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Le sport malade de ses contradictions…

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Jean-Paul Callède

Thème 2. « Un sport bio »

Robert Denel

Texte intégral

1A la tribune : Gilles GOEGHBUER, Claire CONDEMINE, Patrick BAUCHE, Seci MECHERI

Animateur : Robert DENEL
Professeur à l'Université de Lille 2, UNCU

2Gilles GOETGHEBUER : mon parcours est atypique. J’ai commencé des études d’éducation physique, j’ai terminé en 84 et je me suis réorienté vers le journalisme tout en étant également agrégé de l’Université Libre de Bruxelles. On a lancé un premier magazine en 85 qui s’appelait Triathlète, qui existe d’ailleurs toujours, pour lequel j’ai assuré le secrétariat de rédaction pendant 5 ans, jusqu’en 89, puis on a lancé le magazine Sport et Vie en juin 90. Le magazine s’intéresse à la place que le sport occupe dans la société et à tout ce que le sport peut avoir comme relations avec les autres secteurs d’activité, que ce soit l’économie, la recherche, la médecine, la psychologie, l’histoire, la sociologie…

3Claire CONDEMINE : J’étais médecin du sport, depuis peu d’ailleurs, j’ai passé un DEA de physiologie. J’ai été contactée pour ce poste par un médecin qui avait été lui-même mandaté par Festina pour trouver un nouveau médecin, à la suite des événements de l’été dernier. Festina cherchait une personne qui ait suffisamment de connaissances en médecine du sport et en physiologie pour pouvoir faire face aux besoins spécifiques des cyclistes qui ont une orientation médicale davantage physiologique que traumatologique, compte tenu de leurs habitudes médicamenteuses, qui soit intéressée par la question. J’entame avec le Professeur Camy une thèse sur la fonction du médecin du sport et j’ai trouvé ce challenge doublement intéressant puisqu’il m’apportait l’occasion de faire l’expérience de ce qu’était effectivement le statut de médecin d’équipe dans un contexte difficile mais aussi particulièrement indiqué pour ce genre de travail.

4Patrick BAUCHE : Je suis un judoka. Lors de mon cursus universitaire de psychologue, pendant la maîtrise, j’ai été amené à rédiger un mémoire. Je cherchais un thème, je l’ai trouvé au travers du sport et cela a été ma première pierre de recherche. Tout en continuant mon activité sportive et en passant le Brevet d’État, j’ai par la suite été entraîneur, arbitre de judo. Un accident a mis un terme à cette pratique de sportif et d’entraîneur. Par la suite, m’est venue l’idée d’une thèse de doctorat sur les conséquences psychiques de l’arrêt de la pratique sportive. J’ai repris mon travail de maîtrise qui en fait était mon plan de thèse, soutenue l’an dernier à Paris 13. J’ai donc pu rencontrer des athlètes pour pouvoir mener à bien ce travail de recherche.

5Seci MECHERI : J’ai été champion du monde de karaté en 1998. Je fais partie du club « International Karaté Club de Lyon ». Je vais partir à l’armée, au bataillon de Joinville, le 1er septembre prochain. Je suis ingénieur en matériaux mais je n’ai pas d’emploi. J’en rechercherai un après l’armée. Je pratique le karaté depuis l’âge de 8 ans. Je vais parler de mon expérience en tant que sportif.

6Gilles GOETGHEBUER

7Licencié en Éducation Physique, Rédacteur en chef de la revue Sport et Vie

8Le thème de cette matinée, c’est le « sport bio ». C’est une notion qui recouvre pour chacun d’entre nous probablement un concept différent. Nous allons donc ensemble essayer de définir ce que l’on peut ranger dans ce concept de sport bio.

9Si l’on se base sur la définition du mot « biologie », c’est bien sûr l’étude des systèmes vivants. C’est un sujet très large, la biologie englobe la zoologie, la botanique, l’embryologie, la génétique… Il ne suffit pas de savoir que l’on est biologiste, mais ce que l’on fait réellement.

10Au niveau scientifique, c’est la science du vivant.

11Si l’on se base sur cette définition-là, le sport bio sera un sport qui met en lice des systèmes vivants. De prime abord, on dira que c’est le cas de toutes les disciplines. Parfois c’est un affrontement entre les hommes, parfois entre les animaux, parfois les uns et les autres ou via des technologies ou des matériaux sophistiqués. Mais en attendant, c’est toujours un affrontement entre des systèmes vivants.

12Cependant on peut se poser la question de savoir si on ne va pas assister dans le futur à de nouveaux développements d’un sport non bio. Cela semble un peu « tiré par les cheveux », mais beaucoup de chercheurs sont persuadés que l’avenir nous apportera peut-être la démonstration que les gens peuvent se passionner pour des compétitions qui seraient absolument non humaines, non animales, qui seraient des compétitions entre des robots ou des ordinateurs.

13Pendant cinq minutes, on peut essayer de comprendre ce qui pourrait se passer et je vous propose deux pistes. La première, c’est cette rencontre dont vous vous rappelez sûrement aux échecs entre le champion russe Kasparov et l’ordinateur d’IBM Deep-Blue. Pour la première fois, on a assisté à une compétition de très haut niveau (jusqu’alors les joueurs d’échecs avaient facilement battu les ordinateurs) où l’ordinateur bat le meilleur joueur d’échecs du monde.

14Si l’on part du principe que le match était parfaitement juste (beaucoup pensent le contraire), et que sur le plan sportif tout était parfait, on peut donc imaginer que les concepteurs du programme Deep-Blue seraient curieux d’opposer leur programme invincible à un autre programme, nourri par une autre équipe de recherche ou par une autre société.

15On aurait donc deux ordinateurs représentant chaque fois des investissements économiques faramineux qui s’affronteraient. Le public se passionnerait-il pour cela ? La question est ouverte, mais on peut penser, qu’il y aurait une sorte de nationalisme qui nous ferait supporter l’ordinateur européen contre l’ordinateur américain par exemple. Cela reste bio dans la mesure où les concepteurs des programmes sont des hommes, mais sur le terrain sportif, cela ne le serait plus. Évidemment, on peut argumenter que les échecs ne sont pas un sport très physique… Je vous propose donc un deuxième point de réflexion : la Coupe du Monde des robots. Cette coupe existe depuis quelques années, organisée à l’intention des robots. La première édition a eu lieu au Japon, la seconde a eu lieu à Paris en 98, juste avant la véritable Coupe du Monde, celle des humains. La troisième édition a lieu actuellement à Helsinki en Finlande. Le succès est surprenant. Les participants sont nombreux et, pour la prochaine édition, il y aura des phases préliminaires, comme dans la vraie Coupe du Monde, tellement il y a de candidats.

16Il faut comprendre que la comparaison avec le foot est quelque peu osée, cela reste très rudimentaire, on ne joue pas sur un terrain de foot, il n’y pas onze joueurs, mais cinq robots. On imagine les robots articulés comme dans les dessins animés. Non, ce sont des espèces de véhicules comme les voitures téléguidées avec lesquelles les enfants jouent, sauf que ces robots-là ne sont pas téléguidés. Ils ont un véritable programme qui leur permet de comprendre le but du jeu, à savoir mettre la balle dans la cage de l’autre équipe, de percevoir le mouvement des autres robots de leur propre équipe pour ne pas leur rentrer dedans, d’analyser le mouvement de la balle, d’intégrer un tas de choses. Il y a différentes catégories. Dans la prochaine Coupe du Monde à Helsinki, il y a même une catégorie réservée aux « robots jambés » ressemblant à des petits chiens. Ils marchent à quatre pattes, mais joueront au football eux aussi. C’est donc la quatrième catégorie qui est l’innovation de cette année.

17Là encore, le public va-t-il suivre ? Le public va-t-il se passionner pour ces compétitions entre robots ? Pour le moment, cela reste un spectacle assez comique, il y a des robots qui s’appuient l’un contre l’autre à s’en faire « péter » les moteurs, il y en a qui sont complètement largués au milieu du terrain, qui errent… Ce n’est pas encore vraiment l’équipe de France… Mais on pourrait imaginer qu’avec la technologie évoluant — il n’y a jamais que quelques années d’existence — ces compétitions entre robots connaissent un succès. D’ailleurs, ceux qui ont participé l’année dernière à la Coupe du Monde des Robots disaient que dans le public, il y avait des vrais supporters, des Italiens, qui agitaient des drapeaux, qui chantaient, qui hurlaient à chaque but comme dans un match de football, pour encourager leurs robots. Je ne sais pas si dans le programme des robots, il y avait déjà l’idée de percevoir les encouragements, mais c’est déjà les prémisses de quelque chose et on peut imaginer, avec le succès des jeux vidéos, avec cette technologie qui évolue autour des robots, avec les programmes d’ordinateurs qui deviennent de plus en plus sophistiqués, un sport bio qui serait celui réservé aux systèmes humains ou simplement aux systèmes vivants, puis un sport non bio qui serait lui réservé aux robots, aux ordinateurs et autres machines.

18C’est la première définition du sport bio. Je suis conscient que c’est un peu « tiré par les cheveux », mais le monde évolue tellement vite et on est tellement surpris toujours du sens du progrès. Qui sait si dans 10 ou 15 ans, ce n’est pas celle-là qui s’imposera ?

19L’autre définition que je vous propose à propos du sport bio est plus classique. Elle rejoint l’idée que l’on peut avoir quand on parle d’alimentation bio. En fait, on oppose l’expression « bio », très vague et confuse, à l’expression « chimique », à l’expression d’une alimentation manipulée, etc. Le bio représente ce qui est pur, naturel et bon pour la santé. Définition vague et confuse, parce que, d’une part, dans ce qui est chimique, il y a beaucoup de produits qui se contentent de copier des molécules qui existent dans la nature, dans les molécules naturelles, d’autre part, il y a les pires poisons de la terre. Les gens mouraient de botulisme, d’ergotisme, empoisonnés par l’alphatoxine du lait ; des tas de maladies parfaitement naturelles.

20L’idée donc d’opposer cette notion de bio à la notion de chimique est maladroite. Néanmoins, on perçoit tous bien ce que cela signifie. On n’a pas envie de manger du poulet à la dioxine, de la vache folle, du porc aux tranquillisants… On comprend ce que cela signifie mais cela reste très difficile à situer purement du point de vue scientifique.

21Et le sport bio ? Il va s’opposer au sport chimique, de la même façon que les œufs bio s’opposeront aux œufs chimiques. Définissons le sport chimique. On pense tous à ce qu’il peut y avoir comme adjuvants de l’effort, chimiques, donc le dopage, de façon générale. Cela dit, on n’est pas encore très loin, parce que entre ceux qui refusent tout produit chimique, et ceux qui les acceptent tous, on a le même problème qu’entre ceux qui refusent tout pesticide, engrais, etc. et ceux qui acceptent tout, les pires avanies de l’agroalimentaire, il y a tout un continuum de positions et, finalement, dans le dopage, c’est la même chose. Il y a peu de sportifs, de médecins qui refusent tout, aussi bien les vitamines que les acides aminés, les oligo-éléments. On accepte certaines choses. Peu aussi acceptent tout : excitant, supplémentation hormonale, etc.

22Entre les deux, il y a une zone confuse, sombre, pour laquelle on est divisé ; l’électrostimulation, les caissons hypobarres, la créatine, le rééquilibrage hormonal. On est plus ou moins tolérant, sévère, mais on a du mal à se situer clairement et c’est la même chose, en fait, en matière d’alimentation. On a du mal à situer clairement ce que l’on accepte de ce qui semble insensé.

23Imaginons les deux partis, ceux qui refusent tout, ceux qui acceptent tout. Dans ceux qui acceptent tout, il y a une idée récurrente, qui n’est pas stupide, qui est une idée qui vaut la peine d’être développée, même si on n’y adhère pas de prime abord. Ils disent ceci : les charges de travail sont telles que si l’on n’aide pas la personne à réaliser ce travail, on la condamne avec cruauté à se décomposer dans l’effort et à subir beaucoup d’avatars pour cette charge de travail.

24J’ai été très impressionné par l’interview d’un médecin d’une équipe cycliste en 95, la dernière à avoir fait le Tour de France sans EPO, alors que tous les autres étaient à l’EPO. L’EPO, l’érythropoïetine, est un produit dopant qui permet d’améliorer les performances de l’ordre de 10, 15 à 20 %. Ce médecin me disait : « mes coureurs, le soir, arrivant aux étapes étaient tellement morts qu’ils ne mangeaient plus, la nuit, ils ne dormaient pas, ils y en a qui pleuraient, qui tombaient chaque jour ; dans un raisonnement purement médical, thérapeutique, je suis beaucoup plus coupable de ne pas leur donner d’EPO que de leur en donner ».

25Ce raisonnement est bien entendu pervers, mais il faut y réfléchir. Que va-t-on faire ? C’est une question philosophique qui dépasse de loin le problème du dopage. Est-ce que l’on va adapter l’homme à la machine, le sportif à sa charge de travail ou, à l’inverse, adapter la machine à l’homme, la charge de travail au sportif ? On va retrouver cette question partout dans la société. Est-ce que l’on va adapter l’homme à l’économie ou l’économie à l’homme ? l’homme à la société ou la société à l’homme ? C’est vraiment une question fondamentalement philosophique. Bachelard disait qu’il fallait adapter la société à l’école pour ne pas adapter l’école à la société. Ce sont des questions sur lesquelles on peut débattre encore maintenant. Qu’est ce qui est primordial ? Est-ce l’économie ? Est-ce le spectacle en matière de sport ou celui qui fait le spectacle, le sportif ?

26C’est donc une question philosophique. C’est aussi une question culturelle. Là, je m’autorise une digression. Je vais parler de clonage humain. A priori, cela n’a pas un lien direct avec le dopage, pourtant si. C’est une réflexion d’Axel Kahn, le généticien, qui dit : « en matière de clonage, il y a deux grands mouvements de pensée d’origine culturelle ». Il y a les anglo-saxons qui partent du principe que tout ce qui est bon pour la personne est bon pour la société. Cela signifie, dans le cas du clonage humain, par exemple que des parents ont le droit de remplacer par un enfant identique, l’enfant disparu. Cela signifie qu’un couple stérile pourrait donner une descendance… On peut trouver des tas de raisons qui justifieraient un clonage pour le bien des personnes. En Amérique principalement, ils partent du principe que ce qui est bon pour l’individu est bon pour la société. S’oppose à cela un autre principe, culturel, qui est plutôt celui des pays latins, qui part du principe que quelque chose peut être éventuellement bon pour l’individu, sans forcément être bon pour la société…

27Dans la plupart des cas, évidemment, la société va s’organiser autour de l’idée que ce qui est bon pour la majorité d’entre nous est bon pour elle. Mais pas toujours. Il existe des cas où l’on a à répondre de principes qui nous dépassent, des principes supra-humains, le respect de la vie par exemple, des règles d’ordre éthique que l’on formule difficilement, et surtout qu’il est difficile de défendre rigoureusement, parce qu’elles échappent au raisonnement en fait purement scientifique, mais nous paraissent primordiales.

28En matière de clonage humain, on trouve que l’on ne peut pas. Pourquoi ? Parce que l’on transgresse un certain ordre naturel des choses et que cela nous semble inconcevable.

29Dans le dopage, on se trouve dans la même situation. Certains athlètes pensent que les espoirs que le dopage permet valent bien les risques que cela induit. Il sait que s’il joue au football américain, il a une espérance de vie d’une quarantaine d’années. Il sait bien qu’aux États-Unis, c’est la profession qui a l’espérance de vie la plus faible, que les stéroïdes risquent de lui causer un cancer de la prostate. Il estime cependant que les millions de dollars, la gloire, les femmes, justifient cet investissement-là. C’est son choix. Aux États-Unis, on a plutôt tendance à penser que si c’est son choix, on ne doit pas s’y opposer.

30Nous, nous avons une idée différente. On pense qu’il faut protéger les gens même malgré eux parfois. C’est une définition plus ancienne, plus latine, plus éthique : on pense que même si quelqu’un veut se fiche la santé en l’air, on doit l’en empêcher. A partir de là, je pense que chacun doit pouvoir se situer, en disant : « vers quoi, je me sens plus proche ? » Il y a une cohérence aux États-Unis, c’est la liberté. Est-ce que je me sens plus proche de cela ou de la rigueur, de la sévérité que l’on connaît ici en France ?

31On est là au cœur des questions qui divisent les institutions sportives. Les institutions sportives fonctionnent comment ? D’une part, avec l’argent des américains, globalement l’argent des top sponsors du C.I.O., des télévisions américaines ; et avec l’héritage de Pierre de Coubertin, tout un héritage européen sur le sport qui est un moyen de rassembler les peuples, un moyen d’éducation, etc., donc un héritage d’humanisme.

32A partir de là, forcément, ils sont condamnés à l’hypocrisie, parce qu’ils sont tiraillés entre deux cultures différentes. Alors, toutes les institutions sportives sont plus ou moins hypocrites. Aux États-Unis, c’est franchement du cynisme, quand on entend le discours des quatre grands sports américains. Tous ont des statuts très sévères sur le dopage mais il n’y a pas de contrôles véritables. Pour la NBA par exemple, il n’y a pas de liste rouge. Seuls sont interdits les produits repris dans la lutte contre les toxicomanies, héroïne, cocaïne… mais on ne parle pas d’EPO, d’hormones de croissance, ni de stéroïdes, cela n’existe pas.

33En base-ball, les américains sont plus sévères, dans les termes, mais cela n’a pas empêché le bon Marc Mark Mc Guire qui a battu le record des Home-Run l’année dernière, d’avouer qu’il prenait de l’Androstènedione, stéroïde anabolisant, qu’il le prenait en toute bonne foi, parce qu’il pensait que c’était permis. C’est d’ailleurs permis aux USA. Cela ne l’est pas en Europe.

34Pour les autres sports. En hockey sur glace : rien, on ne parle pas de dopage. En football américain, c’est la même situation que pour le base ball, sévérité de principe mais qui n’est pas suivie dans les faits.

35Si l’on refuse cela, et on a raison de le faire, on est condamné à mener une lutte contre le dopage et cette lutte va s’axer autour de cinq questions : la responsabilité du dopage, les produits que l’on doit interdire, les sanctions à proposer, la place de l’Europe.

La responsabilité

36La lutte contre le dopage a commencé au début des années 60. Au niveau olympique, on en a parlé à Tokyo en 64. Les premiers contrôles dans le peloton français, en 66 ; les premiers contrôles au niveau du C.I.O. en 68. Globalement, depuis le milieu des années 60, on se tracasse de savoir comment faire pour empêcher cette dérive du système sportif.

37Dès les premières velléités pour lutter contre le dopage, on s’est posé la question de savoir « à qui revient le devoir de combattre le dopage. Il y avait deux idées majeures : d’une part, on disait que c’était le rôle des institutions sportives, et c’est un peu le pli qui a été pris, d’autre part, on disait non, c’est l’État, c’est la police qui doit agir.

38Déjà en 66, dans le Tour de France, par exemple, ils bataillaient : Anquetil disait qu’il ne voulait pas entendre parler de dopage au sein de la fédération. Jean-Marie Leblanc qui était coureur pensait lui qu’il fallait plutôt laver son linge sale en famille. Cela divisait très profondément les coureurs.

39Finalement, les deux options ont été prises. Au niveau des institutions sportives, on a développé des tests. Au départ, on détectait les amphétamines, d’ailleurs la première année, 30 % des coureurs étaient positifs. Il y en aurait eu plus si les tests avaient été plus fiables, parce qu’on ne détectait que des doses de cheval. On n’était pas précis à l’époque, mais déjà on trouvait beaucoup de coureurs positifs.

40La seconde année, il y en a eu 12 %, la troisième, 4 %, puis après 1 %. On a pu dire que les contrôles avaient bien fonctionné, faisant disparaître les amphétamines. Le problème c’est qu’ils ont été soit remplacés par la cortisone dans les années 70, soit les coureurs ont trouvé le moyen de passer au travers des contrôles, ce qui n’était pas difficile, ce qui ne l’est toujours pas aujourd’hui.

41Pourquoi les institutions sportives finalement luttent contre le dopage ? Au niveau du C.I.O., qui est la tête pensante du mouvement sportif en la matière, pendant longtemps, il n’y a pas eu de définition du dopage. On partait du principe que le dopage c’était enfreindre la règle sportive pour trois raisons majeures. Et c’est là l’œuvre de la vie du Prince de Mérode, d’avoir mené ce combat-là ; les trois principes qu’il évoque sont :

  • D’une part, le principe de l’égalité des chances qui est consubstantiel de la pratique sportive. Si on court contre quelqu’un dont on est sûr qu’il va gagner, on ne va pas bien courir, il faut donc partir du principe que, au début d’un 100 m, il n’y en a pas un qui parte 3m plus loin : on est à égalité. Bien sûr, après, il y a le talent, l’entraînement… qui jouent, mais le principe du sport c’est l’égalité des chances et le dopage enfreint ce principe.
  • D’autre part, le principe de protection de la santé de l’athlète. C’est un principe culturel, hérité des latins.
  • Le troisième principe enfin est encore plus flou, c’est la défense du principe de l’éthique sportive et médicale. La défense de l’éthique médicale, on peut la comprendre. Le rôle d’un médecin c’est de réparer un individu malade, pas de l’amener à un état de performance qu’il n’atteindrait pas naturellement. Pour l’éthique sportive, je ne sais pas si beaucoup de sportifs ont une idée très claire de ce que cela signifie. Mais on pourra en discuter. Pour eux, c’est gagner le match, et si l’on a poussé la balle dans le but de la main et que l’arbitre ne l’a pas vu, tant mieux. Ce n’est pas le cas pour tout le monde, sans doute, mais là où il y a certainement beaucoup d’enjeux, dans le haut niveau, je ne sais pas si la notion d’éthique sportive est tout à fait claire.

42Voilà donc le niveau de la lutte contre le dopage menée par les institutions.

43Au niveau de la lutte contre le dopage menée par les États, cela reste malheureusement très inégal. Il y a des États relativement sévères, la France en fait partie, il y en a d’autres qui sont complètement laxistes, qui n’ont pas de loi, d’ailleurs la plupart n’ont pas de loi. S’ils en ont une, comme la Belgique, elle n’est pas appliquée, notamment dans la partie sud du pays (en Belgique, tout est plus compliqué qu’ailleurs…). Dans la partie nord, il existe une loi qui ressemble fort à la loi française ; dans le sud, une loi date des années 60, c’était la première loi anti-dopage d’ailleurs mais qui n’est pas appliquée.

44Soit donc elle n’existe pas, soit elle est mal appliquée. Il n’y a vraiment que la France, dans l’état actuel des choses qui mène la guerre au dopage. L’Australie aussi. Cela bouge au niveau européen. La France a été un peu la mouche du coche…

45Pourquoi un État doit-il se préoccuper du dopage ? On comprend que le mouvement sportif veuille empêcher les gens de se doper de la même façon que l’on empêche les joueurs de prendre la balle en main quand ils jouent au football ou de mettre un fer à cheval dans son gant de boxe, cela fait partie des règles sportives. Pour les institutions, on comprend donc relativement facilement qu’elles empêchent le dopage. Mais pourquoi l’État va-t-il se mêler de cela ? Il s’en fout que quelqu’un prenne la balle en main au football, que quelqu’un mette un fer à cheval dans son gant de boxe. Il doit donc être animé d’autres motivations. J’en perçois deux. La première, c’est qu’il y a un coût. Le dopage et surtout les séquelles du dopage entraînent un coût en matière de santé publique. Ce coût est assumé par la sécurité sociale, et l’État cherche à préserver autant que faire se peut le bon équilibre budgétaire des soins.

46J’ai eu l’occasion d’interviewer un boxeur pro américain, poids lourds, ayant combattu contre Foreman, qui m’a avoué avoir pris des stéroïdes depuis sa plus tendre enfance, qui a fait toute sa carrière gonflé aux anabolisants, qui arrivé en fin de carrière a souffert d’un problème artériel au niveau d’une jambe, qui s’est fait amputer de cette jambe, qui a continué à prendre des stéroïdes après son amputation (parce que les stéroïdes induisent aussi une assuétude au niveau cérébral. Il a eu un problème artériel à la deuxième jambe, il a été amputé de la deuxième jambe. C’est alors qu’il a arrêté. Maintenant, il tourne dans les universités américaines pour raconter les méfaits du dopage.

47Il y a beaucoup d’autres exemples. J’ai pris là un exemple américain. Il y a Franco Chioccioli qui gagne le tour d’Italie en 91, qui sept ans plus tard se trouve dialysé…

48Il y a donc un coût en matière de dopage, un coût de soins de santé. Peut-on chiffrer ce coût ? Cela me paraît totalement impossible. En fait, il y a un coût en matière de soins de santé pour le sport de haut niveau. Les sportifs de haut niveau se font très souvent opérer, coûtent cher finalement. Le sport de haut niveau « casse » énormément. Le dopage alors est-il la cause princeps, je ne sais pas… La question en tout cas mérite d’être posée et c’est une des motivations pour l’État de se préoccuper de dopage.

49L’autre motivation, à mon sens, est beaucoup plus essentielle, mais plus difficile aussi à exprimer. Il y a une valeur d’exemple, que l’on trouve cela dommage ou merveilleux, du sportif de haut niveau. Si on admet que ce sportif de haut niveau prenne des stéroïdes, de l’EPO, des hormones de croissance, de la cortisone, des amphétamines, bien entendu, cela va transparaître aussi sur les habitudes de tous ceux qui admirent ces sportifs.

50Là encore, ce n’est pas un concept creux. Par exemple, aux États-Unis, il y a à mon sens un mouvement terrifiant, qui ne semble pas terrifier les autorités, qui veut que dans les lycées, par exemple, on trouve des consommateurs de stéroïdes anabolisants, non dans un but sportif, mais pour se sentir bien, être plus beau sur la plage, plus agressif, mieux dans sa peau. Cela concerne dans certains lycées jusqu’à 15 % des garçons, à un âge en plus, la puberté, où l’on ne sait pas du tout ce que ces produits vont donner à long terme. 15 % des garçons et entre 1 et 5 % des filles. Les chiffres varient en fonction des études, c’est entre 5 et 15 % pour les garçons et 1 et 5 % pour les filles. C’est terrifiant, totalement apeurant de voir ces modes de dopage se répartir ainsi dans la société. Ma foi, si l’on imagine pouvoir aider avec de l’EPO un sportif à gravir trois cols à 2 500 m, pourquoi n’aiderait-on pas la ménagère à monter ses courses jusqu’au dixième étage, pourquoi ne se mettrait-on pas tous à se doper finalement ? On se sentirait tous mieux, plus costauds…

51On est un peu dans cette voie-là actuellement, c’est une dérive américaine qui s’inscrit chez nous, à savoir qu’il y a un dopage social. Et si l’on accepte le dopage dans la sphère sportive, pourquoi le refuser dans la sphère sociale, cela n’aurait pas de sens.

52L’autre raison, par conséquent, pour laquelle l’État doit se préoccuper du dopage, c’est aussi le fait qu’il y a une dérive des habitudes de dopage dans la société.

53C’était le premier chapitre : à qui revient la responsabilité de lutter contre le dopage ? Le second, ce sont les moyens de lutter contre le dopage, parce que, évidemment, on peut toujours faire des déclarations d’intention sur le fait que l’on veut éradiquer le dopage, mais si on n’a pas les moyens de le faire, on n’y arrivera pas.

54Les moyens sont très différents selon que l’on s’adresse à l’institution sportive ou étatique. Il faut reconnaître à l’institution sportive qu’elle n’a pas finalement beaucoup d’outils à disposition. Elle a les tests sur l’urine mais malheureusement ils sont tout à fait insuffisants pour repérer les techniques actuelles de dopage. Finalement cette institution est assez démunie. Elle a des chiffres qui ne sont pas fameux : il y a eu 16 872 contrôles aux Jeux olympiques depuis Grenoble en 1968, 53 athlètes ont été déclarés positifs dont au moins 5 erreurs. Avec un cas célèbre, Ben Johnson. Ce qui fait 0,31 %.

55Bien sûr je ne dis pas que tous les athlètes aux J.O. sont dopés, mais ils sont sûrement plus nombreux que ces 0,31 %. On est donc là dans une situation d’échec, il faut dire les choses comme elles sont, et même au niveau sportif on s’en aperçoit. Est-ce un manque de moyens ? Ils ont mis pas mal d’argent, il faut le reconnaître, même si cela représente peu par rapport aux sommes que charrie le sport de haut niveau. On estime que le budget de dépistage anti-dopage pour la préparation d’un athlète qui participe aux J.O. équivaut à 1 % des sommes engagées, le reste c’est les stages, le matériel, les entraîneurs, les entraînements, mais en matière de dépistage, c’est 1 % de la somme, ce n’est pas négligeable puisque l’on dépense beaucoup pour les athlètes, mais ce n’est pas extraordinaire.

56Non seulement le monde sportif n’est pas tellement bien armé pour résoudre le problème, mais en plus il n’a pas toujours l’intention de le faire. On peut donc comprendre que cette situation d’échec, après trente années de recherche, s’explique relativement facilement

57Les armes dont dispose l’État pour lutter contre le dopage ? C’est beaucoup plus sérieux. Il y a moyen de faire toutes les procédures policières, des fouilles, démantèlement des réseaux, utilisation de témoins, etc. les affaires qui sont sorties en matière de dopage très souvent, à l’origine il y a une enquête policière, c’est le cas de l’affaire Festina, bien sûr, mais c’est aussi le cas de l’arrestation des nageuses chinoises au Championnat du Monde de Perth, en Australie. Depuis, on ne voit plus tellement les Chinois.

58Il faut reconnaître qu’il y a dans les mains de l’État un pouvoir qui est nettement supérieur.

59Voilà pour la question des outils pour détecter les produits dopants. Maintenant reste à savoir et à définir ce que l’on doit considérer comme dopant ? C’est une question qui ne connaît pas de fin tellement elle est complexe. C’est l’important travail du C.I.O., là on peut lui être reconnaissant d’avoir réuni le monde sportif sur les mêmes bases. C’est-à-dire que l’œuvre de la commission médicale du C.I.O. a été d’arrêter une liste de produits dopants soumise à toutes les fédérations. Le C.I.O. y est arrivé. Il y a encore des petites différences selon les sports, mais globalement le monde sportif s’est entendu sur une série de produits à interdire. C’est un énorme progrès, car au départ chacun avait sa législation.

60Reste maintenant à faire un travail d’uniformisation, qui est de mettre d’accord le monde sportif et les institutions d’État quand il y a une loi contre le dopage. Là on est très loin du compte. C’est encore plus complexe, parce que toutes les législations se heurtent. Il y a d’une part la législation contre le dopage, quand elle existe, mais il y a des dispositions commerciales aussi. Les lois sur les produits diététiques varient selon les pays. Un exemple, en France on considère en matière de réglementation pour les produits diététiques que tout ce qui n’est pas formellement permis est interdit. Il faut une autorisation formelle pour le produit que l’on va commercialiser, sinon il est fatalement interdit. C’est pour cela que la créatine par exemple n’est pas reprise dans la liste, parce que la liste a été faite avant l’arrivée de la créatine sur le marché, elle n’a pas d’existence, de statut juridique en France. On ne peut pas la commercialiser.

61En Allemagne, le système est différent, on part du principe que tout ce qui n’est pas formellement interdit est permis. Vous voyez donc le fossé énorme qui peut se creuser entre ces deux conceptions. A partir de là, on se trouve dans une situation de totale complexité entre différentes législations, sportives, étatiques, commerciales qui se heurtent. Cela va être un travail de titan de réunir l’ensemble, comme a su le faire le C.I.O., et on peut leur en être reconnaissant, en matière de lutte contre le dopage, au sein des fédérations.

Les sanctions

62Le C.I.O. n’est pas encore arrivé à ses fins. Il souhaite une uniformisation des sanctions, que la même faute, le même produit, entraînent la même sanction. En cyclisme où l’on est manifestement plus tolérant, ou en athlétisme, en judo, où l’on est traditionnellement plus sévère. Là, on est encore loin du compte, il suffit de voir le cas de personnes positives à la nandrolone. Il n’y en a pas deux qui ont la même sanction. En fonction des fédérations, cela a varié de 2 ans ferme à rien. Il y a donc là un progrès à faire. L’uniformisation des sanctions n’est pas essentielle, mais malgré tout, cela donne un peu de crédibilité, sinon à quoi cela rime qu’une même faute soit sévèrement punie d’un côté et pas de l’autre ? Il s’agit là des sanctions sportives évidemment données par les institutions sportives.

63Il y a aussi les sanctions au niveau des États, c’est encore un très beau débat. L’État doit-il punir le sportif, le consommateur ? En France, dans la nouvelle loi, on considère que le consommateur n’est pas punissable. Les réseaux, la vente, tout ce qui est trafics, deals, sont condamnables, mais pas la consommation.

64Les organisateurs des jeux de Sydney pensent eux qu’il faut punir le consommateur. Ce sont deux principes différents. Dans le premier, on s’inspire des progrès faits en matière de lutte contre la toxicomanie. On a vu que punir les consommateurs ne menait à rien. Là encore, c’est un constat d’échec retentissant. On est dans une phase qui va plus vers une dépénalisation progressive de la consommation de certains produits interdits. On va dans ce sens-là, suivant les pays, bien entendu.

65C’est une première vision des choses. La seconde, un passage du bouquin de Willy Voets, soigneur de Festina arrêté dans le cadre de l’affaire 98, qui a écrit un livre à scandale (sans être scandaleux dans son propos), m’y fait penser. Il disait : « il n’y a pas tellement de comparaison à faire entre la toxicomanie et le dopage, dans la mesure où en toxicomanie, ceux qui souffrent, qui courent les risques, ce sont les consommateurs, et ceux qui s’enrichissent et qui ne courent aucun risque, ce sont les dealers. En matière de dopage, c’est juste l’inverse. Ceux qui gagnent beaucoup d’argent, ce sont les coureurs, et ceux qui prennent tous les risques, ce sont les dealers ».

66Si on le suit dans cette idée, cela signifierait qu’il y aurait des raisons de condamner, punir le consommateur. C’est en tout cas la grande idée des organisateurs des jeux de Sydney, c’est à cela qu’ils voudraient arriver.

67Dernier point : l’Europe, et les progrès qu’il nous reste à accomplir.

68A mon sens, le premier pas c’est de savoir ce qu’on veut. C’est une première chose, c’est une déclaration de principe. Est-ce que l’on refuse ce sport à l’américaine ou l’accepte-t-on ? Dans le passé, il y a eu des situations d’un sport à l’américaine, en Europe, qui fascinaient les foules et qui avaient beaucoup de succès. Les gladiateurs, dans le temps, étaient des sportifs à l’américaine qui risquaient leur vie. Il n’y avait pas que des esclaves, il y avait des esclaves affranchis qui avaient choisi ce métier-là, ils gagnaient de beaux plateaux dorés, ils étaient logés, nourris et adulés par les foules. Ils savaient qu’ils risquaient leur vie à chaque combat. On peut donc imaginer, et c’est dans une part de notre nature, que nous avons une fascination morbide pour des combats à mort vers laquelle le sport se dirige de plus en plus.

69Si on est d’accord avec cette idée, et c’est une discussion qui peut s’engager, cette position-là est cohérente. On peut l’admettre et c’est très difficile de contrarier quelqu’un qui dit cela.

70L’autre idée est de savoir si l’on refuse. Si on refuse, on est condamné à lutter contre le dopage, avec tous les problèmes énoncés précédemment. Et cette condamnation qui nous amène à lutter contre le dopage repose sur deux défis.

71Le premier défi concerne la réglementation. Il va falloir absolument trouver au niveau européen un système d’entente. L’Europe s’est créée sur l’idée que, d’une part, il fallait préserver la paix et que, d’autre part, il fallait faire face aux problèmes qui ne connaissent pas de frontière (pollution, mafia, etc.). Le dopage ne connaît pas de frontière. Si à partir de maintenant on part du principe que le dopage est chose taboue dans notre conception du sport, on est condamné à s’entendre.

72On ne peut pas imaginer une situation comme l’an dernier où les équipes cyclistes évitaient la France pour ne pas devoir rendre des comptes à la police française. En Belgique, un organisateur d’un championnat de gymnastique a menacé de déplacer sa compétition de 3 kilomètres, pour être de l’autre côté de la frontière linguistique, là où il était sûr de ne pas avoir de problème de contrôle.

73Si on arrive dans ce genre de situation, c’est absurde ! On est condamné à trouver un terrain d’entente sur le terrain.

74L’autre défi majeur, est un défi biologique. Il faut donner les armes pour contrer les nouvelles méthodes de dopage, les nouveaux produits dopants. Ce défi-là est un défi de médecin. Les médecins ont besoin de quoi, de labos performants, de chercheurs ambitieux, d’argent, d’ingéniosité, etc. Et nous, que peut-on faire ? Il y a trois points à souligner.

75De la part des athlètes, il y a un effort à faire, ils sont partie prenante. Ce n’est pas un sujet qui leur passe par-dessus la tête. Ils ont vraiment, maintenant, un effort à faire sur le respect d’eux-mêmes. C’est eux en fait les premiers concernés, mais aussi les premiers menacés.

76J’ai trouvé absolument désolant la réaction du milieu cycliste et des coureurs à l’abandon de Christophe Basson dans le Tour de France. C’est un coureur qui a vraiment perçu le danger, qui a agi de façon parfaitement sincère. Je l’ai interviewé, je le connais un peu, c’est quelqu’un animé par des idées nobles, même si le terme peut passer pour désuet. Il a été poussé à l’abandon par mesquinerie. J’ai intitulé un de mes articles « les nains de la route », parce que cela m’a fait pensé, en comparaison, aux géants de la route qui nous font rêver, et que j’ai trouvé cela vraiment très triste.

77Cela, c’est pour les athlètes. Pour les organisateurs, il leur faudra indubitablement rompre avec l’hypocrisie qui marque les décennies précédentes. Il y a une hypocrisie monstre des institutions, des fédérations, des organisateurs. On leur demande de faire preuve de plus de franchise, de plus de sincérité. Et quand ils sont dépassés par un événement qu’ils l’avouent très humblement. Quand ils couvrent ; ils encouragent le dopage. C’est une idée qu’il faut bien avoir en tête. Jean-Marie Leblanc est un merveilleux avocat de sa cause, il plaide magnifiquement bien pour son Tour de France, mais je trouve qu’en minimisant le problème, il encourage les dérives.

78Dernier point, pour nous tous, journalistes, observateurs de la chose sportive, entraîneurs, pratiquants, c’est de faire preuve de lucidité tout simplement, de ne plus s’enthousiasmer bêtement comme on a pu le faire par le passé, d’essayer d’être critiques. Cela ne signifie pas pour autant d’arrêter de porter de l’enthousiasme au sport, cela signifie en tout cas de le voir d’un œil différent, plus critique, moins benêt. Ce sera la conclusion de mon exposé.

Patrick BAUCHE
Psychologue, docteur en psychopathologie clinique
Laboratoire de Psychopathologie et Psychanalyse de l’Université Paris XIII Villetaneuse

ENTRE PRÉPARATION, SOUFFRANCE ET RÉPARATION. LA PSYCHANALYSE A-T-ELLE UNE PLACE DANS L’UNIVERS SPORTIF ?

79La pratique d’un sport de compétition à haut niveau n’est jamais sans souffrance physique et morale : entraînements, performances, contre-performances, plaisirs et douleurs se succèdent et alternent avant d’atteindre les Heures de Gloire tant convoitées avec l’illusion d’entrevoir l’Immortalité.

Les coulisses de l'exploit

80Malgré toutes les apparences, le sportif demeure seul pour gérer sa sphère affective et intégrer psychologiquement ses prouesses comme ses échecs compétitifs. Il en est de même pour la souffrance psychique par suite d’une blessure physique ou d’une maladie par exemple qui entrave temporairement la pratique sportive. Alors émerge l’angoisse et les doutes quant à retrouver ultérieurement l’intégralité des aptitudes et du potentiel physique après cet arrêt. L’attente est anxiogène et la guérison, lorsque celle-ci advient, est vécue comme une résurrection mais se trouve également accompagnée de tout le poids de l’incertitude quant aux performances à réitérer pour imposer de nouveau sa suprématie. La mise à l’épreuve vaut, pour l’athlète, reconquête de son image narcissique.

  • 1 J. Birouste, Pour une étude de l’ëthésique sportive, in revue Quel Corps : “A nos amis les singes” (...)

81Durant ces étapes qui constituent la vie d’un sportif, les « autres », c’est-à-dire le public mais aussi les concurrents demeurent des témoins non seulement privilégiés mais précieux de la vie corporelle de l’athlète qui est évaluée par ses résultats aux compétitions officielles. La performance vient alors faire sens à toutes ces heures de préparation et de souffrance mais nourrit surtout le support identitaire de l’acteur sportif car l’acte accompli, reconnu des pairs et immortalisé par les mass-média équivaut à exister face au monde ! « Attaquer, battre le record se fait en référence à notre mémoire propre de la sensation d’énergie où se base le fondement même de notre insistance à vivre1 ».

  • 2 S. Freud, Le moi et le ça, in Essais de psychanalyse, Paris, P. B. Payot, 1981, p. 238.

82L’exploit réalisé grâce au corps entraîné, musclé et plastiquement beau, celui-ci ne peut qu’être relégué au rang d’objet à surinvestir, à perfectionner pour le rendre encore plus performant, quitte à user de stimulants au risque de dopage [l’actualité, hélas, est abondante sur ce chapitre ces derniers temps]. Le sujet existe et s’exprime donc au travers de son corps travaillé. Le Moi-Idéal (recherche de toute-puissance) se manifeste durant l’épreuve compétitive et se trouve au Zénith lorsque l’athlète croit pouvoir atteindre et tutoyer les dieux du stade dans ses luttes engagées. L’Idéal du Moi (se conformer aux désirs, attentes de l’autre) — incarné par le public, spectateurs anonymes ou proches — apporte en retour les gratifications d’amour narcissique recherchées. Le moi est avant tout un moi corporel2 et s’ébauche chez le sportif plus spécifiquement autour du corps, de son image et ses représentations (héroïsme, immortalité, rêver graver de son nom l’univers et l’histoire du sport…).

83Par conséquent, nous pouvons nous demander si dompter le corps afin de le rendre de plus en plus performant et espérer ainsi échapper à la dégradation et à la mort par les voies de l’Immortalité ne conduit pas parfois à une véritable descente aux Enfers.

Derrière l'exploit, un homme… !

84Phénomène médiatique par excellence depuis ces dernières années, le sport de haut niveau met en œuvre un système social en même temps qu’il met en scène des aspirations, des valeurs largement partagées. Seulement voilà, les succès des uns, c’est à dire d’une petite minorité, peuvent-ils pour autant faire oublier les échecs d’une grande majorité ? Échecs pouvant être psychiquement destructeurs pour certains. Nous savons l’importance qu’accordent les Nations aux premières places lors des grandes rencontres mondiales et internationales et les moyens parfois employés pour obtenir ces résultats. Nous avons eu connaissance des conditions de préparations de certaines sportives de pays de l’Est à une époque : dopages, grossesses imposées pour augmenter le taux d’hormones avant les compétitions [actes sexuels accomplis par l’entraîneur si ces athlètes n’étaient pas mariées ou n’avaient de compagnon] puis Interruption Volontaire de Grossesse après les épreuves, tout ceci sous la contrainte et la menace. Si cette révélation est apparue insupportable, nous ignorons toutefois son extension quant aux autres Nations.

85En fait, le risque encouru par l’athlète est bien de perdre sa position de sujet pour un statut d’objet. Du reste, il est très souvent « jeté » après utilisation.

  • 3 D. Lachaud, La jouissance du pouvoir, Paris, Hachette, 1998, p. 51.

86Aussi, la recherche pour des médecins et des psychologues peut être tentante sur de tels Êtres Humains, Êtres d’Élites, donc exceptionnels : le sportif comme objet d’études, de mesures ? Nous nous surprenons un instant à rêver : « Le Meilleur des Mondes » avec tous ces hommes conditionnés et étalonnés. Le danger est grand, peut-être même réel, car « l’Homme qui refuse ce qui le fait Homme — le langage, la castration et la mort — ne peut pas être dit humain. Et c’est la ruine de la civilisation3 ».

87Si la préparation physique est en perpétuelle recherche au sein des structures fédérales et Instituts de Sports, les préparations psychologiques ne sont pas négligées pour autant. C’est comme s’il était reconnu que le sportif de haute compétition mène une vie « anormale » dans un environnement « anormal ». Le but de ces différentes préparations est limpide, il s’agit uniquement et exclusivement d’augmenter la performance : « être au Top, le jour J ».

88Le sportif doit dépasser ses inhibitions, maîtriser le stress compétitif, éviter les manifestations psychosomatiques, contrôler ses réactions émotionnelles et ses déceptions vécues. Pour cela, il est fait généralement appel à des techniques relevant de la psychologie expérimentale ou cognitive pour répondre à des demandes émanant de dirigeants, entraîneurs, cadres fédéraux voire, parfois même, du sportif en personne.

89Ces approches psychologiques interviennent essentiellement au niveau du Moi corporel de l’athlète, scotomisant ainsi son univers affectif et intime chargé souvent de frustrations d’ordres familial, relationnel, sexuel… Malgré les résultats probants car immédiats de ces techniques comportementalistes, il n’en demeure pas moins que répondre stricto sensu à de telles demandes équivaut à s’adresser directement à ce que l’on peut considérer comme un symptôme et à réduire ainsi le sujet à cela.

90Or, la psychologie clinique interroge la demande ; l’origine et le sens que recouvrent la place et la fonction du « ratage » chez le sportif [comme tout un chacun en situation de demande] et vise ainsi à situer l’événementiel dans l’histoire du sujet qui vient consulter.

91Dès lors, il ne s’agit plus de faire réponse pour renforcer simplement un « acte moteur » mais écouter pour accueillir la plainte psychique d’un individu en souffrance. Au-delà de ce qu’il donne à voir, de quoi s’agit-il réellement ? Du conflit œdipien réactivé à travers la relation à l’entraîneur ? D’une difficulté d’identification sexuelle ? D’une carence affective qui se rejoue par des thématiques d’échecs incitant au rejet et la chute de l’estime de soi ? Ou de s’être, en quelque sorte, « perdu » en tant que sujet ?

Illustration clinique : Alain4

  • 4 Extraits d’entretiens réalisés par Patrick Bauche pour thèse doctorale de Psychopathologie Cliniqu (...)

92Alain est un athlète du « lancer de poids » âgé de 21 ans. Il est, au moment de notre rencontre, indisponible suite à une sérieuse blessure au genou et lâche : « je n’ai jamais eu autant envie de pratiquer depuis que je ne peux plus ». Dans le même temps, il confie : « la vieillesse m’interpelle en ce moment, je vois ma mère vieillir ».

  • 5 J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, P.U.F., 1981, p. 75.

93J’avance l’idée que cette situation de « non activité et d’impotence » a effet dans un premier temps de frustration chez Alain et réactive en lui dans un second temps, l’angoisse de castration menaçant les assises narcissiques. Aussi, la nature même de cette angoisse nous renvoie à la théorie sexuelle infantile par laquelle « le phallus est considéré par l’enfant comme une partie essentielle de l’image du moi5 ». Dans la castration, l’objet imaginaire est le phallus que Freud a introduit avec la loi de l’interdiction de l’inceste dans la structuration de l’Œdipe.

94Les séquelles dues aux différentes interventions chirurgicales sur le genou d'Alain, nous font dire que la castration s’inscrit à fortiori dans son corps. Cependant, pouvons-nous nous satisfaire d’imputer à la castration dans ses aspects réalistes corporels, les difficultés qu’éprouve Alain ? Par ailleurs, nous savons que les effets de la rencontre entre une frustration externe et le développement d’une frustration interne, mettent en valeur l’influence d’une problématique œdipienne. Celle-ci entraîne le sujet à la prise de conscience d’une certaine forme de savoir sur des vœux longtemps frappés d’interdit. Le sujet ne peut éviter ses pensées relatives à la mort et la culpabilité consciente se trouve renforcée par celle qui est inconsciente. Ainsi, la transformation du rapport au savoir qu’il s’est forgé, a-t-elle pour conséquence une certaine forme de destructuration qui est liée à l’angoisse de castration.

95Alain confie : « dans la journée, je pense et rêve que je cours ; en revanche, la nuit, je rêve que les autres courent et moi, je boite ». En dehors des réelles inaptitudes physiques d’Alain, quel sens cette boiterie onirique peut-elle prendre ? Serait-ce la manifestation symbolique de la malédiction du père pour avoir désiré la mère ? Devant cet accident de ski et toutes les complications médicales qui en ont suivi, Alain, ne cesse de dire : « je ne culpabilise pas de ma blessure mais je me dis pourquoi moi ? ». J’apprendrai par la suite que ses parents se sont séparés lorsqu’il avait 5 ans ; que son père est parti vivre avec une autre femme et qu’ils ne se sont jamais revus depuis.

96Alain vit donc avec sa mère qui est restée « seule » depuis cette séparation. Il a découvert l’athlétisme à 11 ans et Alain parle des hommes rencontrés dans le club comme étant des modèles pour lui. Parmi eux, Alexandre qui deviendra plus tard champion d’Europe de décathlon. Ce succès renforcera alors l’admiration d’Alain pour Alexandre. Dans l’imaginaire de Alain et sur un registre fantasmatique, Alexandre — qui est connu et reconnu de tous — va être investi par Alain comme un « bon père ». Alain le décrit comme quelqu’un de chaleureux, aimable, attentif à son évolution… Bien que n’étant pas entraîneur, les remarques qu’Alexandre lui formule sont accueillies comme de véritables marques d’intérêt et de reconnaissances.

97Aussi, Alain verbalise que le « lancer de poids » n’est pas l’activité « noble » de l’athlétisme à la différence du décathlon, où la morphologie des athlètes n’est pas la même. Alain trouve qu’il a de grosses cuisses, que ses pectoraux et ses bras sont trop musclés et se résume par : « je n’ai pas un corps athlétique alors que celui d’Alexandre est svelte et longiligne ».

98Alain est par ailleurs étudiant en STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives) et c’est au cours d’un stage de ski qu’il s’est blessé. Il se présente à moi avec des béquilles et m’explique que des complications post-opératoires entravent depuis plusieurs mois son rétablissement. Il s’interroge : « vais-je guérir un jour ? » et livre que cette saison est perdue pour lui. C’était sa troisième et dernière année en catégorie « espoirs ». Il avait projeté, avant cet accident, de se consacrer exclusivement aux entraînements pour affirmer sa place de leader avant d’entrer « dans la cour des grands », c’est-à-dire la catégorie des « seniors internationaux ».

99Le premier entretien révèle des troubles dépressifs chez Alain : « les larmes me viennent pour rien. J’ai des moments d’effondrements, je n’en peux plus ; je suis fatigué, je ne peux pas me battre sur tout. Je ne peux pas arriver à tout faire : le boulot, les études, la jambe, les examens de fac à repasser. J’avais envie de laisser tout tomber. C’est un sale moment à passer ».

100Alors, une question s’impose : de quel ordre est véritablement l’incidence de la pathologie somatique sur l’apparition de ces troubles dépressifs ? Si nous avançons que le mauvais état de santé est probablement un facteur majeur pour l’évolution d’une dépression, nous devons cependant nous interroger sur l’intrication d’autres facteurs possibles tels : des dépressions préalables, la personnalité du sujet, les retentissements affectifs d’événements de sa vie…

Du corps criant à la parole

101Le sportif blessé se trouve en perdition identitaire dès lors qu’il passe du statut d’athlète à celui de patient. Très souvent, le support social s’efface de même que la solitude s’accroît et il lui faut admettre que quelqu’un d’autre puisse le remplacer, lui prendre sa place. A ceci s’ajoute une perte de stimulation physique alors que se sentir bouger est d’importance pour l’athlète de haut niveau, comme l’atteste Alain : « Mon corps est blessé, je le traîne. Je ne suis bien qu’en piscine où dans l’eau, je ne supporte pas la charge. Pour moi, vivre c’est bouger ! »

102Il y a aussi parfois des pertes de ressources économiques qui ajoutent aux angoisses et inquiétudes qui se manifestent chez l’athlète par une baisse de l’estime de soi. Aussi, c’est au cours de tel arrêt que le sportif peut s’autoriser à verbaliser des sensations de mal-être et rompre sans culpabilité consciente avec le sempiternel « un esprit sain dans un corps sain ! ». Le corps blessé — devenu objet de médiation entre le sujet et le soignant — permet l’expression de conflits intra-psychiques. Le discours tenu sur « ce corps qui lâche », contient en fait les représentations inconscientes des investissements libidinaux que l’athlète lui porte.

  • 6 S. Freud, Les modes de formation de symptômes, in Introduction à la psychanalyse, Paris, P. B. Pay (...)

103En référence à la conception dynamique des processus psychiques que nous envisageons d’un point de vue économique, les investissements pulsionnels n’atteignant plus leurs buts, génèrent à l’endroit du moi un état de tension désagréable pouvant être conflictuelle. Cette quantité pulsionnelle inemployée doit trouver une voie, un objet de satisfaction pour réduire cet état de tension car « si la réalité se montre impitoyable, alors même que la libido est disposée à adopter un autre objet à la place de celui qui est refusé, celle-ci sera finalement obligée de s’engager dans la voie de la régression6 ».

  • 7 S. Freud, Angoisse, douleur et deuil, in addenda Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 199 (...)
  • 8 P. Bauche, Conséquences psychiques et psychopathologiques de l’arrêt de la pratique sportive chez (...)

104De la rupture de l’équilibre privilégié entre le sujet et sa pratique sportive va émerger une demande de soins physiques et c’est « dans le cas de la douleur corporelle, que se produit un investissement élevé qu’il faut qualifier de narcissique de l’endroit du corps douloureux, investissement qui ne cesse d’augmenter…7 ». C’est par/dans cette rencontre avec un soignant « substitut maternant (el) », rencontre que je me risque à nommer « somato-transférentielle8 » que le corps « parlé » peut répondre comme fonction exutoire en représentation de mots. De par la dynamique inconsciente du transfert et l’absence d’analyse de ses effets, sans doute pouvons-nous entrevoir le point de départ d’une réflexion théorico-clinique sur la problématique des processus de guérison caractérisée pour certains par des comportements d’addiction ou de dépendance aux soins médicaux. Pour ce qui concerne Alain, ses complications post-opératoires et sa non-guérison restent énigmatiques pour les médecins.

105C’est souvent autour des actes pour soulager la plainte physique, ou de plaintes somatiques que la parole se libère. Signe d’autant plus remarquable qu’il contraste avec une inhibition antérieure à verbaliser ; c’est dans ces moments là que l’athlète de haut niveau « en dit toujours plus… ». C’est sur un mode satisfait que Alain livre : « Je vois le chirurgien tous les jeudis soirs et il me dit que les kinés de la clinique sont à mon entière disposition. Ils sont à trois sur mon genou. Tout le monde se met autour de mon genou. Lorsqu’il est en vacances, le chirurgien appelle toutes les semaines pour prendre des nouvelles. Ils sont tous plus ou moins amis, donc ils se fréquentent. Je fais partie de leurs sujets de conversation  ».

106Il est aisé de pointer ici une certaine jubilation dans le fait qu’Alain fasse partie des sujets de conversation car précisément, c’est « compter pour quelqu’un » qui parait être existentiel pour lui.

Conclusion

107L’Inconscient ne peut être ignoré et l’athlète n’est pas un surhomme quand bien même, serait-il classé de « haut niveau ». Le cadre thérapeutique peut parfaitement être adapté à des séances psychothérapeutiques analytiques opérationnelles. Compte tenu des impératifs d’emploi du temps, un contrat spécifique peut s’établir entre le thérapeute et le « Sujet-sportif », et mieux — ou pourquoi pas — une psychanalyse ?

108De cette réflexion, découle que le « psy » s’occupant d’athlètes doit parfaitement repérer d’où émane la demande, saisir également les différentes facettes des Institutions Sportives qui ont « encadré » le sujet pour entrevoir les éventuels effets mortifères d’une course à la performance.

  • 9 M. Lévêque, Méthodologie de l’intervention du psychologue auprès d’un groupe sportif, in Dossier E (...)

109Comme le souligne justement Marc Lévêque, le clinicien a pour fonction d’aider le sujet à accomplir sa singularité9, e t p o u r c e l a nous pensons que le thérapeute auprès d’athlètes de haut niveau doit donner au sportif la possibilité d’affronter ses représentations personnelles. Notre capacité et qualité d’écoute ainsi que notre formation — que nous interrogeons et perfectionnons régulièrement — doit éviter l’assignation du sujet-sportif à un statut d’objet observable. Nous avons pour rôle d’amener le sujet à rencontrer son propre désir, par rapport à la partie qu’il a à gagner avec lui-même. Rencontre, voire reconsidération de son désir qui repose comme tout fantasme sur la relation qu’entretient le sujet à l’objet investi.

110Mais en ce sens, peut-être, au risque d’une certaine compromission de la performance attendue par les « autres ». Car la performance ne sera pas gagnée d’avance.

ÊTRE MÉDECIN DU SPORT…

Claire CONDEMINE
Médecin du Groupe sportif Festina

111Quel est le rôle du médecin du sport ? Je ne peux pas apporter de réponse unilatérale. C’est à la collectivité médicale de réfléchir, pour une fois, honnêtement, sur les limites de sa fonction, sur sa légitimité d’intervention dans le monde sportif, dans la mesure où, comme le disait un confrère qui avait une longue pratique, il est difficile de légitimer aux yeux de l’encadrement et aux yeux des sportifs une présence à temps plein pendant la durée des courses sans geste associé. Le geste conduit à des contenus.

112J’ai le sentiment que cette définition doit porter sur un niveau déontologique mais également sur un niveau technique. Si, point par point, on définit la légitimité physiologique des médicaments et même des compléments nutritionnels utilisés, on aboutirait à un démantèlement progressif du processus du dopage.

113Dans l’état actuel des choses, il y a toute la phase floue qui est celle du complément nutritionnel. Les sportifs, en tout cas dans le cyclisme, consomment des kilos de vitamines. Pour eux, c’est une nécessité incontournable. Il y a un usage systématique de médicaments italiens dits de récupération : cocktails de vitamines, acide folique, vitamine B12, fructose, phosphore… Bref, tout ce qui est couramment utilisé dans les équipes et dont on estime que c’est le minimum à faire, faute de quoi les coureurs pourraient éventuellement refuser de rouler. Pour autant que je sache, il n’existe pas d’étude physiologique qui prouve l’intérêt de ces substances de récupération. Elles sont introduites dans le milieu depuis très longtemps. Je lisais dans le dernier Sports et Vie que la valise de Jean-Marie Leblanc, à l’époque où il était coureur, était plus grosse que sa mallette de vêtements. Ce sont des pratiques visiblement trop anciennes pour les déloger. Il faut point par point, par des arguments physiologiques et médicaux, débouter toutes ces pratiques de complémentarisation systématique qui n’ont pas réellement et objectivement de légitimité médicale.

114En apportant des éléments objectifs concernant l’utilité des substances qui sont prises, on propose une façon différente de penser qui permettra, secondairement, d’éliminer beaucoup plus facilement le dopage.

115Pour revenir à un niveau européen, en Espagne par exemple, les médecins du sport reçoivent une formation en physiologie approfondie. Ils ont le double statut d’entraîneur et de médecin. A mon avis ce double statut conduit à des dérives. Je ne crois pas que le rôle du médecin soit de surveiller par des bilans la bonne évolution des performances mais la santé du coureur. Le médecin doit déceler par des paramètres cliniques ou biologiques les signes de surmenage, de fatigue, les déficits immunitaires ou les problèmes de santé générale. Je pense que nous devons rester humblement en deçà du contrôle de la performance parce que, à partir du moment où on met le doigt dans l’engrenage, il n’y a plus de frein. C’est au préparateur physique, à l’entraîneur de s’occuper du suivi de l’évolution de la performance. C’est au médecin de s’occuper des indicateurs de santé et d’avoir le rôle de faire stopper une activité, la retarder ou encore d’intervenir sur la santé. Si nous, médecins, jouons sur les deux tableaux, qui nous contrôlera ? Je ne peux parler que du cyclisme. La situation est faussée dans la mesure où les changements ne sont intervenus qu’à l’occasion de la précédente saison. C’est vrai que depuis un peu moins d’une décennie le médecin était devenu l’entraîneur. Pharmacologiquement, c’est l’école italienne qui a montré l’exemple. On leur a attribué un génie dans les méthodes d’entraînement et on a découvert l’origine pharmacologique de leur génie. C’est une des marques qui montre la nécessité pour le médecin de rester en deçà de la performance. Il a des outils qui ne viennent pas entre les mains de l’entraîneur. Dans l’état actuel des choses, une collaboration est à mettre en place entre l’entraîneur et le médecin dans la mesure où les cyclistes doivent renouer avec l’entraînement. Les substances qu’ils utilisaient les années précédentes rendaient inutile l’entraînement.

116La Fédération Française de Cyclisme a instauré en collaboration avec le Ministère de la Jeunesse et des Sports le suivi biologique longitudinal, dit à la française. L’U.C.I. ne s’est pas alignée sur ce suivi qui impose au coureur de passer quatre examens par an. Ces examens sanguins et urinaires très complets permettent d’établir une fiche signalétique de type « profil biologique » qui montre dans quel seuil de valeurs se situe chaque personne pour tous les paramètres biologiques.

117On s’est aperçu que de nombreuses substances dopantes, qui ne peuvent être détectées directement, induisent des modifications biologiques qui, elles, sont lisibles, notamment par des variations dans les valeurs de ces paramètres.

118Ainsi, on arrive à détecter la prise d’éventuelles substances dopantes.

119L’autre intérêt de cette pratique est d’être dissuasive, dans la mesure où face à l’incapacité chronique de détecter en direct des substances dopantes, soit parce que le procédé est inefficace et onéreux, soit parce que la substance disparaît elle-même très rapidement de l’organisme. On s’est aperçu qu’une méthode indirecte avait l’avantage d’être salutaire pour le suivi de santé du coureur et d’avoir un effet sur sa prise de conscience. Cette politique de dissuasion et de pédagogie s’est montrée plus efficace que la politique de coercition puisqu’elle a déjà porté ses fruits. Il y a d’ailleurs eu des pourparlers entre Marie-George Buffet et les Ministres des Sports espagnol et italien pour mettre en place un suivi équivalent dans ces deux pays.

120Par rapport à la question du dopage, on envisage les choses essentiellement sous leurs formes criminelles. Il est également important de prendre en compte, comme l’a dit Patrick Bauche, le stress, ou la détresse des sportifs de haut niveau soumis à des contraintes physiques et psychologiques énormes. Le dopage intervient dans ce cas comme une forme de soutien à défaut d’autre chose. On envisage le recours au dopage comme une façon d’apporter une solution à une souffrance morale parfois extrême. J’ai eu la surprise de découvrir l’importance de l’anxiété et des phénomènes anxieux majeurs chez des sportifs de haut niveau qui présentent des attaques de panique. Cette anxiété doit être mieux prise en compte et mieux évaluée, notamment par la présence de psychologues. Cela pourrait certainement apporter une aide à la résolution du dopage. Je n’entends pas par ces propos excuser le dopage. Il est malgré tout important de se poser la question de la légitimité que nous avons, à nous instaurer en tant que juges et en tant que porteurs d’une image idéale d’une société parfaite dont les sportifs devraient être les premiers porteurs. Si on admet que le sport n’est qu’une activité sociale comme une autre, c’est toute la société qui doit s’interroger sur ses fondements moraux et sur la réalité de sa motivation éthique.

121La recherche sportive est un peu le parent pauvre de la recherche dans la mesure où les coûts paraissent disproportionnés par rapport aux bénéfices. Les sportifs de haut niveau constituent une population très limitée. On a en France un peloton de 180 coureurs professionnels. Que représentent 180 personnes au regard de millions d’autres intéressées par l’hypertension, l’obésité ?

122C’est effectivement très difficile d’obtenir des financements. C’est peut être aux sponsors de faire quelque chose car ils tirent d’énormes bénéfices des activités des sportifs qui roulent pour eux. C’est dans cet objectif que Festina a créé une fondation cette année. D’autres sponsors pourraient faire de même et pourquoi ne pas imaginer qu’ils s’associent pour financer la recherche sur le sport.

Synthèse du débat

Sylvie HAMEZ

123Peut-on imaginer pour demain un sport à la tricherie légalisée ? Peut-on imaginer remettre des médailles non plus aux sportifs les plus performants mais aux laboratoires les plus performants ? Peut-on imaginer une compétition de la science plutôt que de l’homme ? Peut-on imaginer que le meilleur tricheur gagne et non plus le meilleur tout court ? Peut-on tout simplement continuer à tolérer que les valeurs du sport soient ainsi bafouées ? Quelle position l’Europe compte-t-elle adopter ?

124Un sport bio, ou plus exactement un sport propre, le thème de la journée, offrait au débat bien des motifs d’agacement. Mais avant même que de répondre à ces questions, peut-être fallait-il déterminer au préalable jusqu’où la performance sans aide pharmacologique peut aller. C’est ce qu’a mis en pratique Claire Condemine au sein de son équipe cycliste. « Depuis les débuts du cyclisme, une conviction s’est instaurée comme quoi le cyclisme est le sport le plus difficile et qu’il est impossible d’être soumis à ses contraintes sans aide pharmacologique. Tous les coureurs ne l’ont pas fait, et de tous temps, certains se sont démarqués de cette tendance générale. En France cette année, l’instauration du suivi biologique longitudinal et l’adhésion de tous les groupes sportifs français à l’éthique d’un sport sans dopage ont démontré leur efficacité dans toutes les équipes françaises. Malheureusement cette initiative française n’a pas été suivi par l’UCI ».

125Pour beaucoup, ce n’est qu’une initiative hypocrite caractéristique du milieu médical gravitant dans ou autour du milieu sportif. « Je trouve scandaleux », lança Ernest Gibert, « de faire croire sous une argumentation pseudo-scientifique, pour des raisons commerciales, que les déviations, que tout le monde y compris les dirigeants que nous sommes, a cautionnées et parfois encouragées, ont entièrement disparu. C’est faux pour le cyclisme, c’est faux pour d’autres disciplines. Le moment est venu de prendre nos responsabilités. Ou bien on considère que le sport est en dehors de la société, qu’il a ses propres valeurs et il est permis de tout faire. Ou bien on a le courage de ne pas se masquer les réalités. Pardonnez-moi d’avoir été aussi violent devant mes collègues médecins mais ce phénomène n’est pas nouveau. Il y a 25 ans l’équipe Peugeot était préparée par un médecin qui s’appelait Belloq. Il a ensuite préparé, de façon douteuse toujours, des athlètes dont certains sont devenus champions olympiques. Médecins, dirigeants, journalistes, tout le monde le sait. Tout le monde se tait et c’est parti pour continuer longtemps encore.

126Il faut cesser les discours lénifiants et prendre nos responsabilités. Si nous voulons que le sport soit un spectacle, l’idée peut se défendre. Si notre conception est différente, dénoncer ne suffit plus, définissons de nouvelles règles de fonctionnement. Mais cessons la langue de bois ».

Et l’Europe dans tout ça ?

127Le débat, ensuite, reprit une tournure plus européenne. Quelques questions fusèrent. La première fut soulevée par Robert Denel qui remarqua très justement : « l’athlète français, par rapport aux athlètes européens, sera-t-il pénalisé par les différentes dispositions légales de notre pays ? » Seci Mécheri, champion du monde de karaté fut catégorique : « une normalisation européenne est nécessaire. Je me rends compte de la difficulté du processus dans la mesure où la politique de certains pays a tendance à couvrir ses athlètes. Il faudrait vraiment un mode de pensée unique même si cela reste difficile à réaliser puisque d’un pays à l’autre la culture sportive est différente. Je ne vois pas aboutir ce processus avant longtemps. Pour nous, athlètes français, c’est vraiment difficile de lutter à ce niveau-là ».

128A son tour, Claire Condemine fit remarquer que si les équipes françaises avaient réussi à se maintenir dans une moyenne correcte dans le dernier Tour de France, aucun Français n’avait en revanche remporté d’étape.

129D’un point de vue sportif, alors serait-il peut être judicieux de se regrouper au niveau européen et au niveau des fédérations, même si les fédérations nationales perdent un peu de leur identité au profit de confédérations européennes. Cette idée fut avancée par Robert Denel. Colette Andrusyszyn prit le relais en évoquant le problème du manque d’unité juridique : « On a abordé jusqu’à présent l’aspect technique et l’aspect culturel du dopage mais on a très peu parlé de l’aspect juridique. Une fois le dopage détecté, arrivent l’arsenal des sanctions et l’arsenal de la défense. Or là, l’Europe est démunie complètement. Chaque pays a des sanctions de niveaux très différents. Quand on fait appel à la Cour européenne, faut il compter deux ans de procédure ? On se met dans un juridisme à l’Américaine où la défense a plus de droit que la condamnation. Alors que dans certains pays, il suffit d’être inculpé pour être suspendu, dans d’autres pays, il faut la condamnation ferme. Pendant ce temps on continue son sport tout en se dopant. Si l’Union Européenne ne se donne pas les moyens de réfléchir très vite, que fait-on ensuite ?

130Il n’y a pas de sport sans règle. C’est ça qui est fabuleux. C’est que partout dans le sport c’est effectivement le pouvoir sportif qui décide de la règle et l’arbitre qui la juge. En foot, le hors-jeu c’est l’arbitre qui le sanctionne. Quand un athlète se dope, il se met hors-jeu. Il enfreint la règle. Or là il va falloir chercher tout un arsenal juridique qui ne permet plus de respecter la règle sportive. »

131Jean-Paul Schneider continua. « En 1938, Aragon dans un éditorial célèbre du Soir disait : " nous sommes en guerre, mais les gens ne le savent pas". On a l’impression de se retrouver dans une sorte de climat munichois où, pour sauver l’unité du sport, on arrive à une série de compromissions plus ou moins claires. Il faut que les dirigeants rompent avec l’hypocrisie et que les athlètes fassent des efforts. Ce sont des réponses morales à un problème qui, me semble-t-il, est technique. Claire Condemine nous a donné une définition intéressante du dopage émise par le docteur Ferrari : « est permis tout ce qui n’est pas décelable ». Cette définition ouvre la porte à beaucoup de comportements. Je ne suis pas sûr que les seules réponses morales permettent de dénoncer ce qui n’est pas décelable.

132Ma question s’adresse à Gilles Goetghebuer. N’y a-t-il pas des réponses techniques à apporter et dans quelle mesure peuvent elles être efficaces au niveau européen, dans le sens de la défense d’une culture contre cette culture américaine que vous évoquiez ? » « Dans ma vision des choses, le jugement moral prévaut », répondit Gilles Goetghebuer. « Sans volonté philosophique de renoncer, on ne peut aboutir à rien. Cette lucidité qui nous est imposée par le choix de refuser le dopage, cette rigueur, ce respect de soi-même et la franchise qu’on attend des fédérations sont de notre ressort. L’autre ressort est la conséquence du premier. Les laboratoires sont aujourd’hui en pleine effervescence parce qu’il y a condamnation du dopage ».

133Propos corroborés par Claire Condemine : « J’ai assisté à une conférence sur la détection de l’EPO avec les plus grands spécialistes internationaux. Cette conférence intéressante a permis de faire le point scientifique sur les tests de détection de l’EPO, tests directs et indirects qui passent par le bilan biologique longitudinal. J’ai découvert lors de cette réunion, qu’en dehors du point de vue scientifique, il existait des guerres entre les laboratoires pour savoir qui recevrait le budget de l’UCI ou du CIO, par exemple.

Quelques ébauches de propositions

134Annette Sergent apporta sa pierre à l’édifice avec un regard différent. « C’est une fausse piste que de dire que se doper est mauvais pour la santé. Pour moi se doper c’est tricher et manquer de respect aux autres. En sport, il y a des règles qu’il faut respecter. C’est aussi une question de limites. Le dopage arrive quand on dépasse ses limites. A partir du moment où on se dope, on lèse l’autre sportif. C’est une question d’éducation ».

135Dans les propos d’Annette Sergent, on parle d’éducation et de pédagogie. Yves Le Lostecque la veille a annoncé trois directives importantes dont une sur le dopage. De plus, le sport est désormais rattaché à la 10ème direction, celle de l’Éducation. Pourquoi la France ne propose t-elle pas, comme l’avança Jean-Michel Martin, de former les enfants au respect de l’autre dans tous les programmes d’éducation européens ?

136Robert Denel, à son tour, rappela que lors de la précédente USE, on avait fait état de développer la notion d’équipes pluridisciplinaires autour de l’éducation. Le travail pluridisciplinaire pourrait être une solution en termes de confrontation de points de vue et finalement permettrait de trouver des solutions qui ne seraient pas celles d’un gourou médecin, psychologue ou médiatique…

137Comment un sport bio peut-il exister quand le sport véhicule l’idéologie du record et que la morale suppose une limite ? Est-ce que le sport peut avoir des limites ? Un intervenant posa alors la question de savoir si le dépassement des limites sportives pouvait se faire sans l’utilisation de la pharmacopée ou de produits chimiques. Peut-on donner foi à l’idée de Jean-Marie Brohm qui définit le sport comme « la science expérimentale du rendement humain » ?

138Patrick Bauche abonda en ce sens : « Le résultat et la performance peuvent exister sans produit dopant. Ce à quoi je suis attaché c’est le désir de l’individu. Le désir est un élément moteur chez l’être humain et le satisfaire est source de jouissance. Freud nous dit : « l’homme ne sait pas, dès lors qu’il a rencontré ce désir, y renoncer par la suite ». Cette phrase est à retenir pour comprendre le processus du dopage. Le désir va encore susciter d’autres désirs (de plus en plus vite, de plus en plus haut, de plus en plus fort). On peut ressentir cela sans produit dopant. Je reste convaincu, mais je ne suis pas compétent car je ne suis ni physiologiste, ni médecin, qu’on peut atteindre ou dépasser des performances sans produit dopant ».

139Claire Condemine conclut : « il faut rationaliser la pratique de la médecine du sport par des recherches physiologiques et nutritionnistes plus fiables que ce qui se fait actuellement. Dans l’état actuel des choses, on a deux positions. Celle universitaire qui est très stricte et probablement archaïque. A savoir, les besoins en vitamines ont été définis par des études assez anciennes, tout comme les besoins des individus et les résultats sont définitivement posés. L’autre est de dire que les sportifs ne correspondent pas aux normes de l’individu moyen. Ils ont une activité différente qui induit des carences, des déséquilibres. C’est sur cette idée que nous devons nous positionner et tenir compte des spécificités physiologiques du sportif pour faire face à ses carences.

140Peut-on imaginer voir ce travail de recherches se développer ? Y a-t-il des financements européens possibles avec une véritable volonté politique qu’on pourrait estimer au niveau de la santé publique, par exemple ? Parce que, comme le souligna Robert Denel, la santé publique est une compétence de la Commission Européenne. « Elle nous interdit bien de faire du fromage au lait cru au nom de la santé publique. J’aimerais qu’elle s’occupe moins du fromage au lait cru pour s’intéresser davantage à la santé publique des pratiquants sportifs, notamment de haut niveau », ironisa t-il.

141L’individu a un potentiel énorme qu’il n’utilise qu’au minimum. Comme disait Patrick Bauche, tout l’aspect psychologique n’est absolument pas développé. Les fédérations continuent de le considérer comme tabou parce que cela entraînerait trop de remises en question.

142Il n’y a pas que dans le monde sportif et politique qu’il y a des luttes de pouvoir et d’influence mais aussi dans le corps médical. L’intérêt de la personne, en l’occurrence du sportif de haut niveau, est souvent placé au second plan de manière à ce que chacun puisse défendre sa boutique, son mode de pensée. Là où on devrait assister à un travail d’équipe, on assiste à des luttes corporatives dont la première victime est l’athlète.

143Ces luttes de pouvoir au sein du corps médical et paramédical ne sont-elles pas complètement dépassées ? A cause de cela ne laisse-t-on pas de côté toute une série d’apports qui pourraient non pas être curatifs mais être préventifs ? Le nutritionniste, par exemple, apporte plus en amont qu’en aval. On a parlé de l’ordre qu’on devait mettre du côté des athlètes, l’ordre du côté des médias, l’ordre du côté des institutions. Est-ce que du côté des techniques touchant à l’individu, au corps humain, au plan psychique ou au plan physique, etc. on ne pourrait pas aussi mettre un petit peu d’ordre ? Et enfin discuter dans l’intérêt de l’individu et non pas de la technique que l’on représente.

Notes

1 J. Birouste, Pour une étude de l’ëthésique sportive, in revue Quel Corps : “A nos amis les singes”, no 45-46, mars 1993, p. 208.

2 S. Freud, Le moi et le ça, in Essais de psychanalyse, Paris, P. B. Payot, 1981, p. 238.

3 D. Lachaud, La jouissance du pouvoir, Paris, Hachette, 1998, p. 51.

4 Extraits d’entretiens réalisés par Patrick Bauche pour thèse doctorale de Psychopathologie Clinique soutenue en 1998, dirigée par Pr Ph. Lévy. Université Paris XIII-Villetaneuse.

5 J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, P.U.F., 1981, p. 75.

6 S. Freud, Les modes de formation de symptômes, in Introduction à la psychanalyse, Paris, P. B. Payot, 1989, p. 338.

7 S. Freud, Angoisse, douleur et deuil, in addenda Inhibition, symptôme et angoisse, Paris, PUF, 1990, p. 101.

8 P. Bauche, Conséquences psychiques et psychopathologiques de l’arrêt de la pratique sportive chez l’athlète de haut niveau, thèse pour le doctorat en Psycholologie Clinique et Pathologique, dirigée par Pr Ph. Lévy, Université Paris XIII-Villetaneuse, 1998.

9 M. Lévêque, Méthodologie de l’intervention du psychologue auprès d’un groupe sportif, in Dossier E.P.S. no 10 : Sport et psychologie, Paris, INSEP, 1992, p. 443.

© Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2000

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