Les Laconiens et la Méditerranée à l’époque archaïque
|Introduction
Texte intégral
- 1 AO, p. 52. J. P. Droop cite M. Pottier dans A. Dumont et J. Chaplain, Les céramiques de la Grèce pr (...)
- 2 Les datations stratigraphiques du sanctuaire ont cependant été révisées par J. Boardman (Boardman (...)
1En 1999 est sortie l’édition française de l’ouvrage d’Irad Malkin, La Méditerranée spartiate, qui analysait la façon dont les Grecs percevaient leur territoire à travers l’exemple de Sparte et de ses fondations. L’auteur a montré que la Laconie avait des points d’attache dans toute la Méditerranée, plus particulièrement en Méditerranée occidentale, dont on retrouve des traces dans les sources littéraires de l’époque classique. La question des sources archéologiques n’était pas abordée ; pourtant la céramique laconienne était assez répandue dans l’ensemble du bassin méditerranéen. Parallèlement, un intérêt croissant pour la série laconienne et les problèmatiques qui l’accompagnent a permis de reprendre les études initiées par les Britanniques avant la seconde guerre mondiale. C’est grâce aux fouilles de l’École britannique à Sparte, au début du XXe siècle que les vases, jusque là considérés comme cyrénéens, ont été attribués à la Laconie1. J. P. Droop donna alors la première approche globale de la série lors de la publication des fouilles du sanctuaire d’Artémis Orthia (AO, p. 52-115). Il établit un premier classement chronologique2, référença les principales formes et compara les découvertes faites au sanctuaire d’Artémis Orthia avec celle des différents sites fouillés en Laconie, notamment les sanctuaires de l’acropole et d’Amyclées. C’est cependant à E. A. Lane (Lane 1933) que nous devons la première typologie des formes et du décor des vases laconiens. E. A. Lane définit différents styles, du Géométrique au Laconien IV, qui allaient du VIIIe siècle jusque vers 520, en reliant toujours le décor à la forme et l’évolution des styles laconiens aux ateliers extérieurs, en particulier Corinthe. Il identifia pour le Laconien III (580-540), quatre peintres laconiens : le Peintre de Naucratis, le Peintre d’Arkésilas, le Peintre de la Chasse et le Peintre de Pégase, qui s’avéra, en fait, appartenir également à l’atelier du Peintre de Naucratis. Il fut aussi le premier à faire un bilan des exportations laconiennes dans l’ensemble du bassin méditerranéen et à les comparer aux textes, pour ce qui concernait les relations entre Sparte et Samos. Pour finir, il mentionna des imitations de la série laconienne dans l’ensemble du bassin méditerranéen. E. A. Lane mit donc une fin définitive à « l’hérésie cyrénéenne » (Lane 1933, p. 182-185).
2Cet article a toutefois longtemps été le seul article de synthèse, si l’on excepte celui de B. B. Shefton sur les découvertes de Samos (Shefton 1954) et celui de P. Pelagatti sur les vases du musée de Tarente (Pelagatti 1956). Depuis, les ouvrages de C. M. Stibbe ont permis de dresser un portrait complet de la production laconienne et ont montré l’importance de la série dans les productions de la Grèce archaïque. Cet auteur a recensé en 1972 (LV) 360 vases laconiens à figures noires et précisé les différents ateliers. Nous lui devons également une typologie très précise de toutes les formes laconiennes à vernis noir ou à décor secondaire, publiée dans trois ouvrages successifs : le premier sur les cratères (LMB), le second sur les vases à boire et les formes ouvertes (LBPII), et, le troisième sur les formes closes (LBPIII). Le dernier ouvrage de C. M. Stibbe est paru en 2004 (LVS) et complète le corpus établi en 1972 pour les peintres laconiens. De nouveaux vases et de nouveaux peintres ont été identifiés mettant une fois de plus en évidence la richesse de la production laconienne. Quant à la distribution, P. Pelagatti a recensé en 1989 l’ensemble des vases laconiens connus pour la Sicile (Pelagatti 1989) en tenant compte en priorité de la forme et du contexte : les premières cartes de répartition de la céramique laconienne étaient alors dressées. Dans ce même article, elle identifiait pour la première fois les amphores de transport laconiennes et montrait donc ainsi que la Laconie avait été une région commerçante puisqu’elle produisait des vases pour le transport de denrées périssables. De nombreuses autres publications, comme celle de F. Boitani sur Gravisca (Boitani 1990), de D. Williams pour Égine (Williams 1993) ou encore de M. Pipili pour l’Artémision de Samos (Pipili 2001), sont venues augmenter depuis le corpus des vases laconiens recensés et ont modifié considérablement la vision que l’on avait de Sparte au VIe siècle. La Laconie avait eu une production céramique importante, bien que les quantités soient très inférieures à celles des deux grandes séries, corinthienne et attique, et l’avait alors exportée vers l’ensemble du monde grec ainsi que chez d’autres peuples de la Méditerranée comme les Étrusques ou les indigènes de Sicile. De cela découlait la remise en cause de l’austérité spartiate et de l’isolement de la Laconie, problème que C. Rolley avait déjà posé dans un article de 1977 (Rolley 1977). La date de la mise en place de la société spartiate, telle qu’elle était connue par les sources athéniennes de l’époque classique, a été alors reconsidérée entre autre par M. Nafissi (Nafissi 1991), S. Hodkinson (Hodkinson 1998) ou A. Powell (Powell 1998).
3La question des agents de la distribution de la céramique laconienne en Méditerranée, de ses modes de production et des liens que pouvait entretenir la Laconie avec le reste du bassin méditerranéen n’a cependant pas été encore étudiée de manière approfondie. Les marchands samiens étaient, jusqu’à présent, considérés comme les principaux convoyeurs des vases laconiens en Occident (Cartledge 1982 et Nafissi dans LMB, p. 68-88), même si d’autres acteurs ont été pressentis, notamment par C. M. Stibbe (Stibbe 1984, p. 7-9) et M. Pipili (Pipili 2001, p. 99). Le mémoire de doctorat soutenu en 2005 à l’Université de Paris I se proposait d’essayer de comprendre quelle place la Laconie occupait en Méditerranée à l’époque archaïque et plus particulièrement au VIe siècle, à travers l’étude approfondie du matériel aujourd’hui à notre disposition. La principale perspective de ces recherches a été de tenter de définir les agents de la distribution et de la production des vases laconiens ; si ceux-ci ont accompagné d’autres types d’échanges, ou en ont résulté, et de savoir si ces données ont été constantes au cours de la période archaïque. À partir d’une meilleure évaluation des modes de distribution, nous pouvons arriver à comprendre quelles relations la Laconie entretenait avec le reste du bassin méditerranéen et également reconsidérer la question de la mise en place de la société spartiate de l’époque classique.
4Les catalogues et les publications de vases laconiens connus ont permis de construire une base de données et ainsi de procéder à une étude quantitative et distributive. Presque 3800 vases ont été retenus pour l’étude, ce nombre est suffisamment important pour réaliser une étude statistique et dessiner des tendances générales. D’autre part, si pour les grandes séries céramiques, comme la série corinthienne ou la série attique, la distribution se confond avec la carte des sites fouillés en Méditerranée, ce n’est pas le cas pour la série laconienne qui est souvent absente ou peu présente. Un nombre important de vases laconiens dans un site donné, ou leur absence, peut donc fournir une information sur la nature de ses relations avec la Laconie, que celles-ci soient directes ou indirectes.
5Les limites chronologiques de l’étude ont été définies par la série elle-même et plus spécifiquement par la chronologie des exportations de céramique laconienne. Si la production céramique existe en Laconie depuis le VIIIe siècle (Margreiter 1988) et continue au Ve siècle (Mc Phee 1986), elle n’est cependant exportée que depuis la fin du VIIe siècle jusqu’au début du Ve siècle. L’étude porte donc surtout sur cette tranche chronologique, qui correspond également à l’apogée de la production.
6Différents critères ont été retenus pour mettre en place la base de données préalable à l’étude. Dans un premier temps, les vases ont été regroupés selon les fonctions premières qu’ils étaient susceptibles de remplir. Au sein des différentes catégories fonctionnelles, la forme et la typologie ont fait l’objet d’une attention particulière et ont guidé la mise en place des outils de travail comme les cartes de répartition ou les études statistiques. Le vase, quand cela était possible, a été rattaché à un des groupes typologiques définis par C. M. Stibbe (LMB, LBPII, LBPIII) ; nous renvoyons alors aux tableaux donnés en annexe (Annexe 1). Du point de vue du nombre, la première catégorie est celle des vases à boire. Elle comprend dans l’ordre alphabétique : les bols, les calices, les canthares, les coupes, les kalathoi, les kothons, les lakainai, les skyphoi, les tasses, à une ou deux anses, et les verres. La seconde, celle des vases à mélanger, comprend toutes les formes qui, au cours du banquet, ont pour fonction de servir à mélanger le vin et l’eau : les cratères, les cratères en cloche, les dinoi et les stamnoi. Les cratériskoi ont été ajoutés à cette catégorie pour se conformer au classement établi par C. M. Stibbe (LMB), cependant ils ne peuvent, en raison de leur taille, être assimilés aux grands vases à mélanger sauf s’ils ont représenté des simulacres de cratères. La troisième catégorie est celle des vases qui appartiennent à l’univers de la toilette et qui ont certainement contenu des huiles, des pâtes ou des onguents parfumés. Elle comprend : les aryballes, les lécythes, les lydia et les pyxides. La quatrième catégorie, celle des vases à verser, comprend les cruches à col étroit, les cruches à col rond, les oenochoés, les olpès et les « pichets ». La cinquième est celle des plats dont les différents groupes sont définis par la taille de la pièce : assiettes, phiales, plats. La sixième catégorie regroupe les vases qui ont servi à la présentation, au transport ou au stockage des denrées principalement dans le cadre domestique : les amphores de table, les hydries et les pithoi. La septième et dernière catégorie est celle des amphores de transport. À ces différents groupes s’ajoutent des formes exceptionnelles comme les prochoés ou les supports de grands vases. Le décor des vases a été intégré à l’ensemble et, dans le cas des vases à figures noires, nous avons mentionné l’atelier auxquels ils étaient rattachés. Dans un second temps, une attention particulière a été portée aux contextes de découvertes. Cinq types ont été retenus : habitat, nécropole, sanctuaire, épave et port, au sein de deux grands ensembles, le monde grec et le reste du bassin méditerranéen.
7La seconde étape a consisté à étudier les données quantitatives fournies par la base de données, puis les données distributives. Tous les graphiques et cartes ont été réalisés en tenant compte exclusivement de la forme des vases et des différents groupes typologiques définis par C. M. Stibbe, sans se soucier des données littéraires connues sur les déplacements de Laconiens comme la fondation de Tarente. Des observations qui en ont découlé sont ressorties des régions particulières et des dates charnières dans l’évolution de la distribution et de la production sur lesquelles nous avons axé les autres temps de la recherche. L’étude des formes a été complétée par celle de la répartition des peintres des vases à figures noires laconiens et des formes produites par leurs ateliers. Ensuite, un recensement du matériel laconien des épaves archaïques a été effectué pour préciser les modalités de transport ainsi qu’un catalogue et une étude de la distribution des vases de bronze laconiens pour pouvoir la comparer avec la céramique ; ce type de matériel a en effet des modes de distribution différents mais sa fonction première théorique est parallèle à celle des vases céramiques. Ce n’est qu’à partir des premières observations générales sur la distribution que s’est opéré le choix des régions ou sites à étudier de manière plus approfondie.
8Auparavant, l’étude a porté sur les découvertes effectuées pour l’époque archaïque en Laconie même ; ceci afin d’établir une base de comparaison avec les autres régions et sites choisis. Il s’agissait de mettre en évidence des typologies de référence pour les différents contextes retenus, et des dates clés qui pouvaient être comparées à celles établies pour l’ensemble du bassin méditerranéen. Dans un troisième temps, il a fallu prendre en compte les renseignements fournis par les sources littéraires et notamment les récits de la ktisis de Tarente et de Cyrène. Ces deux cités sont les seules pour lesquelles nous ayons une mention de la participation de Sparte à leur fondation, même si ultérieurement d’autres se réclament de la cité laconienne (Malkin 1993). Leur matériel est comparé avec celui de Laconie afin de voir si les relations étroites entre la métropole et ses fondations se sont maintenues et si ces dernières ont joué un rôle dans la distribution des vases de la métropole.
9Ensuite, nous avons pris en compte le reste du monde grec pour tenter de définir les relations entre la Laconie et d’autres cités du bassin méditerranéen en dehors de tout lien de filiation. Nous avons tout d’abord procédé à une étude générale de la répartition par contexte afin de voir si l’utilisation des vases laconiens en dehors de leur région d’origine diffère de ce qui a été observé en Laconie. Il est alors possible de voir s’il existe une évolution des typologies par contexte et un changement de l’utilisation des vases laconiens au cours du VIe siècle. Différents sites ont été sélectionnés pour les trois contextes retenus, habitat, nécropole et sanctuaire, toujours en fonction des observations faites sur la répartition. Pour chaque contexte, une étude globale de la céramique laconienne précède l’étude détaillée par site. Pour chaque site, les découvertes laconiennes sont comparées avec les dépôts de Laconie afin de repérer d’éventuelles concordances dans la typologie et la chronologie. Les vases sont ensuite réintégrés dans le corpus général pour permettre une comparaison avec la distribution et aider à dégager les différents acteurs de l’échange. L’étude à l’échelle du site rend également possible une mise en perspective avec les autres séries céramiques, notamment les séries corinthienne, attique et de la Grèce de l’Est, pour établir, si elle existe, la spécificité des formes de la série laconienne. Enfin, la publication complète de certains sites ouvre à d’autres catégories de l’art laconien comme les bronzes ou les ivoires. Au final, un bilan des liens de la Laconie avec certaines cités et l’image de la société laconienne dans l’ensemble du monde grec a pu être dressé. L’étude finale du matériel des emporia et des régions aux marges du monde grec précise les observations faites pour les cités grecques sur l’utilisation des vases laconiens, la chronologie de leur distribution et l’image et le statut de la série laconienne chez les princes étrusques ou indigènes.
Notes
1 AO, p. 52. J. P. Droop cite M. Pottier dans A. Dumont et J. Chaplain, Les céramiques de la Grèce propre, I, Paris, 1881, p. 294 : « Jusqu’à présent rien n’autorise à croire que Sparte ait jamais eu une céramique originale de cette importance. La question (de l’origine des vases dits Cyrénéens) ne sera définitivement tranchée que si l’on trouve plus tard dans un de ces pays (Sparte, la Crète, Cyrène) une quantité notable de poteries à fond blanc ». Les vases laconiens sont encore désignés comme cyrénéens dans la publication des fouilles des nécropoles de Samos en 1898 (Boehlau 1898, p. 125-132).
2 Les datations stratigraphiques du sanctuaire ont cependant été révisées par J. Boardman (Boardman 1966).
© Publications du Centre Jean Bérard, 2009