Hard rock, heavy metal, metal
|Conclusion
Texte intégral
- 1 Heinich, N. 1999. Pour en finir avec la querelle de l'art contemporain. Paris : L'Echoppe, p. 25.
- 2 Bromberger, C., Chevallier, D. sous la dir. 1999. Carrières d'objets. Paris : Ed. de la Maison des (...)
1La polysémie du mot metal est incontestable. Recouvrir une telle multiplicité de genres peut à la fois dérouter l'observateur en même temps qu'il peut en élargir le regard. Les critères d'appartenance au metal reposent sur ce que l'on pourrait appeler une « ressemblance familiale » mobilisant à divers degrés, indépendamment ou non, des éléments historiques, esthétiques, techniques, culturels ou sociaux. Il est donc un concept général aussi intrinsèquement ouvert et mouvant que n'importe quelle autre forme artistique. Le metal échappe ainsi à toute tentative de définition homogène. Déconstruire le terme metal en procédant à une description logique des nombreux genres et sous-genres qui le composent, est à ce titre un exercice à double entrée, puisqu'il permet à la fois de gagner en lisibilité alors que dans le même temps, il introduit de la complexité. Sa propension à l'absorption, au recyclage, au dialogue, à l'innovation, à l'originalité, à la transgression et aux mélanges avec des genres musicaux quelquefois très éloignés rend ses frontières particulièrement instables et élastiques. Le triple mouvement à l'œuvre dans l'histoire du metal : durcissement, radicalisation et métissage est un phénomène comparable à celui que Nathalie Heinich observe dans l'art contemporain. Pour elle, « les transgressions accomplies dans l'art contemporain [...] sont elles-mêmes transgressées, [...] étant donné l'inévitable épuisement des critères transgressables : d'où la tendance à l'éclectisme qui caractérise aujourd'hui la situation de l'art contemporain1 ». On peut en déduire que l'hybridation constitue en partie une nécessité génétique permettant d'assurer le renouvellement du metal, au même titre que les « rétro-innovations2 » associant tradition et nouveauté, les logiques de distinction et de fragmentation ou encore les outrages de l'avant-garde.
- 3 Mignon, P. 1996. Rock et rockers : un peuple du rock ? In Darré, A. Sous la dir. 1996. Musique et p (...)
2Pour des raisons visant à favoriser sa créativité et son besoin de régénération, le monde du metal a bien saisi la nécessité de ne pas circonscrire ses champs d'expression et autres sources d'inspiration de manière trop rigoureuse. Bien que certaines franges de ce monde privilégient la tradition dans un esprit quelquefois assez conservateur, la plasticité de ce dernier constitue indéniablement le meilleur garant de sa vitalité et de sa dynamique. Il en va de son existence même. Bien sûr, cette souplesse peut éventuellement donner lieu à des disputes lorsqu'il s'agit d'établir des frontières catégorielles ou de définir l'authenticité du metal. Mais ces débats restent vains tant ses frontières sont labiles et son authenticité plurielle. Comme nous le prouve son histoire, le metal est incontestablement le fruit d'une hétérogénéité esthétique. Et cette hétérogénéité s'applique également plus largement au monde du metal. On peut donc postuler, à la suite de Patrick Mignon, que « l'hétérogénéité est aussi due à l'évolution historique, à la succession des générations et à la sédimentation des couches laissées par les phases antérieures de l'histoire du [metal]. Le [metal] suppose simplement l'acceptation par chacun de la validité de cette catégorie pour désigner ce qu'il fait ou ce qu'il aime, par l'acceptation du label et le type de coopération qu'il implique, et l’établissement de compromis, plus ou moins stable, entre les divers intérêts3 ».
- 4 Rock Hard, no 24, 2003, p. 12-14.
- 5 Peter Mensch et Cliff Bernstein sont à la tête de Q-Prime. Ils ont représenté des artistes tels que (...)
- 6 Rock Hard, no 22, 2003, p. 62-63.
- 7 Chocron, C. 1994. Les enjeux économiques du rock. In Gourdon, A.-M. sous la dir. Le rock. Aspects e (...)
- 8 Chocron, C. 1994. op. cit., p. 136.
- 9 Hennion, A. 1993. La passion musicale. Une sociologie de la médiation. Paris : Métailié, p. 307.
3Le monde du metal est devenu une industrie culturelle florissante. Certaines données en attestent tout particulièrement. Dès la première semaine de sa mise sur le marché, le nouvel album de Metallica, St. Anger (2003, Vertigo) a réalisé les meilleures ventes de disques dans la majorité des pays industrialisés (Etats-Unis, Canada, Norvège, Suède, Finlande, Allemagne, Mexique, etc.). Le DVD de Led Zeppelin How the west was won (2003, Atlantic), connaît actuellement un sort identique et établit même des records de ventes aux Etats-Unis4. On peut également en prendre la mesure par l'observation de certaines pratiques inédites. Ainsi, la société de management Q-Prime, en charge de la carrière de Metallica5, a incité le groupe à travailler avec Phil Towle, un Performance Enhancement Coach (il se défini lui-même comme un « conseiller conjugal »), de manière à résoudre ses conflits internes et éviter ainsi qu'ils ne deviennent une menace pour son avenir6. L'enjeu se situe bien ici dans la préservation d'une force de travail particulièrement rentable. Ces exemples posent évidemment la question récurrente de l'authenticité. Est-elle conciliable avec les intérêts économiques ? Une interrogation déjà soulevée par Catherine Chocron à propos du rock7. Elle y répond que « la production de rock trouve son équilibre dans une dynamique double où les indépendants développent les courants d'avenir, avant que ceux-ci soient commercialisés à grande échelle par les ténors de l'industrie du disque8 ». Les débuts de carrière de Metallica résument parfaitement cette observation. En effet, sa discographie débute avec la parution d'un titre sur la compilation Metal Massacre (1982) publiée par un petit label naissant : Metal Blade. Puis, le label indépendant Megaforce édite ses deux premiers albums (1983-84). Quant aux disques suivants, ils sont publiés par Elektra Records, appartenant à la major Warner Music Group. Le processus à l'œuvre illustre bien la manière dont un groupe est progressivement légitimé au sein d'un milieu spécialisé avant de susciter l'intérêt des industries culturelles à vocation généraliste. Cela signifie que le statut du produit culturel peut évoluer et subir des variations. La tension générée par son évolution statutaire fait bien sûr toujours l'objet de commentaires et de critiques. Mais cela ne diminue nullement l'adhésion collective, quelquefois massive, à son endroit. Selon Antoine Hennion, « le rock est un des rares domaines de la culture populaire qui, au moins dans le domaine anglo-saxon, ait dépassé l'interrogation stérilisante en termes de vérité ou de manipulation. Le modèle d'interprétation qu'il propose est marqué, à l'inverse, par l'affirmation existentielle d'une irréductibilité de mouvement, tant à des lectures sociologiques externes qu'à des lectures musicales9 ».
- 10 Cette domination est également exercée par des labels, des magazines, des organisateurs de concerts (...)
- 11 Il faut noter par ailleurs que la période semble relativement propice aux « come-back ». Quantité d (...)
- 12 Menger, P.-M. 1991. Marché du travail artistique et socialisation du risque. Le cas des arts du spe (...)
- 13 Voir le site : http://lelahelwebsite.fr.st.
- 14 Glardon, M. 2002. Le rock groenlandais : un moyen privilégié d'expression dans un pays qui se quest (...)
4Si l'espace médiatique et commercial est essentiellement occupé par certains groupes phares10 dont les carrières sont quelquefois d'une longévité exemplaire11, quantité de prétendants attendent leur heure dans l'ombre. Mais les incertitudes du marché12 contrarient un grand nombre d'ambitions. L'enjeu économique passe alors au second plan, au bénéfice d'enjeux tels que la reconnaissance sociale ou le besoin d'expression et de créativité par exemple. Car comment expliquer autrement la propagation de la musique metal et de ses pratiquants dans la majorité des pays équipés en énergie électrique ? A ce titre, il est courant d'entendre, de la bouche même de certains amateurs, qu'il est un genre musical exclusivement occidental. Voire une musique nord-américaine ou européenne, dont l'influence s'atténuerait à mesure que l'on se rapproche de la Méditerranée ou du Golfe du Mexique, sur la base d'arguties invoquant le tempérament latin et la prédilection pour les musiques festives sous de telles latitudes, a priori incompatibles avec le metal. Ce point de vue ethnocentrique est avant tout le fruit d'une représentation erronée. Quid des groupes italiens, grecs ou espagnols ? Quid de la scène australienne et néo-zélandaise ? De la scène argentine, chilienne et brésilienne ? La prolifération du metal ne semble épargner que les pays non industrialisés. Il est pratiqué et écouté sous toutes les latitudes, dans des régions ou des pays aussi divers que la Réunion, l'Afrique du Sud, la Malaisie, les Philippines, Israël, le Liban, l'Egypte, le Maghreb13, le Pakistan, la Turquie, l'Inde, la Mongolie, la Chine, le Groenland14 ou encore le Pérou, etc.
- 15 Callon, M. 1999. Ni intellectuel engagé, ni intellectuel dégagé : la double stratégie de l'attachem (...)
Au même titre que le rock, le metal est une musique au rayonnement quasi universel. Son transport et sa diffusion sont assurés par un certain nombre de « dispositifs matériels, humains, techniques15 » tels que les disques, la presse spécialisée, les musiciens, les amateurs, les concerts, etc.
5Cette popularité n'en est pas moins souvent proportionnelle au dédain qu'il inspire dans l'espace social. Plus que soupçonné, le metal est quelquefois dénoncé en tant qu'une véritable menace. On le présume capable de conduire à la violence, au suicide, au satanisme ou encore au fascisme. Ces types de réquisitoires résistent souvent mal à l'analyse. Leurs énonciations particulièrement normatives s'articulent sur des représentations à courte vue sans fondement rationnel sérieux. Pour ceux qui recourent à ce type d'arguments, le metal est une cible idéale. En effet, quelques-unes des thématiques mobilisées et affichées de manière ostentatoire par certains genres metal sont radicalement inverses aux normes sociales et culturelles dominantes. Et c'est précisément cet anticonformisme qui rend ces genres musicaux aussi puissamment attractifs. C'est le cas du satanisme par exemple. Evoquer ou mettre en musique des thématiques telles que la violence et le suicide ne constitue pas en soi une incitation à commettre des actes violents ou suicidaires. Pour les formations musicales les plus inspirées et les plus intelligibles, fondatrices d'un genre, il s'agit de conduire à la réflexion, de proposer des points de vue – quelquefois de manière provocante – à propos de sujets particulièrement sensibles. Pour les autres, majoritaires, il est davantage question de reprendre, d'adapter et de renforcer les conventions établies par les leaders du genre.
- 16 C'est le cas par exemple du dernier album du groupe Satyricon, Volcano (2003). Ce dernier s'est cla (...)
- 17 Queudrus, S. 2000. Un maquis techno. Modes d'engagement et pratiques sociales de la free-party. Nan (...)
- 18 Le Bart, C. 2000. Les fans des Beatles. Sociologie d'une passion. Rennes : Presses Universitaires d (...)
6Où qu'ils se situent, les artistes savent que la provocation et la transgression sont d'excellents moyens pour attirer l'attention sur leur travail, voire pour en tirer profit. Selon les sociétés dans lesquelles elles s'expriment, ces démarches sont plus ou moins tolérées. Certains pratiquants et amateurs de metal subissent des pressions considérables par les autorités de leur pays. On a vu par exemple la véritable croisade que la censure américaine a mené sur son territoire contre le metal. A l'inverse, d'autres sociétés offrent davantage d'espace aux expressions critiques, contestataires ou avant-gardistes. Leur relégation dans la sphère underground permet de ne jamais nier leur droit à la parole tout en les maintenant plus ou moins à distance. En fait, ce type de sociétés, aux fondements démocratiques, autorisent du jeu dans leur système social. Même si en Norvège certaines radios nationales diffusent aujourd'hui du black metal16 en dépit de son passé sulfureux, le metal reste généralement éloigné ou très marginal dans les médias qui font autorité. A moins qu'il ne soit économiquement rentable. Hormis quelques saillies politiques très virulentes – promues par des artistes tels que Trust, Marilyn Manson, Body Count ou Rage Against The Machine – potentiellement perçues comme dangereuses, il apparaît que leur « récupération commerciale » permet de neutraliser les effets de leurs propos. Aussi engagés qu'ils soient, les discours contestataires de ce type de formations paient leur tribut au phénomène de massification auquel ils doivent leur succès. Leur contenu subversif n'ébranle finalement pas les fondations du système social, car il ne touche en rien aux rapports de production. Pour prendre un exemple, le phénomène des free parties dans le monde de la musique techno, en situant ses pratiques et son économie en dehors des cadres légaux, constitue une menace concrète pour l'équilibre social d'un pays comme la France. D'où le battage médiatique qu'ont occasionné les récents efforts législatifs pour rendre ce phénomène « socialement admissible et contrôlable17 ». Aucun élément ne permet de penser que le metal puisse causer des troubles sociaux équivalents. Au contraire, l'histoire du metal indique que les acteurs de ce monde cherchent depuis toujours à s'intégrer socialement, tout en affirmant leurs particularités culturelles. Cette « dialectique imitation-différenciation18 » qualifie de fait le metal en tant qu'un genre artistique et culturel parmi d'autres.
7Croire que certains genres metal sont en mesure de supplanter le christianisme pour imposer le satanisme, accréditer l'hypothèse d'un lien linéaire entre audition de musique metal et comportements déviants ou penser que le metal porte en lui la radicalité d'un mouvement révolutionnaire revient probablement à lui conférer plus de pouvoir qu'il n'en a en réalité. Cela procède vraisemblablement davantage d'un processus fantasmatique que d'un raisonnement rationnel. En tant que genre musical, il recourt à un certain nombre d'outils lui permettant de formuler et d'organiser sa démarche artistique. Ce qui ne le dédouane nullement d'un ensemble de reproches qu'il est possible de lui adresser. Le monde du metal contient incontestablement une part de machisme. Certains amateurs et pratiquants de metal véhiculent effectivement des propos racistes ou fascistes. D'autres adoptent des positions très ambiguës sur le sujet. Si de telles attitudes sont évidemment condamnables, l'observation de ce monde permet de révéler, s'agissant de ce dernier point, qu'elles ne sont souvent que très marginales. Mais sur le fond du problème, peut-on tenir le monde du metal responsable d'être représentatif de la diversité du corps social ? Le monde de la musique classique ou contemporaine est-il véritablement plus vertueux ? Parce qu'il ne les affichent pas ostensiblement, on ne sait rien des opinions politiques des musiciens composant les orchestres symphoniques. Le monde littéraire comprend une frange marginale d'écrivains ouvertement fascistes ou révisionnistes. Au même titre que le monde universitaire comporte des chercheurs appartenant à cette obédience. Peut-on pour autant réduire ces mondes à ces seules caractéristiques ? Certainement pas. Pour le metal comme pour d'autres genres artistiques, il est impératif de conserver le sens de la nuance.
8L'observation d'un monde du metal local permet précisément de porter un regard contrasté sur la réalité. Bien que mon enquête ne traite pas directement des opinions politiques des acteurs de terrain, elle met tout d'abord en exergue quelques points permettant de réajuster un certain nombre de représentations péjoratives habituellement associées aux pratiquants du metal. Si l'on se penche sur leur morphologie sociale il apparaît qu'ils ont généralement la vingtaine, sont majoritairement de sexe masculin et résident prioritairement au sein de grandes villes ou de villages. Si ces points ne surprendront personne, il est plus étonnant d'apprendre qu'ils sont en majorité issus des classes moyennes, que leur capital scolaire est plutôt élevé, au même titre que leur taux d'insertion professionnelle.
- 19 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. Figures de l'amateur. Formes, objets et pratiques de (...)
9Mesurer leur attachement au metal a permis de dégager un ensemble d'implications pratiques, artistiques, affectives, techniques, économiques ou sociales à un niveau individuel ou collectif. L'amour pour le metal naît généralement d'une rencontre avec cette musique, favorisée par l'environnement proche. La force du choc esthétique qui se produit alors, relève souvent de l'indicible. Peut alors s'engager un rapport passionnel au metal dont l'objectif premier vise à renouveler l'expérience du plaisir selon des modalités diverses. Il s'effectue par le truchement d'une relation à un certain nombre d'objets ou de dispositifs propres au monde du metal (disques, concerts, merchandising, revues spécialisées, fanzines, etc.). Le savoir accumulé permet aux acteurs de s'affirmer identitairement, mais également d'intégrer progressivement le réseau local du monde du metal. Pour se différencier à l'intérieur de ce réseau-monde, il leur faut ensuite s'engager dans un rapport de production-création. Quantité d'amateurs de metal s'investissent dans plusieurs activités. Ils y consacrent souvent beaucoup de temps et d'argent. Ce processus représente très clairement une « technique collective de fabrication de soi19 » dont la finalité semble être une combinaison entre expression de la créativité d'une part, source de plaisir de l'autre, mais également moyen d'obtenir une reconnaissance sociale.
- 20 Berger, H. M. 1999. Metal, rock and jazz. Perception and the phenomenology of musical experience. D (...)
10L'investissement économique annuel de l'échantillon interrogé s'élève à près de 300 000 € (soit près de 2 millions de francs). Il atteste de manière évidente l'attachement des acteurs locaux au metal. Il représente également un poids économique considérable qui ne peut être ignoré. La consommation culturelle, l'acquisition d'un parc instrumental et les frais de fonctionnement des formations musicales contribuent à faire vivre, directement ou non, certains secteurs de l'économie régionale, voire nationale. Cette dimension, augmentée d'un certain nombre de perspectives historiques, culturelles, esthétiques et sociales devraient permettre – je l'espère tout du moins – de mieux comprendre le fonctionnement du monde du metal et de le rendre moins méprisable. Il est en tous cas, un acteur social à part entière. Sa fonction se vérifie aussi bien du point de vue de ses acteurs que de la société globale. A travers lui, pratiquants et amateurs donnent sens à leur existence en créant et en expérimentant de nouvelles émotions20. Mieux, en socialisant ces émotions, ils se construisent en tant qu'individus. Même s'ils la soumettent quelquefois à de fortes critiques, la société en récolte les bénéfices en termes de retombées économiques, de liberté artistique, de prestige culturel et donc, de cohésion sociale.
- 21 Poizat, M. 2001. L'opéra ou le cri de l’ange. Essai sur la jouissance de l'amateur d'opéra. Paris : (...)
- 22 Poizat, M. 2001. op. cit., p. 21-27.
- 23 Rock Hard, no 24, 2003, p. 38.
- 24 Poizat, M. 2001. op. cit., p. 21.
- 25 Shusterman, R. 1992. L'art à l'état vif. La pensée pragmatiste et l'esthétique populaire. Paris : M (...)
11Selon toute vraisemblance, ce que certains individus cherchent dans le metal n'est pas très éloigné de ce que d'autres cherchent dans l'opéra ou dans d'autres formes musicales existantes. Quelle différence entre « l'errance de tant de passionnés [d'opéra] que l'on retrouve à Londres, Bayreuth, Milan ou Paris21 » et les migrations festivalières des amateurs de metal ? Quelle différence entre des amateurs prêts à patienter de minuit à 13 h 30 sur les marches du Palais Garnier afin d'obtenir deux places pour la « première » de Tristan et Isolde de Richard Wagner22 et ceux qui ont patienté quelquefois pendant trente heures dans le but d'acheter une place pour l'un des deux concerts en clubs d'AC/DC à Berlin ou Munich ?23 Le processus à l'œuvre semble être le même. Une quête, sans cesse renouvelée – voire impossible – « avec tout ce que cela comporte d'errances, d'épreuves, de privations et de souffrances24 », pour tenter d'atteindre l'émotion, le plaisir et la jouissance esthétique. Ces états « forment une large part de ce qui donne une valeur à la vie, [et] ils peuvent être cultivés pour rendre la vie esthétiquement plus riche25 ».
12Si l'on convient que c'est l'amour de la musique qui caractérise le mieux ses amateurs en général, on peut faire l'hypothèse que ce constat annule de fait toutes les controverses opposant un art musical soi-disant noble et supérieur avec un art musical prétendument mineur, affligé de l'infâmante étiquette populaire. Ces états qui affectent aussi bien l'esprit que le corps rendent définitivement caduque toute tentative de hiérarchisation. Les moyens qu'utilisent ces musiques diffèrent. Leurs fins se rejoignent parfois. Mais leurs effets sont très certainement identiques. Une représentation du Don Giovanni de Mozart ne peut-elle provoquer le même type de bouleversement émotionnel qu'un concert de Rammstein ? Un aria de la Callas ne peut-il envoûter aussi profondément qu'un refrain de Mikael Akerfeldt ? Le phrasé fulgurant du violoniste Fabio Bondi ne peut-il procurer des frissons d'une intensité égale à celle d'un solo de guitare lumineux décoché par Zakk Wylde ? Il ne s'agit pas ici de jouer le corps contre l'esprit, l'immanence contre la transcendance, mais bien plutôt de procéder au rééquilibrage de ces deux dimensions.
Pour finir, de toute évidence, ces quelques propos sur le hard rock, le heavy metal et le metal ne sauraient suffire à cet ouvrage. Je ne peux que vous recommander une confrontation directe aux œuvres. Les repères discographiques fournis constituent un guide qui devrait vous permettre de ne pas trop vous y perdre.
Notes
1 Heinich, N. 1999. Pour en finir avec la querelle de l'art contemporain. Paris : L'Echoppe, p. 25.
2 Bromberger, C., Chevallier, D. sous la dir. 1999. Carrières d'objets. Paris : Ed. de la Maison des sciences de l'homme. Mission du Patrimoine ethnologique. Collection Ethnologie de la France. Cahier 13, p. 7.
3 Mignon, P. 1996. Rock et rockers : un peuple du rock ? In Darré, A. Sous la dir. 1996. Musique et politique. Les répertoires de l’identité. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, p. 77.
4 Rock Hard, no 24, 2003, p. 12-14.
5 Peter Mensch et Cliff Bernstein sont à la tête de Q-Prime. Ils ont représenté des artistes tels que AC/DC, Def Leppard, Aerosmith, Scorpions, Rage Against the Machine, etc.
6 Rock Hard, no 22, 2003, p. 62-63.
7 Chocron, C. 1994. Les enjeux économiques du rock. In Gourdon, A.-M. sous la dir. Le rock. Aspects esthétiques, culturels et sociaux. Paris : CNRS Éditions, p. 109.
8 Chocron, C. 1994. op. cit., p. 136.
9 Hennion, A. 1993. La passion musicale. Une sociologie de la médiation. Paris : Métailié, p. 307.
10 Cette domination est également exercée par des labels, des magazines, des organisateurs de concerts, etc.
11 Il faut noter par ailleurs que la période semble relativement propice aux « come-back ». Quantité de groupes ayant mis un terme à leur carrière au cours des années 80, se reforment actuellement. Ceux dont les carrières ont connu un creux, reviennent eux aussi sur le devant de l'actualité.
12 Menger, P.-M. 1991. Marché du travail artistique et socialisation du risque. Le cas des arts du spectacle. Revue française de sociologie, no XXXII, p. 61-74,
13 Voir le site : http://lelahelwebsite.fr.st.
14 Glardon, M. 2002. Le rock groenlandais : un moyen privilégié d'expression dans un pays qui se questionne. Ethnographiques.org, no 2. Disponible sur : http://www.ethnographiques.org/documents/article/ArGlardon.html.
15 Callon, M. 1999. Ni intellectuel engagé, ni intellectuel dégagé : la double stratégie de l'attachement et du détachement. Sociologie du Travail, no 1, vol. 41, p. 73.
16 C'est le cas par exemple du dernier album du groupe Satyricon, Volcano (2003). Ce dernier s'est classé à la quatrième place des ventes de disques en Norvège dès la première semaine de sa sortie. Le titre « Fuel for hatred » qui en est extrait a bénéficié d'une diffusion massive sur les ondes. Le clip vidéo qui l'accompagne a été largement diffusé à la télévision et le groupe est apparu au cours de talk-shows ainsi que sur les premières pages des journaux. Voir le site sur Music Centre Information Norway : http://www.mic.no/english.
17 Queudrus, S. 2000. Un maquis techno. Modes d'engagement et pratiques sociales de la free-party. Nantes : Mélanie Séteun, coll. Musique et Société, p. 115.
18 Le Bart, C. 2000. Les fans des Beatles. Sociologie d'une passion. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, coll. Le sens social, p. 232.
19 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. Figures de l'amateur. Formes, objets et pratiques de l'amour de la musique aujourd'hui. Paris : La Documentation Française, p. 43-46.
20 Berger, H. M. 1999. Metal, rock and jazz. Perception and the phenomenology of musical experience. Delaware, Ohio : Wesleyan University Press, p. 271.
21 Poizat, M. 2001. L'opéra ou le cri de l’ange. Essai sur la jouissance de l'amateur d'opéra. Paris : Métailié. 1ère éd. 1986, p. 21.
22 Poizat, M. 2001. op. cit., p. 21-27.
23 Rock Hard, no 24, 2003, p. 38.
24 Poizat, M. 2001. op. cit., p. 21.
25 Shusterman, R. 1992. L'art à l'état vif. La pensée pragmatiste et l'esthétique populaire. Paris : Minuit, coll. Le sens commun, p. 265.
© Éditions Mélanie Seteun, 2004