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Hard rock, heavy metal, metal

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Fabien Hein

Chapitre 6. Les amateurs de metal

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1. Eléments de méthode spécifiques

  • 1 Par souci de préserver l'anonymat des personnes ayant contribué à la réalisation de ce travail, leu (...)

1Ce chapitre repose sur un croisement de données quantitatives et qualitatives recueillies en Lorraine entre janvier 1999 et septembre 2002. Les premières ont été obtenues à l'aide d'un questionnaire complété par un échantillon de 165 personnes. Celles-ci ont été sélectionnées sur la base du préalable suivant : pratiquer de la musique metal au sein d'un groupe. Les données qualitatives sont quant à elles issues d'entretiens semi-directifs réalisés auprès d'une trentaine d'individus1 provenant en partie de cet échantillon. Il m'a en effet semblé intéressant d'élargir cette enquête à des non musiciens afin d'étendre le spectre du monde du métal. Ainsi, outre une vingtaine de musiciens, j'ai donc également invité cinq organisateurs/programmateurs de concerts, trois éditeurs de fanzines ou webzines, un manager et deux amateurs-experts à répondre à mes questions au cours de plusieurs entretiens d'une durée variant entre une et cinq heures.

2Cette étude se décompose en quatre temps. Le premier temps est consacré à l'analyse des caractéristiques sociologiques de l'échantillon, tout en veillant à ne pas réduire l'amateur à n'être qu'un simple porteur de ses catégories sociales ou professionnelles. Le second temps vise à montrer comment la musique agit et fait agir une personne, comment un attachement pour le metal peut transformer un individu et le conduire à vouloir s'engager à son tour pour la musique. Ensuite, dans un troisième temps, il s'agit de porter le regard sur les différentes modalités d'engagement dans la pratique instrumentale ainsi que sur l'apprentissage qui en découle. Enfin, dans un quatrième temps, il sera question des formes collectives de cet attachement, vues sous l'angle du groupe metal et des conditions de sa pratique : répétition, concerts et enregistrement.

  • 2 Guibert, G., Migeot, X. 1999. Les dépenses des musiciens de musiques actuelles. Eléments d'enquêtes (...)

3J'ai choisi d'analyser l'attachement pour le metal à l'aide d'instruments de mesure stabilisés par la discipline sociologique : l'entretien et le dénombrement. Cette démarche conduit à poser les questions du « comment » et du « combien ». L'équation est simple. Tenter de comprendre comment la musique agit, conduit à essayer de comprendre comment la musique fait agir et partant, à déterminer la nature des investissements individuels : combien de disques possédés, combien de concerts fréquentés, combien d'argent engagé dans la presse metal ou pour faire l'acquisition d'un parc instrumental, etc. La question du dénombrement telle qu'elle a été construite dans le cadre de ce travail, a permis de prendre en compte une part de la dimension économique du monde du metal à l'échelle d'une région, et ce, sur deux niveaux : individuel tout d'abord, et collectif ensuite, au sens d'une formation musicale. Ce type de démarche, encore très peu développé au sein des recherches sur les « musiques actuelles », a été initié par Gérôme Guibert et Xavier Migeot dans une enquête pionnière particulièrement féconde2 inspirant très largement mon propre travail. L'investissement économique semble être un indicateur particulièrement fiable permettant de mesurer l'attachement d'un individu ou d'un collectif à un objet d'amour, au même titre qu'il permet de saisir les implications artistiques, affectives ou sociales qu'il recouvre. En parallèle, il permet d'une part, de présenter un certain nombre de données relatives au poids économique d'un genre musical au sein d'une région et d'autre part, de mettre en lumière la réalité des conditions de la pratique, à titre individuel ou collectif.

2. Morphologie sociale

Ages et sexes

Classes d’âges

Classes d’âges
  • 3 En Allemagne, la moyenne d'âge de l'échantillon de Bettina Roccor est de 21 ans. Le plus jeune des (...)
  • 4 Ceci est un point confirmé par toutes les études menées sur le metal, aussi bien aux Etats-Unis qu' (...)
  • 5 Sur ces points, l'échantillon allemand (121 fans) montre que seuls dix d'entre eux vivent en couple (...)

4Près de trois quarts de l'échantillon est représenté par la classe d'âge des 18-24 ans, suivie par celle des 25-30 ans, puis celle des 31-40 ans. Un seul individu a moins de 18 ans. On pourrait en déduire que la majorité constitue un seuil symbolique avant de passer à l'action. Au final, la moyenne d'âge s'élève à près de 24 ans3 (écart de 17 à 40 ans). Le metal n'est donc plus tout à fait une musique juvénile. La sur-représentation des hommes est flagrante4 puisque l'échantillon se compose de 163 hommes pour deux femmes. Un seul d'entre eux a la nationalité italienne, les autres sont tous de nationalité française. Plus de trois quarts des personnes interrogées sont célibataires, l'autre quart est marié ou vit maritalement avec un conjoint qui, en règle générale apprécie un peu, voire beaucoup le metal. Parmi ce dernier quart composé de quarante-six individus, quinze d'entre eux ont des enfants5.

Communes de résidence

Taille de la commune (par habitants)

Taille de la commune (par habitants)
  • 6 Près de la moitié des individus de l'échantillon (48 %) réside en Meurthe-et-Moselle. 30 % d'entre (...)
  • 7 Guibert, G. 1998. Les nouveaux courants musicaux : simples produits des industries culturelles ? Na (...)
  • 8 Cette idée est par contre totalement valide concernant les fans allemands comme on peut le voir dan (...)

5On trouve un nombre presque équivalent d'individus résidant dans des communes de plus de 20 000 habitants, que dans des communes de moins de 5 000 habitants (dont 75 % en milieu rural). Le reste de l'échantillon se partage entre des communes de 5 000 à 10 000 habitants et de 10 001 à 20 000 habitants. On constate donc qu'il se dégage une très infime prévalence pour les communes de moins de 10 000 habitants par rapport aux communes de plus de 10 000 habitants6. Seul un quart de l'échantillon réside en milieu rural. L'idée communément répandue selon laquelle le metal est une « musique des petites villes et des campagnes »7 est donc invalidée à l'échelle de la Lorraine8 II est donc plus juste de dire que la proéminence du metal est effective dans les grandes villes et les villages et qu'elle diminue de près de moitié au sein des villes de tailles moyennes et petites. Globalement, les amateurs de metal se répartissent de manière quasi équilibrée entre petites villes et villages d'une part et villes moyennes et grandes d'autre part.

Niveaux d'études

Niveaux d’études

Niveaux d’études

6Concernant le niveau d'étude des individus de l'échantillon, il est tout d'abord notable de constater que la majorité d'entre eux possèdent un niveau supérieur au bac. Cette tranche est surtout représentée par des individus ayant atteint un niveau bac +2, au sein duquel se dégage une légère proéminence pour les filières techniques et professionnelles de type BTS. Elle est suivie de la tranche niveau bac +3 ou +4 et par une petite portion d'individus de niveau bac +5, titulaires de DESS ou DEA, de diplômes d'ingénieurs et de doctorants. Compte tenu de la moyenne d'âge de l'échantillon, il n'est pas surprenant que la seconde tranche la plus importante de l'échantillon soit celle de niveau bac et première/terminale. Le niveau CAP/BEP occupe quant à lui la troisième place en terme d'importance sur l'ensemble des individus interrogés. Il apparaît que les acteurs du metal constituent un groupe social plutôt qualifié.

  • 9 Ces études sont sanctionnées par un équivalent du bac appelé abitur.
  • 10 ROCCOR, B. 2002. op. cit., p. 149-152.

7L'organisation du système scolaire allemand diffère de celui que nous connaissons en France, ce qui rend, de fait, la comparaison relativement délicate en terme de niveaux d'études. Néanmoins, la recherche de Bettina Roccor permet de dégager un certain nombre d'éléments intéressants. Son échantillon (121 fans de metal) compte 33 lycéens scolarisés dans le secondaire, 26 étudiants, 21 personnes en cours de formation professionnelle, 35 individus exerçant une activité professionnelle et six autres sans emploi. Parmi les lycéens, on observe que l'écrasante majorité suit un enseignement en lycée d'enseignement général (Gymnasium9), contre une très faible proportion dans des filières courtes ou techniques. Concernant les études supérieures, les données disponibles présentent plutôt les filières suivies que le niveau atteint (la dominante est aux études de lettres et sciences humaines). L'ethnologue allemande identifie quatre filières d'apprentissages principales : fonctionnariat, artisanat, commerce, technique. Par contre, elle ne mentionne pas les cursus scolaires des individus exerçant une activité professionnelle. L'auteur confirme que les amateurs de metal allemands s'engagent rapidement dans la vie active et qu'en outre, ils atteignent des hauts niveaux de qualifications : « Globalement, les résultats obtenus concernant la formation et les professions, démontrent clairement que l'idée selon laquelle les fans de heavy metal sont de jeunes ouvriers ou de jeunes chômeurs, n'est aucunement fondée10 » Je ne saurais mieux le dire, notamment à la lumière des éléments concernant les catégories socioprofessionnelles de mon échantillon.

Catégories socioprofessionnelles

Catégories socioprofessionnelles

Catégories socioprofessionnelles
  • 11 En pourcentage cela représente 10,1 %. Ce chiffre est légèrement supérieur au taux de chômage en Lo (...)
  • 12 Walser, R. 1993. op. cit., p. 3 et 16-17 ; Berger, H. M. 1999. Metal, rock and jazz. Perception and (...)
  • 13 Weinstein, D. 2000. op. cit., p. 113-117.
  • 14 Le psychologue américain Jeffrey Jensen Arnett estime quant à lui, que les amateurs de metal provie (...)
  • 15 Roccor, B. 2002. op. cit., p. 150.
  • 16 Berger, H. M. 1999. op. cit., p. 290.

8Du point de vue de leurs catégories socioprofessionnelles, il apparaît sans surprise que la plus importante d'entre elles est celle des élèves ou des étudiants. Un fait qu'il faut une fois encore mettre en rapport avec l'âge moyen de l'échantillon. Seuls 17 individus de l'échantillon sont au chômage11 tandis que les 96 autres occupent un emploi. Globalement, les individus insérés dans la vie active dominent l'échantillon. Dans ce cadre, la catégorie la plus représentée est celle des employés, suivie de celle des ouvriers, puis des professions intermédiaires, des cadres et des professions intellectuelles supérieures et pour finir, de celle des commerçants, artisans et chefs d'entreprises. Sans qu'elles soient étayées par des chiffres, les études nord-américaines présentent souvent les amateurs et les pratiquants metal comme appartenant à la catégorie des ouvriers (working class12, ou blue collar13), soit la classe populaire. Au vu de notre échantillon, il semblerait que la situation européenne soit nettement différente, puisque les amateurs de metal appartiennent manifestement plutôt aux classes moyennes et que par ailleurs, ils sont plutôt fortement diplômés. Ce que confirme par ailleurs la recherche menée par Bettina Roccor à propos des fans de metal allemands14 En effet, parmi les 35 individus de son échantillon exerçant une activité professionnelle, on compte une majorité d'artisans et de commerçants, alors que le nombre d'enseignants (6) est le double de celui des ouvriers15. Les analyses américaines selon lesquelles « la rage contenue dans le metal tire ses racines dans les frustrations de classe16 » sont donc plus difficiles à soutenir en Europe.

9Hormis les individus inscrits dans un cursus scolaire traditionnel et les demandeurs d'emploi, largement plus de la moitié des individus de notre échantillon exerce un emploi ou suit une formation sous une forme contractuelle. 49 d'entre eux sont salariés sur la base d'un contrat à durée indéterminée (CDI), avec de manière notable, une proéminence perceptible du fonctionnariat. Le travail intérimaire concerne 16 personnes de l'échantillon. Les individus bénéficiant de contrats en alternance (contrat de qualification, conventions de formation) sont au nombre de 13 (catégorie « autres »). La catégorie des contrats à durée déterminée (CDD) se constitue de 9 personnes, soit légèrement plus que les emplois jeunes qui sont au nombre de 7. Les individus bénéficiant de mesures d'insertion professionnelles de type CES/CEC ou relevant du régime de l'intermitttence du spectacle sont au nombre de deux. Il apparaît donc globalement que le taux d'insertion professionnelle est plutôt élevé.

Types de contrats de travail

Types de contrats de travail

10Si au sein de l'échantillon le nombre d'intermittents du spectacle se réduit à une seule personne, cela ne signifie nullement qu'aucun d'entre eux n'envisage d'intégrer ce régime. En effet, un tiers des personnes interrogées déclare envisager cette possibilité. Si on enregistre essentiellement ce projet auprès de la frange la plus indéterminée d'un point de vue professionnel (élèves et étudiants, demandeurs d'emploi, intérimaires, CDD, emplois jeunes), on le retrouve également dans la frange d'individus occupant un contrat à durée indéterminée.

Origines sociales

Origines sociales

Origines sociales

11Les catégories socioprofessionnelles parentales les plus représentées de notre échantillon sont celle des employés et des professions intermédiaires. Si l'on procède à une comparaison entre catégories socioprofessionnelles parents/enfants, on observe qu'en terme de pourcentages (voir tableau), hormis les catégories des ouvriers et des chômeurs, la présence des parents est partout supérieure à celle de leurs enfants. Par ailleurs, il est également possible d'établir un parallèle à propos de la forte proportion d'employés que l'on retrouve à la fois chez les parents et leurs enfants. Toutefois, au vu du jeune âge et de la part importante (plus de la moitié) de non insertion professionnelle des personnes interrogées, il reste difficile de dégager un rapport stable entre leur position sociale et celle de leurs parents.

  • 17 Les données nord-américaines restent très floues sur ce sujet. Les données allemandes sont, de l'av (...)

12Il est par contre plus pertinent de comparer les niveaux d'études. Il apparaît que les individus de notre échantillon sont très nettement plus diplômés que leurs parents. En effet, ces derniers ne sont que 7,9 % à être détenteurs d'un niveau bac +2 (contre 44,2 %). Ils sont par contre 42 % à ne pas avoir de diplôme supérieur au Bepc (contre 0,6 %). En outre, les enfants sont près de quatre fois plus nombreux à avoir effectué des études supérieures (61,2 %) que leurs parents (17 %). Si les niveaux d'études indiquent, a priori, un mouvement ascensionnel dans la sphère socioprofessionnelle, au final, rien ne permet d'affirmer catégoriquement ici, que les individus de l'échantillon sont soumis à des déterminants particuliers17.

3. Le développement d'un attachement

Rencontre avec le rock et le metal

13Plus de 80 % des parents des individus interrogés ont entre 41 et 60 ans. Plus du tiers des pères et plus de la moitié des mères ont entre 41 et 50 ans. Cette génération figure parmi celle qui avait entre vingt et trente ans lorsque hard rock et heavy metal sont apparus. Si la rencontre avec le rock s'effectue généralement avant 15 ans, cette enquête donne à voir qu'elle connaît ses points d'orgue avant ou au cours de la dixième année (46,7 %). L'influence parentale est à ce titre particulièrement prépondérante, bien avant la télé, la radio ou tout autre moyen. Les disques écoutés par les parents contribuent en conséquence à poser les bases d'un certain nombre de dispositions favorables à la réception musicale. Ils constituent ainsi des outils didactiques dont l'usage est intentionnel ou non.

Pour le rock, j'ai des parents qui écoutaient que ça. J'ai été élevé aux Beatles, Led Zeppelin et compagnie, forcément ça a aidé. Enfin, ça m'a forgé l'esprit si tu veux. Sinon, j'ai tous mes cousins, je suis le dernier de la famille et j'ai plein de cousins qui ont 25, 30 ans maintenant et qui écoutaient que du metal. C'est pareil j'étais forgé à ça, je m'y suis intéressé, je suis tombé dedans. C'était un peu un passage obligé. Voilà. [Nathan, 20 ans, étudiant, batteur dans un groupe death metal]

Quand j'étais tout jeune, en même temps que j'écoutais les conneries pour gamin, j'avais moins de dix ans, je piquais les 33 tours de mon père et y avait Pink Floyd, Kiss et surtout Alice Cooper. [Boris, 23 ans, étudiant, grand amateur de black metal et de metal industriel, « monte » un label et une distribution]

Mes parents ont toujours écouté du rock. C'est des grands fans de disques. Plus de classique maintenant, mais mon père c'est un grand fan de rock. Il mettait Led Zep, les Beatles, Abba. [Christian, 28 ans, enseignant, batteur dans un groupe death-thrash]

  • 18 Cette donnée est également vérifiée au sein des études américaines et allemande sur le metal.
  • 19 On voit ici, au travers des auteurs des propos cités, que Led Zeppelin n'est pas affilié au hard ro (...)
  • 20 « La figure du "grand frère" est omniprésente dans les récits des passionnés ». Le Bart, C. 2000. L (...)

14La découverte du metal est légèrement plus tardive puisqu'elle se situe entre 12 et 14 ans (34,5 %)18. Elle s'effectue moins par l'entremise de la discothèque parentale19 et provient d'une source générationnelle plus proche, puisque les grands frères20, beaux-frères, cousins et amis sont souvent mentionnés pour avoir initié cette rencontre.

Alors moi pour le hard on va dire, j'ai commencé par écouter du Scorpions. J'avais dix, onze ans. Par l'intermédiaire de mon beau-frère. Il a six ans de plus que moi, il a commencé à me passer des cassettes. [Michel, 23 ans, enseignant, guitariste et clavier dans un groupe de heavy metal traditionnel]

La personne qui m'a ouverte à ça c'est mon frère. Le groupe en question c'était Malmsteen. J’ai découvert ça, je devais avoir 8 ou 9 ans, mais je croyais que c'était le chanteur (rires). [Luc, 24 ans, étudiant, guitariste-chanteur dans un groupe de metal progressif]

J'avais un pote, un hollandais avec qui je faisais du skate et qui était à fond dans plein de styles de ziques. Il me passait des trucs. Je crois que la révélation ça a été quand j'ai eu Reign in blood de Slayer. Je devais avoir vers douze, treize ans. Ça m'a scotché. Qu'est-ce que c'est que ce truc et tout, puis plein de trucs, Metallica, toute la vague thrash, les premiers trucs de Death et à partir de là, j'étais foutu (rires). C'est vraiment ça. A la base c'est mes parents et après ce mec-là. [Christian, 28 ans, enseignant, batteur dans un groupe death-thrash]

15Issue de la sphère familiale ou non, l'influence des aînés reste un élément particulièrement déterminant dans la carrière d'un amateur de metal. Si elle s'exerce généralement sur la base d'une médiation entre un individu et une musique, les attitudes et les « looks » singuliers peuvent également jouer un rôle dans le processus de captation :

J'habitais un petit village, fallait prendre un bus pour aller au collège à cinq, six kilomètres. En fait, à l'arrêt de bus, les grands, les troisièmes écoutaient du hard. Je regardais un peu ces espèces de grands escogriffes avec leurs dossards Motley Crüe, je croyais que c'était des filles. On était le premier arrêt du bus, donc on montait et après on prenait les autres. Les grands forcément ils allaient au fond. Ils avaient le magnéto à cassette. Ils écoutaient Mötley, Twisted Sister et compagnie, puis nous on était les petits qu'allions voir. C'est venu un peu comme ça. Je viens d'un coin (les Vosges) où c'était assez répandu. Au collège à l'époque, y avait plein de dossards, plein de vestes patchées. C'est venu un peu comme ça. [Bertrand, 28 ans, enseignant, grand amateur de hard rock et de heavy metal]

16Des médias comme la radio et la télévision ont également eu un impact sur certains individus subitement mis en présence avec la musique metal :

A l'époque la radio, type Europe 1 ou RTL passait du rock. Vers 17, 18 heures. Le premier disque dur que j'ai découvert, c'était « Antisocial » de Trust, à la radio un dimanche matin, à Stop ou Encore. Trois jours plus tard, j'avais le disque et après, j'ai eu le premier, le troisième. J'ai basculé AC/DC, Scorpions, puis depuis j'ai pas arrêté. [Florent, 33 ans, fonctionnaire, guitariste d'un groupe de death gore]

Moi je crois que ça remonte à quand j'étais ado, vers treize, quatorze ans. Je voyais les premiers groupes rock à la télé. Des groupes comme AC/DC, Queen, Kiss. Les premiers clips vidéo qu'on voyait. Je trouvais que ça avait... même les Rolling Stones avaient une image forte. Voir des gens avec des guitares comme ça, c'était magique. [Bruno, 35 ans, travailleur social, guitariste dans plusieurs groupes de hard rock]

17Les objets metal eux-mêmes peuvent être source d'attraction intense :

Alors moi j'étais tout petit. Je me promenais avec mes parents dans une Fnac et j’ai vu une pochette d'Iron Maiden. J'étais déjà branché par les monstres et tout ça. Je vois cette pochette et j'hallucine. J'ai dis : « moi je veux ça ». Quand je l'ai mis sur ma platine, direct j'ai halluciné et là, ça a changé ma vie. Pour moi c’était un truc ultra violent. C'était un truc complètement différent de ce que j'avais l'habitude de voir tous les jours. [Olivier, 22 ans, cherche à relever du régime de l’intermittence, chanteur dans un groupe death-thrash, rédacteur d'un fanzine metal extrême]

  • 21 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. Figures de l'amateur. Formes, objets et pratiques de (...)
  • 22 Berger, H. M. 1999. op. cit., p. 59.

18Au final, la rencontre d'un individu avec une musique constitue une expérience dont l'issue va éventuellement conditionner un attachement à cette musique. Cette mise à l'épreuve du goût s'effectue selon des modalités multiples comme on vient de le voir. Elles s'appuient sur un ensemble de médiateurs ayant un « caractère global, mélangé et solidaire21 » tels que la musique, un groupe, un disque, une pochette de disque, la famille, les amis, les médias, les « looks », les discussions, etc. Il est par ailleurs intéressant de noter la progression de l'écoute chez les amateurs. Ils partent souvent du rock ou de formes de metal peu agressives avant de rechercher des genres et sous-genres de plus en plus radicaux, comme le note également Harris Berger au cours de la recherche qu'il a mené dans le nord-est de l'Ohio22.

  • 23 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 152-156.

19Nous venons de retracer quelques modalités sociales et historiques à l'origine d'un goût pour le metal en prenant soin de ne pas les réduire à un modèle d'explication unilatéral fondé sur la notion de surdéterminisme social ou de stratification sociale du goût tel qu'il est développé par la sociologie critique. Puisque les sources d'imprégnation sont manifestement multiples, il s'agit d'ouvrir la recherche à l'ensemble des choses qui déterminent un goût comme nous y incite le programme d'Antoine Hennion23. C'est pourquoi il est temps, maintenant, de s'intéresser aux effets produits par ce goût naissant.

Effets de la rencontre

  • 24 Le terme d'hapax est mobilisé par Michel Onfray dans plusieurs de ses ouvrages. Pour lui, « les hap (...)

20Si la rencontre d'un individu avec le metal peut s'effectuer selon des modalités multiples qu'il serait vain de vouloir hiérarchiser, c'est indéniablement avec la musique que cette rencontre produit ses effets les plus intenses. Non pas que la médiation d'une pochette de disque, les propos d'un parent ou l'attitude d'un grand frère n'aient leur importance – ils ont plutôt vocation à introduire, à mettre en condition, à faciliter – mais tout simplement parce que la musique contient potentiellement le pouvoir de produire un choc esthétique ou plus prosaïquement, un coup de foudre, à son auditeur. Un effet qu'exprime éloquemment la phrase suivante : « Quand je l'ai mis [le disque d'Iron Maiden] sur ma platine, direct j'ai halluciné et là, ça a changé ma vie. » On pénètre là dans le registre du choc, de la révélation et du basculement. Ce moment, véritable hapax existentiel24, touche directement le corps, le submerge, sans que les effets proprement physiques soient clairement descriptibles si l'on en juge les propos suivants :

Au niveau du corps ? Je sais pas... C'était énorme, terrible. Sur le moment, je savais plus ou j'étais. [Jérôme, 27 ans, étudiant, guitariste d'un groupe stoner]

Je peux pas l'expliquer physiquement, mais je me suis dit, c'est quoi ça ? J'ai aimé tout de suite. Le son de guitare. J'avais jamais entendu ça en fait. Et j'ai aimé ça tout de suite. Je comprends toujours pas pourquoi. Je crois qu'il faut pas chercher à comprendre pourquoi on aime ou pas la musique. La musique c'est de l'art, pas des maths. C'est ça. Même encore maintenant, j'adore ce type de son. Je peux pas considérer autre chose que ça. Non, c'est comme ça. [Florent, 33 ans, fonctionnaire, guitariste d'un groupe de death gore]

Ça m'avait vachement plu, mais je peux pas te l'expliquer avec des mots. J'en sais rien. Plein d'émotions, mais je pourrais pas te dire exactement. Y avait le côté ou ça pétait. C'était un peu violent, ça me plaisait bien. Mais pas violent bête et méchant. C'était différent. Même si « Still loving you » c'était un slow. Ça commençait mollo, mais à la fin, ça terminait par tu jettes la partenaire contre le mur (rire). En fait, ça m'a donné envie d'acheter l'album. Ça le faisait grave. [Bertrand, 28 ans, enseignant, grand amateur de hard rock et de heavy metal]

  • 25 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 188.
  • 26 Après tout, est-il possible de décrire précisément les effets produits par un orgasme sexuel ?
  • 27 Christian Le Bart, dans son ouvrage sur les fans des Beatles a également noté cette dimension se ma (...)
  • 28 Ces prémisses sont saisies non pas au moment du basculement, mais plutôt dans la pratique qui s'en (...)

21La difficulté qu'éprouvent les individus à décrire l'intimité des sensations corporelles ressenties lors de ces « bascules » tient à ce qu'elles relèvent « d'une expérience en partie intransmissible25 » et qu'à ce titre, les mots s'avèrent relativement inefficaces26. C'est ce qu'illustrent particulièrement les onomatopées (« ouch ! », « waouh ! »), les expirations profondes (« pffffff ! »), les silences (« ... »)27, les métaphores de la maltraitance (gifle, baffe, coup de poing, etc.) et autres gestes (mime de la submersion du corps par une vague), témoignant de l'intensité du ressenti corporel. Sans qu'il puisse clairement identifier la nature des effets sur la durée, un amateur est néanmoins parvenu à en isoler quelques prémisses28 :

C'est assez difficile de décrire ça dans la mesure ou c'est des sentiments... C'est même pas que c'est personnel, mais ça vient vraiment de l'intérieur. Je pense qu'il faudrait à la limite en parler quand ça se produit. Là de l'extérieur... Je commence à transpirer déjà. Je transpire facilement, puis j'ai la chair de poule, ça commence comme ça. [Jérôme, 27 ans, étudiant, guitariste d'un groupe stoner]

22Et plus loin, à propos de l'écoute récente de l'album Let us prey du groupe Electric Wizard, il déclare :

J'ai même pas pu l'écouter assis, il a fallu que je me couche par terre tellement c'était intense. [...] C'est vrai que cet album est tellement écrasant. C'est une pure folie. Ça m'a écrasé, on peut dire ça comme ça (rire). [...] Ça a fonctionné direct, ça m'a écrasé, j'ai dû me coucher, c'est bien le rare album, pour par dire le seul, qui ait eu cet effet là sur moi. [Jérôme, 27 ans, étudiant, guitariste d'un groupe stoner]

23A la faiblesse descriptive générale se substitue régulièrement la terminologie de la passion, fourre-tout commode et récurrent pour tenter de circonscrire les effets corporels induits par la musique :

Noé : Disons que c'est une passion. Une passion ça se traduit automatiquement par des effets dans la tête et on ressent physiquement...

Olivier : C'est une jouissance corporelle.

Noé : Une passion ça se manifeste forcément sur le corps et l'esprit. Ça se manifeste de cette façon-là. C'est une passion dont on fait notre vie en fait. [33 ans, intermittent du spectacle, guitariste d'un groupe de death-thrash]

  • 29 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 186-188.

Olivier : Possédés ! (rires) [22 ans, cherche à obtenir le régime d'intermittent, chanteur dans un groupe death-thrash, rédacteur d'un fanzine metal extrême] La force du choc esthétique tient en sa capacité à générer des sensations plaisantes, une jouissance corporelle comme l'indique Olivier. A tel point que l'auditeur cherche ensuite à les prolonger ou à en renouveler l'apparition. L'individu se positionne ainsi sous l'influence de cette force (« laisser arriver »/idée de la possession) en même temps qu'il tente de la contrôler (« faire arriver »), schéma qui selon Antoine Hennion est au « cœur d'une théorie de la passion29 ».

Modalités de l'attachement

  • 30 C'est ce qu'ont démontré les travaux de Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p.  (...)
  • 31 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 186.

24Une fois passé le choc de la rencontre décisive se crée un attachement passionnel à la musique dont les modalités sont multiples30. Entendre la passion comme passages entre « faire arriver / laisser arriver31 » nécessite de se pencher sur les effets que ces passages occasionnent ainsi que sur les méthodes employées pour les faire advenir. Les extraits d'entretiens qui suivent n'éclairent pas toujours quant aux effets corporels ressentis, mais donnent à voir plus précisément la place que peut occuper la musique chez un amateur de metal ainsi que les dispositifs mis en œuvre pour en retirer une jouissance :

Je me souviens en fait quand j'habitais en fait chez mes parents, dans ma chambre, je headbangais comme un fou. Je les imitais, je bougeais les doigts, je me mettais à la place des gratteux, des batteurs aussi, j'étais le Rémy Bricka du metal (rire). J'alternais tous les instruments. Et dans le rythme s'il vous plaît (rires). J'ai toujours vécu ça pleinement, un déluge d'idées comme ça, d'émotions. Ça venait de tous les côtés. D'un autre côté, je m'isolais pas mal du reste. Je vivais que pour ça. D'ailleurs je continue de vivre que pour ça. Je suis un peu plus modéré, je fais plus la part des choses, mais à l'époque, j’étais vraiment exclusif. Vraiment. [Jérôme, 27 ans, étudiant, guitariste d'un groupe stoner]

25Cet exemple illustre une constante que l'on retrouve fréquemment chez le jeune amateur de metal. C'est dans l'isolement de sa chambre, muni d'instruments virtuels, que s'expriment les premières formes de sa passion. Et c'est dans ce cadre, à force de la travailler, qu'elle peut éventuellement se solidifier, puis évoluer selon des proportions variables :

Tu sais que le solo là des fois, je l'écoute vingt fois de suite mais à fond. Je me mets même contre les enceintes, tu vois. Je ne sais pas, c'est... Je ne sais pas, le groupe là me procure des sensations. Je ne peux pas l'expliquer. C'est comme ça. [...] Tu sais, en première année d'anglais, au partiel de juin, je dis à mes parents : « Bon y'en a marre, avec la musique je n'y arriverais pas ». Donc, le poste, je l'ai ramené chez mes parents, une semaine avant. Genre, six heures du matin à minuit, que révisions, que ça, quoi. Et, quand mon père la veille est venu me ramener des affaires, il m'a dit : « Ouais, tu ne tiendras pas ». Il savait comment j'étais. Et toute la semaine où je n'ai pas eu le poste, je pensais qu'à une seule chose c'était d'écouter une chanson de Carcass. Que j'ai mis... La chanson de Carcass, comme je dis à mon père : « Même si Miss Monde vient à poil devant moi, je lui dirais casse-toi, il faut que j'écoute du Carcass ». Non, mais c'est vraiment... Là, t'as vraiment des sensations corporelles. Quand tu dis : « wouah, c'est trop bien ». [Abel, 26 ans, éditeur d'un fanzine grind, death metal]

  • 32 C'est une comparaison de ce type que l'on retrouve chez Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 200 (...)

26On saisit dans ces propos tout la démesure que peuvent revêtir certaines formes d'attachement. Dans le cas présent, la puissance de la musique, accentuée par une brève période de sevrage exerce une telle emprise sur le corps du protagoniste qui la réclame, que la comparaison avec l'addiction toxicomaniaque n'est probablement pas injustifiée32. L'urgence de la situation de manque rend le « faire arriver » d'autant plus impérieux. Seule l'irruption d'une musique précise semble être en mesure d'atténuer la tension accumulée. Toutefois, à l'inverse, l'attachement peut également s'exprimer de manière nettement moins radicale comme l'illustre l'échange suivant :

Tu peux m'expliquer comment tu te mets en condition pour bien écouter un disque ?

Par exemple, le dernier Ulver que j'ai acheté, au mois d'août 2001. Un album plus dans la veine ambiant au bout du compte. Pour bien en profiter, je le mets de nuit, tard le soir, deux heures du matin, j'ouvrais la fenêtre pour avoir un peu les bruits extérieurs et je mettais l'album assez bas, complètement dans le noir. Ce qui est encore mieux pour cet album là c'est au casque, parce que là on est complètement à l'intérieur de la chose. Pour les albums en général, pour bien en profiter, j'ai de bons amis qui comprennent la musique comme moi, qui ont vraiment envie de bien en profiter, faut être tout seul. Moi en tout cas, faut que je sois tout seul. Vraiment posé en face et ne rien faire d'autre.

T'as des rituels ?

Ça va pas jusqu'au rituel parce j'ai pas de choses à faire strictement avant, que tout soit dans une certaine place. Mais je considère que j'ai vraiment écouté l'album quand je l'ai écouté d'un bout à l'autre, tout seul, assis en face de la chaîne.

C'est la mise en condition minimale ?

C'est la condition sine qua non pour l'écouter vraiment idéalement. Pour l'avoir entendu d'un bout à l'autre, avoir repéré tous les passages. Y a des choses qui sont pas systématiques. Certaines fois je lis les paroles en même temps que la musique défile. Des fois non. Des fois je commence et j'arrête. C’est comme je le sens. C'est pas lié à un groupe, c'est comme ça vient.

Mais tout à l'heure quand tu parlais des bruits extérieurs, c'est pour quoi ? C'est pour donner un caractère plus urbain à ton écoute ?

Non. Je sais pas trop en fait. Ça donne un à côté de la musique. On entend la musique, mais au fond y a des bruits extérieurs. C'est vraiment la dichotomie : l'extérieur alors que moi je suis quelque part à l'intérieur de la musique. Avec le casque encore plus, mais y a pas la barrière qui s'est établie.

Tu peux expliquer un peu comment t'es à l'intérieur de la musique ?

[silence] Difficilement. C'est comme on peut être à l'intérieur d'un livre. Quand on lit un livre, quand on est pris dedans, l'expression être pris dedans, c'est être à l'intérieur. T'entends plus trop ce qui se passe. Tu fais pas attention. La musique c'est la même chose, t'es à l'intérieur de la musique. Tu penses à rien d'autre. T'as presque une immobilité face à ça. T'es vraiment face à la chose et point, y a rien d'autre.

T'es captif ?

Ouais, captif. Essayer de se mettre en condition, je veux pas dire pour être captif du truc, mais c'est vraiment le terme capter, essayer de prendre tout ce qu'il y a dedans.

Y a des fois où ça fonctionne pas ?

Oui, pour plusieurs raisons. Des fois ça peut être parce que ça me plait pas tant que ça. C'est trop riche. Je vais pas tout capter. Y a des albums qui ont besoin d'un certain nombre d'écoutes pour pouvoir tout comprendre, ou pour pouvoir bien l'apprécier. Y a des choses qui sont plus immédiates et d'autres demandent un certain temps.

Tu peux me dire quel effet un bon disque produit sur toi ?

Quand j'écoute le truc, je fais « pffff », tu vois, ça va être le truc qui va vraiment me souffler. Parce qu'autrement ça va être des trucs plus jouissifs où là je vais m'exciter. Une fois que l'écoute sera finie, j'aurais du mal à tenir en place. Pendant l'écoute, je me prends des baffes. Une fois que c'est terminé je tiens plus en place. Des trucs plus mélancoliques, ça me rend pas triste du tout, mais là par contre, ce sera le contraire, je resterai complètement immobile, je resterai en place. Ça dépend vraiment de l'album. Quand je l'écoute je bouge pas. C'est une fois que c'est terminé, je vais avoir la réaction soit d'être excité, soit d'être... pas abattu, pas du tout, je suis jamais triste, je suis heureux même, même si c'est le truc le plus dépressif qui soit, si je trouve ça super chouette, je vais être content de connaître le truc, content que ça existe. Autrement, pendant l'écoute, au niveau physique, je sais pas trop. En fait, je suis en standby. J'écoute, je fais pas trop gaffe, je suis à l'intérieur du truc, je sais pas du tout comment est mon corps. Je suis en standby un peu. C'est vraiment les oreilles, la tête. C'est une fois terminé que là [il souffle] je lâche le truc dans un sens ou dans l'autre. [Boris, 23 ans, grand amateur de black metal et de metal industriel, collection de disques imposante]

  • 33 Ils recoupent également les différentes modalités de la passion explorées par Hennion, A., Maisonne (...)
  • 34 Selon une expression d'Antoine Hennion.
  • 35 Pour d'autres les rituels sont quasi immuables : « Quand j'arrive ici, je regarde le CD et tout, je (...)

27Ces propos, particulièrement exemplaires, synthétisent de manière quasi exhaustive l'ensemble des points de vue recueillis au cours de l'enquête33. Les modalités de la passion exprimées ici donnent à voir en quoi consiste l'orchestration d'un type de « cérémonie du plaisir34 ». Le « faire arriver » repose très clairement sur une maîtrise technique du temps (la nuit, ne rien faire d'autre), de l'espace (fenêtre ouverte), de l'équipement technique (le casque audio) et du corps (solitaire, faire face à la chaîne hi-fi), sans négliger la part d'aléatoire que peut revêtir ce type d'organisation (lecture des paroles). « C'est comme ça vient » dit-il35.

  • 36 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 190.

28Une fois ce dispositif mis en place, le « laisser arriver » ne se résume pas à un simple effet de bascule entre actif et passif. Encore faut-il s'immerger dans la musique, se laisser prendre. La fenêtre ouverte, laissant échapper le bruit de la ville, marque la volonté d'établir une frontière entre l'amateur et sa musique et le reste du monde. Comme pour délimiter un territoire, se rappeler que l'autre existe, mais qu'on le tient à distance, pour mieux l'oublier. L'emploi du casque audio anéantit cette séparation et renforce d'autant la sensation d'intériorité uniquement partagée avec la musique qui devient alors matrice (« je suis quelque part à l'intérieur de la musique »). Mais notre protagoniste n'est pas seulement captif (passif) de ce contenant. Il cherche à en capter le contenu (actif). Ce travail de captation simultané donne à penser qu'un mouvement à double sens est à l'œuvre au sein du « laisser arriver ». Il s'effectue donc en quelque sorte un rééquilibrage des pouvoirs (de la musique sur l'individu et de l'individu sur la musique) qui consiste en un effort de compréhension de l'œuvre visant à une élaboration analytique sur la base d'éléments de comparaison par exemple. Ce qui n'oblitère en rien l'afflux d'émotions, souvent intenses, mais toujours aussi difficiles à mettre en mots. Les propos cités font état d'un corps en suspension qui s'abandonne au point de s'oublier presque en totalité. Les zones corporelles toujours en fonction se réduisent ainsi aux oreilles et à la tête. Dans cet exemple, la perte de contrôle n'est donc jamais que partielle et évolue dans « l'articulation étrange que le plaisir musical trouve, dans le jeu entre le corps et l'esprit36 ».

29La musique engendre des comportements passionnels quelquefois surprenants. Alors qu'elle consiste en un agencement complexe de sons produits par plusieurs sources instrumentales, certains auditeurs semblent percevoir la cohérence de sa totalité mais s'attachent de manière exclusive à l'expressivité d'un instrument particulier comme l'illustrent les propos ci-dessous :

C'était affolant quoi. J'écoutais le truc, tu vois comment ça commence « Legion of death ». Je pensais que c'était une guitare le cri [il l'imite], puis après la voix grave [il l'imite]. Mais c'est une voix ! J'adorais surtout en fait la batterie rapide. Un an plus tard, j’écoutais Metallica et je me demandais ce qu'il faisait à la guitare. J'ai découvert un an plus tard qu'il y avait des solos dans Metallica. J’ai jamais fait attention. Ça faisait un an que j'écoutais les cassettes. Tout ça pour dire à quel point j’étais que fixé sur la batterie. Et je jouais pas encore à ce moment-là. C'était inconscient. Au début t'as un gros amas de truc et tu réfléchis pas. C'était trop marrant. Au bout d'un an je me suis dit que ça faisait un an que j'écoutais ce truc et que je découvre qu'y a un mec qui fait des mélodies par-dessus (rire), tu te sens tout con. [Christian, 28 ans, batteur dans un groupe death-thrash]

  • 37 Le Bart, C. 2000. op. cit., p. 41.

30Cet état, particulièrement frappant et révélateur marque l'intérêt singulier que peut éprouver un individu pour un instrument et un rythme qu'il parvient manifestement à saisir non intentionnellement et de manière isolée à l'intérieur d'un ensemble musical pourtant indissociable. Cette occultation, fruit d'une déconstruction inconsciente, marque que la prise peut s'effectuer bien au-delà de la musique en tant qu'une communauté de sonorités élaborées. En effet, l'exemple atteste que certaines sonorités instrumentales (en l'occurrence la batterie), situées au cœur d'un contexte musical (le groupe), semblent également dotées d'un pouvoir d'attraction, qui eux-mêmes vont conduire vers de nouveaux « chemins de la passion37 ».

Nous venons de nous pencher sur quelques modalités de l'attachement à la musique selon un rapport extrêmement direct avec elle. Loin d'épuiser l'ensemble de ces modalités, il reste maintenant à en explorer les autres aspects, qui souvent en découlent.

Consommation de disques et de concerts

Les disques

31Parmi tous les médiateurs de la passion cités au cours de l'enquête, c'est l'objet disque qui l'est le plus fréquemment. Puisqu'il est désormais possible d'en répéter l'utilisation pour en retirer des plaisirs sans cesse renouvelés, il est totalement indissociable de la passion pour le metal. Rien d'étonnant donc à ce que la fièvre discophilique s'empare des amateurs sitôt que le coup de foudre les frappe :

Ça m'a tellement plu que c’est devenu une folie. Moi avant quand j'étais jeune c'était le foot, le foot. Et quand j'ai découvert ça, le rock, je crois que tous les sous que j'avais je les ai investis dans les vinyles. [Bruno, 35 ans, travailleur social, guitariste dans plusieurs groupes de hard rock]

  • 38 Par consommation il ne faut pas nécessairement entendre acte d'achat. Beaucoup d'amateurs, trop jeu (...)

32Le déclenchement de la passion est intimement lié à un groupe particulièrement marquant qui amorce la discophilie naissante. AC/DC, Iron Maiden, Scorpions, Metallica, Guns n'Roses et Sepultura en constituent les figures emblématiques et récurrentes. Soit un ensemble de groupes dont la discographie marque incontestablement l'histoire du metal et dont la renommée les rend totalement incontournables pour qui entreprend de se familiariser avec le milieu. Gageons que Korn et Slipknot feront à leur tour partie de cet ensemble à l'avenir. Quoiqu'il en soit, c'est souvent une réelle frénésie consommatoire38 qui s'empare des amateurs de metal :

Les disques j'en ai toujours acheté plein. Mon premier disque j'avais six ans, mais à l'époque j'en achetais pas beaucoup. Une fois que j'étais à Paris, vers treize, quatorze ans, j'en achetais plusieurs par mois, cinq, six, sept. J'allais au Virgin, les vinyles étaient à 60 balles, j'en achetais plein. Tous les disques de chez Earache. C'était marqué Earache, c'est bien (rires), j'achetais tout. Après y a eu une grosse période de folie au CM [abréviation pour Centre Musical et Créatif de Nancy]. J'achetais carrément vingt disques par mois. J'en ai carrément tellement que je sais plus où les foutre. Maintenant on me les donne c'est cool (rire). Mais j'en achète toujours beaucoup. Moi je grave pas, je suis contre ça. Quand j'aime bien j’achète. Ou alors je copie sur cassette si j'aime moyen et si ensuite j'adore, j'achète quand même. Je trouve ça essentiel de soutenir les artistes. Tout ma thune elle passe là-dedans. Les concerts et les disques. [Christian, 28 ans, batteur dans un groupe death-thrash]

Vers 14, 15 ans, les premiers concerts. A l'époque on se prenait tous pour Angus Young. Qui n'a pas pris une guitare en carton, ou pensé à ça ? On en est loin, mais par là on se fait plaisir, c'est l'essentiel. Par contre, à une époque, c'est vrai que tout mon argent de poche passait là-dedans. J’avais pas grand-chose comme argent de poche, mais dès que j'avais un peu d'argent à Noël, etc., je m'achetais des disques. A l'époque, j'ai eu même la fâcheuse tendance d'acheter dès que j'en avais envie. Dans ce que j'ai comme disques, j'ai un paquet de merdes. Notamment mes 33 tours. Dès que le CD est arrivé, j'ai racheté beaucoup de trucs que j'avais déjà. Notamment tout ce qui est Maiden, ce genre de trucs. [Florent, 33 ans, fonctionnaire, guitariste d'un groupe de death gore]

J'arrive à plus de 900 albums maintenant. Je lis la presse spécialisée à fond la caisse. Sur le moindre groupe, les trucs qui sortent, j'essaie d'avoir. Quand ça m'intéresse, je me casse le cul. Comme Clutch, j'ai mis cinq ans, mais j'ai eu l'album (rires). Je lâche jamais le morceau. [...] Mon budget CD ça me fait déjà mal la ganache tous les mois. Ça me fait 1 000 balles en moyenne. Sur un emploi jeune... Les mois où je m'en sors c'est les mois où j'achète pas trop de CD, où j'en achète quatre, cinq. [Hervé, 29 ans, guitariste, sans groupe à l'heure actuelle]

Mais, même là, j'ai pas mal de problèmes de thunes pour l'appart, pas mal de trucs à acheter. Et ben, les trois derniers mois, je n'ai rien commandé. J'ai fait que d'écouter mes vieux trucs. Mais toujours à fond dedans, c'est comme si c'était la première fois que je les avais. Et là maintenant, je me suis fait plaisir. Genre, vingt et un CD en deux jours, commandés. [...] Tu te rends compte en prenant de la maturité que t'as beaucoup de choses dont tu dépends et que t'es obligé de payer, t'as pas le choix. Alors, tu te dis que la musique c'est toujours le truc qui passe en premier, mais bon t'es plus patient. Quand t'es chez tes parents tu t'en fous. Là, c'est pareil, je suis obligé de mettre des thunes de côté pour un appart. Plus grand. Ca ne m'empêche pas de commander des CD. Tout en restant... dans les limites. Mais, je sais que toute ma vie, quelle que soit la situation, ce sera toujours la zique. Et même si j'ai plus de thunes. Je ne peux pas m'en passer... Je ne sais pas Carcass, ça va faire des milliers de fois que je les ai écouté et je les écoute encore tous les jours. Pas parce que je dois les écouter mais parce que j'ai envie de les écouter. [Abel, 26 ans, éditeur d'un fanzine grind, death metal]

33Comme l'illustrent ces quelques exemples, la passion pour le metal peut rapidement s'avérer être très exigeante dans le sens ou les individus y consacrent quelquefois l'essentiel de leurs ressources financières. Cette passion se vit alors sur un mode très exclusif au point de devenir une monomanie très ritualisée quelquefois :

Maintenant que j'ai un métier, je peux acheter beaucoup de disques. C'est vrai que je mets beaucoup de fric dedans.

34T'as une estimation ?

Non, j'en sais rien. J'ai 1 300, 1 400 disques. J'en suis à 60, 70 concerts par an. Pas que du metal. Ça fait un paquet de pognon. Les disques ça va vite. J'achète deux, trois disques par mois, mais je rachète plein de vieilleries aussi. J'en sais rien par an. J'étais à la bourse aux disques j'en ai pris une dizaine, boum, t’en a dix sur les bras. Je regarde les prix, mais c'est sûr, je cherche les nouveautés. J'ai une liste de nouveautés dans le portefeuille, j'ai une liste de vieux trucs que je cherche.

Tu te balades toujours avec ?

Ouais. Des trucs que je cherche absolument.

La dernière fois qu'on s'est vus tu me parlais de ton circuit du mercredi aprèsmidi auprès des magasins de disques.

C'est géographiquement organisé. Ça fait Fnac, Hall du livre. Après je pars à Parenthèse, Electric Ladyland, après je reviens par CD Occases. J'essaie de faire ça au moins une fois par semaine.

Une fois par semaine, c'est comme un rituel ?

Ouais, c'est vrai. Quand je vais me promener en ville c'est ça. Pas me promener. Quand j'avais une copine, on se retrouvait plus tard. Ça la faisait chier. Alors en fait, là je suis pas trop chiant. Lorsque je le fais une fois par semaine, ça va vite. Tu vois ce qui a changé d'une semaine à l'autre. Mais si tu débarques dans une nouvelle ville, ça peut être très pénible si tu viens avec moi et que t'en as rien à foutre. « Bon, ben tu vas à la Fnac, t'en as pour combien de temps ? ». « Ben je sais pas, si le rayon est bien achalandé ou pas, je peux pas te dire ». Encore la Fnac, ça va encore parce que c'est jamais très bien achalandé, mais un disquaire indépendant avec des trucs que tu trouves pas chez toi, t'as vite fait d'y passer des heures. Quand je vais au Bang Your Head ou au Wacken [festivals], tu calcules. Bon de telle heure à telle heure c'est un groupe pénible qui m'intéresse pas, allez, j'ai deux, trois heures, je vais à la foire aux disques. J'y vais souvent tôt le matin aussi, s'il y a des groupes qui m'intéressent pas, si j'arrive à me lever. Si tu veux bien chercher, ça met hyper longtemps. Et encore, je fais que le CD, pas le vinyle. Parce que si tu fais le vinyle, tu trouves des trésors terribles. La dernière fois qu'on a fait une foire à Strasbourg, j'ai quitté le boulot à 11 heures 30, je récupérai le pote à midi et quelque, on est arrivé à Strasbourg à une heure. On est parti à six heures, ça fermait. Moi j'ai tout fait tout juste, mais vraiment en courant. Lui qui fait aussi du vinyle, il a fait à peine la moitié de la foire. On compte pas. Ça fait plaisir en fait de chercher. Y a des trucs sur Internet, mais ça m'intéresse moyen. Ça me fait un peu peur le côté payer par la carte. Je sais pas, tu sais jamais. C'est vrai que j'aime bien fouiller dans un bac. Moi j'aime bien.

T'espères quoi alors ? Trouver le disque auquel tu penses pas ou que tu cherches ?

Y a les deux. Y a le côté le truc que tu cherches depuis longtemps et que t'as pas trouvé et le truc « oh tiens ! », je le cherchais pas spécialement, mais il est pas cher, en bon état, je vais le prendre, tu vois. Ou t'as entendu parler dans la presse. Ça t'intéresse pas spécialement, mais tu le trouves à huit, neuf euros. Ils en disent tellement de bien, pour ce prix là on va tester. C'est variable. [...] Je suis pas collectionneur comme les gars qui collectionnent les vinyles. Je parlais avec un gars, il a acheté les premiers pressages de Thin Lizzy, il avait les autres pressages, il achète les mêmes albums avec des pressages différents, pas le même sticker collé dessus. J'en suis pas là. J'achète que des albums. Je suis pas comme les vrais qui achètent tous les maxis avec juste un titre. Ça m'intéresse pas. Par contre, côté album, j'ai un côté, c'est vrai, collectionneur. L'édition limitée au départ. Si je peux trouver l'édition limitée avec un bonus, ou en digipack, ou avec un bouquin. Oui, oui, je cherche ces trucs là. Y a ça. Le côté je prête pas, c'est un côté hyper maniaque. Ben j'y tiens. Pour moi c'est des trucs précieux en fait. Donc ça m'insupporte quand on remet mal le livret d'un CD et qu'après il est déformé. Y a plein de livrets noirs en espèce de je sais pas quel papier et après quand tu mets les doigts dessus, t'as les marques des doigts. Ça m'insupporte. Voilà, y a plein de trucs comme ça. C'est plus le côté maniaque. Mais maniaque parce que j'y tiens. C'est important pour moi. J'ai vachement de mal à les prêter. J'ai un pote qui m'a raconté qu'il a un copain... C'est marrant que j'y ai pas pensé parce que je suis presque maniaque à ce point là. En fait, les CD, quand tu les alignes, ils se rayent. Lui il met des bouts de carton entre chaque CD. Pour pas qu'ils se touchent, pour pas qu'ils soient rayés. Je l'ai pas fait, j'y ai pas pensé. Je pense que je le ferais pas parce que... mais je trouve l'idée vachement bien, parce que ça m'insupporte quand ils sont un peu rayés.

Même le boîtier plastique qui se change pourtant ?

Oui le plastique se change, mais après, tu mets plein de thunes dedans. Sauf si je gagne au Loto, ça me choquerait pas. Mais j'ai le côté, j'aime qu'ils soient nana, nana. Quand je vais à Electric Ladyland [disquaire d'occasion], j'ai racheté plein de Ratt. C'était encore à l'époque du franc. 59 francs. Les CD étaient corrects, les livrets corrects, les boîtiers, une honte. Je dis : « je te prends le lot, mais tu me changes tous les boîtiers ». Là ça me va. Sinon, je peux pas. J'y tiens à ces trucs-là. Y a combien d'albums que j’ai voulus, que j'ai pas achetés parce qu'ils étaient pas en bon état. Je comprends les gars en vinyle, mais je suis maniaque aussi sur le CD. Ça s'explique pas. Je suis assez maniaque dans ma vie. Voilà. Pour moi c'est des trucs précieux. Tu fous plein de thunes dedans. [...]

Dans la recherche, qu'est-ce qui t'intéresse alors ? Le fait de chercher ou le fait de trouver ?

Les deux. Ouais, ouais. Ça dépend des jours. C'est rigolo. Quand t'es dans un festival. T'es en plein Bang Your Head. T'as deux heures sous la tente, tu rentres et y en a partout... moi je suis limite tremblant. Et en même temps, j'ai pas le temps de tout faire. Si une heure après, j'ai Motörhead qui passe, je vais pas louper Motörhead. J’essaie de trouver un créneau ou c'est des groupes qui m'intéressent pas. T'as un côté excitation parce que tu veux trouver. Tu cherches, tu veux que ça aille vite, c'est vrai qu’en cherchant des disques, y a des grandes montées d'adrénaline. Ouais. Tu veux pas passer à côté et en même temps faut que ça aille vite. Quand y a un gros devant toi qui avance pas, ça t'énerve (rires). En même temps, tu te dis que tu peux pas laisser la petite rangée là, y a peut-être le truc que je cherche depuis deux ans. Je suis assez mauvais chez un disquaire. [Il hausse la voix] PARDON ! ! ! (rires). C'est assez bizarre. J'aime chercher. Ça dépend, par exemple quand je vais visiter une ville, que j'ai pas de temps imparti, c'est le bonheur. Je prends l'annuaire, je cherche le nom des disquaires, je téléphone, « bonjour, vous vendez quel style ? ». Puis après je coche, je prends le plan de la ville. Voilà comment je visite une ville. [Bertrand, 28 ans, enseignant, grand amateur de hard rock et de heavy metal]

  • 39 Dans le même esprit que précédemment, un autre amateur interrogé déclare la chose suivante : « Je s (...)

35On voit ici à l'œuvre la gamme de sensations procurées par un amour nourri pour la musique. Soulagement procuré par les rentrées d'argent tirées d'une activité professionnelle permettant d'assouvir sa discophilie. Production de listes de disques recherchés. Rationalisation du temps, des recherches et des déplacements, avec l'éventualité d'un certain nombre de retentissements négatifs dans la vie de couple. Haut degré d'excitation lors de la recherche. Mobilisation d'instruments de mesure. Echelle de valeur attribuée aux objets sur la base de catégories préalablement définies. Développement d'une expertise. Jouissance de la découverte et de la prise de possession de l'objet. Systématisation des recherches. Inquiétude quant aux pièces de la collection constituée. Réflexions et mesures visant à leur préservation. Dérive hypomaniaque39. A quelques différences près, la démarche entreprise est peu ou prou comparable à celle d'un chercheur ou d'un conservateur de musée.

36Se pose alors la question de la nature des critères mobilisés par les amateurs pour leur permettre de mesurer l'efficacité d'un disque. Ils combinent généralement quatre types de critères touchant à la fois à la musique elle-même et à l'objet disque. Les trois premiers sont d'ordre technique (qualité du son et maîtrise instrumentale), esthétique (beauté de la pochette, originalité musicale, homogénéité de l'ensemble) et éthique (intégrité artistique). Le quatrième touche directement au corps de l'amateur à travers les effets procurés par la globalité du disque (immédiateté de l'effet, affleurement des émotions, fusion corporelle, transsubstantiation, soumission à l'empire de la musique) :

Ha ! C'est dur. C'est assez aléatoire. Je dirais qu'il faut qu'il me prenne par les tripes. [...] Un bon disque, je pense que ce qui est ultra essentiel, c'est l'émotion, être transporté, que ce soit dans n'importe quel style, qu'y ait la passion et qu'y ait de la personnalité. Moi je peux écouter des trucs avec un son ignoble, mais si ça a une super personnalité, si c'est vraiment voulu et que ça colle dans le style, j'adore. [Christian, 28 ans, batteur dans un groupe death-thrash]

Faut d'abord de l'originalité. Un truc qui accroche à la première écoute. Tu mets le disque et tu tends l'oreille à la première écoute. Le premier Machine Head, c'était une bombe. Je dirais qu'ils ont réinventé le style. Un son nouveau aussi. Je l'écoute encore maintenant. Je suis pas mal nostalgique. [Fabrice, 25 ans, étudiant, batteur d'un groupe rap metal]

Oh, y a tout à la fois. La musique déjà. La pochette. Tout. C'est difficile de définir un bon disque. Moi je suis un peu nostalgique des 33 tours. Ce que tu peux exprimer sur une pochette de 33 tours, sur un CD c'est plus difficile. Mais je crois que le disque est bon quand tu ressens l'honnêteté du groupe. [...] Je pense que t'iras plus facilement vers ce genre de groupes parce qu'ils l'ont fait avec leurs tripes, qu'ils sont pas opportunistes. [Florent, 33 ans, fonctionnaire, guitariste d'un groupe de death gore]

Généralement, les albums que je préfère, les bombes pour moi, c'est le truc ou j'écoute une chanson et je tombe sur le cul. J'accroche. Les riffs tout de suite ça m'accroche, la puissance et tout. Déjà un bon disque c'est quelque chose qui est carré et qui a un bon son. Les trucs pas carrés avec un son zéro, j'ai du mal quand même. Je suis pas trop esprit punk, grindcore, son zéro, à l'arrache, ça me plait pas. Bon, maintenant, faut qu'il y ait un feeling. Faut vraiment que j'accroche. Point. [Nathan, 20 ans, amateur de death metal]

[Il faut] déjà qu'un disque soit homogène. Qu'y ait aucun point faible dans le disque. A savoir qu'y ait pas seulement trois chansons de bonnes et que le reste soit du remplissage. Je déteste ça. Malheureusement, y a beaucoup de groupes comme ça. Si toutes les chansons te captivent du début jusqu'à la fin, c’est un bon disque. [Michel, 23 ans, guitariste et clavier dans un groupe de heavy metal traditionnel]

Le bon disque, c'est vrai qu'on est séduit à la base par la pochette et tout ça. Le summum pour moi ça a été Anathema. Dans cinquante ans je sortirai encore ça (rires). Ça a été le bouleversement de ma vie. C’est vrai que pour moi le bon disque c'est Anathema dans ce qu'ils faisaient précédemment. C'est vrai que ça joue vraiment sur les émotions. A partir du moment ou le disque a réussi à tabler sur les émotions. Voilà. Mais les émotions, la sensibilité tout ça. Sensibilité. [...] L'album qui fonctionne vraiment, je pense que c'est l'album qui va toucher. Emotions, sensibilité tout ça. C'est par rapport à ça qu'Anathema, y a pas seulement le côté musical. Y a vraiment un esprit, les cheveux tout ça. Hier on était encore au Gimmix [disquaire]. A chaque fois, je retombe sur les disques que j'ai (rire) et je les contemple dans le magasin. A chaque fois, ça me fait vibrer quelque chose de terrible. Là c'est plus la musique. C'est la pochette, c'est tout. C’est l'esprit quoi. Je sens même Anathema au bout des doigts quand je touche le CD. Je te jure c'est la folie. C’est l'album de ma vie. Enfin, c'est LE groupe de ma vie. [Jérôme, 27 ans, étudiant, guitariste d'un groupe stoner]

Données chiffrées

37Le nombre de disques (originaux) possédés ou le budget que l'on y consacre sont deux instruments de mesure particulièrement efficaces pour évaluer l'attachement d'un amateur de metal à cette musique. Leur nombre a souvent été avancé au cours des entretiens menés avant même que la question ne soit posée. Il est également fréquemment mobilisé au cours des conversations entre spécialistes. On peut donc supposer qu'il constitue une manière de se définir identitairement en même temps qu'il renseigne sur le niveau de compétences de l'amateur.

Nombre de disques possédés

Nombre de disques possédés
  • 40 C'est dans cette moyenne que se situent les dépenses des amateurs allemands interrogés par Roccor, (...)
  • 41 Donnat, O. 1998. Les pratiques culturelles des Français. Enquête 1997. Paris : Ministère de la Cult (...)

38Un tiers des individus de l'échantillon déclare posséder entre 100 et 200 disques. Près d'un autre tiers en possède un nombre compris entre 201 et 500 disques. Le premier tiers y consacre un budget mensuel inférieur à 30 € (200 francs), tandis que le second tiers y consacre jusqu'à 60 € (400 francs) par mois40. Le troisième tiers se divise quant à lui entre les possesseurs de moins de 100 disques (25,6 %) y consacrant majoritairement un budget mensuel inférieur à 30 € et les possesseurs de plus de 500 disques (10,6 %) y consacrant un budget mensuel supérieur 60 €. Si on se réfère aux travaux d'Olivier Donnat41 qui montrent une diminution de la possession de disques au-delà de 50 exemplaires, on peut en déduire que notre échantillon se compose plutôt de gros consommateurs. La dépense de 131 personnes en mesure d'évaluer leur budget disques moyen s'élève ainsi mensuellement à 4 810 € (31 500 francs), soit 57 720 € (378 066 francs) à l'année. Rapportés au niveau individuel, ces chiffres représentent 37 € (240 francs) par mois et 444 € (2 900 francs) à l'année.

Les concerts

39Les quelques extraits d'entretiens cités plus haut rappellent la relation étroite existant entre la consommation de disques et la fréquentation de concerts qui sont eux aussi des médiateurs importants pour ce qui concerne le rapport au metal. Pour l'essentiel, les effets produits par une prestation scénique peuvent être sensiblement équivalents à ceux produits par un disque :

A un concert vraiment exceptionnel, je pense à plus rien d'autre, dans le sens ou j'ai occulté que je suis à tel endroit, qu'on est tel jour. Un concert qui est bien sans plus, je sais que je suis en train de regarder un concert à telle date en tel endroit, avec telle personne. Je me fais des réflexions. Quand c'est quelque chose qui me touche et qui est énorme, en fait je pense à rien. Un peu en standby aussi, la même chose que sur un album. [Boris, 23 ans, grand amateur de black metal et de metal industriel, collection de disques imposante]

A partir du moment ou je réfléchis plus, je pense plus à rien, à la limite, je me vois à la place des gars, quand on est pris dedans, ça c'est un bon concert. [Jérôme, 27 ans, étudiant, guitariste d'un groupe stoner]

40On perçoit bien à travers ces propos l'idée d'un abandon total à la musique qui situe son protagoniste hors de tout cadre temporel, spatial et social. Lorsqu'elle est entravée, la perspective de moments d'un niveau d'intensité aussi élevé constitue souvent un petit drame personnel.

Ouais. Au départ c'était dur. Un truc que tu veux voir, t'as pas les ronds, t'as pas l'âge, t'habites loin d'une ville, t'as pas le permis. Papa, Maman, ils ont beau te laisser plus ou moins libre, mais Running Wild un mardi soir, tu peux toujours courir. Si c'est un vendredi ou un samedi, d'accord. L'année de mon bac, j'ai loupé Running Wild à Nancy. Ça, putain... Tous mes potes m'ont dit que c'était fantastique. Je les ai revus y a un an, ça avait plus rien à voir. J'aurais voulu les voir à l'époque. C'est des trucs que j'ai pas pu faire. [Bertrand, 28 ans, enseignant, grand amateur de hard rock et de heavy metal]

41Il est remarquable de constater à quel point les concerts auxquels il a été impossible d'assister sont souvent d'une qualité extraordinaire dans la bouche de ceux qui y étaient présents. Volontairement ou non, le récit qu'en font ces derniers tient souvent de l'exercice de mythification d'autant plus efficace que la réception qui en est faite par le malheureux absent ne peut rien opposer à ce discours, ce qui renforce d'autant sa douleur. Quoiqu'il en soit, à l'évidence, le concert n'a nullement vocation a être reproductible à l'instar du disque. Son caractère éphémère le rend totalement unique et augmente proportionnellement sa valeur en même temps qu'il trace une ligne de partage entre ceux qui y ont assisté et les autres. Les premiers s'en prévalent avec force tandis qu'il ne reste plus aux seconds qu'à se répandre en complaintes et en regrets. Toute occasion manquée est définitivement perdue. C'est pourquoi certains amateurs font montre d'une assiduité et d'une constance remarquable lorsqu'il s'agit d'assister à un concert :

Le boulot c'est quand même assez chiant, ça prend quand même une journée, plus le sommeil, qui est limité à cause des concerts. Mais c'est vrai que les gens de mon boulot sont impressionnés. Le peu qui connaissent ma vie, parce que je leur raconte pas ma vie. Les plus cools à qui je dis : « ce soir je vais à Bâle voir un concert ». « Ah bon, et demain tu travailles pas ? ». « Si ». Ils conçoivent pas que tu fasses 500 bornes dans une soirée pour aller voir un concert.

C'est vrai que ça te coûtes beaucoup en temps de sommeil.

Je pars après le boulot. Quatre heures et demi, cinq heures. Je fais une pause chez mes parents, j'ai de la chance, c'est sur la route. C'est bref, une demi-heure. J'arrive à Bâle il est huit heures, huit heures et demi. Le concert fini vers minuit. J'arrive à Nancy en roulant comme un cinglé sur les coups de deux heures du matin. Voilà. Le soir quand j'y vais y'a plein de circulation, la nuit, c'est 110 en agglomération. C'est pour ça aussi que je bois pas. Si je me fais gauler j'aurais que l'excès de vitesse. Après j'ai le col de Bussang que je connais plus ou moins par cœur où je roule comme un maboule. Et puis les villages de Bussang jusqu'à Remiremont, je connais ça comme ma poche, donc je roule comme un cinglé. Après c'est de la voie rapide. Trois heures pour y aller. Deux heures pour revenir. Faut ça ou je serais trop nase. Je suis déjà nase le matin.

En plus tu le fais souvent

Ouais. Avant quand j'étais à Villerupt, je le faisais aussi.

T'allais à Bâle ?

Oui. Tu rajoutes une heure de plus. Une bonne heure.

La vache !

T'aimes hein ! Tu te dis, putain, ça je le reverrai jamais. Faut que j'y aille. Tu vois, j'ai fait un festival, y avait Demons and Wizard, le projet des gars de Blind Guardian et d'Iced Earth. J'ai pas de Blind Guardian, j'ai pas d'Iced Earth, je les avais vu, mais bon. J'avais acheté ce truc-là. La presse en avait beaucoup parlé. Je suis allé les voir. Je suis vachement content, c'est jamais repassé nulle part. Je suis vachement content de les avoir vus. C'était pas mal en plus. Peut-être que le lendemain matin j'étais nase au boulot, mais après coup, ça fait un souvenir. Puis y avait cinq, six groupes, y avait des trucs bien. [Bertrand, 28 ans, enseignant, grand amateur de hard rock et de heavy metal]

42Cette assiduité à la fréquentation de concerts comporte quelques prises de risques manifestes qui sont justifiées par le caractère unique du spectacle. Elle témoigne aussi de l'emprise que peut exercer la musique sur un corps. Mais cette emprise ne se réalise que sous un certain nombre de conditions. Les exigences les plus fréquemment partagées ont trait, comme pour les disques, à la qualité du son mais également à la force de conviction des musiciens qui se mesure souvent à la qualité de leur engagement physique :

J'aime pas les concerts avec des sons de merde où on comprend rien, c'est chiant. Que ça avoine, et puis des mecs qui ont envie de jouer, qui sont pas là à se faire chier en se disant vivement que ça se termine. Des mecs qui suent pour le public. Tu payes pour aller les voir, j'estime que c'est quand même normal, surtout quand c'est ton métier de faire les choses bien. Comme si tu payais un peintre pour faire une façade et qu'il peignait ça n'importe comment. T'es un peu vert. Un musicien c'est pareil. Quand tu payes pour aller le voir, s'il fait n'importe quoi, t'es déçu. Puis t'y vas plus. [Luc, 24 ans, étudiant, guitariste dans un groupe de metal progressif]

Pour moi un bon concert, déjà j'aime pas les groupes qui ont un balai dans le cul. Je trouve ça d'un chiant. Les mecs qui sont debout en train de regarder leurs godasses... je préfère un groupe dix fois moins technique mais qui ait la patate. Pas t'en mettre plein la vue, mais qui se donnent. Pour moi les mecs qui ont des grosses tâches de sueur dans le dos et des courbatures partout, pour moi c'est comme ça le metal. [Maurice, 28 ans, emploi jeune, chanteur d'un groupe crossover metal]

Vendredi dernier je suis allé voir System, j'ai pas aimé du tout. Déjà la première partie s'est fait siffler. Le public a pas été sympa du tout. System est arrivé, ils ont joué une heure, puis ils se sont barrés comme des sauvages, pas de rappel. Y avait encore les lumières sur la scène après le dernier morceau, tout le monde braillait et d'un coup, la lumière s'est rallumée. Rien, aucune communication entre les morceaux. Ils ont dû dire merci une fois. Bonjour Nancy et merci. Même si ça jouait bien, j'aime bien ce qu'ils font, il se sont barrés comme ça. 180 balles, ça fait mal au ventre. C'était rempli, mais déçu. Ça fait penser un peu à l'usine, les mecs ils viennent puis ils repartent. Ils pensent déjà à leur date du lendemain. Dommage. Et puis bon, ce qui m'a fait le plus chier, c'est qu'il y avait un sale son. La grosse caisse c'était un bourdonnement complet. Y avait pas de caisse claire. La basse prenait toute la place comme pas permis. [Fabrice, 25 ans, étudiant, batteur d'un groupe rap metal]

43Outre ces conditions à caractère général, certains amateurs font également état de préalables extrêmement subtils pour faire advenir la prise :

Faut déjà que le groupe soit bon. Faut que je l'aime au départ. Enfin, faut que je l'aime, faut que je connaisse les trucs. Si je connais pas, j'aime bien, mais tu participes pas pareil. Que le groupe joue bien, qu'il ait un bon son, qu'il saute partout. A la limite que t'aies un light show, n'importe quoi. Y a un truc très con, mais que j'aime beaucoup, par exemple, quand je vais à un festival ou à un concert assez gros, si je suis devant, j'aime bien pas être bousculé à mort, mais j'aime bien être serré. J'aime pas si je suis devant, que le gars derrière, il est un mètre plus loin. J'ai l'impression de pas en profiter pareil et qu'y a pas la même intensité. J'ai l'impression que c'est plus chaud, quand t'es vraiment bien serré. Par exemple, au concert d'Ozzy, j'étais sur la barrière, les gars derrière ils étaient vachement calmes. Ça sautait par moment, mais j'avais pas l'impression d'en profiter pareil. Quand t'es bien compact, c'est plus désagréable en même temps, mais d'un autre côté, j'ai l'impression que c'est plus chaud, plus vivant, tu vois ? C'est con. Je t'avouerai qu'honnêtement, un petit coup d'alcool avant, ça me fait du bien.

Ah ouais, c'est vrai que pour toi c'est important...

Ouais. C'est pas important. Mais je suis d'un naturel timide et un peu réservé et ça me fait vachement de bien. Avant un concert, ça me permet de me lâcher un peu. Je suis pas le bœuf bourrin qui va faire chier son voisin, mais rien que pour moi. Je vais pas me dire comment qu'il me regarde l'autre, je vais être moi, tout seul. Dans mon monde, et je vais profiter de mon concert. Et ça, ça change beaucoup.

C'est une sorte de mise en condition ?

Ouais. Justement, les premiers concerts, quand j'étais plus jeune, on faisait tout le temps ça. On était une bande, on picolait pas mal, on s'amusait. C'est vrai que je concevais pas que ce soit autrement et ça reste dans mes meilleurs souvenirs. On était pas mort saouls. On était pas des gars pénibles. On aimait bien boire, machin. On picolait avant. Pendant on allait devant on s'éclatait et voilà. Mais ça te désinhibe. Quand t'es un peu timide, tu te lâches un peu plus. Quand j'allais en boîte voir les filles, ça m'aidait un peu de boire avant. C'est pareil. En concert tu te lâches. Ce qui est un peu chiant quand je vais à Bâle, je vais voir des méga groupes que j'adore. Je fais 250 bornes aller, 250 bornes retour. Je picole pas. Surtout pas en plein milieu de semaine. Des fois j'ai l'impression de pas en profiter pareil. J'aimerais bien, sans être saoul, avoir bu dix, quinze canettes avant. Etre bien chaud.

T'es plus excité ?

C'est le côté désinhibé, tu te lâches en fait. Ça j'aimerais bien. Je regrette. Surtout quand c'est des groupes que j'aime vraiment. T'apprécies bêtement que le côté « soyons fou, allons-y ! ».

Ça te retire quelque chose ?

J'ai l'impression que moi je me lâche pas pareil. Pas que le groupe est moins bien. En plus j'ai un gros problème. C'est que je suis devenu un vieux et que j'ai perdu mes cheveux. Mais ça c'est terrible à un concert.

Ah bon ?

Oh oui ! Putain avant le headbanging... tu ressentais ça autrement. T'avais les cheveux partout qui te tapaient dans tous les coins. T'étais à fond dedans. Maintenant, t'as beau secouer ta tête, t'as plus rien. C'est pas la même sensation. Je trouvais ça EXCELLENT. J'ai vraiment l'impression que c'est plus pareil. C'est un truc con, mais c'était vachement bien. C'est un détail sur tout le reste du concert, mais c'était agréable. Tu sentais que t'appartenais à un truc. Tu t'éclatais bien. J'ai pas l'impression de m'éclater de la même manière. Puis quand j'étais jeune, je jouais plus, comme dirait Scorpions, de l'imaginary guitar. Tu vieillis, t'oses moins. J'étais plus fou avant. J'ai l'impression que je profitais plus. [Bertrand, 28 ans, enseignant, grand amateur de hard rock et de heavy metal]

44Les propos de cet amateur illustrent de façon exemplaire combien la prise peut être déterminée par une somme de conditions : connaître et apprécier la discographie du groupe qui se produit sur scène, proximité physique avec le public (ni trop proche, ni trop éloigné), absorption d'alcool favorisant l'abandon de soi, cheveux longs encourageant l'exercice physique du headbanging. Qu'un seul de ces éléments fasse défaut et déjà l'événement que constitue le concert perd en intensité.

Données chiffrées

Nombre de concerts fréquentés

Nombre de concerts fréquentés
  • 42 Le critère du nombre de kilomètres effectués pour se rendre à un concert ou à un festival aurait ég (...)
  • 43 Donnat, O. 1998. op. cit., p. 102-103.

45Le nombre de concerts fréquentés et le budget mensuel consacré à cette activité constitue un autre instrument de mesure particulièrement efficace pour déterminer l'attachement au metal42. Seule une frange très réduite de l'échantillon déclare n'avoir assisté à aucun concert au cours des douze derniers mois précédant l'enquête. Pour le reste, ils sont près de la moitié à en avoir vu moins de dix et près d'un tiers à en avoir vu entre 10 et 20. Le reste déclare en avoir vu plus d'une vingtaine (70 au maximum). La mise en parallèle de ces chiffres avec ceux dégagés par l'enquête d'Olivier Donnat43 atteste qu'il est question ici d'un taux de consommation très élevé. Plus de la moitié de l'échantillon y consacre un budget mensuel estimé à moins de 30 € (200 francs). Toutefois, 15,7 % de l'échantillon y consacre mensuellement une somme comprise entre 30 et 90 € (200 à 600 francs). La gamme des prix d'un concert est relativement large puisqu'elle se situe approximativement entre 7 et 30 €, ce qui rend possible la fréquentation de nombreux spectacles pour une somme modique. La somme moyenne globale qu'y consacre notre échantillon mensuellement est de 2 610 € (17 100 francs), ce qui représente à l'année 31 328 € (205 200 francs). Si on les rapporte à un niveau individuel, ces chiffres représentent 20 € (130 francs) par mois et 239 € (1 566 francs) à l'année.

Le travail de mémoire

  • 44 Certains amateurs déclarent également conserver d'autres objets attestant de leur participation à u (...)
  • 45 Hennion, A. 1993. La passion musicale. Paris : Métailié, p. 292.

46La mémoire des concerts est plus complexe à entretenir que celle du disque qui existe en tant qu'objet. C'est la raison pour laquelle elle repose pour l'essentiel44 sur la conservation des tickets de concerts. Cette « mise en objet »45 du concert s'effectue selon des formes diverses et va de la conservation méticuleuse, au classement chronologique et annoté au sein d'un classeur, à la valorisation muséale :

Le fait que tu gardes quasi religieusement, sous-verre, tes tickets de concerts, dans ton esprit ça a une fonction de mémoire, ou autre chose ?

Ouais, y a de ça. Y a le côté mémoire. Déjà honnêtement, au début j'aurais dû tout noter. Je voulais le faire, mais je me suis dit que je retiendrai tout. Maintenant y en a plein que j'ai oublié, je t'avouerai. Des fois la première partie, je me rappelle plus. Des fois c'est pas la même écrite sur le ticket. Ça, ça m'emmerde un peu. En même temps, je vois des fois des groupes d'ici, des petits jeunes qui font du neo metal ou machin, je me dis, tiens, c'est quoi ça, ah ben oui, je les ai déjà vu là-bas. Ça me rappelle vaguement. Ça m'aide un peu à me souvenir vu mon âge avancé. Et puis, au début les tickets étaient pas comme maintenant. Ils étaient beaucoup plus beaux. Je trouvais que ça ferait joli. J'aimais bien ce côté-là. C'est vrai que maintenant, y a un paquet de tickets beaucoup plus craignos. C'était pour les deux côtés, la mémoire et le côté décoratif.

C'est la première fois que je vois ça, je trouve ça admirable

Oui ? Je suis pas sûr que ça rende si bien que ça mais bon.

Esthétiquement peut être pas, mais historiquement, c'est un musée

C'est pour ça que j'aimerai bien garder l'appartement. La pièce est petite, ça fait vraiment petite pièce dédiée à ça. [Bertrand, 28 ans, enseignant, grand amateur de hard rock et de heavy metal]

  • 46 Roccor, B. 2002. op. cit., p. 221.

47Disques et tickets de concerts ont donc une double fonction. Ils permettent le travail de mémoire en même temps qu'ils représentent les « trophées acquis grâce au sérieux de sa condition de fan »46. Mais ils ne constituent assurément pas les seuls objets emblématiques de ce monde qui privilégie beaucoup la mise en scène de sa passion.

Mise en scène de l'attachement : « métallisation du quotidien »

  • 47 Le Bart, C. 2000. op. cit., p. 93-117.
  • 48 L'expression est de Bettina Roccor. « Métalliser » sa vie suppose l'appropriation et la mobilisatio (...)
  • 49 Comme nous l'avons déjà vu dans le chapitre précédent, les dossards, patches et badges, très prisés (...)
  • 50 Un spécialiste peut facilement situer le goût du porteur de t-shirt au sein d'un courant musical pa (...)
  • 51 Roccor, B. 2002. op. cit., p. 221.
  • 52 Si la comparaison avec les clubs de motards est envisageable sur la forme, elle mérite d'être nuanc (...)
  • 53 Avec la difficulté, soulevée par Christian Le Bart. 2000. op. cit., p. 115, d'être anonyme au milie (...)

48Comme l'a relevé Christian Le Bart, l'attachement à une musique particulière n'est pas uniquement vécu sur le mode de l'intime ou dans le cadre de la sphère privée. Ainsi, après qu'une identité d'amateur de metal se soit stabilisée pour soi, elle doit nécessairement se confronter à autrui47. A cette fin, l'amateur doit proclamer l'objet de son amour. Autrement dit, il lui faut « métalliser » sa vie48 Il dispose pour cela d'une technique largement éprouvée par la publicité : l'affichage. Le t-shirt à l'effigie d'un groupe en constitue probablement le moyen le plus ostentatoire49 en ce qu'il produit explicitement un type de message très ciblé : « j'aime la musique de ce groupe »50 Cette forme de communication non verbale permet l'économie de la prise de parole en même temps qu'elle facilite les rencontres et les échanges, à moins qu'elle ne serve à les empêcher. Pour Bettina Roccor51, le principe est le même que celui à l'œuvre dans les clubs de motards52 ou chez les supporters de football. L'exposition des goûts s'inscrit incontestablement dans un processus de cristallisation identitaire revendiquant son attachement à un objet particulier. La démarche se vérifie sans effort lors des concerts53, mais également dans de nombreux champs de la vie quotidienne (au lycée, à l'université ou au travail), voire dans des séquences de vie (le t-shirt de nuit, le t-shirt des grandes occasions, le t-shirt de travail, etc.). L'enquête a principalement fait émerger le rapport que certains amateurs entretiennent avec cet objet :

Ouais. Je suis étudiant, je suis pas forcément riche. La grande majorité de mon blé passe là dedans. Hormis le loyer. C'est vrai que j'achète pas de fringues, j'achète des albums, j'achète des t-shirts. C'est vrai, la totalité de mon blé passe là-dedans. Hormis les frais que nécessite la vie. Quasiment tout passe là dedans. [Nathan, 20 ans, amateur de death metal]

49Il apparaît ici que le t-shirt à l'effigie d'un groupe constitue un attribut vestimentaire indissociable de la passion pour le metal. L'auteur des propos qui viennent d'être tenus ne considère manifestement pas les t-shirts comme un vêtement, mais leur confère un statut équivalent à celui du disque. Leur usage va donc quelquefois au-delà de la simple fonction utilitaire. Ce qui justifie probablement les sommes consacrées et le traitement que certains amateurs peuvent leur réserver :

Et là, j'avais quelques autres t-shirts, je les ai tous revendus. J'ai gardé que les Carcass. Je ne sais pas pourquoi. Et, alors, je te dis pas les t-shirts, les plus récents ont quatre ans, ils sont comme neufs. Parce que je les mets que quelquefois en été. Et, je les mets sur des cintres. T'as vu, genre... Tu sais, j'en prends soin, grave. C'est pas des collectors, c'est des t-shirts, mais je ne veux pas qu'ils déteignent, je ne veux pas que le motif s'enlève. [Abel, 26 ans, éditeur d'un fanzine grind, death metal]

50C'est pas une collection, mais depuis que je suis gamin, j'achète des t-shirts, ils sont trop petits, troués, mais je les garde. Ça c'est vrai que je les jette pas. J'ai commencé à l'époque ou je te parlais de Scorpions, machin... On habitait pas loin de Belfort, y avait un magasin qui vendait des t-shirts comme ça. J'avais acheté un Scorpions et un Judas d'ailleurs, le premier coup. Super chouettes. Ils étaient beaux les t-shirts là. C'était pas les grandes qualités, ça partait. Après sur Hard Rock, j'avais fait venir ceux des Twisted, d'Accept. En accord avec Maman, hein ! Fallait pas qu'y ait des têtes de mort partout, des grand Fuck, tu vois. Ça je garde toujours.

Tu dois en avoir un paquet aussi

Ouais, pas tant que ça. Maintenant y en a beaucoup que je peux plus mettre parce que je grossis, mais ça, ça a plus rien à voir (rire).

Tu continues d'en acheter ?

Ouais, j'en achète plus qu'avant comme un con. J'arrive pas à tous les mettre et je me dis enfin bon... Là par contre, en même temps content et déçu. J'en ai trop. Je sais plus où les mettre. [...] J'en ai tellement. En même temps, ils me boudinent. Faudrait du extra, extra large (rires). C'est ça mon souci. Les t-shirts allemands, les XL, ils sont bien XL. Le teuton est un peu large, c'est bien. Oui, je garde un peu ça, oui. [Bertrand, 28 ans, enseignant, grand amateur de hard rock et de heavy metal]

  • 54 Le Bart, C. 2000. op. cit., p. 102.

51Qu'on leur prodigue des soins particuliers, qu'on évite de les porter de peur de les abîmer, qu'on en fasse des reliques, qu'on se défende d'en faire une collection alors qu'on les accumule ou qu'on les porte en toute circonstance, l'objet t-shirt est un marqueur identitaire témoignant de la passion de celui qui le porte pour un groupe ou un genre musical. Pour autant, cette passion ne peut se satisfaire de cette seule mise en scène. Il importe de lui donner de la hauteur. Pour Christian Le Bart, « les passionnés ne s'accomplissent dans la passion que parce qu'elle est distinctive, parce qu'elle les singularise »54. Une des stratégies déployées par les individus de l'échantillon vise à enrichir leur passion pour le metal d'un certain nombre de connaissances. Concrètement, cela se traduit par la mobilisation d'un certain nombre d'outils destinés à favoriser la constitution d'une culture metal.

Outils de la connaissance

Culture musicale

Culture musicale

52Il est rare que les individus de l'échantillon alimentent leur culture musicale à une seule source. Elle s'acquiert, se développe et s'entretient souvent tous azimuts. On peut néanmoins dégager quelques voies privilégiées. Les magazines et les fanzines spécialisés sont les plus abondamment cités. Si on peut dénombrer aujourd'hui pas moins de cinq revues spécialisées disponibles en kiosques, les fanzines sont innombrables. L'explosion d'Internet a vu augmenter considérablement les sites dédiés au metal dans des genres musicaux souvent moins généralistes que les revues. Ils constituent ainsi une extension des fanzines papier en même temps qu'une source d'information complémentaire aux revues. La télévision numérique et ses chaînes spécialisées et surtout les vidéos et DVD qui inondent actuellement le marché constituent la troisième source culturelle citée. Viennent ensuite des éléments moins directement perceptibles (catégorie « autres ») car plus individualisés et moins matériels tels que les conversations au sein du cercle d'amis qui sont souvent l'occasion d'échanges de disques, de conversations avec les disquaires, de fréquentation de bourses aux disques, de conventions, etc. Les émissions radiophoniques et les livres sont très peu cités. Les premières restent essentiellement confinées au sein de quelques stations associatives locales à l'audience limitée. Concernant les livres, la littérature traitant directement du metal en langue française est très réduite à l'inverse de celle produite dans les pays anglo-saxons, ce qui explique probablement sa dernière position au sein de l'ensemble des outils de connaissances metal.

Données chiffrées

  • 55 Le moins onéreux est Metallian (3,80 € par bimestre, soit 1,9 € par mois) et les plus chers sont Ro (...)

53Vouloir dégager la masse budgétaire consacrée à toutes ces sources culturelles serait un exercice complexe et laborieux compte tenu de leurs caractéristiques propres. La parution de livres et de vidéos dédiés au metal est pour le moins irrégulière. Radio, télévision et Internet ne sont pas des outils strictement dédiés au metal. Seuls les magazines ont une régularité qui nous permet de dégager certains éléments utiles à notre enquête. La presse spécialisée propose actuellement des mensuels d'un coût moyen de 3,95 €55 (25 francs). On peut supposer que chaque personne de l'échantillon ayant déclaré entretenir sa culture musicale à l'aide de magazines fasse l'acquisition d'une revue par mois. On obtient ainsi une dépense annuelle atteignant 6 400 € (41 920 francs), ce qui représente une somme de 47 € (310 francs) par consommateur.

  • 56 Chocron, C. 1994. Les enjeux économiques du rock. In Gourdon, A.-M. sous la dir. Le rock. Aspects e (...)

54Au total, comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, la consommation culturelle cumulée (achat de disques, de magazines et fréquentation de concerts) de l'échantillon s'élève annuellement et en moyenne à 95 248 € (623 874 francs), ce qui représente une dépense moyenne de 726 € (4 755 francs) par an et par individu, soit 60 € mensuels (396 francs). Une étude réalisée en 1991 pour Hard Rock Magazine auprès de 350 consommateurs de hard rock a montré que ces derniers consacraient un budget mensuel moyen de 96 € (628 francs) à la musique56. Soit 36 € (235 francs) de plus que les consommateurs de mon échantillon. Il est peu envisageable qu'il faille y voir une diminution de l'intérêt pour le metal. Selon moi, cela relève soit d'une baisse sensible du pouvoir d'achat en l'espace d'une décennie, soit d'une diversité plus grande des centres d'intérêt et donc d'une consommation culturelle plus variée. On peut également faire l'hypothèse que les consommateurs interrogés pour Hard Rock Magazine ont intégré dans leur estimation budgétaire le coût de leurs investissements dans la pratique instrumentale. Quoiqu'il en soit, l'enquête menée pour ce magazine reste assez vague. Pour qu'elles soient efficientes, des études de ce type pourraient s'appuyer sur des postes budgétaires précis.

Consommation culturelle annuelle

Consommation culturelle annuelle

Développement des connaissances

55Un possesseur de près d'un millier de disques le mentionnait dans un extrait d'entretien cité plus haut : « Je lis la presse spécialisée à fond la caisse ». Pour certains amateurs, la collecte d'informations prend des proportions d'une ampleur équivalente à celle de la consommation de disques ou la fréquentation de concerts :

Et alors, tu continues à acheter des magazines régulièrement ?

Ben ouais en fait, je sais pas, c'est plus fort que moi. Alors y a Hard Rock, je te l'ai dit, je les ai tous. Au début c'était vachement bien, puis y a eu une période creux de la vague et je trouve qu'ils sont redevenus bien. Quand Hard Rock était au creux de la vague, j'ai acheté Hard N'Heavy qui était super. C'est pareil, je les ai tous depuis le numéro un, j'ai vachement de mal à le lire maintenant je t'avouerai. Mais je continue parce que je les ai tous. Côté collectionneur. Mais c'est très chiant, c'est neo metal, death, black, c'est très bourrin. C'est QUE du bourrin. Ils avaient pas la ligne éditoriale là avant. Et puis Rock Hard, déjà je connaissais le Rock Hard allemand. C'était les gars de Hard Rock, sauf qu'ils se sont tous barrés. Tu retrouves le même style d’écriture, c'est bien fait, c'est sympa, c'est facile à lire, t'en as pas mal, c'est gros, c'est épais, c'est assez précis, j'aime bien. Je suis abonné qu'à Hard Rock, et j'achète Rock Hard et Hard N'Heavy et de temps en temps, le Rock Sound spécial punk. Je lis Rock'n'Folk, je le feuillette.

Tu t'en sers comme d'un guide pour tes achats, ou alors simplement pour l'aspect collection ?

Tout. Je m'en sers pour avoir des infos. Je les ai aussi sur Internet. Je les ai avec les potes, avec les gens que tu rencontres. Toujours le côté info. Et puis oui, Hard N'Heavy, c'est pas ma ligne éditoriale, mais je l'achète toujours. J'arrive encore à le lire assez facilement. Ils font des trucs assez heavy que je lis assez volontiers. Mais c'est vrai, les trucs black, death, doom et ses amis, j'ai vachement plus de mal. Mais bon, je lis. Mais alors tout. Je lis tout. Comme dans Hard Rock, j'ai du mal à lire les pages spécial prog, tu sais. Le metal prog j'aime encore bien en écouter, mais eux ils ont du prog pas forcément metal. Mais je lis quand même. Je dis pas que je retiens. Si tu me demandes trois jours après ce que j'ai lu, je suis pas persuadé de m'en souvenir. Mais je lis. J'ai eu du mal à finir mon Rock Hard, alors que le Hard Rock a déjà paru. J'en suis à peu près à la moitié. Et Hard N'Heavy devrait paraître dans trois, quatre jours (rires). J'ai pas trop le temps de lire autre chose. [Bertrand, 28 ans, enseignant, grand amateur de hard rock et de heavy metal]

56On voit ici à l'œuvre une certaine forme de boulimie d'information. Si les magazines spécialisés constituent une source d'information privilégiée selon notre enquête, ils n'en sont pas moins l'objet de critiques de la part d'un lectorat leur reprochant d'être à la fois trop généraliste ou alors de ne pas l'être suffisamment. En somme le lecteur n'y trouve pas toujours son compte. Il est donc contraint de nourrir sa curiosité en recourant à d'autres moyens :

Avant j'achetais beaucoup de magazines. J'achetais le Hard Force, le Hard N'Heavy. Des fois j'en achetais trois dans le mois. J'adorais avoir plein d'infos. Maintenant Hard N'Heavy, ben c'est vraiment hard and heavy. Ils ont fait un numéro spécial scène française, mais c'est dommage, ils feraient mieux de consacrer des articles régulièrement. La scène française marche bien. Maintenant, comme je bosse sur Internet toute la journée, je vais beaucoup sur les sites officiels. Aussi les webzines spécialisés. J'achète plus de magazines. Des petits fanzines j'en ai jamais acheté. J'ai regardé dans Hard N'Heavy un coup, sur soixante pages, y en a quarante heavy, death, ou black. Le neo est complètement passé à la trappe, l'indus n'en parlons pas, le metal français c'est même pas la peine. Silent Force, Angra, j'écoute pas, je m'en tape complètement. J'en achète plus. Ils comprennent pas. A mon avis ils doivent vendre beaucoup moins. Parce que le public a énormément changé. [Maurice, 28 ans, emploi jeune à l'Education nationale, chanteur d'un groupe crossover metal]

  • 57 Le Bart, C. 2000. op. cit., p. 103. Le statut d'érudit est rarement formalisé en ces termes pour dé (...)

57Le développement du fanzinat, suivi de l'apparition d'Internet ont multiplié les sources d'informations. Un mouvement qui a également accompagné et contribué à renforcer la segmentation des genres et des sous-genres et donc, à favoriser peu ou prou l'hyperspécialisation. La documentation conduit l'amateur à mener un certain nombre d'opérations : sélection, catégorisation, hiérarchisation. Un travail de synthèse conférant progressivement à leur opérateur une position d'érudit57 ou de connaisseur. Un statut qu'il leur est éventuellement possible de valoriser en tant que personne ressource ou de médiateur culturel :

Si tu regardes le questionnaire de Max, à un moment tu poses la question « qui vous fait connaître les nouvelles musiques ou je sais pas quoi », regarde ce qu'il a marqué [il se cite]. En fait ici, celui qui achète la nouvelle musique, les nouveaux CD c'est moi ! [...] Ici, le vendredi soir je ramène mon truc à CD, les jeunes fouillent et écoutent. J'aime bien. Des fois j'arrive à avoir les CD une semaine à l'avance. Je leur dis : « là vous me ramenez 100 balles, j'aurais le CD ». J'arrive chez le disquaire et voilà, « tu me mettras dix Pearl Jam s'il te plaît », des trucs comme ça. Jarny ça doit être la ville où il a vendu le plus de Mr Bungle. Ici j'en ai vendu quinze. [Hervé, 29 ans, guitariste, grand amateur de metal]

  • 58 Ces propos paraphrasent ceux de Jean-Marc Leveratto qui parle quant à lui « d'œil » du connaisseur.(...)

58Le statut de connaisseur marque la possession d'un savoir de haut niveau en matière de culture metal. Ce savoir ne repose évidemment pas sur une qualification scientifique au sens d'une reconnaissance par le biais d'un titre universitaire, étant donné que le metal n'est pas encore une forme artistique stabilisée par l'histoire de l'art. Un défaut de légitimité culturelle qui n'ôte cependant rien à la compétence d'un spécialiste de metal qui, par son travail, a développé ce que l'on appelle une « oreille », cette compétence qui le fait identifier dès les premières notes, la musique d'un groupe qu'il aime58 :

C'est parce que forcément quand t'écoutes que ça toute la journée et tout le temps, ben au bout des années ton attention auditive se précise. Maintenant, y'a des groupes, ça fait cinq ans que j'écoute enfin j'entends vraiment chaque battement au niveau des blast beat de la batterie. Alors qu'il y a cinq ans en arrière je n'entendais rien de la batterie. J'entendais que les cymbales. Parce que tes oreilles dissèquent. Donc tu la vis à fond la zique. Mais bon pour ça il faut quand même du temps. Ouais c'est vraiment l'expérience qui fait que tu apprécies à fond. [Abel, 26 ans, éditeur d'un fanzine grind, death metal]

  • 59 Leveratto, J.-M. 2000. op. cit., p. 21.
  • 60 Leveratto, J.-M. 2000. op. cit., p. 22.
  • 61 Les quelques ouvrages et articles sur le sujet ont été cités dans le chapitre consacré aux sources (...)

59Selon Jean-Marc Leveratto, cette disposition « que tous les individus peuvent potentiellement acquérir, est ce qui interdit d'établir une opposition radicale entre la compétence scientifique de l'historien de l'art et la compétence ordinaire du spectateur59 ». Et le même auteur d'écrire plus loin : « tout connaisseur peut devenir un historien réputé de l'art pour lequel il se passionne »60 En France, à ce jour, l'institution académique n'a jamais réellement produit de discours ou d'ouvrages de référence sur l'histoire du metal. Quant à la communauté des passionnés, elle ne s'y est essayée que très timidement61. Cela en réduit mécaniquement la valeur scientifique et culturelle.

60Quoiqu'il en soit, pour tous les individus cultivés, la connaissance résulte d'une fréquentation longue et assidue d'un objet d'étude. Dans le cas présent, il est le fruit de la mobilisation d'une pluralité de sources différentes : disques, concerts, revues, fanzines, sites Internet, livres, documentaires, DVD, échanges avec d'autres connaisseurs, etc. Il est particulièrement difficile d'évaluer le temps consacré au développement et à l'acquisition d'un savoir approfondi. Par contre, il est plus aisé de mesurer le degré d'investissement dans une forme artistique et culturelle à partir des activités pratiquées.

Activités et temps consacré

Activités pratiquées

  • 62 Il s'agit en fait également d'un processus de production, mais de production de connaissance. Pour (...)

61Les activités ayant trait au metal ne s'effectuent pas exclusivement, bien entendu, dans le cadre du processus d'acquisition des connaissances que nous venons d'évoquer. Une grande partie de ces activités vise à produire les objets propres au monde du metal. L'individu souhaite performer sa passion en s'inscrivant à son tour dans le processus de création. Il s'agit en quelque sorte d'une autre voie dans la passion pour le metal, qui n'exclut en rien le processus de connaissance62 avec qui il progresse d'ailleurs de pair :

Comment j'y suis venu ? Tu passes du passif à l'actif. Tu te dis que t'aimerais bien faire comme eux [les groupes fétiches]. T'économises pour acheter une guitare. T'essaie de gratter un petit peu. Ça galère. Tu formes des groupes avec des copains. Personne sait plus ou moins jouer. [Bruno, 35 ans, travailleur social, guitariste dans plusieurs groupes de hard rock]

Je voulais créer, si tu veux, quelque chose de vraiment spécialisé, parce qu'à l'époque y avait très, très peu de magazines spécialisés dans ce que j'écoutais. J'ai toujours écouté du brutal death et du grind, j'écoute pas du death mid tempo tu vois, j'aime pas. [...] Donc j'ai décidé de faire un fanzine. [Abel, 26 ans, éditeur d'un fanzine grind, death metal]

  • 63 Menger, P.-M. 1997. La profession de comédien. Formation, activités et carrières dans la démultipli (...)

62Le monde du metal lorrain, comme celui du rock en général est un lieu de « démultiplication de soi63 ». Rares sont les individus interrogés se contentant d'une activité unique au sein de ce monde :

On organise des conventions et des projections de courts-métrages. J'ai fait partie d'une asso avec laquelle on organise tous les ans, en collaboration avec la mairie, un plateau metal. On fait des déplacements en bus aussi pour des festivals. Dernièrement, je viens de monter mon association pour organiser une convention avant la fin de l'année. [Julie, 32 ans]

  • 64 Le booking est une activité consistant à chercher des dates de concerts et à organiser des tournées

63En moyenne, les individus de l'échantillon sont investis dans au moins deux activités (écart de 1 à 7 activités). Ils exercent majoritairement une activité identique à celle de leur activité principale. Ils jouent ainsi souvent dans plusieurs groupes (le maximum étant 5 groupes). Si la pratique musicale constitue l'activité principale de l'échantillon, les individus qui le composent s'investissent également dans des activités non musicales, mais toujours étroitement en rapport avec le metal. Les responsabilités associatives en constituent une part non négligeable puisqu'elles occupent la deuxième place dans la liste des activités pratiquées. Viennent ensuite les webzines, les fanzines, l'organisation de concerts et le booking64. Vient une autre catégorie composée de techniciens son et lumières, d'enseignants, de graphistes, de photographes et de roadies. Une autre catégorie, très peu représentée, se compose de ceux ayant mis en place un réseau de distribution de disques, un label, qui officient en tant que technicien de plateau, qui travaillent dans un studio d'enregistrement ou qui produisent une émission radio. La dernière catégorie, réduite à une personne par activité, se compose d'un individu organisant la logistique lors de déplacements en bus en direction de festivals metal européens, d'un musicien de session, d'un rédacteur de newsletter et du seul musicien ayant déclaré pratiquer son instrument en solo.

Ensemble d'activités pratiquées

Ensemble d'activités pratiquées

Temps consacré

64Répétitions, relances téléphoniques, rédaction d'articles, photocopies, promotion, préparation d'émissions, réunions associatives, enregistrements, organisation de manifestations sont des activités souvent chronophages, qui plus est lorsqu'elles sont cumulées.

Moi j'essaie de faire un maximum de concerts. Je suis à fond dedans. Ça prend une grosse partie de ma vie. Ma copine fait la gueule des fois. Les répètes, les concerts, tout le boulot que je fais chez moi à côté. Je m'occupe du fanzine, je suis plus ou moins responsable du groupe. On fait aussi de la sono, je suis beaucoup investi dedans, je suis investi dans le site. Ça me prend pas mal de temps. [...] C'est clair que c'est fatigant, que t'as pas de vie à côté, mais ça fait du bien. Tu rencontres plein de monde, c'est génial. [Fabrice, 25 ans, étudiant, batteur d'un groupe rap metal]

Vous pourriez-me dire ce que représente le metal dans votre vie à tous les deux ?

Noé : Un temps plein. Entre la compo, les démarches, les concerts et tout ça..., tout notre temps.

Olivier : Les beuveries, tout ça... Ça prend toute notre vie.

Vraiment ?

Noé : A fond oui.

Si vous deviez évaluer le temps qu'occupe le metal dans votre vie sur une échelle de 1 à 10 ?

Olivier : 10. [22 ans, cherche à relever du régime d'intermittent, chanteur dans un groupe death-thrash, rédacteur d'un fanzine metal extrême]

Noé : Enfin pas tout à fait 10 parce qu'on est obligé de faire des trucs à côté pour bouffer, mais comme c'est dans le domaine de la musique, c'est 9,99 on va dire (rires). [33 ans, intermittent du spectacle, guitariste d'un groupe de death-thrash]

  • 65 Après avoir préalablement testé cette question qui s'est révélée être particulièrement embarrassant (...)
  • 66 Entre autres commentaires, on peut citer : « je ne vis que pour la musique », « je bosse toujours d (...)

65L'évaluation du temps consacré à l'ensemble de ces activités est d'autant plus ardu qu'il est souvent fonction de l'actualité, ou du niveau d'implication de chacun. Il va de soi, qu'une tournée à préparer, un fanzine à éditer ou un concert à organiser nécessitent un travail plus soutenu qu'en période creuse, sans actualité immédiate. Si bien qu'à la question « l'ensemble de ces activités occupent combien de temps dans ta vie ? », les réponses sont très variables et sont notamment fonction des catégories d'analyse fournies par les personnes interrogées65. S'il ne se dégage pas d'unité analytique de l'ensemble des réponses obtenues, il est néanmoins possible d'en extraire les deux catégories d'analyse mobilisées. La première et la plus significative est celle portée à l'échelle de la semaine. 36 personnes de l'échantillon déclarent consacrer entre 10 et 19 heures/semaine à ces activités. 23 personnes affirment y consacrer un maximum de 8 heures/semaine, tandis que 16 autres stipulent qu'elles y consacrent de 20 à 70 heures/semaine. L'autre catégorie d'analyse se situe à l'échelle du temps libre, voire de la vie. L'évaluation est souvent chiffrée en pourcentage ou en fraction et assortie d'un petit commentaire. 17 personnes déclarent que ces activités occupent tout leur temps libre66. 26 personnes assurent qu'elles y sacrifient entre 50 et 90 % de leur temps libre, tandis que 10 personnes déclarent n'y vouer pas plus de 40 % de leur temps libre.

  • 67 Parmi elles citons : « 50 à 90 % », « 20 à 70 heures/semaine », « tout le temps libre » et « beauco (...)
  • 68 Parmi elles citons : « 10 à 19 heures/semaine », « -8 heures/semaine », « -40 % du temps libre », « (...)
  • 69 Ce constat a déjà été établi en 1996 par Donnat, O. 1996. Les amateurs. Enquête sur les activités a (...)

66Il est probablement aventureux de se livrer à des commentaires sur la base d'une catégorie aussi floue que celle du temps libre. En outre, près d'une trentaine de personnes de l'échantillon ne sont pas parvenues à établir l'estimation sollicitée ou alors dans des proportions totalement fantaisistes et donc inexploitables. Il est tout aussi hasardeux de tenter de croiser des données stables (heures/semaine) avec d'autres, dont on sait qu'elles sont nettement plus instables (pourcentage/temps libre). Si l'adverbe de quantité « beaucoup » et son superlatif « énormément » sont cités à 11 reprises, (« peu » et « pas assez » le sont à 4 reprises) ils n'en sont pas moins relativement nébuleux d'un point de vue heuristique. Toutefois, ce sont à ces adverbes qu'il nous faut recourir pour tenter de discriminer les différentes occurrences. On peut ainsi dire que si on regroupe les tendances les plus hautes de chacune des sous-catégories d'analyse67, plus de la moitié des réponses donnent à voir que les individus consacrent un volume horaire « très important » à leurs activités. Le regroupement des sous-catégories restantes68 lui est presque équivalent. Il indique quant à lui un volume d'activités certes moins intense, mais probablement plus compatible avec une activité professionnelle à temps plein, un cursus universitaire ou une vie familiale. Au final, on peut estimer que ces éléments reflètent sensiblement les caractéristiques sociologiques de l'échantillon quant à sa situation professionnelle et familiale. Le célibat constituant un atout particulièrement déterminant pour ce qui relève du niveau d'engagement dans l'activité69 :

Moi je suis toujours partant quand il s'agit d'organiser un truc, de filer un coup de main. Puis aussi par nécessité. Si tu te prends pas en main t'arrives à rien. Ça prend énormément de temps, mais je calcule pas. Tous mes loisirs passent là-dedans. Je pense qu'à ça. Même la nuit, je me réveille pour noter des idées de chansons, tu vois le truc. Je dirais pas que c'est une obsession, mais pour moi, c'est le truc qui passe avant toute chose. Je dis ça aussi parce que je suis célibataire, donc j'ai le temps (rires). [Maurice, 28 ans, emploi jeune à l'Education nationale, chanteur d'un groupe crossover metal]

  • 70 Menger, P.-M. 1983. Le paradoxe du musicien. Paris : Flammarion, p. 22.

67L'engagement dans un certain nombre d'activités constitue un mode de traduction privilégié pour ce qui concerne la manifestation de l'attachement au metal. Il marque l'entrée de l'amateur dans un processus de création qui répond à ce que Pierre-Michel Menger appelle « la nécessité intérieure70 ». La pratique instrumentale est particulièrement exemplaire de cette tension et cela d'autant plus qu'elle est une activité vouée à évoluer vers la production musicale de groupe. Nous allons donc nous appuyer sur elle pour tâcher de comprendre comment et dans quelles conditions arrive et s'épanouit la pratique d'une activité en tant que continuum d'une passion.

4. S'engager dans la musique

La pratique instrumentale

68Interpréter la traduction d'un amour pour le metal dans la pratique instrumentale en tant que manifestation d'un désir profond, est un lieu commun qu'il est pourtant délicat de systématiser :

En fait, quand j'ai commencé à écouter de la musique, j'avais dix ans. A l'époque, on fait plus du sport. Je viens d'un milieu, mes parents, moins mélomanes qu'eux tu meurs. Ma mère écoutait un peu la radio. Elle achetait le disque des Enfoirés pour faire une bonne œuvre, mon père par contre, sorti de Georges Brassens, il s'en tape. Ses parents à lui étaient pareils. J'ai pas été élevé dans la musique. Par contre, à partir d'un certain âge, pour des raisons de lunettes, j'ai arrêté le foot. J'ai refait un peu de tennis de table. Mais comme j'étais à fond dedans comme auditeur, ma mère m'a dit : « plutôt que de glander à la maison, pourquoi tu t'y mets pas ? ». La réaction de mon père : « ok, on t'achète une guitare, mais dans trois mois elle est dans le placard ». Depuis j'en ai cinq à la maison, j'adore ça. Ça s'est jamais démenti. [Florent, 33 ans, guitariste d'un groupe de death gore]

69Dans cet exemple, l'impulsion provient d'une mère soucieuse de l'éducation de son fils ayant relevé son intérêt pour la musique sans que lui-même ne fasse le lien avec la pratique instrumentale. Par ailleurs, le contexte familial n'a donc pas toujours besoin d'être intensément musicalisé pour que la prise s'effectue, même s'il est incontestablement, un élément favorisant :

Ben moi, j'ai un oncle qui est batteur. Je suis allé le voir en concert et ça m’a plu. [...] Mon oncle m'a vachement boosté. Je l'ai vu, j'ai tout de suite accroché à cet instrument là et quand j'écoutais les albums, je bloquais sur la batterie, la batterie, la batterie. Et puis j'ai acheté la batterie de mon oncle, qu'il m'a revendu pas trop cher. Puis je m'y suis mis comme ça, j'ai joué dans mon grenier. Puis ça s'est déclenché. [Nathan, 20 ans, batteur dans un groupe death metal]

70La musique elle-même peut évidemment favoriser le passage à la pratique instrumentale :

Y a eu Europe. Après y eu Mercyful Fate, plein de grands groupes comme ça qui m'ont poussé à faire un peu de guitare quand j'avais seize ans, puis après à fonder un groupe et puis ainsi de suite. [Michel, 23 ans, guitariste et clavier dans un groupe de heavy metal traditionnel]

[Mon amour pour le rock] est né avec la découverte de Mötley Crue, en même temps que j'ai voulu me mettre à la musique. J'ai découvert aussi Maiden tout ça. La grande époque. [...] Ouais. J'ai vraiment ressenti une construction dans la musique que je retrouvais pas dans les conneries que je pouvais écouter avant à la radio. Ça m'a vraiment donné un déclic dans la musique. Ça m'a donné envie d'en écouter et d'en faire. Au niveau de ce que ça pouvait dégager, je peux pas l'expliquer, mais en tout cas ça m'a lancé dedans et depuis j'y suis à fond les gamelles. [Fabrice, 25 ans, batteur d'un groupe rap metal]

71L'amour pour certains disques, la focalisation de l'attention sur un instrument particulier, conduisent souvent les individus à mettre en scène leur passion pour un instrument et/ou un instrumentiste :

Moi je venais de déménager en France, j'étais un peu méchant tu vois, pas beaucoup d'amis, c'était un peu mon exutoire. Après j'ai commencé à taper sur des trucs. J'avais un pote, un belge aussi qui venait des fois chez moi en France, on délirait. J'avais plein de boites en carton, je tapais dessus avec des règles en bois et lui il gueulait. On mettait les disques de Napalm Death derrière et on s'enregistrait [il pousse un cri rauque], [Christian, 28 ans, batteur dans un groupe death-thrash]

72La guitare ou la batterie imaginaire jouée dans sa chambre, la confection d'instruments en carton, voire en matériaux de récupération sont des pratiques récurrentes chez les amateurs de metal. Elles constituent souvent la première étape avant de s'engager dans la réalité de la pratique instrumentale.

Instrument principal pratiqué

Instrument principal pratiqué

73L'enquête montre que les instruments les plus pratiqués au sein de l'échantillon sont la guitare, la batterie, la basse et le chant. Une formule on ne peut plus conventionnelle. On observe néanmoins que la guitare est l'instrument le plus pratiqué de notre échantillon. Nous avons déjà évoqué dans la première partie de cet ouvrage le statut symbolique de la guitare en tant qu'instrument emblématique du metal. Sa présence au sein de l'échantillon est quasiment double en regard de la deuxième plus forte occurrence citée. Cette domination peut s'expliquer par deux points. Tout d'abord, les groupes sont souvent constitués de deux guitaristes, plus rarement d'un nombre équivalent de bassistes ou de batteurs. Ensuite, il est envisageable que les guitaristes se soient plus volontiers pliés à mon enquête que les batteurs ou les bassistes ou encore les chanteurs. Quoiqu'il en soit, le pourcentage de batteurs et de bassistes est relativement proche. L'infériorité numérique plus marquée des chanteurs est due au fait que sa fonction ne constitue pas toujours l'apanage d'une seule et même personne au sein d'un groupe, mais que le chant peut être dévolu à un guitariste ou à un bassiste, voire à un batteur. La présence d'instruments traditionnels tels qu'un clavier (orgue, synthétiseur, piano), des percussions ou un saxophone, reste tout à fait marginale dans le monde du metal, tout comme l'utilisation de platines ou de samplers, et ce malgré l'avènement du crossover et du neo-metal qui en sont des adeptes fervents.

  • 71 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 117-121.
  • 72 Donnat, O. 1996. op. cit., p. 61-64.

74Pour plus de la moitié de l'échantillon (54,2 %), les débuts dans la pratique musicale s'effectuent après 16 ans. L'autre partie y est entrée avant l'âge de 15 ans. Ce qui porte l'âge moyen d'entrée dans la pratique musicale à près de 16 ans. Moyenne corroborée à peu de choses près par l'étude de Gérôme Guibert71, tandis que dans son enquête sur les musiciens amateurs, Olivier Donnat fait état d'une moyenne plus élevée d'un an72. On peut éventuellement en déduire qu'en moyenne, les musiciens metal sont plus précoces que l'ensemble des pratiquants musicaux tous genres confondus.

Age d’entrée dans la pratique musicale

Age d’entrée dans la pratique musicale

75Par ailleurs, 144 personnes de l'échantillon déclarent pratiquer de deux à trois autres instruments. Dans le peloton de tête des instruments pratiqués, on retrouve une fois encore la guitare, la basse et la batterie, mais également les percussions (djembé et derbouka notamment) qui se positionnent en deuxième place. De manière plus marginale, on perçoit aussi la pratique d'instruments à vent comme la flûte ou le didjeridoo ou encore celle destiné à produire de la musique électronique.

La question de l'engagement dans la pratique instrumentale entraîne inévitablement celle de l'apprentissage qui lui aussi se décline sous une multiplicité d'itinéraires qui conduisent un jour à devenir musicien.

Modalités de l'apprentissage

  • 73 Sourisseau, R. 1998. Musiciens cherchent soutiens : répétition, formation. Les Rencontres du Grand (...)
  • 74 Lire à ce sujet le très instructif échange entre Marc-Olivier Dupin, directeur du Conservatoire nat (...)
  • 75 Suite aux préconisations du rapport d'Authelain, G. 1997. La formation de musiciens pour le dévelop (...)
  • 76 Chrétiennot, L. 1992. op. cit., p. 16.
  • 77 Menger, P.-M. 1997. op. cit., p. 113.

76La formation musicale dans le rock constitue un débat quasiment aussi vieux que le rock lui-même. Il se fonde sur une assertion qui voudrait que l'apprentissage du rock s'effectue exclusivement sur la base de l'autodidaxie et donc, sur un rejet des formes d'apprentissage académiques comme celles dispensées par des institutions publiques telles que les conservatoires. Mais on peut penser avec Réjanne Sourisseau qu'il est erroné de déduire que les pratiquants des musiques actuelles « sont réfractaires à l'idée d'apprentissage. En fait, c'est l'absence de réponses appropriées qui les a conduits à déserter les lieux officiels73 ». Effectivement, l'indignité artistique et culturelle dont est frappé le rock a toujours incité les institutions académiques, valorisant le principe de l'élitisme, à le tenir à distance74 En France, les efforts de structuration entamés par le secteur des musiques actuelles depuis la fin des années 80 attestent d'une évolution notable quant à la prise en compte de la question de la formation, notamment au travers de la mise en place de pédagogies plus adaptées aux réalités du terrain75. Cela n'empêche pas les oppositions de perdurer au sein même de la communauté des pratiquants du rock. Comme le rappelle Louis Chrétiennot : « Pendant de nombreuses années, cette affirmation a eu valeur de dogme : d'une façon générale, le rock rebelle ne supportait que la marginalité créée par sa rébellion, il n'était donc pas question de formation, ni même d'intervention à quelque niveau que ce soit76 ». Continuent ainsi de s'opposer les partisans de l'autodidaxie et les défenseurs des cursus de formation traditionnels ou non. Le monde du metal n'est évidemment pas exempt de ces disputes. Ces dernières semblent néanmoins totalement stériles étant donné que « le capital de savoirs et de compétences est [...] toujours composite77 ». Cela n'empêche nullement le sociologue de s'en emparer afin d'établir des catégories utiles à son travail. Elles permettent également de saisir que la formation n'occupe pas seulement le domaine instrumental, mais qu'elle est une dimension ayant vocation à s'étendre à des champs techniques, administratifs ou commerciaux.

Formation instrumentale

Les chemins de l'autodidaxie

Presque autodidacte

Presque autodidacte

77Un peu moins de la moitié des individus de l'échantillon (44,8 %) déclare être autodidacte ou presque autodidacte. Au sens strict du terme, être autodidacte signifie s'instruire seul. Mais le sens du mot s'est aujourd'hui légèrement dilaté. Il est ainsi courant d'entendre l'autodidaxie au sens d'un apprentissage au maniement d'un instrument (chant y compris) sans recours aux structures d'apprentissage traditionnelles et spécifiques. A ce titre, les individus déploient donc des stratégies d'apprentissage parallèles. Parmi elles, on peut citer par ordre d'importance une série de cours souvent très éphémères (moins de cinq en règle générale), l'aide d'un ami ou d'un parent ou encore en recourant à certaines méthodes en vente dans le commerce (format papier ou vidéo). La première de ces stratégies invoquant une brève série de cours constitue assurément une réponse ambiguë. D'où la nécessité d'accoler la préposition « presque » à « autodidacte », expression qui prend par ailleurs encore davantage de sens lorsqu'elle est mise en perspective avec les cursus de formation traditionnels, dont la durée s'étale habituellement sur une année scolaire au moins. En outre, l'autodidaxie ne consiste pas seulement en un rapport solitaire d'un individu (ou presque) avec un instrument, mais peut également s'effectuer dans le cadre d'une pratique collective :

J'ai toujours voulu être musicien. Je faisais de la basse avant, mais j'étais merdique. Y avait un morceau qui me plaisait sur la face B d'image. J'avais le 45 tours, c'est un truc de slap, je trouvais ça excellent et je me disais que j'aimerai bien faire de la basse. J'avais pas trop de thunes et ma mère voulait pas m'en payer une. J'ai acheté ma basse en première année de BTS. J'avais un peu d'argent, j'avais travaillé l'été. Je connaissais pas trop le batteur de mon groupe. Je savais qu'il jouait de la batterie. J'avais avancé de l'argent à mon frangin pour qu'il puisse se payer sa gratte. On se retrouve en répète. On se dit : « Qu'est-ce qu'on fait ? ». « Je sais pas »... « J'aime bien Metallica »... « Moi aussi »... « On en fait une pas trop dure ». Ça faisait quatre mois que je faisais de la basse, mon frangin pareil. Le batteur avait pris des cours. On a repris Metallica, « For whom the bell tolls ». On a mis six mois pour la faire. En fait on a travaillé, travaillé et depuis, on répète toujours ensemble. Tous les samedis. [Maurice, 28 ans, emploi jeune à l'Education nationale, chanteur d'un groupe crossover metal]

78Ce mode d'engagement dans la pratique instrumentale vise habituellement à faire l'économie d'un apprentissage plus ou moins long avec l'intention d'en retirer un plaisir immédiat. Il marque également la finalité de la pratique instrumentale : jouer en groupe. Le caractère spontané d'une telle démarche, inspirée par la mythologie punk, ne fige cependant nullement les trajectoires individuelles dans l'autodidaxie :

On était une bande de potes. La même année on s'est tous acheté un instrument différent. C’était en 94. On a commencé à faire des reprises.

Vous aviez décidé de monter un groupe avant de savoir jouer ?

Ouais. On avait envie de se retrouver. On se retrouvait déjà autour d'autres activités et puis on était tous bien branchés dans la musique. On a commencé avec une reprise de Bruce Springsteen (rire). Des trucs de Toto. Des trucs balaises. On a pris des cours et tout. On a progressé assez vite. On a vite fait des compos dans un style rock, sans être bourrin. Puis chacun a pris un peu son chemin. [Fabrice, 25 ans, étudiant, batteur d'un groupe rap metal]

79L'enthousiasme suscité par la première répétition peut donc à la fois inciter certains individus à persévérer dans la voie de l'autodidaxie, tout autant qu'il peut faire prendre conscience à d'autres, de l'intérêt d'un enseignement :

Y avait un atelier guitare à l'école. En fait chacun se démerdait. On se montrait les trucs les uns aux autres. On avait une petite pièce pour les demi-pensionnaires et ils étaient trois là-dedans. Et un jour je vois un mec qui fait « Be bop a lula », en mi. Je vois le mec, il met ses doigts sur la cinquième case, je regarde, après sept, puis c'est tout. J'ai essayé, j'y suis arrivé tout de suite. Mais tout de suite. J'ai trouvé ça super (rires). Je prenais les guitares des potes et j'essayais quoi. Faut dire que j'ai toujours voulu en avoir une de guitare, tout le temps, tout le temps. A partir de dix ans. Mes parents me croyaient pas. [...] Moi j'en voulais une de guitare, mais mes parents disaient non. Moi j'avais pas les moyens de m'en acheter une. [...] Donc à un moment, à mon anniversaire, y a mes frères qui m'ont aidé, dont j'ai eu une guitare. Et là j'ai pu commencer à m'exercer chez moi. [...] Voilà, c'est parti comme ça. J'ai gratté tout seul, j'ai regardé comment faisaient les autres, je me suis dit que c'était impossible d'y arriver somme ça. Je stagnais, c'était naze. Je demandais à plein de musiciens comment ça marche ça et ça, des bons hein, des vieux, qui avaient trente balais et ils savaient pas m’expliquer. C'était empirique. Quand tu fais cet accord-là, tu fais ça mais ils savaient pas pourquoi et ça, moi, ça va pas. Tu vois je veux comprendre. J'ai acheté des bouquins et je m'y suis mis et j'ai tout compris, très lentement. Le seul prof qui existait dans ma ville, c'était un prof d'accordéon. [Yann, 42 ans, technicien musical, guitariste de très haut niveau, ayant enregistré plusieurs disques]

Ces exemples attestent de l'importance du contexte expérientiel pour ce qui concerne la pratique instrumentale autodidacte. Mais ils semblent également renvoyer à un ensemble de facteurs sociaux, psychologiques, éthiques et économiques.

Les cursus de formation traditionnels

J'avais le père d'un de mes voisins qui avais joué dans les Rapaces dans les années 60 et qui était pourri de vieux skeuds et j'ai récupéré du Cactus et du Cobham et des trucs comme ça. Puis bon, ma mère a toujours aimé la musique. Elle m'a fait écouter des compositeurs classiques quand j'étais tout petiot. J'étais tombé sur un 45 tours de Bowie, des Beatles et des Stones... Un de mes amis m'avait filé le double blanc en cassette... Ouais, c'était le double blanc des Beatles. Ce truc-là, il m'a vraiment faisandé la tête...

En fait t'es issu d'une famille de musiciens ?

Ma mère sait jouer du piano et sa mère lui a donné une éducation musicale. Après elle s'est mise à donner des cours. Mais bon, c'est de la musique écrite et ça a pas grand-chose à voir... Le rock'n'roll c'est de la musique écrite aussi, mais c'est pas le même esprit. Le fait d'avoir vu jouer ma mère tout le temps quand j'étais petiot... elle m'a mis au conservatoire de 7 à 8 ans, j'ai fait deux ans de piano et ça se passait pas trop mal. Ouais peut-être ce fait là...

Et après, comment t'es passé aux instruments plus rock'n'roll ?

Ben après, j'ai commencé à jouer de la gratte, j'avais des copains qui avaient monté un groupe et j'ai acheté une guitare, puis j'ai « jouaillé » pendant quatre, cinq ans, histoire de me délier les doigts, faire n'importe quoi, enregistrer des trucs avec un delay. J'aimais bien ça quoi. Après, j'ai pris des cours avec Alain Aimé pendant un mois. C'est lui qui m'a branché alors qu'il y avait le CMCN [Centre Musical et Créatif de Nancy] qui était en train de se faire. Et bon, après mon Deug, j'avais plus trop envie de continuer la fac, j'en avais plein le cul d'être tout le temps évalué et j'avais envie de faire de la zique. Je me suis démerdé pour que ma mère me raque le CM. C'était 18 500 balles à l'époque, donc c'était encore gérable le truc. Puis bon, après que j'ai eu fait le CM, j'ai joué assez longtemps, j'ai fait des tas de groupes avec des potes qui tenaient pas hyper longtemps. J'ai enregistré des trucs chez moi et après je me suis mis à prendre la basse avec Titi et mon cousin. J'aimais bien le son de la basse et j'avais envie d'apprendre ça tout seul. On a joué un an et demi, deux ans, un truc comme ça et puis après... A ce moment là, j'avais quatre groupes en même temps. [Oscar, 30 ans, cherche à intégrer le régime d'intermittent, guitariste dans quantité de groupes, a enregistré plusieurs disques autoproduits]

80Cet exemple illustre bien la multiplicité des mécanismes pouvant conduire à la pratique instrumentale : double imprégnation musicale reposant conjointement sur l'Initiation maternelle et la sphère relationnelle, éducation instrumentale académique, rencontre avec un disque déterminant, découverte de la guitare, pratique instrumentale autodidacte, professeur particulier de haut niveau, scolarité en école de musique spécialisée, découverte de la basse, pratique de groupes. La variété des possibles et des déterminismes est innombrable. Il est intéressant de noter l'importance que revêt l'entrée en école de musique spécialisée qui constitue souvent la seule alternative envisageable lorsque se pose la question de l'orientation professionnelle :

Ma batterie, je l'ai eue à seize ans, en 91 je pense. Au début c'était un peu comme ça. Les premiers trucs que j’apprenais c’était les rythmes de Slayer, les rythmes speed et tous ces trucs. Ça m’avait trop, trop scotché. C’est bien. Quand t’es stressé tu peux te lâcher dessus. Moi j’écoutais ça tout le temps. Je faisais mes devoirs en écoutant la musique et j’écoutais plus la musique « ah, merde, j’étais en train de faire quoi ? » C’était vraiment ça. Donc, quand j’ai eu ma batterie, au début j’en ai fait juste comme ça, puis après, j'en ai fait avec des potes, un groupe de reprises en terminale. Premiers concerts, j'ai fait de la scène et j'ai plus arrêté.

Donc t'es passé d'un parcours scolaire normal au CMCN ?

Carrément. Quand j'ai passé mon bac, peu de temps avant de décider ce que j’allais faire, j'étais parti pour aller à l'université faire de la médecine. Comme mon père. Ça m'intéressait pas plus que ça, disons un peu plus que le reste. J'étais dans la période ou je me disais, faut faire quelque chose, je vais faire ça. En fait on a fait les concerts là et je commençais de plus en plus à être là-dedans. J'en parle à mes parents : « j'ai pas envie d'aller encore à l'école, ça me fait chier et tout, faut trouver quelque chose ». On a trouvé le CM et ils m'ont donné ma chance. [Christian, 28 ans, batteur dans un groupe death-thrash]

81Après la capture opérée par la rencontre avec un disque de metal, s'installe progressivement une nouvelle forme de prise exercée par la pratique instrumentale qui n'est pas sans répercussion sur la scolarité et conduit quelquefois à opérer une prise de risque attachée au choix d'une carrière artistique nécessitant d'âpres négociations avec les parents qui nourrissent souvent d'autres ambitions pour leurs rejetons :

Comme je bossais beaucoup la guitare, ça m'a vite permis d'avoir un niveau confortable et de commencer à avoir une méthode et bosser la technique. C'est ce que j'aurais dû avoir au lycée aussi, une petite méthode de travail (rires). Donc forcément, la guitare a pris le pas sur le reste. J'ai quand même fait un bac scientifique jusqu'au bout, sans redoubler. Avant j’étais vachement bon élève, puis plouf, moyen. Juste de quoi passer sans trop bosser. Beaucoup, beaucoup de guitare. Puis les premiers groupes, les concerts, les femmes (rires), la drogue, l'alcool (rires), ça s'est enchaîné. On a monté le groupe alors qu'on était encore au lycée puis voilà. [...] J'ai fait le CMCN un an avant le conservatoire. J'étais encore un peu dans le truc « je veux devenir une rock star et gagner des millions de dollars, je vais avoir une piscine et une Ferrari », comme Malmsteen quoi (rire), même si je sais que j'ai pas le niveau de Malmsteen et que je l'aurais probablement jamais. En fait quand j'ai fait le CM, mes parents me l'avaient payé.

Ils avaient vraiment accepté que tu privilégies la guitare à un autre type d'études ?

En fait, ça a été un peu la carotte si tu veux. Ils m'ont dit que si j'avais mon bac ils me payaient le CM. Donc j'ai bossé un peu à l'école. Eux ils voulaient que je fasse médecine ou avocat, puis j'ai eu un grand père qui était très mélomane et son père était chanteur, ténor à Amiens, toujours très musical de ce côté. Et mes parents disaient toujours que si mon grand-père était encore vivant il aurait tout financé, l'école, les albums et tout. Je pense qu'il y a eu une espèce de report de mon père. Lui il était vraiment pas pour que je fasse de la musique au départ. Vraiment pas. Ils ont vu que... pas que ça menait quelque part, mais quand même. Quand j'ai fait le CM, j'étais encore dans une période ou je restais dans mon canapé en attendant qu'on m'appelle (rires). Mes parents m'ont quand même dit non, ça va pas être possible. Donc ils m'ont dit qu'il fallait que je trouve un truc à faire. Je me suis inscrit à la fac de musico. [Luc, 24 ans, guitariste-chanteur dans un groupe de metal progressif]

  • 78 Shank, B. 1996. Fears of the white unconscious : music, race and identification in the censorship o (...)
  • 79 Pierre-Michel Menger propose quelques éléments d'explication quant à la séduction qu'exercent les p (...)

82Les discours montrent que la formation – surtout lorsqu'elle est dispensée au sein d'écoles de musiques spécialisées – est souvent envisagée comme une rampe de lancement vers une carrière artistique prometteuse. Barry Shank relève cette disposition d'esprit dès 1996, en postulant que « les fans de heavy metal s'identifient à l'habileté des musiciens et envisagent très vraisemblablement une carrière musicale pour eux-mêmes78 ». Une illusion savamment entretenue par ces écoles qui se présentent en tant que centres de formation professionnelle. Leur impact est d'autant plus important que leur public potentiel se compose essentiellement de jeunes candides totalement dépourvus d'éléments d'appréciation quant aux réalités du marché du travail artistique79 Réalités qui par ailleurs les rattrapent bien souvent :

T'étais pas parti dans l'esprit en te disant comme beaucoup, je vais entrer au CM et après je serai musicien professionnel et puis ça va rouler ?

Ben si. A un moment peut-être que je me le suis dit un peu. Mais à force de faire les choses, tu t'aperçois vite que si t'as envie de faire ça, il faut le faire pour l'amour de l'art et pas pour gagner des sous. [Oscar, 30 ans, guitariste dans quantité de groupes, a enregistré plusieurs disques autoproduits]

  • 80 Par école de musique, il faut majoritairement entendre certaines structures municipales. Seuls deux (...)
  • 81 Menger, P.-M. 1983. op. cit.
  • 82 Voir à ce sujet Menger, P.-M. 1983. op. cit., p. 22-23, et Menger, P.-M. 1997. op. cit., p. 113.

83Près de 60 % des individus de l'échantillon ont suivi des cursus de formation traditionnels. Là aussi, les chemins sont multiples. Par ordre d'importance, on peut citer le recours au professeur particulier, l'école de musique80, le conservatoire ou encore, de manière relativement marginale et concernant notamment les chanteurs, la participation à une chorale. Il est également notable que plus la formation est entamée jeune, plus elle mobilise des séquences de formation mixtes qui se succèdent, voire se superposent quelquefois. Il est par ailleurs relativement surprenant de constater qu'une douzaine de musiciens formés de manière académique déclarent dans le même temps être totalement autodidacte. Cela constitue une sorte de « paradoxe du musicien » tel qu'il a été théorisé par Pierre-Michel Menger81. Phénomène bien connu en sociologie de l'art, il s'agit d'une dénégation des influences de la formation, à la faveur d'une appropriation autocentrée des mérites de l'artiste. Mais il peut également relever d'un « partage impossible entre les différentes composantes du savoir accumulé par l'artiste82 ».

Etudes musicales

Etudes musicales
  • 83 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 119.

84Un peu plus de la moitié des individus de l'échantillon déclarent avoir suivi une formation instrumentale au moment de l'enquête. Les trois quarts d'entre eux ont entre 18 et 24 ans, ce qui peut corroborer l'analyse de Guibert et Migeot qui notent à la fois « la volonté plus affirmée des jeunes musiciens à suivre des cursus de formation pour les musiques actuelles et l'offre plus grande des formations adaptées aux musiques actuelles83 ». L'étude de ces chercheurs révèle qu'un musicien sur quatre de leur échantillon a suivi une formation (instrumentale dans 80 % des cas). Comparativement à l'échantillon lorrain où le rapport est quasiment de un pour deux, on peut légitimement se poser la question de savoir si le recours à la formation constitue une particularité propre au monde du metal. Il est possible de tenter plusieurs réponses. Rien ne permet d'envisager que les musiciens lorrains occulteraient moins leur passé que leurs homologues de l'Ouest pour des raisons déjà évoquées précédemment. Il est probablement plus pertinent de postuler, comme j'ai déjà eu l'occasion de l'affirmer dans la première partie de cet ouvrage, qu'une frange importante des sous-genres metal valorise une technicité élevée difficile à acquérir ailleurs que dans des structures d'enseignement. Par ailleurs, il faut rappeler qu'un tiers de l'échantillon déclare chercher à bénéficier du régime d'intermittent du spectacle et qu'à ce titre, la volonté de faire carrière dans la musique peut justifier d'un engagement dans un cursus de formation. Il est d'autre part tout aussi plausible de faire état de l'intensité du travail de médiation effectué par le monde du metal en Lorraine, qui laisse supposer que de jeunes musiciens, encore indéterminés quant à leur orientation musicale, ont toutes les chances de basculer en direction du metal.

Formations techniques ou administratives

  • 84 Ces formations ont en général un coût inférieur à 30 €. Le nombre très faible d'occurrences ne perm (...)

85Une dizaine d'individus déclarent avoir suivi une formation technique au cours de leur carrière. Il s'agit essentiellement de sessions de formations courtes (à la journée) ou épisodiques touchant à la lumière, à la prise de son, à la sonorisation et à la gestion du son sur scène. Plus de la moitié de ces formations ont été dispensées au contact d'un professionnel, dans un cadre amical, sur le mode de l'apprentissage en situation. Les autres s'inscrivent dans des modules de formation plus formels tels qu'ils ont été institués par le Centre Régional des Musiques Actuelles/Ville de Nancy ou Zic Zac en Lorraine. Sept personnes déclarent avoir suivi une formation administrative ou commerciale en lien avec la musique. Ces formations, courtes elles aussi, ont essentiellement trait à la gestion de la carrière d'artiste, ou relèvent d'une sensibilisation à l'intermittence du spectacle dispensées par l'ΑΝΡΕ Spectacles et des organismes de formation régionaux84.

Budget de l'équipement instrumental

  • 85 Leveratto, J.-M. 2000. op. cit., p. 103.

86Observer les sommes consacrées à l'équipement instrumental est un autre moyen de mesurer l'attachement à la musique et à sa pratique. Selon Jean-Marc Leveratto, « le désintéressement du praticien amateur d'un art est rendu sensible par le caractère coûteux, en argent et en temps, d'une passion improductive. Consacrer la majeure partie de son revenu personnel à constituer une collection, ou à s'investir personnellement dans une pratique artistique, hors de son occupation professionnelle, est une perte réelle de temps ou d'argent au regard du profit économique qu'aurait pu apporter leur mobilisation pour réaliser un bénéfice. [...] Or cette dépense improductive pour l'individu est productive pour la communauté à laquelle il appartient, qu'il fait profiter de son amour de l'art, en le communiquant à d'autres individus85 ».

87L'équipement nécessaire à la pratique instrumentale peut se décomposer en cinq grands pôles. Celui des instruments (ne sera retenu ici que l'instrumentarium principal des personnes interrogées), celui de l'amplification, celui des accessoires, celui du matériel électronique ou informatique et, enfin, celui du petit matériel consommable.

Les instruments (165 réponses)

Valeur instrument principal

Valeur instrument principal

88Les budgets que l'échantillon consacre aux instruments se situent majoritairement dans une fourchette comprise entre 764 et 3 053 € (5 001 et 20 000 francs) de laquelle il se dégage une forte proportion de budgets situés entre 1 527 et 3 053 € (10 000 et 20 000 francs). Les sommes consacrées aux instruments s'échelonnent entre moins de 153 € (-1 000 francs) à 3 053 € (20 000 francs) avant de décroître pour atteindre néanmoins quelquefois des pics à 7 633 € (50 000 francs). L'investissement moyen consacré aux instruments au sein de l'échantillon atteint près de 250 000 € (1,6 millions de francs), ce qui, ramené à la dépense moyenne par musicien représente plus de 1 500 € (9 800 francs). Rapporté à l'année, cela constitue une dépense globale de 48 125 € (315 220 francs), soit 290€ (1 900 francs) par personne. Ces chiffres dénotent incontestablement de l'importance que revêt la possession d'un instrument de qualité.

L'amplification (117 réponses)

Valeur amplification

Valeur amplification

89L'amplification est un poste ne concernant pas les batteurs étant entendu qu'ils pratiquent un instrument acoustique. Il ne concerne pas davantage une certaine proportion de chanteurs qui utilisent la sono appartenant à l'ensemble du groupe, à moins qu'ils ne se servent d'une sono rendue disponible par la structure dans laquelle ils répètent. Ce qui au final, concernant l'item amplification, réduit notre échantillon à 117 personnes. Un quart de l'investissement se situe dans une tranche comprise entre 382 et 763 € (2 501 à 5 000 francs). Près d'un autre quart se situe dans la tranche comprise entre 1 527 et 3 053 € (10 000 à 20 000 francs). La proportion de l'investissement située entre ces deux tranches talonne les deux autres puisqu'elle atteint 21,6 % de l'effectif. Si l'on opère des regroupements, il apparaît que la moitié de l'investissement dans le matériel d'amplification est supérieure à 764 € (5 001 francs) tandis qu'un peu plus du tiers se situe en dessous de cette somme. La somme moyenne globale engagée dans cet équipement atteint plus de 126 000 € (827 000 francs), ce qui correspond à près de 1 080 € (7 000 francs) par musicien. A l'année, cela représente près de 22 815 € (150 000 francs), soit 195 € (1 280 francs) par musicien.

Les accessoires (112 réponses)

Valeur accessoires

Valeur accessoires

90Le pôle accessoires regroupe l'acquisition d'un matériel tel que les effets, les pieds de micros, les accordeurs, les câbles, les housses, etc. Le préalable concernant les utilisateurs d'amplification est également valable pour ce qui a trait aux accessoires. Contrairement aux guitaristes et aux bassistes, les batteurs et les chanteurs n'utilisent que peu d'accessoires ou tout du moins, n'en déclarent-ils que rarement. Ce qui a pour effet de rapporter notre échantillon à 112 personnes. Par ailleurs, les sommes injectées dans les accessoires ne sont jamais aussi élevées que pour les instruments et l'amplification, ce qui élimine d'emblée la catégorie de plus de 3 053 € (+ 20 000 francs). La moitié des dépenses engagées se situent en dessous de 381 € (2 500 francs). Seuls 40,2 % de l'échantillon déclarent disposer d'accessoires pour une valeur supérieure à cette somme. La moyenne globale des investissements est équivalente à 52 750 € (345 500 francs), soit 470 € (3 100 francs) en moyenne par personne. Ces sommes représentent un investissement collectif et annuel de 9 632 € (63 100 francs), ce qui représente environ 86 € (565 francs) par personne.

Le matériel informatique et électronique (49 réponses)

Valeur informatique/électronique

Valeur informatique/électronique

91Le matériel informatique et électronique concerne les boîtes à rythmes, les échantillonneurs (sampler), les ordinateurs et les logiciels de musique assistée par ordinateur (MAO). Alors qu'une seule personne déclare manipuler un échantillonneur à titre d'instrument principal, que deux autres déclarent se livrer à cette pratique à titre secondaire, a l'instar de quatre autres individus traitant des sons électroniques, il apparaît qu'un ensemble de 49 personnes possède un équipement informatique et électronique destiné à produire de la musique. Si elles n'utilisent pas directement ces machines dans leur groupe principal, il est possible que cela s'effectue au sein d'une autre formation, à moins que ce matériel ne soit dédié à la pratique individuelle. Quoiqu'il en soit, il apparaît que les investissements inférieurs ou égaux et supérieurs à 763 € (5 000 francs) sont quasiment équivalents. A une échelle globale, cela représente 51 973 € (339 250 francs), soit 1 050 € (6 900 francs) par personne. Rapportés à l'année, ces chiffres atteignent globalement 9 408 € (61 620 francs), soit 192 € (1 260 francs) par personne.

Le petit matériel (97 réponses)

Budget mensuel consommables

Budget mensuel consommables

92Le petit matériel consommable se compose de produits rapidement périssables tels que les peaux et baguettes de batterie, les cordes de guitare, les médiators, etc. S'il concerne tous les musiciens, exception faite des chanteurs, il s'agit néanmoins d'un poste budgétaire particulièrement difficile à évaluer étant donné qu'il est instable et qu'il ne se renouvelle essentiellement que lors ou par anticipation de bris ou de perte. Ceci explique pourquoi le pourcentage de personnes parvenant à l'évaluer est aussi peu important. Pour le reste, les sommes supérieures à 45 € (300 francs) sont largement minoritaires. Les dépenses restent plus généralement inférieures à cette somme. La moyenne globale et annuelle des dépenses en petit matériel à partir des estimations chiffrées fournies, se situe aux alentours de 30 312 € (198 543 francs), ce qui représente 312 € (2 043 francs) par personne.

Le matériel acheté en commun (24 réponses)

93Si l'acquisition d'un équipement musical relève pour l'essentiel d'une démarche individuelle, il arrive également qu'un groupe fasse collectivement l'acquisition d'un matériel. Il s'agit souvent d'un équipement de sonorisation qui permet au groupe d'être totalement indépendant et de se produire facilement dans les bars. 24 groupes de l'échantillon sont équipés de la sorte. En moyenne, ils ont investi 1 184 € (7 760 francs) par groupe, ce qui représente à hauteur de l'échantillon global, une somme de 28 435 € (186 250 francs).

Sommes totales investies pour l'acquisition d'un parc instrumental

Somme globale des investissements dans le parc instrumental (en %)

Somme globale des investissements dans le parc instrumental (en %)

Investissements annuels dans le parc instrumental (en %)

Investissements annuels dans le parc instrumental (en %)

94Au total, le parc de matériel instrumental (hors petit matériel) est estimé à plus de 509 158 € (3,3 millions de francs), ce qui, à titre individuel, représente un investissement moyen de 4 121 € (27 000 francs).

  • 86 Ce propos ne concerne pas le matériel acquis collectivement.

Evaluer le temps nécessaire à l'acquisition de cet équipement constitue manifestement un exercice ardu. Plus d'un tiers de l'échantillon s'en déclare incapable. Les tiers restants montrent qu'il faut en moyenne cinq ans et demi pour constituer un parc d'équipement musical86. Si on ramène la somme totale de l'investissement dans le parc de matériel instrumental à hauteur d'une année – ce qui permet de réintroduire le petit matériel – on obtient la somme globale de 120 244 € (787 600 francs), ce qui représente à titre individuel 1 076 € (7 050 francs).

  • 87 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 117-121. Rappelons que cette enquête repose sur une trip (...)

95Les 208 musiciens interrogés par Guibert et Migeot87 ont donné à voir que leurs investissements pour l'obtention d'un parc de matériel similaire à celui de notre échantillon s'élevaient à 641 221 € (4,2 millions de francs). L'écart entre ce chiffre et le résultat lorrain (132 063 €/865 000 francs), présenté dans le tableau ci-dessous, s'explique bien entendu par la différence numérique des échantillons respectifs, mais peut être également par la proportion importante d'intermittents du spectacle – tirant leurs revenus de leurs activités musicales – dont ils font état (33 personnes contre une seule dans notre échantillon). Hypothèse se vérifiant à l'observation des dépenses individuelles : l'investissement moyen des musiciens de l'Ouest est de 1 130€ (7 400 francs) pour les non intermittents et de 5 540 € (36 300 francs) pour les intermittents. Ce qui donne à penser que l'activité professionnelle est indissociable de la possession d'un équipement onéreux. Or, les dépenses moyennes et individuelles de l'échantillon lorrain – évaluées à 4 121 € (27 000 francs) – se rapprochent davantage des sommes investies par les intermittents des Pays-de-Loire et Poitou-Charentes, que des groupes non intermittents de ces mêmes régions. Comparaison témoignant à la fois de l'importance accordée par les musiciens lorrains à la qualité de leur équipement, tout autant que d'un pouvoir d'achat probablement plus important. En outre, cette analyse est incomplète si nous ne prenons pas en considération le fait que la survalorisation de l'équipement est un facteur fondamental de l'histoire du metal. Sans mésestimer l'importance de certains mécanismes psychologiques qui conduisent quelques musiciens à envisager une carrière professionnelle, justifiant ainsi l'acquisition d'un matériel à la hauteur de leurs ambitions.

NB : Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de réponses obtenues pour chacun des postes

5. La pratique de groupe

Les groupes metal lorrains

  • 88 Hein, F. 2001. Les formes de la pratique rock en Lorraine. Groupes de rock, répétitions, concerts, (...)
  • 89 Ces sources ont déjà été citées dans le chapitre consacré aux éléments de méthode.
  • 90 Source : Avant-Mardi, 17, rue Valentin, 31400 Toulouse.
  • 91 Source : Domaine Musiques, 2, rue des Buisses, 59800 Lille.
  • 92 Source : Agence Musique et Danse Rhône-Alpes. 32, rue de la République, 69002 Lyon.
  • 93 Source : ADDIM 70. Maison de la musique, 23, rue Lafayette, 70000 Vesoul.

96Une étude récente88 permet d'estimer l'existence d'environ 400 groupes de rock en activité sur le territoire lorrain. L'échantillon sur la base duquel je m'appuie ici se compose de 65 groupes. La mobilisation d'une expertise indigène89 sur l'ensemble des quatre départements permet d'estimer le nombre de formations d'obédience metal à plus d'un quart (entre 100 et 110) du nombre total des groupes de rock en région. A titre de comparaison, sur un ensemble de 270 groupes recensés, la région Midi-Pyrénées90 dénombre environ 27 groupes metal. La région Nord-Pas-de-Calais91 a quant à elle identifié 64 groupes metal pour 380 combos rock. La région Rhône-Alpes compte 30 formations metal pour 195 groupes de rock92. Le département de la Haute-Saône93 recense quatre combos metal pour 53 groupes œuvrant dans les musiques actuelles. Ces éléments rendent incontestable le constat selon lequel la Lorraine est un territoire particulièrement fertile pour le metal sous toutes ses formes.

Age des groupes

Année de création

Année de création

97En moyenne les groupes ont 3,5 années d'existence (écart de 1 à 13 ans). Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessus, les groupes les plus anciens ne sont plus très nombreux, mais leur nombre reste constant jusqu'en 1993, avant d'effectuer une légère progression qui va s'accroissant jusqu'en 1999, à la suite de quoi les effectifs décroissent à nouveau. Près d'un quart des groupes a cinq ans ou plus. Un peu plus d'un autre quart a entre trois et quatre ans et près de la moitié des groupes a deux ans ou moins.

Genres pratiqués

98Si l'on s'en tient à leurs propres définitions, ces 65 formations pratiquent 26 genres de metal différents comme on peut le voir dans l'histogramme ci-après. Le travail d'autodéfinition produit sans cesse de nouvelles catégories, ce qui, d'un point de vue artistique, confirme la vitalité du metal, mais qui relève également d'une logique de distinction si l'on adopte un point de vue sociologique. Si on regroupe chacun des 26 genres par grandes familles d'affiliation, le genre le plus cité est le hardcore metal avec 16 citations. Il est suivi par la famille metal extrême (black, thrash, death, grindcore) avec 13 citations. Puis, suivent le metal fusion (10 citations), le metal (catégorie fourre-tout, 8 citations), le heavy metal (7 citations), le neo-metal (6 citations), le rock metal (2 citations) et de manière plus isolée, un ensemble de genres tels que le metal industriel, le metal progressif, le metal symphonique (respectivement 1 citation).

Les différents genres pratiqués

Les différents genres pratiqués

Les formes de la répétition

Nombre de répétitions par semaine

Nombre de répétitions par semaine

99La répétition est le moment crucial où la musique se crée avant qu'elle ne s'exécute en concert ou se matérialise sous la forme d'un disque. Elle s'inscrit donc dans un espace temps, tout autant que dans un espace physique : le local de répétition. Un peu moins de la moitié des groupes de l'échantillon ne répète qu'une seule fois par semaine. Le pourcentage diminue à mesure que le nombre de répétitions augmente. Ils ne sont ainsi que 24 groupes à répéter deux fois par semaine, neuf à répéter trois fois par semaine et seulement deux à répéter quatre fois par semaine. En règle générale, les groupes consacrent deux à quatre heures à leurs séances de répétitions. Seule une petite fraction d'entre eux répète plus de quatre heures lors de chaque séance.

Le nombre de répétitions hebdomadaires est un aussi bon indicateur des ambitions d'un groupe (faire carrière, préparer un album ou des concerts, prendre du bon temps) que de ses limites (éloignement géographique des musiciens, emplois du temps discordants).

100Dans le monde du rock, le terme répétition désigne habituellement et sans distinction, le travail de composition et celui de la répétition proprement dite. Cette forme canonique se voit cependant remise en question par l'usage qu'en font certains pratiquants qui en restaurent le sens premier. En effet, la technicité instrumentale très élevée de la sphère heavy metal traditionnelle conduit à une division du travail plus marquée, décomposant très nettement les phases de composition et celles de répétition :

101Si tu veux, les répétitions c'est fait pour répéter comme le nom l'indique et on a des séances de composition. C'est-à-dire qu'on se met tous devant le PC, on écrit la musique, on voit comment ça sonne, comme ça on perd pas de temps en répétition. Comme ça si avec ta bécane, le morceau il tue, tu sais que quand tu vas répéter le morceau il tue. L'avantage c'est qu'on fait nos compositions sur PC, on sort les partoches, on arrive en répète, paf, on joue. On perd pas de temps à composer en répète. Le troisième album a été fini de composer alors qu'on avait pas encore répété une seule fois les chansons. Les mecs de Rhapsody ils font comme ça, les mecs de Blind aussi. Ils composent tous sur ordinateur avant pour voir ce que ça donne. [Luc, 24 ans, guitariste-chanteur dans un groupe de metal progressif, actuellement sous contrat avec un label de distribution, a publié un disque]

  • 94 Lehmann, B. 2002. L'Orchestre dans tous ses éclats. Ethnographie des formations symphoniques. Paris (...)

102Cette manière de procéder, relativement inhabituelle dans le monde du metal, ou à tout le moins méconnue, semble relativement proche de celle qui a cours dans la musique symphonique94. Il n'empêche qu'elle s'impose progressivement comme une autre type de procédure au sein de la frange de pratiquants du heavy metal traditionnel ou encore du metal progressif. On voit ainsi s'opposer des pratiques privilégiant la réflexion, la rationalité, les nouvelles technologies (a) et des pratiques valorisant plutôt la jam et la spontanéité dans leur dimension historique (b) :

(a) Quand j'entends des mecs qui disent qu'ils ont répété la veille et qu'ils ont trois morceaux... J'arrive pas à comprendre. Nous un album ça met un an et demi, deux ans à être écrit.

La rédaction préfigure vraiment de ce que va être l'album ensuite ?

Ouais, en fait une fois que c'est écrit, vu que ça mûrit vachement mine de rien même si tu le joues pas. On l'écoute sur différentes machines avec différents sons. Ce qui est bien c'est qu'on travaille tous sur PC, on a tous le même logiciel et on a tous des expandeurs, c'est important, pour pouvoir vraiment se rendre compte de la réalité des sons. Parce que si t'écoutes ça avec une carte son de merde, t'as l'impression que c'est de la musique de jeux vidéo d'il y a dix ans. Là je veux dire que t'entends presque le son d’une vraie basse ou d'une vraie batterie. Tu te rends vraiment compte de ce que ça donne. Ça te permet d'organiser ton morceau, de le faire évoluer. Quand t'as toute la partition, même au niveau visuel tu peux voir tous les trucs qui vont pas. Si tu fais deux refrains identiques, finalement ça a pas trop d'intérêt de faire deux refrains identiques, dans l'évolution de la musique. Tu peux changer un truc. La batterie qui évolue un peu, les cymbales qui sont là, enfin bon, t'as aussi une représentation visuelle. T'as pas besoin de jouer. Souvent les mecs ils jouent et sont concentrés sur leur truc. Seulement t'écoutes pas trop ce qui se passe autour. Nous on a passé le cap de ça. Les morceaux on les bosse chez nous, on arrive et on écoute l'ensemble, pas juste ce qu'on est en train de faire. C'est une méthode de composition qui nous convient à nous, mais je sais pas si ça conviendrait à d'autres.

Pour ceux qui n'ont pas votre bagage technique ce serait difficile...

Ouais mais bon... C'est toujours pareil, y a des gens qui vont dire que c'est super parce que c'est vachement technique et y en a d'autres qui vont dire que c'est nul parce que c'est vachement technique. C'est pareil. C'est des trucs que j'arrive pas à saisir. Moi quand j'entends Dream Theater, tu vois, je pleure (rire). [Luc, 24 ans, guitariste-chanteur dans un groupe de metal progressif, actuellement sous contrat avec un label de distribution, a publié un disque]

(b) Y a un truc qui est sûr, faut jamais trop réfléchir. C'est que de l'art. Faut arrêter avec les procédés techniques, mathématiques et autres. T'aimes ou t'aimes pas, point. [...] Qu'on arrête de nous gaver avec la technique. Qu'ils restent au MAI les gens là et qu'après ils fassent une carrière décente. [...] N'importe quel spécialiste te dira que les meilleurs albums de jazz et de blues, c'est les albums des années 50, même avant. Ça craque de partout, y a des fausses notes, mais c'est ça. C'est l'essence de la musique. C'est fait pour respirer, pas pour être aseptisé à coup d'ordinateur. Que la technique favorise l'enregistrement, je suis d'accord. La technique évolue, faut l'utiliser, mais faut pas que ça remplace les instruments. Si y a une couille, y a une couille. Samedi on parlait de son, sur l'album live de Slayer, le Decade, y a une choucroute à la batterie [il imite les patterns de batterie], ils l'ont laissé. Fin du concert il est fatigué, mais ils l'ont laissé. C'est ça la musique. [Florent, 33 ans, guitariste d'un groupe de death gore, actuellement sous contrat avec un label, a publié deux disques]

103Par ailleurs, la particularité de certaines formes de metal privilégiant la vitesse d'exécution (death ou black metal par exemple) contraint certains musiciens qui tendent à l'excellence à se soumettre à un entraînement aussi draconien que celui d'un sportif de haut niveau. Un programme qui conduit à une forme de répétition au sens strict du terme et qui ne s'effectue pas au sein d'un collectif, mais plutôt de manière individuelle :

Mes parents nous ont réservé deux semaines de vacances en août, je sais pas comment je vais faire. J'ai la trouille. Je sais bien que quand je vais revenir ça va être la cata. Pendant deux mois, va falloir que je bosse comme un fou pour pouvoir rejouer les morceaux, ça me fait chier. C'est tellement rapide et tout, dès que t'arrêtes, c'est plus possible. [...] Moi je suis ultra sec, je suis pas musclé, ça repose plus sur de la technique et de l'entraînement, alors que t'as des mecs qui ont des bras comme ça, à la limite les trois premières répètes, ils forcent un peu. Mais moi c'est pas possible. Faut vraiment que je joue tous les jours. Je peux m'arrêter deux, trois jours, mais déjà au bout de trois jours c'est déjà un peu dur. [...] Moi je vais vite et tout, mais je bouge vachement au niveau des pieds et à la double je peux pas aller aussi vite que lui. C'est pas possible. J'en chie. Les mains ça va encore, c'est juste du boulot, mais le problème de la double grosse caisse, c'est que c'est physique. C'est comme quand tu cours, t'es essoufflé, c'est vachement dur. Tu vois, moi je mets des passages rapides dans nos morceaux pour apprendre, mais c'est comme de la muscu. Pour arriver à le faire, faudrait en faire tous les jours pendant trois heures, jusqu'à ce que tu sois complètement mort. Lui [Pete Sandoval, batteur de Morbid Angel] c'est ce qu'il fait quand ils sont en tournée. Il en joue tous les soirs et c'est clair qu'à chaque album il progresse, ça s'entend. C'est vraiment extrêmement dur. Le côté physique là, faut l'aimer. Des fois j'en chie. Faut pas que je me couche trop tard pour aller répéter le lendemain. Mon style de vie s'adapte un petit peu à ça. De temps en temps je peux faire la fête, mais pas souvent. [Christian, 28 ans, batteur dans plusieurs groupes metal, a réalisé des sessions d'enregistrement sur plusieurs albums]

104En définitive, les différentes formes de répétition à l'œuvre dans le monde du metal sont façonnées et dominées par un certain nombre de déterminants historiques auxquelles viennent progressivement s'agréger des formes de répétition stabilisées au sein d'autres courants musicaux. La pratique de la répétition est donc intimement liée aux procédures conventionnelles opérant au sein de chacun des sous-genres musicaux. S'il apparaît a priori comme le lieu d'un certain conservatisme, le monde du metal, par ses caractéristiques internes volontairement spongieuses, n'en est pas moins un lieu de changement et d'absorption. Les frontières y sont donc malléables. Ceci étant posé, il est temps maintenant d'aborder les conditions techniques encadrant l'activité de répétition, tels que les lieux de répétition, leurs coûts et leurs équipements, qui fondent une autre partie du quotidien des musiciens metal en Lorraine.

Lieux de répétition

Lieux de répétition

Lieux de répétition

105Un peu moins de la moitié des groupes de l'échantillon répète au sein d'un local appartenant à l'un des musiciens. Un gros tiers significatif se répartit entre les MJC, les services municipaux et les locaux associatifs. Le reste mobilise son capital familial ou professionnel en investissant la grange d'une grand-mère ou encore des locaux situés au sein d'une base militaire, d'une entreprise en zone industrielle, de la SNCF. Dans une moindre mesure, il a également recours aux bailleurs privés, aux écoles de musique ainsi qu'aux annexes de studios d'enregistrement.

Les loyers

106Etant donné qu'un peu moins de la moitié des groupes répète au domicile d'un des musiciens, ces derniers sont dispensés de verser un loyer. Parmi les 31 autres groupes, les trois quarts versent un loyer mensuel inférieur à 30 € (200 francs), tandis que le quart restant verse un loyer mensuel supérieur à cette somme, pouvant atteindre jusqu'à 150 € (1 000 francs). A l'exception d'un seul groupe déclarant financer son loyer avec les recettes de ses concerts, tous les autres partagent la somme due entre les musiciens du groupe. Au total, les frais de location atteignent à l'année environ 15 480 € (101 340 francs), ce qui représente en moyenne pour chacune de ces formations, une charge mensuelle s'élevant aux alentours de 40 € (260 francs), soit 480 € (3 144 francs) annuels.

Equipement des locaux

Equipement des locaux

Equipement des locaux
  • 95 Touché, M. 1996. Les lieux de répétition de musiques amplifiées. Défaut d'équipement et malentendus (...)

107Dans son enquête sur les lieux de répétition des musiques amplifiées, le sociologue Marc Touché relève que les groupes sont « à la recherche du confort et de l'isolement sonore95 ». Une recherche s'avérant souvent vaine. Plus de la moitié des locaux utilisés par notre échantillon ne disposent pas d'une isolation phonique adaptée. Pas plus qu'ils ne sont équipés d'installations électriques adéquates. L'équipement des locaux est donc relativement disparate.

108Si on considère l'isolation phonique et l'installation électrique comme des prestations fondamentales pour la répétition musicale, on peut dire que dans l'ensemble, les locaux sont plutôt mal équipés, même s'il se dessine un relatif équilibre à l'échelle des différents types de locaux. Par exemple, ceux appartenant aux musiciens, aux services municipaux, aux écoles de musique ou aux associations sont légèrement plus mal pourvus que les autres. Les locaux mis à disposition par les MJC et les bailleurs privés parviennent quant à eux à un équilibre entre bonne et mauvaise dotation. Quatorze de ces groupes ont effectué des travaux d'aménagement pour améliorer leurs conditions de répétition. En majorité, il s'agit de locaux appartenant à l'un des musiciens d'un groupe (10). Mais on dénombre également des travaux réalisés au sein de locaux loués auprès de MJC (2), d'associations (1) ou de particuliers (1). Un quart de ceux ayant réalisé des travaux sont dans l'incapacité de les évaluer. Un gros quart les estime à moins de 305 € (2 000 francs). Un autre gros quart les évalue au-delà de cette somme et le reste, déclare s’être exclusivement servi de matériel de récupération.

  • 96 Voir les travaux de Marc Touché (CNRS) et de Réjanne Sourisseau (Agence Opale) déjà cités, mais éga (...)

A l'image de la situation décrite par certains observateurs96, les conditions techniques de la répétition en Lorraine relèvent majoritairement du domaine du bricolage. Situation à laquelle les pratiquants se sont résignés car ils sont avant tout mus par l'urgence de leur passion. Une passion qu'ils cherchent tous à vivre et à partager en concert.

Les concerts

  • 97 Le travail le plus remarquable sur le sujet est à mon sens celui de Berger, H. M. 1999. op. cit. A (...)

109Il ne s'agit pas ici de procéder à l'analyse d'un concert metal. Sa qualité de spectacle vivant a été suffisamment bien analysée dans un certain nombre de recherches97 et ce, aussi bien du point de vue des musiciens que des spectateurs. Il n'est donc pas nécessaire de nous y arrêter ici. On possède nettement moins d'informations quant aux conditions concrètes d'accès au concert pour un groupe metal. C'est la raison pour laquelle nous allons maintenant faire émerger, à travers notre échantillon, un certain nombre de dimensions plus obscures touchant à la quantité de concerts réalisés, aux conditions géographiques et contractuelles dans lesquelles ils s'effectuent, à leurs lieux, à leur rétribution, à leur recherche et aux difficultés rencontrées pour les obtenir.

Le concert est souvent l'objet d'un important investissement fantasmatique de la part des musiciens. Si l'épreuve de la réalité les conduit souvent à revoir leurs prétentions à la baisse en terme de perspective de carrière (devenir une star, vivre de sa musique), il subsiste cependant un certain nombre de points auxquels ils renoncent difficilement. Le concert est un de ces points et la tournée plus encore :

Nous le rêve qu'on a c'est de faire une tournée. Partir dans un bus quinze jours. Côtoyer des groupes, rencontrer des gens. [Quentin, 33 ans, chanteur d'un groupe death metal, a enregistré plusieurs disques pour des labels, actuellement en recherche d'un nouveau label]

Moi mon objectif personnel, pour les autres c'est pareil, c'est de faire au moins une petite tournée en première partie, ce serait vraiment terrible. Ce serait plus ou moins notre rêve. [Michel, 23 ans, guitariste et davier dans un groupe de heavy metal traditionnel, vient de sortir un disque distribué nationalement] Faire le plus de concerts possible, le plus de disques possible. Déjà notre ambition c'est de faire une tournée. On veut absolument partir en tournée. Goûter à la joie du tour bus, que ça, que ça. Etre baigné là-dedans. Ce qui serait l'idéal, ce serait de vivre de notre musique, c'est clair. Bon, c'est quasiment impossible, surtout dans notre style, c'est très, très, très, très dur. Remarque, tu peux vivre dans la misère, mais je parle de vivre correctement de ce qu'on fait, pas vivre à l'arrache complet. Mais voilà, c'est vraiment notre ambition, puis enregistrer le plus d'albums possible. Tourner partout, faire que ça. Comme tout musicien. [...] On est tous passionnés, on vit tous que pour ça. Tout ce qu'on attend, c'est le week-end pour aller faire un concert, c'est pas la semaine pour aller bosser huit heures. On voudrait tous devenir pros. Si possible. Si demain on nous dit qu'on passe pro, vous vendez des albums, vous tournez, moi je cours. Je plaque tout, je cours. La passion, tu sais. Y a pas que nous, un sportif de haut niveau, il fait que ça. Il bouge, il fait que ça, que ça toute la journée. Un musicien c'est pareil. [Nathan, 20 ans, étudiant, batteur dans un groupe death metal, a publié un disque sous contrat avec un label]

Nombre de concerts réalisés au cours de leur carrière

Nombre de concerts réalisés au cours de leur carrière

110Peu de groupes lorrains parviennent à échafauder des tournées au sens ou on l'entend habituellement, à savoir une série de concerts successifs pendant une période supérieure à trois jours au moins. La majorité d'entre eux se produisent sur scène en fin de semaine. Mesuré à l'aune de leur carrière, l'écrasante majorité des 65 groupes de l'échantillon a effectué moins d'une cinquantaine de concerts. La frange la plus importante des groupes (32) se situe en dessous des 25 concerts, tandis que la seconde frange (14 groupes) plafonne à moins de 50 concerts et que les franges suivantes déclinent assez rapidement. Seuls neuf groupes ont effectué entre 51 et 100 concerts et ils ne sont plus que trois à avoir effectué plus de 250 concerts. Pour ces derniers, il s'agit de groupes ayant entre 5 et 8 années d'existence. Curieusement, le capital concert des trois plus anciens du lot n'excède pas les 100 concerts. L'un d'entre eux n'a d'ailleurs pas encore dépassé la barre des 25 concerts. Pour le reste, la logique selon laquelle l'ancienneté d'un groupe est proportionnelle à ses opportunités de se produire sur scène, est respectée.

111Pendant les douze derniers mois précédant l'enquête, les groupes de l'échantillon ont en majorité soit effectué plus de 12 concerts (maximum de 37 concerts pour 19 groupes), soit moins de deux concerts (14 groupes). Le reste se situe de manière relativement stable entre 6 et 8 concerts, avec une petite baisse cependant pour les groupes s'étant produits entre 10 et 12 fois. En moyenne, ce sont les groupes ayant entre 3 et 5 ans d'existence qui ont donné le plus de concerts pendant la période de référence.

  • 98 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 117-121. On peut néanmoins regretter que les auteurs n'a (...)
  • 99 Courant 2000, l'Addam 57 a mis en place l'opération Zic Azimuts dont l'objet vise à organiser une s (...)

Au total, ces groupes se sont produits à près de 500 reprises, ce qui représente une moyenne d'environ 8 concerts annuels. Ce volume de concerts est très largement inférieur à la moyenne dégagée par l'enquête de Guibert et Migeot qui fait état de 26 concerts par an98. Une différence qui n'est probablement pas sans rapport avec le genre musical metal qui, dans la vaste gamme des musiques actuelles, est peut-être moins fréquemment programmé99.

Nombre de concerts réalisés en une année

Nombre de concerts réalisés en une année

112Comme on peut le voir dans l'histogramme ci-dessous, l'immense majorité de ces concerts sont effectués en Lorraine en dehors de tout cadre contractuel. Ce qui est également le cas en dehors de la Lorraine ainsi qu'à l'étranger. La proximité de la Lorraine avec les quatre pays que sont l'Allemagne, la Belgique, Le Luxembourg et la Suisse, rend évidemment plus aisé les passages de frontières, même si les concerts à l'étranger restent proportionnellement moins importants.

Conditions géographiques et contractuelles de la réalisation des concerts

Conditions géographiques et contractuelles de la réalisation des concerts
  • 100 Les chiffres avancés par les groupes ont subi une dégressivité entre la somme globale des concerts (...)

113La plus grosse part des concerts identifiés100, s'est déroulée dans des bars dont on sait que les tenanciers ne s'embarrassent que rarement des formalités administratives légales, pas plus que d'une certaine éthique metal :

Nous on va jouer dans les Ardennes, les mecs nous ont demandé d'écrire sur l'affiche : ambiance assurée (rires). Tu vois, la galère continue. Ils veulent qu'on ramène les filles. Putain (rires).

Vous allez le faire ?

Oui on va le faire parce qu'on joue le lendemain à Lille. [Eric, 25 ans, guitariste-chanteur d'un groupe grunge/metal]

114L'histogramme ci-après montre qu'une forte proportion de concerts a eu lieu dans les petites salles de concerts de moins de 400 places. Un nombre quasi équivalent de concerts s'est tenu dans des salles de 400 à 1 200 places et sur des scènes extérieures, dans le cadre de festivals en plein air notamment. Seul un tout petit contingent de groupes s'est produit dans des salles de plus de 1 200 places. En proportion, ce sont essentiellement dans les salles municipales que les groupes obtiennent des contrats.

Lieux des concerts

Lieux des concerts

115Concernant le cachet moyen perçu lors des concerts, il oscille pour plus de moitié de l'échantillon ayant répondu, entre 76 € (500 francs) et 230 € (1 500 francs). Un quart des cachets se situe dans une tranche comprise entre 231 et 460 € (3 000 francs). Les groupes touchant un cachet supérieur à 460 € sont très peu nombreux. Par contre, ils sont 13,9 % à ne percevoir qu'une somme inférieure à 76 €, voire à se produire gratuitement :

On a une politique du zéro frais. C'est-à-dire, zéro bénef, zéro perte. Non si y'a du bénef, on va pas cracher dessus évidemment, on a toujours besoin d'argent, mais faut pas qu'on perde d'argent parce que sinon on arrête. S'il faut qu'on paye pour jouer ça va vraiment plus. Donc tant qu'on nous rembourse nos frais, qu'on mange bien, qu'on a une place pour dormir, c'est les moyens minimum. [Nathan, 20 ans, batteur dans un groupe death metal ayant huit années d'existence, a publié un disque sous contrat avec un label]

Si à la fin on se dit qu'on a perdu 500 ou 1 000 balles au bout d'un an et demi, qu'est-ce que c'est ? C'est 100 balles par mois pour se faire plaisir. Quand on se déplace on paye pas un rond. Tout est pris en charge. On bouffe, on touche plus d'argent que prévu. Ça reste un plaisir. [Florent, 33 ans, guitariste d'un groupe de death gore ayant dix ans d'existence, actuellement sous contrat avec un label, a publié deux disques, se produit fréquemment en concert]

116Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce ne sont pas toujours les groupes débutants qui pratiquent de la sorte. Cette démarche peut concerner des formations ayant plus de quatre années d'existence, qui, pour contrebalancer leur peu d'opportunités de se produire sur scène, acceptent quelquefois de jouer sans même se poser la question de la rémunération comme on peut le voir dans cet extrait d'entretien :

Y a deux jours on a joué gratos.

A Strasbourg ?

Oui.

Vous avez quand même eu un défraiement ?

Non, on a tout payé. Les mecs ils nous disent qu'ils peuvent nous faire jouer mais sans moyens. Ils avaient rien. Entrée gratuite. Bière à un euro. Ils pouvaient pas faire mieux.

Qu'est ce qui vous motive alors pour jouer dans de telles conditions ?

jouer. Ce qui nous motive, c'est jouer.

Vous êtes prêt à faire des plans comme ça, un peu foireux ?

Foireux non, ça nous a permis de vendre quatre CD. De nous faire connaître sur Strasbourg. On a vu quand même des gens de Strasbourg qui nous avaient vu ailleurs et qui sont revenus. Nous on joue pour la gloire, pas pour le pognon. J'ai mis 200 balles d'essence. Voilà, j'ai mis 200 balles d'essence. Nous on est comme ça. Si on avait dit que c'était 2 000 pour qu'on se déplace, les mecs nous auraient pas fait jouer.

Quand vous avez joué au Zénith vous étiez payé ?

Non, on a joué pour la gloire. Là on va ouvrir pour Blaze, c'est pour la gloire. Bob nous a fait déjà jouer trois fois et il nous paye pas non plus. C'est pour la gloire (rire). Du moment qu'on a la bouffe et la boisson... C'est vrai qu'on a eu plein de réflexions au départ. Qu'on était en train de tuer les intermittents, bref. Moi je fais de la musique pour jouer, pas pour gagner des sous. On jouerait à Marseille on demanderait un défraiement, c'est un minimum. C'est ça ou tu joues pas. Je sais pas comment se démerdent les autres groupes. [Luc, 24 ans, guitariste dans un groupe de metal progressif ayant huit années d'existence, a publié un disque sous contrat avec un label de distribution]

Cachet moyen par concert

Cachet moyen par concert

117Toutefois, en moyenne, les cachets se situent aux alentours de 190 € (1 250 francs). Si on multiplie cette somme par le nombre moyen de concerts donnés à l'année (8) par ces groupes, il apparaît que les groupes génèrent environ 1 520 € (9 956 francs) de recettes annuelles, ce qui représente un volume global moyen de 82 080 € (537 624 francs). Ces sommes sont évidemment bien trop faibles pour que leurs membres puissent envisager d'en vivre. Au mieux permettent-elles éventuellement de couvrir les frais de structures liés aux concerts. Une situation qui concerne même les musiciens les plus capés :

118Si t'arrives à faire cinquante dates dans l'année, c'est déjà bien, mais en plus déclaré, là c'est le rêve, surtout en France. C'est dur. Avec l'autre groupe, j'ai fait deux tournées en première partie de Vanden Plas, on a fait deux fois sept dates, mais tout ça, bien sûr c'est officiel, mais nous on est pas payé. C'est de la promo. Le label il paie du tour support pour qu'on soit dessus. J'ai fait quatorze dates, mais aucune ou je peux prétendre à un cachet. Le dernier album on a dû vendre pas loin de 10 000 albums. [Christian, 28 ans, batteur dans plusieurs groupes metal, a réalisé des sessions d'enregistrement sur plusieurs albums]

119En résumé, les groupes de l'échantillon sont globalement mal rémunérés et de plus, ils éprouvent des difficultés certaines à obtenir des dates de concerts. En majorité, ce sont essentiellement un voire plusieurs membres des groupes qui se chargent de « booker » les dates de concerts. Ils disposent plus rarement d'un manager (6 sur l'ensemble de l'échantillon) ou d'un tourneur, voire d'une autre personne ou structure (label notamment) qui participe elle aussi à cette recherche. Ceux qui ont la chance de disposer d'un dispositif de ce type figurent souvent parmi les groupes dont la carrière est la plus aboutie (labels, distribution, production discographique, tournées). Lorsque c'est le cas, la prestation est le plus souvent effectuée à titre bénévole par une personne désireuse de s'impliquer dans la carrière du groupe. La seule formation de l'échantillon bénéficiant des services d'un tourneur lui reverse environ 12 % de ses cachets.

120La figure du tourneur, et plus encore celle du manager, est souvent investie d'une charge symbolique très forte. On souhaite le voir prendre en charge les aspects souvent jugés fastidieux par les musiciens :

Il faudrait trouver des gens qui soient hors du groupe pour faire ça et qui aient envie de s'investir là-dedans. Je sais pas trop ce que ça va nous apporter en plus. Pour les subventions peut-être. Le problème c'est qu'on est moins doués pour les démarches administratives. On préfère plus faire de la musique que de s'occuper de ça et c'est le problème. Il faudrait trouver quelqu'un qui arrive à vendre l'affaire, qui s'occupe de la partie commerciale. Et ça on sera bien obligé de le faire. Déjà trouver la personne pour le faire c'est dur, il faut trouver quelqu'un qui croit autant dans la musique qu'on fait que nous. Ça, ça va être très dur... on le fera peut-être pour centraliser le pognon. Quand il y a des démos à faire ou des trucs comme ça. Ou dès qu'il y a un truc qui coûte des sous. Qu'il y ait personne qui se sente lésé au niveau financier et que ça faisande pas la bonne entente et l'esprit du groupe. En général les musiciens sont toujours farouchement opposés, ils ont une aversion naturelle pour tout ce qui est administratif. Aller vendre des trucs, démarches en tout genre, paperasseries, et ça, ça nous dessert, c'est clair. [Oscar, 30 ans, demandeur d'emploi, guitariste dans quantité de groupes, a enregistré plusieurs disques autoproduits]

Le problème, c'est qu'on a remarqué qu'il faudrait vraiment quelqu'un qui s'occupe de ça à part entière. On a deux personnes qui sont salariées, donc tu peux pas gérer ça à plein temps, donc tu tournes pas beaucoup. Si on fait six, sept dates par an, c'est le grand maximum. Le plus que j'ai tourné par an, c'est vingt concerts par an, pas plus. Si tu veux tourner régulièrement, il faut vraiment quelqu'un qui s'occupe de ça à part entière. Tu peux pas travailler, rentrer, passer des coups de fil, envoyer des affiches, pffff ! C'est difficile. [Bruno, 35 ans, travailleur social, guitariste dans plusieurs groupes de hard rock, interprète essentiellement un répertoire de reprises]

121Toutefois, certains musiciens, plus aguerris peut être, semblent moins disposés à laisser la gestion de leur carrière aux mains d'une tierce personne :

Non, c'est comme un ingé son, t’as du mal à en trouver. Puis ils peuvent pas compter sur nous pour vivre. On a déjà du mal pour nous. Puis faut toujours que ça passe par les musiciens. Je préfère le faire moi-même. Au moins j'ai tout chez moi, je démarche, si je connais pas, j'appelle le mec du label. Je me suis rendu compte au fil des ans, qu'il valait mieux que je fasse les trucs moi-même plutôt que de les filer aux gens, parce que souvent c'est mal fait, ou pas comme tu voulais. En fait tu perds plus de temps en déléguant. J'apprends par la force des choses. Quand tu cherches un label, c'est pareil. Au début tu te plantes, mais après à force, t'apprends à parler comme ils veulent que tu parles et voilà. [Christian, 28 ans, batteur dans un groupe death-thrash avec lequel il a publié deux disques sous contrat avec des labels indépendants]

122En matière de frais de personnels techniques liés à un concert, seuls trois groupes de l'échantillon déclarent recourir aux services d'un ingénieur du son pour l'équivalent d'un cachet d'intermittent (61 à 106 €/400 à 700 francs). Aucun ne s'attache les services d'un technicien lumière. Au final, il apparaît qu'en majorité les groupes de l'échantillon sont des entités totalement indépendantes sans frais de structure autres que ceux liés au carburant pour effectuer les déplacements inhérents à leurs concerts. Par ailleurs, ces déplacements s'effectuent en règle générale avec les véhicules personnels des musiciens et plus rarement par le biais de la location ou du prêt. Lorsqu'un groupe parvient à dégager quelques bénéfices financiers de ses concerts, ils sont en règle générale déposés dans une cagnotte ou sur un compte bancaire associatif. Seul un nombre très réduit de groupes partage cet argent entre les différents musiciens.

123Les conditions financières des groupes sont ainsi déterminantes. La faiblesse économique de leur entreprise les empêche bien souvent de pouvoir s'entourer d'un personnel compétent et efficace. La division des tâches en interne devient donc une contrainte répartie selon les compétences et le degré d'investissement des musiciens. Ils ne peuvent donc compter que sur eux-mêmes :

Le plus facile c'est de se prendre par la main et de démarcher. Déjà faut un support, c'est quand même cent fois mieux. Parce que sans support tu fais rien du tout. [Nathan, 20 ans, batteur dans un groupe death metal, a publié un disque sous contrat avec un label indépendant]

Les concerts constituent une activité majeure dans la vie d'un groupe metal. Ils en marquent le tempo. Mais comme le rappelle très justement l'un des musiciens interrogés, l'obtention d'un concert est souvent tributaire d'un support. Par support il faut entendre support enregistré et donc production discographique. Des éléments certes indissociables du concert, mais tout autant constitutifs de la carrière d'un groupe.

Enregistrement et production discographique

  • 101 ] Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 119.

124Hormis les formations débutantes, rares sont celles ne disposant d'aucun enregistrement. La production discographique constitue incontestablement un passage obligé dans la carrière d'un groupe. Le support enregistré représente le groupe et, à ce titre, fait office de « carte de visite ». Il lui permet de se faire connaître, d'obtenir des critiques dans la presse spécialisée, de chercher des dates de concert, de démarcher des producteurs, etc. Comme on peut le voir dans la série d'histogrammes ci-dessous, les trois quarts de l'échantillon disposent d'au moins une démo, qui constitue la base de la production discographique. Un tiers des groupes est parvenu à éditer un ou plusieurs 45 tours, ou à placer un ou plusieurs de ses titres sur une compilation ou un split. Seuls douze groupes figurent sur un EP (Extended Playing, maxi 45 tours). Un tout petit peu plus ont réalisé un ou plusieurs LP (Long Playing, 33 tours) ou CD. En toute logique, plus la carrière d'un groupe évolue, plus il publie de disques ou assure sa présence sur des compilations. Aucun d'entre eux n'en a pourtant plus de trois à son actif. Comme le rappelle Gérôme Guibert, « la production d'un disque ne sanctionne plus, comme auparavant, le passage d'un cap décisif vers la professionnalisation101 ». La démocratisation des outils technologiques liés à l'enregistrement (home studio, logiciels de MAO) et à la duplication domestique (graveurs de CD) constitue une réelle mutation en ce sens.

Nombre de demos (en %)

Nombre de demos (en %)

Nombre de 45 tours, splits, compiles

Nombre de 45 tours, splits, compiles

Nombre d’EP (en %)

Nombre d’EP (en %)

Nombre de LP, CD (en %)

Nombre de LP, CD (en %)

Les dispositifs de la production et de la distribution

Cadres discographiques et de distributions

Cadres discographiques et de distributions
  • 102 Cette pratique mérite d'être nuancée puisque certains groupes ne font pas toujours la distinction e (...)
  • 103 Les labels sans distributeurs sont des structures dont la force de vente est particulièrement rédui (...)

125Une production discographique s'inscrit toujours dans certains types de dispositifs nécessaires à sa réalisation et à sa diffusion. Près de trois quarts des enregistrements mis en vente sont des autoproductions ne bénéficiant d'aucun réseau de distribution. Près de 20 % des formations déclarent autoproduire leurs disques et les écouler par le biais d'un distributeur102. 11 % bénéficient des services d'un label et d'une distribution et près de 2 % travaillent avec un label sans distributeur103. Aucun groupe de notre échantillon n'a de rapport avec une major quelconque.

  • 104 Dans l'introduction de leur ouvrage, Ludovic Gombert et Aymeric Pichevin évoquent également la logi (...)

126Le recours à l'autoproduction indique qu'un groupe produit lui-même son enregistrement, en assure la promotion et, dans une majorité des cas, en gère la distribution. Le recours à l'autoproduction procède essentiellement de deux logiques au sein de notre échantillon. La première, majoritaire, résulte d'une indifférence du marché du disque. Elle opère donc par défaut et est vécue comme une phase transitoire. La seconde, minoritaire, correspond à un choix éthique reposant sur le refus d'une quelconque aliénation à ce marché104. Elle figure un choix assumé. Cela a déjà été rappelé plus haut, en majorité, les groupes espèrent se débarrasser des tâches qui les écartent du travail purement artistique. Cela concerne également la production discographique. Les groupes souhaitent bénéficier du capital économique et des dispositifs sociotechniques qu'une maison de disques ou un label sont supposés offrir.

  • 105 Rappelons que le nombre de musiciens augmente constamment, comme l'ont démontré les travaux d'Olivi (...)

127Toutefois, l'engorgement des débouchés est une donnée consécutive à l'inflation des prétendants105 dont le flot ininterrompu sature le marché. Cela n'implique cependant nullement que les groupes renoncent à enregistrer leurs compositions sur la base d'objectifs variables et évolutifs :

On est là depuis mars 89. Ça fait une paire d'années. On a fait trois démos. Passage obligé par les démos. Ensuite on a fait un album autoproduit qu'on a distribué nous-mêmes. Qu'on a financé nous-mêmes. Après on a été repérés par une boîte française [...] qui nous a sorti le deuxième album. Manque de bol, quatre mois après la sortie de l'album, la boîte a coulé. Après une paire de galères. Y a des musiciens qui sont partis, on avait plus de local, le blabla habituel et on a été recontacté par une boîte américaine [...] qui nous a ressorti l'album avec une distribution mondiale, Canada, Japon, un peu partout. Ensuite on devait enregistrer un album puisqu'on avait signé pour trois albums. Ça s'est pas trop bien passé parce qu'ils voulaient pas trop financer l'album. Donc on avait pratiquement rien pour enregistrer. A chaque fois qu'on leur écrivait ils voulaient pas répondre. On a laissé tomber. Pas de communication. On savait pas ce qui se passait. Enfin c'est pas grave. On a retrouvé des musiciens bien motivés et on a préparé les morceaux du nouvel album. On a enregistré l'album tous seuls encore. On l'a mixé, masterisé, produit tout seuls. Il est prêt. On attend plus qu'une boîte de disques. On a quelques contacts avec une boîte étrangère et une boite française et on attend. On l'a envoyé un peu partout. Le chemin classique. [Quentin, 33 ans, chanteur d'un groupe death metal]

128Ces propos sont particulièrement exemplaires en ce qu'ils concentrent les étapes d'une trajectoire « classique » sur un mode ascendant (démos, repérage par un label, album), avant d'illustrer sur le mode descendant (ennuis avec le label, retour à l'autoproduction) le caractère aléatoire du marché musical. Rien n'y est jamais définitivement garanti. Qu'une rencontre avec un label soit l'horizon à atteindre ou pas, le recours à l'autoproduction peut également être vécu comme une expérience formatrice. Certains groupes poussent la logique jusqu'à constituer leur propre label associatif, évitant ainsi de se mettre en position d'attente :

Le label je l'ai monté parce qu'on trouvait pas de labels pour sortir nos disques, donc, tant qu'à faire, autant le faire nous-mêmes. Démarche la plus simple, la plus efficace. [Eric, 25 ans, guitariste-chanteur d'un groupe grunge/metal]

129Toutefois, il se peut également que l'autoproduction soit subie lorsque les carrières se prolongent. Une expérience qui comporte souvent un risque d'implosion du groupe :

Avant d'enregistrer notre dernier album on était un peu à bout. Ça faisait huit ans que le groupe existait et moi j'étais à me dire que si on était pas signé à la fin de l'année, on arrêtait. [...] J'étais un peu dans une période d'abattement. Notre bassiste venait de nous lâcher. D'être signé, ça nous a remis sur pieds. Ça a été aussi un ultimatum. Si c'est pas maintenant qu'il se passait quelque chose, on restait dans notre garage. [Luc, 24 ans, guitariste-chanteur dans un groupe de metal progressif]

  • 106 Gombert, L, Pichevin, A. 2003. op. cit.

130En effet, autoproduire ses propres disques augmente la charge de travail des groupes qui excède alors largement les dimensions artistiques pour se frotter à des aspects financiers et commerciaux. « L'autoproduction peut donner d'excellents résultats, mais elle ne permet pas de dépasser un certain stade, du moins sans l'appui de partenaires106 ». Il apparaît donc que les réalités des groupes sont variables et se construisent à la mesure de leurs ambitions et de leurs moyens respectifs.

131Il en va de même pour les groupes ne disposant pas d'un circuit de distribution professionnel pour écouler leurs productions. Ils sont alors contraints à l'autodistribution. Ce qui signifie le déploiement d'un certain nombre de stratégies telles que la vente directe lors des concerts, le dépôt-vente (auprès de disquaires, de listes ou de catalogues de distribution), la vente par correspondance (VPC) aujourd'hui nettement facilitée par l'Internet, ou encore la souscription (pré-vente du disque avant sa réalisation).

  • 107 La forme contractuelle de ce type de collaboration est le contrat dit de licence.

132Pour beaucoup de formations, le modèle idéal d'une carrière artistique consiste à intégrer un label bénéficiant de moyens financiers conséquents et d'un circuit de distribution professionnel. On imagine sans peine que les groupes engagés dans cette forme de coopération présentent un intérêt commercial au moins ponctuel. Toutefois, il faut savoir que la majorité des labels accueillant des groupes lorrains sont des structures associatives aux capacités financières trop réduites pour pouvoir prendre en charge la globalité des frais liés à la sortie d'un disque. Dans le meilleur des cas, les modalités de coopération s'effectuent sur la base d'un partage des charges entre un label et un groupe. En d'autres termes, les parties négocient une co-production qui s'établit schématiquement de la manière suivante : au groupe les frais liés à l'enregistrement d'une part, au label les frais liés à la duplication, la promotion et la distribution d'autre part107. Dans ce cas, les labels injectent des sommes comprises entre 1 526 et 7 600 € (10 000 et 50 000 francs) pour produire un disque, sommes qui n'incluent pas les frais d'enregistrement en studio :

En fait, nous on a payé le studio, et eux payent tout le reste. La promo et le pressage de 2 000 CD. Donc ils s'occupent de tout. Distribution avec X, mais ça c'est une catastrophe, c'est le cas de la distribution avec X. Là ils y peuvent rien les pauvres. Par contre, pour le prochain, si on reste chez eux [le label], le CD sera financé en partie. Pas forcément tout. Avec eux, pour 15 000 francs tu fais un album. Moi je suis pas forcément de cet avis là. Parce qu'on a l'habitude de travailler dans un studio relativement cher, même si on a des avantages. On connaît les gars, on sait où on va. Je suis pas persuadé qu'en allant ailleurs on aurait mieux. Parce que le gars on le connaît pas. Il sait pas comment on fonctionne, comment on peut réagir. Y a plein de choses. Tant pis. S'ils mettent que quinze, 20 000 balles, ça fera une bonne, bonne partie du studio qui sera payé et on mettra le reste au bout. [Florent, 33 ans, guitariste d'un groupe de death gore]

133Il convient donc toujours de chercher à nuancer les déclarations des groupes dans la mesure ou l'efficacité commerciale de leurs labels et distributeurs peut être extrêmement variable :

Vous travaillez en coprod, c'est ça ?

Non, non, pas du tout. On a tout produit. On a eu les frais de pressage à nos frais. Tout à nos frais. Même la promo. Les pages de pub qu'on a pris, c'est nous qui avons payé. On a payé une demi page de pub dans Hard Rock pour 6 000 balles. On a pressé 500 exemplaires à nos frais.

Arrête tes conneries !

Non, non, c'est pour ça qu'on veut changer de label. Il distribue nos albums, tout le reste c'est à nos frais.

Mais attends, quel est le sens du label alors ?

C'est un label de distri. De plus en plus maintenant les labels prennent pas de risque à produire les groupes. [...] Ça existe plus les labels qui vont mettre 500 000 sur un album. Nous on avait eu un contrat de coproduction avec un label qui nous proposait de coproduire à hauteur de ce qu'on mettait. Si on mettait 30 000, ils mettaient 30 000. Mais après, eux, à l'époque ils avaient pas de distribution et sur le contrat ils nous proposaient 8 % des recettes. Notre label actuel nous proposait, sans nous produire, une distribution en France, plus dans certaines parties de l'Europe, de nous mettre dans les bacs, ce que l’autre label ne faisait pas. Et ils nous proposaient 60 % des ventes. Finalement, au bout du compte, on a peut être pas le son qu'on aurait eu avec 60 000 francs de budget, mais au moins on est partout dans les bacs. [Luc, 24 ans, étudiant, guitariste dans un groupe de metal progressif]

134On saisit mieux encore à travers cet exemple, la nécessité d'apporter un certain nombre de nuances aux termes employés qui recouvrent souvent des réalités assez hétérogènes. Eléments que la « lecture » d'un disque ne permet pas toujours d'élucider. Il apparaît ainsi que plus les capacités financières, techniques et commerciales d'un label sont réduites, plus il requiert l'implication active du groupe avec lequel il coopère. Le problème se pose avec d'autant plus d'acuité lorsqu'un groupe travaille avec un label ne bénéficiant d'aucun circuit de distribution professionnel.

135L'hétérogénéité des dispositifs de production et de distribution discographique donne matière à s'interroger sur ce qui pousse ces formations à s'associer à des structures dont elles pourraient quelquefois effectuer le travail. Intégrer un label, de quelque dimension qu'il soit, signifie qu'un intervenant extérieur au groupe va contribuer au développement de sa carrière sur le plan discographique. Les groupes accueillent souvent ce type de collaboration avec soulagement. Non pas qu'elle les débarrasse entièrement d'une charge de travail considérable (recherche de budget, recherche d'un distributeur...), notamment dans le cadre d'une modeste coproduction, mais parce qu'elle a une valeur symbolique forte : elle constitue pour un groupe une reconnaissance de son travail en même temps qu'elle contient, en creux, l'idée d'un marchepied vers la notoriété.

Etant donné qu'aucun groupe de l'échantillon n'est totalement pris en charge par un label ou une maison de disques, il est intéressant de se pencher sur les budgets consacrés à l'enregistrement, à la duplication, ainsi qu'au volet promotionnel et administratif.

L'enregistrement

Budgets consacrés à l’enregistrement

Budgets consacrés à l’enregistrement

136Si l'on considère leur dernier enregistrement en date, la plupart des groupes de l'échantillon enregistrent dans un studio en région. Un tiers d'entre eux ont effectué des sessions d'enregistrement d'une valeur inférieure à 763 € (5 000 francs). Un autre tiers y consacre des sommes pouvant dépasser les 4 580 € (30 000 francs). Le dernier tiers enregistre quant à lui en home studio et, dans une toute petite proportion, en live, ce qui ne lui coûte quasiment rien (une fois l'équipement amorti). Globalement et en moyenne, les groupes ayant fréquenté un studio d'enregistrement y ont consacré 28 400 € (186 000 francs), ce qui représente un budget moyen par formation s'élevant à 946 € (6 200 francs). Les groupes de l'échantillon investissent donc en moyenne, relativement peu d'argent dans les séances d'enregistrement comparativement aux combos d'autres régions (ce poste budgétaire est en moyenne près du triple en Pays-de-Loire et Poitou-Charentes).

La duplication

137Plus de la moitié de l'échantillon déclare dupliquer ses disques manuellement, en flux tendu. Un quart passe par une société de pressage de la région, tandis que le quart restant privilégie plutôt les sociétés hors région ou étrangères. Les duplications manuelles se limitent bien évidemment à des quantités inférieures à 100 exemplaires. Les duplications industrielles se limitent quant à elles bien souvent à 1 000 exemplaires, plus rarement au-delà. Il n'est donc pas surprenant de constater que les budgets consacrés au pressage soient en majorité inférieurs à 153 € (1 000 francs). La duplication industrielle pouvant quant à elle avoisiner les 1 526 € (10 000 francs). Quoiqu'il en soit, la somme globale consacrée à la duplication d'un enregistrement est de 18 700€ (122 500 francs), ce qui représente 550 € (3 600 francs) par groupe.

Quantité de disques dupliqués

Quantité de disques dupliqués

La promotion et l'administration

Budgets consacrés à la promotion

Budgets consacrés à la promotion
  • 108 Auxquels il faut ajouter les frais liés aux encarts publicitaires achetés dans des magazines ou des (...)

138Si une partie de ces disques sont destinés à la vente, une autre partie est destinée à la promotion du groupe. En moyenne, ce sont environ cinquante disques qui sont envoyés à des programmateurs de concerts ainsi qu'à la presse spécialisée108. Cette promotion est majoritairement orientée en direction des structures régionales avant de se diffuser hors région et à l'étranger. Le budget global consacré à la promotion s'élève à 11 000 € (72 000 francs), soit un budget moyen par groupe de 580 € (3 800 francs). Etant donné que la majorité des groupes ne consacre pas plus de 763 € (2 500 francs) à la promotion, le petit nombre de formations déclarant des budgets promotionnels supérieurs à 1 526 € (10 000 francs) a pour effet de « gonfler » la somme globale.

139Bien que l'enregistrement, la duplication et la promotion qui s'en suivent sont souvent financés par l'argent personnel des membres d'un groupe, il se dégage de cette enquête qu'en règle générale, ces différentes phases relèvent de financements mixtes qui mêlent par ordre d'importance : argent personnel, recettes générées par les concerts, la vente de disques ou le merchandising, participation des labels, aides privées relevant de la sphère familiale, emprunts, programmes d'aides de type Défi Jeunes ou Opération Talents, mais aussi, dans une moindre mesure, de subventions publiques.

  • 109 Seuls dix groupes sur 65 ont un statut associatif. Ce qui ne signifie pas, par ailleurs, que leur c (...)

140Les autres postes de dépenses liées au fonctionnement d'un groupe que sont le téléphone, l'affranchissement, les affiches, le dossier de presse et les frais divers comme l'abonnement Internet par exemple, sont relativement difficiles à évaluer lorsque les groupes ne disposent pas d'une comptabilité analytique109 Au final, si l'on adjoint aux réponses obtenues les frais liés à la promotion, il apparaît qu'en moyenne annuelle, la somme globale afférente à ces différents postes atteint 21 420 € (140 300 francs), ce qui représente une somme d'environ 1 231 € (8 060 francs) par groupe.

Postes de dépenses

Coût moyen global

Coût moyen par groupe

Promotion

11 000 €

580 €

Téléphone

2 940 €

163 €

Frais postaux

3 625 €

181 €

Afffiches

1 870 €

155 €

Press book

1 985 €

152 €

Totaux

21 420 €

1 231 €

  • 110 Les frais liés à l'emploi d'un technicien son et/ou lumière sont trop peu représentatifs (trois for (...)
  • 111 Le poste merchandising relève à la fois des dépenses (investissement) et des recettes (engendrées p (...)
  • 112 Ce tableau combine charges évaluées pendant les douze derniers mois précédant l'enquête (loyers des (...)

141A considérer que le fonctionnement d'un groupe s'articule grosso modo autour de la répétition, de concerts, d'enregistrements, de fabrication de supports enregistrés et de promotion, il apparaît que cet ensemble d'activités se divise en deux parties : celles qui occasionnent des frais110 et celles qui génèrent des recettes111. Le tableau ci-dessous112 fait état d'un volume de dépenses moyennes de l'ensemble de l'échantillon nettement supérieur au volume des recettes moyennes. Il en va de même si l'on rapporte ces moyennes à l'échelle des groupes. Globalement, ces derniers vivent donc plutôt au-dessus des moyens générés par leurs activités. C'est probablement à cet endroit que l'on mesure le mieux l'importance que revêt l'apport financier personnel des musiciens.

Dépenses moyennes

Dépenses moyennes
  • 113 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 117-121.
  • 114 Il est à noter que mon enquête, contrairement à celle de Guibert et Migeot, n'a pas pu établir les (...)
  • 115 Avec les précautions nécessaires à la manipulation de cette moyenne déjà soulevée plus haut dans un (...)

142Rapportés une fois encore au travail de Guibert et Migeot113, ces chiffres montrent que l'investissement moyen des groupes lorrains dans les dépenses de fonctionnement est près de trois fois moins élevé que celui de leurs homologues de l'Ouest114. On peut donc les classer sans aucune ambiguïté dans la catégorie des groupes amateurs si l'on se réfère à la typologie établie par les deux chercheurs. Ainsi, concernant les frais d'enregistrement et de production discographique, les groupes de l'échantillon des Pays-de-Loire et de Poitou-Charentes déboursent trois fois la somme engagée par les formations lorraines. J'ai déjà signalé plus haut que ces dernières recouraient fortement au home studio et à la duplication manuelle. Pratiques ayant pour effet d'amoindrir considérablement les dépenses. Mais on peut également faire l'hypothèse que le faible volume de concerts réalisés par les groupes lorrains (qui, rappelons-le, est quasiment leur seule source de revenus), agit au final comme un frein à l'investissement. Les participations financières des musiciens aux activités du groupe, si elles semblent être généreuses puisqu'elles compensent le déséquilibre occasionné par les dépenses, ne sont pas extensibles à l'infini. Cela est d'autant plus vrai que l'équipement des musiciens constitue déjà en soi un poste de dépenses important. Il n'y a donc finalement que sur le poids des charges liées au loyer d'un local de répétition (550 €/3 600 francs pour les groupes de l'Ouest) et sur le volume des dépenses engagées pour la promotion et l'administration (1 321 €/8 655 francs pour les groupes de l'Ouest) que l'on voit les groupes lorrains rejoindre sensiblement les groupes de la catégorie amateurs de l'Ouest. Par ailleurs, si l'on compare un ratio moyen de 26 concerts par an effectués par les formations des Pays-de-Loire et Poitou-Charentes115, contre une moyenne de 8 concerts exécutés par les groupes lorrains, se pose très clairement la question de leur efficacité.

  • 116 Situation imputable soit à une absence de savoir-faire, soit à la résistance des diffuseurs quant a (...)

143Par déduction syllogistique, on saisit mieux les raisons pour lesquelles les groupes lorrains investissent trois fois moins d'argent dans l'enregistrement et la production que leurs homologues amateurs de l'Ouest. Leur manque d'efficacité en matière de recherche de concerts a pour conséquence directe la faiblesse de leurs recettes116. Situation qui ne les autorise pas à investir de sommes importantes dans l'enregistrement et la production discographique. Conséquemment, les productions en question sont de qualité moyenne, ce qui dessert leur identification sur un marché déjà fortement saturé. La production discographique étant supposée représenter le potentiel d'un groupe, leurs possibilités de se produire sur scène décroissent mécaniquement.

Sommes moyennes investies à l'année dans la musique par l'ensemble de l'échantillon

144En cumulant les postes liés à la consommation culturelle (achat disques, fréquentation de concerts), à l'acquisition de matériel musical117 et au fonctionnement des groupes (répétition, concerts, enregistrement, promotion, etc.), on observe bien évidemment une disproportion flagrante entre dépenses et recettes. Mais ce n'est pas tant la raison d'être du tableau ci-dessous que de mettre en exergue la somme d'argent que l'échantillon observé investit (annuellement et par production discographique) dans la musique à titre individuel ou collectif. Il apparaît ainsi que 165 individus, répartis au sein de 65 formations, consacrent annuellement, au titre de leur attachement à la musique metal, environ 300 000 €(1,9 millions de francs) à la consommation culturelle, à l'acquisition d'un parc instrumental et aux dépenses de fonctionnement de ces groupes. Ce qui représente un poids économique considérable qui, à titre de comparaison, est nettement supérieur aux crédits d'investissements que le Conseil Régional de Lorraine consacre aux collections et aux expositions en 2001118, par exemple.

Dépenses totales

Dépenses totales

6. Ce qui attache

Nous, on nous file mille balles, à bouffer et un coin pour dormir, on est content, on se fait plaisir. [Florent, 33 ans, guitariste d'un groupe de death gore, actuellement sous contrat avec un label, a publié deux disques]

Ça me fait plaisir de jouer. On monte sur scène, on va faire du bruit. C'est cool ! [Christian, 28 ans, enseignant, batteur dans plusieurs groupes metal, a participé à l'enregistrement de plusieurs disques]

145L'observation d'une passion pour le metal, a permis d'identifier sa traduction en actes. L'attachement se manifeste, selon des degrés divers, sous la forme d'un engagement dans un certain nombre d'activités : consommation de disques, fréquentation de concerts, constitution d'un groupe, édition d'un fanzine, etc. Cet engagement est à élaborer. Il nécessite un apprentissage, un investissement en temps et en argent ainsi que la mobilisation d'une multitude de ressources : dispositifs, objets, humains. Ce cheminement s'accompagne donc d'un travail. A ce titre, il ne s'effectue jamais sans effort comme on l'a vu. A la difficulté de constitution d'une culture musicale succède la difficulté de l'apprentissage d'un instrument de musique. A la difficulté de trouver des concerts succède la difficulté de trouver un financement permettant l'enregistrement d'un disque, etc. Après avoir dirigé notre attention vers quelques mécanismes de « performation » de la passion saisis dans leur épaisseur collective, il s'agit, pour finir, de revenir à la source de l'action en nous centrant sur le sujet, pour tenter de répondre à la question de savoir ce qui meut l'individu :

Bien sûr. On a rien sans rien. C'est une passion. Rien que le matos et tout. Si on voulait pas sortir de blé, on ferait pas de musique. On arrête pas de dépenser. C'est comme ça, c'est un choix. [...] Passion de la musique, passion du metal, c'est vraiment ce qui m'anime. Si t'enlèves ça y a plus rien. C'est la passion, c'est la musique. C'est le metal et la musique en général, j'écoute pas que du metal. C'est une passion, c'est un mode de vie la musique. Ta vie c’est ça. Ecouter de la musique, vivre pour la musique, c'est un mode de vie. Tout bon musicien te dira ça. C'est pas du tout pour le blé, sinon je ferais du bal musette. Je ferais de la techno ou du rap même. [...] Non, c'est la passion vraiment, numéro un : passion. [Nathan, 20 ans, batteur dans un groupe death metal]

Des mecs que tu adores en CD, tu les vois jouer devant toi, t'oublies tout. [...] Mais bon, on ne vient pas là juste pour dire : « j'écoute de la musique violente ». Non, je viens là en tant que connaisseur, je connais cette zique, je connais ce groupe, je l'adore. Donc, je veux l'apprécier encore mieux. [Abel, 26 ans, éditeur d'un fanzine grind, death metal]

  • 119 Pour le sociologue allemand Hans Joas, l'action présuppose les trois postulats implicites suivants  (...)
  • 120 Cette dimension a été modélisée au travers du concept de « créativité de l'agir » par Hans Joas. L' (...)

146La dimension du plaisir est une constante dans l'ensemble des discours recueillis. Celle de l'oubli de soi est elle aussi récurrente. Tout comme l'emprise de la musique sur le corps. Par ailleurs, on saisit bien à travers le dernier exemple la figure de l'amateur éclairé qui vient compléter ses analyses d'un disque par l'évaluation d'une prestation scénique, et par là, tenter de faire survenir une nouvelle fois le plaisir. Replacer ces procédures et l'ensemble de celles qui ont précédé au cœur d'une théorie de l'action119, conduit à mettre l'accent sur la dimension créative de tout agir humain120. Certains musiciens mobilisent eux-mêmes les valeurs de l'épanouissement personnel et de la réalisation de soi – attachées à la créativité – au travers de l'activité :

Attends, mais faut être marbré pour répéter pendant dix ans, qu'il fasse chaud, qu'il fasse froid, dans un local où on se les gèle. Se taper des kilomètres pour jouer parfois devant cent personnes. Ça peut aller jusqu'à 600. Et pour pas grand-chose. [...] Ce qui anime les groupes à ce niveau-là, c'est le plaisir. Tu le vois automatiquement de toute façon. C'est tout. C'est comme le mec qui va jouer au foot tous les dimanches. Faut être con. Tous les dimanches matin ou après-midi, faut être con. Ben, non t'es pas con si t'aimes ça. C'est pareil. Il y en a qui vont se crever la paillasse en faisant des marathons et le lundi matin, ils viennent au boulot, c'est pareil. Le mec si c'est son truc, s'il s'éclate là-dedans, si ça l'aide à être mieux dans sa tête, il a raison. Nous on se marre, on se fend la gueule, on rencontre plein de gens qu'on connaît. Et puis c'est génial. Puis à côté de ça, on s'autofinance. Quelque part, c'est un hobby qui nous coûte pas cher. Puis c'est ce qui nous plait. [...] Se faire plaisir. Continuer à se faire plaisir, je crois que c'est ça. Faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux. C'est ça. Le jour où on en aura marre on arrêtera, c'est tout. [Florent, 33 ans, guitariste d'un groupe de death gore, actuellement sous contrat avec un label, a publié deux disques]

  • 121 Joas, H. 1999. op. cit., p. 265-266.
  • 122 Chastagner, C. 1998. La loi du rock. Castelnau-le-Lez : Climats, p. 90.
  • 123 Dumazedier, J. 1998. Loisir. Dictionnaire de la sociologie. Paris : Encyclopaedia Universalis et Al (...)
  • 124 Cette thèse est évidemment inverse à celle de Hannah Arendt pour qui le temps de loisir n'aurait d' (...)

147Cette conception de la vie, pur produit des sociétés développées post-matérialistes121, a largement puisé dans la « pensée romantique, mettant en avant les notions de créativité personnelle et d'autonomie de l'individu122 ». Elle repose également sur le concept de loisir sous son caractère hédonistique, « marqué par la recherche d’un état de satisfaction de l'individu, pris comme une fin en soi123 ». Envisager la pratique musicale en tant qu'un temps de loisir est un moyen permettant de stabiliser une passion124, à condition toutefois de renoncer à la perspective d'une carrière professionnelle. Ce qui n'empêche nullement d'exiger un haut niveau de technicité dans l'exercice de son art.

  • 125 Joas, H. 1999. op. cit., p. 266.

148Il n'en est pas moins vrai que la professionnalisation reste l'horizon d'un certain nombre de musiciens. « Alors qu'on distinguait auparavant entre une vie professionnelle à valeur strictement instrumentale et une vie privée présentant, dans le cadre de la conformité sociale, un caractère purement expressif, on s'efforce maintenant de trouver un style de vie personnel qui concilie l'expressivité et l'instrumentalité. On aspire à des métiers qui semblent promettre une telle combinaison [...]125 ». Dès lors, face à l'incertitude du marché, la détermination et la stabilité des pratiquants prend d'autant plus de valeur, surtout lorsque les perspectives de vivre de son art se font attendre :

C'est le truc le plus dur. D'avoir dans le groupe cette harmonie là et que ça dure. Qu'ils soient tous prêts à galérer. [...] C'est vachement dur. Avec Jo et Nico c'est une chance énorme. Ils ont tous les deux une copine qui bosse et qui gagne de la thune. C'est déjà de la sécurité. Luc il fait plein de plans road, c'est pas comme s'il gagnait pas sa vie. Nico il a un CDI dans une MJC, il donne des cours trois fois par semaine. Ça l'empêche pas du tout de bosser tout le temps pour le groupe. C'est vraiment une chance. Nous on est vraiment les piliers du groupe. C'est une chance de trouver des gars comme ça, qui sont prêts tout le temps à se donner pour ça et à mettre toute leur vie entre parenthèses. C'est vraiment une chance inestimable. [Christian, 28 ans, batteur dans un groupe death-thrash ayant huit années d'existence]

149Une situation qui traîne avec elle son lot de contraintes nouvelles, car prétendre à être professionnel comporte le risque de le devenir effectivement :

C'est vraiment la passion de cette musique. Mais c'est vrai que j'en écoute moins qu'avant. J'ai pas le temps. Et quand tu répètes autant, tu rentres chez toi, tu veux du silence. Avant quand t'es jeune, t'écoutes de la musique 24 heures sur 24. Tu sors de quatre heures de répètes, tu mets le casque chez toi. T'en peux plus, ça te fatigue trop la tête. Je deviens vieux (rires). C'est vrai. Chez moi je mets rarement des disques. J'en achète plus que je n'en écoute. Quand c'est intensif comme en ce moment, je pense surtout à prendre du temps avec ma copine, à faire autre chose. [Christian, op. cit.]

  • 126 Joas, H. 1999. op. cit., p. 269-270.

150Qu'il soit vécu sur le mode du loisir ou dans une perspective professionnelle, l'engagement dans le monde du metal s'inscrit dans une dimension créative sur laquelle s'articule l'idée de participation telle qu'elle a été formulée par Hans Joas. Ce concept « recouvre aujourd'hui ce que les tendances à la privatisation ont laissé subsister du désir de vivre directement et publiquement sa socialité, d'exercer une activité créative et efficace au sein de la communauté. En participant aux organisations et aux institutions politico-culturelles, ainsi qu'aux mouvements sociaux qui constituent les bases mouvantes de la démocratie, l'individu peut allier de façon indissoluble la poursuite rationnelle de ses intérêts, l'obligation morale et l'épanouissement créateur. [...] La participation prend place dans un équilibre, que chacun doit trouver pour son propre compte, entre différents modes d'action126 ».

Des groupes comme le mien ont envie de jouer pour le plaisir. Pas forcément pour gagner de l'argent ou si peu que ça permet à peine de se payer un jeu de cordes. Il faudrait un peu cadrer un peu tout ce qui est amateur pour qu'il y ait pas de problèmes entre les amateurs et les intermittents. Qu'ils pensent pas qu'on veut leur ôter le pain de la bouche, ce qui est complètement faux. L'amateur il veut jouer. Si on lui propose qu'un plan dans un café et que le patron lui propose que dix bières ou 200 balles de défraiement, il ira jouer parce qu’il a envie de jouer. Après, faut trouver une solution pour que dans ces pratiques là les groupes soient pas pénalisés. Y a à réfléchir là-dessus. [...] Je pense qu'il peut pas y avoir de professionnels sans amateurs et que si on empêche aux amateurs de pratiquer la musique, y aura jamais d'intermittents qui vont sortir des amateurs et ce sera un peu couper les racines de l'arbre. [Serge, 35 ans, guitariste-chanteur d'un groupe thrash metal]

151A des degrés divers, créer, se passionner, se laisser prendre, participer, pratiquer, apprendre, travailler, répéter, s'exprimer, jouer, jouir, publier, critiquer, rencontrer, se professionnaliser, être reconnu, etc., constituent donc quelques-uns des termes définissant la « créativité de l'agir ». Mais n'oublions pas que cette créativité est irréductible à l'activation d'un réseau hétérogène de médiateurs qui la rendent opérante. Le monde du metal n'existe qu'au sein de cette configuration.

Notes

1 Par souci de préserver l'anonymat des personnes ayant contribué à la réalisation de ce travail, leurs prénoms et les noms des labels avec lesquels ils sont sous contrat ont été systématiquement remplacés par d'autres.

2 Guibert, G., Migeot, X. 1999. Les dépenses des musiciens de musiques actuelles. Eléments d'enquêtes réalisées en Pays-de-Loire et Poitou-Charentes. In La Scène. Hors-série. Avril 1999. Politiques publiques et musiques amplifiées/actuelles. Actes des 2èmes rencontres nationales. Nantes 1998, p. 117-121. Signalons toutefois que Catherine Doublé-Dutheil a également mené un travail de ce type. Doublé-Dutheil, C. 1991. Les groupes de rock nantais. In Mignon, R, Hennion, A. Sous la dir. 1991. Rock. De l'histoire au mythe. Paris : Anthropos, coll. Vibrations, p. 147-158. Bien qu'intéressante, son étude est cependant légèrement moins rigoureuse que celle menée par Guibert et Migeot.

3 En Allemagne, la moyenne d'âge de l'échantillon de Bettina Roccor est de 21 ans. Le plus jeune des fans interrogés a 13 ans et le plus âgé, 42 ans. Roccor, B. 2002. Heavy Metal. Kunst, Kommerz, Ketzerei. Berlin : I.P. Verlag Jeske/Mader GbR. 1ère éd. 1998, p. 146.

4 Ceci est un point confirmé par toutes les études menées sur le metal, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Allemagne. Weinstein, D. 2000. Heavy Metal. The music and its culture. New York : Da Capo Press. 1ère éd. 1991 ; Walser, R. 1993. Running with the devil : power, gender & madness in heavy metal music. Delaware, Ohio : Wesleyan University Press ; Roccor, B. 2002. op. cit.

5 Sur ces points, l'échantillon allemand (121 fans) montre que seuls dix d'entre eux vivent en couple et que sept d'entre eux ont des enfants.

6 Près de la moitié des individus de l'échantillon (48 %) réside en Meurthe-et-Moselle. 30 % d'entre eux sont domiciliés en Moselle, tandis que 13 % le sont dans les Vosges, que 7 % habitent la Meuse et que 2 % résident hors Lorraine dans le cadre de leurs études.

7 Guibert, G. 1998. Les nouveaux courants musicaux : simples produits des industries culturelles ? Nantes : Mélanie Séteun. Coll. Musique et Société, p. 87.

8 Cette idée est par contre totalement valide concernant les fans allemands comme on peut le voir dans la recherche de Roccor, B. 2002. op. cit., p. 148.

9 Ces études sont sanctionnées par un équivalent du bac appelé abitur.

10 ROCCOR, B. 2002. op. cit., p. 149-152.

11 En pourcentage cela représente 10,1 %. Ce chiffre est légèrement supérieur au taux de chômage en Lorraine (autour de 8,9 %) et au taux national (autour de 9,3 %) selon des sources Insee (1er trimestre 2003).

12 Walser, R. 1993. op. cit., p. 3 et 16-17 ; Berger, H. M. 1999. Metal, rock and jazz. Perception and the phenomenology of musical experience. Delaware, Ohio : Wesleyan University Press, p. 61.

13 Weinstein, D. 2000. op. cit., p. 113-117.

14 Le psychologue américain Jeffrey Jensen Arnett estime quant à lui, que les amateurs de metal proviennent aussi bien des classes moyennes que des classes populaires. Arnett, J. J. 1996. Metalheads : heavy metal music and adolescent alienation. Boulder, Colorado : Westview Press, p. 172.

15 Roccor, B. 2002. op. cit., p. 150.

16 Berger, H. M. 1999. op. cit., p. 290.

17 Les données nord-américaines restent très floues sur ce sujet. Les données allemandes sont, de l'aveu même de leur auteur, quantitativement insuffisantes pour être représentatives. Il est donc difficile de systématiser les comparaisons.

18 Cette donnée est également vérifiée au sein des études américaines et allemande sur le metal.

19 On voit ici, au travers des auteurs des propos cités, que Led Zeppelin n'est pas affilié au hard rock et encore moins au metal, mais plutôt au rock.

20 « La figure du "grand frère" est omniprésente dans les récits des passionnés ». Le Bart, C. 2000. Les fans des Beatles. Sociologie d'une passion. Rennes : Presses Universitaires de Rennes, coll. Le sens social, p. 33.

21 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. Figures de l'amateur. Formes, objets et pratiques de l'amour de la musique aujourd'hui. Paris : La Documentation Française, p. 46.

22 Berger, H. M. 1999. op. cit., p. 59.

23 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 152-156.

24 Le terme d'hapax est mobilisé par Michel Onfray dans plusieurs de ses ouvrages. Pour lui, « les hapax sont des expériences n'ayant qu’une seule occurrence mais déterminant toute une existence chez un individu ». Onfray, M. 1993. La sculpture de soi. La morale esthétique. Paris : Le Livre de Poche, coll. Biblio Essais, p. 213.

25 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 188.

26 Après tout, est-il possible de décrire précisément les effets produits par un orgasme sexuel ?

27 Christian Le Bart, dans son ouvrage sur les fans des Beatles a également noté cette dimension se matérialisant à l'écrit par des points de suspension, qui selon lui marquent l'entrée dans le domaine de l'indicible. Il cite à ce propos une enquête d'Anne-Marie Green (1986, p. 145), selon laquelle « Le plaisir que la musique procure est indicible ». Le Bart, C. 2000. op. cit., note de bas de page, p. 36.

28 Ces prémisses sont saisies non pas au moment du basculement, mais plutôt dans la pratique qui s'en est suivie.

29 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 186-188.

30 C'est ce qu'ont démontré les travaux de Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 186-208, et Le Bart, C. 2000. op. cit., p. 25-39.

31 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 186.

32 C'est une comparaison de ce type que l'on retrouve chez Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., dans le chapitre 2, intitulé « Les conditions de la passion », p. 151-208.

33 Ils recoupent également les différentes modalités de la passion explorées par Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 187.

34 Selon une expression d'Antoine Hennion.

35 Pour d'autres les rituels sont quasi immuables : « Quand j'arrive ici, je regarde le CD et tout, je l'ouvre délicatement, je mets le CD dedans et je commence à écouter. Je saute sur les plages pour appréhender un peu l'album on va dire et puis après je me pose et je l'écoute d'une traite. Je considère plusieurs types d'écoutes. Y a l'écoute qu'on fait sur les haut-parleurs de la chaîne. Y a l'écoute approfondie au casque. A partir du moment ou l'album a atteint une certaine maturation, que je l'ai bien digéré, il est digne de rentrer dans la voiture [rires]. Là je peux rouler, analyser les situations en savourant la musique en même temps ». [Jérôme, op. cit.]

36 Hennion, A., Maisonneuve, S. Gomart, E. 2000. op. cit., p. 190.

37 Le Bart, C. 2000. op. cit., p. 41.

38 Par consommation il ne faut pas nécessairement entendre acte d'achat. Beaucoup d'amateurs, trop jeunes pour disposer d'un pouvoir d'achat suffisant, recourent à l'emprunt de disques et à la copie privée.

39 Dans le même esprit que précédemment, un autre amateur interrogé déclare la chose suivante : « Je suis quand même fier que le CD de Carcass que je t'ai montré là, je l'ai depuis 90. Il est toujours intact, quoi. Je fais toujours gaffe. Tous les six mois, je change de boîtier, pour qu'il n'ait pas l'air trop usé ». [Abel, op. cit.]

40 C'est dans cette moyenne que se situent les dépenses des amateurs allemands interrogés par Roccor, B. 2002. op. cit., p. 301.

41 Donnat, O. 1998. Les pratiques culturelles des Français. Enquête 1997. Paris : Ministère de la Culture et de la Communication, p. 102-103.

42 Le critère du nombre de kilomètres effectués pour se rendre à un concert ou à un festival aurait également pu être mobilisé. Beaucoup d'amateurs n'hésitent pas à couvrir des distances très importantes en direction des festivals européens (Grande-Bretagne, Allemagne, Suisse, Belgique, Pays-Bas, Danemark, etc.), soit par leurs propres moyens, soit en prenant part à des voyages organisés par des associations d'amateurs (Club Hard Rock, promoteurs locaux), des magazines (Metallian) ou des agences de voyage.

43 Donnat, O. 1998. op. cit., p. 102-103.

44 Certains amateurs déclarent également conserver d'autres objets attestant de leur participation à un festival ou à un concert. Parmi ces objets, les plus courants sont les t-shirts à l'effigie des groupes présentant au dos, le nom et l'année de la tournée ainsi que les différentes villes visitées ou encore les t-shirts affichant le nom d'un festival et récapitulant l'ensemble de sa programmation. On peut également citer les affiches des tournées (qu'il est possible d'acquérir soit en les achetant, soit en les décollant des murs, soit encore par l'intermédiaire d'un organisateur de concerts bienveillant) ou les gobelets consignés circulant dans certains festivals.

45 Hennion, A. 1993. La passion musicale. Paris : Métailié, p. 292.

46 Roccor, B. 2002. op. cit., p. 221.

47 Le Bart, C. 2000. op. cit., p. 93-117.

48 L'expression est de Bettina Roccor. « Métalliser » sa vie suppose l'appropriation et la mobilisation d'une multitude d'objets de célébration metal tels que les posters, les stickers, les disques, les t-shirts, etc. Roccor, B. 2002. op. cit., p. 218.

49 Comme nous l'avons déjà vu dans le chapitre précédent, les dossards, patches et badges, très prisés dans les années 80, tendent à disparaître du paysage des attributs metal au bénéfice d'un merchandising plus fonctionnel dont le t-shirt classique est l'article phare.

50 Un spécialiste peut facilement situer le goût du porteur de t-shirt au sein d'un courant musical particulier sans produire les généralités propres à l'observateur néophyte, qui au mieux réduira ce goût au metal.

51 Roccor, B. 2002. op. cit., p. 221.

52 Si la comparaison avec les clubs de motards est envisageable sur la forme, elle mérite d'être nuancée quand au fond, notamment à la lecture de Wolf, D. R. 1995. Les « Rebels ». Une fraternité de motards hors-la-loi. Montréal : Les Editions Balzac. Coll. L'envers du décor, p. 123-141. Pour cet anthropologue canadien, les « couleurs », à savoir l'emblème du club, « sont le symbole physique de l'appartenance au club. Qui plus est, elles sont le catalyseur du comportement du hors-la-loi. Elles changent profondément la réalité sociale et psychologique de celui qui les porte » (p. 129). En outre, leur obtention suppose une très longue initiation sanctionnée par plusieurs rites de passage. Les « couleurs » de l'amateur de metal relèvent quant à elle exclusivement du libre arbitre.

53 Avec la difficulté, soulevée par Christian Le Bart. 2000. op. cit., p. 115, d'être anonyme au milieu de pairs partageant un mode d'expression identique. Ceux qui s'en accommodent sont rassurés à l'idée de faire partie d'une communauté. Pour les autres, il s'agit de trouver le t-shirt que personne ne porte pour tenter d'affirmer sa singularité. Dans ce cas de figure, le choix du t-shirt avant un concert est toujours un acte mûrement réfléchi.

54 Le Bart, C. 2000. op. cit., p. 102.

55 Le moins onéreux est Metallian (3,80 € par bimestre, soit 1,9 € par mois) et les plus chers sont Rock Hard et Hard Rock (6 €).

56 Chocron, C. 1994. Les enjeux économiques du rock. In Gourdon, A.-M. sous la dir. Le rock. Aspects esthétiques, culturels et sociaux. Paris : CNRS Éditions, p. 138.

57 Le Bart, C. 2000. op. cit., p. 103. Le statut d'érudit est rarement formalisé en ces termes pour désigner un individu dans le milieu metal. On lui attribue plus facilement celui de connaisseur. C'est celui que je privilégierai également.

58 Ces propos paraphrasent ceux de Jean-Marc Leveratto qui parle quant à lui « d'œil » du connaisseur. Leveratto, J.-M. 2000. La mesure de l'art. Sociologie de la qualité artistique. Paris : La Dispute, p. 21.

59 Leveratto, J.-M. 2000. op. cit., p. 21.

60 Leveratto, J.-M. 2000. op. cit., p. 22.

61 Les quelques ouvrages et articles sur le sujet ont été cités dans le chapitre consacré aux sources ayant permis la rédaction de cet ouvrage.

62 Il s'agit en fait également d'un processus de production, mais de production de connaissance. Pour bien marquer la distinction, je parlerai donc d'un processus de connaissance et d'un processus de production.

63 Menger, P.-M. 1997. La profession de comédien. Formation, activités et carrières dans la démultiplication de soi. Paris : Ministère de la Culture et de la Communication.

64 Le booking est une activité consistant à chercher des dates de concerts et à organiser des tournées.

65 Après avoir préalablement testé cette question qui s'est révélée être particulièrement embarrassante pour les enquêtés, il m'est apparu qu'il était probablement plus simple de laisser à chacun le choix de ses catégories d'évaluation temporelle.

66 Entre autres commentaires, on peut citer : « je ne vis que pour la musique », « je bosse toujours dans ma tête », « tout mon temps libre en dehors des heures de travail et de sommeil ».

67 Parmi elles citons : « 50 à 90 % », « 20 à 70 heures/semaine », « tout le temps libre » et « beaucoup ».

68 Parmi elles citons : « 10 à 19 heures/semaine », « -8 heures/semaine », « -40 % du temps libre », « peu », « pas assez ».

69 Ce constat a déjà été établi en 1996 par Donnat, O. 1996. Les amateurs. Enquête sur les activités artistiques des français. Paris : Ministère de la Culture, Dag, Dep, La Documentation Française, p. 55-56.

70 Menger, P.-M. 1983. Le paradoxe du musicien. Paris : Flammarion, p. 22.

71 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 117-121.

72 Donnat, O. 1996. op. cit., p. 61-64.

73 Sourisseau, R. 1998. Musiciens cherchent soutiens : répétition, formation. Les Rencontres du Grand Zebrock. A propos des musiques actuelles. Noisy-le-Sec : Chroma, p. 93.

74 Lire à ce sujet le très instructif échange entre Marc-Olivier Dupin, directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) et Philippe Berthelot de la Fédurok, paru dans Les Rencontres du Grand Zebrock. A propos des musiques actuelles, op. cit., p. 104-106.

75 Suite aux préconisations du rapport d'Authelain, G. 1997. La formation de musiciens pour le développement de la pratique des musiques actuelles. Paris : ministère de la Culture et de la Communication. Direction de la musique et de la danse, ainsi qu'au programme d'action développé en 1998 par le ministère de la Culture, qui vise notamment à ouvrir les écoles nationales de musique et les conservatoires aux musiques actuelles. Voir pour cela le Rapport de la commission nationale des musiques actuelles à Catherine Trautmann, Ministre de la culture et de la communication. 1998. Disponible sur : http://www.irma.asso.fr. L'impact de ces mesures semble cependant relativement modeste étant donné, en Lorraine tout du moins, que la formation est surtout assurée par des structures associatives et certaines collectivités publiques. En 1992, Louis Chrétiennot (ENM Villeurbanne) observe que les efforts réalisés par l'Etat en matière de formation connaissent une grave dérive étant donné que l'enseignement dispensé reproduit à l'identique les méthodes pédagogiques à l'œuvre dans les conservatoires, in Chrétiennot, L. 1992. Y a-t-il un rocker dans la salle ? Formations rock, état des lieux. Paris : CIR, coll. Volumes, p. 18.

76 Chrétiennot, L. 1992. op. cit., p. 16.

77 Menger, P.-M. 1997. op. cit., p. 113.

78 Shank, B. 1996. Fears of the white unconscious : music, race and identification in the censorship of « cop killer ». Radical History Review, no 66. Disponible sur http://chnm.gmu.edu/rhr/article1.htm, p. 5.

79 Pierre-Michel Menger propose quelques éléments d'explication quant à la séduction qu'exercent les professions artistiques malgré les dimensions d'incertitude et de prise de risque qui y sont attachées. MENGER, P.-M. 1991. op. cit., p. 61-74.

80 Par école de musique, il faut majoritairement entendre certaines structures municipales. Seuls deux individus de l'échantillon déclarent avoir suivi un cursus de formation professionnelle orienté « musiques actuelles » de type MAI (Music Academy International), ex-CMCN. J'ai pu en interroger un autre, dont les propos sont mobilisés ici, bien avant d'avoir lancé ma campagne de questionnaires.

81 Menger, P.-M. 1983. op. cit.

82 Voir à ce sujet Menger, P.-M. 1983. op. cit., p. 22-23, et Menger, P.-M. 1997. op. cit., p. 113.

83 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 119.

84 Ces formations ont en général un coût inférieur à 30 €. Le nombre très faible d'occurrences ne permet de dégager aucun chiffre significatif et exploitable pour cette enquête.

85 Leveratto, J.-M. 2000. op. cit., p. 103.

86 Ce propos ne concerne pas le matériel acquis collectivement.

87 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 117-121. Rappelons que cette enquête repose sur une triple catégorisation des groupes : les amateurs, les intermédiaires et les professionnels.

88 Hein, F. 2001. Les formes de la pratique rock en Lorraine. Groupes de rock, répétitions, concerts, enregistrements et distribution. Rapport de recherche : Mission du Patrimoine ethnologique, ILSTEF, ERASE.

89 Ces sources ont déjà été citées dans le chapitre consacré aux éléments de méthode.

90 Source : Avant-Mardi, 17, rue Valentin, 31400 Toulouse.

91 Source : Domaine Musiques, 2, rue des Buisses, 59800 Lille.

92 Source : Agence Musique et Danse Rhône-Alpes. 32, rue de la République, 69002 Lyon.

93 Source : ADDIM 70. Maison de la musique, 23, rue Lafayette, 70000 Vesoul.

94 Lehmann, B. 2002. L'Orchestre dans tous ses éclats. Ethnographie des formations symphoniques. Paris : La Découverte, p. 195-203.

95 Touché, M. 1996. Les lieux de répétition de musiques amplifiées. Défaut d'équipement et malentendus sociaux. Les Annales de la Recherche Urbaine, no 70, p. 63.

96 Voir les travaux de Marc Touché (CNRS) et de Réjanne Sourisseau (Agence Opale) déjà cités, mais également les multiples rapports produits sur la question dans les régions ou les départements, disponibles sur http://www.irma.asso.fr/bibliotheque/index.html.

97 Le travail le plus remarquable sur le sujet est à mon sens celui de Berger, H. M. 1999. op. cit. A des fins comparatives, l'auteur y détaille de manière extrêmement subtile et minutieuse chaque instant d'un certain nombre de concerts rock, death metal, hard FM et jazz. On lira également avec profit les travaux de Weinstein, D. 2000. op. cit.. p. 199-235. En langue française, on peut également tirer bénéfice de la lecture d'une partie de l'article de Lucas, J.-M. 1991. Du rock à l'œuvre. In Mignon, P., Hennion, A. Sous la dir. 1991. Rock. De l'histoire au mythe. Paris : Anthropos, coll. Vibrations, p. 84-100, et du chapitre « Le rock, spectacle vivant », in Gourdon, A.-M. Sous la dir. 1994. Le rock. Aspects esthétiques, culturels et sociaux. Paris : CNRS Éditions, p. 65-105.

98 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 117-121. On peut néanmoins regretter que les auteurs n'aient dégagé qu'une moyenne globale alors qu'ils ont préalablement construit trois catégories de groupes.

99 Courant 2000, l'Addam 57 a mis en place l'opération Zic Azimuts dont l'objet vise à organiser une série de concerts en faveur des groupes régionaux. Kris K, journaliste du Républicain Lorrain, et observateur de l'édition 2002, a publié les propos suivants à son sujet : « La volonté de présenter un "éventail le plus large possible" a été, de plus, contrariée par le fait qu'un certain nombre de diffuseurs "refusaient de programmer du metal"... On le voit, la route des musiques actuelles est encore longue ». Le Top, 26 mars/1 avril 2002, p. 21.

100 Les chiffres avancés par les groupes ont subi une dégressivité entre la somme globale des concerts des douze derniers mois (509), la somme des concerts déclarés ou non (488) et la somme des lieux de concerts (444) ensuite. La comptabilité de ces concerts étant rarement consignée, elle repose avant tout sur la mémoire des individus. Par conséquent, il n'est pas réellement surprenant de constater que des individus d'un même groupe se livrent quelquefois à des estimations contradictoires à propos d'une même question.

101 ] Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 119.

102 Cette pratique mérite d'être nuancée puisque certains groupes ne font pas toujours la distinction entre un réseau de distribution national et le petit distributeur local qui va mettre en vente une dizaine d'exemplaires du disque d'un groupe lors de concerts.

103 Les labels sans distributeurs sont des structures dont la force de vente est particulièrement réduite.

104 Dans l'introduction de leur ouvrage, Ludovic Gombert et Aymeric Pichevin évoquent également la logique économique pour justifier ce refus (ce qui n'apparaît pas dans notre échantillon), puisque selon eux, « il n'est pas toujours plus rentable d’être produit par une maison de disques ». Gombert, L., Pichevin, A. 2003. Autoproduire son disque. Paris : Irma..

105 Rappelons que le nombre de musiciens augmente constamment, comme l'ont démontré les travaux d'Olivier Donnat. 1998. op. cit., p. 285-290.

106 Gombert, L, Pichevin, A. 2003. op. cit.

107 La forme contractuelle de ce type de collaboration est le contrat dit de licence.

108 Auxquels il faut ajouter les frais liés aux encarts publicitaires achetés dans des magazines ou des fanzines.

109 Seuls dix groupes sur 65 ont un statut associatif. Ce qui ne signifie pas, par ailleurs, que leur comptabilité soit automatiquement à jour au vu de certaines réponses fournies.

110 Les frais liés à l'emploi d'un technicien son et/ou lumière sont trop peu représentatifs (trois formations de l'échantillon) pour être comptabilisés ici. Par ailleurs, les frais de carburant liés aux déplacements constituent un poste de dépense non négligeable. Leur évaluation reste cependant beaucoup trop aléatoire compte tenu de la diversité des moyens de déplacement et des kilométrages effectués.

111 Le poste merchandising relève à la fois des dépenses (investissement) et des recettes (engendrées par la vente). S'il a été cité au cours de notre enquête, il n'est cependant pas suffisamment représentatif pour figurer dans nos estimations. En effet, seuls sept groupes de l'échantillon déclarent mettre des t-shirts en vente. Dans ce cas, ils investissent généralement une somme inférieure à 763 € (5 000 francs) pour un gain légèrement supérieur à cette somme. Ce qui signifie que ce type d'opération vise avant tout à diffuser le nom du groupe plutôt qu'à générer des recettes. Par ailleurs, seuls dix groupes de l'échantillon sont inscrits à la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), ce qui leur permet de percevoir des droits liés à la diffusion de leur œuvres.

112 Ce tableau combine charges évaluées pendant les douze derniers mois précédant l'enquête (loyers des locaux de répétitions, frais administratifs) et charges de production (enregistrement, promotion, etc.), qui par nature, relèvent plutôt d'opérations ponctuelles.

113 Guibert, G., Migeot, X. 1999. op. cit., p. 117-121.

114 Il est à noter que mon enquête, contrairement à celle de Guibert et Migeot, n'a pas pu établir les frais occasionnés par les concerts.

115 Avec les précautions nécessaires à la manipulation de cette moyenne déjà soulevée plus haut dans une note.

116 Situation imputable soit à une absence de savoir-faire, soit à la résistance des diffuseurs quant au genre musical.

117 Exception faite de l'investissement dans le matériel commun qu'il a été impossible d'annualiser.

118 Source : Arteca. Disponible sur : http://perso.wanadoo.fr/arteca/actu/actu.htm.

119 Pour le sociologue allemand Hans Joas, l'action présuppose les trois postulats implicites suivants : « Premièrement, que le sujet est capable d'agir en fonction d'un but, deuxièmement, qu'il maîtrise son corps, troisièmement, qu'il est autonome relativement à ses semblables et à son environnement ». Joas, H. 1999. La créativité de l'agir. Paris : Les Editions du Cerf, coll. Passages.

120 Cette dimension a été modélisée au travers du concept de « créativité de l'agir » par Hans Joas. L'auteur alimente sa réflexion à la source de la philosophie européenne de la vie (Nietzsche, Simmel) et du pragmatisme américain (John Dewey, George Herbert Mead). Joas, H. 1999. op. cit.

121 Joas, H. 1999. op. cit., p. 265-266.

122 Chastagner, C. 1998. La loi du rock. Castelnau-le-Lez : Climats, p. 90.

123 Dumazedier, J. 1998. Loisir. Dictionnaire de la sociologie. Paris : Encyclopaedia Universalis et Albin Michel, p. 452.

124 Cette thèse est évidemment inverse à celle de Hannah Arendt pour qui le temps de loisir n'aurait d'autre dessein que d'amener à consommer davantage. Arendt, H. 1972. La crise de la culture. Paris : Gallimard.

125 Joas, H. 1999. op. cit., p. 266.

126 Joas, H. 1999. op. cit., p. 269-270.

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Title Classes d’âges
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Title Taille de la commune (par habitants)
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Title Niveaux d’études
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Title Catégories socioprofessionnelles
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Title Types de contrats de travail
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Title Origines sociales
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Title Nombre de disques possédés
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Title Nombre de concerts fréquentés
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Title Culture musicale
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Title Consommation culturelle annuelle
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Title Ensemble d'activités pratiquées
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Title Instrument principal pratiqué
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Title Age d’entrée dans la pratique musicale
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Title Presque autodidacte
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Title Etudes musicales
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Title Valeur instrument principal
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Title Valeur amplification
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Title Valeur accessoires
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Title Valeur informatique/électronique
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Title Budget mensuel consommables
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Title Somme globale des investissements dans le parc instrumental (en %)
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Title Investissements annuels dans le parc instrumental (en %)
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Caption NB : Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de réponses obtenues pour chacun des postes
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Title Année de création
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Title Les différents genres pratiqués
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Title Nombre de répétitions par semaine
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Title Lieux de répétition
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Title Loyer mensuel
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Title Equipement des locaux
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Title Nombre de concerts réalisés au cours de leur carrière
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Title Nombre de concerts réalisés en une année
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Title Conditions géographiques et contractuelles de la réalisation des concerts
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Title Lieux des concerts
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Title Cachet moyen par concert
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Title Nombre de demos (en %)
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Title Nombre de 45 tours, splits, compiles
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Title Cadres discographiques et de distributions
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Title Budgets consacrés à l’enregistrement
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Title Quantité de disques dupliqués
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Title Budgets consacrés à la promotion
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Title Dépenses moyennes
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