Archives et métiers d’art au xviiie siècle
Texte intégral
1L’évolution des recherches sur les métiers d’art et ses acteurs a entraîné depuis une trentaine d’années l’élargissement progressif des champs d’investigation. Dans un premier temps, les chercheurs s’étaient plus particulièrement intéressés aux artistes, aux artisans et à leur production. Puis, la recherche souhaita les replacer dans leur corps social en particulier et dans la société en général, comme le fit magistralement Antoine Schnapper dans son livre Le Métier de peintre au Grand Siècle, paru en 2004. L’inépuisable richesse du Minutier central des notaires de Paris, aux Archives nationales, permit cette approche élargie, de la reconstitution des réseaux et des liens sociaux à l’évaluation de la fortune personnelle.
2À la suite d’études pionnières anglo-saxonnes sur le commerce de l’art, les recherches sur les circuits commerciaux des œuvres et objets d’art se développèrent ensuite en France : l’organisation des métiers, les réseaux commerciaux nationaux et internationaux, les relations avec la clientèle, les moyens de paiement, qui entraient en jeu dans ces échanges, font appel à de nouveaux fonds d’archives.
Cadres juridiques généraux et particuliers
L’ordonnance du commerce du 23 mars 1673
3L’ordonnance du commerce, promulguée par Louis XIV le 23 mars 1673, demeure un texte capital1, car il servit de cadre juridique jusqu’à la Révolution aux transactions commerciales, à l’exercice de différents métiers, aux créations de sociétés et à leurs différentes formes juridiques, aux rapports entre confrères, aux moyens de paiement et à leur réception.
4D’autres textes juridiques apportent des compléments précieux sur l’exercice des métiers. Conservés dans la série des Archives imprimées des Archives nationales2, ils portent sur la « police commune à tout le royaume », c’est-à-dire les règlements propres à telle ou telle profession. Le Traité de la police de Nicolas Delamare (1705-1719)3, réédité par Jean-François Hérissant en 1738 (4 vol.), reprend et développe nombre de ces textes et détaille divers règlements comme la hauteur des enseignes, la surface des étals ou encore l’encadrement précis et étroit du commerce alimentaire pour des raisons de santé publique, afin de prévenir les tricheries sur les prix ou les poids et pour assurer la qualité et la fraîcheur des denrées vendues.
Statuts de la profession étudiée
5À Paris, les métiers étaient bien souvent « jurés », organisés en « corps », dénomination préférée par les professions non manuelles et particulièrement les marchands, pour se distinguer des « corporations », terme généralement adopté par les métiers manuels.
6Leurs traditions et usages ont été plus ou moins rapidement théorisés par des textes, dont les premiers apparurent au cours du Moyen Âge. Ces règlements, particuliers à chaque métier, furent régulièrement modifiés pour adapter l’encadrement juridique à l’évolution de la société, de la profession elle-même et du commerce, et cela jusqu’au xviie siècle. L’époque moderne apparaît comme une période de stabilisation, durant laquelle la plupart des textes alors émis restèrent en vigueur jusqu’à la Révolution.
7Toute étude sur un artisan, un marchand ou un métier implique de connaître les statuts de la corporation dont il dépendait. Ce texte fondamental établit leur domaine de compétences, le cadre juridique de l’organisation administrative de la profession, les conditions d’apprentissage et du passage à la maîtrise. Au xviiie siècle, de nombreux corps et corporations, du moins les plus riches, ont publié un volume compilant leurs statuts successifs à travers les siècles, généralement complétés avec des textes relatifs à leurs rapports victorieux sur les corporations concurrentes. Bien entendu, seuls les textes juridiques rendus en leur faveur ayant été retenus, il est indispensable de consulter les recueils publiés par les adversaires pour avoir une approche plus globale à défaut d’être objective.
8Deux publications incontournables donnent les premières pistes :
Jacques Savary des Bruslons, Dictionnaire universel de commerce, Paris, J. Estienne, 1723-1730, 3 vol., réédité par la veuve Estienne en 1741 (3 vol.). Cet ouvrage est partiellement consultable en ligne sur Gallica (vol. I et III de cette dernière édition). Le volume II est une contrefaçon suisse, publiée en 1742, qui ne recoupe pas les deux autres. Ainsi, l’entrée de la lettre C est perdue, tandis que les occurrences L à O sont doublées. Cette source imprimée permet une première approche précise sur l’histoire du métier étudié. En revanche, les statuts des corporations y sont généralement résumés ;
René de Lespinasse, Les Métiers et corporations de la ville de Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1886-1894, 3 vol., également consultables en ligne sur Gallica. Cette somme couvre tous les métiers parisiens, de ceux de bouche à ceux du bâtiment. L’auteur dresse la liste des textes officiels concernant chacun d’eux, avec souvent un résumé voire des extraits. Il indique toujours les cotes d’archives ou les publications, tel le recueil Isambert-Décrusy-Taillandier mentionné plus haut, d’où sont extraits les textes cités. Il est donc facile et indispensable de consulter le document original.
9La série AD (Archives imprimées) des Archives nationales, et plus particulièrement la sous série AD/XI/1 à 57, porte sur le commerce et l’industrie pendant l’Ancien Régime. Classée par ordre alphabétique de métiers, elle renferme souvent les statuts des corporations, tel le carton AD/XI/22 pour les merciers. Toutefois, celui de la corporation des verriers-faïenciers-émailleurs, absent du carton AD/XI/18, ne se trouve qu’à la bibliothèque du Conservatoire national des arts et métiers.
10En complément, la consultation du carton KK//1340 (série artificielle, dite des Monuments historiques, villes et provinces) des Archives nationales, contenant les textes de lois et coutumes, finances, commerce, agriculture, délibérations des six corps des marchands à Paris entre 1620 et 1706, apporte des renseignements utiles sur les cadres juridique, institutionnel, économique de l’exercice du commerce dans la capitale sous l’Ancien Régime.
11Certaines corporations ont fait l’objet de publications particulières, tels les marchands merciers, dès le xviie siècle, par Jacques Savary4. L’auteur y développe les aspects pratiques de l’exercice du métier de mercier, principalement ceux spécialisés dans le commerce des étoffes, activité la plus ancienne et considérée comme la plus prestigieuse. Il développe l’intérêt économique de cette profession et tente de persuader son lecteur de la noblesse et du prestige du métier de marchand, alors méprisé par l’aristocratie.
12Les publications se multiplièrent au xviiie siècle avec l’esprit encyclopédique et son approche avant tout pratique et technique. Si les auteurs de l’Encyclopédie souhaitaient couvrir tous les domaines de la connaissance, l’ouvrage de Jean-Élie Bertrand ne traite que des métiers et de leur exercice, avec de nombreux détails précis et concrets5. D’autres livres ne concernent qu’une corporation en particulier, tels que ceux de Jean-François Bimont (Principes de l’art du tapissier, Paris, Lottin, 1770), d’André Jacob Roubo (L’Art du menuisier ébéniste, Paris, Saillant et Nyon, 1774) et de Jean-Félix Watin (L’Art du peintre, doreur, vernisseur, Paris, Durand, 1772). Tous abordent les aspects techniques de fabrication avec les descriptions des matériaux, des outils, des machines, et parfois l’organisation de l’atelier, le coût des matières premières.
Les parcours professionnels des maîtres
L’étude des familles ou d’une personne en particulier
13Les fonds du Minutier central des notaires de Paris demeurent la source indispensable pour connaître la vie de la personne étudiée et replacer l’exercice de sa profession dans son cadre familial (mariage, nombre d’enfants, veuvage), pour évaluer l’évolution de sa fortune (biens immeubles, biens meubles, rentes) et de son statut social (son mariage, celui de ses enfants, ses réseaux).
14Les dots permettaient souvent l’établissement de la boutique par l’achat de marchandises ou de biens immeubles. Un mariage était parfois l’occasion de contracter une société commerciale entre certains membres des deux familles (beau-père et gendre ; deux beaux-pères). Un remariage pouvait être l’occasion de nouer une nouvelle alliance et d’élargir un réseau commercial. Il permet à un jeune maître de s’établir en épousant une veuve de maître (stratégie conseillée par Savary père). Artisans et marchands pratiquaient généralement l’endogamie, usage qui n’était pas propre à leur milieu. Les mariages des enfants par les alliances constituées, les montants des dots, les éventuelles sociétés signées à cette occasion apportent des renseignements précieux sur les fortunes des familles concernées, sur les buts stratégiques de l’union (rapprochement commercial entre deux marchands ou élévation sociale).
15Ces événements et les choix qu’ils entraînaient n’apparaissent pas dans un inventaire après décès, qui dresse un état précis, à la mort de l’intéressé, de sa fortune, de l’exercice de son métier et de ses réseaux, mais sans retracer leur évolution au cours de sa vie. Les inventaires après décès ne sont pas uniquement conservés au Minutier central. Dans la sous-série V/3, contenant les papiers du tribunal de la prévôté de l’Hôtel, chargée de la police et de la justice des délits et crimes commis dans l’enceinte des résidences royales et à la suite de la Cour, les cartons 88-92 renferment des procès-verbaux d’apposition de scellés et des inventaires après décès dressés entre 1717 et 1789. Il ne faut pas hésiter à consulter les index d’autres sous-séries, telle V/7 (Commissions extraordinaires du Conseil), juridictions temporaires d’exception instituées à la demande des parties pour soustraire les affaires complexes à la justice ordinaire, particulièrement lorsque les intérêts de l’État étaient en jeu. Cette sous-série renferme par exemple l’inventaire après décès de Louis Alvarez, un des plus importants marchands du règne de Louis XIV, dont la gestion des deniers royaux n’avait pas toujours été recommandable6. Même la sous-série Z/1J, qui regroupe les archives des greffiers des bâtiments, contient l’inventaire après décès du commissaire-priseur Guilleaumon (1788)7.
Les biens immeubles
16Les actes d’acquisitions et les baux conservés au Minutier central sont essentiels pour connaître le patrimoine immeuble d’une famille et son évolution. Ces documents peuvent être complétés dans certains cas par la série Q, qui comprend tous les titres domaniaux pour tout le royaume.
17Pour les études sur Paris, le Terrier du roi, dressé en exécution de l’arrêt du Conseil du 14 décembre 1700, est un document important, car tout propriétaire dans les lieux soumis à la censive du roi y apparaît8. Chaque volume couvre un quartier, détaillé rue par rue avec le plan de chaque parcelle, mais pas des bâtiments. Une numérotation renvoie à une table qui mentionne le nom du propriétaire et son enseigne, s’il y en a une. Un volume spécifique est consacré au Palais de justice, alors grand centre commercial, qui accueillait principalement des merciers et des libraires dans ses divers salles et couloirs9. La boutique est localisée et une numérotation renvoie au nom du propriétaire et à l’intitulé de l’enseigne. Le Terrier du roi n’a pas été actualisé et donne un état précis des différents propriétaires parisiens à la fin du règne de Louis XIV. Pour les boutiques appartenant à la Ville de Paris, il est nécessaire de consulter le carton Q/1*/1099/194-196, pour les baux et les recettes entre 1771 et 1793.
18Il ne faut donc pas se limiter aux inventaires après décès, mais élargir aux documents fiscaux (cens, boues et lanternes, terriers), qui apportent des renseignements complémentaires sur les biens immeubles.
19Outre leur boutique, les marchands participaient aux foires parisiennes de Saint-Germain, ouverte en février, et de Saint-Laurent, ouverte en été. Elles constituaient des événements mondains et surtout commerciaux importants pendant leur période de gloire, du xviie siècle aux années 1760-1770. Pour reprendre en main le paiement des taxes dues sur les loges, l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés fit dresser en 1691 et 1692 deux listes conservées dans la série S des établissements religieux10. Elles indiquent les noms des anciens propriétaires, des propriétaires lors de l’établissement de la liste et de leurs éventuels locataires, ainsi que du nombre de loges louées. Cet état est à mettre en parallèle avec le plan conservé de l’intérieur de l’enceinte de la foire et de ses loges avec les numéros11. En revanche, il ne reste quasiment plus d’archives pour la foire Saint-Laurent, dans le faubourg éponyme, qui dépendait des prêtres de la Mission, successeurs des religieux de Saint-Lazare.
20Si la personne étudiée possédait des biens immeubles ou fournissait des clients autour de Paris, le roi à Versailles ou des particuliers dans leurs résidences de campagne, un sondage dans les études des notaires versaillais ou de la région, dont les minutes sont conservées dans les services d’archives départementales correspondants, apporte souvent des renseignements complémentaires.
Exercice du métier et réseau commercial
21Pour les métiers manuels, l’apprentissage consistait en la transmission d’un savoir-faire, d’une bonne connaissance des matériaux à employer selon leur usage. En revanche, la nature de la formation des marchands demeure plus floue : la tenue des livres de compte, le change des monnaies, la maîtrise de la comptabilité et des différentes unités de mesure en composaient sans doute l’essentiel, avec probablement une bonne connaissance des qualités des diverses marchandises.
22Il en est de même pour le passage de la maîtrise avec la réalisation d’un chef-d’œuvre, exercice sans doute remplacé par un examen portant sur la comptabilité et autres matières utiles à la tenue d’une boutique. Tous les marchands et artisans en exercice ont nécessairement passé avec succès leur maîtrise. Cependant, il reste généralement difficile de connaître la date exacte de leur réception, car les archives de corporations ont bien souvent disparu, à quelques exceptions. Ainsi les registres des maîtrises des corporations parisiennes entre mai 1674 et décembre 1693 sont conservés dans le fonds du Châtelet de Paris12. Les réceptions des maîtres orfèvres, tireurs et batteurs d’or ou graveurs sont consultables en sous-série Z/1B de la Cour des monnaies de Paris. En général, il faut rechercher dans les archives de l’administration dont dépendait le métier étudié, mais sans garantie de succès.
23Les actes notariés de mise en apprentissage et les inventaires après décès indiquent le nombre de personnes employées dans l’atelier ou la boutique, apprenti et compagnons (ou alloués), et le montant de leurs gages. Ils permettent également d’appréhender plus ou moins précisément les réseaux professionnels, leur nature et leur étendue, grâce en particulier aux contrats de mariage avec la liste des témoins, comme il a été indiqué plus haut, et leur état, et surtout aux actes de société (nature de la société, sa composition, le nombre de membres, le capital). Ces documents sont à compléter avec deux fonds conservés aux Archives de Paris : la sous-série D1 B6 pour les registres du greffe pour l’enregistrement des sociétés entre 1560-1789 et la sous-série D3 B6 pour les actes de société passés entre 1718 et 1792. L’incontournable inventaire après décès donne généralement les références (nom du notaire, date de l’acte) permettant de retrouver l’acte lui-même, avec parfois des compléments d’information (dissolution, évolution).
La boutique
24L’inventaire après décès décrit avec précision la boutique, son emplacement, sa disposition, son étendue, son mobilier, ainsi que l’importance, la nature et la répartition du stock.
Le commerce national
25Les listes des créanciers et des débiteurs, dressées à la mort du marchand ou de son épouse, lors de la fondation d’une société, dévoilent une partie du réseau professionnel et de la clientèle, au moins les noms de ceux qui, à la mort de l’artisan ou du marchand, devaient encore ou à qui était dû de l’argent à la suite d’une transaction, parfois antérieure de plusieurs années. S’il ne s’agit pas d’un simple état à la mort de la personne, la vision d’ensemble reste cependant partielle.
La juridiction consulaire
26Pour le chercheur, l’idéal reste un malheur, qui laisse toujours des traces écrites... Un décès entraîne la rédaction d’un inventaire, mais une faillite est préférable : elle entraîne diverses procédures devant le tribunal consulaire, ancêtre de l’actuel tribunal de commerce. Cette institution, composée de marchands, rendait une justice plus rapide et moins coûteuse que la justice royale. Ses archives, conservées aux Archives de Paris, commencent à la fin du xviie siècle et sont très complètes jusqu’à la Révolution. Un guide de recherche, enrichi d’une étude de cette institution, a été publié par Brigitte Lainé13.
27Les sous-séries D1 B6 à D7 B6 renferment les dossiers de procédure de faillite et les rapports d’arbitres en cas de contestation, les procès-verbaux d’expertise. Pour un chercheur, la sous-série la plus intéressante est celle cotée D5 B6, qui rassemble les livres-journaux des commerçants faillis, conservés entre 1695 et 1791. L’ordonnance du commerce de mars 1673 imposait la tenue de tels registres, dotés d’une valeur juridique en cas de litige, à condition d’être tenus dans les règles (pas de pages arrachées, pas d’espaces vides, paraphe des gardes de la corporation). Ces documents précieux exposent en détail toute l’activité commerciale sur plusieurs années d’une boutique : niveau d’activité, clientèle, nature des marchandises vendues, prix, liens avec d’autres artisans ou marchands.
28Aux Archives nationales, les papiers du Bureau de la Ville de Paris relatifs aux privilèges de la Ville de Paris, au consulat, aux six corps de marchands, à la Compagnie des Indes et au commerce en général de 1563 à 1783, apportent des renseignements complémentaires14.
Le commerce international
29Outre les noms de correspondants étrangers mentionnés dans les inventaires après décès, des éléments plus ou moins importants peuvent être trouvés sur le commerce en général et les importations en particulier dans les archives du Conseil du commerce, créé par un arrêt du Conseil du 29 juin 170015. Devenu Bureau du commerce en 1722, il exista jusqu’en 1791 et ses procès-verbaux sont conservés16. En raison d’un conflit armé en cours, de la prohibition de tel type de marchandises, de paiement de taxes ou autres raisons, marchands et artisans adressaient au Conseil de commerce des demandes d’autorisations d’importation contenant souvent des indications sur la nature des marchandises, le nom du correspondant, leur usage. La consultation de ces registres est grandement facilitée par l’inventaire analytique accompagné d’un index très précis (noms, matières, lieux), publié par Pierre Bonnassieux17. Cette série est complémentaire de la correspondance reçue par le contrôleur général des finances, dont celle du Conseil du commerce avec les réponses18.
30L’autre source d’acquisitions de produits d’importation était la Compagnie française des Indes orientales. Pour les achats auprès de cette dernière sont à consulter :
aux Archives nationales, le fonds Colonies, et plus particulièrement les sous-séries C/1 et C/2, concernant la Compagnie française des Indes proprement dite et la Compagnie de la Chine. Quelques procès-verbaux des ventes subsistent pour la fin du xviie siècle, portant essentiellement sur les étoffes. Le fonds Marine et les sous-séries B/2, B/3 et B/7, qui rassemblent la correspondance des différents ports et des mémoires de commerce, s’avèrent aussi parfois fort utiles pour connaître le contexte économique des échanges commerciaux ;
en province, la série HH des archives municipales de Lyon et de Nantes apporte des renseignements très importants, tant sur l’organisation de la Compagnie des Indes elle-même que sur ses activités commerciales. En effet, une chambre de la Compagnie des Indes exista de 1664 à 1685 à Lyon, tandis que Nantes a accueilli les ventes de la Compagnie des Indes orientales jusqu’en 1734 ;
la sous-série 1 P du Service historique de la Défense à Lorient, port d’attache de la Compagnie des Indes, couvre les années 1717-1770. Ces archives, dont certains documents sont consultables en ligne, complètent les ensembles conservés aux Archives nationales avec les registres de vente (noms des acheteurs, nature des marchandises acquises, prix), la correspondance.
L’étude de la clientèle
31À l’exception des livres-journaux, relativement rares, et si l’artisan ou le marchand a mené une vie heureuse et sans drame, la source essentielle pour connaître sa clientèle demeure les inventaires après décès et particulièrement la liste des dettes actives. Celle-ci recense les personnes débitrices et indique le montant de leur dette, mais détaille très rarement la nature des marchandises achetées.
Le roi et la reine
32La bonne conservation des archives des administrations royales (comptes, correspondance, inventaires), composant la sous-série O/1 des Archives nationales, facilite l’étude d’un fournisseur de la Couronne. Les séries K et KK en sont souvent complémentaires. Pour le ministère Colbert (1660-1683), il est très utile de consulter les comptes de l’Épargne conservés à la Bibliothèque nationale de France19, qui couvrent tous les types de dépenses, des fortifications à la nourriture des animaux de la ménagerie de Vincennes.
33Le plus important est de définir quelle administration règle la facture et laquelle gère ensuite l’objet acheté, car ce n’était pas toujours la même. Ainsi, pendant le règne de Louis XIV, les Bâtiments du roi réglaient les achats des vases de pierres dures, dont la gestion dépendait ensuite du Garde-Meuble de la Couronne. De même, les Menus Plaisirs payaient les achats des meubles d’étoffe destinés aux résidences royales, lesquels étaient également gérés après leur livraison par ce même Garde-Meuble. Au xviiie siècle, les domaines de compétence de chaque administration se simplifient et apparaissent plus clairement. Cependant, les frontières demeurent perméables, comme toujours pendant l’Ancien Régime. Les Bâtiments du roi étaient responsables de la construction et de l’entretien des résidences royales, de la direction des grandes manufactures (Gobelins, Savonnerie, Sèvres) et de la gestion de ce qui était juridiquement considéré comme immeuble : tableaux, grandes sculptures et consoles, ainsi que les bras de lumière jusqu’en 1785, année du transfert de leur gestion au Garde-Meuble de la Couronne. Le Garde-Meuble était chargé de tout ce qui était considéré comme meuble : mobilier d’étoffe, de menuiserie, d’ébénisterie, collections royales de petits objets (vases, pierres dures, bronzes), tapisseries, armes et armures. Les Menus Plaisirs et affaires de la chambre commandaient les divers objets nécessaires à l’usage particulier du roi et des membres de la famille royale, pendules, vases de porcelaine, cadeaux de noces. Les inventaires demeurent rarissimes.
34Outre les biens dépendant de la Couronne, les souverains et les membres de la famille royale disposaient d’une cassette personnelle, alimentée tous les mois par un versement du Trésor royal. Les achats effectués sur ces cassettes, considérés comme des biens propres, n’apparaissent donc pas sur les inventaires des administrations royales (Bâtiments du roi, Garde-Meuble). Par ailleurs, les pièces comptables de ces dépenses personnelles ont généralement disparu, à l’exception de celles de Louis XVI, publiées par Raymond de Beauchamp20.
35Quelques inventaires après décès de souverains sont conservés, plus particulièrement celui des reines, souvent publiés (Catherine de Médicis, Marie de Médicis), à compléter avec des documents ayant trait à leur succession, conservés à la Bibliothèque nationale de France. Celui de Marie Leczinska est consultable aux Archives nationales21. Pour les souverains, seul celui de Louis XV subsiste, inventaire partiel qui ne recense que l’argent liquide et les bijoux, c’est-à-dire les petits objets précieux22.
36En revanche, les biens propres de Louis XVI et de Marie-Antoinette sont mieux connus grâce aux scellés et aux inventaires révolutionnaires : les rédacteurs ont inventorié meubles et objets présents dans les différentes résidences royales, sans distinguer les biens personnels de ceux dépendants de la Liste civile. Par recoupement avec les inventaires des administrations royales, il est possible de distinguer leurs biens propres, quand un inventaire n’avait pas été dressé lors de circonstances particulières. Ce fut le cas en octobre 1789, lorsque Marie-Antoinette fit mettre à l’abri sa collection de porcelaines et de laques de Chine et du Japon par les marchands Daguerre et Lignereux ; ceux-ci rédigèrent un inventaire, ensuite vérifié par les commissaires de la Révolution après la chute de la monarchie. Ces textes ont fait l’objet de trois publications en raison de la qualité de la propriétaire et de leur intérêt pour l’histoire de l’art et du goût23.
La famille royale
37Les comptes de certains membres de la famille royale et les papiers des Maisons des princes et princesses sont conservés dans la sous-série O/1 et les séries K et KK des Archives nationales.
38Les fils de France non héritiers de la Couronne, c’est-à-dire les frères du Dauphin, étaient apanagés et disposaient d’une maison indépendante de l’administration royale. Leurs archives composent plus particulièrement les séries R : le comte d’Artois en R/1, le comte de Provence en R/5, le prince de Conti en R/3 et les Orléans en R/4, ce dernier à compléter avec le fonds 300 AP.
39La rédaction des inventaires après décès des membres de la famille royale relevait de la compétence du Parlement de Paris. Aussi, scellés et inventaires de princes et princesses du sang (Condé, Conti, Orléans) pour la période 1720-1785 se retrouvent-ils en sous-série X/1A/9157-9181 du Parlement.
Les particuliers
40La recherche est plus complexe, les particuliers laissant moins de traces écrites qu’une administration. L’inventaire après décès de la personne concernée précise le montant de ses dettes, mais rarement la date de l’achat et sa nature. Des listes d’achats révèlent parfois de bonnes surprises, tel l’extrait des comptes de la princesse de Conti, née Condé, joint à l’inventaire après décès du prince de Conti, dressé à partir du 25 mars 1709 : y apparaissent le détail du jour de l’acquisition entre 1698 et 1708, une description rapide des pièces achetées et leur prix24. L’autre source, surtout pour le xviiie siècle, est la série T des Archives nationales, qui contient les papiers familiaux saisis à la Révolution avec parfois des factures. Enfin, les descendants des personnes étudiées peuvent encore posséder des papiers.
Conclusion
41Il est désormais impossible d’isoler la vie d’un individu et la création d’une œuvre d’un contexte familial, social, économique, politique. Depuis quelques décennies, les recherches en économie, en sociologie, en éthologie ou en anthropologie montrent combien tout est lié. L’élargissement des champs de recherche dans tous les domaines de la connaissance, dont l’histoire de l’art, entraîne donc l’augmentation du nombre de sources à exploiter – une trentaine de séries apparaît tout au long de cette présentation –, et surtout leur variété nouvelle pour répondre aux différentes questions posées par l’organisation et l’exercice d’un métier, par le devenir des marchandises, par les réseaux et les relations humaines qu’ils impliquaient, et cela tout au long d’une vie.
42Le travail de recherche s’en trouve augmenté, contrairement au temps disponible pour rédiger une thèse, mais ce passionnant jeu de pistes dans des directions diverses permet de mieux connaître différents fonds, de mieux comprendre la société et le milieu étudiés ainsi que les hommes qui la composaient, et leur donne une plus grande densité et une dimension humaine nouvelle.
43Il n’est pas nécessaire de consulter systématiquement toutes les séries citées, mais plutôt les choisir avec pertinence en fonction du sujet. Le Minutier central des notaires de Paris demeure cependant la source essentielle pour ce type d’étude.
44Il ne faut pas hésiter à être curieux, à sonder, à dépouiller tous les index, travail facilité par l’extraordinaire travail effectué par les Archives nationales et les Archives départementales de mise en ligne des inventaires et des index et de conception de bases de données, à interroger sans hésitation ni modération pour laisser sa part au hasard, qui nous le rend bien si on le provoque.
Notes de bas de page
1 Cette ordonnance a été publiée dans son intégralité par François André Isambert et Alphonse Honoré Decrusy-Taillandier, dans le Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 jusqu’à la Révolution de 1789, Paris, Belin-Leprieur/Verdière, 1821-1833, 29 vol. , tome 19, p. 93-107.
2 Archives nationales, AD/I/25/B.
3 Nicolas Delamare, Traité de la police, Paris, Jean et Pierre Cot et Brunet, 1705-1710-1719, 3 vol.
4 Jacques Savary, Le Parfait Négociant, Paris, L. Billaine, 1675, réédité à Lyon, Jacques Lyons, 1712.
5 Jean-Élie Bertrand (dir.), Descriptions des arts et métiers, Neuchâtel, Imprimerie de la Société typographique, 1771-1783, 20 vol.
6 Archives nationales, V/7/1.
7 Archives nationales, Z/1J/1309.
8 Archives nationales, Q/1*/1099/1-14.
9 Archives nationales, Q/1*/1099/1.
10 Archives nationales, S//2872.
11 Archives nationales, K//966/15/3, carton des titres de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés.
12 Archives nationales, Y//9316 à 9322.
13 Brigitte Lainé, Juridiction consulaire (1563-1792). Tribunal de commerce (1792-1993), Paris, Direction des services d’Archives de Paris, 2009.
14 Archives nationales, H/2/2102.
15 Archives nationales, E//*/699/B-700/A. L’arrêt est publié par Isambert-Décrusy-Taillandier, op. cit., 1821-1833, tome XX, p. 364-365.
16 Archives nationales, F/12/*/51 à 108.
17 Pierre Bonnassieux, Conseil de commerce et Bureau du commerce, 1700-1791. Inventaire analytique des procès-verbaux, Paris, Imprimerie nationale, 1900, réédité à Genève, Magariotes Reprints, 1979.
18 Archives nationales, G/7/1684-1709.
19 Bibliothèque nationale de France, Mélanges Colbert, 264-310.
20 Raymond, comte de Beauchamp, Comptes de Louis XVI, Paris, Henri Leclerc, 1909.
21 Archives nationales, K//147.
22 Archives nationales, K//153.
23 Charles Ephrussi, « Inventaire de la collection de la reine Marie-Antoinette », Gazette des beaux-arts, tome XX, 1879, p. 389-408. « Ce que l’on trouva dans les appartements de Marie-Antoinette, à Versailles, le 10 octobre 1789. Inventaire de Lignereux », L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, n° 1186, vol. LVII, 10 juin 1908, p. 880-884. Louis Tuetey, « Inventaire des laques anciennes et des objets de curiosités de Marie-Antoinette confiés à Daguerre et Lignereux, marchands bijoutiers, le 10 octobre 1789 (26 frimaire an II) », Archives de l’Art français, tome VIII, 1916, p. 286-319.
24Archives nationales, MC/ET/XCII/389, 5 mars 1709.
Auteur
Chargé de recherche CNRS, HDR en histoire de l’art, Centre André-Chastel
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