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Céramiques communes gallo-romaines en Languedoc occidental : exemples de production et de consommation (fin Ier s. av. notre ère-IIe s. de notre ère)
p. 361-387
Texte intégral
1En Languedoc occidental la céramique commune d’époque romaine reste très mal connue. Cela peut paraître naturel, car il s’agit d’une région où les recherches se sont pendant longtemps focalisées sur l’occupation protohistorique des sites et, comme ailleurs, l’étude de cette céramique a pâti d’une image dévalorisée par rapport aux autres catégories. Les difficultés d’approche d’un matériel surabondant en ont détourné plus d’un avant l’introduction, en définitive très récente, des méthodes d’étude quantitative. Cette situation est cependant paradoxale, si l’on considère qu’ayant connu l’implantation de la colonie romaine la plus ancienne de Gaule, cette région pouvait théoriquement apparaître comme une zone clé pour l’étude de la romanisation.
2Les recherches ont surtout porté sur la production. Les prospections ont révélé de nombreux ateliers, dont plusieurs ont été fouillés dans le cadre de programmes d’études à long terme (Sallèles d’Aude, Bram). D’autres ont fait l’objet d’observations visant à caractériser une catégorie de vaisselle et à préciser sa chronologie et sa diffusion. C’est le cas du groupe d’ateliers ayant produit la céramique “Biterroise orangée brune” (B.O.B.). Ces travaux ont abouti à une série de publications au cours des dix dernières années (Laubenheimer 1985, 1990 ; Pellecuer 1991) et sont sur le point d’en produire de nouvelles1. En ce qui concerne la consommation, le déséquilibre est total. Dans les publications où elle est représentée, la céramique commune figure à côté des catégories à valeur chronologique (Sabrié 1987, Toulze 1984) ou parmi le mobilier funéraire (Briol/Passelac 1990). Sauf exception (Olive 1989) elle ne fait pas l’objet, dans les fouilles d’habitat, en tant que catégorie à part entière, ni de la présentation quantitative, ni de l’analyse technique, morphologique et fonctionnelle qui en dégagerait la signification culturelle. Ainsi, à ce jour, nous ne trouvons pas dans les publications les données qui permettraient de caractériser les faciès successifs de la céramique commune du Languedoc occidental méditerranéen.
3Nous nous proposons de présenter ici quelques aspects de la production de céramique commune en Languedoc occidental au Haut-Empire, en les confrontant à quelques exemples de vaisseliers.
1. La production, origine et évolution
1.1. Les premières installations
4Les imitations de formes italiques par des potiers languedociens sont connues dans la première moitié du Ier siècle avant notre ère. Ainsi, celles observées dans les ateliers de La Lagaste, près de Limoux (Rancoule 1970) constituent une première étape de la romanisation de la céramique locale. Ce phénomène reste cependant très limité, car il concerne seulement, dans un premier temps, l’emprunt des formes les plus courantes de la céramique importée. En fait, dans l’aire ici considérée, aucun atelier qui aurait produit des céramiques communes présentant des caractéristiques de forme et de technique italiques antérieurement au milieu du Ier s. n’est connu à ce jour. La méconnaissance des niveaux anciens de l’agglomération narbonnaise nous prive sans doute de données essentielles dans ce domaine des origines de la céramique gallo-romaine. L’analyse d’ensembles de la fin du IIe s. et de la première moitié du Ier s. avant notre ère permettrait certainement de mesurer l’impact des premiers établissements coloniaux sur le vaisselier local dont la référence pourra être prise à Montlaurès.
1.1.1. Narbonne et le Narbonnais
5A Narbonne même les premières traces de production ne remontent pas, dans l’état actuel de la documentation, bien au delà de l’époque augustéenne. Les dépotoirs urbains du quartier de Razimbaud ont livré des déchets d’activités artisanales attestant, à côté d’une production métallurgique, la fabrication de céramiques de catégories diverses : présigillée sud gauloise, commune, et plus tard, sans doute très ponctuellement, sigillée (Gayraud 1981, 489 ; Passelac/Sabrié 1986). Ces indices peuvent paraître pour l’instant assez modestes, mais il est permis de supposer que l’importance des besoins de la colonie a suscité, malgré l’arrivée des importations d’Italie et de l’Ampurdan, une forte production, soit locale, soit située dans la périphérie immédiate de Narbonne. L’atelier de l’Oustalet, situé sur la commune de Fleury à l’embouchure de l’Aude, à peu près à égale distance entre Béziers et Narbonne, est une de ces installations précoces du littoral languedocien. Installé à proximité immédiate de la villa de la Boède, il a connu une production de matériaux de construction (tuiles, canalisations, tomettes) de céramiques à vernis noir et à vernis rouge reproduisant le répertoire arétin archaïque, et de céramiques communes (Passelac 1992, 212-213).
6Dans la partie orientale des Corbières, la période augustéenne voit également la création d’ateliers dont l’activité la plus évidente est la production de tuiles. La présence de ratés de cuisson de céramique commune sur la plupart d’entre eux démontre cependant leur caractère polyvalent. Leurs types de productions paraissent entièrement liées au développement de l’habitat rural du Narbonnais, mais peut-être alimentaient-ils aussi le chef-lieu de cité. C’est sans doute le cas de l’atelier des Vignals à Boutenac (Aude) d’où sortent notamment des antéfixes et des terres cuites architecturales à décor moulé (Sabrié 1992, 87). Le four dégagé, de plan circulaire, à murets transversaux et un couloir central est du type Id (Cuomo di Caprio 1971, 406). La présence de tegulae marquées a permis de circonscrire l’aire de diffusion, qui reste très micro-régionale, en tout cas pour ce qui concerne ces dernières (Fédière 1992, 92). Le site voisin du Jonquas à Lucsur-Orbieu a également produit de la céramique commune en même temps que des tuiles, des tomettes, de la présigillée sud gauloise (Passelac 1992, 213). Parmi ces ateliers précoces du Narbonnais, on remarquera l’importante fabrique de Villerouge-la-Crémade qui a produit de la céramique commune à côté de tuiles estampillées2.
7C’est à cette période que commence, semble-t-il, l’activité de l’atelier de Sallèles d’Aude, avec l’installation d’un petit bâtiment et d’un four dont l’architecture et les productions ne sont malheureusement pas connues (Laubenheimer 1990, 64).
1.1.2. Ateliers des environs de Carcassonne
8A la même époque des ateliers s’établissent à proximité de l’agglomération carcassonnaise qui fait l’objet au début de la période augustéenne, et peut-être même plus tôt, d’un vaste programme de construction “à la romaine”, étroitement lié à la création de la cité de droit latin. L’atelier de Quarantus, commune de Palaja, à 5 km au sud de Carcassonne, fait sans doute partie de ceux qui ont alimenté ce chantier, comme celui des fermes qui s’établissent à la même époque, ou se rénovent avec des toitures couvertes pour la première fois de tuiles. Ici également, les productions de céramique commune et de tuiles sont associées et conduites dans un très grand four de type Id, d’un diamètre de 5,4 m, un des plus vastes et des plus anciens, avec celui de Boutenac, connus en Narbonnaise3.
9Cependant, sur les sites qui ont connu une activité céramique plus ancienne, les potiers poursuivent leur fabrication en conservant les techniques traditionnelles. Ainsi à La Lagaste, oppidum situé dans la vallée de l’Aude à 15 km seulement en retrait de l’axe principal qu’est la voie d’Aquitaine, les fours les plus tardifs cuisent, à l’époque augustéenne, uniquement en atmosphère réductrice (Rancoule 1970, 44).
1.1.3. Ateliers de Bram et du Lauragais
10La création d’ateliers à la périphérie du vicus Eburomagus participe de ce déploiement. Trois sites de production sont actuellement connus à la périphérie de l’agglomération, un quatrième près d’une villa voisine, à Villarzens (Passelac 1992, 21) Deux de ces sites ont fait l’objet de fouilles relativement extensives dont la publication est en chantier. Ils sont situés de part et d’autre de la voie d’Aquitaine à l’entrée du vicus en venant de Carcassonne, aux lieudits Cap de Porc (Bram 9) et Le Village (Bram 144). La fouille a montré qu’il s’agissait dans ces deux cas d’ateliers implantés sur des emplacements vierges de toute production antérieure, et que la durée de leur activité a été très brève, de une à trois décennies selon le cas.
11Il convient d’ajouter à ce groupe l’atelier du Cammazou à Villeneuve-la-Comptal. Isolée, près d’un gisement d’argile, cette fabrique modeste produit dès l’époque d’Auguste des tuiles, de la céramique commune à pâte claire et des présigillées. Par ses productions et ses techniques, elle s’intègre totalement au groupe des ateliers de Bram.
1.2. Les productions augustéennes : les ateliers de Bram
12Du littoral aux environs du seuil de Naurouze, les céramiques communes produites par les ateliers de cette première génération présentent un faciès homogène. Le fait a déjà été observé à propos des céramiques présigillées sud-gauloises, dont les formes et les techniques de façonnage et de cuisson sont identiques. Cette identité est soulignée par l’adoption d’une technologie commune, l’usage du support-séparateur tripode (Passelac 1992, 216). Pour illustrer ce faciès augustéen, nous prendrons l’exemple des ateliers de Bram, car ils ont fourni à ce jour la plus abondante documentation4.
13Soulignons tout d’abord que la céramique commune constitue la production principale de ces ateliers. Elle domine très nettement, par la quantité et le nombre de formes représentées, les autres catégories fabriquées : présigillée, parois fines, dolia. La proportion qui varie, bien sur, d’un dépotoir à l’autre est de l’ordre de 75 %. Trois grandes catégories sont présentes. On peut les définir par la nature des pâtes et les modes de cuisson utilisés : les pâtes fines, calcaires, claires, cuites en mode A ; les pâtes sableuses claires, cuites en mode A ; les pâtes sableuses foncées, cuites en mode B. Les pâtes fines grises, rares, semblent résulter d’accidents de cuisson (défaut de phase oxydante en fin de cuisson).
1.2.1. Les pâtes fines claires (fig. 2 et 3)
14Les formes principales sont des cruches à une anse. La cruche à fond légèrement concave, et anse massive, à nervure centrale, attachée à la lèvre est le type le plus fréquent. Dans son plus grand module (fig. 2, n° 1), d’une capacité de 16 1., elle servait à stocker l’eau et à la verser pour les usages domestiques. D’autres cruches à une anse, sans col, de petit module, devaient être affectées au service des liquides sur la table (fig. 2, n° 2 et 3). On remarquera l’emprunt de la forme du n° 3 à la vaisselle métallique tardo-républicaine. La cruche à panse basse, carénée et col court, ajouté (fig. 2, n° 4) était prise par une anse semi-horizontale massive, marquée de profondes rainures, qui se prolongent parfois sur la panse. Cette forme, plus originale, ne figure pas dans le répertoire italique contemporain. Présente à Ensérune et en Catalogne5, elle paraît caractéristique d’un faciès régional.
15Les cruches à une anse et col étroit sont également très nombreuses. Une des formes les plus anciennes présente une panse piriforme ou carénée et un col terminé par une lèvre oblique (fig. 3, n° 1 et 2). Les fonds sont à pied annulaire bas ou simplement soulignés par une gorge sur leur face externe. Les lagènes à carène vive sont également présentes. Dans la dernière décennie avant notre ère, les mêmes formes adoptent des cols à lèvres moulurées et cordon mouluré au niveau de l’attache de l’anse. Les anses sont également moulurées en leur centre (fig. 3, n° 3 et 4).
16La cruche à deux anses et col large à bord arrondi (fig. 3, n° 5) devient plus fréquente dans les dépotoirs tardifs. Pendant toute la durée des ateliers, le pot à deux anses est une des formes les plus produites. Deux types sont présents avec des variations de forme au cours du temps : un type à fond plat, panse ovoïde, rebord convexe, anse plate rainurée (fig. 3, n° 6) et un type à pied annulaire, col convergent, anses plus massives (fig. 3, n° 7) qui apparaît dans les dépotoirs les plus récents.
17Les formes ouvertes, assiettes et plats, sont très rares. Parmi les formes les plus diffusées par les ateliers de Bram, une coupe mérite une mention particulière car c’est la seule des formes courantes empruntée au répertoire indigène. La coupe à bord ourlé modernisée par un pied annulaire, un aplatissement du bord et un ou plusieurs sillons sur la face externe de ce bord. Elle est produite parfois avec un vernis noir ou avec le vernis rouge des présigillées. Mais plus souvent elle est enduite d’un engobe mince orangé clair, passé à la brosse seulement à l’intérieur et sur la partie supérieure de la paroi externe. Ce récipient semble donc jouer un rôle important sur la table, sans doute pour présenter les mets. Sa fabrication montre une adaptation des ateliers à une demande locale qui témoigne d’un attachement à un usage ancien. On notera qu’ainsi romanisée cette forme se rapproche beaucoup, sur le plan morphologique, des coupes campaniennes immédiatement antérieures CAMP-A 27B.
1.2.2. Les pâtes sableuses, claires et foncées (fig. 4)
18Pendant toute la durée des fabrications sont présents deux types de pots, produits surtout en cuisson réductrice. Un pot à panse ovoïde, col court, terminé par un bord arrondi présentant une gorge interne pour la pose d’un couvercle (fig. 4, n° 1) et un pot de même forme générale, équipé d’un rebord triangulaire à lèvre plus ou moins oblique (fig. 4, n° 4). Une forme proche, produite en post-cuisson oxydante présente un rebord horizontal doté d’une gorge interne pour la pose d’un couvercle (fig. 4, n° 3). Ces urnes, ainsi que les couvercles qui les accompagnent (fig. 4, n° 2) sont produites dans de nombreux modules que nous ne pouvons étudier ici.
19Les plats à paroi convexe terminés par un bord creusé d’une gorge sur sa face supérieure sont cuits en clair ou en foncé comme les couvercles à pied annulaire qui les accompagnent (fig. 4, n° 5 et 6).
20Les marmites à panse carénée et fond bombé sont équipées de divers types de bords. Le bord oblique est le plus fréquent (fig. 4, n° 7). La partie inférieure de la panse est souvent striée. En pâte sableuse existe aussi un petit module de récipient caréné à panse striée et bord de forme variable, parfois mouluré (fig. 4, n° 8).
21Ce faciès de production est quasi intégralement méditerranéen. Les pâtes fines claires, comme les pâtes sableuses sont des catégories jusque là importées dans la région. Le répertoire morphologique est également nouveau. La quasi-totalité des formes est issue du répertoire hellénistique ou italique tardo-républicain. Ainsi, les cruches à une anse et ouverture large, très répandues en Méditerranée occidentale (Vegas 1973, 101,103) sont présentes par exemple à Cosa dans le Capitolium fill au IIe s. av. n. ère (Dyson 1976, fig. 6). Les cruches à goulot étroit et lèvre oblique ou arrondie, panse piriforme, sont également représentées à Cosa (Dyson 1976, 80, 111) et deviennent à l’époque augustéenne une forme “internationale” (Schindler-Kaudelka 1989, 35) comme la cruche à deux anses, présente jusque dans les camps du limes (Gose 1950, 35). Le pot ovoïde à deux anses à bord convexe est aussi d’origine italique (Dyson 1976, 79, 80) mais il présente des expressions régionales variées6. C’est un pot à conserve, très certainement, comme les pots “graissiers”, de forme voisine, utilisés dans nos régions jusqu’au milieu du XXe s. On notera avec intérêt que la cruche à col large et panse carénée (CL-REC 2b, 3a, 3b) typique du Languedoc oriental et de la basse vallée du Rhône (Py 1990, 585) est totalement absente de notre ensemble.
22L’origine des formes de la céramique à pâte sableuse est également à rechercher en Italie. Le pot à lèvre arrondie fait partie de la vaisselle du camp d’Oberaden. Le pot à lèvre triangulaire a ses équivalents précis à Cosa (Dyson 76, 75 et fig. 22 ; 95) Sutri (Duncan 65, fig. 11, 165) et dans bien d’autres sites d’Italie centrale. Quant à la patina à lèvre rainurée et au couvercle à pied annulaire, ils sont des emprunts aux formes les plus répandues de la céramique commune italique (COM-IT 6c et 7a). On remarquera qu’avec l’apparition du caccabus, forme nouvelle fabriquée à Bram en série vers 20 av. n. è., le modèle italique de la céramique utilisée pour la cuisson est complet. On peut s’interroger sur l’origine du petit faitout fig. 4, n° 8. Il peut s’agir d’un module réduit de marmite, mais la forme est sensiblement différente des grands modèles, nettement moins profonde. Un rapprochement avec la lopas peut-il être proposé ?
23Au total, le faciès de cette production, qui laisse peu de place à des formes régionales ou originales, est très largement italique. La zone ayant fourni les modèles se situe en Italie centrale, plus précisément en Étrurie, comme le suggèrent également les productions à vernis noir et à vernis rouge des mêmes ateliers. L’installation d’un tel centre de production résulte sans aucun doute d’une initiative romaine, et non d’une volonté locale d’imiter les produits italiques.
24La comparaison avec les ateliers voisins de La Lagaste est édifiante. A la même époque on y produit uniquement en cuisson réductrice. Les céramiques présentent généralement une pâte fine et une surface d’un noir brillant. Les urnes continuent pour partie la tradition indigène, tandis qu’apparaissent les premières formes gallo-romaines (Rancoule 1970, 59-63). Les formes ouvertes mêlent aussi la tradition et la nouveauté, représentée par des plats et leurs couvercles imitant la commune italique. L’imitation des dernières formes campaniennes et des sigillées italiques est également largement pratiquée, mais avec une certaine interprétation dans la forme et dans le décor : ainsi les potiers reproduisent avec une grande liberté le guillochis des plats importés en traçant une combinaison de cercles à la roulette et de motifs polis ondulés.
1.3. Les productions du Ier siècle de n. è.
25Au Ier s. de n. è. beaucoup des ateliers cités semblent avoir cessé leur activité. C’est le cas apparemment de ceux de l’Oustalet, de Boutenac, de tous les ateliers connus du groupe de Bram. D’autres, comme Sallèles d’Aude développent leur activité ; enfin, de nombreux fours sont construits sur de nouveaux sites de production. Le Haut-Empire semble donc connaître une grande mobilité des potiers et le passage à une production plus nombreuse et amplement diffusée à partir d’ateliers plus largement répartis sur le territoire.
1.3.1. Un centre organisé : l’atelier de Sallèles d’Aude
26Avant que ne se développe la production d’amphores en grandes séries, l’atelier du Clot de Raynaud est voué à la fabrication de céramique commune. Les fouilles extensives conduites depuis 1976 sur ce site par F. Laubenheimer en font une référence pour la connaissance de l’organisation des ateliers de potiers gallo-romains. A l’issue des douze premières années de recherches, les chercheurs ont pu déterminer cinq états qui reflètent l’activité de ce centre artisanal (Laubenheimer 1990, 63-90). A l’état augustéen très mal connu succède un deuxième état qui couvre les deux premières décennies du Ier s. de n. è. Il correspond à un début d’organisation regroupant plusieurs bâtiments. Quatre fours, de taille moyenne, voués à la production de céramique fonctionnent alors. De 20 à 60 de n. ère, l’état III marque un très fort développement de l’activité qui se manifeste par la construction d’un premier grand four (long de 6,50 m) et de nouveaux aménagements, comme la construction d’un bassin de décantation. C’est pendant cette période que sont fabriquées la plupart des céramiques communes à pâte fine claire7 Une vingtaine de formes sont issues des fours pendant le Ier siècle (fig. 5). Il s’agit presque exclusivement de formes fermées, cruches et pots (Laubenheimer 1990, 111-135). Globalement, cette catégorie garde ses fonctions antérieures, car dans leurs grandes lignes les types sont les mêmes que ceux connus à Bram : cruche à large ouverture et une anse (A 1), cruche à bec verseur et anse torsadée (A 4)8, cruche à une anse, col et panse carénée (A 7) cruche à une anse à panse piriforme (A 8), cruche à deux anses (A 15), pot à deux anses (A 24) et coupe à pied annulaire, bord souligné par un sillon (B1). Néanmoins, dans le détail, les formes présentent des différences sensibles marquant soit le choix de modèles différents, soit une évolution morphologique : anses de section circulaire et bords arrondis sur le cruches Al, lèvres en bandeau des lagènes A 8, point d’attache des anses des pots A 19, plus grand diamètre et pied annulaire sur les pots A 24, amincissement du bord sur la coupe B1. Par ailleurs, des formes nouvelles apparaissent comme le pichet à une anse A 3, la cruche à col évase et mouluré A 11, les cruches à col resserré A 10 et A 17, les cruches à deux anses et col évasé A 16 et A 20. Le répertoire se rapproche, avec ces nouvelles formes, de celui connu à la même époque dans la région lyonnaise (Laubenheimer 1990, 134).
1.3.2. De petits ateliers dispersés en milieu rural
27Quelques ateliers ont été reconnus dans des villas, ou à proximité d’agglomérations qu’ils alimentaient de leurs productions. Faute de fouilles, ils sont encore très mal connus, comme celui de Conardis, à Carcassonne, qui a révélé à la prospection plusieurs fours et bassins. Il produisaient de la céramique à pâte fine claire dont les formes relèvent du répertoire sallèlois : à La Mayrale-Badens, près de Narbonne, on a observée la production de petites cruches carénées à col étroit cylindrique9. Dans la Clape, la villa de Pech-Redon, commune de Narbonne, a abrité un four où ont été fabriquées des cruches à deux anses à pâte claire (A 15) et des gourdes (Guiraud 1987).
28Les céramiques sableuses sont également produites dans ce genre de petite officine. Dans la villa de Sarrazy, à Laurabuc (Aude), a été fouillé un four où l’on a fabriqué des urnes ovoïdes à rebord horizontal et gorge interne, une des formes les plus fréquentes dans la région dans la deuxième moitié du Ier s. (fig. 6). Le versant sud de la Montagne Noire a été certainement, par sa géologie, une des zones productrices de céramique sableuse les plus actives : ainsi à Villespy (Aude), au lieu-dit Le Téoulet, nous avons récemment identifié la fabrication de céramiques culinaires du Haut-Empire, en même temps que de dolia, de matériaux de construction et d’amphores Dressel 2-410.
1.4. Céramiques sableuses du IIe s.
29Les productions du IIe s. sont surtout connues par la prospection d’ateliers situés dans la région de Béziers et de Carcassonne. Ces ateliers semblent marquer le passage à une fabrication à grande échelle de la céramique culinaire dont les formes et les techniques sont désormais entièrement romanisées.
1.4.1. Les ateliers de la vallée du Libron
30Mise en évidence par M. Dodinet et L. Leblanc (Dodinet 1988) la production de céramique commune sableuse à bord noirci et patine cendreuse dans les environs de Béziers a fait l’objet d’une récente étude complémentaire de C. Pellecuer et H. Pomarèdes (Pellecuer 1991) qui ont proposé l’appellation “Biterroise orangée brune”. La particularité technique de cette céramique est qu’elle présente une pâte sableuse à dominante brune, souvent très cuite, voire surcuite.
31Ces ateliers ont mis sur le marché 23 formes de pots, marmites, couvercles cruches et gobelets, parmi lesquelles quatre ont été plus intensément produites et diffusées : l’urne à bord triangulaire (Al), la marmite carénée (B1), le couvercle à bord épaissi (Cl), le pichet (G4). Les urnes dépassent 40 % de la production, les marmites et couvercles 35 %, les vases à liquides 10 % seulement (Pellecuer 1991, 374). La complémentarité de cette céramique par rapport aux pâtes fines claires est donc évidente. Un des intérêts principaux de cette classe de céramique est l’adoption de formes de l’africaine de cuisine. La marmite B1 copie assez fidèlement la forme Hayes 197, le couvercle Cl la forme Hayes 196. La forme Hayes 23B est également fabriquée. L’enquête à laquelle se sont livrés C. Pellecuer et H. Pomarèdes sur les sites de consommation a montré que la diffusion de ce produit était intense aussi bien sur le littoral que sur les sites de l’intérieur, mais que le formes reproduisant l’africaine de cuisine avaient été diffusées presque exclusivement sur les sites proches de la mer, touchant ainsi une clientèle plus ouverte à de nouvelles habitudes alimentaires (Pellecuer 1991, 377). Présente de la Catalogne à Ambrussum, cette céramique produite surtout du premier quart du IIe s. au du IIIe s. témoigne d’une “internationalisation” des formes africaines, d’un aboutissement de la romanisation de la céramique culinaire en Languedoc occidental. Cette production de prime abord assez particulière pour mériter une appellation liée à la zone de production paraît cependant s’intégrer à un ensemble plus large qui s’étend au moins jusqu’à la partie centrale du bassin audois.
1.4.2. L’atelier d’Abrens, à Laure Minervois (Aude)
32Signalés à la suite de la fouille d’un four en 1958 (Journet 1960) cet atelier et ses productions n’ont fait jusqu’ici l’objet d’aucune étude. Le four dégagé est un très grand four elliptique de 8 m de longueur. La sole était supportée par treize murets transversaux. Avec ses deux alandiers, il correspond au type 1F de Le Ny (Le Ny 1988) et peut être comparé pour son architecture au four 3 de Sallèles d’Aude (Laubenheimer 1990, 76) dont les dimensions sont plus réduites. Un tel four classe l’atelier d’Abrens dans les fabriques à production massive et organisée. C. Journet a vu dans deux galeries se développant au delà du four celles d’un hypocauste destiné à chauffer la maison du potier ! Nous pensons qu’il s’agit plutôt de l’alandier d’un autre four, de dimensions plus modestes, ayant peut être fonctionné à une autre période que le premier.
33La prospection de surface nous a montré que l’atelier couvrait une superficie d’environ 1,7 ha11. Sur une grande partie de cette surface, la densité des fragments atteint plusieurs centaines d’éléments au m2. Une fabrique ce cette importance a dû comporter plus de deux fours, surtout si son activité s’étend sur une période relativement longue.
34Nous avons reproduit fig. 7 les principales formes de la céramique commune recueillies en 1958 dans le comblement du grand four. Il s’agit, à l’exception du n° 12 et du n° 6, de céramique à pâte sableuse, très bien cuite, souvent même surcuite, de couleur brun rouge à gris. Assez souvent l’épiderme est brun alors que la pâte présente une couleur grise à cœur. L’essentiel du dégraissant est siliceux, incluant souvent de gros éléments ; la pâte renferme aussi des particules de mica blanc, de très petite taille. Les caractéristiques techniques de cette céramique sont ainsi très proches de celles de la B.O.B. Une étude pétrographique du dégraissant permettrait certainement d’individualiser clairement ces deux productions.
35Comme dans le cas des ateliers du Libron, les formes ouvertes sont beaucoup moins nombreuses que les formes fermées. Deux plats à paroi convexe se distinguent par leur bord qui est dans un cas arrondi (fig. 7, n° 1) dans l’autre élargi et muni d’une large gorge (fig. 7, n° 2). Ce dernier est marqué de sillons sur le fond externe et pourrait ainsi être rapproché des plats augustéens de Bram (fig. 4, n° 6) qui présentent souvent des fonds semblables. Un petit vase caréné à bord divergent, arrondi, et panse marquée de trois larges sillons n’est peut-être pas, en l’absence du fond, à classer dans la céramique de cuisine. Les pots ont une panse ovoïde et un rebord triangulaire qui prend naissance directement sur la panse. Celui-ci présente toujours une gorge sur sa face interne, et parfois une autre gorge sur sa face supérieure (fig. 7, n° 5) qui peut aussi être plate, horizontale (fig. 7, n° 4) ou oblique. Un autre type de pot se distingue par une panse dont le diamètre maximum est situé plus haut, et un rebord épaissi, arrondi, muni d’une gorge interne (fig. 7, n° 8). Les marmites sont du type à fond plat, panse carénée et large rebord horizontal débordant à la fois à l’extérieur et à l’intérieur (fig. 7, n° 7). Il existe aussi des marmites tripodes à panse carénée et bord en gouttière (non figurées). La céramique de table comporte des cruches à une anse plate et rainurée attachée sous un bord triangulaire (fig. 7, n° 11), et des cruches à deux anses massives et col individualisé par un sillon (fig. 7, n° 10) qui semblent dériver des modèles de la fin du Ier s. av. n. è.
36En céramique à pâte fine, claire, signalons une cruche à bec verseur, anse attachée sur le bord, et fond annulaire (fig. 7, n° 12), ainsi que des couvercles de même type que le n° 6.
37Ce répertoire typologique est proche de celui de la B.O.B. par la présence de certaines formes mais s’en distingue cependant assez sensiblement. Le point commun le plus fort est sans aucun doute le pot à rebord triangulaire (forme Al de la B.O.B.) qui présente ici des variantes assez nombreuses, dont certaines sont absolument identiques aux productions biterroises. Cette forme est fabriquée ici très massivement et dépasse largement en quantité toutes les autres12. L’origine de cette urne n’a pas encore été définie (Pellecuer 1991, 381). Il s’agit très certainement, pour nous, de l’urne à bord triangulaire ou horizontal d’origine italique déjà présente dans les ateliers augustéens, comme à Bram (fig. 4, n° 3) ou d’une variante plus proche encore, qui est, à Ampurias, celle de nombreuses urnes augustéennes et de la première moitié du Ier s. des nécropoles Ballesta, Torres, Nofre, Rubert (Almagro, 1955, 139 et en particulier fig. 158, n° 14). Cette forme est également très présente à la même période dans les ensembles narbonnais (Sabrié 1987, 105, 112) et carcassonnais13. Parmi les convergences on peut signaler la présence de la cruche à une anse ou pichet (G1) et celle du gobelet à panse ovoïde et col souligné par une moulure (G2) (non figuré ici). On remarquera en revanche l’absence de formes imitant la céramique de cuisine africaine, en particulier les couvercles Hayes 196, le poêlon Hayes 23 et la marmite Hayes 197, qui constituent environ un tiers de la production de B.O.B. Bien entendu, pour que cette comparaison soit valide, il faudrait que les deux productions soient strictement contemporaines, ce qui n’est pas établi. La chronologie de la B.O.B (deuxième quart IIe s.-troisième quart IIIe s.) restait à préciser (Pellecuer 1991, 381) quant à celle des productions d’Abrens, elle ne peut être établie qu’approximativement à partir de leur typologie, sans doute très partielle, et en l’absence d’étude d’assez nombreux sites de consommation.
38La plupart des formes se réfèrent ici aussi à des modèles italiques, dont certains antécédents existent déjà dans la région à l’époque augustéenne (nos 2, 3, 4, 5, 10, 11, 12). La marmite à large bord horizontal se retrouve aussi bien à Heidelberg en Germanie dans le troisième quart du Ier s. (Heukemes 1964) qu’à Pompéi à la même époque14. Le n° 9 est à rapprocher, sans doute, de la forme Dr 44a de la sigillée sud gauloise fabriquée entre 80 et 160 (Py 1993, 574). Un des ensembles les plus riches en matériel semblable est celui du site rural des Agals à Villarzel-Cabardès, distant de 8 km des ateliers, et daté du milieu du IIe s. (Cattaneo 1989, 20 et fig. 6, 7, 8). Les nos 3 et 8 de notre fig. 7 sont présents au clos de la Lombarde à Narbonne dans un ensemble tardif, mais sont datés du IIIe s. et considérés comme résiduels (Raynaud 1991, 222).
39Ainsi, en dépit d’une datation magnétique très tardive15 l’activité de l’atelier semble couvrir, d’après l’ensemble dont nous disposons, et l’indication donnée par le site des Agals, la deuxième moitié du IIe s. et la première moitié du IIIe s. La taille du four elle-même confirme cette datation. Cependant, étant donnée la surface occupée par le site, la présence probable d’autres fours, il est raisonnable de penser que la production s’est étendue sur une plus longue période.
40Si nos fabrications étaient bien contemporaines des productions de B.O.B., on pourrait distinguer un faciès de production “littoral” illustré par les ateliers du biterrois avec imitations d’africaines de cuisine destinées à une clientèle plus touchée par le commerce et les influences culturelles méditerranéens, et un faciès “intérieur” illustré par l’atelier d’Abrens qui ne ferait pas appel, du moins dans l’état actuel de nos informations, au répertoire africain. Restons cependant prudents, car cette différence pourrait avoir des raisons purement chronologiques, s’il s’avérait que l’atelier d’Abrens avait un fonctionnement globalement antérieur à ceux qui ont diffusé la B.O.B. Les imitations d’africaine de cuisine ne sont pas totalement absentes en effet des ateliers de la partie centrale du bassin audois, puisqu’on a recueilli dans le dépotoir du four de Roquecave à Campagne-sur-Aude, dans la haute vallée, de grandes marmites reproduisant incontestablement la forme Hayes 197 à la fin du IIe ou au début du IIIe s.16.
41Il sera nécessaire en tout cas dans les analyses à venir de prendre en compte sur les sites de consommation les productions de ces ateliers audois de céramique sableuse diffusant des produits proches de la B.O.B. L’atelier d’Abrens en particulier, par sa taille et sa situation sur la voie romaine de “l’Estrade” a sans doute approvisionné largement le chef-lieu de cité qu’est Carcassonne ; on peut s’attendre aussi à ce que ses produits se soient diffusés, au-delà du Minervois, vers le Narbonnais, constituant un complément aux céramiques à pâte fine claire sortant des ateliers de cette région.
2. La consommation, faciès du Languedoc occidental intérieur
42Même lorsqu’ils sont polyvalents, les ateliers ne donnent pas une vision complète du vaisselier régional qui se constitue généralement par “l’assemblage" de diverses productions. C’est pourquoi il est indispensable de compléter l’image donnée par ces quelques exemples de production par des ensembles issus de sites de consommation. Nous ne pensons pas ainsi régler la question des microfaciès de la céramique commune : nous présentons seulement ici quelques cas, et non des statistiques sur des ensembles importants ; de plus les matériaux accessibles sont tous localisés dans la partie intérieure du Languedoc occidental. Ils ne permettent donc pas de définir un faciès littoral, et par la suite de mesurer les différences entre les deux zones.
2.1. Un ensemble augustéen : Bram 36
43Le premier ensemble est pris dans le vicus de Bram. Il s’agit d’une fosse localisée dans la partie centrale de l’agglomération (point 36) et utilisée comme dépotoir domestique lors de son remblaiement (Passelac 1972, 47). Elle renfermait un abondant matériel céramique (2643 fragments, 290 individus au moins) très homogène, constitué de vases fragmentés mais souvent complets et d’une série d’amphores où domine le type punique récent à col en pavillon Mafia C2. Le matériel résiduel y est assez peu nombreux et facilement reconnaissable : céramique campanienne, céramique celtique et non tournée, amphores italiques. La datation s’appuie sur la présence d’importations : plat arétin présentant la forme classique du service 1 (Cons. 12.4) bols du service 2 (Cons. 22.1), lampes à volutes augustéennes ; sur la typologie des présigillées locales qui indiquent une production de la dernière décennie av. n. è.
catégorie de céramique | N.FR. | % gr | % vaiss | % tôt | N.M.I. | % gr | % vaiss | % tôt |
campanienne A | 10 | 1,87 | 0,7 | 0,38 | 10 | 8,4 | 3,77 | 3,39 |
campanienne B | 1 | 0,19 | 0,07 | 0,04 | 1 | 0,84 | 0,38 | 0,34 |
sigillée italique | 25 | 4,67 | 1,75 | 0,94 | 9 | 7,56 | 3,39 | 3,05 |
présigillée sud Gaule | 303 | 56,64 | 21,23 | 11,41 | 58 | 48,74 | 21,89 | 19,66 |
parois fines | 179 | 33,46 | 12,54 | 6,74 | 33 | 27,73 | 12,45 | 11,19 |
claire peinte | 5 | 0,93 | 0,35 | 0,19 | 3 | 2,52 | 1,13 | 1,01 |
unguentana | 12 | 2,24 | 0,84 | 0,45 | 5 | 4,2 | 1,89 | 1,69 |
total cér. fines | 535 | 100 | 37,49 | 20,15 | 119 | 100 | 44.9 | 40,33 |
rouge pompéier | 1 | 0,11 | 0,07 | 0,04 | 1 | 0,68 | 0,38 | 0,34 |
pâte fine daire | 432 | 48,43 | 30,27 | 16,27 | 60 | 41,1 | 22,64 | 20,34 |
claire à engobe orangé | 23 | 2,58 | 1,61 | 0,87 | 10 | 6,85 | 3,77 | 3,39 |
pâte fine grise pdie | 16 | 1,79 | 1,12 | 0,6 | 10 | 6,85 | 3,77 | 3,39 |
pâte fine noire pol. ou eng. | 151 | 16,93 | 10,58 | 5,69 | 31 | 21,23 | 11,7 | 10,51 |
sableuse claire | 15 | 1,68 | 1,05 | 0,56 | 5 | 3,42 | 1,89 | 1,69 |
sableuse foncée | 244 | 27,35 | 17,1 | 9,19 | 25 | 17,12 | 9,43 | 8,47 |
non tournée | 9 | 1 | 0,63 | 0,34 | 3 | 2,05 | 1,13 | 1,02 |
mortiers | 1 | 0,11 | 0,07 | 0,04 | 1 | 0,68 | 0,38 | 0,34 |
total cér. commune | 892 | 100,00 | 62,51 | 33,6 | 146 | 100 | 55,1 | 49,48 |
total vaisselle | 1427 |
| 100,00 |
| 265 |
| 100,00 | 89,83 |
amphores italiques | 87 | 7,08 |
| 3,28 | 9 | 30 |
| 3,05 |
amphores puniques | 943 | 76,79 |
| 35,52 | 11 | 36,67 |
| 3,73 |
amphores Pascual 1 | 79 | 6,43 |
| 2,97 | 4 | 13,33 |
| 1,35 |
autres amphores | 119 | 9,69 |
| 4,48 | 6 | 20 |
| 2,03 |
total amphores | 1228 | 100,00 |
| 46,25 | 30 | 100,00 |
| 10,16 |
total céramiques | 2655 |
|
|
| 295 |
|
| 100,00 |
2.1.1. La part des différentes catégories (tableau 1)
44La part de la céramique commune représente, en N.M.I., 55,10 % de la vaisselle, ce qui est proche de la situation lattoise à la même période (53,98 % à la période-25/-1, Fiches 1994, 346). On notera que dans le groupe des céramiques fines, liées au service de la table, les présigillées locales, atteignent ici 48,74 %, soit 21,89 % de l’ensemble de la vaisselle. L’impact des ateliers sur le vaisselier local est donc très fort. Il se confirme dans la composition des communes, dont la quasi-totalité des céramiques à pâte fine claire, des claires à engobe orangé, des sableuses claires et foncées, sont d’origine locale et représentent 68,49 % des communes. Cet ensemble est nettement dominé par la céramique à pâte fine claire qui constitue 41,10 % des communes, soit 22,64 % de la vaisselle.
45La part que se taillent les ateliers locaux est naturellement prépondérante, et donne à cet ensemble une forte coloration romaine, mais elle n’est pas exclusive. En effet les céramiques à pâte fine grise polie, et les céramiques à pâte fine noire, engobée ou polie, de tradition celtique, représentent ensemble 28,08 % de la vaisselle. S’il faut minorer légèrement ce taux à cause de la présence probable de quelques éléments résiduels, cette catégorie assure bien un complément important, de type traditionnel, aux productions des ateliers de Bram.
2.1.2. Formes et fonctions
46Nous ne détaillons pas les formes des catégories de fabrication locale, dont l’essentiel a été présenté ci-dessus p. 36517. La céramique à pâte claire se compose, de façon classique, en majorité de récipients à puiser et verser les liquides et de façon secondaire de vases à conditionner et conserver les aliments. Engobée, elle est utilisée pour la présentation des aliments sur la table, ou pour des usages particuliers (askos). La céramique culinaire à pâte sableuse foncée est cinq fois plus présente que la sableuse claire, mais les formes sont identiques. On notera la proportion relativement élevée des plats et des marmites respectivement (3 et 5 individus) par rapport aux pots qui dominent cependant (12 individus).
47Les céramiques à pâte fine, noire, engobée et polie sont représentées fig. 8. Elles sont à rapprocher des productions de La Lagaste (Rancoule 1970) dont elles reproduisent le répertoire. C’est une catégorie difficile à classer, que sa présentation soignée inviterait à placer dans les céramiques fines. Mais sa fonction se partage entre le service de table (assiettes, bols, coupes) et le stockage (pots) ou des usages particuliers liés à la préparation (faisselle ou passoire). Connue sous le nom de céramique fumigée, ou terra nigra en Gaule interne, elle y est classée parmi les céramiques communes (Tuffreau-Libre 1980, 13).
48Cet ensemble montre donc une répartition céramiques fines/céramiques communes proche de ce qui est observé sur un site du Languedoc oriental littoral comme Lattes, mais les catégories présentes sont très différentes et reflètent les productions propres à la région : céramiques de faciès très méditerranéen pour la claire et la sableuse ; céramiques de tradition indigène tournée et de très belle qualité issues des production celtiques antérieures et partiellement romanisées par l’adoption de formes nouvelles.
catégorie de céramique | N. FR. | % gr | % vaiss | % tôt | N.M.I. | % gr | % vaiss | % tôt |
sigillée sud gaule | 71 | 70,3 | 11,62 | 10,36 | 33 | 75 | 31,73 | 30,27 |
parois fines | 30 | 29,7 | 4,91 | 4,38 | 11 | 25 | 10,58 | 10,09 |
total cér. fines | 101 | 100,00 | 16,53 | 14,74 | 44 | 100,00 | 42,31 | 40,36 |
pâte fine daire | 211 | 41,37 | 34,53 | 30,80 | 15 | 25,00 | 14,42 | 13,76 |
pâte fine sombre | 29 | 5,69 | 4,75 | 4,23 | 5 | 8,33 | 4,81 | 4,59 |
orangée polie | 26 | 5,10 | 4,26 | 3,80 | 9 | 15,00 | 8,65 | 8,26 |
engobe micacé | 15 | 2,94 | 2,45 | 2,19 | 4 | 6,67 | 3,85 | 3,67 |
sableuse claire | 140 | 27,45 | 22,91 | 20,44 | 11 | 18,33 | 10,58 | 10,09 |
sableuse foncée | 73 | 14,31 | 11,95 | 10,66 | 15 | 25,00 | 14,42 | 13,76 |
non tournée | 16 | 3,14 | 2,62 | 2,34 | 1 | 1,67 | 0,96 | 0,92 |
total cér. commune | 510 | 100,00 | 83,47 | 74,46 | 60 | 100,00 | 57,69 | 55,05 |
total vaisselle | 611 |
| 100,00 |
| 104 |
| 100,00 |
|
Pascual 1 | 2 | 2,70 |
| 0,29 | 1 | 20 |
| 0,92 |
Dr 2/4 | 3 | 4,05 |
| 0,44 | 1 | 20 |
| 0,92 |
Dr 20 | 23 | 31,08 |
| 3,36 | 1 | 20 |
| 0,92 |
Gauloise 7 | 11 | 14,86 |
| 1,60 | 1 | 20 |
| 0,92 |
autres et indéterminées | 35 | 47,30 |
| 5,11 | 1 | 20 |
| 0,92 |
total amphores | 74 | 100,00 |
| 10,80 | 5 | 100,00 |
| 4,59 |
total céramiques | 685 |
|
| 100,00 | 109 |
|
| 100,00 |
groupe et matériel
céramique par 0,96 % de la vaisselle prend une place très marginale.
2.2. Un ensemble fin Ier-début du IIe s. : Bram 33
49Le deuxième ensemble a été choisi dans le même site. C’est un ensemble clos, recueilli dans une fosse, où la céramique commune est associée à une série de céramiques sigillées de La Graufesenque et de Montans, à des lampes à huile, à des verreries, qui permettent de situer le comblement dans le premier quart du IIe s. (Passelac 1972, 94). Moins important que le précédent, il se compose de 685 fragments représentant 109 individus (tableau 2). Les céramiques communes y sont mieux représentées avec 57,69 % de la vaisselle contre 42,31 % pour les céramiques fines qu’on a limitées aux sigillées sud gauloises et aux parois fines. Toutes ces productions paraissent d’origine locale ou régionale
2.2.1. La part des différentes catégories (tableau 2)
50La céramique à pâte fine claire (fig. 9, nos 1 à 6) occupe toujours la première place, mais en net recul : elle ne constitue que 25 % des communes, 14 % de la vaisselle. Les claires à engobe rouge ou orangé, souvent poli sont ici bien représentées (15 % des communes). Cette forte présence explique la baisse de la catégorie précédente. Une nouvelle catégorie apparaît : la céramique à engobe doré au mica, représentée par un pot à lèvre moulurée. La céramique à pâte fine grise, qui s’inscrit dans la tradition indigène, n’occupe qu’une faible place avec un peu plus de 8 %.
51Les céramiques de cuisine sableuses constituent maintenant le groupe le plus important avec un total de 43,33 % des communes, 25 % de la vaisselle. Les sableuses foncées restent plus nombreuses (25 % du groupe) que les claires (18,33 %) qui sont en forte augmentation par rapport à la période augustéenne. La céramique non tournée, avec 1,67 % du groupe et 0,96 % de la vaisselle prend une place très marginale.
2.2.2. Formes et fonctions
52Les cruches à puiser, stocker et verser l’eau dominent le groupe des claires à pâte fine où un seul pot est présent. Les formes sont très proches de celles de la période augustéenne mais s’en distinguent par des détails typologiques (bords, anses). La cruche à col élargi (fig. 9, n° 4) était absente des productions augustéennes régionales.
53La céramique à pâte fine claire à engobe orangé ou rouge est spécialisée dans le service de table puisqu’elle est surtout représentée par des plats et une coupe à bord rentrant (fig. 9, n° 7) qui prolonge la coupe à bord épaissi antérieure.
54Les pâtes fines grises sont utilisées pour la fabrication de récipients de stockage, présents sous une forme traditionnelle (fig. 9, n° 12) ou nouvelle (fig. 9, n° 11).
55Les pâtes sableuses offrent également un répertoire où s’équilibrent les formes anciennes (fig. 10, n° 1, 7, 8, 11, 12) et les formes nouvelles (fig. 10, n° 2, 3, 4, 5, 9). On notera la présence de formes qui paraissent redevables à la tradition celtique : la jatte à fond plat et paroi sub-verticale à bord ourlé (n° 13) et la coupe à carène haute, utilisée pour la cuisson (n° 11,12) qui étaient absentes de l’ensemble augustéen. Le bord triangulaire fig. 10, n°4 nous semble clairement faire la transition entre les bords triangulaires augustéens et les bords triangulaires des productions de type B.O.B. dont cet exemplaire est très proche par ses caractéristiques techniques.
56Dans l’ensemble, cette série parait faire une part plus large aux productions de type traditionnel que celle de la période augustéenne. Les plats de formes italiques en sont absents, et on ne relève qu’une seule marmite (fig. 10, n° 2).
2.3. Un ensemble du dernier quart du IIe s. : Mas-Saintes-Puelles, villa de Bernardis, US 1010
57Il s’agit ici d’un grand domaine agricole dont le bâti couvrait environ 4 000 m 2. Le matériel étudié (1 165 fragments représentant 103 individus au moins) provient du comblement d’un bassin effectué lors d’une réfection de la partie thermale. La céramique commune était associée à de rares céramiques fines : sigillée claire de La Graufesenque ou Montans et gobelets parois fines, la sigillée du sud de la Gaule étant certainement résiduelle. Une série de 14 lampes à huile du type VIIA de Deneauve dont plusieurs portent le timbre c ivn drac contribue à situer la chronologie de ce lot qu’un fragment de marmite en africaine de cuisine de forme Hayes 197 invite à situer dans le dernier quart du IIe s.
catégorie de céramique | N.FR. | % gr | % vaiss | % tôt | N.M.I. | % gr | % vaiss | % tôt |
sigillée sud Gaule | 6 | 26,09 | 0,53 | 0,51 | 4 | 44,44 | 4,08 | 3,88 |
sigillée claire 8 | 2 | 8,70 | 0,18 | 0,17 | 2 | 22,22 | 2,04 | 1,94 |
parois fines | 15 | 65,21 | 1,32 | 1,29 | 3 | 33,33 | 3,06 | 2,91 |
total cér. fines | 23 | 100,00 | 2,03 | 1,97 | 9 | 100,00 | 9,18 | 8,73 |
africaine de cuisine | 9 | 0,81 | 0,79 | 0,77 | 7 | 7,87 | 7,14 | 6,80 |
pâte fine daire | 527 | 47,43 | 46,47 | 45,24 | 28 | 31,46 | 28,57 | 27,18 |
grise engobée et pdie | 52 | 4,68 | 4,59 | 4,46 | 3 | 3,37 | 3,06 | 2.91 |
sableuse claire | 219 | 19,71 | 19,31 | 18,80 | 19 | 21,35 | 19,39 | 18,45 |
sableuse foncée | 8 | 0,72 | 0,71 | 0,69 | 2 | 2,24 | 2,04 | 1,94 |
engobe dorée au mica | 31 | 2,79 | 2,73 | 2,66 | 5 | 5,62 | 5,10 | 4,85 |
engobe orange | 47 | 4,23 | 4,14 | 4,03 | 9 | 10,11 | 9,18 | 8,74 |
engobe blanc | 60 | 5,40 | 5,29 | 5,15 | 7 | 7,86 | 7.14 | 6,80 |
pâte blanche | 3 | 0,27 | 0,26 | 0,26 | 1 | 1,13 | 1,02 | 0,97 |
mortiers | 6 | 0,54 | 0,53 | 0,52 | 1 | 1,13 | 1,02 | 0,97 |
non tournée | 149 | 13,41 | 13,14 | 12,79 | 7 | 7,87 | 7,14 | 6,80 |
total cér. commune | 1111 | 100,00 | 97,97 | 95,37 | 89 | 100,00 | 90,82 | 86,41 |
total vaisselle | 1134 |
| 100,00 |
| 98 |
| 100,00 |
|
Beltran IIB | 3 | 9,68 |
| 0,26 | 1 | 20 |
| 0,97 |
Dr 20 | 6 | 19,35 |
| 0,51 | 1 | 20 |
| 0,97 |
Gauloise 7 | 12 | 38,71 |
| 1,03 | 2 | 40 |
| 1,94 |
autres et ind. | 10 | 32,26 |
| 0,86 | 1 | 20 |
| 0,97 |
total amphores | 31 | 100,00 |
| 2,66 | 5 |
|
| 4,85 |
total céramiques | 1165 |
|
| 100,00 | 103 |
|
| 100,00 |
2.3.1. La forte diversification des catégories
58La forte diversification des catégories différencie nettement cet ensemble du précédent (tableau 3). Apparaissent ici l’africaine de cuisine qui avec près de 8 % n’est pas en quantité négligeable, la céramique à pâte claire et engobe blanc (8 % également), la céramique à pâte blanche, anecdotique. On note un renforcement de l’utilisation de la céramique à engobe doré au mica, et, plus encore, de la non-tournée qui atteint elle aussi près de 8 %.
59La céramique à pâte fine claire domine toujours, avec 31,46 %, mais elle prend souvent des nuances brunes et l’on a de plus en plus de mal, dans certains cas, à la distinguer de la sableuse claire. La céramique sableuse, quant à elle, présente une nouvelle répartition qui favorise très largement la claire (21,35 %) par rapport à la foncée (2,24 %). Cette diversification des communes ne se fait donc pas au détriment des grandes catégories qui restent assez stables, mais doit être interprété, en grande partie, comme un remplacement des céramiques fines qui ne constituent plus que 9,18 % de la vaisselle contre 42,31 % pour l’ensemble précédent. Elle résulte en particulier de la disparition de la céramique sigillée sud gauloise.
2.3.2. Formes et fonctions’
60Les cruches (15 ex.) constituent toujours l’essentiel de la céramique à pâte fine claire dont la fonction reste identique. Au stockage et au conditionnement (4 pots) s’ajoute la présentation et la consommation des denrées (6 bols et coupes, 2 plats), la préparation (1 mortier). La céramique à engobe blanc assure une fonction semblable (6 cruches, 1 pot). La céramique à engobe orangé (fig. 12, n° 6 à 9) avec un petit vase caréné et de grand bols est affectée à la présentation et à la consommation, en remplacement, sans doute, de la sigillée. La céramique foncée à pâte fine engobée et polie sert au conditionnement (fig. 11, n° 8) et à la consommation (fig. 11, n° 7) avec une forme dérivée de la Drag. 44 en sigillée18. Une fonction moins précise est affectée à la céramique à engobe doré au mica, qui servait ici aussi bien au stockage qu’à la cuisson et à la consommation.
61La cuisson fait appel maintenant à l’africaine de cuisine représentée par quatre plats à four, 1 marmite, et deux couvercles (fig. 11 n° 1 à 4) ; à la sableuse à pâte claire - on notera que les plats et les pots sont en quantité égale ; à la non tournée représentée ici par 5 pots à profil en S.
62Parmi les nouveautés, on retiendra la présence de cruches en céramique sableuse (3 ex.) et celle d’un petit gobelet à deux anses en non tournée, dont l’usage se développera au IIIe s. Au total cet ensemble marque une rupture assez nette par rapport aux périodes précédentes et annonce, par certains de ses aspects, les vaisseliers du Bas-Empire : développement des céramiques à pâte claire, proportion plus élevée des plats qui traduit un net changement des habitudes culinaires, retour et développement de la céramique non tournée à usage culinaire.
3. Les faciès du Languedoc occidental intérieur
3.1. Caractérisation et évolution
63La définition des faciès du Languedoc occidental au cours des deux premiers siècles de notre ère peut être établie essentiellement par comparaison avec les faciès du Languedoc oriental, seule région où nous disposons de données chiffrées suffisantes. Ainsi, la récente analyse de J.-L. Fiches sur les céramiques d’époque romaine de Lattes (Fiches 1994) permettra de déterminer les points communs et surtout les différences entre les deux zones.
64En Languedoc oriental, trois faciès caractérisent l’évolution des céramiques communes : celui de la première moitié du Ier s. av. J.-C. dominé par les non tournées et les claires récentes ; celui de la seconde moitié du siècle marqué par l’émergence de nouvelles catégories régionales au détriment de la non tournée, qui se maintient cependant autour de 45 % des communes entre-25 et -1 ; celui des Ier et IIe s. où les céramiques régionales jouissent d’une quasi exclusivité, les africaines de cuisine oscillant au IIe s. entre 2,4 % à Lattes et 3,1 % à Lunel Viel dans la seconde moitié du siècle (Fiches 1994, 367).
65Une première différence notable concerne la première phase, non illustrée ici. Le Languedoc occidental intérieur ne connaît pas dans la première moitié du Ier s. av. n.è. une aussi forte proportion de céramiques à pâte claire. L’éloignement du domaine massaliète et la présence sur place de nombreux ateliers de céramique tournée de type celtique explique la part très conséquente prise par cette dernière. La non-tournée n’occupe plus, dès cette période, une aussi large place qu’en Languedoc oriental. Ainsi, dans la première moitié du Ier s. av. n.è., sur le site de La Lagaste, les céramiques modelées représentent 22 % de la vaisselle, les tournées sombres 61 % ; les 17 % restant arrivent de l’extérieur (Rancoule 1984, 25).
66L’ensemble de Bram 36 confirme la quasi disparition de la non tournée sur ce site à la fin du Ier s. av. n.è. alors qu’elle reste relativement nombreuse entre-25 et-1 à Lattes. L’implantation sur place d’ateliers fournissant une abondante céramique culinaire de type italique accélère sans aucun doute cette disparition.
67Aux Ier et IIe s., comme en Languedoc oriental, les productions locales et régionales dominent largement. Les importations italiques (plats à enduit rouge pompéien) restent de l’ordre de 1 %, celles d’Afrique du nord, à la fin du IIe s. atteignent 7,87 % à Bernardis. A propos de l’africaine de cuisine, il convient de signaler qu’elle est présente dès la deuxième moitié du Ier s. dans certains ensembles des fouilles récentes de Bram, mais en plus faible proportion. Le chiffre atteint à Bernardis, s’il était confirmé pour la même période à Bram montrerait sans doute le rôle joué par le port de Narbonne et la voie d’Aquitaine dans la diffusion de cette céramique vers l’intérieur des terres. Dans le cas contraire, il témoignerait d’une assimilation plus marquée des occupants de ce grand domaine agricole.
68Pendant cette longue période, les grandes catégories se retrouvent dans les deux régions (claire à pâte calcaire, claire engobée, sableuse claire, sableuse foncée) mais avec des fabrications spécifiques : le Languedoc occidental intérieur ne connaît pas, sauf exception, la céramique à points de chaux, la fumigée et la kaolinitique définies en Languedoc oriental. Les sableuses sont de fabrication régionale : l’aire de diffusion des ateliers de Bram, qui s’inscrit, pour l’essentiel, dans un rayon d’une centaine de kilomètres paraît se situer parmi les plus étendues.
Avec 41 % à la période augustéenne, 25 % au début du IIe s. (qu’il faut sans doute augmenter des 15 % de céramique orangée polie) et 31 % à la fin du IIe, la céramique à pâte fine claire se retrouve dans des proportions très voisines de celles observées en Languedoc oriental, notamment à Ambrussum (Fiches 1994, 368) Ses fonctions sont identiques : puiser stocker et verser les liquides, conditionner les aliments.
Les sableuses, claires et foncées réunies, constituent 20,54 % de l’ensemble augustéen, 43,33 % de l’ensemble du début du IIe s. et 21,43 % de l’ensemble de la fin du IIe. Elles apparaissent donc en proportion moins importante qu’à Lattes et ne connaissent pas la progression observée à Ambrussum et Lunel Viel. Le phénomène peut s’expliquer ici par la présence, qui se développe au IIe s., des céramiques à engobe doré au mica. Cette catégorie assure en effet une partie des fonctions culinaires de la sableuse (marmites, plats à four). On observera que les proportions de sableuse claire et de sableuse foncée s’inversent au cours de la période : 3,42 % de claire pour 17,12 % de foncée à la période augustéenne ; 18,33 % pour 25 % au début IIe ; 21,35 % pour 2,24 % à la fin du IIe.
L’originalité de notre région, par rapport au Languedoc oriental semble résider dans la présence de céramiques de tradition celtique quant à la technique (noires ou grises polies et engobées) traditionnelles ou romanisées quant aux formes. Présentes à hauteur de 28 % à la période augustéenne, elles ne cessent de décroître avec 8,33 % au début du IIe et 3,37 % à la fin de ce siècle. De même, les céramiques à engobe doré au mica qui paraissent produites en séries importantes dans le toulousain donnent une coloration particulière au vaisselier. C’est une catégorie difficile à traiter dans les statistiques car elle peut présenter aussi bien une pâte fine qu’une pâte sableuse, et assurer des fonctions aussi diverses que celle du gobelet, de la cruche, du pot, de la marmite ou du plat allant au four. Enfin, les céramiques à pâte claire et engobe blanc, produites à Montans, Albi et au sud du Tarn dans la région de Castres (Martin 1977, Rayssiguier 1994) contribuent à ce faciès particulier du IIe s.
3.2. Formes de la céramique culinaire et aspects culturels
69Nous avons vu à propos des productions de Bram que l’essentiel des formes de la céramique à pâte fine claire relevait d’un répertoire méditerranéen, le plus souvent italique et traduisait une forte romanisation du vaisselier. Il faut ajouter que des formes plus rares, non évoquées dans cette présentation, confirment cette constatation : supports de lampes ou de brûle-parfums, passoires, patères imitant les modèles en bronze. Il en est de même pour la céramique à pâte sableuse, dont le répertoire reproduit fidèlement les modèles importés, avec les trois fondamentaux de la cuisson en Italie : olla, caccabus et patina. Faut-il pour autant penser à un changement radical des habitudes alimentaires qui traduirait une rapide assimilation ? ou l’arbre romain que constituent ces ateliers cacherait-il une forêt gauloise ? Pour mesurer l’importance des changements intervenus à partir de la période augustéenne, nous avons consigné dans le tableau 4 la quantification des types de la céramique de cuisson19.
70A la période augustéenne à Bram, l’ensemble du point 36, avec 18 ollae, 5 caccabi et 4 patinae, présente précisément la proportion de ces ustensiles connue en Italie à la période républicaine : deux tiers pour le pot, un tiers pour les autres (Bats 1988, 65). Fait constant, les couvercles, qui s’adaptent à diverses formes sont beaucoup moins nombreux. Malgré l’absence de point de comparaison chiffré à la période précédente dans la région, il nous semble qu’une proportion aussi forte de marmites et de plats à four doit être considérée comme significative d’une romanisation très sensible des modes de cuisson.
71L’ensemble du début du IIe s. ne montre pas en revanche de progression significative. La proportion des pots (10 ind.) par rapport aux marmites (3 ind.) et aux plats (2 ind.) est inchangée. En revanche, 7 autres récipients en sableuse sont présents et difficiles à classer. La jatte cylindrique profonde doit-elle être assimilée à une marmite ? Les coupes carénées à pied annulaire à des récipients allant au four ? Si c’était le cas, cela réduirait la proportion des ollae. Mais cela reste peu probable, car ces vases ont des formes traditionnelles et traduisent plutôt des usages anciens.
72Dans la villa de Bernardis, à la fin du IIe s., le changement est beaucoup plus net : la proportion des pots par rapport aux autres ustensiles est voisine de la moitié (19 ollae pour 16 marmites et plats). Cette évolution est caractérisée par une nette progression des plats (11 ind.) par rapport aux marmites dont la quantité reste stable (5 ind.). La nature du site est-elle responsable de cette différence ? Peut-être pas : on devrait en toute logique observer plus de conservatisme dans un domaine rural que dans une agglomération routière largement ouverte au commerce méditerranéen. Mais comment évaluer l’impact du niveau social des occupants : classe aisée dans la villa et classe populaire d’artisans et de marchands dans le vicus ? Seule la multiplication des analyses dans des milieux différents permettra une interprétation plus poussée. Quoi qu’il en soit l’évolution observée ici suit, avec un décalage dans le temps, la progression de l’usage des plats dans la cuisson des aliments en Italie.
4. Conclusion : des faciès multiples qui restent à préciser
73L’époque d’Auguste connaît ici comme en Languedoc oriental (Fiches 1994, 371 ; Py 1990, 206 et 588-589) une mutation profonde dans le vaisselier, marquée par le rapide développement des fabrications régionales. Le faciès de fabrication de ces nouveaux ateliers est très homogène, du Narbonnais au Lauragais, et traduit une volonté de diffuser sur l’axe Narbonne-Toulouse, principalement dans les agglomérations de la voie d’Aquitaine, et ses abords une vaisselle de type italique. L’analyse des ateliers de Bram montre qu’il s’agit d’initiatives romaines qui sont rapidement amplifiées par des potiers locaux. Ce changement est sans doute plus sensible qu’en Languedoc oriental et traduit une plus grande emprise des acteurs italiques dans la région de Narbonne et son arrière-pays. Dans le même temps les potiers mettant en œuvre des techniques traditionnelles, de type celtique, poursuivent leurs activités sur des sites anciens, parfois plus à l’écart de la voie. Leurs productions restent largement diffusées, même sur les sites où la romanisation est la plus active. Elles contribuent à déterminer un faciès qui se différencie de celui du Languedoc oriental et peut être plus facilement rapproché de celui de la Catalogne. La diffusion dans des proportions non négligeables de formes nouvelles témoigne d’une adoption précoce des cuissons selon le modèle italique, même si l’olla témoigne de la persistance majoritaire des habitudes alimentaires traditionnelles. Nous manquons cependant d’éléments de comparaison précis pour évaluer l’impact réel de ce processus d’assimilation. Les céramiques communes foncées sont encore majoritaires : 61 % contre 49 %. Mais il faut sans doute relativiser la signification de la couleur des céramiques : ainsi les marmites et les plats à four qui relèvent de formes et d’usages italiques sont ici majoritairement produits en cuisson réductrice.
74Au Ier s. de n. è., les productions régionales de type romain ne font que continuer le mouvement amorcé en se développant sur le plan quantitatif et en gagnant vers les régions intérieures. Les ateliers atteignent un degré d’organisation nouveau, les grand fours apparaissent, témoignant d’un fort accroissement de la demande. En même temps des ateliers modestes adoptant les types méditerranéens s’implantent selon une répartition plus disséminée. La composition du vaisselier n’évolue guère cependant, les nouveaux modes de cuisson des aliments paraissent ne pas progresser, du moins dans la zone intérieure. A la fin du Ier et au début du IIe s. les céramiques claires sont majoritaires à Bram dans une proportion de 65 % contre 35 %20. En haute vallée de l’Aude, dans le même temps, on observe à Rennes-les-Bains une permanence des techniques et des formes indigènes dans la fabrication, certainement locale, des ollae (Rancoule, 1984, 21).
75La période qui suit voit le développement des fabriques qui passent à un stade supérieur dans l’organisation des installations et la taille des fours. La romanisation des formes et des techniques de cuisson atteint son plus haut niveau (Pellecuer 1991, 381). A Bernardis la proportion des céramiques claires s’élève à 86,5 %. Cependant, on est loin d’observer l’uniformisation qu’on aurait pu attendre de cette évolution. Ainsi, en Lodévois, l’africaine de cuisine est absente du lot de l’huilerie de Peret analysé (Olive 1989, 232 et fig. 12 à 17) et les céramiques de cuisson sont en écrasante majorité des pots. On remarquera, au delà de la céramique de cuisson, un faciès très différent, avec un nombre de catégories beaucoup plus restreint qu’en Languedoc occidental intérieur. En revanche, la publication du Clos de la Lombarde (Sabrié 1987, 108-119) laisse entrevoir, pour le site urbain et portuaire de Narbonne, une présence nettement marquée des africaines de cuisine, que les comptages à venir devraient confirmer et quantifier. Dans une zone intermédiaire, le Minervois, l’ensemble de Villarzel-Cabardès, au milieu du IIe s. offre plus d’imitations d’africaines de cuisine (non quantifiées) que d’importations véritables (Cattaneo 1989, 21). Mais par la présence de céramique à engobe blanc, ce lot présente un faciès plus proche de celui connu en Lauragais.
76On le voit, la céramique commune du Languedoc occidental est loin de présenter un visage unique. Si l’on a pu esquisser ici une définition de faciès dans la partie intérieure de cette région, on est bien loin de connaître sur des bases fiables les multiples aspects que prend ce matériel, en fonction de la situation par rapport aux axes de circulation, aux grands centres de production, et leur signification en regard des critères sociologiques ou ethnologiques. Il reste à promouvoir la multiplication des analyses quantitatives, soit sur des lots déjà disponibles de provenances diverses, soit à partir des fouilles en cours à Narbonne, à Carcassonne et à Bram qui livrent en stratigraphie des ensembles numériquement plus significatifs.
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Notes de bas de page
1 En ce qui concerne les ateliers de Bram, les publications préliminaires concernent seulement les céramiques fines (Passelac 1986 ; Passelac 1992). Une publication exhaustive de l’ensemble des productions (céramiques présigillée, parois fines, communes, matériaux) est en préparation.
2 Ce site est signalé comme « établissement gallo-romain » dans les informations de Gallia, 29, 2, 1971, 379. L’estampille sur tegula SAL. P. E.SOP ainsi que le fragment d’antéfixe signalés pourraient avoir été fabriqués sur place.
3 Le comblement du four ainsi que celui d’un bassin voisin ne renferme aucune sigillée sud-gauloise, mais seulement de la céramique arétine. Une forme de pied à gorge très marquée, trouvée dans un autre secteur pourrait situer l’installation des potiers sur le site au début de la période augustéenne. Fouille inédite M. Passelac.
4 Cette présentation est volontairement limitée aux formes les plus courantes, donc les plus significatives du point de vue de leur impact dans le vaisselier régional. La description exhaustive des productions et l’étude détaillée de l’origine des formes seront données dans la publication monographique.
5 (C.V.Α., Coll. Mouret, pl. 45, 34). Nous avons vu également un exemplaire complet provenant de Ruscino au Dépôt de fouilles de Perpignan. Est-il local, ou importé de Bram ?
6 On le rapprochera des exemplaires du Ier s. de n. è. de Lattes, en céramique à points de chaux qui ont leur panse striée horizontalement.
7 Des céramiques sableuses sont présentes dans les dépotoirs, mais pas sous forme de ratés de cuisson, si bien que leur origine locale n’est pas formellement démontrée.
8 Cette forme existe dans les ateliers Bram avec plusieurs variantes, mais elle y est rare.
9 Renseignement Y. Solier. Signalé dans les informations de Gallia, 41, 2, 1983, 506.
10 Découvert par M. Sélariès et prospecté par P. Mas et M. Passelac en 1995, inédit.
11 Parcelles A7 950 à 953, 1583 du cadastre de Laure-Minervois (1991).
12 Nous ne pouvons donner pour le moment des proportions chiffrées, à cause des incertitudes liées au mode de prélèvement lors de la fouille et aux conditions de conservation de ce matériel, aujourd’hui entreposé à la Mairie de Laure-Minervois : Les prospections de surface montrent un représentation très majoritaire des urnes à rebord triangulaire.
13 On l’a reconnue récemment dans les niveaux du début de la période augustéenne d’une domus du château comtal, associée à des céramiques arétines et des vases des ateliers de Bram (fouille inédite M.-G. Colin, G. Rancoule, M. Passelac).
14 Nous en avons vu plusieurs exemplaires dans les réserves de Pompéi, à parois extrêmement régulières et fines, de forme plus surbaissée. Nous remercions le Dott. A. D’Ambrosio, directeur du site de Pompéi, qui a eu l’extrême obligeance de nous autoriser à voir le matériel des réserves.
15 Des prélèvements aux résultats divergents ont été effectués par Thellier, qui ont (en 1959) suggéré une datation « tout à fait à la fin de l’occupation romaine » (communication de C. Journet dans Bull. Soc. Et. scient. Aude, 60, 1960, 37).
16 Fouille inédite de M. Passelac, signalée dans Gallia Informations, 1987-1988, 1, 219.
17 Cet ensemble fera prochainement l’objet d’une étude exhaustive, qu’il n’est pas possible de réaliser dans le cadre de cet article.
18 On rapprochera ce vase de la forme Santrot 226, à pâte jaune-rouge et engobe de même couleur, datée de la période 50-160 (Santrot 1979, 127).
19 Un problème particulier est posé par les grandes assiettes et les plats. Nous les avons retenus comme instruments de cuisson lorsqu’ils présentaient une pâte sableuse, l’absence de traces de suie n’étant pas nécessairement un argument défavorable (cuisson au four).
20 On rapprochera ce chiffre de celui donné pour un dépotoir plus ancien, d’époque tibéro-claudienne, fouillé sur une villa de Routier (Aude) : 70 % de céramiques claires, 30 % de céramiques foncées. Le mode de comptage n’est pas indiqué (Toulze 1984, 52). Nous ne pouvons suivre les auteurs qui voient dans les 30 % de céramique foncée à cette période une résistance particulièrement marquée ù la romanisation. Par ailleurs, nous ne décelons pas dans la région « dès le IIe s. et surtout au cours du IIIe (...) le renouveau de la céramique à cuisson réductrice de tradition gauloise ». Celle-ci ne dépasse pas en effet 3,37 % à Bernardis à la fin du IIe s.
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Les céramiques communes de Campanie et de Narbonnaise (ie s. av. J.-C. - iie s. ap. J.-C.). La vaisselle de cuisine et de table
Ce chapitre est cité par
- Wincenciak, Urszula. (2020) Porphyreon. Hellenistic and Roman pottery production in the Sidon hinterland. PAM Monograph Series 7. DOI: 10.31338/uw.9788323547341
Les céramiques communes de Campanie et de Narbonnaise (ie s. av. J.-C. - iie s. ap. J.-C.). La vaisselle de cuisine et de table
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