Le « Guide des archives de l’art conservées en France (xixe-xxe siècles) », ou base GAAEL
Texte intégral
1Le GAAEL, anciennement « Guide d’archives des artistes en ligne », renommé aujourd’hui « Guide des archives de l’art conservées en France (xixe-xxe siècles) », est une base de données qui permet de localiser des fonds ou des pièces d’archives d’artistes, de collectionneurs et de galeries conservés en France, afin de les rendre accessibles à l’ensemble de la communauté scientifique.
2L’historien de l’art travaillant sur les archives, comme en tout autre champ disciplinaire, n’étudie pas seulement le passé entassé dans des boîtes. Posant tout à la fois des questions artistiques, historiques et politiques, les archives sont un formidable objet tourné vers l’avenir : l’étude d’un fonds est sans cesse renouvelée, en fonction de l’intérêt qu’on lui porte et de l’espoir que l’on met en lui. Du fait de cette subjectivité, en rapport étroit avec un objet a priori objectif, les archives ne doivent pas être perçues comme un simple ensemble de documents, mais comme une interrogation constante, non pas sur l’œuvre ou sur l’artiste, non pas sur une personne, un groupe, un établissement ou une période, mais sur un ensemble de procédés discursifs. La diversité des fonds d’archives et des contenus recensés par le GAAEL est une première tentative de réponse à cette interrogation d’ordre épistémologique.
3Le recensement des archives de l’art n’a pu se faire sans partenariats. Ainsi, le GAAEL a été élaboré en concertation avec la direction des Archives de France, la direction des Musées de France et la direction du Livre et de la lecture. De nombreux fonds conservés dans différentes institutions partenaires sont en effet recensés dans le GAAEL : la bibliothèque de l’INHA (collection Jacques Doucet), la Bibliothèque nationale de France, les Archives nationales, la Fondation Custodia, la bibliothèque Kandinsky (centre de documentation et de recherche du musée national d’Art moderne-Centre de création industrielle).
L’élaboration de la base
4Le comité d’universitaires et de conservateurs formé en 2000 afin de réunir des informations sur les archives de collectionneurs, de galeristes et d’artistes (peintres, sculpteurs, photographes, plasticiens et créateurs dans le domaine des arts décoratifs) nés après 1870, est à l’origine du projet du GAAEL conçu par Pierre Wat dans le cadre du futur INHA. En 2001, l’enquête par questionnaire menée auprès de 900 établissements (musées, bibliothèques universitaires et municipales) obtient 81 % de réponses. Pour les fonds déposés dans les services d’archives départementales, les résultats proviennent de l’enquête menée par la direction des Archives de France. Un réseau d’informations inédit s’est alors constitué, qu’il fallait appréhender. Les chargés d’études et de recherche du programme « Archives de l’art de la période contemporaine » ont, en partenariat avec la bibliothèque littéraire Jacques Doucet, la bibliothèque de l’INHA (collection Jacques Doucet) et la Bibliothèque nationale de France, dépouillé et réalisé l’inventaire détaillé de certains fonds de ces institutions. En janvier 2004, cette première collecte d’informations a donné lieu à la mise en ligne du GAAEL sur le site de l’INHA. Ce travail ne correspond toutefois qu’à une partie des références données par le Guide. Il convient en effet de distinguer les fonds qui ont fait l’objet d’un dépouillement complet, à la suite de la signature d’une convention de partenariat avec l’institution de conservation de ces archives, et ceux qui ont fait l’objet d’un simple signalement.
5Au terme des travaux dirigés par les conseillers scientifiques Pierre Wat, Richard Leeman et Annie Claustres, le GAAEL répertorie ainsi aujourd’hui des fonds d’archives d’artistes, de galeristes et de collectionneurs nés après 1780 et répartis en 263 lieux différents. La base de données référence également les fonds d’archives d’historiens de l’art, comme Bernard Dorival, de critiques, tels Pierre Restany et George Besson, d’écrivains en rapport avec les artistes, comme Louis Aragon, mais aussi de revues, telles Art et industrie et Art d’aujourd’hui, d’associations, comme la Réunion des fabricants de bronze, et d’institutions privées, telle la Fondation Custodia, et publiques, telle la bibliothèque de l’INHA (collection Jacques Doucet).
L’environnement normatif de la base
6Le terme archives englobe les manuscrits, la correspondance, les documents personnels et professionnels et les photographies relatives à l’artiste ou dont il est l’auteur. Le GAAEL embrasse des ensembles de taille variée : fonds entiers, sous-fonds, dossiers ou pièces isolées. En fonction des institutions détentrices d’archives, la catégorisation des documents trahit des disparités : là où certaines considèrent comme des œuvres des carnets de croquis ou des dessins sur des lettres, d’autres les désignent comme des archives. De même, certains établissements classent parfois les manuscrits ou les lettres par nom de scripteur et non de producteur.
7Ainsi, en raison de la diversité des archives répertoriées dans le GAAEL et afin d’appréhender le contenu de la meilleure façon, le Guide suit les prescriptions de la norme ISAD(G), norme internationale de description des archives élaborée par le Conseil international des Archives.
8Pour les exports, le GAAEL utilise le format international d’encodage EAD, fondé sur le langage XML. Il permet aux établissements de récupérer les données du GAAEL, tout en conservant la description hiérarchisée du fonds d’archives, c’est-à-dire en restituant précisément l’imbrication des composants et des sous-composants. Le format EAD facilite également l’intégration de données dans des portails et catalogues collectifs, pour une meilleure visibilité.
Modalités de recherche dans la base
9Depuis 2011, le GAAEL est intégré à la plate-forme AGORHA [Accès Global et Organisé aux Ressources en Histoire de l’Art], mise en place par l’INHA afin de gérer et diffuser l’ensemble de ses ressources documentaires. AGORHA héberge actuellement, outre le GAAEL, 21 bases de données, qui sont toutes interrogées simultanément lors d’une requête. L’accès aux données à partir de la plate-forme peut se faire également par objet d’étude, c’est-à-dire en interrogeant une œuvre, une référence bibliographique, une personne, etc. Mais on peut aussi consulter l’intégralité de la base de données souhaitée, telle le GAAEL [fig. 1], et naviguer par lien d’une notion à une autre.
Fig. 1. Écran d’accueil du GAAEL sur la plate-forme AGORHA

10Trois entrées thématiques orientent le parcours de recherche :
« Personnes et organismes » : l’entrée renvoie aux fonds, ensembles ou pièces dont l’artiste est « producteur » ou à celui des fonds qui comprend une référence à son nom ;
« Références bibliographiques » : l’entrée regroupe les ouvrages publiés en rapport étroit avec les fonds d’archives répertoriés dans le GAAEL ;
« Fonds d’archives » : l’entrée regroupe les noms des producteurs (c’est-à-dire la personne physique ou morale, publique ou privée, qui a produit, reçu et conservé des archives dans l’exercice de son activité) et peut proposer plusieurs fonds d’archives par producteur.
11Une fois trouvée, la notice peut être convertie au format PDF et ainsi conservée.
12En mars 2014, le GAAEL comptabilise 3 810 notices descriptives dans la rubrique « Personnes et organismes », 459 références bibliographiques et 11 698 notices de fonds d’archives. Sont en cours de saisie 45 notices de personnes et organismes, 323 références bibliographiques et 2 422 notices de fonds d’archives.
L’actualité et l’avenir du GAAEL
13Dirigé par Annie Claustres, le programme de recherche « Archives de l’art de la période contemporaine » de l’INHA porte sur le traitement et la valorisation des archives : à la description et à l’inventaire des fonds s’ajoutent leur étude historique et épistémologique et des actions en faveur de leur plus grande visibilité. Cette valorisation scientifique des archives étudiées se traduit en publications, expositions, colloques, tables rondes, journées d’étude, etc. Ainsi l’inventaire des archives Victor Brauner conservées à la bibliothèque Kandinsky, réalisé en 2001, a-t-il donné lieu à un travail éditorial et à la publication d’un ouvrage spécifique1.
14Entre 2005 et 2007, un travail de grande ampleur a été réalisé sur le fonds Pierre Restany, conservé aux Archives de la critique d’art, à l’université de Rennes 2. En collaboration avec cette institution, les chargés d’études et de recherche de l’INHA ont réalisé le classement, l’identification et l’inventaire des documents de travail de Pierre Restany. La valorisation scientifique ultérieure s’est faite en plusieurs temps. En partenariat avec l’Association internationale des critiques d’art (AICA) et les Archives de la critique d’art, l’INHA a organisé le colloque international « Le demi-siècle de Pierre Restany » (30 novembre-1er décembre 2006), dont les actes ont été publiés en 20092. L’exposition Le Nouveau Réalisme (Paris, Grand-Palais, mars-juin 2007) a permis ensuite une collaboration entre la RMN et l’INHA pour la réalisation d’un dossier « Actions, spectacles, histoire ». De mai à juillet 2007, enfin, autour d’un ensemble inédit d’une vingtaine de lettres de Jean Tinguely à Pierre Restany, l’INHA organisa l’exposition Cher Pierre. Lettres de Jean Tinguely à Pierre Restany, qui fut complétée par un catalogue3.
15Les réalisations qui ont émaillé le traitement et la valorisation des fonds d’archives de François Pluchart, Aurélie Nemours, Gilda Fardel, Pierre Francastel, Raoul Hausmann et Otto Freundlich, de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, de Bernard Dorival, Antoine Bourdelle ou encore Michel Ragon, pourraient être évoquées de même.
16En partenariat avec le Centre Georges-Pompidou, l’effort porte actuellement sur le fonds d’archives Albert Gleizes, en particulier sur la correspondance de cet artiste conservée à la bibliothèque Kandinsky. Après un premier travail de reconditionnement, l’inventaire détaillé des archives est en cours, en vue d’une mise en ligne sur le GAAEL. Une publication collective de référence sur ce fonds Albert Gleizes en aussi en projet, dont le but est multiple : offrir une visibilité à un fonds d’archives peu connu de la communauté scientifique et souvent sous-estimé et reconsidérer l’intérêt des archives d’artistes. En effet, si le fonds Albert Gleizes témoigne de la vie et de l’œuvre de l’artiste, il documente davantage les différents enjeux de l’histoire de l’art de la première moitié du xxe siècle, dans une perspective élargie à l’art, à la littérature, aux religions, à l’artisanat, à l’agriculture, à la culture matérielle, aux idéologies ou à la politique des années 1930. Le grand nombre de correspondants d’Albert Gleizes présents dans le fonds et leur importance historique invitent par ailleurs à étudier la dynamique des réseaux et leurs incidences4. Les archives Albert Gleizes ne doivent donc pas être perçues comme une fin en soi, mais comme une ouverture sur des problématiques pluridisciplinaires et une capacité d’interrogation épistémologique qui dépasse largement le cadre de l’œuvre de l’artiste. Les archives doivent être appréhendées comme un discours qui, selon Michel Foucault, « ne peut pas rendre compte (par quelque chose comme une genèse psychologique ou culturelle) des a priori formels ; mais il permet de comprendre comment les a priori formels peuvent avoir dans l’histoire des points d’accrochage, des domaines ou des occasions de mise en œuvre, et de comprendre comment cette histoire peut être non point contingence absolument extrinsèque, non point nécessité de la forme déployant sa dialectique propre, mais régularité spécifique »5.
17En ligne depuis dix ans, le GAAEL est devenu, grâce aux travaux successifs de Pierre Wat, de Richard Leeman et d’Annie Claustres, un outil unique et indispensable pour toute la communauté scientifique en histoire de l’art contemporain. Le nombre de données proposées par cette base ne cesse de croître : on citera, pour conclure, le fonds d’archives de l’association d’art brut L’Aracine, conservé au LaM à Villeneuve-d’Ascq, bientôt référencé dans le GAAEL, ainsi que les fonds Claude et Clovis Prévost et Louise Tournay. Enfin, d’ici le printemps 2014, le GAAEL gagnera en visibilité, grâce aux perspectives de moissonnage de la plate-forme AGORHA, dont les données pourront être collectées par des instruments de recherche extérieurs, notamment par les plates-formes Isidore (CNRS) et Gallica (BnF).
Notes de bas de page
1 Camille Morando et Sylvie Patry (dir.), Victor Brauner. Écrits et correspondances, 1938-1948, Paris, Centre Georges-Pompidou/Institut national d’histoire de l’art, 2005, 415 p.
2 Richard Leeman (dir.), Le demi-siècle de Pierre Restany (actes de colloque), Paris, Institut national d’histoire de l’art/Éditions des Cendres, 2009, 557 p.
3 Richard Leeman, Antje Kramer et Anne Bariteaud (dir.), Cher Pierre. Lettres de Jean Tinguely à Pierre Restany (catalogue d’exposition), Paris, Institut national d’histoire de l’art, 2007, 52 p.
4 Le fonds Albert Gleizes comprend ainsi la correspondance reçue de Rose Adler, René Arcos, Guillaume Apollinaire, Anne Dangar, Robert et Sonia Delaunay ou Henri Barbusse.
5Michel Foucault, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1992, p. 168-169.
Auteur
Chargé d’études et de recherche, Institut national d’histoire de l’art, doctorant en histoire de l’art, Aix-Marseille université
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