^e siècle, et plus précisément d’après 540.

72Les formes les plus fréquentes sont l’amphore (tous types confondus) et la coupe à tige. On relève la présence de quatre coupes doriques datées des années 540 (Moore 1987, n. 224-228 p. 36). Viennent ensuite les vases à mélanger, surtout des cratères, tous datés de la seconde moitié du VI^e siècle à l’exception d’un vase du Peintre KY (Moore 1987, n. 91 p. 20) daté de 580. Parmi les autres vases on remarque un nombre important de plats qui, contrairement aux autres formes, datent presque tous du second quart du VI^e siècle, d’hydries et de kothons à vernis noir.

73La typologie des vases attiques diffère donc de celle des vases laconiens et semble la compléter dans le second quart du VI^e siècle : les cratères laconiens sont en effet les seuls dans le sanctuaire de Cyrène avant l’arrivée des cratères attiques dans la seconde moitié du VI^e siècle qui les remplacent alors après 540. Les deux séries ont aussi en commun des formes peu courantes qui se retrouvent simultanément à Cyrène : les assiettes et les hydries.

74Pour la série corinthienne, le vase le plus fréquent est le kotyle, puis la pyxide et les vases à parfum.

75Il faut cependant nuancer ce classement. Aux environs de 600 et dans le premier quart du VI^e siècle, la principale catégorie reste celle des vases à parfum, suivie des kotyles. Ceux-ci deviennent la première forme corinthienne dans le sanctuaire de Déméter à partir de 570 et jusqu’au début du V^e siècle. On remarque la présence de quelques grands vases comme les cratères (douze exemplaires) et une hydrie. Leur nombre n’équivaut pas à celui de la série laconienne et renforce encore la spécificité de celle-ci ainsi que le lien existant entre la présence de ces vases et la migration de populations venant de Laconie. C’est également le cas pour les aryballes qui, dans la série laconienne, sont peu nombreux alors qu’ils sont les principaux vases corinthiens du début du VI^e siècle.

76Nous pouvons également comparer la céramique laconienne avec la céramique en provenance de la Grèce de l’Est qui comprend la céramique à bandes et la céramique au décor dit « des chèvres sauvages ». La forme la plus représentée pour cette série est le plat (plats à fruits, assiettes, plats, assiettes à offrandes) : 112 exemplaires sur les 178 recensés dans le sanctuaire de Déméter (DS, p. 49-72).

77Ces vases sont déposés principalement entre 580 et 540, notamment 57 plats qui seraient alors en partie contemporains des plats laconiens du second quart du VI^e siècle et des plats attiques. Il existe donc une certaine similarité entre les formes des trois séries.

78La particularité des formes laconiennes sur un court laps de temps correspond donc certainement à une immigration de population laconienne vers 575 qui serait alors à l’origine des offrandes de vases à ornements secondaires déposées au sanctuaire de Déméter et Koré. Les vases à figures noires proviendraient d’autres circuits qu’il convient de définir. Dans un premier temps, il faut tracer les limites entre circulation des vases à figures noires et circulation des personnes, puis essayer de voir si la destination et la familiarité des céramistes avec le milieu récepteur du vase président au choix de sa décoration.

79Les cinq principaux peintres laconiens sont représentés dans le sanctuaire de Déméter et Koré à Cyrène. On recense, également, des œuvres des peintres d’Allard-Pierson, de Cyrène, de la Chimère et des Hoplites. Il faut ajouter aux œuvres provenant du sanctuaire une coupe du Peintre de la Chasse qui provient de l’agora (CYR029), une autre et deux coupes du Peintre de Naucratis (CYR063 et CYR067) dont le contexte de découverte précis nous est inconnu.

80Entre 575 et 550 (graph. 21), le principal peintre laconien à Cyrène est le Peintre de Naucratis avec dix coupes, un aryballe, un cratère et deux autres grands vases non définis ; ils sont pour la plupart datés entre 570-565. Cinq coupes du Peintre des Boréades appartiennent aussi à cette période. Les dates de ces vases correspondent à celles de l’immigration laconienne supposée à Cyrène, mais ces peintres ne fournissent pas de formes typiquement laconiennes pour le sanctuaire et elles n’appartiennent pas non plus à leur répertoire courant. Leurs vases ont pu être destinés en premier lieu à un tout autre usage, ce qui montre à nouveau que la distribution des vases à ornements secondaires et celle des vases à figures noires ne répondent pas aux mêmes problématiques de distribution.

81C’est également le cas pour les vases du Peintre de la Chasse et du Peintre des Cavaliers. Les œuvres du Peintre de la Chasse semblent succéder à celles du Peintre de Naucratis dans le sanctuaire de Cyrène ; il est le peintre laconien le plus représenté (19 exemplaires) avec un nombre d’œuvres équivalent à celui des œuvres recensées en Laconie : quatorze coupes, deux lakainai et un grand vase, peut-être un cratère en cloche, qui rappelle les vases des sanctuaires laconiens. Ces vases sont datés entre 550 et 530 et ne correspondent pas alors avec la phase d’immigration laconienne que connaîtrait la cité aux environs de 575. Le Peintre de la Chasse est cependant le plus « laconien » des cinq grands peintres dans le choix des formes de vases (Cf. p. 92) et les vases de Cyrène peuvent correspondre à la demande de clients proches de la culture laconienne installés à Cyrène. Le Peintre des Cavaliers semble suivre le même schéma que le Peintre de la Chasse mais avec un nombre d’œuvres beaucoup moins important, sept exemplaires, même si son œuvre globale est moindre que celle du Peintre de la Chasse. Le répertoire des formes est identique : les coupes (six exemplaires), deux lakainai, et un grand vase clos. Ces œuvres couvrent une période plus restreinte avec cependant des vases datés entre 550 et 540.

82On trouve quelques œuvres de peintres laconiens mineurs : une coupe datée entre 530 et 520 du Peintre de la Chimère, une coupe datée entre 520 et 500 du Peintre de Cyrène et une coupe datée entre 525 et 520 du Peintre des Hoplites. Les deux premiers ne se retrouvent qu’à Cyrène, Olympie et en Laconie ce qui appuie l’hypothèse de liens commerciaux directs entre la Laconie et la Cyrénaïque.

83Ceci confirme que la distribution des vases à figures noires ne répond pas aux mêmes problématiques que les vases à ornements secondaires ou à vernis noir. Les peintres semblent toutefois avoir été attentifs à la demande du milieu récepteur et ont entretenu des relations privilégiées avec les habitants de Cyrénaïque comme le suggère la présence de sujets cyrénéens dans la céramique laconienne (le roi Arkésilas, la nymphe Cyrène). Qu’en est-il exactement de l’iconographie des vases laconiens du sanctuaire de Déméter et Koré à Cyrène où différents thèmes ont pu être identifiés ?

84Le premier, en rapport avec le caractère cultuel du site, est celui des divinités trônant auquel se rattachent quatre fragments : une divinité féminine sur une coupe du Peintre de Naucratis (CYR069- fig. 14) datée entre 565 et 560 et une assiette non attribuée (CYR017- fig. 15) datée entre 520 et 480, et une divinité masculine sur une coupe du Peintre des Boréades (CYR073) datée entre 575 et 570 et sur une coupe du Peintre d’Arkésilas (CYR075) datée entre 565 et 560. La nature féminine de la divinité de la coupe du Peintre de Naucratis est indiquée par les mains et les pieds rehaussés de blanc ; elle trône face vers la gauche avec, dans la main, une guirlande interprétée comme une branche de silphion (Faustoferri 1985, p. 340-342). Une inscription se trouve face à elle, la seule connue pour le Peintre de Naucratis. L’interprétation de cette inscription et notamment des deux « sigma » comme un triple iota, la rapproche ainsi des alphabets de Corinthe, de Théra et de Cyrène. Elle permet à plusieurs auteurs de penser que le Peintre de Naucratis n’était pas natif de Sparte mais peut-être d’origine cyrénéenne, selon G. P. Schaus (Schaus 1979, p. 103-104), ou corinthienne, selon A. Faustoferri (Faustoferri 1985, p. 340-342). Il semble que, même si le Peintre de Naucratis s’inspire des vases à figures noires corinthiens, comme le suggère son œuvre (Pompili 1986a, p. 66), il est alors possible qu’il ait adapté son décor à la commande.

85Cette hypothèse est suggérée par la présence de la branche de silphion qui renvoie à la région à laquelle est destinée la coupe. Sur l’assiette (fig. 15), datée entre 520 et 480, la divinité tient une branche de grenades qui peut la mettre en relation soit avec le culte de Déméter comme symbole de la fertilité, soit avec le culte de Koré comme symbole funéraire (Pipili 1987, p. 60-61) ; la divinité semble cependant masculine, tout comme celles des coupes (CYR073 et CYR075). Toutefois, les frises de grenades sont très présentes dans l’art laconien comme ornements annexes extérieurs, et, dans le cas présent leur disposition sur l’assiette de Cyrène correspond plutôt à l’influence attique et aux branches de lierre ou de vigne qui figurent sur les coupes à figures noires (DS, n^o 262, p. 47) : il est donc difficile d’affirmer que ces coupes aient été faites pour le sanctuaire de Cyrène, hormis celle du Peintre de Naucratis (CYR069).

86Le second thème est celui des hoplites. On le retrouve sur deux coupes du Peintre de la Chasse datées entre 550 et 530 (CYR107) et entre 530 et 520 (CYR051), une coupe du Peintre des Cavaliers datée entre 550 et 540 (CYR109), une coupe du Peintre des Hoplites datée entre 525 et 520 (CYR123) et une coupe non attribuée datée entre 550 et 530 (CYR111).

87Il est cependant impossible de comprendre les scènes représentées en raison de la taille des fragments retrouvés.

88Le troisième thème est celui du symposion présent sur quatre vases du Peintre de la Chasse tous datés entre 550 et 540 : un calice (CYR170) et une lakaina (CYR203) figurant des cômastes, une coupe représentant un personnage allongé (CYR101) et une où l’on voit les instruments nécessaires au banquet (CYR114), un canthare, une phiale, peut-être un aulos, qui accompagnaient des personnages dont il ne reste que quelques traces de vêtement.

89Outre ces différents thèmes, nous devons signaler une coupe au motif inhabituel, du Peintre de la Chimère, datée entre 530 et 510 (CYR124- fig. 16). Elle met en scène deux personnages féminins accompagnant chacun une paire de chevaux qui se font face. L’interprétation en est difficile et le rapport avec le culte de Déméter et Koré loin d’être évident. Elle rappelle cependant une coupe du Peintre d’Olympie (OLY101- Fig. 21a et b), datée de la même période, et laisse supposer que cette coupe appartient à un circuit de distribution dans lequel Cyrène constitue un passage et non un lieu majeur.

90Les vases laconiens à figures noires de Cyrène sont pour la plupart postérieurs aux offrandes de vases à ornements géométriques et aux formes proprement laconiennes. Si certains ont pu accompagner les Laconiens immigrés vers 575 ce n’est pas le cas de la majorité. Ils ne relèvent probablement pas des mêmes circuits de distribution. Il demeure difficile cependant de savoir de quelle manière ils étaient acheminés jusqu’au sanctuaire. Les sujets représentés n’ont que peu de rapports directs avec le contexte, sauf dans le cas de la divinité de la coupe du Peintre de Naucratis (CYR069) dont la branche de silphion correspond à une réalité locale.

91Il reste difficile d’envisager des phénomènes de commandes directes ou, dans le cas du sanctuaire de Cyrène, la connaissance, de la part des céramistes, du lieu de destination de leurs vases. La présence, cependant, de formes à figures noires comme les lakainai du Peintre de la Chasse (CYR201 et 203), qui rappellent celles que l’atelier produit pour les sanctuaires laconiens, plaide en faveur d’un transport direct depuis la Laconie vers la Cyrénaïque. Thucydide (Thucydide IV, 53, 2-3) l’évoque pour l’époque classique quand il parle de l’intérêt de Sparte pour Cythère comme port pour les marchands venant d’Égypte et de Libye.

92La présence d’objets cyrénéens à Sparte renforce cette hypothèse. Il s’agit d’une œnochoé cyrénéenne (AJA 83, 1979, p. 102-106), dont cependant nous ignorons la date, et d’une base en marbre provenant d’un sanctuaire à Hypertéleaton au Sud-est de Sparte. Cette dernière comporte une inscription qui contient le nom d’un sculpteur, Kuranaios, évoquant alors sa possible origine cyrénéenne.

93L’étude des vases laconiens de Cyrène précise donc deux points déjà pressentis lors de l’étude de la distribution : tout d’abord la migration des populations originaires de Laconie en Cyrénaïque vers 575 lors de l’appel de Battos II et les circuits différents des vases à figures noires et des vases à ornements secondaires.

94Ensuite, il semble que Cyrène ne dépend pas du commerce samien pour la distribution des vases à figures noires, tant par la typologie des vases très proche de celle des vases trouvés en Laconie, que par la représentation des peintres qui ne sont pas les mêmes qu’à Samos et à Naucratis.

95La présence de sujets cyrénéens sur plusieurs coupes laconiennes pourrait alors résulter de phénomènes de commandes à des peintres qui auraient pu faire le voyage vers Cyrène.

96Nous devons cependant observer ce qui se passe au sanctuaire de Tocra avant de conclure à la distribution de la céramique laconienne en Cyrénaïque et à l’existence ou non de liens directs avec Sparte et la Laconie.

2. Le sanctuaire de Déméter à Tocra

97Nous n’avons aucune trace dans les sources littéraires de rapports directs entre Sparte et Tocra si ce n’est la filiation de Tocra avec Cyrène ; les fouilles du sanctuaire de Déméter (Tocra I et Tocra II) ont cependant livré de nombreux vases laconiens : ces derniers représentent 3 % de notre corpus d’étude et renvoient à la parenté des cités de Cyrénaïque avec la Laconie. D’après les fouilles, la fondation de Tocra daterait des environs de 620, soit peu de temps après celle de Cyrène (Tocra I, p. 13 et Boardman 1966, p. 154), et les débuts du sanctuaire seraient contemporains.

98Onze niveaux stratigraphiques ont été relevés : les niveaux archaïques sont les niveaux 6 à 11. Parmi eux les auteurs distinguent trois dépôts : le dépôt I (niv. 9-11), daté entre 620 et 590, le dépôt II (niv. 8), daté entre 590 et 565, et le dépôt III (niv. 7), daté entre 565 et 520/510. Les objets laconiens publiés proviennent du dépôt II (Tocra II, p. 12) et, pour quelques exemplaires, du dépôt I.

99Les vases de Tocra ont un décor assez pauvre avec une majorité de vases à vernis noir et seulement 20 vases à figures noires. Les formes sont aussi variées qu’au sanctuaire de Cyrène, mais dans des proportions différentes (graph. 22) ; si les vases à boire constituent toujours la première catégorie, avec 66 % des vases laconiens du sanctuaire, les vases à verser en représentent la deuxième, et non les vases à mélanger qui restent plutôt rares.

100Les formes de vases à boire laconiens à Tocra sont plus nombreuses qu’à Cyrène avec les tasses et les bols qui sont absents. Les coupes à figures noires du groupe G sont ici aussi majoritaires.

101Il ne s’agit pas de coupes doriques comme à Cyrène, mais de coupes du groupe Ga (treize exemplaires sur 29). Les coupes du sanctuaire de Déméter indiquent donc l’antériorité des dépôts de Tocra par rapport au sanctuaire de Cyrène.

102Le second type est le type E, dont dix coupes du groupe Ed sur quatorze, également présent à Cyrène.

103Les huit exemplaires du groupe Da sont remarquables, car le groupe ne se retrouve en dehors de Laconie qu’à Tocra et à Olympie : les coupes de Tocra pourraient donc constituer un lot en provenance directe de Laconie. Les autres vases à boire sont des types communs aux sanctuaires de Laconie et à Cyrène ; les lakainai sont cependant beaucoup moins nombreuses qu’à Cyrène.

104Les vases à verser constituent la deuxième catégorie de Tocra, alors qu’ils n’étaient que résiduels à Cyrène. Il s’agit uniquement des vases à vernis noir.

105On ne retrouve nulle part ailleurs en Méditerranée une telle concentration de vases à verser laconiens. Les principales formes sont l’oenochoé à bec trilobé et la cruche à col étroit qui sont les deux vases à verser les plus fréquemment utilisés dans l’habitat laconien. On relève également trois cruches à col rond (TOC088-090) dont aucun exemplaire n’a été retrouvé en dehors de la Laconie et de Tocra.

106Comme à Cyrène, les aryballes sont présents en moins grande quantité mais avec la même variété des groupes typologiques, groupes A, C, E, F et L. Comme à Cyrène, on retrouve des groupes peu exportés, les groupes F et L. Peu de cratères laconiens sont recensés (5 % des vases) par rapport à Cyrène où ils représentent la deuxième catégorie.

107Ceux de Tocra appartiennent aux groupes F (quatre exemplaires) et E (deux exemplaires) et s’apparentent alors à ceux des sanctuaires de Laconie et de Satyrion (Cf. p. 56, 83) où les grands vases à mélanger sont résiduels pour l’ensemble de la série. Toutefois il ne s’agit pas de cratères en cloche comme c’est le cas en Laconie ou à Satyrion.

108Par rapport au dépôt de Cyrène, où ils représentent la troisième catégorie de vases dédiés, les plats laconiens sont peu présents à Tocra, seulement deux exemplaires à décor secondaire et deux à vernis noir. Quelques objets laconiens ont également été mis au jour ; il s’agit d’objets personnels proches de ceux mis au jour dans les sanctuaires laconiens.

109Pour les offrandes en métal, on recense un miroir et des épingles en bronze. Le miroir est de type péloponnésien.

110La terminaison florale du manche peut faire penser à une origine laconienne, mais Corinthe ou Argos ont cependant également livré ce type de miroir (Tocra I, n^o 14 p. 159).

111Les épingles en bronze à disque (fig. 17) sont très proches de celles retrouvées au sanctuaire d’Artémis Orthia (Tocra I, n^o 15-17 p. 159).

112Leur offrande entre 620 et 590 correspond à celle des dernières épingles de bronze dédiées dans le sanctuaire d’Artémis Orthia (Cf. p. 57), cependant ce type d’épingles est assez fréquent et ne peut être attribué de façon certaine à la Laconie.

113On recense quelques objets d’ivoire : une fibule en forme de bélier du VII^e siècle, réemployée sur une fibule de bronze (Tocra II, F150 p. 80), et neuf fibules en double-hache (fig. 18). Ces types sont parallèles à ceux mis au jour au sanctuaire d’Artémis Orthia (Cf. p. 59-60) et pourraient dater des premières années de l’installation des colons à Tocra.

114Globalement les premiers vases laconiens de Tocra semblent plus anciens que ceux de Cyrène et datent de la in du VII^e siècle. La phase majeure d’importation se situe cependant, comme à Cyrène, dans le second quart du VI^e siècle (graph. 19) avec 43 exemplaires sur les 70 pris en compte pour l’étude. La chute des importations après 550 est beaucoup plus brutale, et aucun vase laconien de Tocra ne peut être daté d’après 525, alors qu’à Cyrène les importations continuent jusqu’au début du V^e siècle.

115Les vases les plus anciens sont une coupe du groupe C (TOC049) et les huit coupes à vernis noir du groupe Da. Les vases à boire demeurent les plus nombreux tout au long du siècle, comme à Cyrène. Dans la première moitié du VI^e siècle leurs formes et leur décor sont assez variés, avec une prédominance des coupes à tige à figures noires. Leur présence se concentre principalement dans le second quart du VI^e siècle (seize exemplaires), autour de 565-560 (Tocra I, p. 81), où l’on rencontre, comme à Cyrène, la plus grande diversité de formes. À ce moment seulement sont offerts les cratères (quatre exemplaires), tandis que les plats et les aryballes se trouvent en nombre moins grand et sur une période chronologique moins longue qu’à Cyrène.

116Au troisième quart du VI^e siècle, seuls demeurent les vases à boire et à verser, mais en nombre résiduel, alors qu’à Cyrène les offrandes laconiennes demeurent conséquentes jusqu’en 525.

117Une certaine antériorité du dépôt de Tocra peut en partie expliquer l’écart chronologique qui existe avec Cyrène, mais les formes montrent que les deux dépôts ne répondent visiblement pas aux mêmes logiques de distribution. Dans les deux sanctuaires, les formes de vases sont très variées et à peu près équivalentes, mais les proportions diffèrent. Dans les deux cas, les coupes et les vases à boire sont plus nombreux mais, dans le dépôt de Cyrène, les cratères représentent 18 % des vases laconiens, alors qu’à Tocra leur nombre est très réduit (4,9 % du dépôt total). Les types diffèrent également puisque les cratères de Tocra appartiennent majoritairement au groupe F et ceux de Cyrène majoritairement au groupe E. Pour les coupes, les groupes typologiques sont les mêmes à l’exception des coupes du groupe Da que l’on ne retrouve qu’à Tocra dans le premier quart du VI^e siècle.

118On remarque dans les deux sanctuaires la présence de formes peu diffusées autour du bassin méditerranéen comme la lakaina, les coupes du groupe C, les tasses cylindriques de Tocra ou le stamnos de Cyrène. Elles renvoient à la probable présence de Laconiens, familiers de ces formes, qui auraient pu les déposer au sanctuaire. Dans le cas de Cyrène, les lakainai canoniques ou noires, qui sont les plus courantes en Laconie, témoignent sans doute de l’arrivée de populations laconiennes lors de l’appel de Battos II pour peupler Cyrène vers 575. Les formes de vases à verser sont identiques dans les deux sanctuaires à l’exception des hydries de Cyrène. Nous avons, dans les deux cas, des types exceptionnels de vases à parfum, comme le type L, qui répondent aux logiques de distribution des vases laconiens pour une demande locale.

119C’est par le décor des vases que les deux dépôts sont le plus diffèrents. Au sanctuaire de Tocra, nous disposons d’une majorité de céramiques à vernis noir (46,3 %) alors qu’à Cyrène la même proportion se retrouve pour les vases décorés, à décor géométrique (46,8 %) ou à figures noires (41 %). L’indigence des céramiques laconiennes à vernis noir à Cyrène se retrouve également sur l’agora (Boardman 1994, p. 146) et serait alors une spécificité cyrénéenne. Cela indique également que cette distribution n’est pas liée à la périodisation de la production qui pourrait influencer la distribution.

120Toutefois, avant de pouvoir conclure sur la nature des relations qui unissent Tocra et la Laconie et sur les différences qui distinguent les deux dépôts, il convient d’examiner les autres séries présentes dans le sanctuaire en nombre beaucoup plus important que la série laconienne. Celle-ci arrive quantitativement en cinquième position avec 7 % du dépôt total à Tocra (Tocra II, p. 4), derrière les séries corinthienne (35 %), locale (22 %), attique (16 %) et rhodienne (15 %). Ceci contraste avec ce qui a été observé à Cyrène où les vases laconiens sont la première série après les deux grandes séries commerciales, la série attique et la série corinthienne. J. Boardman, lors de l’étude sur l’évolution chronologique globale du matériel du sanctuaire de Tocra (Boardman 1994, fig. 8.2, p. 145) constate que les importations laconiennes augmentent quand les exportations de Chios diminuent et que la croissance des séries importées est contemporaine de celle des importations attiques. Il demeure cependant que la majorité de la céramique laconienne a été déposée avant 560-550 ; la fourchette de 565-520 du tableau de J. Boardman n’est donc pas significative et ne peut permettre une comparaison entre les séries que nous devons alors reprendre.

121Pour la série corinthienne 726 vases ont été publiés dans les deux volumes des fouilles de Tocra (Tocra I, p. 21 et 40 et Tocra II, p. 6-15). Les formes les plus représentées sont les kotyles (169 exemplaires et 159 exemplaires miniatures), les aryballes (77 exemplaires), puis les pyxides (65 exemplaires et 46 couvercles) et les kothons (seize exemplaires et quatre exemplaires miniatures), les coupes (19 exemplaires) et les assiettes (18 exemplaires). Si on se réfère uniquement à la fonction des vases, la série corinthienne comprend à Tocra : 218 vases à parfum (77 aryballes, 67 pyxides et 55 couvercles de pyxides, treize amphoriskoi et six alabastres), 212 vases à boire (169 kotyles, 19 coupes, seize kothons, quatre kalathoi, trois bols et une tasse), 24 plats (18 assiettes et six phiales), neuf vases à verser (huit œnochoés et une olpè), quatre vases à stocker (trois amphores et une hydrie), trois cratères et 193 vases miniatures. La typologie des vases de la série corinthienne se rapproche de la série laconienne : l’importance des vases à boire est la même, il s’agit cependant de kotyles et non de coupes, et il y a peu de vases à mélanger.

122La plupart datent du Corinthien Moyen, soit entre 600 et 570 av. J.-C., où se situe la majorité des vases à parfum. Les importations laconiennes succèdent donc aux importations corinthiennes : les vases à boire laconiens et notamment les coupes à figures noires arrivent à Tocra après que les importations des vases à boire corinthiens ont commencé à décliner. On peut donc penser que les coupes laconiennes à figures noires s’adressent au même public que les coupes corinthiennes, et non à une population particulière.

123Pour la série attique, on compte 142 vases à figures noires et 95 à vernis noir (Tocra I, p. 97-110 et Tocra II, p. 41-51) dont 77 vases à boire (44 coupes, 25 kotyles, quatre kothons, deux skyphoi, un kalathos, un bol), 31 lekanés, quinze vases à parfum (treize amphoriskoi, deux lécythes), sept vases à verser (six cruches et une olpè), six vases à stocker (quatre amphores et deux hydries), un cratère et une assiette. Les formes présentes sont donc également similaires aux formes laconiennes. On note une préférence pour les vases à boire, mais l’absence de grands vases. Cependant les coupes attiques à figures noires du sanctuaire sont moins nombreuses et postérieures aux coupes laconiennes à figures noires. Une grande majorité des vases attiques, notamment les coupes, est datée entre 565 et 520, même si les plus anciens datent des environs de 580, et succèdent donc aux coupes laconiennes. La fin des importations laconiennes est probablement due à la concurrence des vases attiques.

124La série rhodienne, enfin, comprend 223 pièces publiées dans les deux volumes des fouilles de Tocra (Tocra I, p. 41-56 et Tocra II, p. 16-20). On compte 135 plats (103 plats, 19 coupes à fruits, sept assiettes, six olpès), 62 vases à boire (57 bols, deux tasses, deux kotyles et un kothon), seize œnochoés, onze amphores de table, cinq vases à parfum (quatre aryballes et un askos) et cinq cratères. La catégorie de vases la plus importante, les plats, est quasiment absente dans la série laconienne. Il n’existe aucun parallèle entre les formes laconiennes et rhodiennes à l’exception d’une œnochoé (Tocra I, n^o 594, pl. 30) qui semble être une imitation des œnochoés laconiennes. À l’exception de quelques exemplaires, tous ces vases datent du VI^e siècle (Tocra I, p. 41) et une majorité se situe entre 590 et 560 ; ils semblent diminuer ensuite. L’évolution des importations rhodiennes est donc parallèle aux importations laconiennes. J. Boardman voit dans cette croissance des importations rhodiennes un signe de l’arrivée de Rhodiens à la suite de l’appel de Battos II (Boardman 1994, p. 145 et Fig. 8.2). Les vases laconiens suivraient le même schéma et correspondraient alors à l’immigration laconienne contemporaine.

125Le parallèle avec la série rhodienne renvoie donc, comme le souligne J. Boardman à la vague d’immigration vers Cyrène en 575 et confirme l’arrivée de populations issues de Laconie qui ont gardé des contacts avec leur région d’origine. Ces contacts et la typologie des formes laconiennes montrent qu’il existe une voie commerciale directe entre la Laconie et la Cyrénaïque, comme le mentionne Thucydide (Thucydide IV, 53).

126Cependant, certains vases laconiens, les vases à parfum et les coupes à figures noires, répondent aux modes de distribution classiques de la céramique et s’insèrent chronologiquement entre la domination de Corinthe et celle d’Athènes, soit entre 575 et 550. L’étude des peintres laconiens présents à Tocra doit permettre de mieux cerner les réseaux commerciaux auxquels la cité appartient.

127Les dépôts de Tocra comprennent, en effet, un certain nombre de coupes à figures noires laconiennes qui ont pu parvenir jusqu’au sanctuaire par des voies commerciales actives après la fondation de la cité ; l’étude des différents peintres laconiens présents à Tocra permet de confirmer qu’elle appartient, pour les coupes à figures noires, à des réseaux commerciaux différents de ceux qui desservent Cyrène.

128Trois peintres laconiens seulement sont présents à Tocra : le Peintre de Naucratis, le Peintre des Cavaliers (cinq exemplaires) et le Peintre de la Chasse (un exemplaire). Toutes ces œuvres sont des coupes datées du second quart du VI^e siècle, plus précisément entre 575 et 565, à l’exception de la coupe du Peintre de la Chasse (TOC074) qui est datée entre 550 et 530.

129Tout d’abord, leur proportion à Tocra est différente de ce que l’on trouve à Cyrène. Même si les œuvres des Peintres de Naucratis et des Cavaliers sont représentées dans des quantités à peu près équivalentes à Cyrène et à Tocra, le Peintre de la Chasse et le Peintre des Boréades sont absents. Si la céramique laconienne a quasiment disparu de Tocra à l’époque où les vases du Peintre de la Chasse arrivent à Cyrène, entre 550 et 530, date de son unique coupe (TOC074), ce n’est pas les cas pour le Peintre des Boréades contemporain du Peintre de Naucratis et présent entre 575 et 550 à Cyrène et à Naucratis.

130Cette dichotomie entre les peintres laconiens présents à Cyrène et à Tocra montre une fois encore que les deux cités de Cyrénaïque ne se trouvent probablement pas sur les mêmes « routes commerciales ».

131Les coupes laconiennes de Tocra ont un décor beaucoup moins recherché que celles découvertes à Cyrène. Elles montrent surtout des compositions animales imaginaires ou végétales : pour le Peintre de Naucratis, des coqs (TOC019 et TOC067), des frises d’animaux et de sphinx (TOC056 et TOC072), un sphinx seul (TOC069) et une composition de lotus et de palmettes (TOC020), thèmes repris par le Peintre des Cavaliers (TOC062 et TOC070). La coupe du Peintre de la Chasse (TOC074) représente deux cômastes. Il s’agit de la seule représentation du monde du banquet à Tocra qui rappelle les coupes de Cyrène (Cf. p. 94). La pauvreté du décor des vases à figures noires de Tocra pourrait laisser penser qu’il s’agit d’une destination de fin de parcours, en provenance de Cyrène, et que seuls les vases de qualité moindre sont alors disponibles. Les quelques thèmes narratifs montrent cependant une autre réalité, et sans doute la relative indépendance de Tocra par rapport à Cyrène et aux réseaux commerciaux qui la desservent.

132Seules deux coupes, datées entre 570 et 560, comportent un sujet mythologique : une coupe du Peintre des Cavaliers représentant Zeus et l’aigle (TOC063- fig. 19) et une coupe du Peintre des Cavaliers figurant Héraklès et les Cercopes (TOC064). On peut ajouter une coupe du Peintre de Naucratis figurant un aigle tenant dans son bec un serpent (TOC071). Il est difficile de voir un rapport entre les épisodes figurés et le culte du sanctuaire. Les coupes ont dû être fabriquées pour une toute autre destination et redistribuées ensuite. C’est certainement le cas de la coupe TOC063 qui fait directement écho à une coupe contemporaine de Tarente (TAR079) décorée d’un motif semblable. Le dieu trônant sur un « autel » est cependant tourné vers la droite et le serpent est absent (Pipili 1987, p. 46). On retrouve l’aigle et le serpent sur la coupe TOC071. La parenté entre les vases de Tarente et de Tocra ne se limite donc pas aux formes.

133La coupe du Peintre des Cavaliers igurant Héraklès et les Cercopes (TOC064) est la seule représentation de ce travail d’Héraklès dans l’art laconien. On retrouve le mythe sur une coupe corinthienne (Carpenter 1997, p. 131), un brassard de bouclier d’Olympie, une métope de l’Héraion du Sélé en Italie et une métope du temple C de Sélinonte en Sicile (Pipili 1987, p. 10). Le mythe est absent de la partie orientale de la Méditerranée et relie à nouveau Tocra aux circuits occidentaux.

134Les vases à figures noires de Tocra soulignent donc encore l’indépendance de la cité par rapport à sa voisine Cyrène et la différence des réseaux de distribution des vases laconiens. Tocra s’insère dans des échanges occidentaux et c’est avec Tarente qu’apparaissent des liens étroits, tant pour les vases peu décorés que pour les coupes à vernis noir. Bien qu’il s’agisse de deux sanctuaires consacrés à la même déesse, les vases de Cyrène et de Tocra présentent des traits laconiens certains, mais montrent aussi que, pour une même région, entre deux cités d’ascendance commune, les réseaux d’échanges et les liens avec la métropole peuvent être différents. L’identité laconienne des deux cités tiendrait à la présence de Laconiens lors de la fondation ainsi qu’à une nouvelle vague d’immigration en provenance de Laconie vers 575. Dans les deux cas, la phase d’arrivée majeure de la céramique laconienne se situe dans le second quart du VI^e siècle. La céramique à figures noires fournit des dates plus précises autour de 560-530. L’antériorité des arrivées à Tocra est due à l’ancienneté du sanctuaire par rapport à celui de Cyrène dont les débuts datent des environs de 600. On constate en revanche une différence dans l’interruption des importations laconiennes : elles s’arrêtent dans le troisième quart du VI^e siècle à Tocra alors qu’elles continuent jusqu’au début du V^e siècle à Cyrène. Cette divergence tient au fait que les deux cités n’appartiennent probablement pas aux mêmes réseaux commerciaux.

135Si on se réfère à la typologie générale des vases laconiens établie pour les deux sanctuaires, le sanctuaire de Cyrène est proche des sanctuaires de Laconie avec un nombre important de lakainai et de plats qui appartiennent à une catégorie absente du sanctuaire de Tocra : les vases à décor géométrique ou à ornements secondaires. Ce parallèle avec les sanctuaires laconiens et la présence de vases « marqueurs culturels » est limité au second quart du VI^e siècle. Toutefois la céramique laconienne de Cyrène comprend des formes destinées à l’exportation et qui se retrouvent tout autour de la Méditerranée. Une certaine similarité existe aussi entre les dépôts de Tocra et ceux des sanctuaires laconiens, notamment une préférence pour les vases à verser par rapport aux vases à mélanger, la présence de formes de vases à boire à paroi haute et celle d’objets personnels ; cependant de nombreux vases renvoient plutôt à la typologie des formes mise au jour dans l’habitat laconien et qui n’ont pas été exportées (Cf. p. 68-69), comme les coupes Da et Ed, les kothons et les tasses, et cela dès les débuts du sanctuaire. C’est également le cas pour les formes à verser qui sont inhabituelles et appartiennent au répertoire des formes de l’habitat laconien. L’identité laconienne des dépôts de Tocra est donc beaucoup plus marquée que celle des vases de Cyrène.

136La typologie des vases de Tocra évoque beaucoup plus qu’ailleurs des apports directs de Laconie, alors que celle de Cyrène se rapproche plus de l’ensemble de la Méditerranée. La céramique laconienne de Cyrène qui n’est pas « culturellement marquée » semble accompagner les séries de la Grèce de l’Est et répondre aux mêmes attentes, notamment pour les coupes à figures noires, ce qui n’est pas le cas à Tocra. Outre les liens directs avec la Laconie, la typologie des vases de Tocra la relie également à l’aire laconienne de Tarente pour le premier quart du VI^e siècle (coupes C, coupes D, tasses cylindriques, cruche à col étroit). Des parallèles se retrouvent également dans l’iconographie des deux coupes similaires de Tarente et Tocra du Peintre de Naucratis représentant Zeus et l’aigle. Tous ces liens typologiques n’existent pas avec Cyrène pour la même période pour laquelle il faut envisager une présence d’individus laconiens à Tocra. Les vases laconiens de Tocra seraient donc ceux d’une population laconienne immigrée dès les premières années de la cité, dont les contacts avec la métropole et les usages se sont maintenus au moins dans la première moitié du VI^e siècle, ce qui ne semble pas être le cas à Cyrène. À Cyrène, les vases laconiens « culturellement marqués » mis au jour correspondraient à une immigration laconienne datant de trois générations après la fondation et qui apporte au sanctuaire les types alors produits en Laconie pour le culte : les plats et les lakainai.

137Après cette vague qui a pu renforcer les liens avec la Laconie, comme le montrent les différentes coupes à sujets cyrénéens de la série laconienne, les importations de céramiques se font cependant par les voies commerciales de Cyrène et donc en dehors de l’aire laconienne d’Occident et la part d’identité laconienne des offrandes de vases se perd.

Conclusion

138Les liens privilégiés que Sparte avait pu entretenir avec ses fondations primaires et secondaires sont apparus dès l’étude globale de la distribution de la céramique laconienne. Le matériel archéologique mis au jour dans le golfe de Tarente et en Cyrénaïque a permis d’en préciser la nature et l’évolution. Ces dernières ne sont toutefois pas les mêmes à Tarente et à Tocra d’un côté, et à Cyrène de l’autre.

139Tocra et Tarente sont en effet proches par la typologie de leurs vases laconiens et la chronologie de leurs importations. Il s’agit de vases personnels se retrouvant peu en dehors de la Laconie à la même période, le premier quart du VI^e siècle. Les liens entre Tocra et Tarente sont renforcés par les parallèles iconographiques ainsi que la présence de la coupe représentant la nymphe Cyrène à Tarente (TAR082). La typologie de leurs vases à boire renvoie en outre directement à la Laconie, et notamment à l’habitat, et montre l’existence de relations étroites entre les deux cités et leur région d’origine. Ces relations sont particulièrement fortes entre la fin du VII^e siècle et le début du VI^e et la mer ionienne a été le lieu d’échanges commerciaux entre les différents points d’attache laconiens et les autres interfaces maritimes grecs de la zone, comme la côte orientale de la Sicile. Ces échanges commerciaux ont été permis par les liens culturels étroits existant alors entre Sparte et ses colonies.

140Il semble que le lien entre Tarente, Tocra et Sparte tiendrait avant tout à la présence, dans ces cités, d’une communauté laconienne ou d’individus à l’ascendance laconienne supposée. À Tarente, leur existence est révélée par la typologies des vases, la particularité du mobilier et la localisation de certaines tombes, et par l’installation probable des ateliers du Peintre des Poissons et du Peintre d’Allard-Pierson dans le golfe de Tarente. Ce système de relations semble cependant connaître des difficultés aux environs de 575. Tarente voit en effet ses importations de céramique laconienne diminuer et Tocra connaît un changement dans la typologie des vases importés qui la rapproche alors de Cyrène.

141À Cyrène, les échanges avec la Laconie font partie de relations commerciales plus complexes qui tiennent en partie aux origines de la cité. Le matériel du sanctuaire de Cyrène ne datant pas de la première installation des colons, il est difficile de savoir si des Laconiens sont arrivés à Cyrène dès les débuts de la cité. Aucun parallèle n’existe cependant entre Cyrène et Sparte avant 575, en revanche la typologie des vases laconiens datant du second quart du VI^e siècle renvoie à celle des sanctuaires laconiens et laisse supposer que les populations immigrées de Laconie auraient alors apporté leurs vases vers 575 avant de se fondre dans la population de la cité. La seconde vague d’immigration n’a cependant pas entraîné un maintien des relations existant déjà entre Tocra et Tarente car la typologie des vases de Tocra se rapproche alors de celle de Cyrène. L’arrivée des vases laconiens à partir de 575, outre les immigrants, semble donc conditionnée par d’autres acteurs. Les relations de la Laconie avec l’ensemble du bassin méditerranéen ne seraient alors plus de même nature qu’auparavant où elles étaient avant tout tournées vers Tarente et les cités de sa filiation. Ces nouveaux réseaux d’échanges et leurs acteurs doivent ressortir de l’étude du matériel laconien des autres régions et cités de Méditérranée dont l’histoire n’est pas liée directement à celle des fondations laconiennes.