Au cœur de la collecte. La Mission des archives du ministère de la Culture et son action
Texte intégral
L’instauration des Missions des archives auprès des ministères
1Le Service interministériel des Archives de France [SIAF] a sous sa responsabilité la politique publique des archives en France Sous l’autorité de leur directeur, la sous-direction de la Politique archivistique et la sous-direction de la Communication et de la valorisation des archives font vivre et animent le réseau des archives françaises. Au sein de la première de ces deux entités, le bureau des Missions et de la Coordination ministérielle anime le réseau des Missions des archives de France placées auprès des grands départements ministériels.
2Au sein de chaque ministère, les chefs de Mission des archives de France exercent, au nom du SIAF, le contrôle scientifique et technique de l’État sur les archives publiques produites par les ministères et les structures placées sous leur tutelle. Les Missions assurent également le versement, après un traitement conforme aux normes archivistiques en vigueur, des archives historiques des ministères aux Archives nationales et participent, en liaison avec ces dernières, à la valorisation scientifique et patrimoniale de ces archives. Les missionnaires définissent et mettent en œuvre la politique d’archivage de leurs ministères en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires relatives aux archives publiques. Cette politique comprend notamment la collecte et les éliminations. Dans ce cadre, ils peuvent assurer la gestion des archives intermédiaires des administrations centrales, ce qui est d’ailleurs le cas à la Mission du ministère de la Culture. Ils apportent, enfin, aide et conseils aux services dans la définition et la mise en œuvre de leur politique de gestion de leurs archives et sont amenés à orienter les chercheurs désireux de consulter des archives encore conservées dans les Missions.
3Du conservateur en mission dans les années 1950, isolé et consacrant l’essentiel de son temps au traitement et au classement d’arriérés d’archives très anciennes, au chef de mission des années 2000, la différence est grande. La création des Missions des archives dans les années 1950 est issue de l’impossibilité pour l’administration française de mettre en place une gestion rationnelle de ses archives, non seulement pour l’arriéré qui s’accumulait parfois depuis le xixe siècle, mais aussi pour la gestion des documents produits ou reçus plus récemment et pour ceux qui revêtaient une importance historique, dont la place naturelle et réglementaire était aux Archives nationales.
4La place de Charles Braibant, premier directeur des Archives à en tirer les conséquences, est majeure. Pour que les Archives nationales ne se contentent pas de recevoir des versements en vrac et lacunaires, il fallait organiser la collecte au plus près des services producteurs. Le décret du 21 juillet 1936, « organisant les versements dans les dépôts et archives d’État des papiers des ministères et des administrations qui en dépendent », qui prévoyait dans son article 10 l’envoi dans les ministères d’un agent de liaison, accrédité chaque année par la direction des Archives, lui fut d’une grande aide. Charles Braibant installa les conservateurs en mission au sein des ministères et mit en place, peu à peu, ce premier réseau. Celui-ci s’est d’abord constitué dans les grands ministères régaliens et notamment aux ministères de l’Intérieur (1952) et de l’Éducation nationale (1954), puis des Travaux publics (1954), des Finances (1955) et de la Construction (1959).
5Un temps d’arrêt fut cependant observé dans les années 1960 et 1970, en raison notamment du désintéressement de l’administration et, en premier lieu, de celle des archives. Un exemple de cet échec fut la Cité interministérielle, où des versements bâclés témoignèrent du désintérêt des ministères pour la gestion de leurs archives. Au tournant des années 1970 et 1980, les Missions se multiplièrent à nouveau, jusqu’à en doter presque chaque ministère. En 1986, la création de la Mission des archives au ministère de la Culture parachevait le réseau des Missions, au nombre de quatorze (présidence de la République, services du Premier ministre, ministères de l’Intérieur, de la Culture, des Affaires sociales, de l’Agriculture, de l’Équipement, de l’Éducation nationale, de l’Industrie et de la Recherche, des Postes et Télécommunications, de l’Outre-Mer, des Anciens Combattants, de la Jeunesse et des sports, Rectorat de Paris).
La Mission des archives auprès du ministère de la Culture
6Au terme de plusieurs années, la Mission des archives du ministère de la Culture prit sa vitesse de croisière et fut reconnue en son environnement : exercer le contrôle scientifique et technique sur son propre Ministère demande à la fois une connaissance fine du métier d’archiviste, mais aussi – et surtout – un sens aigu du dialogue et des relations humaines... L’accroissement du personnel, la hausse de la collecte et la prise d’ampleur dans les démarches d’accompagnement auprès des opérateurs furent parmi les priorités du service, qui ne cesse depuis de se positionner comme exemplaire. La mise en conformité des instruments de recherche réalisés avec les normes les plus exigeantes et l’application de la circulaire du Premier ministre du 2 novembre 2001, relative à la gestion des archives dans les services et établissements publics de l’État, ont plaidé en faveur de l’instauration d’une politique d’archivage en cohérence avec les nouveaux enjeux apparus dès les années 1980, notamment ceux liés au records management. La traduction française de la norme ISO 15489 a permis ainsi de rappeler le rôle stratégique de la Mission et des opérateurs qu’elle accompagne, en mettant en relief l’importance de ces gestionnaires de l’information dans une administration condamnée à se moderniser pour exister. Appelés à agir le plus en amont possible, au moment même de la création du document, les archivistes missionnaires sont amenés à préserver les documents pour répondre à des enjeux juridiques, contentieux, démocratiques et patrimoniaux de plus en plus prégnants.
7La Mission des archives revêt aussi une symbolique particulière, représentant le SIAF tout en étant intégrée au Secrétariat général, au sein de la sous-direction des Affaires immobilières et générales. Ainsi peut-elle mesurer l’importance que le ministère de tutelle des archives porte à l’un des champs dont il a la responsabilité.
8En termes d’effectifs, la Mission est dirigée par un conservateur du patrimoine, de la spécialité archives, et comprend, en 2014, huit agents. Sa compétence, particulièrement large, s’étend aux services centraux, aux services à compétence nationale, aux établissements publics sous tutelle du Ministère et, plus largement, à tous les établissements culturels bénéficiant majoritairement de subventions ministérielles sollicitant une aide en matière d’archivage. L’archivage des services déconcentrés que sont les directions régionales des affaires culturelles [DRAC] relève en revanche des Archives départementales. Chaque service ministériel dispose d’un interlocuteur, aussi responsable du suivi de l’archivage dans les établissements publics relevant du même domaine d’activité. Une équipe est chargée du traitement des archives historiques, qui rejoindront après classement les Archives nationales, où elles seront mises à disposition des chercheurs et, plus généralement, de tout citoyen.
9Si les archives du Cabinet et des services à lui rattachés sont suivis directement par le chef de la Mission, dans les services centraux du ministère, le Secrétariat général et chaque direction générale sont suivis par un archiviste en particulier : la direction générale des Patrimoines (hors école d’architecture) et les établissements publics sous tutelle ; la direction générale de la Création artistique, ses services Arts plastiques et opérateurs associés – Centre national des arts plastiques [CNAP], École nationale supérieure des beaux-arts [ENSBA], École nationale supérieure des arts décoratifs [ENSAD], Mobilier national et Villa d’Arson – et ses services Spectacle vivant et opérateurs associés – théâtres et scènes nationaux, conservatoires de musique et de danse, Cité de la musique, Centre national de la danse, Centre national du jazz, de la variété et de la chanson – ; enfin, la direction générale des Médias et des industries culturelles et ses opérateurs associés : France Télévisions, France Médias Monde, Radio France, Bibliothèque publique d’information [BPI] et Centre national du livre [CNL]. Le Centre national de la cinématographie [CNC], opérateur historique du Ministère, fait l’objet d’un suivi particulier de même que les écoles d’architecture.
Collecte et communication
10Les archives du Cabinet sont collectées jusqu’au niveau du bureau ministériel, ainsi que celles produites par les directions générales et les établissements. Avec 87 opérateurs sous son contrôle scientifique et technique, dont 41 musées nationaux, l’existence de la Mission permet le recueil d’un panel extrêmement large de documents, parmi lesquels les sources relatives à l’histoire de l’art sont très variées.
11Au sein du Cabinet, par exemple, sont collectées les archives des conseillers et chargés de mission. Dans les fonds des ministres Jean-Jacques Aillagon, Renaud Donnedieu de Vabres et Christine Albanel sont ainsi conservés les dossiers relatifs au suivi effectué par leurs conseillers auprès de tous les grands musées, les dossiers des projets, aboutis ou non (musée d’Art et d’Histoire du judaïsme ou Maison de l’histoire de France), comme des dossiers d’action transversale à plusieurs établissements (politique d’ouverture des musées). Au cabinet de Frédéric Mitterrand ont été ainsi collectés les dossiers transversaux relatifs à l’enseignement de l’histoire de l’art, projet d’enseignement qui avait fait partie des promesses de campagne du président de la République. Un chercheur s’intéressant à l’enseignement de la discipline serait donc amené à y trouver de précieuses informations, à rapporter à celles, postérieures, relatives à l’enseignement artistique et culturel. Au bureau du Cabinet se trouve aussi la section des distinctions honorifiques, qui gère l’attribution de l’ordre ministériel des Arts et Lettres. Après collecte et traitement par la Mission, les dossiers antérieurs à 1997 ont été versés aux Archives nationales. Leur composition est riche d’enseignements sur les artistes : fiche de renseignements, lettres de recommandations, curriculum vitae, discours du Ministre lors de la remise de l’insigne, dossiers de presse sont autant de pièces constitutives éclairant un homme, une œuvre et une carrière.
12La Mission exerce également ses fonctions dans les musées. L’exemple du chantier mené au musée national des Arts et Traditions populaires est à ce titre exemplaire. Grâce au travail de toute l’équipe, aidée par l’apport de vacations ministérielles, l’intégralité de ses fonds a été sauvegardée lors d’un chantier considérable de plus de deux ans, qui a permis le classement et le versement de ces dossiers aux Archives nationales. Le musée Gustave-Moreau, ouvert en 1903, a fait l’objet d’un chantier analogue, encadré par la Mission : le versement d’archives effectué en 2013 a permis le classement et la sauvegarde des archives de l’institution pour la période 1880-2009 (correspondance, budgets, prêts aux expositions, dossiers liés à la muséographie) ; en matière d’archives contemporaines, la gestion a été rationalisée grâce à des outils permettant à l’archiviste d’agir en amont pour préserver au mieux les sources à venir. En 2014, la Mission a mené plusieurs chantiers, tel le transfert des archives des Musées nationaux sur le site de Pierrefitte-sur-Seine des Archives nationales et celui des fonds de France Médias Monde (RFI, France 24 et MC Doualiya).
13Cette collecte ne va pourtant pas de soi : la reconnaissance des archives comme biens patrimoniaux n’est en effet pas générale, y compris au sein d’établissements culturels. C’est pourtant bien en partie grâce à ces fonds que s’écrira demain l’histoire de l’art.
Communication et sensibilisation
14Les archives intermédiaires des services de l’administration centrale du ministère de la Culture, revêtues d’un intérêt administratif et conservées jusqu’à leur versement aux Archives nationales, sont aussi parfois déjà communicables aux requérants selon la loi. Le service a donc aussi pour mission d’orienter les chercheurs vers des sources insoupçonnées, justifiant l’informatisation de la gestion de ses fonds (logiciel SIAM), afin de permettre la communication des archives conservées et l’accès aux versements effectués par les services. La Mission devrait également bientôt pouvoir bénéficier d’un espace sur le site Internet du ministère, une partie lui étant déjà réservée sur l’Intranet.
Politique de collecte et sensibilisation
15Très large, le périmètre de l’administration centrale du Ministère et de ses 87 opérateurs a orienté les archivistes à proposer des actions de sensibilisation des établissements à la valeur de leur production archivistique et aux obligations entraînées par la circulaire du 2 novembre 2001 et le Code du patrimoine de 2004 : formations organisées par le Secrétariat général, interventions dans les réunions de direction, accompagnement personnalisé auprès du réseau des correspondants instauré par chaque responsable de secteur. Certains établissements, comme le musée de Cluny, ont réservé une journée annuelle aux archives et à leur classement, sous l’impulsion du correspondant archives et de la Mission.
Le réseau « Archives en musées »
16Piloté par la Mission des archives du ministère de la Culture, le réseau « Archives en musées » comprend un Bureau, qui assure le fonctionnement et la logistique et détermine les thématiques traitées, et des ateliers, chargés de mener une réflexion approfondie sur des thématiques professionnelles propres au domaine. Instauré sous la forme d’un groupe de travail, « Archives en musées » a réuni pendant deux ans les correspondants archives de quinze musées nationaux placés sous le contrôle scientifique et technique du chef de la Mission des archives. Ce réseau est aujourd’hui ouvert aux personnels de tous les établissements amenés à gérer des archives dans le cadre de leurs fonctions.
17Les retours d’expérience ont montré la multitude de modes de gestion, de communication des archives ou même d’appréhension de la fonction archives au sein des établissements. Il s’agit donc d’échanger autour de ces particularités, afin d’harmoniser les pratiques, de s’informer sur l’actualité des archives et d’approfondir et enrichir les connaissances en archivistique. Le réseau de correspondants archives, qui a constitué le noyau initial du groupe de travail, comportait assez peu d’archivistes professionnels et surtout des personnels de la documentation, de la conservation, des bibliothèques et des services administratifs. Des problématiques communes ont émergé autour d’axes variés, allant du statut des archives publiques et des conséquences sur la communicabilité, aux procédures de traitement, en passant par la valorisation.
18La collection de vade-mecum, née des réflexions sur ces thématiques, devrait continuer à s’enrichir, grâce à l’apport des adhérents du réseau, qui sont désormais plus de 110 et issus pour certains des musées territoriaux. Cet accroissement a conduit le Bureau du réseau « Archives en musées » à s’adjoindre l’expertise d’un conservateur du patrimoine au bureau des réseaux territoriaux du service des Musées de France. Le réseau conduit aussi une politique de manifestations : plusieurs demi-journées d’informations ou journées d’étude ont ainsi eu lieu ou sont en préparation, permettant d’aborder tous les sujets archivistiques (modes d’acquisition, collecte, archives des ressources humaines, archives de la sécurité/sûreté).
Conclusion
19Le champ des archives relatives à l’histoire de l’art, au sein de l’administration et des établissements ministériels, est extrêmement riche et bénéficie d’une typologie variée. Au gré des réformes issues de la volonté de l’administration centrale ou des établissements eux-mêmes, ces archives peuvent toutefois être mises en péril et, dans un contexte économique tendu où les restrictions budgétaires sont fortes, pâtir d’une baisse de moyens. Peu reconnues, quand on ne leur refuse pas le titre de biens patrimoniaux, elles pourront éclairer les choix, souvent politiques, en matière de conduite de projets patrimoniaux et d’enseignements artistiques et culturels. Si les producteurs eux-mêmes peuvent dénier à leur propres archives un caractère historique, par méconnaissance ou négligence, leur sensibilisation reste une priorité de la Mission, afin de permettre la conservation et le versement de ces fonds qui revêtent une l’importance cruciale pour l’histoire en général, et pour celle de l’art en particulier.
Auteur
Conservateur du patrimoine, chef de la Mission des archives auprès du ministère de la Culture et de la Communication
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