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Hard rock, heavy metal, metal

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Fabien Hein

Chapitre 3. Influences artistiques et culturelles

Texte intégral

1. Sources d'inspiration et thématiques metal

  • 1 Walser, R. 1993. Running with the devil : power, gender & madness in heavy metal music. Delaware, O (...)
  • 2 Benetollo, A., Le Goff, Y. Historique du rock. In Gourdon, A.-M. sous la dir. 1994. Le rock. Aspect (...)
  • 3 Un certain nombre de formations ont mis la question sociale et politique au cœur de leur démarche a (...)
  • 4 Benetollo, A., Le Goff, Y. 1994. op. cit., p. 45.

1Dans son ouvrage, le musicologue Robert Walser écrit qu'il est nécessaire de resituer chaque courant artistique dans son contexte politique, culturel et social pour le comprendre1. Il observe par exemple que l'apparition et le succès du heavy metal sont concomitants de l'extraordinaire engouement populaire pour la littérature et le cinéma d'horreur. A l'aune de certains faits historiques, cet enthousiasme est effectivement contemporain de l'apparition de nouvelles crises économiques, de la fin des Trente Glorieuses, de la désindustrialisation, de mouvements sociaux, de catastrophes humanitaires et écologiques, de conflits internationaux et de problèmes sociopolitiques divers. Mais ces événements ne justifient en rien l'existence d'un lien causal préfigurant de l'apparition du hard rock et du heavy metal. A l'instar d'Anne Benetollo et de Yann Le Goff, on peut également penser que « le contexte socio-politique de la première moitié des années 70 n'a pas ou peu d'influence dans le domaine musical2 ». En effet, Robert Walser semble mésestimer l'importance de l'exploitation commerciale du rock sous l'effet de la médiatisation de masse et du développement conjoint de l'industrie du disque et du spectacle. L'histoire du metal nous montre que seules quelques formations musicales isolées, telles Trust, Rage Against The Machine, Suicidal Tendencies ou Marilyn Manson (donc à partir de la fin des années 70) ont adopté des postures extrêmement critiques à l'égard de leurs gouvernements respectifs ou d'un certain nombre de faits sociaux et culturels3. Malgré leur succès incontestable, ces groupes n'ont cependant jamais été en mesure de fédérer un mouvement contestataire d'ensemble comme ont pu le faire pendant un temps les mouvements punk, hardcore ou rap. Si l'on accepte l'idée selon laquelle « il n'est plus guère possible de relier la musique [metal] au contexte socio-politique4 », il reste néanmoins possible d'identifier la multiplicité des formes et thématiques artistiques auxquelles le metal se réfère.

  • 5 Robert Walser en cite quelques uns parmi les plus récurrents que sont la revendication ou le désir (...)
  • 6 Roccor, B. 2002. Heavy Metal. Kunst, Kommerz, Ketzerei. Berlin : I.P. Verlag Jeske/Mader GbR. 1ère (...)
  • 7 Ce point ayant déjà été évoqué à plusieurs reprises, je n'y reviendrai pas ici
  • 8 On peut également noter que les thèmes historiques et mythologiques sont fréquemment mobilisés dans (...)
  • 9 Voir le documentaire Sabbath Bloody Sabbath de Sarah Mortimer et Francis Hanly (1998).

2Certains artistes metal font référence à des sentiments ou des réflexions intimes5 dans leurs morceaux. D'autres tentent de mettre leur quotidien en récit6 et en musique. Toutefois, l'expression d'une sensibilité ne se manifeste pas exclusivement sous une forme autocentrée. Elle s'alimente également de sources d'inspiration diverses. Dès l'origine, hard rock et heavy metal empruntent de nombreux thèmes aux formes artistiques que sont la musique classique7, la littérature, le cinéma et la bande dessinée notamment8. A ses débuts, Black Sabbath, très inspiré par les romans de Dennis Wheatley, prétend vouloir produire de la musique d'horreur9. La théâtralité attachée au hard rock et au heavy metal atteste d'un goût prononcé pour le fantastique au sens d'un intérêt particulier – propre à la nature humaine, dans sa quête d'évasion et d'imprévisible – pour tout ce qui relève de l'apparition ou de l'existence d'un arrière-monde, effectif ou suggéré.

  • 10 On trouvera une solide bibliographie de ces trois genres très liés, dans l'ouvrage de Manfredo, S. (...)

3La science-fiction, l'anticipation sociale, l'heroic fantasy10, les vampires, l'épouvante, les forces occultes, le satanisme, la violence, le gore, le romantisme, les comportements psychopathologiques sont des thématiques très largement développées par le cinéma et la littérature. En seconde main, elles sont également l'objet d'une exploitation conséquente par le monde du metal. La profusion de ces thématiques rend leur caractérisation particulièrement ardue dans le cadre d'une histoire sociale spécifique. Je ne m'attellerai pas à cet exercice ici, préférant le réserver à une étude ultérieure. En revanche, il me semble intéressant de présenter les éléments recueillis au cours de mon enquête ethnographique, concernant les sources d'influence thématiques du metal. Celles-ci ne sont pas toujours explicitement mises en musique ou en paroles. Il faut alors les débusquer à la lecture de certaines interviews, dans les pochettes de disques, dans certains articles thématiques parus dans des revues musicales spécialisées ou, plus prosaïquement, dans les propos d'amateurs de metal. Je vais tâcher d'aborder ces thèmes en tentant de relever leurs particularités respectives. A ce stade, il est certainement utile de préciser que l'imagination artistique est, par nature, irréductible aux schémas préétablis.

A ce titre, les thèmes présentés n'ont aucunement la prétention d'englober l'ensemble des sources d'inspiration susceptibles de la stimuler.

Science-fiction

4Source thématique inépuisable, la science-fiction repose sur l'imagination débridée de ses auteurs qui proposent d'effectuer une rupture avec la rationalité quotidienne pour se projeter dans le futur. Cet oxymore repose généralement sur des aventures intergalactiques, des combats de vaisseaux spatiaux, des extraterrestres, des robots, des créatures monstrueuses, des cataclysmes nucléaires, etc. Cette littérature semble se prêter particulièrement bien à des adaptations cinématographiques. Parmi les plus marquantes, citons par exemple 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne adapté par Richard Fleischer (1954), La Planète des Singes de Pierre Boule, adapté par Franklin J.Schaffner (1968), 2001 : L'Odyssée de l'espace d'Arthur C. Clarke, adapté par Stanley Kubrick (1968). Mais il faut également citer les films de réalisateurs comme La guerre des étoiles de Georges Lucas (1977), Alien. Le 8ème passager de Ridley Scott (1979), The Thing de John Carpenter (1982) ou encore Species de Roger Donaldson (1995). Sans oublier des films comme Bienvenue à Gattaca d'Andrew Niccol (1997), qui propose une réflexion contemporaine sur la bioéthique et l'eugénisme ou Tetsuo II : The Body Hammer de Shinya Tsukamoto (1992) dont la proximité avec les mangas violents est indéniable. D'un point de vue musical, cette thématique est très largement mobilisée par les groupes d’obédience progressive, dont la démarche est sensiblement identique.

Anticipation sociale

5L'anticipation sociale s'appuie davantage sur des fictions politiques et sociologiques à ambitions prédictives. Le genre compte quatre auteurs majeurs particulièrement appréciés dans le monde du metal. George Orwell dont les romans – La ferme des animaux et 1984, ce dernier fut porté à l'écran par Michael Radford en 1984 – mettent l'accent sur la menace d'un monde déshumanisé en proie au totalitarisme. Norman Spinrad et Michael Moorcock dans un registre politico-mystique. Ce dernier s'implique d'ailleurs directement dans l'écriture de paroles pour des groupes comme Blue Oyster Cult et Hawkwind dans les années 70. Philip K. Dick, dont les romans traitent de la manipulation politique et de celle des médias, de la folie, de la mort, de l'abus de drogues, de mysticisme... Quelques-uns de ses ouvrages ont été adapté au cinéma : Blade Runner par Ridley Scott (1982) ou Total Recall par Paul Verhoeven (1990). D'un point de vue cinématographique précisément, le thème de l'anticipation sociale se retrouve également dans des films tels que Soleil Vert de Richard Fleischer (1973), Mad Max de George Miller (1979), Terminator de James Cameron (1991) ou plus récemment The Matrix des frères Wachowski (1999 et 2003). En matière de bande dessinée, La nuit de Philippe Druillet (1984) et l'adaptation musicale qu'en a réalisé le groupe parisien Proton Burst (1994, Wotre Music), constitue en tout point une œuvre magistrale qui se positionne probablement comme le lien le plus abouti entre les deux disciplines artistiques. L'œuvre de Druillet exerce par ailleurs une influence considérable sur un grand nombre d'illustrateurs de pochettes de disques metal.

Heroic Fantasy

6Proche de l'univers de la science-fiction, les intrigues de l'heroic fantasy se tiennent souvent au sein d'une époque indéterminée, vaguement moyenâgeuse et dans des contrées inconnues. Les êtres qui les peuplent, dotés de pouvoirs psycho-magiques et d'armes enchantées se lancent dans des quêtes tumultueuses au cours desquelles ils se livrent à des combats entre le bien et le mal. Les épopées fantastiques et les récits mythologiques exercent une influence considérable dans les mondes du metal, notamment dans le courant que l'on appelle aujourd'hui true metal. Si Robert Howard est l'initiateur du genre dans les années 20 au travers de la légende de son héros Conan le Barbare, dont John Milius a tiré un film en 1982, nul auteur n'est parvenu à atteindre un niveau de popularité équivalent à celui de J. R. R. Tolkien. Ses sagas prennent place dans des mondes improbables et se nourrissent de personnages sacrés ou surnaturels issus de mythologies diverses : druides, mages, farfadets, elfes, satyres, etc., traversant quantité d'aventures, d'épreuves, de trahisons et de rencontres amoureuses. Il est à ce titre particulièrement éloquent de constater que beaucoup de groupes et de musiciens metal se sont auto-attribués des noms des personnages et tribus provenant de ces sagas (Gorgoroth, Morgul, Summoning, Isengard, Uruk Hai, Isengrim, Gandalf, Shagrat, etc.). Le cinéma s'est évidemment emparé du genre à grands renforts d'effets spéciaux, dont on mesure les progrès considérables entre des films datant de 1984, tels que Dune de David Lynch ou The warrior and the sorceress de John Broderick, et la récente adaptation du livre de Tolkien, Le seigneur des anneaux, adapté sur le mode d'une trilogie par Peter Jackson (2002-2003).

  • 11 Le phénomène Métal Hurlant naît en décembre 1974 lorsque les dessinateurs Moebius (alias Jean Girau (...)

7Le lien le plus prégnant entre heroic fantasy et heavy metal est incontestablement marqué par le film d'animation Metal Hurlant11 réalisé par Gerald Potterton en 1981, dont la bande son est composée par Black Sabbath, Blue Oÿster Cult, Grand Funk Railroad, Journey, Trust, etc. Machiste et violent, le succès du film est considérable. En 2000, Michel Lemire et Michael Coldewey réalisent une suite, intitulée F.A.K.K. 2 / Heavy Metal 2000. Les ingrédients sont identiques, si ce n'est l'ajout de scènes de sexe et la réactualisation de la bande son, présentant cette fois-ci des groupes comme Pantera ou Machine Head.

8L'heroic fantasy se déploie également beaucoup clans la bande dessinée qui constitue un support particulièrement adapté aux univers merveilleux et infinis comme l'attestent les séries d'albums de Jean-Louis Mourier : Les feux d'Askell (1993), d'Arleston et Tarquin : Lanfeust de Troy (1994), Le PU de Taïeb et Matrix (2001) ou encore Atalante de Crisse (2000). Le lien entre art pictural d'obédience héroïc fantasy et hard rock et heavy metal s'est notamment exprimé au travers de pochettes de disques réalisées par des artistes tels que Michael Whelan (Cirith Ungol), Eric Larnoy (Manilla Road, Candlemass), Frank Frazetta (Molly Hatchet, Nazareth, Manowar), Rodney Matthews (Tygers Of Pan Tang, Nazareth) ou encore Richard Corben (Meat Loaf)12.

Vampires

  • 13 Notre Dame. 2002. Coming soon to a theatre near you. Osmose Productions.

9Le thème du vampire a été introduit en littérature par Bram Stoker au travers du Comte Dracula (1897) et décliné ensuite sous une multitude d'œuvres romanesques – dont Anne Rice semble être la plus éminente spécialiste – et cinématographiques, dont le Nosferatu de Friedrich. W. Murnau (1922) est le premier du genre. Tod Browning, flanqué de ses acteurs fétiches Bela Lugosi et Boris Karloff, lui emboîte le pas avec Dracula (1931) et La marque du vampire (1935), tandis que Werner Herzog produit un nouveau Nosferatu interprété par Klaus Kinski (1979), avant que Francis Ford Coppola ne s'attelle lui aussi à une nouvelle version de Dracula (1992) et que Neil Jordan adapte à l'écran l'ouvrage d'Anne Rice Entretien avec un vampire (1995). Proches de l'expressionnisme allemand du début du siècle, ou plus contemporaines, l'ensemble de ces œuvres sont particulièrement appréciées par la frange des amateurs de metal sensibles au metal gothique et black metal. La thématique vampires que est notamment mobilisée par le groupe Kiss, que son bassiste, Gene Simmons, incarne pendant la majeure partie de sa carrière, à grand renfort de maquillages et d'hémoglobine synthétique, et plus récemment par le groupe Notre Dame13 et son hallucinant chanteur Snowy Shaw.

Satanisme, forces occultes, surnaturel

  • 14 On trouvera une filmographie exhaustive du genre dans le chapitre « Images in the darkness. Satanis (...)

10Le satanisme est conventionnellement au cœur du black metal. Si la paternité de ce genre musical revient à Black Sabbath, mais plus encore à des groupes comme Black Widow et Death SS, dont la particularité est d'avoir construit leurs prestations scéniques sur la base de rituels magiques et sacrificiels, son inspiration provient indéniablement de la littérature [Le paradis perdu de John Milton (1667), Là-bas de Joris-Karl Huysmans (1891), The Devil rides out de Dennis Wheatley (1935) adapté à l'écran en 1968, par Terence Fisher sous le titre Les vierges de Satan], mais surtout du cinéma14. Rosemary's baby de Roman Polanski (1968), L'exorciste de William Friedkin (1973) et La Malédiction (The Omen) de Richard Donner (1976) constituent les trois premiers films du genre à remporter un important succès commercial. Mais la bande dessinée s'est elle aussi emparée de cette thématique qu'incarnent les travaux d'auteurs tels que Froideval et Tacito avec la série d'albums 666 (Glénat), ou Sorel et Mosdi avec la série intitulée L'île des morts (Vents d'Ouest).

11Dans un registre moins satanique, mais tout aussi inquiétant, les adaptations cinématographiques de certains romans de Stephen King : Carrie adapté à l'écran par Brian de Palma (1976) et Christine, adapté par John Carpenter (1983), rencontrent également un succès qui confirme l'intérêt du public pour le monde de l'occulte et les phénomènes paranormaux, qui a été ravivé récemment avec le film intitulé Le sixième sens, de Night Shyamalan (1999). Les thématiques mobilisées par ce type de fictions relèvent en tout point de l'archétype gothique : individu solitaire et isolé, maison ou objets hantés, pouvoirs surnaturels, chute, rédemption, etc.

Epouvante

  • 15 Titre d'un morceau du second album de Metallica, Ride The Lightning (1984, Music For Nations).
  • 16 Titre d'un morceau du second album d'Iron Maiden, Killers (1981, EMI).
  • 17 Pour un aperçu de l'œuvre du maître et une rapide biographie, voir le site : http://horreurnet.free (...)
  • 18 Parmi les films récents, on peut également citer Demon Knights d'Ernest Dickerson (1995), mais esse (...)
  • 19 Le leader de White Zombie, Rob Zombie est féru de films d'horreur de série Z. Son premier long métr (...)
  • 20 Gloomy Grim, Written in blood (2001, Holy Records), Necrophagia, The divine art of torture (2003, S (...)

12L'épouvante est avant tout un genre littéraire né au 19ème siècle sous l'influence d'auteurs tels que Mary Shelley et son Frankenstein (1818), Edgar Allan Poe et sa série d'Histoires extraordinaires (1840-1845), Robert Louis Balfour Stevenson avec L'étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde (1886), Guy de Maupassant et Le Horla (1887) et Floward Philips Lovecraft avec des ouvrages tels que La couleur tombée du ciel (1927) ou encore L'appel de Chtulhu15 (1928). L'ambition de ces auteurs est de créer un climat angoissant reposant sur le surgissement de la terreur. Ces ouvrages fondateurs inspireront, directement ou non, quantité d'auteurs et de cinéastes. Frankenstein sera l'objet d'une centaine d'adaptations cinématographiques par exemple. Les plus marquantes d'entre elles restent probablement celles réalisées par James Whale avec l'inoubliable Boris Karloff dans le rôle de la Créature (la première adaptation fut réalisée en 1931, suivi du chef-d'œuvre La fiancée de Frankenstein, en 1935). De son côté, Robert Florey adapte une nouvelle d'Edgar Allan Poe, l'Assassinat de la rue Morgue16 en 1931. Ruben Mamoulian adapte Dr Jekyll et Mr Hyde en 1932, tandis que la même année Erle C. Kenton met en images L'Ile du Dr Moreau. Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper portent King Kong à l'écran en 1933. Charles Laughton tourne La Nuit du chasseur en 1955. William Castle réalise Le désosseur de cadavres (The tingler) en 1959 avec l'acteur gothique Vincent Price. Alfred Hitchcock réalise Psycho en 1960. Ishirô Honda renoue avec la tradition du monstre avec Mothra contre Godzilla (1964). Aujourd'hui, l'auteur le plus prolifique dans ce domaine est incontestablement Stephen King. Une grande partie de son œuvre a été portée à l'écran par les plus grands cinéastes17 (De Palma, Cronenberg, Carpenter, Romero)18 Citons, par exemple, Shining adapté par Stanley Kubrick (1980) ou Poltergeist réalisé par Tobe Hooper (1982). On n'oublie cependant pas L'affaire Blair Witch de David Myrick et Eduardo Sanchez (1999) et Sleepy Hollow de Tim Burton (2000). En matière de hard rock, dès le début des années 70, les spectacles d'Alice Cooper emploient un certain nombre d'attributs propres au domaine de l'épouvante : ambiance macabre, camisole de force, guillotine, boa constrictor, pendaison, chaise électrique, poupées mutilées, hémoglobine, etc., que David Winters immortalise dans le film Welcome to my nightmare (1976). Dans les années 90, ce sont White Zombie19 et Marilyn Manson qui prolongent cet héritage théâtral. L'album Horror show (2001, Century Media), du groupe Iced Earth, revisite quant à lui, morceau après morceau, les thématiques des célébrités du cinéma d'épouvante. Il est par ailleurs intéressant de noter que l'on voit apparaître depuis peu dans le metal extrême un genre appelé horror metal représenté par des groupes tels que Gloomy Grim ou Necrophagia20 Leur ambition vise clairement à installer leurs auditeurs au sein d'un cauchemar auditif.

13Monstres, créatures étranges, hommes-animaux, dédoublement de la personnalité, folie meurtrière, sadisme, lieux hantés, constituent les principaux attributs de la littérature et du cinéma d'épouvante. En 1974, le film de Tobe Hooper, Massacre à la tronçonneuse, y consacre un nouveau sous-genre cinématographique appelé slasher movie. Sa thématique dominante se cristallise autour d'un tueur masqué (boogeyman ou psychokiller). Le succès de ce type de films est tel qu'ils se déclinent le plus souvent sous la forme d'une série. C'est le cas de Halloween de John Carpenter (1978, le slasher se nomme Michael Myers), Vendredi 13 de Sean S. Cunningham (1980, le slasher se nomme Jason Voorhees), Les griffes de la nuit de Wes Craven (1984, le slasher se nomme Freddy Krueger) et la saga Scream (1997) du même réalisateur. L'impact de ces personnages est tel que plusieurs groupes de metal tels que The Organization, Nightstick, Slipknot ou Mushroomhead, se sont emparés du concept pour définir leur identité artistique.

Gore

  • 21 Cela n'empêche pas le genre d'avoir quantité d'amateurs. Pour preuve, on compte en France deux maga (...)

14Ce genre, considéré comme mineur dans le monde du cinéma21 est particulièrement apprécié dans le monde du metal, notamment dans ses formes les plus extrêmes. Contrairement au cinéma d'épouvante qui table sur l'imaginaire du spectateur pour instiller l'effroi, le cinéma gore est totalement explicite. Démembrements, mutilations, amputations, décapitations, perforation des chairs, éventrations, éviscérations, empalements, flots d'hémoglobine, etc., le gore pousse le cinéma d'horreur à son paroxysme. Mode opératoire en tous points identique à celui privilégié par certains groupes de death metal dans la veine « gore », dont le leader incontesté est le groupe américain Cannibal Corpse et dont Gorelord est un élève particulièrement efficace.

  • 22 Pour un historique complet du gore, prenant en compte les précurseurs, voir le site : http://horreu (...)
  • 23 Thème également abordé par Rob Zombie, dans son album Hellbilly deluxe (1998, Geffen)
  • 24 Le groupe officie dans un registre hard rock de facture assez classique.
  • 25 En 1985, le groupe devient la cible privilégiée du PMRC. Tipper Gore, la femme du vice-président Al (...)

15Le premier film du genre22 est Blood Feast d'Herschell Gordon Lewis (1963). En 1968, George Romero introduit le mythe des zombies avec La nuit des morts-vivants, qu'il prolonge dix années plus tard avec Zombie. Les spécialistes considèrent ces films comme des chef-d'oeuvres. La recherche du réalisme allant de pair avec la quête de l'excès, le film Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato (1979) atteint les sommets annoncés par son titre. Autres monuments du genre, Evil Dead de Sam Raimi (1982) et Brain Dead de Peter Jackson (1992). Ayant franchi un grand nombre de limites, le genre est aujourd'hui en bute à l'imagination des réalisateurs et n'est donc plus guère représenté au cinéma. Le cinéaste allemand Jörg Buttgereit, tente néanmoins de renouveler le genre en s'attaquant à un tabou comme la nécrophilie23 à travers les films Nekromantic I et II (1988-91). Si le genre musical death gore s'exerce essentiellement au moyen de la musique et d'illustrations typiques sur les pochettes de disques, il semble qu'un seul groupe ait réellement théâtralisé le genre sur scène. En effet, W.A.S.P.24 propose un scénario reposant sur la crucifixion d'une nonne (une poupée gonflable) violée à coups de poignard, dont Blackie Lawless (le leader du groupe) extrait un fœtus (en plastique) qu'il débite ensuite en rondelles, sur fond de films pornographiques25. En outre, les membres du groupe Gwar seront les héros du film gore Phallus in wonderland de Randy Harward (1992) ou l'on peut voir une femme se faire découper les seins, des enfants manger des céréales assaisonnés de cocaïne et de sperme, un prêtre se faire éviscérer avant d'être sodomisé avec un crucifix, etc.

Séries B et Z

16Le cinéma de série B désigne des films à petits budgets, généralement indépendants de grands studios de production. La série Z en est sa parodie et repose en conséquence sur des budgets microscopiques. Cet espace cinématographique underground se distingue donc assez nettement du cinéma « standard ». Il est le royaume du bricolage, voire de l'amateurisme que certains connaisseurs sont parvenus à esthétiser. Ed Wood, dont la biographie a été portée à l'écran par Tim Burton en 1995, incarne l'archétype de ce type de cinéma.

  • 26 On y voit son acteur fétiche, le travesti Divine, y manger des crottes de chien. Jugé obscène, le f (...)
  • 27 Dans ce film, Divine se viole lui-même.
  • 28 Les spectateurs sont invités à gratter des pastilles odorantes qui libèrent des effluves quelquefoi (...)
  • 29 Green Jellÿ. 1993. Cereal killer soundtrack. Zoo. (é-u)
  • 30 Gwar. 1994. This toilet earth. Music For Nations. (é-u)
  • 31 Son troisième album s'intitule d'ailleurs American must be destroyed (1992, Metal Blade).
  • 32 Zimmer's Hole. 2002. Legions of flame. Virusworx Records. (é-u)

17Parmi ceux ayant eu une influence sur le monde du rock en général, on peut citer trois réalisateurs majeurs de ce type de cinéma. Roger Corman, avec des films tels que Apache Woman (1955), Machine Gun Kelly (1958), La chute de la maison Usher (1960), La chambre des tortures (1961), Les corbeaux (1963), dans lesquels il aborde ses sujet favoris que sont les marginaux, les exclus et l'œuvre d'Edgar Allan Poe. Russ Meyer est surtout connu pour les poitrines invariablement avantageuses de ses actrices et leurs voitures de sport. Ces objets de fantasmes ont inspiré quantité de pochettes de disques et d'affiches de concerts. Ses films fétiches sont Faster pussycat, kill, kill (1966), Beyond the valley of dolls, qui met en scène un trio de rock féminin (1970), Supervixen (1975) et Megavixen (1976). Le cinéma de John Waters se veut délibérément provocateur. Il aborde des thèmes comme la malformation physique, la scatologie, la perversion sexuelle. Ses films les plus marquants sont Pink Flamingos26 (1972), Female trouble27 (1975), Polyester28 (1981), Cry Baby (1990). L'inventivité de ce cinéma compense souvent ses faiblesses techniques. Sa forte teneur critique peut assez difficilement s'exprimer dans un cinéma plus conformiste. En outre, sa proximité avec le monde du rock s'établit selon une sensibilité commune articulée autour d'une démarche pragmatique basée sur le « Do It Yourself ». Elle peut s'incarner dans un groupe comme Green Jellÿ29 qui, dans ses costumes en papier mâché, revendique avec humour son mauvais goût et sa bouffonnerie. Sous leurs costumes de monstres agressifs évoquant tout à la fois la préhistoire, l'armée romaine et les barbares, le groupe Gwar30 personnifie également cette démarche axée sur le grotesque, même si, en pulvérisant les têtes de George W. Bush et d'Al Gore en pleine campagne électorale (2000) elle touche au politique31. Aujourd'hui, c'est Zimmer's Hole32 qui semble prendre le relais de ces groupes, en y intégrant néanmoins une dimension plus satanique, mais toujours sur le mode de l'ironie potache.

Romantisme

  • 33 Weinstein, D. 2000. Heavy Metal. The music and its culture. New York : Da Capo Press. 1ère éd. 1991 (...)
  • 34 Chastagner, C. 1998. La loi du rock. Castelnau-le-Lez : Climats, p. 90.

18Contrairement à ce que prétend Deena Weinstein, le romantisme est largement présent dans certains textes de groupes metal33. Il constitue même la matière principale de certains genres metal. Le romantisme est le nom donné à un mouvement européen qui se manifeste en littérature dès la fin du 18ème siècle en Angleterre et en Allemagne, puis au 19ème siècle en France, en Italie et en Espagne. Il est une réaction du sentiment contre la raison et accorde une grande importance à la sensibilité, à la créativité, au rêve, au voyage, au passé et exalte le goût du mystère et du fantastique. Projet hédoniste et individualiste, l'ambition du romantisme est de rendre son autonomie à l'individu, notamment au travers de l'art qui devient alors « un moyen de libérer l'homme, d'explorer son potentiel34 ». Cette vision romantique du monde est probablement au cœur de toute pratique artistique.

  • 35 Cette gravure renvoie à une affiche de concert du groupe Eyehategod en 1995, visible dans le livret (...)
  • 36 Ce tableau renvoie par exemple à la pochette du disque éponyme du groupe Mistress (2002, Rages of A (...)
  • 37 Ce tableau renvoie par exemple à la pochette du disque de Celtic Frost, Into the Pandemonium (1987, (...)

19Il en va différemment de la démarche artistique elle-même. Seuls certains genres particuliers du heavy metal semblent revendiquer la filiation romantique. C'est notamment le cas pour certains groupes officiant dans un registre progressif, gothique, dark et black metal. L'inspiration romantique peut s'afficher par des références picturales propres à ce courant au travers de pochettes de disques ou d'affiches de concerts : gravures de Philipp Otto Runge (La nuit, 180335), paysages de Caspar David Friedrich (L'arbre aux corbeaux, 182236) et de Thomas Cole (La partie de chasse, 182837. La puissance de la nature est une thématique centrale du mouvement romantique, que s'est approprié le milieu black metal, notamment au travers du courant paganiste. D'autres thèmes peuvent être également sources d'intérêt, souvent morbides, de certains amateurs de metal. On sait l'attirance de Théodore Géricault pour les exclus, les suppliciés, les carcasses d'abattoirs. Le radeau de la Méduse (1819) n'évoque-t-il pas, en arrière-plan, le cannibalisme ? Mais l'inspiration romantique renvoie pour beaucoup à l'œuvre poétique et picturale de William Blake. En opposant son mysticisme onirique à ce qu'il appelle les « froides sciences », qu'il subordonne à la toute puissance de l'imagination, en dénonçant les crimes de l'Eglise, en représentant l'ardente chaleur de Satan et en louant la vitalité de Lucifer (qui signifie celui qui apporte la lumière), Blake ne pouvait que fasciner un lectorat enclin au non-conformisme. C'est ainsi que le groupe Ulver lui a rendu un hommage très appuyé à travers le disque intitulé Themes from William Blake's. The marriage of heaven and hell (1998, Jester Records).

Violence

20Si l'art est le témoin d'un temps social, la radicalisation que connaît le heavy metal depuis les années 80 jusqu'à nos jours est certainement à mettre en parallèle avec la production littéraire et cinématographique de ces dernières années. Le phénomène de la violence a été abordé de façon marquante au cinéma au travers de films comme L'équipée sauvage (The wild one) de Laslo Benedeck (1953), Graine de violence de Richard Brooks (1955), Orange Mécanique de Stanley Kubrick (1971), adaptation du roman d'Anthony Burgess (1962), Rollerball de Norman Jewison (1975), tiré du livre de William Harrison (1971) ou encore Taxi Driver de Martin Scorcese (1976). Si les représentations du monde dépeintes par ces films et ces livres sont ultra violentes et particulièrement désespérantes, le thème de la violence n'atteint son apogée que dans la seconde moitié des années 80.

  • 38 Si les tueurs en série occupent une grande part de la littérature et du cinéma noir à cette époque, (...)

21Des livres comme Un tueur sur la route de James Ellroy (1986), Dragon Rouge (1981) et Le silence des agneaux [(1988), adapté au cinéma par Jonathan Demme (1991)] de Thomas Harris amorcent une fascination pour les serial killers38 qui explose au début des années 90 avec des ouvrages tels que American psycho de Brett Easton Ellis (1991, adapté au cinéma par Marry Harron en 2000), Baise-moi de Virginie Despentes (1994, adapté au cinéma par l'auteur en 2000), et surtout des films comme Tueurs nés (Natural born killers) d'Oliver Stone (1994). Henry, portrait of a serial killer de John Mc Naughton, C'est arrivé près de chez vous de Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde (1992), Serial Mother de John Waters (1994), Heavenly creatures de Peter Jackson (1995), ou encore Irréversible de Gaspard Noé (2001). Dans le même temps, ils mettent également en exergue une violence de type criminelle illustrés par des films tels que Killing Zoé (1994) de Roger Avary, Reservoir Dogs (1992) et Pulp Fiction (1994) de Quentin Tarantino, Bad Lieutenant d'Abel Ferrara (1992), El Mariachi de Robert Rodriguez (1992), ou encore de la violence familiale comme on peut la voir dans L'âme des guerriers de Lee Tamahori (1994).

22Ce phémonème est également très présent dans la bande dessinée, notamment dans The extremist de Peter Milligan et Ted Mc Keever (1994) qui situent leurs intrigues noires et torturées dans le monde interlope des clubs sado-maso ou encore dans Law in hell de Pat Mills et Kevins O'Neil (1993) qui met en scène Marshall Law (antihéros haineux) qui démembre et mutile des super héros populaires comme Superman, Spiderman ou Batman.

Au final, il apparaît que les univers thématiques de certains groupes de metal, s'ils ne mobilisent pas explicitement l'héritage de la tragédie antique, n'en sont pas moins élaborés autour de récits extrêmement violents, puisés dans la littérature contemporaine, le cinéma, ou les faits divers, tenant la comparaison avec une tragédie aussi sanglante que celle d'Electre de Sophocle par exemple.

Etrangeté, marginalité, souffrance sociale

  • 39 La bande son de ce film comprend deux titres du groupe Rammstein.
  • 40 La presse anglophone parle de cinéma de l'abjection au sujet de ce film. La bande son du film (1997 (...)

23D'autres thèmes cinématographiques ou littéraires, non directement assimilables à un genre, constituent également des références pour le milieu metal. On peut évoquer la sombre et froide étrangeté du cinéma de réalisateurs tels que David Lynch : Eraserhead (1976), Blue Velvet (1986), Lost Highway39 (1997) ou David Cronenberg : La mouche (1986), Crash (1996, tiré du livre de James G. Ballard), eXistenZ (1999). La galerie de marginaux et de décalés dépeints par Harmony Korine dans Gummo40 (1997) et Ulrich Seidle dans Dog days (2001). Le poids de la religion et la complexité des relations familiales traités par Lars Von Trier dans Breaking the waves (1996) et par Thomas Vinterberg dans Festen (1998).

  • 41 Dans ce registre, on pourrait bien évidemment également évoquer les livres Junky de William Burroug (...)
  • 42 Rappelons que la première icône représentative de la détresse adolescente a été immortalisée par Ja (...)

24D'un point de vue littéraire, la confrontation rugueuse de la marginalité dans son rapport avec le sexe et l'alcoolisme contenue dans l'œuvre de Charles Bukowski (Contes de la folie ordinaire, 1967-72), reste un objet de fascination non encore épuisé. Pas davantage que les plongées dans l'enfer des dépendances traitées par Hubert Selby dans Retour à Brooklyn (1978), qui vient d'être porté à l'écran par Darren Aronofsky (Requiem for a dream, 2000), ou par Irvine Welsh avec Trainspotting (1993), qui a été adapté au cinéma en 1996 par Danny Boyle41. On finira cet état des lieux littéraire rapide, en évoquant l'impact considérable du livre de Douglas Coupland, Generation X (1991), dont l'intitulé a fini par désigner une frange de la jeunesse, désabusée, refusant les responsabilités, retardant sa sortie de l'adolescence et dont le grunge, à travers son porte-parole Kurt Cobain, fut le symbole42.

Autres éléments d'influence

25Beaucoup des thématiques mentionnées précédemment témoignent d'un attrait particulier pour la face sombre de la nature humaine dans leurs développements artistiques. Pour autant, l'instinct de vie, sous ses formes dionysiaques n'est jamais absent du metal. On a même plus ou moins coutume de l'articuler autour du fameux triptyque « sex, drugs, rock'n'roll ».

  • 43 Weinstein, D. 2000. op. cit., p. 36.
  • 44 Frith, S. 1996. Performing rites. On the value of popular music. Cambridge, Massachusetts : Harvard (...)
  • 45 Frith, S. 1996. op. cit., p. 157.

26Sex. La question du sexe est une thématique récurrente dans l'histoire du rock. Pour Deena Weinstein, la dimension sexuelle du metal est surtout « emblématique de la puissance du jeune mâle, une marque de prouesse autant que de plaisir43 ». Cette assertion me semble erronée car, d'une part, elle mésestime l'importance – même relative – des femmes dans le metal et, que d'autre part, elle oublie que la performance technique n'est pas une condition nécessaire pour tous les genres metal. Je retiendrai par contre plus volontiers la question du plaisir qui me semble être fondamentale. La dimension sexuelle du rock est couramment associée à la pratique de la danse. Or, le metal n'est pas à proprement parler une musique de danse comme peut l'être le rock'n'roll au sens strict. Pour autant, et je rejoins Simon Frith sur ce point, « [le metal] est "sexy" non pas parce qu'il nous fait bouger, mais (à travers ce mouvement) il nous fait éprouver ; il nous procure la sensation (comme le sexe lui-même) d'être intensément présent44 ». Le rythme de la musique, certaines paroles de chansons, les comptes-rendus critiques ou le comportement de certains artistes, dont les frasques sont quelquefois relayées par la presse spécialisée ou autres biographies, sont autant de manifestations de la dimension sexuelle du metal en sa qualité d'expérience physique du « temps présent45. »

  • 46 Le musicologue rappelle également que la Symphonie fantastique glorifie les drogues, la violence et (...)
  • 47 Walser, R. 1993. op. cit., p. 140.
  • 48 Hein, F. 2002. Le « stoner rock ». Exemple de constitution d'un courant musical en France. Copyrigh (...)
  • 49 On peut s'interroger quant aux répercussions de telles louanges sur un auditoire. S'il n'est certes (...)
  • 50 Cette tendance est particulièrement récurrente et observable dans la presse spécialisée. Dans un ré (...)

27Drugs. Le musicologue américain Robert Walser rappelle que Berlioz était opiomane et que sa Symphonie fantastique est en quelque sorte, le fruit de cette consommation46 Il rappelle également l'étroite proximité qu'entretenaient des compositeurs aussi célébrés que Schumann, Schubert ou Mussorgsky avec l'alcool47. Ces exemples illustrent que la drogue et son pendant, l'alcool, ne sont pas l'apanage des seuls musiciens de metal ou de rock. Par contre, il est vrai que certains musiciens affichent ostensiblement leur attachement à un certain nombre de substances illicites ou non. La bouteille de Jack Daniels est ainsi devenu l'attribut incontournable de certains groupes (Mötley Crüe, Guns n'Roses, Black Crowes) ou genres comme le southern rock et ses dérivés. Nick Oliveri des Queens Of The Stone Age arbore fréquemment une chemise sur laquelle est brodé le mot « cocaïne ». Certains courants musicaux récemment apparus comme le stoner rock, dont le lien avec la musique psychédélique est manifeste, valorisent l'usage du cannabis48. Si l'on peut voir dans ces pratiques, non sans raison, une apologie de la consommation de stupéfiants ou d'alcool49, il semble plus juste de la rattacher à une dimension festive, qui semble en être le moteur principal50 En outre, le phénomène doit nécessairement être analysé à la lumière du concept de transgression et de son corollaire, la provocation, que le rock et le metal ont plus ou moins érigé en système à des fins artistiques et commerciales.

28Rock'n'roll. Comme cela est le cas pour le rock ou d'autres genres musicaux, le metal constitue une source d'inspiration pour lui-même. Une démarche qui est à la fois nécessaire à ses pratiquants pour se situer dans son histoire, mais également pour s'inscrire dans une perspective de renouvellement, dictée par une logique de distinction. Conscient de ses origines et reconnaissant pour l'intensité du plaisir procuré par un certain nombre de formations séminales, le metal ne cesse de payer sa dette à l'endroit de ses « génies-teurs ». Il les célèbre au travers de morceaux tels que : « Let there be rock » (AC/DC), « I believe in rock'n'roll » (Twisted Sister), « You can't kill rock'n'roll » (Ozzy Osbourne), etc., la liste est longue. Ce faisant, c'est également à une autocélébration que se livre le metal. Mais il n'est pas que le metal qui puise en lui son inspiration, d'autres disciplines artistiques s'en sont également emparées pour alimenter leur démarche.

2. Le metal comme source d'inspiration

Films et documentaires metal

29Hard rock et heavy metal puisent dans plusieurs disciplines artistiques comme nous venons de le voir. Ce processus est également inverse, en ce sens que ces genres musicaux ont à leur tour inspiré un certain nombre d'individus, dont les cinéastes et les documentaristes qui les traitent selon trois orientations majeures : le documentaire, la comédie et la fiction.

Il semble évident que la capacité de régénération d'une pratique artistique transite également par la possibilité de porter un regard sur la communauté des pairs. D'où l'importance d'un certain nombre de documentaires (ou « rockumentaires ») présentant des groupes sur scène. La valeur historique et didactique de tels documents est incontestable. Le Monterey Pop (1967) de Don Allan Pennebaker ou le Woodstock (1969) de Michael Wadleigh, – où l'on peut voir certains précurseurs du hard rock comme The Who, Jimi Hendrix ou Ten Years After – sont des réalisations emblématiques de ce type de travail. On peut citer également Cream last concert d'Eric Palmer (1969) qui filme la prestation scénique de Cream à l'Albert Hall en 1968, The song remains the same, de Peter Clifton (1976) qui montre Led Zeppelin en concert au Madison Square Garden, Let there be rock, d'Eric Dyonysius et Eric Mistler (1980) qui suit AC/DC pendant sa tournée en France et en Belgique. La dimension pionnière de ce type de documents a contribué à l'édification d'un marché économique parallèle à celui du disque, sous la forme de cassettes vidéo ou de DVD, dont le contenu articule extraits de concerts, interviews et clips.

  • 51 Le titre du film résume à lui seul le scénario. Un navet qui n'engage pas à le considérer autrement (...)
  • 52 Auclair, P. 2000. Spinal Tap. In Assayas, M. Dictionnaire du rock. Paris : Robert Laffont, p. 1808- (...)
  • 53 Ce réalisme n'a manifestement pas amusé Ozzy Osbourne, car selon lui, il décrit trop bien sa propre (...)

30La démarche artistique de certains groupes de hard rock ou de heavy metal constitue par elle-même un sujet cinématographique. Comment considérer autrement Kiss, dont l'immense popularité a tout d'abord donné naissance à une bande dessinée (Kiss comic book, produit par les « Marvel Comics » en 1976) avant que le cinéaste Gordon Hessler n'en réalise une comédie anecdotique : Kiss contre les fantômes51 (1978). C'est le cas également d'un personnage comme Alice Cooper ou d'un groupe comme Gwar, tous deux évoqués plus haut. Sur le mode inverse, le film de Rob Reiner This is Spinal Tap (1984), présenté comme un documentaire parodique sur la vie d'un groupe de hard rock fictif, a encouragé ses acteurs-musiciens à constituer un vrai groupe52. Son contenu relativement réaliste53 a permis au film d'être l'objet d'un véritable culte dans le monde du rock. Sur un ton plus sentencieux, Penelope Spheeris a réalisé The decline of western civilization, Part 2 : The metal years (1988), un documentaire s'attachant à présenter la vie dissolue d'artistes tels que Alice Cooper, Ozzy Osbourne, Aerosmith, Poison, Motörhead, etc. Hélas, son caractère particulièrement moraliste, confère à cette réalisation une valeur très secondaire à tous points de vue.

31Les excès et les traits caricaturaux du hard rock prêtent facilement le flanc à la dérision. Dans Wayne's world (1992 et 93), Penelope Spheeris accentue la thèse selon laquelle les amateurs de metal sont d'incorrigibles crétins, en mettant en scène deux adolescents attardés, fans de hard rock, animant une émission télévisée (Alice Cooper et Aerosmith y font plusieurs apparitions) totalement absurde sur un réseau local. Dans Radio Rebels (Airheads, 1995), Michael Lehman relate l'histoire de trois hard rockers qui vont prendre une station radio en otage pour diffuser leur démo.

32Si des loufoqueries de ce type peuvent aussi bien amuser les amateurs de ces musiques que leurs détracteurs, un certain nombre de fictions assurent néanmoins un traitement plus sérieux du monde du hard rock et du heavy metal. Velvet Goldmine de Todd Haynes (1998), dépeint l'émergence du glam rock au début des années 70, dans un contexte culturel favorisant les sexualités débridées et la prévalence du superficiel et de l'éphémère. Dans Presque célèbre (Almost Famous), Cameron Crowe (2001) situe l'action de son film en 1973. Il raconte l'histoire de la passion d'un adolescent pour le rock, auquel le célèbre magazine Rolling Stone confie un reportage sur un groupe de hard rock qu'il accompagne en tournée. Mais le film le plus ambitieux du lot est probablement Hedwig and the angry inch de John Cameron Mitchell (2001). Tiré d'une comédie musicale à succès, le film met en scène une drag-queen rockeuse. Avec son groupe, The Angry Inch, elle sillonne les Etats-Unis des bars miteux et des cabarets obscurs. Elle chante sa vie, ses douleurs et sa quête de l'amour. Cette tonalité poétique prolonge notre panorama des jeux d'influence et conduit à nous pencher pour finir, sur un certain nombre d'artistes et d'œuvres durablement attachés au metal.

Artistes peintres, graphistes, photographes

33L'industrialisation de la musique contraint cette dernière à faire alliance avec l'image. En effet, sa réification en objet disque, insuffisante par elle-même, nécessite un habillage. C'est à cet endroit qu'apparaît la fonction d'un graphiste, d'un photographe ou d'un dessinateur susceptible d'illustrer une musique, de la rendre attractive, de traduire son climat, voire de l'identifier symboliquement. C'est le cas d'Eddie the Head, la mascotte hideuse (créée par Derek Riggs) du groupe Iron Maiden, ou du Snaggletooth emblématique de Motörhead, combinaison entre un crâne de gorille et de chien loup, agrémentée de cornes, que l'on doit à Joe Petagno.

  • 54 On trouvera les sites web de certains de ces artistes dans les sources documentaires citées en fin (...)
  • 55 Outre ses pochettes de disques et affiches de concerts, Frank Kozik a également créé le label Man's (...)
  • 56 Le nécroréalisme est un mouvement artistique « basé sur l'image, et une façon de concevoir la vie e (...)

34Un certain nombre d'artistes ont durablement attaché leur nom et leur œuvre au metal, voire à un groupe particulier, à un label ou encore un magazine54 Je vais tenter d'en dresser un petit panorama en partant des Etats-Unis. Pushead, alias Brian Schroeder, est le graphiste morbide des disques de Metallica, Danzig, Anthrax, Prong. Les clichés du photographe Joseph Cultice illustrent les albums de Nine Inch Nails, Marilyn Manson ou Machine Head. Son collègue Charles Peterson est quant à lui définitivement associé au mouvement grunge. Wes Benscoter est dépeint comme le maître de l'étrange (Solace, Slayer, Mortician). Le travail graphique de Frank Kozik est devenu indissociable de l'imagerie stoner rock55 (Fu Manchu, Dozer, Alabama Thunder Pussy), de même que les illustrations d'Arik Roper (Nebula, High On Fire, Sleep). Steve O'Malley s'est construit une réputation en travaillant pour les groupes black metal Mayhem, Burzum ou Emperor avant d'épurer son style pour illustrer les disques de formations sludge et doom (Electric Wizard, Khanate, Sourvein). En Europe, le collectif bicéphale italien Malleus est le spécialiste du graphisme néo-psychédélique, également très apprécié dans le monde du stoner rock (Bongzilla, Thats'All Folks !, Ufomammut). L'allemand Axel Hermann (Morgoth, Asphyx, Grave, Unleashed), le polonais Jacek Wisniewski (Vader, Anata, Decapitated) et le britannique Dan Seagrave (Morbid Angel, Entombed, Dismember), ont acquis le statut incontesté de spécialistes de l'imagerie death metal. Le britannique Dave Patchett, dans un style très inspiré par Bruegel, l'auteur des « scènes infernales », est le dessinateur attitré des pochettes du groupe doom Cathedral. L'illustrateur allemand Andreas Marshall mobilise le symbolisme inspiré par Arnold Bôcklin pour les disques de Kreator, Blind Guardian et Sodom. Certains artistes français ont eux aussi acquis une réputation internationale. Hervé Monjeaud est connu pour son travail avec Gamma Ray, Heavenly, Iced Earth et ses collaborations avec le fan club français d'lron Maiden. Le très demandé Jean-Pascal Fournier a, pour sa part, réalisé une cinquantaine de pochettes de disques mélant ambiances futuristes et médiévales pour Nightmare, Edguy, Immortal, Avantasia, Tristitia, etc. Sans oublier le travail que la graphiste Isabel de Amorim – inspiré par l'art religieux et asiatique – a réalisé pour des groupes tels que Manigance, Angra, Vanden Plas ou Headline. Connu pour son travail dans le magazine Rage et sur les compilations Masters Of Brutality (1992) et Crossover (1992), Denis Grrr, illustrateur nécroréaliste56 tel qu'il se définit lui-même, a créé un univers mêlant le sexe et la mort dans une tonalité souvent très proche d'un metal extrême. Si la présence de ce dernier se fait actuellement plus discrète dans le monde de la musique, celle de l'américain Travis Smith est quant à elle, en passe de devenir totalement incontournable. En effet, la qualité de son travail digital (photos retravaillées par ordinateur) autour des thèmes du corps et de la nature lui confère une popularité sans cesse grandissante que l'on peut évaluer au nombre de pochettes de disques réalisées (Opeth, Devin Townsend, Katatonia, Lux Occulta, Anathema, King Diamond, Malevolent Creation, Testament, Soilwork, etc.).

  • 57 A ma connaissance, Druillet a réalisé peu de pochettes de disques pour des groupes metal : celle du (...)
  • 58 Le Necronomicon d'Abdul Alhazred, dit l'arabe fou, est supposé être le plus mystérieux et le plus m (...)

35Beaucoup d'artistes privilégiant les climats fantastiques, médiévaux ou postapocalyptiques sont redevables du travail séminal de dessinateurs tels que Frank Frazetta ou Philippe Druillet57, déjà mentionnés précédemment. Il est par ailleurs impossible de ne pas évoquer l'œuvre de H. R. Giger. Cet artiste peintre, sculpteur et designer suisse a personnifié une large part de l'imagerie metal, en magnifiant ses penchants pour l'occulte, l'érotisme et le morbide. Mondialement connu pour avoir créé la créature du film Alien – qui lui valut un Oscar en 1980 – il a également donné réalité au Necronomicon58 et, surtout, illustré des pochettes de disques célèbres comme Brain salad surgery d'Emerson, Lake & Palmer (1974), Frankechrist des Dead Kennedys (1985, qui représente un paysage de phallus, intitulé « Landscape XX : Where are we coming from »), le second album de Celtic Frost, To Mega Therion (1985, avec une peinture intitulée « Satan »), le premier album d'Atrocity, Hallucinations (1990), le troisième album de Danzig, How the gods kill (1992) et le dernier album de Carcass, Heartwork (1993, avec une œuvre intitulée « Preserve life »). Les créatures biomécaniques de chair et de metal de Giger sont extrêmement appréciées dans le monde du metal mais également dans le monde, souvent connexe, du tatouage et de la modification corporelle. Un certain nombre de jeux d'influence étant posés. La réciprocité entre les formes artistiques et culturelles démontrée, reste à savoir si les thématiques mobilisées recouvrent une fonction particulière.

3. Le rôle des thématiques

  • 59 Mouvement artistique et littéraire révolutionnaire né à Zurich en 1916 autour du Cabaret Voltaire. (...)
  • 60 Mouvement artistique et littéraire constitué en 1925. Il se fonde sur un rejet systématique de tout (...)
  • 61 Mouvement poétique actif entre 1948 et 1952, créé par Isidore Isou et Gabriel Pommerand. Ces dernie (...)
  • 62 Mouvement artistique extrémiste autrichien, particulièrement subversif et provocateur apparu au mil (...)
  • 63 Le groupe Cadavre se compose de jeunes artistes utilisant de véritables cadavres humains dans leurs (...)
  • 64 Il faut entendre ici le terme musique dans sa globalité, soit en tant qu'une combinaison de climats (...)

36L'attirance prononcée du monde du metal pour le fantastique, le gothique, le violent, le morbide, l'onirique et les mondes enchantés ne lui est pas exclusive comme on a pu le voir. Pas davantage que ne l'est l'attrait pour la provocation en tant qu'acte de contestation, dont on sait qu'elle constitue une démarche propre à certains mouvements artistiques et littéraires initiés dès le début du 20ème siècle, tels le dadaïsme59, le surréalisme60, le lettrisme61, l'actionnisme62 et plus récemment, par les groupes Cadavre en Chine ou Semefo au Mexique63. Comme toute autre pratique esthétique, de manière consciente ou non, le metal est traversé par des sources d'inspiration provenant d'un certain nombre de disciplines artistiques, de thématiques et de faits sociaux retraduits en musique64.

  • 65 Artpress, hors-série « Représenter l'horreur », op. cit.
  • 66 Margat, C. 2001. La version française de l'horreur. Artpress, hors-série « Représenter l'horreur », (...)
  • 67 Walser, R. 1993. op. cit., p. 161.

37L'intérêt du metal pour la face sombre de l'existence est patent. Tout comme l'intérêt pour un monde enchanté. Bien que l'on ne puisse réduire le metal à ces deux seules tendances, elles tracent néanmoins des lignes force. Pour l'art postmoderne, le Beau n'est plus la valeur esthétique dominante. Par conséquent, les pratiquants et amateurs de metal sont libres de s'emparer de ces thématiques de manière inventive, sur le mode de la transgression, avec l'ambition de proposer, avec plus ou moins d'habileté, de nouvelles configurations esthétiques. Prenons l'exemple de la face sombre et plus précisément de l'usage de la thématique de l'horreur dans le metal. Un numéro hors-série récent de la revue Artpress65, fait le point sur la représentation de l'horreur dans l'art. L'on y apprend qu'elle est une thématique artistique largement répandue dès le Moyen Age. On la retrouve dès le 14eme siècle au travers d'une multiplicité de tableaux représentant l'éviscération de Saint Erasme (Poussin et Callot s'y sont essayés entre autres). On retrouve également l'horreur dans certains tableaux du Titien (Le supplice de Marsyas, 1510), du Caravage (Judith et Holopherne, 1597-1598) ou de Rembrandt (Samson aveuglé par les Philistins, 1636). Pour la philosophe Claire Margat, « La fascination pour le spectacle des atteintes horribles portées au corps humain se réfère à une pulsion qui s'est manifestée dans l'art à toute époque, mais elle s'est exacerbée récemment. [...] L'exposition de l'horreur procède de la nécessité de démasquer l'obscénité d'un réel repoussant66 ». Ces propos, si on les accepte, sont de nature à fournir un arrière-plan théorique à l'histoire sociale du metal telle que l'envisage Robert Walser67. On pourrait ainsi lier la désindustrialisation et ses conséquences socioéconomiques désastreuses avec l'apparition et le développement du metal. Si je ne souhaite pas développer ce point ici pour des raisons déjà mentionnées en début de ce chapitre, il est néanmoins important de retenir que l'utilisation de la thématique de l'horreur n'est pas propre au metal car elle est universelle.

  • 68 Berger, H. M. 1999. op. cit., p. 272.
  • 69 Joas, H. 1999. La créativité de l’agir. Paris : Les Editions du Cerf, coll. Passages, p. 152. Les p (...)

38L'horreur nous fait osciller entre fascination et dégoût. Immanquablement, elle suscite des émotions. L'art s'en empare précisément pour cette raison. Pour provoquer des sentiments allant au-delà d'un simple et froid jugement esthétique. Jouer ou écouter du metal, regarder des films d'horreur, lire des tragédies antiques, permettent d'expérimenter toute une gamme d'émotions. Pour Harris Berger, « dans le quotidien, la rage, la peur ou la tristesse surviennent des suites d'événements négatifs, réels ou Imaginaires. Dans le cadre de la sphère musicale ou littéraire pourtant, nous sommes en mesure d'expérimenter ces émotions sans avoir à souffrir de leurs conséquences. Expérimenter la rage sans avoir à souffrir de l'humiliation ou de la violence, expérimenter la peur sans avoir à être menacé, expérimenter la tristesse sans avoir à subir une perte, nous sommes libres de nous charger de l'affect lui-même et de le traiter en tant qu'objet esthétique selon ses propres termes. On peut dès lors s'enquérir de savoir ce qui est intéressant dans ces émotions ? Une question qui contient sa réponse en creux dans la mesure ou les émotions et les affects sont intéressants par définition68 ». Les émotions permettent de nous sentir vivants. Ce point de vue phénoménologique a été relevé par John Dewey dès 1934 lorsqu'il postule que la confrontation aux œuvres artistiques suscite de « nouvelles possibilités d'expérience sensorielle69 ». On peut faire l'hypothèse de manière plus large, que le recours à des thématiques telles que l'horreur, l'heroic fantasy, la science-fiction, l'épouvante, la violence ou l'absurde, lorsqu'elles sont mobilisées pour donner corps à une forme artistique, ne constituent rien d'autre – et c'est déjà beaucoup – qu'une boîte à outils fictionnels plus ou moins adaptée permettant de faire surgir des émotions, et au-delà, de conjurer la mort, de la dédramatiser, afin d'accepter notre condition humaine. Quoiqu'il en soit, ces thématiques ne sont jamais neutres et contribuent à produire un certain nombre de représentations sociales que nous allons aborder dans le chapitre suivant.

Notes

1 Walser, R. 1993. Running with the devil : power, gender & madness in heavy metal music. Delaware, Ohio : Wesleyan University Press, p. 161.

2 Benetollo, A., Le Goff, Y. Historique du rock. In Gourdon, A.-M. sous la dir. 1994. Le rock. Aspects esthétiques, culturels et sociaux. Paris : CNRS Editions, p. 29.

3 Un certain nombre de formations ont mis la question sociale et politique au cœur de leur démarche artistique. Cette sensibilité est évoquée à plusieurs reprises dans les parties historiques de cet ouvrage. Cela justifie que je ne m'y attarde pas davantage au sein de ce chapitre.

4 Benetollo, A., Le Goff, Y. 1994. op. cit., p. 45.

5 Robert Walser en cite quelques uns parmi les plus récurrents que sont la revendication ou le désir d'intensité, le désir charnel, la solitude ou la victimisation, l'amour, la colère, la rébellion ou la folie et la critique sociale. Walser, R. 1993. op. cit., p. 139. De son côté Jeffrey Jensen Arnett réfute la présence de cette variété de thèmes pour n'en privilégier que deux : la colère et le détachement. Arnett, J. J. 1996. Metalheads : heavy metal music and adolescent alienation. Boulder, Colorado : Westview Press, p. 175. Si la première analyse semble correspondre davantage à la réalité que la seconde, les deux me semblent cependant restrictives, ce que je vais tenter de démontrer plus loin.

6 Roccor, B. 2002. Heavy Metal. Kunst, Kommerz, Ketzerei. Berlin : I.P. Verlag Jeske/Mader GbR. 1ère éd. 1998, p. 82-86.

7 Ce point ayant déjà été évoqué à plusieurs reprises, je n'y reviendrai pas ici

8 On peut également noter que les thèmes historiques et mythologiques sont fréquemment mobilisés dans certains genres metal. Rappelons à titre d'exemple que le black metal et le true metal sont friands d'histoire celtique, médiévale et viking.

9 Voir le documentaire Sabbath Bloody Sabbath de Sarah Mortimer et Francis Hanly (1998).

10 On trouvera une solide bibliographie de ces trois genres très liés, dans l'ouvrage de Manfredo, S. 2000. La science-fiction, aux frontières de l'homme. Paris : Gallimard, coll. Découvertes.

11 Le phénomène Métal Hurlant naît en décembre 1974 lorsque les dessinateurs Moebius (alias Jean Giraud) et Philippe Druillet s'associent à Jean-Pierre Dionnet et Bernard Farkas pour fonder la maison d'édition Les Humanoïdes Associés. Ils lancent le magazine Métal Hurlant consacré au fantastique, à l'heroic fantasy et à la science-fiction sous toutes ses formes (BD, musique, cinéma et littérature). Le film s'inspire d'histoires publiées dans la revue américaine Heavy Metal, quasi-traduction du magazine français.

12 Une partie de ces pochettes de disques sont visibles sur le site : http://covers.n.bulles.free.fr/fantasy.htm. Par ailleurs, il est à noter que les artistes cités ont souvent illustrés les livres des auteurs cités plus haut. Frazetta est par exemple à l'origine de l'image de Conan.

13 Notre Dame. 2002. Coming soon to a theatre near you. Osmose Productions.

14 On trouvera une filmographie exhaustive du genre dans le chapitre « Images in the darkness. Satanism in the cinema » du livre de Baddeley, G. 1999. Lucifer rising. Sin, devil worship & rock'n'roll. London : Plexus, p. 80-88.

15 Titre d'un morceau du second album de Metallica, Ride The Lightning (1984, Music For Nations).

16 Titre d'un morceau du second album d'Iron Maiden, Killers (1981, EMI).

17 Pour un aperçu de l'œuvre du maître et une rapide biographie, voir le site : http://horreurnet.free.fr/grands/bio.php?nom=Stephen%20King.

18 Parmi les films récents, on peut également citer Demon Knights d'Ernest Dickerson (1995), mais essentiellement pour sa bande son « metal » avec des groupes comme Pantera, Melvins, Sepultura...

19 Le leader de White Zombie, Rob Zombie est féru de films d'horreur de série Z. Son premier long métrage intitulé House of 1 000 corpses, paru aux Etats-Unis début 2003, rencontre actuellement un très grand succès.

20 Gloomy Grim, Written in blood (2001, Holy Records), Necrophagia, The divine art of torture (2003, Season of Mist).

21 Cela n'empêche pas le genre d'avoir quantité d'amateurs. Pour preuve, on compte en France deux magazines dédiés à ce genre cinématographique : Mad Movies et Toxic.

22 Pour un historique complet du gore, prenant en compte les précurseurs, voir le site : http://horreurnet.free.fr/dossiers/gore/index.php.

23 Thème également abordé par Rob Zombie, dans son album Hellbilly deluxe (1998, Geffen)

24 Le groupe officie dans un registre hard rock de facture assez classique.

25 En 1985, le groupe devient la cible privilégiée du PMRC. Tipper Gore, la femme du vice-président Al Gore, lui consacre quelques pages dans son livre Raising PG kids in an X-rated society. Nashville : Abingdon Press. En outre, le groupe fait l'objet d'innombrables menaces de mort. Blackie Lawless, son leader, échappera à plusieurs tentatives d'assassinat.

26 On y voit son acteur fétiche, le travesti Divine, y manger des crottes de chien. Jugé obscène, le film vaudra 5 000 $ d'amende à Waters.

27 Dans ce film, Divine se viole lui-même.

28 Les spectateurs sont invités à gratter des pastilles odorantes qui libèrent des effluves quelquefois surprenantes pendant la projection.

29 Green Jellÿ. 1993. Cereal killer soundtrack. Zoo. (é-u)

30 Gwar. 1994. This toilet earth. Music For Nations. (é-u)

31 Son troisième album s'intitule d'ailleurs American must be destroyed (1992, Metal Blade).

32 Zimmer's Hole. 2002. Legions of flame. Virusworx Records. (é-u)

33 Weinstein, D. 2000. Heavy Metal. The music and its culture. New York : Da Capo Press. 1ère éd. 1991, p. 35.

34 Chastagner, C. 1998. La loi du rock. Castelnau-le-Lez : Climats, p. 90.

35 Cette gravure renvoie à une affiche de concert du groupe Eyehategod en 1995, visible dans le livret de leur disque 10 years of abuse (and still broke) sur Century Media (2001).

36 Ce tableau renvoie par exemple à la pochette du disque éponyme du groupe Mistress (2002, Rages of Achilles).

37 Ce tableau renvoie par exemple à la pochette du disque de Celtic Frost, Into the Pandemonium (1987, Noise).

38 Si les tueurs en série occupent une grande part de la littérature et du cinéma noir à cette époque, on ne peut négliger l'intérêt pour le roman noir en général, notamment avec des auteurs comme Edward Bunker, Robin Cook, Ed Mc Bain, ou plus près de chez nous, Maurice G. Dantec qui a collaboré à l'écriture des textes du deuxième album de No One Is Innocent, Utopia (1997, Island).

39 La bande son de ce film comprend deux titres du groupe Rammstein.

40 La presse anglophone parle de cinéma de l'abjection au sujet de ce film. La bande son du film (1997, Mercury) se compose essentiellement de titres de groupes metal comme Sleep, Bethlehem, Bathory, Eyehategod, etc.

41 Dans ce registre, on pourrait bien évidemment également évoquer les livres Junky de William Burroughs (1953) ou Acid test de Tom Wolfe (1996).

42 Rappelons que la première icône représentative de la détresse adolescente a été immortalisée par James Dean, dans La fureur de vivre de Nicholas Ray (1955).

43 Weinstein, D. 2000. op. cit., p. 36.

44 Frith, S. 1996. Performing rites. On the value of popular music. Cambridge, Massachusetts : Harvard University Press, p. 144.

45 Frith, S. 1996. op. cit., p. 157.

46 Le musicologue rappelle également que la Symphonie fantastique glorifie les drogues, la violence et le satanisme. Walser, R. 1993. op. cit., p. 141.

47 Walser, R. 1993. op. cit., p. 140.

48 Hein, F. 2002. Le « stoner rock ». Exemple de constitution d'un courant musical en France. Copyright Volume ! Musiques actuelles et problématiques plastiques, no 1, p. 47-60.

49 On peut s'interroger quant aux répercussions de telles louanges sur un auditoire. S'il n'est certes pas rare de voir certains amateurs totalement saouls lors de concerts ou de festivals, cela ne concerne généralement que les très jeunes. On peut supposer qu'ils font là leurs premières expériences avec l'alcool. Les autres savent très bien qu'une cuite trop sévère les privera de la jouissance du concert qui reste toujours leur motivation principale. Le principe est le même avec la drogue. Comme dans chaque milieu social, on peut trouver toutes sortes de produits stupéfiants. Il me semble néanmoins que lorsqu'il en est fait usage, ce sont plutôt les drogues douces qui sont privilégiées dans le monde du metal. Par ailleurs, si certains amateurs invoquent l'argument festif, d'autres n'absorbent ni drogue ni alcool. Certains sont en outre très sportifs. En fait, comme nous le verrons dans la troisième partie de cet ouvrage, il apparaît que les amateurs de metal sont en moyenne de jeunes adultes souvent socialement intégrés. Ils ont probablement pris la mesure de certains comportements excessifs en même temps qu'ils ont intégré les normes sociales dominantes. Ce qui explique que l'on puisse lire dans certains magazines, des courriers de lecteurs condamnant les comportements outranciers de quelques jeunes amateurs de metal sous influence de drogue, d'alcool ou de bêtise. Sur ces points, je partage les observations de Bettina Roccor, selon laquelle l'image sociale des fans de metal, est en train de changer, voire qu'il se dégage une « nouvelle sensibilité » dans le monde du metal en général. Roccor, B. 2002. op. cit., p. 159-163.

50 Cette tendance est particulièrement récurrente et observable dans la presse spécialisée. Dans un récent numéro de la revue Rock Hard (no 17, 2002, p. 38-40) par exemple, la journaliste ayant couvert le Destroy Festival (comprenant Deicide et Behemoth notamment) écrit : « La soirée de la veille a été particulièrement bien arrosée, ce qui promet des moments sympathiques pour les jours à venir » ;« Nous rejoignons le bus où la fête bat son plein. La nuit va être courte... » ; « L'ambiance est étonnament calme ce soir. Deux grosses fiestas d'affilée, ça tue un homme. Pas très costauds ces métalleux ».

51 Le titre du film résume à lui seul le scénario. Un navet qui n'engage pas à le considérer autrement qu'en des termes anecdotiques.

52 Auclair, P. 2000. Spinal Tap. In Assayas, M. Dictionnaire du rock. Paris : Robert Laffont, p. 1808-09.

53 Ce réalisme n'a manifestement pas amusé Ozzy Osbourne, car selon lui, il décrit trop bien sa propre vie.

54 On trouvera les sites web de certains de ces artistes dans les sources documentaires citées en fin d'ouvrage.

55 Outre ses pochettes de disques et affiches de concerts, Frank Kozik a également créé le label Man's Ruin, qui fut le label de référence en matière de stoner rock avant de faire faillite en 2001.

56 Le nécroréalisme est un mouvement artistique « basé sur l'image, et une façon de concevoir la vie en poussant l'épicurisme à l'extrême. Un hymne à la vie et au plaisir allant à l'encontre des intolérances religieuses ». Rage, no 4, 1994, p. 10.

57 A ma connaissance, Druillet a réalisé peu de pochettes de disques pour des groupes metal : celle du premier album du groupe Sortilège (1984, Métamorphose, Devil's) et bien évidemment, celle de Proton Burst (1994, La nuit, WMD).

58 Le Necronomicon d'Abdul Alhazred, dit l'arabe fou, est supposé être le plus mystérieux et le plus maléfique des livres de magie. En réalité, il s'agit d'un mythe inventé par H. P. Lovecraft, pour alimenter ses propres histoires. Giger, H. R. 1977. Le Necronomicon. Paris : Editions C – Les Humanoïdes Associés.

59 Mouvement artistique et littéraire révolutionnaire né à Zurich en 1916 autour du Cabaret Voltaire. Ses fondateurs sont Hugo Ball, Emmy Hennings, Hans Arp, Tristan Tzara, Marcel Janco et Richard Huelsenbeck. Il consiste principalement en une attaque des traditions à la fois politiques et artistiques. Ses manifestations étaient destinées à outrager les conventions et avaient en commun le comportement antisocial, le nihilisme et le désir de choquer.

60 Mouvement artistique et littéraire constitué en 1925. Il se fonde sur un rejet systématique de toutes les constructions logiques de l'esprit, leur opposant les valeurs de l'irrationnel, de l'absurde, du rêve, du désir et de la révolte. Annoncé par Guillaume Appolinaire, le mouvement succède au dadaïsme. Parmi ses membres on trouve les poètes Paul Eluard et Roberts Desnos, les peintres Max Ernst, Salvador Dali, René Magritte et Juan Miro, des photographes comme Man Ray et des cinéastes comme Luis Bunuel.

61 Mouvement poétique actif entre 1948 et 1952, créé par Isidore Isou et Gabriel Pommerand. Ces derniers cherchent à initier un soulèvement de la jeunesse qu'ils estiment exclus du circuit de l'échange (production/consommation). Le mouvement s'est particulièrement illustré en 1950, pendant la grand-messe de Pâques, lorsque l'un des siens, Michel Mourre, déguisé en dominicain, lut un sermon particulièrement blasphémateur dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. Marcus, G. 1999. Lipstick Traces. Une histoire secrète du vingtième siècle. Paris : Editions Allia. Ed. orig. 1989, p. 321-22.

62 Mouvement artistique extrémiste autrichien, particulièrement subversif et provocateur apparu au milieu des années 60, au sein duquel s'illustrent Günter Brus et Herman Nitsch. Inspirés par le dadaïsme, les actionnistes multiplient les happenings et provoquent les autorités qui multiplient les condamnations pour des motifs divers : outrages aux bonnes mœurs, déviances mentales et sexuelles, perversions dangereuses. Leurs travaux évoquent des émotions fortes comme la peine, la douleur, la dépression. Lors de performances, leurs modèles sont souillés par de la peinture, des liquides, des viscères et des aliments divers. Les artistes eux-mêmes s'infligent des souffrances et se mutilent. En 1993, le groupe de metal industriel autrichien Fetish 69 illustre sa pochette des travaux de Brus (Antibody ; Nuclear Blast).

63 Le groupe Cadavre se compose de jeunes artistes utilisant de véritables cadavres humains dans leurs installations. Ces dernières provoquent souvent de vives réactions en même temps qu'elles renforcent leur notoriété sur le plan international. Ces artistes ont particulièrement créé le scandale lorsque l'un d'eux, Zhu Yu, à consommer un bébé mort-né dans le cadre d'une performance, avec l'objectif de démontrer que l'anthropophagie est un tabou qu'il reste à transgresser. Le groupe Semefo travaille quant à lui sur les traces de cadavres. Les artistes du groupe coulent des animaux morts dans le béton, filment des tonneaux d'une école de médecine dans lesquels des cadavres humains sont bouillis dans le but de récupérer leurs os ou alors prélèvent des tatouages sur des cadavres que personne ne réclame, etc. Artpress, hors-série « Représenter l'horreur », mai 2001, p. 60-70.

64 Il faut entendre ici le terme musique dans sa globalité, soit en tant qu'une combinaison de climats musicaux, de textes, d'illustrations graphiques, etc.

65 Artpress, hors-série « Représenter l'horreur », op. cit.

66 Margat, C. 2001. La version française de l'horreur. Artpress, hors-série « Représenter l'horreur », op. cit., p. 23-27.

67 Walser, R. 1993. op. cit., p. 161.

68 Berger, H. M. 1999. op. cit., p. 272.

69 Joas, H. 1999. La créativité de l’agir. Paris : Les Editions du Cerf, coll. Passages, p. 152. Les propos de John Dewey sont bien entendus tirés de son livre Art as experience. New York : Perigee Books, 1ère éd. 1934.

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