Archives d’architecture et d’urbanisme au xxe siècle : un défi pour la collecte
Texte intégral
Les caractéristiques matérielles des fonds
1Qu’ils soient publics ou privés, les fonds d’archives de l’architecture et de l’urbanisme au xxe siècle ont plusieurs points communs, qu’il est utile de connaître si l’on veut comprendre l’économie générale de la collecte de ces archives. Les premiers sont d’ordre matériel : du côté des praticiens comme du côté de l’État, contrôleur ou maître d’ouvrage, la production documentaire est toujours de dimensions imposantes.
2Le format A4, d’abord, qui est celui de la plupart des documents dans les autres secteurs professionnels, est, quand il s’agit d’architecture, concurrencé par des items bien plus grands, tels que plans et dessins, dont la conservation est difficile. Elle l’est pour leurs producteurs qui, sur le long terme, ont tendance à les maltraiter en les roulant dans des tubes ou, pire, en les pliant, ce qui entraîne des dégradations mécaniques de toutes sortes, en général aggravées par la piètre durabilité des supports (calques notamment). Elle l’est ensuite pour l’archiviste, qui doit pallier les effets de cette maltraitance en remettant les documents à plat et en les conservant dans des conditionnements ad hoc, moins maniables que les boîtes et les cartons classiques.
3Les maquettes, ensuite, sont l’autre grande catégorie de documents propres à l’activité architecturale. Fragiles par nature elles aussi, elles posent à tous ceux qui en héritent un problème évident de place et de maniabilité. Conserver et manipuler ce type de documents est de surcroît particulièrement difficile quand il s’agit de maquettes de conception, construites dans les agences d’architecte au fur et à mesure de l’élaboration des projets, avec des matériaux plus malléables et moins solides que ceux employés pour les maquettes de présentation, produites en vue de la soumission du projet au client ou au jury et toujours dotées, elles, d’un capot de protection en matériau transparent.
4L’usage, désormais universel, de moyens informatiques pour concevoir et représenter des édifices ou des ensembles urbains réglera une partie du problème : le support de l’information, qu’elle soit en deux ou en trois dimensions, ne sera plus qu’un sous-produit des « vraies » archives, constituées sous forme électronique. Le problème cependant n’aura fait que changer de forme, puisque le besoin de mètres carrés disponibles pour installer rayonnages et meubles à plans aura fait place au besoin de systèmes informatiques performants pour assurer la pérennité de dizaines de téra-octets. Or, à ce jour, aucune solution autre qu’artisanale et « sur-mesure » n’a été trouvée pour l’archivage des données numériques de l’activité architecturale.
5Fonds publics et fonds privés sont donc également difficiles à communiquer au public. Ils impliquent, s’agissant des originaux, des magasins et des salles de lecture spécialement équipés. Reproduire les documents sous forme numérique et transmettre ces images à distance posent aussi, indépendamment de toute considération juridique, des problèmes techniques particuliers en matière de prise de vues et de bande passante.
Les différences de statut juridique
6Archives publiques et archives privées se différencient en revanche sur le plan intellectuel. Si la typologie des documents est pour l’essentiel la même, les conditions juridiques de la constitution des fonds font que les unes et les autres ne sont pas d’une richesse égale. L’administration, en effet – surtout celle de l’État central –, en dépit de l’ampleur et de la variété de ses attributions en matière de construction et d’urbanisme, n’a pas à connaître de tout ce qui se construit en France et une partie de la production architecturale, conçue pour des maîtres d’ouvrage privés, est rarement ou marginalement représentée dans les archives publiques : l’œuvre de certains praticiens peut de ce fait être complètement absente de celles-ci.
7Les conditions mêmes de l’intervention de la puissance publique dans le processus de construction introduisent un autre biais, dans la mesure où les dossiers constitués par l’administration ne concernent que ce qui a été effectivement construit et très rarement ce qui aurait pu l’être. Ce qui est resté à l’état de projet, voire ce qui avait été conçu à l’origine avant d’être modifié ou abandonné en cours de route, a donc peu de chances d’avoir laissé des traces dignes d’être conservées. Les archives des agences d’architecture, à l’inverse, peuvent documenter tout le processus de création d’un bâtiment, des premiers croquis au document des ouvrages exécutés [DOE], de même qu’elles peuvent comporter de nombreux témoignages de projets non retenus ou restés à l’état d’ébauches.
8Cette prééminence des archives privées est, pour les archivistes d’État, un défi en matière de collecte. Si en effet l’entrée des archives administratives dans les services d’archives publics est précisément encadrée et ne permet pas à l’administration de laisser se perdre sa production documentaire ou de la garder indéfiniment par-devers elle, rien, en revanche, n’oblige les architectes à confier leurs archives à des institutions publiques et tout, en ce domaine, est affaire de circonstances et de relations personnelles.
Auteur
Conservateur du patrimoine, département des Archives privées d’architectes et des Archives nominatives et sérielles, Archives nationales
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