Le Guide des sources pour l’histoire de l’art aux Archives nationales et aux Archives de Paris, 2012
Remerciements
Martine Plouvier et Ghislain Brunel, qui ont rédigé l’introduction du Guide des sources et en ont écrit maintes notices, remercient tous les auteurs de l’ouvrage, en particulier Juliette Nunez, qui a porté la partie « Sources aux Archives de Paris », Agnès Magnien, directrice des Archives nationales, Hervé Lemoine, directeur du Service interministériel des Archives de France, Catherine Mérot, chef de la section du xixe siècle, et Isabelle Chave, chef du département de l’Exécutif et du Législatif, qui ont laissé à Martine Plouvier le temps nécessaire à l’organisation de la matière, Catherine Gros, alors déléguée au Comité des travaux historiques et scientifiques, qui a cru à cette publication, et enfin Soledad Munoz, maquettiste de l’ouvrage.
Texte intégral
1Ce guide a trouvé sa naissance grâce à Jean-René Gaborit, qui souhaitait voir renouvelé l’instrument de recherche dirigé en 1955 par Mireille Rambaud1. Sa construction interne présente la particularité de se fonder sur la notion de producteurs d’archives, qui parle assez peu aux chercheurs mais rejoint les préoccupations et les enjeux du déménagement des Archives nationales sur le site de Pierrefitte-sur-Seine et de la restructuration de leurs sections en départements transversaux. Ce guide a vocation à répondre aux nombreuses questions des chercheurs, qui écrivent aux Archives nationales ou s’adressent directement aux présidents des salles de lecture, parfois de manière surprenante : « Pouvez-vous me donner la liste de tous les rois et reines de France ? » ; « Dites-moi ce que vous savez sur l’élixir du maréchal d’Estrées [la Chartreuse] et ses pouvoirs de guérison » ; « Les Savoyards à Drouot et l’apparition des cols rouges » ; « Où puis-je chercher pour étudier le sourire ? », à propos des premières dents en porcelaine et des premiers chirurgiens-dentistes ; « Les menus sous Napoléon III »...
2Dans la présente contribution, Martine Plouvier et Ghislain Brunel croisent leurs recherches et proposent la vision des praticiens, à partir de plusieurs trajectoires sommaires de personnages, de lieux et enfin d’objets et d’objets d’art, de celles qui font le bonheur des historiens de l’art, qui les exhument ou les redécouvrent, et qui ont croisé leurs vies d’archivistes.
Quelques trajectoires de personnages
François Cointeraux, inventeur et architecte
3François Cointeraux (1740-1830), orphelin d’origine lyonnaise, confié à son oncle, plus ou moins maçon, qui draguait le Rhône et en retirait des tombereaux de terre mélangée à du gravier, eut l’idée de réinventer le pisé, de présenter son projet de construction en terre crue au concours de l’Académie d’Amiens, de développer son concept d’architecture rurale, ou « agritecture », et de former des ouvriers piseurs pour la mise en œuvre2. Il vécut de 1740 à 1830, traversa tous les régimes, une bonne partie de la France, mais ne laissa aucune œuvre bâtie : détruite par les guerres à Grenoble ou à Lyon, « fondue » par l’eau de pluie à Amiens, ou par les vents maritimes à La Roche-sur-Yon, la ville de Napoléon. Par peur de rester inconnu, méconnu, ou dans tous les cas pas reconnu, et aussi parce qu’il devait nourrir ses treize enfants, il laissa un monument de papier impressionnant, des dizaines de mémoires, des centaines de pétitions, au temps où il était encore possible de faire des pétitions individuelles, adressées à tous les gouvernements, à tous les ministres, des œuvres imprimées et gravées où il dessinait ses inventions : le parpaing, la crécize pour le presser, le presse-purée, le vendangeoir solaire, etc. Il mourut à l’hospice. La vogue actuelle du « bio » amène à le redécouvrir et à organiser des colloques sur ses inventions3.
Gabriel Girodon, dessinateur, peintre, pastelliste, portraitiste, cartonnier de vitraux, statuaire
4Gabriel Girodon (1884-1941) est un autre petit orphelin, né à Saint-Quentin au nord de l’Aisne4. Académicien de passage à Beaurevoir, dans son bourg natal, Gabriel Hanotaux (1853-1944) lui donna une boîte de couleurs en visitant l’orphelinat. Le gamin développa ses dons en dessin, passa moult concours, entra à l’École des beaux-arts à Paris, gagna le grand prix de Rome en peinture (1912), peignit le pape Pie XI, participa à de nombreux salons d’automne, œuvra après la Grande Guerre à la résurrection des trois cents églises détruites dans l’Aisne, en peignant de grandes fresques, en décorant la cathédrale de Soissons, et termina sa vie comme conservateur du musée de Saint-Quentin, pour lequel il mit à l’abri toutes les œuvres, entre autres les pastels de Quentin de La Tour, dans le département de la Mayenne, département d’accueil de l’Aisne. Il mourut à la tâche au début de la Seconde Guerre mondiale.
Alexis Godillot, fournisseur, entrepreneur, malletier, organisateur de fêtes, aménageur urbain
5Alexis Godillot (1816-1893), fournisseur des armées françaises, est bien connu pour avoir laissé son nom aux chaussures, avec pied gauche et pied droit. Organisateur des fêtes officielles de Napoléon III et inventeur des toiles de tente arc-en-ciel, il pavoisa bon nombre de villes françaises avant d’en aménager certaines, dont la plus célèbre, Hyères, où un quartier porte encore son nom et où l’on voit encore sa maison, la « Villa mauresque ». L’esprit d’entreprise de cet inventeur l’a mené fort loin [fig. 1]. « Les souliers de la gloire » ont pris le relais des godillots5.
Fig. 1. Certificat de nomination d’Alexis Godillot, négociant, en qualité de chevalier de la Légion d’honneur, 28 janvier 1857

Archives nationales, LH/1161/27. © Archives nationales.
Quelques trajectoires de lieux
6Seul l’exemple du Mont-Saint-Michel est ici évoqué : quel site pourrait être plus emblématique que le Mont, du point de vue de l’histoire du patrimoine et de l’histoire de l’art ? Mais quel site a été, par ailleurs, autant sinistré sur le plan des archives et de ses collections de manuscrits ? L’immensité des pertes donne, pour ainsi dire, au moindre dossier un peu consistant un attrait considérable, tel ce dossier provenant des archives des greffiers des Bâtiments de Paris6 et plus exactement ces dossiers de procès-verbaux des « experts-jurés sur le fait des bâtiments », corps composé pour moitié de « bourgeois architectes » et pour moitié d’entrepreneurs maçons ou maîtres ouvriers. Le sieur Pruneau de Montlouis fut en effet nommé en mars 1776 architecte juré expert pour dresser un plan géométrique et figuratif de plusieurs bâtiments appartenant à l’abbaye du Mont-Saint-Michel, notamment le château et l’église, et un état estimatif des réparations à faire7. Il rendit ce travail le 8 mai 1776, accompagné évidemment de plans précieux pour l’historien : une coupe de l’église sur sa longueur ; les plans des différents niveaux, comme le sous-sol, avec ses fameuses caves à cidre, et la porte du château et les corps de garde ; l’église et le troisième étage des bâtiments : au nord, le « plomb qui couvre la salle des chevaliers » et le « bas dortoir » qui le jouxtait, son chauffoir, surmonté de la bibliothèque… Mais un incendie, en août 1776, mit à néant ces projets de réhabilitation (la congrégation de Saint-Maur, installée depuis le xviie siècle, y trouva des bâtiments délabrés), détruisant la façade et les trois premières travées de la nef. C’est finalement dans le fonds dit des Prisons, en sous-série F/16 des Archives nationales, que le chercheur trouvera des pièces importantes sur le bâtiment du début du xixe siècle, lorsque le Mont fut transformé en centre pénitentiaire comme Clairvaux ou Fontevraud.
Quelques trajectoires d’objets et d’objets d’art
7À propos des blocs de marbre8, rappelons qu’à partir de 1806 l’approvisionnement des sculpteurs auprès des carrières de Carrare, alors sporadique, devint quasi systématique. Jean-Baptiste Henraux (1755-1845), officier qui avait toute la confiance de Napoléon Ier, fut chargé de gérer l’achat et le transport des blocs de marbre à Paris. Entre 1812 et 1823, il fournit 841 blocs à l’Administration des marbres. Sept négociants tenaient alors le commerce du marbre à Carrare. Le transport le plus extraordinaire fut celui du 24 avril 1823, pour un bloc confié au sculpteur Dupaty, destiné à la statue de Louis XIII [fig. 2] place Royale à Paris (actuelle place des Vosges). L’œuvre fut achevée par Cortot en raison du décès de Dupaty en 1825.
Fig. 2. Statue de Louis XIII, Paris, place des Vosges

© Martine Plouvier.
8Il fallut descendre le bloc depuis la carrière avec des câbles proportionnés à la charge, le faire glisser sur des traîneaux et des planches de sapin enduites de savon noir, le porter presque à bras d’hommes jusqu’à la route et le faire rouler jusqu’à la berge. Un bloc de 35 000 kilogrammes nécessitait alors quatorze jours de travail de charpentiers et le bloc pour la statue de Louis XIII outrepassait les 56 000 kilogrammes. Au dire des contemporains, il était d’une texture incomparable, très fine, et avait des dimensions démesurées : plus de 4,25 mètres de haut sur presque autant de largeur et 2 mètres d’épaisseur. Le bloc était ébauché et devait être transporté dans un certain sens… Il devait gagner l’atelier des Marbres par voie d’eau. Le transporteur stationnait ses bateaux au golfe de La Spezzia, faisait faire des radeaux et des navires pour aller jusqu’à Marseille, puis venaient Arles, Châlons-sur-Saône, Dijon, le canal du Centre, le canal de Briare, celui du Loing, la Seine enfin. Il fallait parfois s’arrêter, si la Loire n’avait pas assez d’eau ou si elle était prise par les glaces… Quels sont les passants, place des Vosges, qui connaissent cette extraordinaire histoire d’un bloc de marbre, relatée dans le Moniteur universel et qui a laissé des traces en combien de séries d’archives (F/13, F/18, F/21, etc.) aux Archives nationales ?
Les archives, œuvres d’art elles-mêmes
9Il suffit d’une volonté personnelle, d’un événement déclencheur, d’un désir d’éblouir le correspondant pour que le support d’une décision capitale, le texte d’un traité diplomatique ou bien une mesure individuelle se parent des plus beaux atours de la décoration et qu’on fasse appel à des artistes de la calligraphie et du dessin. Le Guide des sources de 2012 signale aussi ponctuellement ces véritables œuvres d’art. Lorsque le roi d’Angleterre Henri VIII traitait de paix et de l’avenir de l’humanité avec le magnifique François Ier, il réactivait les anciens réflexes de la monarchie anglaise du Moyen Âge, qui avait l’habitude de décorer ses chartes. Il lui fallait rendre visible et extraordinaire l’alliance conclue entre les deux royaumes. Pour l’entrevue du Camp du drap d’or près de Guînes (7-24 juin 1520), le bon roi Henri fit rédiger de larges et blancs vélins scellés avec la plus grande attention à l’harmonie des couleurs de sa famille portées sur des rubans de soie. Il sortait les joyaux de la Couronne pour son ami François, il répandait ses emblèmes (la rose rouge double) sur la page et affichait ses devises sur l’initiale de son nom : « Domine salvum fac regem Henricum octavum » (le fameux God save the King), apparue sous Henri VI, devenue à partir de Henri VII l’acclamation et la prière de tous les monarques anglais, ou bien encore « Dieu et mon droit », devise qui apparaît depuis Henri VI, avec la fondation en 1441 de King’s College à Cambridge, et est restée la devise des monarques régnants. Puis, lorsque les deux monarques parvinrent à conclure une paix perpétuelle qui répandrait l’harmonie et la sérénité entre les peuples, en avril 1527 à Westminster, puis à Amiens le 18 août, ils poursuivirent leur compétition par le biais des artistes. Le cardinal Wolsey, seul présent en France, y laissa des cahiers enluminés de grand prix, à l’égal de ceux envoyés à Londres par François Ier. La salamandre française rivalisait avec le léopard anglais et le dragon gallois des Tudor.
Conclusion
10Ces parchemins enluminés, ces plans, marchés et devis, ces dossiers administratifs ou personnels, ces mémoires du temps sont indispensables pour redonner vie aux œuvres et aux artistes. Il faut donc souhaiter que les archives papier, transmuées peu à peu en virtualia comme ces cabinets de curiosités numériques imaginés par Jean-Paul Favand, fondateur du musée des Arts forains à Paris, ou ces restitutions architecturales de Cluny, de Jumièges et de Clairvaux en 3D et en réalité augmentée, ne deviennent pas des invisibilia, faute de pouvoir être archivées, conservées et restituées, et invitent les chercheurs à dépasser les bases de données pour se rendre jusqu’au parchemin, au papier, au document et à la pièce d’archive. Il faut souhaiter également que cet ouvrage ait la même longueur de vie que celui de Mireille Rambaud et que d’autres chercheurs prennent le relai dans cinquante ans !
Notes de bas de page
1 Mireille Rambaud, Les Sources de l’histoire de l’art aux Archives nationales, Paris, Archives nationales, 1955, 173 p.
2 Martine Plouvier, « Inventer pour mieux construire. De la présentation de quelques inventions conservées dans la sous-série F/13 du Centre des archives nationales », dans Les Archives de l’invention. Écrits, objets et images de l’activité inventive, dir. Marie-Sophie Corcy, Christiane Douyère-Demeulenaere et Liliane Hilaire-Pérez, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2007, p. 394-407.
3 Le colloque « François Cointeraux (1740-1830), pionnier de l’architecture moderne en terre », organisé par le LARHRA (UMR 5190) et l’INHA (Lyon, 10-11 mai 2012), a donné lieu à l’édition, sous la direction de Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric et Gilbert Richaud, des textes « Les leçons de la terre. François Cointeraux (1740-1830), professeur d’architecture rurale », Paris, INHA/Éditions des Cendres, coll. « Art, image, société », 2016, 356 p.
4 Christine Debrie (dir.), Gabriel Girodon [livret de l’exposition tenue à Saint-Quentin, 7-30 juin 1978], Saint-Quentin, musée de Saint-Quentin, 1978, 20 p. ; Martine Plouvier, « Gabriel Jules Charles Girodon », Quadrilobe, n° 3, 2009, p. 95-103.
5 Alain Cointat, Les Souliers de la gloire. Alexis Godillot (1816-1893) : l’exceptionnelle réussite d’un fidèle de Napoléon III, Toulon, Presses du Midi, 2006, 323 p.
6 Archives nationales, Z/1j/1002.
7 Archives nationales, E//2520, fol. 204, minute de l’arrêt du Conseil du 10 mars 1776.
8 Martine Plouvier, « Du marbre de Carrare pour les sculpteurs français de la première moitié du xixe siècle », Bulletin archéologique du CTHS, n° 34 [numéro du congrès du CTHS tenu à Bastia en 2003], 2008, p. 177-188.
Auteurs
Conservateur général du patrimoine honoraire, section du xixe siècle, puis département de l’Exécutif et du Législatif aux Archives nationales
Conservateur général du patrimoine, directeur des Publics aux Archives nationales
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