Introduction
Texte intégral
1Collecter, dépouiller et exploiter les sources de l’histoire de l’art étaient les enjeux thématiques de ces journées « L’histoire de l’art à la source » des 12 et 13 mars 2014, dont les actes viennent ici fixer, pour une grande majorité d’entre elles, la mémoire des interventions présentées par des professionnels du patrimoine et des chercheurs académiques, issus principalement des Archives nationales et de l’Institut national d’histoire de l’art. Le prétexte de cette manifestation était double : la valorisation du Guide des sources pour l’histoire de l’art aux Archives nationales et aux Archives de Paris, publié aux Éditions du CTHS en 2012, et la convention pluriannuelle, signée quelques jours plus tard, le 25 mars 2014, entre la directrice des Archives nationales et la directrice générale de l’Institut national d’histoire de l’art [INHA], qui envisageait la construction conjointe de rencontres scientifiques et culturelles destinées à porter à la connaissance du plus grand nombre, public amateur comme lectorat spécialisé, les fonds respectifs des deux institutions et leurs efforts complémentaires en matière de collecte, de description archivistique ou documentaire et de diffusion des instruments de recherche.
2Après le précédent créé, dès 1955, par le guide de Mireille Rambaud1, les instruments de recherche, sous toutes leurs formes (inventaires, index, bases de données, guides, catalogues d’exposition), relatifs à l’histoire de l’art dans son acception la plus large, publiés par les Archives nationales ou édités en ligne au cours des décennies 2000-2010, avaient justifié cette convergence d’intérêt avec l’INHA et l’organisation de ces journées, qui présentèrent l’actualité des outils d’orientation dans les fonds des Archives nationales et les collections de l’Institut et le renouvellement des thèmes et des méthodes de recherche qu’ils pouvaient susciter. Plusieurs cas significatifs d’exploitation de fonds d’archives, dans les champs historiographiques actuels de l’histoire de l’art, ont été ainsi exposés dans ce cadre, qui renvoient aussi aux questions de la constitution des sources de l’histoire des arts pour la recherche de demain et de la complémentarité des rôles de chacun dans la collecte.
3Le comité scientifique, installé à l’appui de la préparation de cette manifestation, a réuni les deux partenaires : pour les Archives nationales, d’une part, Claire Béchu, conservatrice générale du patrimoine, chargée de mission pour la diffusion scientifique, Isabelle Chave, conservatrice en chef du patrimoine, alors responsable du département de l’Exécutif et du Législatif, Alexandre Cojannot, conservateur en chef du patrimoine au Minutier central des notaires de Paris, Nadine Gastaldi, conservatrice générale du patrimoine, chargée de mission pour les cartes et plans, Marie-Françoise Limon-Bonnet, conservatrice générale du patrimoine, responsable du Minutier central des notaires de Paris, et Catherine Mérot, conservatrice générale du patrimoine, responsable du département de l’Éducation, de la Culture et des Affaires sociales, et pour l’Institut national d’histoire de l’art, de l’autre, Antoinette Le Normand-Romain, conservatrice générale du patrimoine, directeur général de l’Institut, et Philippe Sénéchal, professeur des universités, directeur du département des Études et de la Recherche.
Sources connues, sources en devenir
4La première journée, le 12 mars 2014, eut pour cadre l’auditorium de l’Institut national d’histoire de l’art.
Sources connues et décrites des Archives nationales et de l’INHA
5Présidée par Catherine Mérot (Archives nationales), la séance inaugurale s’intéressa aux sources connues et décrites, proposées par les Archives nationales et l’INHA. Martine Plouvier et Ghislain Brunel (Archives nationales) lancèrent la présentation des outils d’orientation d’intérêt général, par l’exposition des richesses de ce nouveau Guide des sources de 2012, résultat de plusieurs années de travail de compilation et de coordination. Isabelle Chave (Archives nationales) détailla ensuite les potentialités de la salle des inventaires virtuelle [SIV] des Archives nationales pour l’historien de l’art. En ligne depuis septembre 2013, après une dématérialisation rétrospective lancée en 2009, la SIV constitue le principal gisement de ressources documentaires du nouveau système d’information archivistique des Archives nationales, en offrant d’accéder aux instruments de recherche produits par l’institution depuis le début du xixe siècle (16 680 environ en mars 2014)2. Les sources de l’histoire de l’art sont réparties entre fonds du cadre de classement et versements administratifs depuis 1976, sans compter les outils d’orientation propres aux fonds notariés et aux archives numérisées, et profitent des deux grands types de parcours de recherche proposés : « Plan d’orientation général » et « Recherche multicritères ».
6En complément, François Chancerel (Archives nationales) fit le point sur le renouvellement et la mise en ligne des outils d’orientation du Minutier central des notaires de Paris, dont les fonds sont précieux à l’historien de l’art de longue date : dès 1851, dans ses Archives de l’art français, Philippe de Chennevières évoquait les « cartons des notaires ». Nadine Gastaldi (Archives nationales) présenta une synthèse des projets de numérisation passés et à venir conduits par les Archives nationales autour des sources de l’histoire de l’art et de l’architecture, où la numérisation relève du double enjeu de la préservation matérielle, en particulier pour les documents figurés, et de la large diffusion, lorsque les fonds, par exemple, concernent l’ensemble de la France, voire l’étranger. Certains chantiers s’inscrivent aussi dans une démarche de mise à disposition du patrimoine artistique, tels les « albums des Salons », recueillant les photographies des œuvres achetées par l’État au Salon de 1864 à 1901, en complément des bases ministérielles Arcade et Joconde, et les plans des cathédrales de la période concordataire (1802-1905). Le mode collaboratif a aussi présidé à certains projets, comme dans le cas des plans du Conseil des bâtiments civils (an V-1863), avec le Centre André-Chastel et l’INHA, ou des plans du château de Versailles sous l’Ancien Régime (projet Verspera), avec le labEx Patrima, la Bibliothèque nationale de France, le laboratoire Étis et le Centre de recherche du château de Versailles.
7La politique de publication d’outils d’orientation pour les chercheurs à l’Institut national d’histoire de l’art, appuyée sur les principes du système « Accès global et organisé des ressources en histoire de l’art » [AGORHA] et du catalogue Calames, fut présentée par Fabienne Queyroux (INHA). La bibliothèque de l’INHA conserve en effet depuis de nombreuses années des fonds d’archives de critiques et d’historiens de l’art, d’archéologues, de galeries, qu’elle évoqua, avec l’histoire singulière de leur collecte, à travers quelques cas emblématiques et les perspectives d’évolution des instruments de recherche disponibles, grâce à l’instauration d’un portail spécifique pour la bibliothèque. Gwenn Riou (INHA/Aix-Marseille Université) décrivit les ressources et les capacités de la base de données, lancée par le département des Études et de la Recherche de l’INHA en 2001 pour les archives des xixe et xxe siècles : le « Guide des archives de l’art conservées en France » [GAAEL]3, dont la réalisation a bénéficié, à l’origine, d’une campagne de recensement d’archives des artistes, galeristes et collectionneurs nés après 1870. Dix ans après son ouverture aux chercheurs en 2004, le GAAEL recense les fonds d’archives de 4 000 personnes et organismes environ, conservés dans près de 900 établissements de statuts très divers.
8La séance s’acheva par l’évocation, par Clément Blanc-Riehl (Archives nationales) et Ambre Vilain-De Bruyne (INHA), de la base de données Archi-Episcopus, en cours de constitution par l’INHA, dans le système AGORHA, avec l’expertise du Centre de sigillographie des Archives nationales. Le projet intéresse au premier chef les historiens de l’architecture et de ses représentations : à partir de l’extrême fin du xiiie siècle, les prélats choisirent, dans leur très grande majorité, de représenter leur effigie, leur saint patron ou le saint patron de leurs églises dans un cadre architectural, du simple dais à des ensembles architecturaux très complexes. L’objectif de cette base est de donner à voir un corpus inédit et très exactement daté, illustrant une production d’orfèvrerie spécifique (les matrices métalliques), connue grâce à des milliers d’empreintes de cire, et donnant des points de comparaison utiles, susceptibles de mettre en œuvre de nouveaux axes de recherche pour la période médiévale.
Des sources en devenir
9La séance suivante, présidée par Philippe Sénéchal (INHA), sur le thème « Des sources en devenir » proposa de traiter les défis posés par la collecte et la constitution des fonds (repérage, conservation, volume et pérennité des données), en commençant par les archives d’architecture et d’urbanisme. Au sein des Archives nationales, les fonds d’archives en lien avec l’architecture sont du ressort de deux départements scientifiques, en fonction de leur statut juridique. Les fonds des ministères qui, à partir de la Révolution, ont été chargés de l’équipement et de l’urbanisme sont traités par le département de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et de l’Agriculture [DEATA]. Ces archives publiques, présentées par Marie Chouleur (Archives nationales), constituent une source du plus grand intérêt sur le contrôle et l’organisation par l’État de l’architecture et de l’urbanisme (chantiers expérimentaux, grands ensembles, villes nouvelles et autres opérations d’intérêt national, secteurs sauvegardés, abords des monuments historiques, sites protégés, paysages et jardins). Les archives privées, en matière d’architecture, présentées successivement par David Peycéré (Centre d’archives d’architecture du xxe siècle) et par Thibaut Girard (Archives nationales), fournissent un contrepoint indispensable, témoignant d’innombrables réalisations, mais aussi de projets, d’études théoriques, de relations professionnelles, à travers de riches documents figurés (esquisses, plans, photographies, dessins d’école). Le département des Archives privées d’architectes et des Archives nominatives et sérielles [DAAPANS] des Archives nationales et, surtout, le Centre d’archives d’architecture du xxe siècle, au sein de la Cité de l’architecture et du patrimoine, conservent ainsi plusieurs centaines de fonds d’archives d’architectes, d’ingénieurs, de bureaux d’étude et d’entreprises documentant l’architecture française du milieu du xixe siècle à nos jours.
10Annie Claustres (INHA) démontra ensuite l’intérêt, pour l’histoire de l’art contemporain, des archives orales, champ de collecte et de traitement relativement nouveau pour l’INHA. Sources inédites et encore trop peu explorées en France, alors que l’entretien d’artistes est un des fondamentaux de la discipline (André Félibien, Francisco de Holanda, Giorgio Vasari), elles ont été recueillies aux États-Unis dès les années 1950 (département Archives of American Art du Smithsonian Institution de Washington). En plaidant pour leur usage en histoire de l’art, à l’instar d’autres disciplines des sciences humaines et sociales (sociologie, histoire, ethnologie), qui y ont eu recours depuis le début des années 1980, elle présenta le programme « Archives orales de l’art » lancé par l’INHA en septembre 2010, dans ses enjeux de renouvellement disciplinaire, de méthodologie d’inventaire scientifique et d’élaboration d’outils théoriques et historiographiques.
11Le double contexte de l’évolution législative – la loi no 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives a réduit le délai d’accès aux archives des notaires de 100 à 75 ans – et de la disponibilité d’espaces de conservation liée aux transferts de Paris vers Pierrefitte-sur-Seine, amena Marie-Françoise Limon-Bonnet (Archives nationales) à rendre compte des perspectives de la collecte d’archives notariales, relancée sur le site de Paris depuis 2013, pour le renouvellement des sources et des pistes de recherche pour l’histoire des arts des années 1880 à la veille de la Seconde Guerre mondiale : matériaux sur les artistes eux-mêmes, selon les méthodes traditionnelles de l’histoire sociale autour des actes de la famille, sur les photographes4, sur les architectes des monuments historiques et les entreprises travaillant pour eux, sur les grands collectionneurs, souvent aussi grands donateurs aux institutions muséales (Cognac-Jay, La Caze), sur les grands marchands (Georges Petit, Paul Durand-Ruel), sur le métier d’antiquaire, documenté par les fonds de commerce ; sans oublier le secteur des arts vivants, à travers ses personnalités – danseurs (Serge Diaghilev), musiciens, costumiers, artistes du cirque –, les bals publics (bal Molière) et les établissements de divertissement (la tour Malakoff), au travers des actes concernant leurs propriétaires ou la vie juridique et économique de l’établissement.
12Enfin, remontant en amont du processus de la collecte, Vincent Bouat (ministère de la Culture) décrivit le rôle et le modus operandi de la Mission des archives, créée en 1986 au ministère de la Culture, dans l’identification et la constitution des sources sur l’histoire institutionnelle et la politique publique des arts en France, sa compétence s’étendant aux services centraux, aux services à compétence nationale, aux établissements publics sous tutelle du Ministère et, plus largement, à tous les établissements culturels bénéficiant majoritairement de subventions ministérielles qui sollicitent une aide en matière d’archivage. Dans sa politique de collecte, l’histoire de l’art et, en amont, la création artistique, sa reconnaissance et son public sont omniprésents.
Quel sort pour les archives d’artistes ?
13Modérée par Jean-Pierre Criqui (Centre Georges-Pompidou), la table ronde de clôture de cette première journée, sur le thème « Quel sort pour les archives d’artistes ? », qui renvoyait à la fois au sort actuel (état des lieux) et au sort à venir (développement, initiatives à prendre), rassembla Bernard Blistène (musée national d’Art moderne), Joël Huthwohl (Bibliothèque nationale de France), Annie Claustres (INHA), Isabelle Rouge-Ducos (Service interministériel des Archives de France), Didier Schulmann (Centre Georges-Pompidou) et Yves Chèvrefils-Desbiolles (Institut Mémoire de l’édition contemporaine-IMEC).
Archivistes et historiens de l’art : échanges et complémentarités
14La seconde journée, accueillie dans l’auditorium de Pierrefitte-sur-Seine des Archives nationales, privilégia le discours de la méthode, cherchant à démontrer, à travers quelques grandes déclinaisons, comment, loin de suivre leur chemin de façon autonome et indépendante, les professionnels des archives et les chercheurs académiques spécialisés en histoire de l’art irriguent leurs travaux respectifs, grâce à leur pratique commune des sources et leur approche réflexive complémentaire.
Métiers de l’artisanat spécialisé
15La troisième séance, présidée par Xavier-Philippe Guiochon (Centre national des arts plastiques), illustra d’abord cette coconstruction de la recherche par les sources et l’histoire des métiers de l’artisanat spécialisé. Le xviiie siècle fut abordé par Stéphane Castelluccio (Centre André-Chastel/CNRS), à travers le renouvellement du champ historiographique des métiers d’art et de ses acteurs, qui montra comment les études avaient d’abord porté sur les individus et leur production5, en s’appuyant sur les traités techniques, les comptes et les inventaires de la Maison du roi et des princes de la famille royale et les registres de maîtrise, puis avaient replacé artistes et artisans et leur activité dans leur corps social en particulier et dans la société en général6, notamment grâce aux sources notariales, qui autorisent cette approche élargie, des liens sociaux à la fortune personnelle. Dans l’héritage des études pionnières anglo-saxonnes sur le commerce, sa contribution porta sur le développement en France des recherches sur les circuits commerciaux des œuvres et des objets d’art (organisation des métiers, réseaux nationaux et internationaux, relations avec la clientèle, moyens de paiement) et sur les sources.
16À la croisée des techniques et de l’économie, Audrey Millet (université de Paris VIII/université de Neuchâtel) étudia ensuite les réalités du métier et le statut du dessinateur de fabrique, chargé de la décoration des étoffes, céramiques et papiers peints manufacturés, destinés à une clientèle de plus en plus large7. Considéré tantôt comme un ouvrier tantôt comme un artiste, il demeure, quoique très qualifié, le plus souvent mal connu : statut, métier et environnement professionnel et familial, constituant, pour ainsi dire, un « régime de fabrique », doivent se deviner au travers des sources notariales (obligations, contrats de mariage, dissolutions de société et inventaires après décès).
17Le siècle suivant fut abordé par une présentation du projet conduit par Jehanne Lazaj et Justin Beaugrand-Fortunel (Mobilier national) sur les fournisseurs du « mobilier de campagne de Napoléon », grâce au croisement des fonds des Archives nationales et des collections du Mobilier national, inventoriées, restaurées, voire restituées grâce aux archives. De 1804 à 1815, la fabrication de ces nombreux meubles (tentes, tables, sièges, lits, nécessaires de toilette), tous escamotables et facilement transportables, dont un important échantillon est conservé au Mobilier national, permet d’approcher à la fois la figure du souverain et l’artisanat parisien. Pour étudier cette collection, l’apport des documents du Garde-meuble impérial (sous-série O/2 des Archives nationales) était indispensable pour connaître les fournisseurs et les objets, dans leur nature, leur forme, leur nombre, mais aussi dans leur genèse et leurs tâtonnements.
18Enfin, Élodie Voillot (université Paris-Ouest Nanterre-La Défense), à propos de l’organisation professionnelle des industries d’art au xixe siècle à Paris, présenta ses recherches sur la Réunion des fabricants de bronze, à partir du fonds conservé aux Archives nationales depuis 2001. En 1817, en effet, à la suite d’un procès collectif pour contrefaçon, un groupe de fabricants de bronze s’unit pour protéger leurs modèles et redonner aux professions du bronze une organisation suspendue par la Révolution. Durant près de 150 ans, cet organisme allia aux fonctions de tribunal arbitral la formation professionnelle des apprentis et des ouvriers et la promotion du métier et de ses productions.
Métiers du bâtiment et histoire de la construction
19La quatrième séance, présidée par Emmanuel Rousseau (Archives nationales), s’est ouverte sur le renouvellement contemporain de l’étude des sources sur les professions du bâtiment, des maîtres artisans aux entrepreneurs des Bâtiments du roi.
20La recherche sur l’entreprise et les entrepreneurs au xviie siècle à Paris a engagé, depuis deux décennies en effet, une nouvelle approche historiographique portant sur les mécanismes de la fabrication de l’architecture, au-delà de l’histoire des styles et des biographies des « grands architectes », afin d’envisager une approche plus en profondeur de l’art de bâtir8. Encore éclaté, l’effort de renouvellement a pris plusieurs chemins, présentés par Alexandre Gady (université Paris Sorbonne/Centre André-Chastel) : études biographiques d’entrepreneurs majeurs (Thiriot, Villedo), étude des chantiers sous leur forme matérielle, étude des mécanismes de production et d’exploitation des matériaux (carriers, marbriers), étude de l’organisation professionnelle (métiers). Avec les recherches en histoire sociale (réseaux), l’étude de la théorie (traités) et l’histoire culturelle (bibliothèques d’architecte), la recherche autour de l’entreprise et des entrepreneurs constitue une perspective stimulante de l’histoire de l’architecture à l’âge moderne.
21Alexandre Cojannot (Archives nationales) a présenté le projet d’un instrument de recherche thématique portant sur les actes passés par les officiers des Bâtiments du roi devant les notaires de Paris aux xvie et xviie siècles, source indispensable pour écrire l’histoire de l’administration des Bâtiments du roi et de son activité au sein du secrétariat d’État de la Maison du roi, les archives organiques de cette institution (sous-série O/1 des Archives nationales) ayant été presque entièrement perdues pour la période. Souhaitant pallier les éditions ponctuelles existantes, menées en général dans la seule perspective de l’histoire des artistes et des œuvres, ce recensement exhaustif, qui alimentera notamment la SIV des Archives nationales, veut éclairer le personnel et l’organisation de cette administration, l’identité et le statut des entrepreneurs et artisans actifs sur les chantiers royaux et les modalités juridiques, financières et organisationnelles de leur emploi.
22À propos des architectes et des entreprises spécialisées du Second Empire, Isabelle Chave (Archives nationales) a présenté l’apport des fonds méconnus du Ministère d’État (sous-série F/70 des Archives nationales). Un inventaire achevé en 2013 y montre l’intérêt des ordonnances de travaux du Service des monuments historiques (1853-1864). Autour de 329 édifices pris en charge au titre de la « conservation d’anciens monuments historiques », ces archives témoignent de l’essor du service. Des mémoires de travaux sont présents pour cinq grands chantiers, à Paris (hôtel de Cluny, Sainte-Chapelle, église Saint-Martin-des-Champs) ou alentour (église de Rueil, église impériale de Saint-Denis). L’activité d’une quarantaine d’architectes et architectes des monuments historiques (Abadie, Boeswillwald, Lambert, Millet, Verdier, Viollet-le-Duc) est diversement évoquée, en particulier par les états de frais de leurs voyages. Posant la question des compétences et de la spécialisation liées à la restauration des monuments historiques, les sources données sur plus de 70 entrepreneurs spécialisés différents sont de grand intérêt. Désormais mieux décrit, ce fonds s’ajoute donc au corpus de sources des Archives nationales, dont les inventaires détaillés sont en ligne (Bâtiments civils, Palais impériaux, Minutier des notaires), alimentant la recherche sur les entrepreneurs du bâtiment, généralistes ou spécialisés, sous le Second Empire, renouvelée par cette capacité de croisement des sources.
Histoire des musées, des collections et des collectionneurs
23Pour ouvrir la cinquième séance, présidée par Nathalie Volle (INHA), Élisabeth Caude (musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau) évoqua la place des archives dans la connaissance du mobilier de l’impératrice Joséphine à Malmaison9. Pour identifier l’ameublement des résidences souveraines, le chercheur confronte généralement en effet les numéros et inscriptions portés sur les meubles avec les sources d’archives (registres d’inventaires, soumissions, mémoires), dans une perspective de filiation de l’œuvre et de repérage de ses emplacements successifs. Pour les résidences privées de Joséphine, la démarche s’avère plus difficile et diffère même entre, d’une part, l’hôtel de la rue de la Victoire, où Joséphine demeure à partir d’octobre 1795, et, de l’autre, les châteaux de Bois-Préau et de Navarre ou encore Malmaison, achetée en avril 1799 et devenue son bien propre après le divorce. La liste des meubles envoyés en 1806 au palais des Tuileries, au château de Rambouillet et au Garde-Meuble permet des identifications, à partir des descriptions livrées par les inventaires de ces différentes destinations, alors que, dans le cas de Malmaison, Bois-Préau et Navarre, la connaissance du mobilier passe par l’inventaire après décès de Joséphine en 1814 et les listes du partage successoral entre le prince Eugène et la reine Hortense. La recherche est toutefois entravée à la fois par la disparition de papiers de gestion et la dispersion des épaves subsistantes et par l’absence d’un système de numérotation du mobilier équivalent à celui du Garde-Meuble.
24L’intérêt des testaments pour l’histoire des collectionneurs, des musées et de l’histoire de l’art, en général, fut ensuite exposé par Chantal Georgel (INHA), qui insista sur les donateurs et les mécanismes de donation du xviiie au début du xxe siècle10. Qu’ils bénéficient à l’État ou à une collectivité territoriale, les testaments des collectionneurs, du fait de leur spécificité, constituent en effet, au-delà des testateurs eux-mêmes, de riches témoignages sur les légataires, les villes, les musées, leur image dans la société, leurs supposés pouvoirs. Ils révèlent aussi la réalité du fonctionnement de l’institution muséale : contraintes d’organisation, évolution muséographique et sens même de leur action.
25Isabelle Rouge-Ducos (Service interministériel des Archives de France) présenta enfin ses recherches sur les commissaires-priseurs parisiens et la constitution de leurs archives11. Reflet, à travers leurs archives aussi, de l’histoire du marché de l’art en France, qui connut un développement sans égal depuis le xviiie siècle, commissaires-priseurs et salles des ventes représentent de fait une approche incontournable de l’histoire de l’art pour qui veut connaître la réception des œuvres, les mécanismes du connoisseurship et la création des collections d’amateurs. Souvent spécialisés, les commissaires-priseurs ont intégré la société des notables au xixe siècle, jouant un rôle nouveau parmi les marchands, collectionneurs et conservateurs d’institutions publiques, sans oublier toutefois les heures plus sombres de leur profession, lors de la liquidation judiciaire des joyaux de la Couronne et des ventes après séquestre des collections d’avant-garde pendant l’entre-deux-guerres.
Échanges artistiques internationaux
26Placée sous la présidence de Zahia Rahmani (INHA), la sixième et dernière séance élargit enfin ces deux journées au thème des échanges artistiques internationaux. S’appuyant sur un vaste dépouillement conduit principalement aux Archives nationales, Clothilde Roullier (Archives nationales) offrit un état des sources d’archives concernant les échanges artistiques internationaux aux xixe et xxe siècles (arts plastiques, musique, opéra, danse, théâtre), exposant les questionnements de ce type de démarche, puis prit pour exemple deux voyages effectués par La Joconde, aux États-Unis en 1963, puis en Russie et au Japon en 1974, en confrontant les sources d’archives et en proposant des pistes pour la recherche sur les échanges artistiques entre la France et l’étranger.
27Pascal Riviale (Archives nationales/Centre EREA, LESC CNRS-Université Paris-Ouest Nanterre-La Défense), à son tour, présenta un tour d’horizon des sources des Archives nationales pour les études ethnographiques et archéologiques sur le Nouveau Monde du xviiie au xxe siècle, en soulignant la difficulté d’évoquer l’américanisme français à travers le prisme des « échanges artistiques », dans la mesure où toute dimension esthétique a été le plus souvent déniée à la production matérielle des sociétés amérindiennes durant la plus grande partie de la période considérée. Il indiqua toutefois comment les sources permettent d’appréhender l’ampleur et la relative hétérogénéité d’une mouvance scientifique à la portée nécessairement internationale.
28À propos de l’histoire transnationale et des circulations artistiques, Béatrice Joyeux-Prunel (École normale supérieure) acheva les journées sur un défi : celui de l’histoire mondiale de l’art pour la discipline. Au-delà d’une histoire de l’art « non occidental », dans une perspective de type postcolonial, elle présenta les enjeux d’une approche connectée et transnationale des circulations artistiques selon les espaces et les temps, quelles que soient les « appartenances culturelles », objet du projet de base collaborative de catalogues d’expositions à disposition des chercheurs : ARTL@S, développé dans le cadre du labEx TransferS12. L’outil veut répondre à un certain nombre de questions : comment croiser et multiplier les échelles d’analyse, si l’on ne se forme pas à l’histoire spatiale et l’histoire quantitative ? quelles sources utiliser pour retracer des circulations artistiques ? que peut-on ou non cartographier ? quelles sources privilégier et comment s’assurer de leur homogénéité pour pratiquer autant l’étude quantitative et comparative que des focalisations plus monographiques, mais circulatoires ? Elle montra comment le chercheur doit imaginer de nouvelles manières de travailler, intégrer à son travail la prise en compte de circulations humaines, matérielles et esthétiques, étudier des transferts culturels et des métissages et passer à la « lecture distante », chère à Franco Moretti, indispensable à une recherche vraiment mondiale.
Notes de bas de page
1 Mireille Rambaud, Les Sources de l’histoire de l’art aux Archives nationales, Paris, Archives nationales, 1955, 173 p.
2 La SIV est en ligne sur le site Internet des Archives nationales : http://www.archives-nationales.culture.gouv.fr. Le recensement préalable mené sur les sites de Paris et de Fontainebleau a établi, au 31 décembre 2007, l’existence de quelque 23 000 instruments de recherche, sur supports traditionnels et électroniques. En parallèle, le récolement des unités de conservation des magasins des deux sites établissait l’existence de 1,7 million de cotes, quasiment toutes décrites par un ou plusieurs instruments de recherche.
3Le site du GAAEL est accessible en ligne : http://www.purl.org/inha/agorha/001/12
4 Marc Durand, avec la collaboration de Claire Béchu, Marie-Ève Bouillon, Sylvie Bigoy et Sylvie Le Goëdec, De l’image fixe à l’image animée (1820-1910). Actes des notaires de Paris pour servir à l’histoire des photographes et de la photographie, Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, 2015, 2 vol. , 1323 p.
5 Voir par exemple : Pierre Verlet, Les Bronzes dorés français du xviiie siècle, 1987 ; rééd. Paris, Picard, 2003, 478 p.
6 Voir : Antoine Schnapper, Le Métier de peintre au Grand Siècle, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 2004, 400 p.
7 Sur le thème de sa communication, non publiée dans les actes de ces journées, voir : Audrey Millet, « Le dessinateur de fabrique (xviiie‑xixe siècle) », Biens symboliques/Symbolic Goods, 1|2017, en ligne : https://revue.biens-symboliques.net/104 (consulté le 20 août 2018).
8 Voir : Alexandre Cojannot et Alexandre Gady, Dessiner pour bâtir. Le métier d’architecte au xviie siècle (catalogue d’exposition, Archives nationales, hôtel de Soubise, 13 décembre 2017-12 mars 2018), Paris, Le Passage, 2017, 352 p.
9 Sur le thème de sa communication, non publiée dans les actes de ces journées, voir la contribution d’Élisabeth Caude, « De la dernière élégance, l’ambition de Joséphine pour ses décors intérieurs », dans Joséphine (catalogue d’exposition, Paris, Musée du Luxembourg, 12 mars-29 juin 2014), Paris, Éd. de la RMN/Grand-Palais, 2014.
10 Sur le thème de sa communication, non publiée dans les actes de ces journées, voir par exemple : Chantal Georgel (dir.), Choisir Paris : les grandes donations aux musées de la Ville de Paris (actes de colloque), Paris, INHA, en ligne depuis juillet 2015 : https://journals.openedition.org/inha/6879
11 Sur le thème de sa communication, non publiée dans les actes de ces journées, voir : Isabelle Rouge-Ducos, Le Crieur et le marteau, histoire des commissaires-priseurs de Paris (1801-1945), Paris, Belin, 2013, 495 p.
12 Sur le thème de sa communication, non publiée dans les actes de ces journées, voir le site du projet ARTL@S : www.artlas.ens.fr et les ouvrages : Béatrice Joyeux-Prunel, Les Avant-gardes artistiques. Une histoire transnationale. 1848-1918, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2016, 950 p., et Les Avant-gardes artistiques. Une histoire transnationale. 1918-1945, Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2017, 1200 p.
Auteur
Conservateur en chef du patrimoine, adjointe au chef du département du Pilotage de la recherche et de la Politique scientifique, ministère de la Culture, direction générale des Patrimoines
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