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Les céramiques communes de Campanie et de Narbonnaise (ie s. av. J.-C. - iie s. ap. J.-C.). La vaisselle de cuisine et de table

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Michel Bats

La Narbonnaise

Céramiques culinaires et vaisselle commune de table dans la région de Nîmes

Jean-Luc Fiches

Texte intégral

1Dans le cadre de la cité de Nîmes (fig. 1), le temps n’est pas encore venu d’une étude globale de la production et de la consommation des céramiques communes gallo-romaines. En abordant un tel sujet aujourd’hui pour le haut Empire, il s’agit surtout de mesurer l’ampleur des lacunes et les lenteurs de la recherche. Certes, depuis une dizaine d’années, ces documents sont davantage pris en compte et mieux caractérisés ; des ateliers ont été signalés sans susciter pourtant de recherches systématiques ni d’études détaillées des productions ; des faciès de consommation ont été mis en évidence grâce à des analyses quantitatives, mais les sites de référence restent peu nombreux et, pour l’essentiel, de même nature, puisque la documentation chiffrée repose sur trois agglomérations secondaires et une villa. Faire l’état de ces questions est donc le principal intérêt de cette contribution qui aborde, en conclusion, la typologie fonctionnelle et les aspects culturels qui en découlent.

1. Définitions

2C’est sur les sites de consommation que, dans cette région, l’étude des céramiques communes du haut Empire a été développée. Une première tentative a été réalisée avec le matériel d’une maison de l’oppidum d’Ambrussum (Villetelle, Hérault) datée de la seconde moitié du Ier s. de n. è. (Fiches 1986, 72-88). Prenant en compte le mode de cuisson (à post-cuisson oxydante ou réductrice) et la distinction faite à l’examen de la pâte des amphores G. 1 produites dans cette région (Laubenheimer 1985, 245), deux catégories, subdivisées en deux groupes, étaient définies : les céramiques à pâte calcaire, claires pour la plupart, et les céramiques à pâte sableuse, surtout grises, mais dans lesquelles était distinguée une série culinaire, souvent caractérisée par un dépôt de carbone en surface. En dehors des importations italiennes (céramique à vernis interne rouge pompéien) et des mortiers (italiques, mais surtout à pâte calcaire : mort-calc), deux autres catégories à post-cuisson réductrice étaient isolées : une céramique à points de chaux et une céramique à pâte rouge et épiderme noir, dite fumigée.

3Une autre étude concernant le quartier bas de ce site, occupé des environs de 30 avant jusque vers 240 de n.è., a permis une première analyse évolutive de ces catégories (Fiches 1989, 104-120). Sur les mêmes bases, l’étude du mobilier du quartier ouest de l’agglomération voisine de Lunel-Viel (Hérault), créée vers le milieu du Ier s. de n. è., a fourni des éléments de comparaison (Raynaud 1990, 125-150), de même que les fouilles de la ville portuaire de Lattes (Py 1990b ; Fiches 1994).

4Le dictionnaire des céramiques antiques de Méditerranée nord-occidentale (dicocer = Py 1993), auquel renvoie la typologie utilisée dans cette étude, a repris, dans l’ensemble, ces définitions.

5Les céramiques à pâte calcaire y sont qualifiées de céramiques à pâte claire récente (cl-rec), et de céramique à pâte claire engobée (cl-eng) lorsqu’elles portent un vernis argileux, ce qui les avait d’abord fait classer, à Ambrussum, dans la vaisselle fine. L’ambiguïté demeure, d’ailleurs, à ce sujet puisque dicocer regroupe sous l’appellation cl-eng des productions diverses, mais isole, dans la vaisselle fine, les dérivées de campaniennes (der-a, der-c) et les imitations de sigillées, dites pré-sigillées sud-gauloises (pre-sigga), et, dans les communes, une céramique grise savonneuse (gr-sav) qui n’est autre qu’une pâte calcaire à post-cuisson réductrice, parfois pourvue d’un engobe noir, mais rangée alors dans les imitations de fines (Py 1993, 459) bien que répertoriée aussi en cl-eng. En fait, c’est le recours à l’appellation de “claire” qui a imposé la distinction de “grise savonneuse”, mais il s’agit vraisemblablement de mêmes productions, comme en témoigne notamment l’atelier de Lafoux présenté ci-dessous.

Fig. 1 - La cité de Nîmes. Lieux de production et de consommation étudiés.
1. Courbe de niveau des 60 m. 2. Relief entre 100 et 200 m. 3. Relief entre 200 et 800 m. 4. Relief au-dessus de 800 m. 5. Limite probable de la cité. 6. Route antique. 7. Atelier de céramique commune (haut Empire). 8. Atelier d’amphores. 9. Sites de consommation.

6Les céramiques fumigée, à points de chaux (p-chaux), kaolinitique (kaol) et sableuse du Languedoc oriental (sabl-or) y présentent une même typologie, codifiée par une lettre selon la famille du vase (urne, bol, coupe, etc.) suivie d’un numéro pour la forme (Py 1993, 548). La parenté de ces productions conduira à les considérer ici dans leur ensemble pour l’étude des faciès de consommation et des utilisations. Il est bien difficile, en particulier, de distinguer kaolinitiques (étudiées à partir de la vallée du Rhône) et sableuses (identifiées en Languedoc oriental), qu’il faut sans doute considérer comme un même ensemble de productions réalisées dans des ateliers différents de la basse vallée du Rhône et de ses abords comme la vallée du Gardon et l’Uzège en territoire arécomique, où des fabriques médiévales et modernes sont bien attestées, mais où l’on ne connaît pas encore d’ateliers avant l’Antiquité tardive.

Fig. 2 - Productions de l’atelier de Lafoux (Remoulins, Gard).

2. Productions

7Bien qu’on ne dispose pas d’analyses de pâtes et que les groupes définis à l’œil présentent certaines variations, on peut tout de même avancer que la plupart des céramiques communes tournées, même lorsqu’elles imitent des prototypes italiques, proviennent de la région au sens large. En effet, pour toutes les catégories, à l’exception de la céramique à points de chaux, on connaît des ateliers dans la cité de Nîmes.

2.1. Inventaire des ateliers

8Pour mesurer l’étendue des lacunes dans ce domaine, il suffira d’indiquer que l’on connaît moins d’ateliers où la fabrication de céramique commune est attestée et caractérisée, que d’ateliers ayant fabriqué des amphores (une dizaine selon Laubenheimer 1985, 351).

9Pour la céramique claire à pâte calcaire, on a découvert un atelier du troisième quart du Ier s. av. n. è. à Nîmes même (Sauvage 1993, types cl-rec 3a, 12a) ; un autre, d’époque augustéenne, à Saint-Côme (Py 1990a, 462, n. 246, type a-gaul 8) ; et, pour le haut Empire, des productions associées à celle d’amphores à Meynes (Laubenheimer 1985, 145 : atelier de Clausonne).

10La céramique fumigée, présente à Nages sous forme de vases non tournés au début du Ier s. av. n.è., puis finis au tour lent vers le milieu de ce siècle (Py 1978, 192, 198-202), a été produite, au premier quart du Ier s., à Sextantio, station de la voie Domitienne proche de Lattes (Ramonat 1989).

11Quant aux céramiques sableuses et kaolinitiques, les argiles du massif de la Cèze ont été utilisées à Chusclan (Laubenheimer 1985, 140), mais l’atelier le plus proche du littoral languedocien serait celui qui fut signalé en 1912 à Lafoux (Remoulins, Gard), au pied de l’oppidum de Marduel.

2.2. Un exemple d’atelier aux productions diversifiées

12Cette découverte, passée pratiquement inaperçue, mérite qu’on s’y attarde en analysant le compte rendu détaillé qui en a été fait (Mazauric 1906-1913, 322-325, schéma de localisation et dessins de vases). L’atelier, situé au-dessous de la gare de Lafoux, en rive droite d’un ancien gué sur le Gardon, se signalait par une abondance extraordinaire de poteries en surface ; une fouille a livré une grande variété de vases, des tas de cendres et des éléments provenant de fours détruits, ainsi que des amas de terre (limon rouge des alluvions anciennes) préparée pour la fabrication. L’atelier a produit, dans les mêmes formes, des céramiques à post-cuisson réductrice et à post-cuisson oxydante. Deux types de pâte ont été observés :

  • un mélange d’argiles marines de faciès “plaisancien”, très abondantes dans la région, et de sable fin micacé du Gardon (céramique à pâte sableuse) ;

  • un mélange d’argiles marines et de limons rouges (céramique à pâte calcaire).

13A ces dernières se rapportent sans doute quelques guttus en terre jaune ou grise « de types bien connus » et deux très petites amphores, ainsi que de nombreux débris de mortiers (dits “vases-râpes” à bec-verseur). Les ollae étaient également nombreuses dont quelques-unes, de petites dimensions, étaient peintes en rouge, principalement à la base et sous le pied. De petites cruches à une anse présentent un bord évasé arrondi sur un col rétréci (fig. 2 : type cl-rec 3h). Parmi elles, un type se distingue par un versoir élégant à l’opposé duquel se trouve un bouton au-dessus de l’anse. En céramique jaune ou rosée, se rencontrent enfin de grands pots tronconiques (h. 30 à 40 cm), à fond plat et bord à marli horizontal, de type cl-rec 25c (fig· 2).

14Aux céramiques à pâte sableuse, on peut attribuer des plats et assiettes, dont la forme la plus courante, en terre grise, correspond au type kaol C6A ou au type sabl-or C13 (fig. 2). Les pots sont extrêmement nombreux et de toutes dimensions. Sont également abondants et le plus souvent gris, des cruches à bec pincé (fig. 2 : kaol et sabl-or F1) et des récipients aux dimensions variables (fig. 2 : kaol 14) dont les exemplaires clairs sont ornés de dessins linéaires sur le dessus. Ces derniers récipients sont qualifiés de gourdes dans dicocer, mais y voir des bassinoires ou des bouillottes (Goudineau 1978, 208) paraît plus satisfaisant. Les cruches F1 peuvent aussi avoir servi de bouilloires, car on y trouve fréquemment, sur les sites de consommation, un dépôt calcaire à l’intérieur.

Fig. 3 - Évolution du rapport entre céramiques communes (toujours majoritaires) et vaisselle fine à Lattes, Ambrussum et Lunel-Viel (en % de fragments par rapport à la vaisselle).

15Enfin, de petits vases sans anse et au pied allongé ont l’allure d’urnes balustres (pour Mazauric, ils évoquent des productions de La Tène), mais, en l’absence de description technique, on ne peut écarter l’hypothèse de bouchons d’amphores à bouton aplati et panse globuleuse (variante cl-rec 16f).

3. Faciès de consommation

3.1. Évolution générale

16A Lattes, trois temps, qui marquent l’évolution des rapports entre vaisselle fine et céramiques communes à l’époque romaine, ont été définis à partir du comptage des fragments de céramiques dans la zone 5 (Fiches 1994). Dans la première moitié du Ier s. av. n. è., la vaisselle fine est presque aussi bien représentée que les communes ; dans la seconde moitié de ce siècle, elle l’est deux fois moins ; aux périodes plus récentes, elle l’est presque dix fois moins. A partir du milieu du Ier s. av. n. è., on peut comparer cette évolution (fig. 3) avec celle qui a été observée dans le quartier bas de l’oppidum voisin d’Ambrussum (Fiches 1989, 95, tabl. 35) où la situation n’est comparable que dans la première moitié du Ier s. de n. è. Auparavant, la place de la vaisselle fine est nettement moins importante à Ambrussum qu’à Lattes (12 à 18 % de la vaisselle au lieu de 32 % environ) ; par la suite, elle est, au contraire, beaucoup mieux représentée (24 % de la vaisselle au lieu de 13 % environ à Lattes). La situation lattoise est beaucoup plus proche de celle de Lunel-Viel (10,2 %) et semble plus conforme à ce que l’on observe généralement en Gaule méridionale, comme on peut le constater par ailleurs dans cet ouvrage.

Fig. 4 - Évolution des proportions des différentes céramiques communes à Lattes, Ambrussum (haut et bas) et Lunel-Viel (en % de fragments par rapport à l’ensemble des céramiques communes.

17Pour les communes, ces faciès successifs sont les suivants :

  1. Dans la première moitié du Ier s. av. n. è., céramiques non tournées et claires récentes constituent l’essentiel.

  2. La seconde moitié du Ier s. av. n. è. voit le développement de nouvelles productions tournées (céramiques fumigée, à points de chaux, puis sableuse et kaolinitique) et l’accroissement des claires récentes. La place de la céramique non tournée, toujours bien représentée, est donc réduite. Les données concernant la queue de production de cette catégorie sont d’ailleurs tout à fait concordantes à Lattes et à Ambrussum : 47 et 45 % des communes dans le dernier quart du Ier s. av. n. è. ; 6 et 8 % dans la première moitié du Ier s. de n. è (fig. 4).

  3. Aux Ier et IIe s., les céramiques tournées produites dans le midi de la Gaule ne connaissent pratiquement pas de concurrence (fig. 3). Au IIe s., en effet, les céramiques culinaires d’Afrique (af-cui) ne représentent à Lattes que 2,4 % des communes, et leur proportion y est nettement plus forte qu’à Ambrussum ou à Lunel-Viel où ce taux ne sera dépassé que dans la seconde moitié du IIe s. (3,1 %). Mais cette situation n’est certainement pas de règle sur tous les la fin du Ier s. av. n. è. sur tous sites de la région. En effet, grâce les sites de la région. En effet, aux données inédites qu’a bien voulu nous communi grâce aux données inédites qu’a bien voulu nousquer Christophe Pellecuer, on peut observer une communiquer Christophe Pellecuer, on peut observer situation bien différente dans un contexte domanial : ainsi, une situation bien différente dans un contexte domanial : la villa des Prés-Bas à Loupian (Hérault), située plus ainsi, la villa des Prés-Bas à Loupian (Hérault), située à l’ouest aux confins des cités de Nîmes et plus à l’ouest aux confins des cités de Nîmes de Béziers, se distingue par une plus et de Béziers, se distingue par une grande quantité d’importations africaines : 5,7 % entre 50 et 150 ; plus grande quantité d’importations africaines : 5,7 % entre 50 et 11,8 % entre 150 et 225. 150 ; 11,8 % entre 150 et Cette différence concerne également les importations italiennes 225. Cette différence concerne également les importations qui représentent, à Loupian, 10,5 % des communes entre italiennes qui représentent, à Loupian, 10,5 % des communes 25 et 50 (mais l’échantillon est faible : moins entre 25 et 50 (mais l’échantillon est faible : de 400 fragments), alors que, dans les agglomérations déjà citées, moins de 400 fragments), alors que, dans les agglomérations déjà elles atteignent au mieux 3 % à citées, elles atteignent au mieux 3 % à la fin du Ier s. av. n. è.

3.2. Évolution des productions de la région 3.2. Évolution des productions de la région

18On a pu harmoniser par période (entre-25 et +200), les données quantitatives fournies par les fouilles de trois agglomérations secondaires : Lattes (zone 5), Ambrussum (secteur IV et quartier bas) et Lunel-Viel (quartier ouest). La figure 4 fournit, pour chaque fouille, le pourcentage en nombre de fragments de chaque catégorie par rapport à l’ensemble des communes, selon des séquences dont la durée est variable, compte tenu des données stratigraphiques. En fonction des données disponibles, il On a pu harmoniser par période (entre-25 et +200), les données quantitatives fournies par les fouilles de trois agglomérations secondaires : Lattes (zone 5), Ambrussum (secteur IV et quartier bas) et Lunel-Viel (quartier ouest). La figure 4 fournit, pour chaque fouille, le pourcentage en nombre de fragments de chaque catégorie par rapport à l’ensemble des communes, selon des séquences dont la durée est variable, compte tenu des données stratigraphiques. En fonction des données disponibles, il n’a pas été possible de travailler sur le nombre minimum d’individus, mais on a pu vérifier à Lattes que ces deux types de proportions étaient généralement corrélés (Fiches 1994). Certes, ce tableau fait apparaître quelques anomalies : ainsi, les 67 % de pâtes calcaires à Ambrussum dans la première moitié du Ier s. de n.è., ou les 42 % de sableuses à post-cuisson oxydante à Lunel Viel dans la première moitié du IIe s., traduisent peut-être des difficultés à isoler, au niveau des tessons informes, les communes de certaines amphores gauloises. Cependant, et malgré de tels biais, cette approche quantitative offre matière à quelques commentaires sur des évolutions générales et des spécificités locales.

Fig. 5 - Évolution des proportions des différentes céramiques “grises” dans la zone 5 de Lattes (en pourcentage de fragments par rapport à l’ensemble des céramiques communes).

19Sans être majoritaires, les plus répandues sont les céramiques à pâte calcaire (cl-rec, cl-eng, mort-calc). A Lattes, elles représentent entre 28 et 34 % des communes entre-25 et 100 et atteignent ensuite près de 42 %. A Ambrussum, au contraire, elles se rencontrent dans des proportions plus importantes jusqu’à la fin du Ier s. (même sans retenir les 67 % de la première moitié). En revanche, leur déclin au II e s. y est net (33 %), comme à Lunel-Viel, où il est plus marqué encore (25 %). Il en est de même à Loupian où cette céramique représente 35,24 % des communes entre le milieu du Ier et le milieu du IIe s., mais seulement 23 % entre 150 et 225. On notera cependant que, jusqu’au milieu du Ier s. de n.è., les claires engobées sont en moyenne quatre fois plus nombreuses à Lattes qu’à Ambrussum.

20Pour les autres céramiques communes, le faciès lattois (fig. 5) présente également quelques originalités. Les céramiques fumigée et à points de chaux s’y rencontrent toujours en plus forte proportion qu’à Ambrussum (pratiquement deux fois plus et même davantage avant le changement d’ère). La période où l’on trouve le taux maximal est cependant concordante sur les deux sites (fig. 4) : la première moitié du Ier s. pour la fumigée et la seconde moitié pour la céramique à points de chaux. Cette dernière, qui est pratiquement absente à Loupian avant le milieu du Ier s. de n. è. (mais le matériel est peu abondant), y représente plus de 20 % des communes entre 50 et 150 (et si l’on ne tient pas compte des couches datées très précisément entre 125 et 150, le taux atteint même 47 %), avant de pratiquement disparaître (1,5 % entre 150 et 225). Les données de Loupian et celles de Lattes (31 % des communes dans la seconde moitié du Ier s.) invitent donc à localiser les ateliers de céramiques à points de chaux plutôt dans l’Hérault que dans le Gard.

21Le faciès lattois se distingue aussi par la rareté des céramiques sableuses à post-cuisson oxydante (sabl-o : 1,5 à 3 % au haut Empire) alors qu’à Ambrussum et Lunel-Viel, cette catégorie représente 15 à 20 % des communes, et même deux fois plus à Lunel-Viel dans la première moitié du II e s. Sa place est moins importante à Loupian, mais tout de même plus forte qu’à Lattes : 11,9 % entre 50 et 150 ; 16 % entre 150 et 225. A Ambrussum et à Lunel-Viel, son maximum se situe dans la seconde moitié du Ier s., période où les amphores G. 1 à pâte sableuse, produites avec de la céramique commune dans la région de Bagnols-sur-Cèze, sont également les plus répandues (Laubenheimer 1985, 128, 140, 166 et 248).

22Pour la céramique kaolinitique, les données de Lattes laissent supposer une progression régulière au cours du Ier s., la seconde moitié fournissant la plus grande proportion (24 %). On ne peut cependant faire de comparaisons à ce sujet car, à Ambrussum comme à Lunel-Viel, kaolinitique et sableuse grise (SABL-R) n’ont pas été distinguées. Sachant que les mêmes ateliers ont produit des céramiques sableuses à post-cuisson oxydante et réductrice (Goudineau 1978), c’est en comparant l’ensemble des sableuses (SABL-OR) associées à la kaolinitique que l’on peut mettre en évidence des différences significatives entre les sites. En effet, cet ensemble représente 29 à 31 % des communes lattoises des Ier et IIe s. La situation est proche de celle de Loupian : 25 à 37 % entre 50 et 225. En revanche, sa place à Ambrussum est plus importante et en progression régulière, à partir du milieu du Ier s. (de 37 à 54 %), le phénomène étant plus marqué encore à Lunel-Viel (67 à 74 %) ; dans ce dernier cas, cependant, ce groupe peut inclure des céramiques fumigée et à points de chaux qui sont curieusement absentes. Cette différence géographique confirme donc qu’il s’agit bien de productions bas-rhodaniennes qui voient leur diffusion réduite dans le bassin du Lez et au-delà.

4. Approche culturelle

4.1. Lattes, une étude de cas

23Michel Bats avait esquissé une approche culturelle du faciès céramique lattois (Bats 1990), tout en reconnaissant la faiblesse statistique de son échantillon pour la période la plus récente qu’il ait envisagée (-25/+100). Pour prolonger son étude, on a choisi d’exploiter l’une des ressources de DICOCER en classant les 1 096 bords de céramiques communes de la zone 5 (-25/+200) en fonction de la catégorie de céramique, mais aussi de l’utilisation du vase (Fiches 1994). En groupant les périodes, on a renoncé à une analyse évolutive mais donné consistance à l’échantillon, considérant, en outre, que les niveaux les plus récents pouvaient contenir du matériel de l’ensemble de la période retenue.

24L’histogramme (fig. 6) montre la place des différentes catégories de communes selon l’usage : transport et stockage, cuisson, préparation, service de table. Les couvercles ont été comptabilisés mais isolés sur une colonne car ils appartiennent à des vases d’usage différent ; leur mention présente l’avantage de préciser leur fréquence, variable selon les catégories : ils sont ainsi plus nombreux que les vases importés, mais ne concernent qu’environ 18 % des céramiques non tournées, 15 % des grises et 3 % des pâtes calcaires.

25Une telle répartition fait apparaître :

  • l’importance d’un groupe de productions qui présentent un même fond typologique (fum, p.-chaux, sabl-or, kaol) et qui sont majoritairement grises (appellation que l’on utilise désormais par commodité),

  • la spécialisation plus marquée des céramiques à pâte calcaire, avec ou sans engobe, qui sont un peu moins nombreuses que les premières,

  • le rôle secondaire des importations d’Italie puis d’Afrique que l’on a déjà souligné,

  • l’apport non négligeable des céramiques non tournées, qui ne concerne cependant que le début de la période considérée.

4.2. Une typologie fonctionnelle

26Même si l’attribution de telle ou telle forme à un usage précis peut être discutée, l’ensemble permet tout de même de distinguer les principales destinations de la céramique commune et de mesurer, pour chacune d’elles, l’apport des différentes catégories. On présentera les différents usages en suivant dicocer et selon l’ordre croissant de leur attestation dans l’échantillon lattois défini ci-dessus (pourcentage des bords hors couvercles) :

  • préparation : broyer, mélanger, servir (10 %),

  • service de table : verser, servir, boire, manger (23 %),

  • transport, stockage : porter, conditionner (29 %),

  • stockage, cuisson : conditionner, cuire, bouillir, frire, mijoter (38 %).

27Dans la présentation typologique développée ci-dessous, on a associé aux documents lattois, ceux qui sont attestés au haut Empire dans les deux autres agglomérations de référence.

4.2.1. Préparation

28Dans ce domaine, domine l’usage des mortiers et des coupes-mortiers (sans revêtement de quartz ou de calcite à l’intérieur) qui sont principalement en céramique à pâte calcaire (cl-rec 18a-c, 19b-c, 20a, 21b-c) et, dans une bien moindre mesure, d’origine italique (com-it 8d-f) ; les jattes, presque aussi courantes, sont surtout en céramiques grises (B4, B5) qui prennent le relais des productions non tournées (cnt-lor J1e).

4.2.2. Service de table

29Le complément des céramiques fines (sigillée, parois fines, claires) n’est pas seulement, comme on aurait pu le croire, le fait des céramiques à pâte calcaire. Dans l’échantillon lattois, celles-ci sont certes essentiellement vouées à cet usage (56 %) et représentent la moitié des bords attribués au service de table, dans lequel les céramiques de tradition locale (cnt-lor C1-2, fum. B4) conservent, cependant, une place importante.

30Dans la région, ces dernières fournissent, avec les autres grises, des coupes (B4), des pichets (G1, G2, G4, G5) et des cruches (F4, F6), dont les “bouilloires” à bec pincé (F1) qu’il conviendrait peut-être de ranger parmi les vases de cuisson ou de préparation. Le répertoire des céramiques à pâte calcaire est, dans ce domaine, plus diversifié : en effet, aux cruches (cl-rec 1j, 1k, 2c, 2j, 2k, 3d, 3h, 3m, cleng F10), jattes (cl-rec 12e), coupes et coupelles (cl-rec 13a, 13b1, 13g, 13j, 13m), s’ajoutent des gobelets (cl-rec 8, 10b) et des assiettes, ces derniers types étant très souvent engobés (cl-eng B1, B2b, B7, C2, C5 à 7, G4).

4.2.3. Transport et stockage

31Les grandes urnes grises, qui peuvent être pourvues d’une ou deux anses, sont très largement majoritaires. La tradition indigène est forte mais une évolution se dessine : les formes Al et A11 sont connues avant le changement d’ère ; A12 et A14 apparaissent dans la première moitié du Ier s. ; A8, A13, A32, A33 vers le milieu de ce siècle ; A6, A7, A9 semblent caractéristiques du IIe s. L’apport des céramiques calcaires se fait essentiellement par de petites amphores (cl-rec 9a, 9d, 9e 1, 9f), mais aussi quelques urnes (cl-rec 10b, 12a, 12b, 12e).

4.2.4. Stockage et cuisson

32Ce sont les céramiques grises, là encore héritières des vases non tournés, qui constituent l’essentiel des pots susceptibles d’aller au feu, mais les céramiques importées, bien que moins nombreuses, sont essentiellement affectées à cet usage. En revanche, les céramiques à pâte calcaire n’interviennent pratiquement pas dans ce domaine.

Fig. 6 - Répartition selon leur catégorie et leur usage des 1096 b bords de céramiques communes répertoriés dans la zone 5 de Lattes (-25/+200).

33Dans l’échantillon lattois, 10 % de ces vases sont des patinae qui peuvent traduire l’usage de la friture ; les importations lointaines (com-it 6a-c, 6g ; rpomp 1,15, 28 ; af-cui 23, 27) y prennent la même part que les plats gris de la région (C1-6) qui ne représentent que 3 % des bords de ces catégories, mais dont certaines formes sont attestées à Lattes avant n. è. (Cl, C2 et C5) ou peu après (C3).

3416 % regroupent caccabus et patella, marmite et faitout, dans lesquels la tradition locale (cnt-lor J2-3) et les productions régionales, influencées par des prototypes italiques, ne se ressentent guère de la concurrence étrangère (af-cui 197). Le répertoire régional, bien qu’il ne représente que 7 % des bords gris, est d’ailleurs diversifié dès avant le changement d’ère (B1, B7, B12, B13, C13) et se renouvelle peu au cours du Ier (B14) et du IIe s. (B6, B8).

35Les ollae, enfin, restent largement majoritaires (74 %) même sans tenir compte des plus gros conteneurs décrits au paragraphe précédent. En intégrant ceux-ci, l’ensemble des ollae grises (série A) constituent d’ailleurs 73 % des bords de ces catégories. Il est sûr que tous ces pots n’étaient pas destinés à aller au feu, mais, lorsque c’était le cas, ils servaient sans doute à faire bouillir des aliments. Dans cette catégorie, les importations sont exceptionnelles et précoces (com-it 1b). La tradition indigène est forte (cnt-lor U5, U7) mais une évolution régionale est sensible : à la forme A10, très courante, et qui apparaît dans le troisième quart du Ier s. av. n. è. avec A4, A5, A13 et A15, s’ajoutent, au cours de la première moitié du Ier s. de n. è., A2, A3 et A23, alors que A19 et A24 semblent apparaître au cours du IIe s.

36La grande quantité d’urnes ou pots atteste le maintien de traditions culinaires dans des agglomérations d’origine protohistorique comme Lattes et Ambrussum. Cependant, marmites et plats en céramiques grises, associés aux importations, marquent un progrès relatif d’autres modes de cuisson (friture, four) dont l’assimilation a atteint un degré suffisant pour susciter des productions dans la région. Michel Bats soulignait naguère « la force des traditions indigènes et l’indifférence (ou la résistance ?) à cet aspect de la romanisation » (Bats 1990, 356). L’utilisation, dès l’époque augustéenne, de poêles, de plats et de marmites imités de modèles italiens oblige à nuancer cette appréciation.

37Le faciès de consommation de Lunel-Viel, créé vers le milieu du Ier s. de n.è., n’est guère différent de ceux des agglomérations plus anciennes, ce qui peut rendre compte du mode de vie plutôt “rural” des populations autochtones ainsi regroupées. En revanche, celui de la villa des Prés-Bas à Loupian, pourvue d’une pars urbana vers 50 de n. è., suggère que d’autres milieux, plus “citadins”, seraient davantage ouverts aux importations lointaines. Pour en avoir la confirmation, il faudrait disposer de données recueillies dans des domus du chef-lieu nîmois.

Bibliographie

Références bibliographiques

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Fiches 1986 : FICHES (J.-L.), Les maisons gallo-romaines d’Ambrussum (Villetelle-Hérault) : la fouille du secteur IV, 1976-1980. Paris, 1986 (DAF, 5).

Fiches 1989 : FICHES (J.-L.) (dir.), L’oppidum d’Ambrussum et son territoire. Paris, 1989 (Monog. du CRA, 2).

Fiches 1994 : FICHES (J.-L.), Les céramiques d’époque romaine (Ier s. avant-IIe s. de notre ère). In : GARCIA (D.) (dir.), Exploration de la ville portuaire de Lattes. Lattes, 1994 (Lattara, 7), 333-372.

Goudineau 1978 : GOUDINEAU (Chr.), GRAS (R.), La céramique grise gallo-romaine. Note complémentaire. RANarb, XI, 1978, 196-212.

Laubenheimer 1985 : LAUBENHEIMER (F.), La production des amphores en Gaule Narbonnaise. Paris, 1985.

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Ramonat 1989 : RAMONAT (R.), SAHUC (M.), Un four de potier gallo-romain à Navitau, Castelnau-le-Lez, Hérault. Archéologie en Languedoc, 1989, 4, 107-110.

Raynaud 1990 : RAYNAUD (Cl.), Le village gallo-romain de Lunel Viel (Hérault), la fouille du quartier ouest (1981-1983). Paris, 1990.

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Table des illustrations

Légende Fig. 1 - La cité de Nîmes. Lieux de production et de consommation étudiés.1. Courbe de niveau des 60 m. 2. Relief entre 100 et 200 m. 3. Relief entre 200 et 800 m. 4. Relief au-dessus de 800 m. 5. Limite probable de la cité. 6. Route antique. 7. Atelier de céramique commune (haut Empire). 8. Atelier d’amphores. 9. Sites de consommation.
URL http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1921/img-1.jpg
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Légende Fig. 2 - Productions de l’atelier de Lafoux (Remoulins, Gard).
URL http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1921/img-2.jpg
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Légende Fig. 3 - Évolution du rapport entre céramiques communes (toujours majoritaires) et vaisselle fine à Lattes, Ambrussum et Lunel-Viel (en % de fragments par rapport à la vaisselle).
URL http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1921/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 128k
Légende Fig. 4 - Évolution des proportions des différentes céramiques communes à Lattes, Ambrussum (haut et bas) et Lunel-Viel (en % de fragments par rapport à l’ensemble des céramiques communes.
URL http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1921/img-4.jpg
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Légende Fig. 5 - Évolution des proportions des différentes céramiques “grises” dans la zone 5 de Lattes (en pourcentage de fragments par rapport à l’ensemble des céramiques communes).
URL http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1921/img-5.jpg
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Légende Fig. 6 - Répartition selon leur catégorie et leur usage des 1096 b bords de céramiques communes répertoriés dans la zone 5 de Lattes (-25/+200).
URL http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1921/img-6.jpg
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