Les céramiques communes de Campanie et de Narbonnaise (ie s. av. J.-C. - iie s. ap. J.-C.). La vaisselle de cuisine et de table
|La Narbonnaise
Vaisselle commune de table et de cuisine en basse Provence au IIe siècle de notre ère
Texte intégral
Introduction
1Dans le cadre de mon doctorat d’Université, j’ai récemment étudié très largement l’ensemble des céramiques découvertes sur une trentaine de gisements provençaux. Il s’agit parfois de fouilles ou prospections publiées, mais le plus souvent ce sont des documents inédits (Pasqualini 1993) (fig. 1). Le matériel étudié représente une masse globale d’environ 70 000 fragments de céramiques correspondant à plus de 4 400 individus, pour une période comprise entre le Ier siècle de notre ère et le IIIe siècle. Il provient de sites d’habitats urbains ou ruraux, de cimetières et aussi d’ateliers de potiers. Pour déterminer plus précisément l’origine de certaines céramiques, j’ai élargi les comparaisons à d’autres gisements archéologiques du bassin méditerranéen (fig. 2).

Fig. 1 - Origine des céramiques étudiées.
1) Vintimille (Italie)
2) Notre-Dame d’Avinionet (Mandelieu, AlpesMaritimes)
3) Vaugrenier (Villeneuve-Loubet, Alpes-Maritimes)
4) Cour de l’Archevêché (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône)
5) Forbin (Aix-enProvence, Bouches-du-Rhône)
6) La Cancelade (Puyloubier, Bouches-duRhône)
7) Les Laurons (Les Arcs-sur-Argens, Var)
8) Saint-Jean (Les Arcs-surArgens, Var)
9) La Tuilière (Bras, Var)
10) La Calade (Cabasse, Var)
11) La Guérine (Cabasse, Var)
12) Les Biais (Vidauban/Le Cannet des Maures, Var)
13) Le Revbaou (La Celle, Var)
14) Saint-Jaume (Barjols, Var)
15) Le Logis-Clastre (Fox-Amphoux, Var)
16) Les Aiguières (Fréjus, Var)
17) Clos-de-la-Tour (Fréjus, Var)
18) Place Formigé (Fréjus, Var)
19 et 20) Le Pauvadou (Fréjus, Var)
21) La Plate-Forme (Fréjus, Var)
22) La Porte d’Orée (Fréjus, Var)
23) Saint-Michel (La Garde, Var)
24) Berne (Lorgues, Var)
25) Château-Rima (La Martre, Var)
26) Le Grand-Loou (La Roquebrussanne, Var)
27) Les Roches d’Aurelle (Saint-Raphael, Var)
28) L’Ormeau (Taradeau, Var)
29) Besagne (Toulon, Var)
30) La Floride (Le Val, Var)
31) Château Thuéry (Villecroze, Var)
2Le principe de l’étude était de partir de groupes de production connus ou supposés et d’établir la typologie et la chronologie de chaque production. J’ai choisi dans le cadre de ces journées de ne parler que des productions du IIe siècle qui sont les mieux représentées dans mon travail.
Cadre historique et géographique
3La Provence ne constitue pas une entité géomorphologique homogène, sa diversité structurelle a profondément marqué ses habitants et leur mode de vie. Les auteurs ont souvent décrit de façon saisissante cette terre tourmentée. « Entre les littoraux marécageux de la Camargue et la côte escarpée de l’Estérel, entre la Crau rugueuse et le Ventoux enneigé, les Sorgues limpides et les iscles duranciens caillouteux, entre le couloir rhodanien venteux et la douceur ensoleillée de la côte d’Azur, entre la garrigue rabougrie par le feu et la forêt de mélèzes que de contrastes et d’oppositions ». « C’est aussi un mot qui a une histoire : un nom commun, la Provincia des Romains, est devenu en effet un nom propre, celui d’une région qui unit le Rhône aux Alpes ». Marquée très tôt par les Grecs, puis par les Latins, « cette partie de l’ancienne Narbonnaise fut la dernière à passer sous le contrôle des barbares » (Février 1989).
4Le relief de la basse-Provence peut se diviser en trois grands ensembles (Livet 1962) :
-
chaînes et grands bassins au centre (Lubéron, Sainte-Victoire, Sainte-Beaume, Mont-Aurélien aux pieds desquels se trouvent les bassins d’Aix-en-Provence, du Beausset, de Marseille...) ;
-
montagnes usées et bassins réduits de la Provence varoise (abaissement du relief mais multiplication des obstacles, Gros Bessillon, montagne de la Loube, Mont Caume, Grand Cap, Pilon Saint-Clément, auxquels correspondent quantité de petits sins et à l’est la dépression permienne qui se développe sur plus de cent kilomètres, entre le massif cristallin des Maures et le plateau triasique) ;
-
plaines et collines de l’ouest rhodanien (un relief peu marqué - les Alpilles, la Nerthe -, de vastes cuvettes peu accentuées, des bassins qui vont s’élargissant bordent les plaines alluviales de la Durance et du Rhône).
5Rhône et Durance ouvrent la région à la Gaule du nord et à l’Italie. La côte s’offre largement aux influences méditerranéennes par ses nombreux sites portuaires. La diffusion des céramiques est très dépendante de la morphologie du paysage. Le relief montagneux de la Provence centrale et orientale rend sa pénétration difficile. Malgré la présence, à l’époque romaine, de la voie reliant l’Italie à l’Espagne toute cette partie ne semble pas avoir été très ouverte aux influences extérieures. Les céramiques importées d’autres régions méditerranéennes se rencontrent en relative abondance essentiellement sur les sites rhodaniens et du littoral. Ailleurs, les productions locales dominent.
La vaisselle commune : définition, production et classification
Généralités
6Il est souvent possible de restituer les murs, les étages, les toits d’une maison réduite à ses fondations à partir du plan et des éléments de la destruction retrouvés en fouille. Vouloir restituer un cadre de vie précis à partir de la multitude de matériel produit par la fouille, dans lequel la céramique n’est qu’un élément parmis d’autres, est plus aléatoire. De fait l’approche de la vie quotidienne est le plus souvent impossible à partir des vestiges mis au jour. Pourtant la documentation est abondante quand on considère la seule quantité de tessons de céramiques. Mais l’utilisation de cet élément essentiel a ses limites. Pour pouvoir l’utiliser au mieux il est nécessaire de bien comprendre l’environnement dont il provient et d’établir un mode d’exploitation clair qui permette les comparaisons de site à site.
7Parmi les gisements archéologiques de basse Provence que j’ai pu étudier, la maison de la place Formigé à Fréjus est le seul cas où les céramiques ont pu être retrouvées écrasées en place sur les sols à la suite d’une destruction violente. Lorsqu’il ne s’agit pas d’offrandes associées à des tombes, elles proviennent le plus souvent de remblais ou de dépotoirs. On sait la difficulté d’interpréter du matériel issu de ce genre de contextes, parfois constitués sur de longues durées ou encore déplacés, dans lesquels les éléments résiduels sont toujours présents. D’autre part la masse de tessons est souvent trompeuse. Dans six fouilles où j’ai pu mettre en relation nombre de fragments et nombre d’individus on constate que pour 16485 tessons nous n’avons que 1839 individus. La répartition dans le temps est aussi souvent déséquilibrée. La fin du Ier siècle et le IIe siècle fournissent l’essentiel du matériel. Par exemple, à la Roquebrussanne, dans la catégorie des productions à pâte claire, 41 % des fragments proviennent des niveaux du IIe siècle (3134 sur 7617 fragments).
8Même s’il est nécessaire de le considérer avec beaucoup de prudence et s’il ne faut pas perdre de vue le décalage géographique avec nos sites, l’inventaire de la vaisselle découverte dans les maisons de Pompéi montre que celle-ci n’est pas uniquement composée de céramiques. Dans les maisons de l’îlot I de la regio X, outre la répartition logique du matériel dans la salle à manger, la cuisine, l’atrium et le cellier, la quantité d’objets utilisés est relativement modeste et le bronze prend dans l’ensemble une assez grande importance. Sur 275 objets utilitaires recensés dans les maisons, 159 sont en céramique et 52 en bronze, soit respectivement 57 et 18 % (Elia 1936).
9Il existe aussi d’autres paramètres dont les conséquences sont plus difficiles à évaluer. La différence entre villes et campagnes, riches et pauvres ; chacun avait sa spécificité, ses habitudes, ses coutumes. Sous un même toit, maître et esclaves ne vivaient sans doute pas de la même manière, n’utilisaient pas les mêmes objets.
10S’il y avait une conclusion à tirer de ces quelques observations, ce serait que la céramique ne peut donner qu’un témoignage partiel sur la vie quotidienne et sans doute renseigne-t-elle avant tout sur les coutumes de table et de cuisine des plus pauvres.
Les structures de production régionales
11Fréjus et sa région est l’endroit où l’on connaît le plus d’ateliers de potiers en basse Provence. Il est difficile d’affirmer s’il s’agit bien là d’une particularité ou tout simplement du résultat d’une documentation lacunaire. Toujours est-il qu’on y trouve concentrés une quinzaine d’ateliers qui se répartissent entre la périphérie urbaine et l’arrière-pays. Ceux de l’arrière-pays sont dans le bassin de l’Argens et ont utilisé des bancs d’argiles finement micacées. Dans les argiles utilisées par les ateliers fréjusiens apparaissent à côté du mica des particules sableuses bien visibles à l’œil nu. (Brentchaloff 1980 ; Laubenheimer 1985 ; Pasqualini 1988). Les premiers paraissent spécialisés dans la production de formes ouvertes de vaisselle de table, le plus souvent engobées ; les seconds qui fabriquaient en premier lieu des amphores, produisaient aussi des formes fermées et des vases ouverts de service, généralement non engobés. Ces pâtes claires ont bénéficié d’une large diffusion dans toute la basse Provence. Marseille et Arles sont peut-être à l’origine de cette production. On connaît les pâtes claires marseillaises d’époque héllénistique imitant les formes de campanienne. A Marseille cette production paraît continuer à l’époque romaine.
Modes de diffusion et classification des productions communes
12J’évite depuis que je travaille sur les céramiques communes d’introduire de nouvelles appellations. Même si le terme de commune me paraît parfois prendre un sens trop péjoratif, j’ai choisi de le retenir car, au fond, il désigne aussi de façon très juste ce qu’il y a de plus courant dans nos fouilles.
13Ce qui frappe au premier abord, c’est la variété des productions communes. Dans les pâtes, les formes, l’apparence générale, les variantes sont nombreuses. Il n’est pas difficile d’imaginer les réticences des archéologues qui sont face à cette masse de céramiques très diverses et, il faut bien l’avouer, qui ne donnent que très rarement des indications chronologiques. Mais, maintenant que les origines des céramiques peuvent être déterminées, leur étude peut apporter des renseignements allant au-delà d’une simple datation. Ainsi on peut penser que la diffusion de ces poteries n’est pas le fruit du hasard et résulte de règles économiques et sociales. Les études qui portent sur la production et la diffusion de poteries médiévales et modernes semblables dans des régions peu touchées par l’industrialisation permettent de les entrevoir (Presotto 1972 ; Balfet 1981) :
-
la céramique a une valeur marchande quasiment nulle qui ne permet pas de couvrir les frais engendrés par des transports onéreux, sinon sur de petites distances. Les transports maritimes ont pu toutefois jouer un rôle non négligeable dans la diffusion en permettant l’embarquement des céramiques comme complément à la cargaison (Carandini 1970, 156 ; Bérato 1985 ; Tchernia 1986, 303). Et même s’il ne faut pas surestimer ce mode de diffusion on constate qu’en basse-Provence ce sont les gisements archéologiques du bord de mer qui fournissent la plus grande variété de céramiques ;
-
la fabrication des céramiques communes correspond essentiellement à des goûts locaux, des traditions qui ne sont pas forcément les mêmes d’un endroit à l’autre. Cela vaut surtout dans notre région pour la vaisselle de table. On constate toutefois que les céramiques qui présentent des spécificités liées à une utilisation particulière, notamment dans la vaisselle culinaire, peuvent être adoptées dans une région éloignée du lieu de production (Balfet 1981). Dans ce cas la fonction prévaut sur la qualité ;
-
la présence dans certaines fouilles de poteries aux origines aberrantes peut être le résultat de diffusions occasionnelles, sinon accidentelles, qui ne traduisent pas un courant d’échange particulier.
14Les deux grandes classes de céramiques qui nous intéressent, la vaisselle de table et de cuisine, sont soit d’origine locale soit d’origine importée. Pour désigner ces céramiques, nous faisons appel au répertoire existant (culinaire africaine, pâte brune, grise de Vaison...). Les nouvelles appellations sont construites à partir de :
-
la couleur de la pâte (pâte claire) ;
-
une provenance (production italique), parfois précisée par un autre critère (pâte brune de Méditerranée orientale) ;
-
une caractéristique technique (modelée).
15Je n’ai abordé que très succinctement certaines catégories bien connues par ailleurs, comme les céramiques grises de Vaison (Goudineau 1977) dites aussi kaolinitiques.
Les productions régionales
16A la fin du Ier siècle de notre ère et au IIe siècle les différents types de céramiques se répartissent de la manière suivante.
Les pâtes claires
17Ce type de production recouvre essentiellement de la vaisselle de table, de service, de stockage ou de conserve. Les argiles calcaires utilisées, non réfractaires, interdisent la confection de vaisselle culinaire. La vaisselle de table, sans doute pour donner l’image d’une certaine qualité, est souvent engobée. Les céramiques à pâte claire sont très courantes en basse Provence. Elles sont largement plus nombreuses que les autres céramiques. Elles sont parfois supplantées dans la vaisselle de table par la sigillée, mais nous n’avons rencontré cette situation qu’une seule fois dans le contexte portuaire Toulon.
Modelées varoises
18Les dépôts noirâtres qui adhérent encore souvent à ces poteries ne laissent aucun doute sur le rôle culinaire de cette vaisselle. Bien qu’on n’en connaisse pas le lieu de production précis, on suppose, sans doute avec raison, que cette céramique est produite dans le Var, aux abords des massifs anciens des Maures et de l’Estérel. Jusqu’à la romanisation, la céramique modelée constitue l’essentiel de la vaisselle culinaire en basse Provence (Arcelin 1979, 347). Celle du IIe siècle est techniquement très proche, mais à cette époque elle n’est plus que le résultat de l’adaptation d’une technique traditionnelle aux besoins d’une population romanisée. Les formes pourraient très bien être comparées au répertoire de la vaisselle culinaire italique. La panse amincie par grattage la rend très reconnaissable (Rivet 1982 ; Bérato 1993). L’aire de diffusion privilégiée de ce type de céramique est comprise assez précisément entre Fréjus et Toulon au sud et le Verdon au nord.
Pâtes brunes provençales
19La pâte brune pouvant tirer sur le noir ou le gris, avec des inclusions blanches grossières caractéristiques, rend cette céramique très reconnaissable. Le répertoire des formes est dominé par l’urne. Même si cette forme est souvent utilisée dans les tombes à incinération, il s’agit incontestablement d’une céramique culinaire, comme le montrent les découvertes faites sur les sites d’habitat. Elle est assez répandue dans l’aire d’Aix/Marseille où sa diffusion paraît se faire au détriment des autres céramiques culinaires (Pasqualini 1993, 263 ; Mellinand 1993, 11).
Céramiques à pâte grise de Vaison
20Dans les gisements situés à l’intérieur des terres, elle est presque aussi mal diffusée que les sigillées. Les formes les plus courantes sont l’urne et la cruche à bec trilobé (formes Goudineau 1 et 2) ainsi que dans une moindre mesure la gourde.
Céramiques à pâte blanche
21Ce type de céramique apparaît dans l’aire varoise au II e siècle de notre ère. Un four est connu dans la région du Verdon. Sa pâte réfractaire permet de l’utiliser comme céramique culinaire. Cette production comprend aussi de la vaisselle de table dont on ne rencontre les formes que très rarement (Brun 1993, 214, groupe D ; Pasqualini 1993, 270). Elle ne constitue pas en tout cas un élément majeur parmi les céramiques que l’on rencontre en fouille dans les niveaux du IIe siècle.
Céramiques à pâte grise à sombre
22On ne rencontre que très peu de céramiques de ce type reconnaissables à leur engobe noir souvent brillant. La pâte fine est tendre, elle peut être franchement grise ou marron grise. Leur fabrication paraît cesser dans la première moitié du IIe siècle. Il n’est pas impossible que ce groupe recouvre deux productions : une de la région de Fréjus, ce qui expliquerait la relative fréquence de ce type de céramiques dans et aux abords de ce centre urbain ; une autre rhodanienne qui reste à définir, mais que la présence de ce type de céramique à Marseille et la filiation possible avec les communes sombres de Lyon, laissent soupçonner (Pasqualini 1993, 273).
Les importations
Culinaires africaines
23Quoiqu’au IIe siècle ce type d’importation n’ait pas encore totalement submergé le marché local, elle supplante déjà dans un site portuaire comme Toulon les culinaires modelées locales. Les formes les plus fréquentes sont le couvercle Hayes 196 et la marmite Hayes 197.
Productions italiques
24Ce sont surtout des couvercles mais aussi des marmites. Généralement la pâte est brune et granuleuse, l’origine apparemment essentiellement campanienne. On trouve aussi une forme de mortier à collerette dans une pâte beige orangée (Hartley 1973, type 1).
Productions de Méditerranée orientale à pâte brune
25La pâte est finement micacée, la surface externe est souvent brillante par endroits du fait d’un grésage partiel à la cuisson. Seules les fouilles de Toulon donnent plusieurs formes de ce type de céramique. Un petit pot avec une anse, une cruche et une marmite. Sa diffusion est relativement tardive. Dans ce contexte portuaire sa présence ne cesse d’augmenter jusqu’au IIIe siècle (Ricci 1985 ; Pasqualini 1993, fig. 109).
La vaisselle de table et de cuisine dans les productions communes locales et importées
26Même si la céramique ne constitue pas l’essentiel de la vaisselle de toutes les classes de la société romaine à la fin du Ier siècle et au IIe siècle, elle n’en est pas moins l’élément le plus courant découvert en fouille. En basse Provence, la vaisselle commune l’emporte largement sur les céramiques dites fines. Des cas comme les fouilles de Toulon évoquées plus haut, où les proportions s’inversent, ne sont qu’une exception. D’où la nécessité, au delà de la création de simples typologies, pour mieux cerner le cadre socio-économique dans lequel cette vaisselle était utilisée, d’essayer de déterminer la fonction de chacun de ces vases (Bats 1988). Cette démarche présente malheureusement un caractère restrictif. L’impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de définir le rôle exact de nombreux récipients les exclut de fait de cette classification.
27Dans ce genre de production, la notion de série qui impliquerait la reproduction à l’identique d’une forme, n’existe pas vraiment. D’un vase à l’autre on constate une multitude de variations mineures dans la forme et la finition. Ceci est inhérent à ce genre de céramique et ne doit pas être retenu comme critère sélectif (Arcelin-Pradelle 1985). Par contre une même forme peut être reproduite dans plusieurs modules. Dans ce cas on peut supposer que chaque module correspond à une utilisation précise. J’ai constitué trois groupes qui rassemblent les formes dont j’ai pu déterminer la fonction.
Vaisselle de table pour manger ou boire (fig. 3)
28A la fin du Ier siècle et au IIe siècle, les ateliers du bassin de l’Argens dans le Var produisant des pâtes claires ont fabriqué une grande partie de la vaisselle pour boire ou manger que j’ai étudiée dans le cadre de mon doctorat. Les autres productions apparaissent de façon très marginale : grise de Vaison, pâte grise à sombre à engobe noir (Pasqualini 1993, 114), pâte blanche (Pasqualini 1993, fig. 147, n° 7-8 et fig. 148-149), importations de Méditerranée orientale (Pasqualini 1993, fig. 109, n° 16).
Pâte claire

Fig. 3 - Productions à pâte claire. Types de vaisselle de table, de service et de préparation, de réserve.
Vases ouverts
29Ce sont des bols et coupes (Pasqualini 1993, types 1b, 1c, 1d et 4). On peut rattacher à cette série tous les modules compris entre 13 et 16 cm de diamètre d’ouverture. Les modules supérieurs lorsqu’ils existent rentrent dans la catégorie suivante.
Vases fermés
30Il s’agit de cruches ou de pichets produits soit dans les ateliers fréjusiens soit dans ceux du bassin de l’Argens. La cruche à une anse est caractérisée par son col étroit. Les plus petits modules paraissent avoir exclusivement des usages rituels. On les trouve essentiellement dans des tombes. Par contre le module supérieur (Pasqualini 1993, type A1 modules c et d) dont la hauteur varie entre 21 et 28 cm peut avoir servi à table comme vase à liquide. Il n’est pas dit que certains d’entre eux n’aient pas aussi été utilisés comme contenant pour transporter des petites quantités de vin. Certaines cruches, parmi les plus grandes trouvées dans les fouilles du port de Toulon, étaient poissées. Le pichet se caractérise par l’absence de col et un diamètre important de l’ouverture. En basse-Provence la forme à lèvre en baïonnette produite dans les ateliers de Fréjus est très répandue (type B1 variante a et d). La variante a peut avoir servi à table, mais la découverte de nombreux exemplaires poissés et sa production dans les ateliers en association avec des amphores en font plutôt un contenant pour le transport du vin. La variante b est presque sûrement destinée à la table. Elle tend à remplacer le type Al dans la deuxième moitié du IIe siècle.
Vaisselle pour le service à table ou la préparation des aliments (fig. 3)
31On retrouve dans cette catégorie les modules supérieurs des types 1 et 4, auxquels il faut ajouter les grandes coupes du type 8 (Pasqualini 1993). Les premiers sont produits dans le bassin de l’Argens. Le second type est moins sûrement une production locale. On trouve en tout cas assez couramment cette forme dans d’autres régions comme l’Italie.
32Le mortier est le vase de préparation par excellence. En basse Provence tous les ateliers ont fabriqué le type 6 avec l’intérieur souvent strié, rarement lisse, et un bec verseur proéminent. Le type 7 appartient aussi au répertoire local, mais il semble avoir été fabriqué en petites quantités et la plupart des exemplaires répertoriés dans les fouilles paraissent provenir d’ateliers situés au nord de Lyon.
Vaisselle pour la conservation des aliments (fig. 3)
33Les vases de type B2 et D peuvent avoir été des vases de conserve bien qu’aucune découverte concrète, à notre connaissance, ne vienne appuyer cette hypothèse. La production de ces vases est attestée dans les ateliers locaux, notamment le type B2 à Fréjus, souvent découvert avec des traces de poix à l’intérieur.
Vaisselle pour cuire les aliments (fig. 4)
34Dans toute l’aire varoise où se trouve une grande partie des gisements que j’ai étudiés, la culinaire modelée est omniprésente, surtout sous la forme d’urnes à panse grattée (Bérato 1993, type 162). Seules les productions africaines arrivent à l’éclipser dans les zones littorales notamment avec la forme de marmite Hayes 197. Très marginalement des marmites importées de Méditerranée orientale apparaissent ici et là (Pasqualini 1993, fig. 110), de même que des plats et des poêles fabriquées en Italie. On peut y ajouter les urnes, jattes et plats dans les productions à pâte blanche ou grise à sombre. Dans la région d’Aix/Marseille, les urnes en pâte brune provençale tiennent une place importante dans la vaisselle culinaire (Pasqualini 1993, fig. 112).
Conclusion
35La diffusion des céramiques a sans doute des conséquences très marginales sur l’économie régionale. Elle n’en est pas moins, à l’échelon local, un traceur important permettant de reconstituer les principaux courants d’échanges. Sans vouloir y voir un témoin précis au niveau sociologique, elle restitue tout de même bien les us et coutumes d’une population à travers ses habitudes de table et ses traditions culinaires.
36Quelques traits particuliers transparaissent à travers les vases produits dans le bassin de l’Argens. La vaisselle pour boire et manger, d’où est exclue l’assiette, comprend des bols ou écuelles qui doivent correspondre à des coutumes alimentaires bien précises, avec notamment à la base la consommation de bouillies. L’influence italique, campanienne même, est évidente à travers leur forme. Le mortier du type 6 vient d’ailleurs conforter cette impression. Le IIe siècle est une période charnière. En effet bols et écuelles du type 1 sont peu à peu remplacés par le bol de type 4 dont on peut supposer que la forme générale est inspirée des Dragendorff 37 produits à la Graufesenque. Mais cela n’implique pas forcément de grands changements dans l’alimentation. On note seulement que cette forme a un module supérieur au module moyen des vases du type 1.
37La vaisselle culinaire utilisée au IIe siècle induit deux systèmes de cuisson différents. Les urnes à fond plat, notamment les modelées varoises et les pâtes brunes provençales, ne peuvent être exposées qu’à des sources de chaleur indirectes, peut-être dans des fours traditionnels en cloche à sole fixe (Py 1992, 260) ou plus simplement auprès de foyers d’hypocauste. Les marmites à fond rond, africaines, italiques ou de Méditerranée orientale, peuvent être directement exposées à la flamme sur un foyer de cuisine tel que ceux que l’on rencontre dans les cuisines de Pompéi (Salza Prina Ricotti 1982).
38Que peut-on tirer de ces constatations ? En fait, et les fouilles de la place Formigé à Fréjus en témoignent, une maison pouvait posséder une cuisine où l’on utilisait une marmite en bronze et en céramique à fond rond, alors qu’à côté on se servait d’urnes modelées comme le montre la grande quantité de céramiques de ce type découvertes dans cette ville. Ces mêmes maisons devaient aussi posséder des services de table avec des assiettes en métal.
39Les modes culinaires et les formes de céramiques expriment des archaïsmes qui ne sont que la traduction de l’acculturation lente des couches les moins favorisées de la population. Mais ce qui est remarquable, c’est qu’à l’origine on ne retrouve pas le substrat indigène, mais plutôt l’influence gréco-italique, exercée dans notre région à travers Marseille.
Bibliographie
Références bibliographiques
Arcelin 1979 : ARCELIN (P.), La céramique modelée au Ier siècle avant Jésus-Christ dans les Bouches-duRhône, Thèse de Doctorat de IIIe cycle, exemplaire dactylographié, Université de Provence, 1979.
Arcelin-Pradelle 1985 : ARCELIN-PRADELLE (Ch.), LAUBENHEIMER (F.), La notion de série en céramique tournée. In : Histoire des techniques et sources documentaires, méthode d’approche et d’expérimentation en région méditerranéenne. Aix-en-Provence, 1985 (G.I.S., 7), 129-139.
Balfet 1981 : BALFET (H.), Production et distribution des poteries dans le Maghreb. In : H. Howard, E. L. Morris, Production and distribution, a Ceramic wiewpoint. Londres, 1981 (BAR, 120), p. 271-283.
Bats 1988 : BATS (M.), Vaisselle et alimentation à Olbia de Provence (ν. 350-v.50 av. J.-C.). Modèles culturels et catégories de céramiques. Paris, 1988 (Suppl. 18 à la RANarb).
Bérato 1986 : BÉRATO (J.), BORREANI (M.), BRUN (J.-P.), PASQUALINI (M.), POLLINO (Α.), L’épave des Roches d’Aurelle. In : L’exploitation de la mer, la mer moyen d’échange et de communication. VIe Rencontres intern. d’Archéol. et d’Hist. (Antibes, 1985). Juan-lesPins, 1986, 191-216.
Bérato 1993 : BÉRATO (J.), Évolution de la céramique non tournée de la fin de l’Age du fer à la période gallo-romaine dans le département du Var. DAM, 16, 1993, 317-336.
Brentchaloff 1980 : BRENTCHALOFF (D.), L’atelier du Pauvadou, une officine de potiers flaviens à Fréjus. RANarb, XIII, 1980, 73-114.
Brun 1993 : BRUN (J.-P), CONGÉS (G.), PASQUALINI (M.), Les fouilles de Taradeau, le Fort, l’Ormeau et Tout-Egau. Paris, 1993 (Suppl. 28 à la RANarb).
Carandini 1971 : CARANDINI (Α.), Produzione agricola e produzione ceramica nell’Africa di età imperiale. In : Omaggio a R. Bianchi Bandinelli. Rome, 1971 (Studi Miscellanei, 15), 95-122.
Février 1989 : FÉVRIER (P.-A.) (dir.), La Provence des origines à l’an mil. Rennes, 1989.
Goudineau 1977 : GOUDINEAU (Chr.), Note sur la céramique grise de Vaison. RANarb, X, 1977, 153-169.
Hartley 1973 : HARTLEY (Κ. F.) La diffusion des mortiers, tuiles et autres produits en provenance de fabriques italiennes. CahArchSubaq, II, 1973, 49-60.
Laubenheimer 1985 : LAUBENHEIMER (F.), La production des amphores en Gaule Narbonnaise. Paris, 1985 (Annales littéraires de l’Université de Besançon 327).
Livet 1962 : LIVET (R.), Habitat rural et structures agraires en basse-Provence, Aix-en-Provence, 1962.
Mellinand 1993 : MELLINAND (Ph.) Le mobilier céramique de la nécropole romaine de Sainte-Barbe (Marseille). Mémoire de Maîtrise, exemplaire dactylographié, Université de Provence, 1993.
Pasqualini 1988 : PASQUALINI (M.), Céramiques dans le bassin de l’Argens et la région de Fréjus entre le Ier et le IIIe siècles de notre ère. In : S. F. E. C. A. G. Actes du congrès d’Orange 1988. Marseille, 1988, 155-168.
Pasqualini 1993 : PASQUALINI (M.), Les céramiques utilitaires locales et importées en basse-Provence (Ier-IIIe siècles de notre ère). La vaisselle de table et de cuisine. Thèse de Doctorat, exemplaire dactylographié, Université de Provence, 1993.
Presotto 1972 : PRESOTTO (D.), Arrivi a Genova di vasellame di Antibes dal 1560 al 1640. In : Atti dell’V Convegno Internazionale della ceramica (Albisola 1972), 275-297.
Py 1992 : Py (M.), Fours culinaires de Lattes. In : Recherches sur l’économie vivrière des Lattarenses (M. Py dir). Lattes, 1992 (Lattara 5), 259-286.
Ricci 1985 : Ricci (Α.), Ceramica a pareti sottili. In : Atlante delle forme ceramiche. II. Ceramiche fine romana nel bacino mediterraneo. Roma, 1985, 231-357.
Rivet 1982 : RIVET (L.), La céramique culinaire micacée de la région de Fréjus (Var). RANarb, XV, 1982, 243-262.
Salza Prina Ricotti 1982 : SALZA PRINA RICOTTI (E.), Cucine e quartieri servili in epoca romana. RPAA, LILII, 1978-1980, 237-294.
Tchernia 1986 : Tchernia (Α.), Le vin de l’Italie romaine. Essai d’histoire économique d’après les amphores. Rome, 1986 (BEFAR, 261).
Table des illustrations
![]() | |
---|---|
Légende | Fig. 1 - Origine des céramiques étudiées.1) Vintimille (Italie)2) Notre-Dame d’Avinionet (Mandelieu, AlpesMaritimes)3) Vaugrenier (Villeneuve-Loubet, Alpes-Maritimes)4) Cour de l’Archevêché (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône)5) Forbin (Aix-enProvence, Bouches-du-Rhône)6) La Cancelade (Puyloubier, Bouches-duRhône)7) Les Laurons (Les Arcs-sur-Argens, Var)8) Saint-Jean (Les Arcs-surArgens, Var)9) La Tuilière (Bras, Var)10) La Calade (Cabasse, Var)11) La Guérine (Cabasse, Var)12) Les Biais (Vidauban/Le Cannet des Maures, Var)13) Le Revbaou (La Celle, Var)14) Saint-Jaume (Barjols, Var)15) Le Logis-Clastre (Fox-Amphoux, Var)16) Les Aiguières (Fréjus, Var)17) Clos-de-la-Tour (Fréjus, Var)18) Place Formigé (Fréjus, Var)19 et 20) Le Pauvadou (Fréjus, Var)21) La Plate-Forme (Fréjus, Var)22) La Porte d’Orée (Fréjus, Var)23) Saint-Michel (La Garde, Var)24) Berne (Lorgues, Var)25) Château-Rima (La Martre, Var)26) Le Grand-Loou (La Roquebrussanne, Var)27) Les Roches d’Aurelle (Saint-Raphael, Var)28) L’Ormeau (Taradeau, Var)29) Besagne (Toulon, Var)30) La Floride (Le Val, Var)31) Château Thuéry (Villecroze, Var) |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1918/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,2M |
![]() | |
Légende | Fig. 2 - Gisements de comparaison des céramiques communes importées. |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1918/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 588k |
![]() | |
Titre | Pâte claire |
Légende | Fig. 3 - Productions à pâte claire. Types de vaisselle de table, de service et de préparation, de réserve. |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1918/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,1M |
![]() | |
Titre | Culinaire |
Légende | Fig. 4 - Types de vaisselle culinaire locale et importée. |
URL | http://books.openedition.org/pcjb/docannexe/image/1918/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 170k |
© Publications du Centre Jean Bérard, 1996