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Politiques des musiques populaires au XXIe siècle

 | 
Elsa Grassy
, 
Jedediah Sklower

Rock, régime autoritaire et contestation politique : la (dé)politisation du rock en Biélorussie

Un cadre pour l’analyse des logiques de politisation

Yauheni Kryzhanouski

Texte intégral

Je dirais que la notion de “rock biélorusse” s’est déjà bien établie en tant que musique rock de langue biélorusse avec des textes socialement incisifs.
Entretien avec Siarhiej Budkin, journaliste et critique musical biélorusse, 2011

  • 1 J'aimerais remercier Peter Kallenberger et Maria Bigday pour leurs remarques précieuses apportées d (...)

1L’approche purement musicologique s’avère insuffisante pour saisir le phénomène du rock1. L’analyse des dimensions sociale et symbolique paraît en effet indispensable : la mythologie du rock (Mignon et Hennion, 1991), désignée également comme « dispositif rock » [rock apparatus] (Grossberg, 1984), « esthétique rock » [rock aesthetics] (Regev, 2004), ou « rock attitude », entre autres, cette quasi-idéologie nébuleuse de la musique fondée sur les principes du non-conformisme, de la rébellion, de la provocation, de la révolte contre les normes sociales et morales se présente aujourd’hui comme inséparable de l’objet social qu’est le mouvement rock.

2L’importance de cette mythologie contestataire et anticonformiste est d’autant plus manifeste lorsqu’on étudie le mouvement rock dans les sociétés non démocratiques. Ainsi, le maintien du régime autoritaire en Biélorussie a-t-il contribué à la préservation et à la consolidation de l’image protestataire du mouvement rock héritée de la période soviétique du pays ; la conformité à cette image devient vers la fin des années 1990 presque impérative pour ses acteurs. Contrairement à la Russie, où une transition au moins symbolique vers le « nouveau régime » a été lancée dans les années 1990, la revitalisation des symboles et pratiques soviétiques en Biélorussie (concentration du pouvoir, contrôle de la société civile, censure renforcée) a également contribué à la restauration des modes alternatifs de participation et de contestation politiques. Certaines pratiques culturelles, et principalement la musique rock, qui représente à la fois la modernité, l’« occidentalité » et la valorisation de la vision non soviétique de l’« identité nationale » et de l’histoire nationale (Survilla 2002), ont repris une signification politique.

  • 2 Sur la complexité du processus de la politisation voir Lagroye, 2003b.
  • 3 Cette contribution mobilise les résultats d’un travail de thèse de doctorat en science politique me (...)

3De ce point de vue, le rock biélorusse contestataire constitue un exemple de choix pour étudier la diversité et la complexité des logiques de politisation en tant que « des formes et des voies d’une conversion, celle de toutes sortes de pratiques en activités politiques » (Lagroye, 2003a : 52). L’objectif de la présente contribution3 est d’utiliser cet exemple marqué par les conditions du régime autoritaire pour proposer un cadre capable de servir à l’analyse des logiques de politisation, tout en mettant l’accent sur leur hétérogénéité : d’ordre militant ou professionnel, stratégiquement mises en place ou imposées aux acteurs par la structure des champs artistique et politique. Nous espérons que ces interrogations pourront être utiles dans les études d’autres cas où les acteurs individuels ou collectifs engagés dans des activités artistiques ou intellectuelles, entre autres, sont redéfinis en acteurs du politique.

L’histoire de la politisation du rock biélorusse

  • 4 Suite aux dynamiques historiques de domination culturelle et politique dont nous ne discuterons pas (...)
  • 5 Sur la constitution et l’institutionnalisation du mouvement de la « Renaissance nationale » voir, p (...)

4Le mouvement rock « indépendant » (qui se place en dehors ou à la marge du cadre institutionnel de production artistique professionnelle soviétique) se forme en Biélorussie vers le milieu des années 1980. Sous l’influence de l’« underground » russe et des scènes des pays de l’Europe de l’Est (qui étaient quant à elles influencées par le rock occidental), les premiers groupes « indépendants » biélorusses – dont les plus connus restent Mroja [Rêve], Bonda [Morceau] et Miascovy Čas [Heure Locale] – commencent à jouer du rock contemporain (heavy metal et post-punk) en y introduisant le chant en langue biélorusse. Non seulement le contexte soviétique amplifie une certaine dimension contestataire propre au courant musical rock, mais le fait même de ne chanter qu’en biélorusse et de parler biélorusse publiquement constitue à l’époque une certaine forme de non-conformisme4. La constitution des groupements (proto) politiques qui composent le mouvement de la « Renaissance nationale5 » des années 1980 ne fait que renforcer cette dimension antisoviétique de la musique « subversive », qui fait appel aux conventions des mouvements nationalistes, dont la langue et l’identité nationale sont des éléments centraux. Non seulement les textes des chansons des groupes rock font appel aux symboles « nationalistes » de la « Renaissance nationale », mais ils contiennent également des éléments de critique voilée du système sociopolitique soviétique – tantôt à travers l’expression poétique d’un pessimisme social, tantôt dans des formes spécifiques d’humour. Des alliances commencent à se tisser rapidement entre le rock « indépendant » et certains des « mouvements informels » biélorusses qui se transforment en 1989 en Front populaire biélorusse, principale force d’opposition et de contestation nationale du régime soviétique.

  • 6 La suppression définitive en octobre 1991 de Glavlit (le dernier organe de censure idéologique en U (...)
  • 7 L’entreprise d’État Mielodiia ne possédait plus le monopole de l’édition légale des disques. Kovchi (...)
  • 8 Sur l’engagement du Komsomol dans l’activité économique, y compris dans le secteur culturel, à la f (...)
  • 9 Sigismond III de Pologne (1566-1632), roi de Pologne et Grand-Duc de Lituanie.

5Dans le contexte de la disparition en 1991 de l’U.R.S.S., qui s’accompagne de la suppression du système de censure idéologique et esthétique6, de la légalisation et de la libéralisation de l’entrepreneuriat privé – y compris dans la création artistique –, du développement de l’infrastructure privée du marché musical7 et de l’engagement des acteurs étatiques (principalement ceux issus du Komsomol8) dans la production des concerts et enregistrements des groupes jadis « underground », le rock perd sa dimension contestataire et devient un mouvement artistique légitime et relativement consensuel. À partir de 1995, avec le revirement autoritaire du régime politique, le mouvement se repolitise, avec l’émergence ou la radicalisation des groupes NRM ([République indépendante rêve], reformation de Mroja), Krama [Épicerie] et Ulis ([Ulysse], tous les deux issus de Bonda), Novaje Nieba [Ciel Nouveau], Neuro Dubel [Neuro-Goujon], Žygimont Vaza9 et quelques autres. Sans renoncer au système commercial de production, ce mouvement artistique profite des avantages que fournit le statut d’avant-garde engagée, en conformité avec la mythologie rebelle du rock. Toujours centré éthiquement sur les valeurs de l’« identité nationale » et de la promotion de la langue biélorusse, ce mouvement est proche des forces politiques qui s’institutionnalisent à partir de 1996 en opposition « nationale-démocratique ». Les groupes de rock participent aux concerts de soutien à l’opposition et prennent publiquement position en sa faveur. Pour ce qui est du contenu textuel des chansons, l’appel aux symboles de la « Renaissance nationale » et l’usage de la langue biélorusse redeviennent des éléments contestataires, et les critiques plus ou moins voilées ciblent maintenant le nouveau régime autoritaire – en réclamant plus de liberté, en faisant apparaître les méfaits et les défauts des politiques publiques ou en visant les structures du pouvoir. Les forces de l’ordre et les hommes d’État deviennent des objets de moquerie.

  • 10 Sur l’éthique du do it yourself, voir par exemple Dale, 2012 ; Hein, 2011 ; Hein, 2012 ; Humeau, 20 (...)
  • 11 Originaire des États-Unis dans les années 1980, Food Not Bombs est une initiative de distribution d (...)

6À partir de la fin des années 1990, le choix du système de production (commercial ou autoproduction non lucrative) et le degré d’explicitation de la critique exprimée dans les textes des chansons deviennent le facteur principal du clivage de la scène contestataire entre le rock « traditionnel » et le rock « underground ». Ce dernier – avec des groupes comme Deviation, Hate to State, Kalian [narguilé], Lasty Kusto [palmes de Cousteau]), Sobaki Pavlova [chiens de Pavlov], Contra la Contra ou Pet Nihil – adapte un mode de production et de distribution do it yourself (DIY10) et refuse toute forme de contournement de la censure par l’implicite ou l’ambiguïté. Un nombre de fanzines et labels DIY apparaît à Minsk (par exemple No Manipulation Distro et Rebel Scene) et à Grodno (Ultra Pultra Records), les deux centres du mouvement « underground ». Conformément aux principes DIY, les groupes ne se rémunèrent pas en droits d’auteur (principe du copyleft par opposition au copyright) et les ressources tirées des concerts (entrées, mais aussi vente de disques, de nourriture végétarienne, de produits d’artisanat, et d’objets de promotion divers – le plus souvent t-shirts et pins) sont utilisées pour couvrir les frais. Le surplus est réinvesti dans le fonctionnement de la scène (achat de matériel sonore, location de locaux pour les concerts et répétitions) et dans des initiatives à portée sociale (notamment Food Not Bombs11).

Les institutions étatiques d’administration de la culture ne restent pas indifférentes à cette politisation du rock. En 2004-2007 la plupart des groupes ou des chanteurs du mouvement rock contestataire ont été informellement interdits d’accès à la télévision et à la radio, ainsi qu’aux salles de concert. Cette pratique des « listes noires » des groupes de rock est réapparue début 2011.

7Dans cet article nous proposons de dresser une esquisse des cadres pour l’analyse des logiques de politisation, qui sont ici perçues à la fois comme des outils stratégiques et comme des contraintes, ayant des effets sur la requalification de l’activité artistique en activité contestataire. Le contexte du régime autoritaire (ou, plus précisément, la configuration des relations de pouvoir qui lui est propre) influence lui aussi ces logiques. À notre avis, on peut dégager deux types principaux de logiques de politisation : celles qui s’imposent aux acteurs (politisation imputée) et celles qui sont volontairement mises en place par les acteurs d’une manière plus ou moins consciente (politisation stratégique).

Politisation imputée

8Les logiques de politisation imputée relèvent des effets structurels qui s’imposent aux acteurs du rock contestataire et ne dépendent pas toujours de leur volonté. Elles sont tributaires soit des exigences éthiques du style artistique (définies globalement ou localement) auxquelles les acteurs sont contraints à se conformer, soit des effets de la configuration des relations de pouvoir au sein du régime autoritaire.

  • 12 Sur les critiques d’une approche qui conférerait automatiquement des significations politiques au r (...)

9Premièrement, la mythologie du mouvement artistique rock présuppose une certaine posture engagée, non conformiste et contestataire. Cette mythologie se trouve renforcée par l’histoire « locale » du rock dans l’ancien bloc communiste. La tradition académique et médiatique, imprégnée du romantisme postsoviétique qui prescrit de voir dans le rock soviétique un mouvement artistique et intellectuel contestataire ayant contribué à la fin de la dictature, participe donc elle aussi à son tour à la politisation du rock biélorusse (vu souvent comme une sorte d’héritier de cette tradition du non-conformisme politico-artistique de « Perestroïka rock »). Nous pouvons nous interroger sur le bien-fondé de ce genre de considérations12, mais il est incontestable que cette vision romantique du rôle et de la place du courant musical « libertaire » dans un régime soviétique « liberticide », dont le pouvoir biélorusse tend à être proche au moins symboliquement, produit des effets de réalité sur la représentation médiatique et sur l’autoreprésentation symbolique des acteurs du rock biélorusse. Presque tous les acteurs interrogés – musiciens aussi bien que journalistes et critiques musicaux, sans parler des acteurs politiques – perçoivent le rock comme une forme d’activité artistique qui implique une certaine posture contestataire engagée. C’est ce lien aux préoccupations d’ordre social, voire politique, qui servirait d’élément distinctif par rapport aux artistes pop (en France, on dirait « de variété »). Comme nous l’a affirmé Alieksandr Kullinkovich, leader du groupe Neuro Dubel :

Le rock est une musique protestataire […] ; quand le rock n’est pas en opposition directe, il se trouve toujours en dehors du mainstream. C’est-à-dire que la musique rock est un poisson qui nage toujours à contre-courant. Et la musique pop évoque, à mon avis, un poisson mort – elle suit toujours le courant. (Entretien avec l'auteur, 2009)

  • 13 L’analogie par rapport au champ artistique a été mise en avant par Brun, 2009 : 50.
  • 14 Il s’agit de Siarhiej « Skrypa » Skrypnichenka, frontman de Žygimont Vaza, et d’Aliaksandar Pamidor (...)

10Une certaine conformité à cette éthique contestataire du rock – proche du phénomène que Bourdieu et Passeron (1964) ont appelé le « conformisme de l’anticonformisme » au sujet de certains cercles estudiantins des années 196013 – est exigée des musiciens rock biélorusses. Cette éthique ne présuppose pourtant pas d’engagement direct dans la compétition politique, sous la forme de candidatures aux élections ou d’un militantisme au sein d’un parti politique. Au contraire, la mythologie du rock prône une certaine indépendance par rapport aux mouvements politiques organisés et aux formes de compétition politique active, même s’il s’agit de mouvements contestataires. En même temps, elle rend coûteuses les formes ouvertes et explicites de coopération avec les institutions étatiques et favorise les prises de position contestataires à l’encontre des autorités. Seulement deux des musiciens de rock interrogés14 avaient été dans le passé membres d’un parti politique (en l’occurrence, de l’éphémère Parti Biélorusse des Amateurs de Bière, enregistré dans les années 1990), tandis que la quasi-totalité des acteurs a participé à de nombreuses reprises aux concerts de soutien et autres manifestations contestataires organisés par les partis et mouvements d’opposition.

11Deuxièmement, l’image politisée et contestataire du rock biélorusse a été construite à un certain degré par les acteurs externes au mouvement artistique – acteurs politiques (les partis d’opposition aussi bien que l’appareil d’État) et médias. Le régime autoritaire rend une telle forme de politisation par les acteurs extérieurs plus probable. La configuration des relations de pouvoir dans un tel régime produit des effets spécifiques sur les conditions d’expression politique, qui, à leur tour, ont une influence notable sur les modes de politisation des acteurs, dont ceux venant du champ artistique. Ainsi, le verrouillage du champ politique et le contrôle de l’espace d’expression politique enclenchent des formes de surpolitisation. Selon Gisèle Sapiro, raisonnant sur l’activité littéraire française sous l’Occupation – une situation relativement analogue à la nôtre, toutes proportions gardées –, la surpolitisation « confère aux comportements une signification politique indépendamment du sens que leur donnent les intéressés » (Sapiro, 1999 : 14).

  • 15 Boisson alcoolisée traditionnelle biélorusse.

12D’une manière prévisible, l’intrusion pratiquement incontrôlable des logiques politiques dans l’interprétation des prises de position peut provoquer des réactions de rejet chez les acteurs du champ artistique. Certains musiciens constatent et dénoncent cette tendance à percevoir leur activité exclusivement à travers le prisme de la contestation politique. Liavon Vol’ski, chanteur et guitariste rock, ancien leader de Mroja, NRM et Zet et meneur de Krambambulia15, décrit ainsi ces effets de surpolitisation à propos de l’attitude des médias occidentaux :

Tous les journalistes qui sont venus – de France, de Belgique, de partout – le Washington Post, le Guardian, je ne me rappelle plus tous ceux qui m’ont interviewé, tous sont venus me solliciter. C’est-à-dire, ils sollicitent [les leaders de l’opposition], quelqu’un d’autre, et nous – ces musiciens interdits horribles, ces « berserks » cauchemardesques. […] Récemment un journaliste allemand connu est venu me poser quelques questions. Je l’ai un peu embrouillé par mes réponses, car il pensait que je serais comme un chef de guerre qui, la mitrailleuse sur l’épaule, lui conterait de longues années de combats et de prison. (Entretien avec l’auteur, 2010)

13Le contrôle, bien que limité, exercé par l’appareil idéologique d’État sur l’espace médiatique et sur les conditions d’exercice de l’activité artistique produit lui aussi des effets sur les modes de politisation des acteurs. Les formes d’intervention étatique, dont la censure, comprise comme « empêchement de la production, ou de la diffusion, de biens symboliques par l’interdit » (Méon, 2003 : 13), peuvent être hétérogènes : politiques ou économiques, répressives ou euphémistiques, explicitement manifestées par les censeurs ou implicites et intériorisées par les censurés. Dans les régimes autoritaires, l’intervention étatique dans les modes d’expression publique est plus importante et directe que dans le système d’administration de la culture libéral, ce que confirme l’activité artistique en Biélorussie. Par exemple, en 2008-2010 et depuis 2013, l’organisation de tout spectacle doit être préalablement autorisée par les autorités locales, et cette autorisation peut être refusée pour manque de « qualité artistique ». En même temps, des instruments moins juridiques d’intervention étatique ont été mis en place, dont les obscures listes noires de groupes de rock qui les bannissaient de la télévision et de la radio comme des salles de concert.

14Les différentes formes de censure peuvent avoir des effets sur les modes de prises de position politiques, mais ces effets peuvent différer des objectifs des censeurs, voire même les contredire. Ainsi, des chercheurs ont constaté que le renforcement de la censure et l’acharnement des organes de contrôle culturel et idéologique soviétiques sur le rock soviétique ont eu pour effet de radicaliser sa politisation (voir par exemple Sokolianski, 1994). En même temps la censure confie aux artistes censurés une image valorisée d’« underground » politisé, notamment dans les contextes autoritaires. Comme l’a noté Ihar Konik, propriétaire du label DIY No Manipulation Distro, rédacteur du fanzine Don’t Panic et guitariste du groupe de punk hardcore Hate to State, « ces jeunes croient que les groupes comme NRM et Neuro Dubel sont contestataires – on les interdit, ça veut dire que les écouter c’est déjà de la contestation » (entretien avec l’auteur, 2011). Pour le journaliste et critique musical Siarhiej Budkin, le rock biélorusse fait ainsi partie de la « société civile », car la censure exercée sur le rock rentre dans un « système plus large de pression » à l’encontre de « toute forme d’expression de non-loyauté vis-à-vis du pouvoir en place » (entretien avec l’auteur, 2011).

Politisation stratégique

15De l’autre côté, nous ne supposons pas pour autant que les logiques de politisation des acteurs du rock contestataire soient déterminées par la configuration des relations au sein du champ politique ou par la tradition artistique. Les acteurs de l’espace du rock contestataire possèdent les logiques spécifiques qui rendent une certaine forme de politisation – ou même de dépolitisation – stratégique possible.

  • 16 Lawrence Grossberg appelle ce processus « excorporation » en anglais. Voir Grossberg, 1984.

16Premièrement, la politisation peut être appuyée par des logiques de démarcation au sein du champ artistique. Les acteurs du rock contestataire peuvent prétendre au statut d’avant-garde engagée grâce à leurs prises de position systématiques contre le régime autoritaire. Non seulement le travail constant de distinction par rapport à la culture dominante, qui s’impose d’une manière plus ou moins impérative aux acteurs de ce mouvement artistique16, fait partie de sa mythologie, mais la promotion de l’image de l’artiste engagé peut également servir à se démarquer de courants artistiques plus consensuels et à exister en tant que mouvement autonome à part entière. Nous suivons ici le constat de Bourdieu :

On peut dire que les auteurs, les écoles, les revues, etc., existent dans et par les différences qui les séparent. Et rappeler, une fois encore, la formule de Benveniste : « Être distinctif, être significatif, c’est la même chose. » (Bourdieu, 1994 : 69-70)

La politisation du rock contestataire biélorusse peut donc être analysée à partir des stratégies de démarcation au sein du champ artistique, dont le but est de rendre le mouvement « plus significatif ».

17Si on rajoute à cet impératif de distinction l’image avant-gardiste de l’art engagé, on peut supposer qu’une telle stratégie devient doublement attractive pour les acteurs du rock biélorusse. La logique de démarcation propre à tous les mouvements artistiques est d’autant plus perceptible dans le cas du rock contestataire biélorusse que, depuis le début des années 1990, en plus de la concurrence accrue des musiques occidentales, il doit également faire face à la commercialisation du rock russe, qui trouve en Biélorussie un marché majoritairement russophone. Les compagnies de production russes qui se sont lancées dans l’exploitation commerciale du rock jadis « underground » étaient (et sont toujours) incommensurablement plus puissantes que leurs collègues biélorusses, qui se concentrent le plus souvent sur la production pirate de disques occidentaux. Ainsi, la politisation du rock biélorusse sert d’instrument de distinction à la fois vis-à-vis des variétés locales et des icônes du rock russe en perte de capital symbolique contestataire. Le musicien Liavon Vol’ski n’est qu’un exemple parmi d’autres de ces rockers qui mettent en avant la persistance de l’engagement du rock national afin de souligner leur différence par rapport aux concurrents russes :

  • 17 DDT, Alisa et Mashina Vriemieni (Machine à Voyager dans le Temps) sont des groupes de rock russes p (...)

[En 1994] un coup d’État rampant a eu lieu [en Biélorussie] et les idées révolutionnaires sont redevenues d’actualité. Nous étions fidèles à ces idées à la fin des années 1980 […], nous y tenons toujours. Heureusement, nous n’avons pas eu l’occasion de nous engraisser comme les musiciens de rock russes, genre DDT, Alisa, Mashina Vriemieni17, etc. L’avènement de la démocratie a été bénéfique pour eux du point de vue des finances ; mais justement, du point de vue du rock, c’était un échec. Chez nous la situation est inversée. Nous n’avons pas de quatre-quatre, mais nous avons de l’ardeur. (Vol’ski, 2000)

18Deuxièmement, les profits symboliques perçus en termes de légitimité artistique grâce à cette stratégie de distinction peuvent se transformer en avantages d’ordre plus tangible : le statut de l’avant-garde engagée permet une plus grande visibilité au sein de l’espace médiatique, qui peut se transformer en gain de popularité, ce qui peut impliquer des bénéfices matériels (en terme de ventes de disques, etc.) ou des pertes si ce statut n’est pas assuré. Des logiques d’ordre professionnel pourraient donc conduire vers une certaine politisation de la partie du mouvement rock contestataire biélorusse, dont les acteurs choisissent d’adopter le mode commercial de production artistique. En guise d’exemple, leur aura contestataire a permis aux nombreux acteurs du rock biélorusse de jouer dans les pays de l’Union européenne et aux États-Unis. Parmi les initiatives de ce genre, la plus importante a été « Solidaires avec la Biélorussie » [Solidarni z Białorusią], une série de concerts collectifs organisés par l’ONG polonaise Wolna Białoruś [Biélorussie Libre] en Pologne depuis 2006. Ces concerts alternent les sets de groupes biélorusses et polonais avec des discours d’hommes politiques, et les cachets relativement élevés ont été les bienvenus pour des groupes placés sur les listes noires chez eux. Des fondations occidentales, comme la Konrad Adenauer Stiftung et la Orsa-Romano Foundation, et des agences étatiques, comme le département de l’action culturelle du Ministère des affaires étrangères polonais, fournissent des financements – le plus souvent par l’intermédiaire d’ONG locales – aux initiatives culturelles indépendantes biélorusses, dont l’édition de disques ou de compilations.

  • 18 Sur les modes de formes non conventionnelles de la participation politique voir, par exemple, CURAP (...)
  • 19 Sur les modes de l’engagement intellectuel, voir par exemple le dossier thématique spécial des Acte (...)

19Troisièmement, l’activité artistique peut constituer une forme d’activisme politique non conventionnel dans un contexte où l’accès à la scène politique « classique » est verrouillé. La politisation du mouvement rock pourrait ainsi être la manifestation d’un engagement politique alternatif dans un contexte autoritaire18. Cette politisation pourrait être considérée comme le fruit de l’engagement intellectuel19 antiautoritaire de certains acteurs du mouvement, qui utiliseraient la musique rock comme support et prolongation de leur activité politique par d’autres moyens (et vice versa). Pierre Bourdieu observe une attitude comparable chez les écrivains de « l’art social » du xixe siècle :

comme ils ne faisaient pas la différence entre le champ politique et le champ artistique (c’est la définition même de l’art social), ils importent aussi des modes d’action et des formes de pensée qui ont cours dans le champ politique, concevant l’activité littéraire comme un engagement et une action collective. (Bourdieu, 1998 : 155)

20Au cours de notre recherche nous avons rencontré des acteurs, en majorité issus de la scène anarcho-punk DIY, qui refusaient de se définir comme « musiciens » car, dans leur logique, leur activité artistique était inséparable de leur activisme. De façon exemplaire, Stas Pachobut, leader du groupe anarcho-punk Deviation, un des fondateurs du mouvement DIY en Biélorussie, nous a déclaré :

Je ne crois certainement pas que je suis un musicien. […] En essence, tous nos concerts sont une grande manifestation politique. [Le concert] est autant un acte musical qu’un acte politique. (Entretien avec l’auteur, 2007)

  • 20 Il s’agit d’Alieksandr Dzianisau, leader du groupe punk de Grodno Kalian, à qui la commission élect (...)

21Cependant, si on analyse les pratiques du rock contestataire biélorusse du point de vue de l’engagement politique, il est nécessaire de mettre en lumière la spécificité du rapport au politique que manifestent ses représentants. De tous ceux que nous avons interrogés, seuls quelques-uns (dont Stas Pachobut) ont reconnu qu’ils « faisaient de la politique ». Ceux-ci participaient par ailleurs tous de la frange la plus radicale de la scène rock biélorusse et étaient membres de telle ou telle organisation politique d’extrême gauche libertaire. Qui plus est, la plupart des militants interrogés ont préféré définir leur engagement selon les catégories de l’activisme anarchiste et du militantisme anticapitaliste. La tentative malheureuse de participation d’un des leaders militants et musicaux de la scène anarcho-punk biélorusse à des élections municipales20 a même provoqué un clivage de la scène punk et du mouvement libertaire dans la ville de Grodno, qui explique en partie le déclin de cette scène.

  • 21 Ce terme, souvent dans sa forme « position civile active », est revenu dans la plupart des entretie (...)

22Outre la réaffirmation de l’autonomie des artistes vis-à-vis du champ politique, il s’agit ici de la formulation d’une séparation nette entre la « politique politicienne » – activité institutionnelle partisane, syndicale, électorale – et une manière de « faire la politique autrement », c’est-à-dire de façon autonome par rapport aux logiques, contraintes et luttes propres au champ politique classique, qui est considéré comme corrompu. Ainsi, les acteurs du rock biélorusse s’autodéfinissent le plus souvent soit comme artistes ayant une « position civile21 » indépendante, soit comme militants d’un faisceau de causes (sociale, écologiste, pacifiste, anarchiste, libertaire), mais rarement comme des acteurs politiques à proprement parler. Quoi qu’ils en pensent, à notre avis, ils sont de fait des acteurs politiques, même si c’est sous une forme alternative.

Dépolitisation stratégique

  • 22 Sur la « conquête de l’autonomie » par les acteurs du champ artistique en France, voir Bourdieu, 19 (...)
  • 23 Selon Jacques Lagroye, la politisation « apparaît comme transgression de la différenciation fondame (...)

23En fin de compte, à la lumière de ces exemples, il apparaît que la politisation résulte de la perte d’autonomie d’un mouvement artistique vis-à-vis du champ politique (c’est d’ailleurs ainsi que l’on pourrait la définir). Cela représente un double inconvénient pour les acteurs qui s’y engagent. D’un côté, le refus explicite de se soumettre aux clivages et aux règles propres au champ politique est un des fondements de l’autonomie relative du champ artistique et fait partie intégrante de l’ethos artistique22. Les manifestations ouvertes de dépendance vis-à-vis des acteurs du champ politique sont considérées comme des transgressions23 et provoquent invariablement des rappels à l’ordre : paradoxalement, afin de correspondre aux exigences de son ethos professionnel, même quand un artiste s’engage politiquement, il est censé le faire d’une manière autonome par rapport aux logiques du champ politique. Si un artiste adopte la posture de l’intellectuel organique d’un parti, si un mouvement artistique commence à être assimilé à des mouvements politiques, ils risquent de perdre du capital symbolique. De l’autre côté, cette perte d’autonomie du mouvement rock en Biélorussie lui attire diverses sanctions étatiques. Les attaques symboliques et administratives contre l’opposition – processus propres au champ politique – se répercutent au sein du champ artistique et se manifestent en interdictions de concerts et d’antenne, absence de financements publics, ou désintérêt des médias étatiques, entre autres.

24Ces effets peuvent paradoxalement favoriser la mise en place de stratégies de dépolitisation par les acteurs. Si la politisation peut être définie comme « une requalification des activités sociales les plus diverses » (Lagroye, 2003b : 360) en activités politiques, la dépolitisation serait le processus inverse – celui d’une requalification des activités politiques en activités sociales les plus diverses, propres au domaine de l’art dans notre cas. Les acteurs peuvent ainsi élaborer des stratégies plus ou moins conscientes afin d’essayer de renverser la dynamique de leur rapprochement du politique.

25La mobilisation du « professionnalisme » (en tant que forme de capital spécifique structurant le champ artistique et explicitement autonome des logiques politiques) ainsi que les références à l’autonomie et à la liberté artistiques, qui avaient été mises en avant dans les années 1990 afin de justifier la politisation du mouvement, devinrent ainsi des instruments de sa dépolitisation dans la seconde moitié des années 2000. L’introduction en 2004 des premières listes noires et ses conséquences – notamment l’impossibilité d’organiser des concerts, une source de revenus primordiale pour les groupes rock professionnels – poussèrent des groupes à opter pour cette volte-face. Afin de justifier cette volonté de dépolitisation, certains acteurs du mouvement insistent sur les effets positifs du système commercial de production artistique, notamment en termes d’autonomie et de « professionnalisme ». Par exemple, Pit Paûlaû, guitariste (depuis 1994) et chanteur (depuis 2010) du groupe NRM, considère que la captation de l’organisation de concerts par les mouvements politiques est une atteinte au développement du marché de la production artistique, qui « détruit la concurrence » en favorisant les groupes qui « rabâchent » des clichés politiques au détriment de « valeurs artistiques » (entretien avec l’auteur, 2011).

26La dénonciation par les rockers des usages « malhonnêtes » que font les mouvements politiques des groupes de rock dans le cadre, par exemple, des concerts de soutien, sert aussi à résister à cette politisation, là aussi souvent en mobilisant les catégories de l’autonomie artistique et du professionnalisme. De nombreux musiciens de rock, à l’instar du leader d’Ulis Slava Koran’, reprochent aux partis politiques d’instrumentaliser leur musique et de se moquer des questions techniques relatives à l’organisation de concerts (son, lumières, etc.) :

Je pense qu’en principe… il faut séparer les choses. Parce que quand tu joues pendant une manifestation de l’opposition… Bon, tu peux venir et partager tes convictions avec le public, monter sur scène et le dire, mais le plus souvent si on y joue, cela ne fait que nuire. Parce que d’habitude durant ce genre de manifestations tu peux donner l’impression que tu joues mal, que le son est mauvais, et tu ne pourras rien transmettre au public. Tu ne pourras rien expliquer avec ta musique. […] Pour les professionnels c’est inacceptable, parce qu’un concert est un concert, c’est un évènement, c’est un spectacle, cela doit être beau. Et le seul résultat de notre participation à ces mauvais concerts est que nos jeunes biélorusses ne pensent pas que nos groupes de rock sont des stars, mais pensent que ce sont des amateurs. […] L’usage par l’opposition politique des groupes rock, comme si nous étions du papier toilette, n’a produit que des résultats négatifs. (Entretien avec l’auteur, 2012)

27Enfin, plusieurs acteurs mettent en avant l’opposition symbolique entre la « position civile » et la « position politique » afin de distinguer leur activité de l’engagement politique. Pour le chanteur et producteur Aliaksandar Pamidoraû, leader du groupe PomidorOFF, la prise de position politique s’exprime à travers les relations de proximité avec les partis et mouvements politiques (relations que certains établiraient « avec l’espoir de goûter au romantisme révolutionnaire »). Derrière cette politisation « la créativité se perd, et les musiciens deviennent tout simplement des instruments, ils se perdent eux-mêmes ». La « prise de position civile », qualifiée également de « contestation sociale » (et non politique), serait au contraire une forme authentique de création artistique (entretien avec l’auteur, 2009).

Quelques précisions sur l’usage de la notion « logique »

28Les logiques de (dé)politisation esquissées dans cet article ne sont pas, à notre avis, nécessairement exclusives ou obligatoirement mises en place par les acteurs de façon pleinement consciente. Elles ne sont pas exclusives, car plusieurs logiques peuvent opérer simultanément ou de façon séquentielle : une prise de position sur un sujet social peut servir à se distinguer au sein du champ artistique tout en exprimant l’engagement de l’acteur en faveur d’un fait social (ou contre celui-ci). Cette prise de position peut de surcroît être renforcée par le contexte de surpolitisation, en lui donnant une forte charge protestataire. Ensuite, en prenant conscience des effets non voulus de cette prise de position (l’interdiction de concerts, par exemple), l’acteur en question peut chercher à dépolitiser son activité, en manifestant dans les médias son désintérêt pour les questions politiques. La distinction entre différentes logiques de politisation doit être perçue comme un instrument analytique, qui sert à dégager et à décrire les mécanismes qui rendent possible ou (dé)favorisent la politisation de l’activité.

29Par ailleurs, l’acteur peut ne pas se rendre pleinement compte des logiques de politisation (stratégiques ou non), parce qu’il ne les considère pas nécessairement comme telles. Conscient de ces limites, nous n’adoptons donc pas une vision nécessairement stratégiste de la politisation, où celle-ci serait une sorte d’action rationnelle entreprise par un acteur dont l’objectif serait la requalification politique consciente de ses activités. Par exemple, les prises de position en faveur des idées de la « Renaissance nationale » biélorusse peuvent être perçues par leurs auteurs non comme une forme d’engagement politique, mais plutôt comme un choix artistique et culturel, en partie dû aux logiques de distinction et résultant de luttes internes à leur champ. Cependant, dans le contexte biélorusse, ces prises de position sont inévitablement politiques, et l’activité artistique qui les produit est politisée à son tour.

  • 24 Pour une critique de cette vision dualiste du rapport au régime soviétique, voir Yurchak, 2006 : 4- (...)

30En adoptant la perspective double de politisation imputée et stratégique, il est donc possible d’éviter les limites de la vision purement stratégiste ou déterministe de la politisation. Cette dernière se base sur les présupposés élaborés par la littérature académique et médiatique consacrée à l’engagement politique en U.R.S.S., qui sont souvent appliqués tels quels au contexte biélorusse, et qui postulent l’inévitabilité d’un choix conscient et idéologiquement fondé justifiant l’opposition ou le soutien au régime24.

31Les logiques de politisation peuvent être hétérogènes, voulues ou non ; les usages de la politisation par les acteurs peuvent avoir des objectifs idéologiques ou professionnels, ou encore constituer des effets involontaires du contexte sociopolitique autoritaire, caractérisé ici par le processus de surpolitisation. Ces logiques sont liées aux positions d’acteurs au sein du champ artistique, à leurs trajectoires sociales et professionnelles, aussi bien qu’à leur proximité du champ de la compétition politique. À cet égard, l’influence structurante de la configuration des relations de pouvoir propre au contexte autoritaire peut être double : elle rend la politisation ouverte plus coûteuse, mais la favorise pour certaines activités, comme le courant artistique rock, qui est fondé sur une certaine mythologie contestataire. Les contraintes du régime autoritaire sont finalement intériorisées par les acteurs, qui s’y adaptent et produisent des modes spécifiques de rapport au politique, voire de l’agir politique.

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Notes

1 J'aimerais remercier Peter Kallenberger et Maria Bigday pour leurs remarques précieuses apportées durant l’élaboration de ce texte.

2 Sur la complexité du processus de la politisation voir Lagroye, 2003b.

3 Cette contribution mobilise les résultats d’un travail de thèse de doctorat en science politique mené depuis 2006, qui se base sur l’analyse des textes des chansons du rock biélorusse et d’articles de presse, ainsi que sur 52 entretiens semi-directifs avec les acteurs du rock biélorusse, critiques musicaux, journalistes et acteurs politiques.

4 Suite aux dynamiques historiques de domination culturelle et politique dont nous ne discuterons pas ici, l’usage de la langue biélorusse a été associé aux manifestations du nationalisme indépendantiste biélorusse – en dehors d’un certain nombre de secteurs d’activité (folklore, ethnologie, histoire et certains genres littéraires) et de contextes contrôlés (par exemple les journaux étatiques de langue biélorusse). La langue biélorusse deviendrait même pour certains « un symbole de l’existence culturelle et de l’opposition à la politique soviétique » (Goujon, 1999 : 662). Voir, par exemple, Brown, 2005 ; Goujon, 2003 ; Ioffe, 2003.

5 Sur la constitution et l’institutionnalisation du mouvement de la « Renaissance nationale » voir, par exemple, Goujon, 2009 ; Marples, 1999 ; Zaprudnik, 1993 : 121-178.

6 La suppression définitive en octobre 1991 de Glavlit (le dernier organe de censure idéologique en U.R.S.S.) a couronné la libéralisation de l’activité artistique. Sur l’abolition progressive de ce système et la reconnaissance tout aussi progressive du rock en U.R.S.S. voir, par exemple, Zaytseva, 2012 : 245-253.

7 L’entreprise d’État Mielodiia ne possédait plus le monopole de l’édition légale des disques. Kovchieg [Arche], une entreprise privée cumulant les fonctions d’édition littéraire et de maison de disques cofondée en 1990 par le journaliste Iury Cybin issu des cercles du Komsomol, a commencé à éditer à partir de 1991 des cassettes des groupes rock biélorusses encore récemment « underground ». Le système du monopole de Goskonciert (bureau de concerts d’État) sur l’organisation de concerts a été également supprimé en 1988, et le statut de « musicien professionnel » n’était plus nécessaire pour percevoir des cachets.

8 Sur l’engagement du Komsomol dans l’activité économique, y compris dans le secteur culturel, à la fin des années 1980 en URSS, voir, par exemple, Zaytseva, 2012 : 279-298 ; Zhuk, 2010.

9 Sigismond III de Pologne (1566-1632), roi de Pologne et Grand-Duc de Lituanie.

10 Sur l’éthique du do it yourself, voir par exemple Dale, 2012 ; Hein, 2011 ; Hein, 2012 ; Humeau, 2011 ; O’Connor, 2008 ; McKay, 1998 ; Purdue et al., 1997.

11 Originaire des États-Unis dans les années 1980, Food Not Bombs est une initiative de distribution de plats chauds aux sans-abri, aujourd’hui fréquemment organisée par les mouvements anarchistes dans de nombreux pays.

12 Sur les critiques d’une approche qui conférerait automatiquement des significations politiques au rock en U.R.S.S voir notamment Zaytseva, 2012 ; Pekacz, 1994 ; Szemere, 2001 ; Steinholt, 2005.

13 L’analogie par rapport au champ artistique a été mise en avant par Brun, 2009 : 50.

14 Il s’agit de Siarhiej « Skrypa » Skrypnichenka, frontman de Žygimont Vaza, et d’Aliaksandar Pamidoraû, leader du groupe PomidorOFF.

15 Boisson alcoolisée traditionnelle biélorusse.

16 Lawrence Grossberg appelle ce processus « excorporation » en anglais. Voir Grossberg, 1984.

17 DDT, Alisa et Mashina Vriemieni (Machine à Voyager dans le Temps) sont des groupes de rock russes phares des années 1970-1980, toujours actifs aujourd’hui. Notons que les leaders de DDT Iurij Shievchiuk et de Mashina Vriemieni Andrej Makarievich se distinguent de nouveau dans les années 2010 par leurs critiques du pouvoir en place en Russie.

18 Sur les modes de formes non conventionnelles de la participation politique voir, par exemple, CURAPP, 1998.

19 Sur les modes de l’engagement intellectuel, voir par exemple le dossier thématique spécial des Actes de la recherche en sciences sociales coordonné par Frédérique Matonti et Gisèle Sapiro (Matonti et Sapiro, 2009).

20 Il s’agit d’Alieksandr Dzianisau, leader du groupe punk de Grodno Kalian, à qui la commission électorale a finalement refusé l’enregistrement en tant que candidat aux élections locales de 2003.

21 Ce terme, souvent dans sa forme « position civile active », est revenu dans la plupart des entretiens que nous avons réalisés.

22 Sur la « conquête de l’autonomie » par les acteurs du champ artistique en France, voir Bourdieu, 1998 : 85-191.

23 Selon Jacques Lagroye, la politisation « apparaît comme transgression de la différenciation fondamentale de ces ordres ou espaces d’activités, et des catégories qui permettent de les classer » (Lagroye, 2003b : 372).

24 Pour une critique de cette vision dualiste du rapport au régime soviétique, voir Yurchak, 2006 : 4-8. L’auteur l’appelle « Binary Socialism » [socialisme binaire].

Auteur

Docteur en science politique, membre associé du laboratoire Sociétés, Acteurs, Gouvernements en Europe (SAGE, UMR 7363, IEP-CNRS) à l’université de Strasbourg. En 2015, il a soutenu sa thèse de doctorat intitulée « Contester par la musique sous régime autoritaire : rock et politisation en Biélorussie ». Il a enseigné à l’Université de Strasbourg et à l’Université européenne des sciences humaines à Vilnius ; il travaille actuellement pour le Conseil de l’Europe.

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