1Il ne saurait être question, dans une intervention nécessairement brève, de dresser un panorama complet de la céramique attique du IV^e s. découverte à ce jour en Cyrénaïque, et il serait d’ailleurs difficile d’être exact et relativement complet, même sans chercher l’exhaustivité, car beaucoup d’éléments d’information manquent encore : d’assez nombreuses pièces conservées à Cyrène, à Tocra, à Benghazi sont inconnues et actuellement inaccessibles étant donné que les musées de ces trois villes sont fermés depuis plusieurs années et que le matériel est en caisse. Pour les vases trouvés en Cyrénaïque et acquis, aux XVIII^e-XIX^e siècles, par des musées étrangers, notamment européens, les informations ne sont pas toujours sûres et elles sont en tout cas incomplètes, de sorte qu’il est très probable que le nombre des vases venus de Cyrénaïque est plus important que ce que l’on peut croire en se fondant uniquement sur les provenances assurées. Bref, il serait certainement fallacieux, en l’état actuel des choses, de prétendre donner un aperçu à peu près exact des importations réelles de céramique attique en Cyrénaïque au IV^e s. Mieux vaut donc s’attacher à ce qui est sûr et évoquer, en fournissant à l’occasion des précisions complémentaires à leur sujet, quelques pièces particulièrement intéressantes, comme les amphores panathénaïques, ou mentionner des trouvailles récentes encore totalement ou en partie inédites, comme un ensemble de petits vases à vernis noir découverts en 1976-1977 à Apollonia.

2Si l’on veut avoir une idée des vases attiques à figures rouges à coup sûr trouvés en Cyrénaïque, mais maintenant conservés dans les musées situés hors de Libye, notamment en France, au Louvre et au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque Nationale, et en Angleterre, au British Museum, on pourra se reporter à la liste dressée en 1987 par André Laronde (Laronde 1987, 141-142) : en se fondant sur l’index des provenances fourni par Beazley, celui-ci recense quarante-huit pièces datables du IV^e s. et principalement- pour ne pas dire exclusivement - de la première moitié ou du milieu de ce siècle (Beazley 1963, 1709 : Benghazi, et 1711 : Cyrenaica et Cyrene). Ce nombre est sans aucun doute inférieur à la réalité, puisqu’il ne prend pas en compte les vases qui n’ont pas été attribués par Beazley et qui sont pourtant répertoriés comme provenant de Cyrénaïque dans les archives des musées, sans parler des pièces dont l’origine n’a pas été enregistrée ; il a cependant une valeur indicative, surtout si l’on précise qu’il représente plus des deux tiers des vases attiques à figures rouges officiellement catalogués comme trouvés en Cyrénaïque (Laronde 1987, 142).

3Les vases attiques à figures rouges du IV^e s. provenant de Cyrénaïque et conservés dans des musées européens sont souvent encore inédits. Comme il s’agit de pièces en général médiocres, ils n’ont guère intéressé les céramologues, et ce n’est que peu à peu, dans des fascicules futurs du Corpus Vasorum Antiquorum, qu’ils ont des chances d’être décrits et illustrés. Quant aux vases restés en Libye, la plupart sont encore inédits, même si certains exemplaires de Cyrène et d’Apollonia sont en cours de publication1

4Les fragments trouvés au sanctuaire de Déméter, à Cyrène, devraient être publiés d’ici peu, mais la céramique attique du IV^e s. semble plus rare que celle des siècles précédents2. Le cas des amphores panathénaïques est plus net, car il s’agit de vases qui ont frappé leurs inventeurs dès le XVIII^e s. et qui ont suscité l’intérêt des chercheurs depuis de nombreuses années. Un inventaire des exemplaires de cette catégorie d’amphores trouvés en Cyrénaïque a été établi par M. Luni, qui les classe selon le site de leur découverte (Luni 1976, 259-264), puis par A. Laronde, qui les présente dans un ordre à peu près chronologique (Laronde 1987, 143-145) ; vingt amphores (n° 9-28 de sa liste) datent à coup sûr du IV^e s. Leur nombre est porté à vingt-deux par M. Bentz (Bentz 1998, 167-198). Il n’est pas question de revenir ici sur toutes ces amphores. Je me contenterai de commenter et d’illustrer l’une d’entre elles, la plus étonnante sans doute, qui est brièvement signalée par M. Luni, A. Laronde, P. Valavanis et M. Bentz (Luni 1976, 262 n° 2 et fig. 28 ; Laronde 1987, 145 n° 31 ; Valavanis 1991, 230-231 ; Bentz 1998, 170 n° 4.028).

Amphore panathénaïque de Beida, de l’archontat de Chariclès.

5L’amphore, fragmentaire, a été trouvée à Balagrai, près du sanctuaire d’Asclépios, dans la chôra de Cyrène, et, après être longtemps restée dans les réserves du musée de Cyrène (où j’ai pu l’étudier et la photographier grâce à l’obligeance de M. Hadj Breyek Attiyah, alors contrôleur des Antiquités de Cyrénaïque3, elle est actuellement conservée et exposée au petit musée de Beida, à côté du site de l’Asclépieion de Balagrai. Sur la face Β (fig. 2), on reconnaît une scène de lutte : deux athlètes imberbes s’affrontent, sous l’œil d’un autre jeune homme qui tient une palme ; le haut du corps des trois personnages est plus ou moins bien conservé (fig. 2), de même que les jambes de l’un des deux lutteurs4. La face A, plus complète (fig. 1), montre l’habituelle Athéna Promachos, en mouvement vers la gauche, entre deux colonnes surmontées chacune d’une statue d’Athéna debout, immobile, casquée, vêtue du péplos et tenant un rameau d’olivier ou, plus probablement, un aphlaston5 (fig. 4). La déesse, sur l’image centrale, porte une égide bien dessinée et un bouclier dont l’épisème se compose d’une couronne entourant un motif géométrique, le tout en rehauts blancs (fig. 3). Chaque colonne est bordée d’une inscription peinte : à gauche, on lit clairement la formule attendue : TON ΑΘΕΝΕΘΕΝ ΑΘΛΟΝ (fig. 5), écrite uniquement avec des voyelles brèves, et, à droite, non moins clairement, l’indication du nom de l’archonte éponyme : ΕΠΙ ΧΑΡΙΚΛΕΟΣ ΑΡΧΟΝΤΟΣ (fig. 6).

6Cette dernière inscription est singulière, car on ne connaît pas à ce jour d’autre amphore panathénaïque portant le nom de cet archonte, par ailleurs absent des listes de magistrats éponymes athéniens du IV^e s., à ma connaissance. Certains commentateurs, qui n’avaient pas vu le vase, ont mis en doute la présence de ce nom (Valavanis 1991, 230 n. 512 ; Laronde 1987, 145 n° 31) et ont suggéré une erreur de lecture (ou d’impression typographique) pour Charicleidès, archonte bien attesté et bien daté (363/2). En fait, il n’en est rien, et l’archonte nommé est bien ici Chariclès, à moins d’imaginer une faute due au peintre lui-même, en une sorte d’haplographie qui aurait échappé aux contrôleurs de cette catégorie de vases officiels de la cité. S’il a donc bel et bien existé un archonte Chariclès, comme le montre d’une façon qui me paraît irréfutable l’amphore de Beida, il faut peut-être supposer qu’il est mort en charge ou qu’il a été destitué, pour des motifs qui nous échappent, peu de temps après le début de sa magistrature, et que c’est pour cette raison qu’il était jusqu’à ce jour inconnu.

7La date de l’amphore est à coup sûr comprise entre environ 390 et 360, puisque d’une part il y a indication d’un nom d’archonte et que, d’autre part, l’Athéna Promachos est encore tournée vers la gauche6, la graphie des deux inscriptions confirmant tout à fait une date relativement haute dans le IV^e s. La date précise est moins facile à déterminer mais, d’après la figure de l’Athéna à l’aphlaston perchée sur les colonnes qui entourent l’Athéna Promachos, on peut penser aux années 370-363 comme pour le fragment d’Eleusis inv. 2669 publié par N. Eschbach (Eschbach 1986, 36-38, cat. 24). Il est en tout cas sûr que cette amphore fait partie des exemplaires de vases attiques du IV^e s. trouvés en Cyrénaïque.

8En ce qui concerne les vases attiques à vernis noir du IV^e s., il en est peu qui soient à ce jour publiés, aussi bien à Tocra (Boardman/Hayes 1973, 92-94 et pl. 42) qu’à Cyrène, au sanctuaire de Déméter (Kenrick 1987, 2-3 et fig. 1, n° 4-9 : six fragments), mais il est probable qu’on en a trouvé jadis à Cyrène, sans y prêter grande attention, sauf d’une façon exceptionnelle7 ou lorsque d’aventure ils étaient porteurs d’un graffito. À Apollonia, la mission française que dirigeait P. Montet dans les années 50 avait mis au jour quelques petits vases attiques à vernis noir du IV^e s. ainsi qu’un gros fragment de grand cratère en calice à décor végétal surpeint du milieu de ce siècle ; ces quelques pièces sont encore inédites8.

9Un sondage en profondeur mené en 1976 et 1977 par la mission archéologique française d’Apollonia, que dirigeait alors François Chamoux, sous les thermes romains de la ville situés en bordure de la mer, près du port, a permis de récupérer plusieurs centaines de petits vases à vernis noir, presque tous fragmentaires ou réduits à l’état de fragments. Il s’agit surtout de petits bols, à décor intérieur estampé (palmettes et guillochis), dont le diamètre est en général compris entre 12 et 15 cm (fig. 7 et 8), mais aussi de skyphoi cantharoïdes, de Boisais, de godets, de pyxides et de quelques vases fermés (askos, guttus, oinochoés)9. Tous ces petits vases, trouvés au fond d’un sondage très limité, à proximité de l’angle d’un bâtiment qui n’a malheureusement pas pu être dégagé jusqu’à présent, faisaient peut-être partie d’un matériel votif déposé dans quelque petit sanctuaire. L’ensemble, assez homogène, semble dater du milieu et du troisième quart du IV^e s.

10Une question pourrait être posée : ces vases sont-ils bien attiques ? Ne s’agirait-il pas d’imitations locales ? La texture de l’argile et sa couleur, ainsi que la qualité du vernis, permettent de répondre que la totalité des pièces avait été importée, essentiellement d’Athènes, peut-être aussi de Corinthe dans certains cas. Cette trouvaille ne saurait longtemps rester isolée. Il est probable que de nombreuses cargaisons de céramique attique à vernis noir avaient atteint le port de Cyrène et avaient été diffusées dans toute la Cyrénaïque.

11En somme, cette province grecque de l’Orient méditerranéen avait reçu au IV^e s. une quantité assez importante de céramique attique, moins sans doute que les régions situées au nord de la Mer Noire, mais autant que d’autres secteurs du pourtour de la Méditerranée occidentale, qui était au centre du présent colloque.