Outils d’orientation du Minutier central des notaires de Paris
Texte intégral
1Comment se retrouver dans les 20 à 22 millions d’actes conservés au Minutier central formant une masse de plus de 20 kilomètres linéaires de documents ? La question paraît abrupte, mais elle recouvre une problématique essentielle des archivistes : l’accessibilité intellectuelle des documents au public. L’ouverture de la salle des inventaires virtuelle [SIV] des Archives nationales en 2013 a constitué à cet égard la clé essentielle pour comprendre le Minutier : elle a rendu accessible en un même lieu et pour la première fois, le classement et une grande partie des analyses d’actes collectés depuis la création de ce département des Archives nationales.
2Au préalable, il faut rappeler, même rapidement, la typologie et l’intérêt majeur des actes notariés, qui, par leur variété constituent une réserve quasiment inépuisable pouvant combler les différentes attentes des historiens. Le Minutier central des notaires de Paris conserve des actes relatifs à la famille, tels les testaments, inventaires, contrats de mariage [fig. 1] et donations, pour les plus connus ; d’autres liés à la finance et au foncier, tels les ventes, les baux, les constitutions de rente et les prêts ; d’autres enfin liés aux activités professionnelles, comme, selon les époques, les contrats d’apprentissage, les devis et marchés, parfois agrémentés de dessins [fig. 2] ou de plans pendant l’Ancien Régime, puis pour les périodes plus contemporaines, les actes de cession de fonds de commerce ou les actes déposés de société.
Fig. 1. Contrat de mariage entre Édouard Manet, artiste peintre, et Suzanne Leenhoff, 19 septembre 1863

Archives nationales, MC/ET/XCIV/992 [RS/884]. © Archives nationales.
Fig. 2. Dessin accompagnant un devis et marché pour la construction d’un orgue destiné à l’église Saint-Louis-en-l’Île, 20 novembre 1744

Archives nationales, MC/ET/XII/484 [RS/218]. © Archives nationales.
Les premiers outils d’accès au Minutier
Classement et cotation des fonds
3La présence du Minutier dans la SIV est facilement repérable : ce département des Archives nationales bénéficie d’une entrée spécifique, à son nom, dans l’onglet « Plan d’orientation général ». Deux sous-parties principales sont alors accessibles. Un premier onglet reprend le cadre de classement des minutes de notaire : l’étude, unité de base de l’activité notariale composée d’un nombre variable d’officiers amenés à se succéder au fil des décennies. À Paris, on compte 122 études depuis l’annexion des anciennes communes situées en périphérie de la capitale en 1860.
4La cotation en elle-même (en chiffres romains) et l’ordre de classement des études parisiennes sont le résultat du travail de l’archiviste Ernest Coyecque, instigateur de la loi de 1928 qui a validé le principe de collecte des archives notariales lorsqu’elles étaient âgées de plus de 125 ans, délai tombé progressivement à 75 ans (depuis 2008).
5Assez simple, le plan de classement au sein de chacune des études consiste à suivre l’activité des différents notaires qui la compose de manière chronologique. En cliquant sur le nom d’un de ces notaires, tous les articles ou cartons correspondant à une période de sa vie professionnelle apparaissent. Un carton correspond à une année d’activité pour les notaires du xvie siècle, à quelques mois ou à une quinzaine de jours dans les siècles suivants. À ce carton est attribué un numéro d’ordre. En utilisant le lien cliquable de la période chronologique qui l’intéresse, le chercheur aboutit à la fiche détaillée du carton avec la mention de sa cote ; celui-ci peut être réservé ou commandé, si l’internaute s’est créé au préalable un compte personnel en SIV.
6Pour connaître la filiation des études, l’onglet « Recherche par notaires » du plan d’orientation général donne accès à une base répertoriant tous les notaires parisiens. Elle permet de multiples possibilités d’interrogations par étude, lieux parisiens ou périodes historiques, critères très utiles dans le cas d’une recherche où seul le nom du notaire est connu mais pas son étude de rattachement.
L’apport des répertoires
7Ces outils de première orientation, déjà essentiels, permettent au chercheur bénéficiant d’une date précise et d’un nom de notaire de retrouver immédiatement le carton contenant l’acte recherché. Mais ils peuvent être complétés par un document produit par les notaires eux-mêmes : le répertoire. Il constitue bien souvent le premier instrument de recherche pour accéder aux minutes. Leur utilité est, entre autres, de faire mémoire des actes conservés pour prévenir des fraudes. Les informations inscrites selon un ordre chronologique sont plutôt sommaires mais essentielles : type et date de l’acte, noms des parties, objet de l’acte, passage en brevet1 ou en minute [fig. 3].
Fig. 3. Répertoire du notaire Louis Nicolas Gasche (1792, 4 juin-an VIII, prairial)

Archives nationales, MC/RE/VIII/10. © Archives nationales.
8Remontant pour certains au xvie siècle, ces répertoires ont tous été microfilmés et numérisés jusqu’à la fin du xixe siècle. Ils sont en ligne sur le site Internet des Archives nationales sous le nom de base ETAREP, prochainement rattachée à la SIV.
9Outre ces aides en ligne, de nombreuses démarches ont été entreprises pour donner des pistes plus précises sur les multiples apports historiques des fonds conservés, en particulier pour tous les chercheurs dépourvus de ces précieux renseignements préalables.
Les recherches dans les minutes de notaire
Description du formulaire
10Depuis plus de quatre-vingts ans, le Minutier central des notaires de Paris a entrepris de nombreux dépouillements pour faire connaître et mettre en valeur ses fonds, visant tantôt l’exhaustivité, tantôt des thématiques définies. Si chaque acte conservé est très loin d’être connu, 1,6 million de documents le sont déjà. Cet effort notoire ne représente toutefois qu’environ 7 % de l’ensemble du corpus et un tiers de ces analyses n’existe toujours qu’en version papier en salle de lecture des Archives nationales (site de Paris).
11Il est possible d’interroger directement le contenu succinct d’environ un million de minutes – contenu indexé, dans un certain nombre de cas – par l’intermédiaire de la SIV. Cette interrogation s’effectue dans l’onglet « Recherche multicritères » puis dans la rubrique « Rechercher dans les minutes de notaire ». Plusieurs possibilités s’offrent alors à l’internaute. Le premier champ proposé correspond à celui de la recherche dite « libre », qui prend en compte tous types de termes, sans tri ou hiérarchie pré-requise, avec option d’interrogations en « expression exacte » ; des recherches plus classiques (par nom de notaire, numéro d’étude, cote, date précise ou intervalle de dates) apparaissent à la suite. Ces critères passés, les champs suivants relèvent d’un travail d’indexation effectué sur environ 40 % du corpus. Ils sont associés à des référentiels particuliers : lieux hors de Paris, lieux parisiens, personnes physiques prenant part à l’acte2 (champ appelé « nom du client »), profession des clients et enfin type d’acte recherché, information utile dans le cas d’une recherche sérielle3.
12L’intérêt de ce formulaire réside bien entendu dans la possibilité de croiser tous les critères afin de coller au mieux à son sujet d’étude et d’éviter au maximum les réponses inappropriées.
Historique des dépouillements
13Pour comprendre quels types d’actes analysés se retrouvent dans cette base, il faut également revenir, même rapidement, sur les grandes orientations qui ont guidé les dépouillements.
14Après une tentative, lors de la création du Minutier, visant à connaître le contenu de l’ensemble des actes conservés, les archivistes, dont Jacques Monicat alors à la tête du service, ont mis en place à partir des années 1950 des prospections thématiques dans les fonds. Appuyées sur un partenariat avec le monde universitaire, elles répondirent aux sollicitations de spécialistes issus de divers domaines des sciences humaines. Plusieurs fichiers sont nés à cette période, donnant lieu, pour leur majorité, à des publications papier. L’objectif était de recueillir de précieux renseignements sur des personnalités qui ont contribué à l’histoire culturelle française, sur des catégories socio-professionnelles ou enfin sur l’histoire de lieux parisiens. Ces fichiers ne portent toutefois jamais sur la totalité des études ou sur l’ensemble de la période allant du xve au xxe siècle. Ces chantiers thématiques ont concerné l’histoire littéraire et l’histoire de la musique pour l’Ancien Régime et l’histoire économique et sociale pour la période 1800-1830.
15L’histoire de l’art s’est imposée à son tour à partir des années 1960, bénéficiant de l’arrivée au Minutier central de la conservatrice Mireille Rambaud, récent auteur du premier guide sur Les sources de l’histoire de l’art aux Archives nationales4. Les dépouillements entrepris firent l’objet de plusieurs guides de recherche couvrant une grande partie de l’époque moderne, de la fin du xve siècle, période à laquelle remontent les plus anciens actes conservés au Minutier, au milieu du xviiie siècle. Ces ouvrages fournissent des milliers de références de minutes concernant les activités artistiques emblématiques : l’architecture, la peinture ou la sculpture, mais aussi des domaines voisins : l’artisanat, la broderie, l’orfèvrerie, la menuiserie, l’émaillerie. Ils intéressent à la fois les biographies d’artistes, connus ou non, l’histoire des communautés professionnelles et celle du patrimoine bâti parisien, voire, plus généralement, d’Île-de-France et au-delà.
16Ainsi, une étude sur les émailleurs parisiens dans la seconde moitié du xviiie siècle et plus particulièrement sur leur formation s’effectuera dans le formulaire de recherche de la SIV, par l’entrée du terme « émailleur » dans le champ « libre », puis la mention de la période chronologique souhaitée (1750-1790) et enfin la sélection du type d’acte correspondant dans le référentiel : « apprentissage » [fig. 4].
Fig. 4. Recherche dans les minutes de notaires décrites dans la SIV des Archives nationales

Saisie des différents champs.
17Les résultats apparaissent alors, répartis par notaire [fig. 5], dont il suffit de déplier le lien pour voir le contenu.
Fig. 5. Recherche dans les minutes de notaires décrites dans la SIV des Archives nationales

Liste de résultats après requête.
18À la suite de ces dépouillements thématiques, l’informatique a permis, depuis quarante ans, d’envisager des analyses sérielles d’actes pour des années tests. Quatre millésimes sont ainsi entièrement connus : 1551, 1751, 1761 et 1851, qui rassemblent quelque 200 000 actes. Ces années permettent de donner des pistes précieuses, par le renvoi à d’autres actes, à tout chercheur, mais plus particulièrement à ceux travaillant sur le milieu du xviiie siècle.
19D’autres projets parallèles se sont concentrés sur une typologie d’actes, notamment sur l’un des plus précieux, produits par les notaires : l’inventaire après décès. Cette source, dont l’intérêt n’est plus à démontrer, essentielle pour l’histoire sociale ou l’histoire de l’art, a une double utilité. Elle permet de connaître l’aisance matérielle du défunt, mais aussi de rebondir vers de nouvelles archives grâce à la mention éventuelle de papiers personnels. Un relevé exhaustif de ce type d’acte a été entrepris pour la première moitié du xixe siècle, période jusqu’alors peu connue, amenant en tout plus de 120 000 nouveaux actes.
20Le même travail de repérage a été réalisé pour le xve siècle et pour le début du xvie siècle. Le célèbre marchand d’art Georges Wildenstein effectua aussi et de manière plus aléatoire des recherches dans différents inventaires5 avec l’objectif d’identifier les œuvres peintes, les œuvres sculptées, les médailles ou encore les tapisseries, mentionnées chez les artistes, les collectionneurs ou de simples particuliers, afin de les publier à l’origine dans une série de numéros de la Gazette des Beaux-Arts.
21Ces différents projets d’ampleur s’accompagnent enfin d’un nombre non négligeable de dépouillements « annexes », couvrant une vaste période allant du xvie au xixe siècle et apportant près de 200 000 analyses qui concernent également l’histoire de l’art pour certaines d’entre elles.
22L’historique de ces dépouillements peut être consulté de manière plus approfondie dans la partie du plan d’orientation générale consacrée au Minutier. Dénommée « Guides thématiques du Minutier », cette partie offre, dans quelques cas, une version au format PDF des instruments de recherche papier, qui permet d’accéder aux introductions de ces ouvrages, non reprises dans la recherche multicritères, contrairement aux analyses, mais riches d’informations sur le contexte des dépouillements.
Bilan
23La description fine de l’exhaustivité des minutes de notaire est très loin d’être d’actualité, ce qui laissera aux chercheurs l’occasion de faire de nombreuses et belles découvertes... Toutes les périodes chronologiques, toutefois, à la réserve de la seconde moitié du xixe siècle, ont bénéficié de dépouillements susceptibles de soutenir les premiers pas des chercheurs, même ceux sans références leur donnant un accès direct aux minutes. Le constat est identique pour les principaux domaines de la recherche historique, la plupart défrichés.
24Dans cette perspective, l’histoire de l’art fait partie des thématiques les mieux servies grâce aux enquêtes menées depuis 1950. Elles couvrent de manière efficace les xve et xvie siècles, puis les années 1600-1650 et 1700-1750. La nouveauté réside dans le fait que la majeure partie de ces données, autrefois éparpillées puisque recueillies patiemment au fil de plusieurs décennies, est désormais accessible au sein d’un même site Internet. Ces analyses succinctes y sont autant d’invitations à consulter les documents.
Notes de bas de page
1 Dans cette situation, l’acte n’aura pas été, le plus souvent, conservé par le notaire.
2 Il comprend un certain nombre de personnalités historiques et se double d’une interrogation « libre » des personnes au bas du formulaire.
3 Pour ce dernier champ, l’indexation concerne par ailleurs pratiquement toutes les minutes analysées.
4 Paris, Imprimerie nationale, 1955, 173 p.
5 Ces recherches ont été revues ultérieurement par son fils, Daniel Wildenstein.
Auteur
Chargé d’études documentaires au Minutier central des notaires de Paris, Archives nationales
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