Hard rock, heavy metal, metal
|Introduction
Texte intégral
- 1 Blanchet P. 1985. Heavy Metal Story. La bible du hard rock. Paris : Calmann-Levy.
- 2 Hebdige, D. 1996. Système du mod. Réseaux, no 80, « Les cultural studies », p. 73.
1Ce que l'on regroupe aujourd'hui sous le terme « metal » est le fruit d'une histoire musicale née il y a plus d'une trentaine d'années. Il désigne une multitude de genres et de sous-genres musicaux issus de l'appariement du « hard rock » et du « heavy metal » et résulte d'une agrégation sémantique consécutive à l'érosion et à l'interpénétration de ces termes au cours des années 80. Leurs modèles canoniques, respectivement représentés par les groupes Led Zeppelin et Black Sabbath, se sont progressivement dilués sous l'émergence d'une multitude de formations engagées dans un processus visant - dans le périmètre des conventions propres aux genres et selon des degrés divers - à innover selon des logiques de création et de distinction. Comment le terme metal est-il parvenu à désigner simultanément cette multitude de genres ? Du fait de leurs racines originelles communes certes, mais surtout sous l'effet d'un brouillage terminologique produit par un lignage particulièrement effervescent et fécond, prenant de vitesse jusqu'à ses plus ardents laudateurs. C'est ce qu'illustre parfaitement bien le titre d'un des premiers ouvrages de référence en langue française sur le sujet : Heavy Metal Story. La bible du hard rock1. L'ambiguïté est patente. En définitive, le terme metal est surtout devenu une commodité langagière, un mot-pavillon2, dont j'userai à mon tour abondamment pour les mêmes raisons pratiques, non sans avoir préalablement développé sa généalogie en détail.
- 3 Walser, R. 1993. Running with the devil : power, gender & madness in heavy metal music. Delaware, O (...)
2Hard rock, heavy metal et metal se conjuguent avant tout au pluriel. Il est impossible de dégager une réelle unité de style ou une convention esthétique unique entre l'ensemble des genres et des sous-genres représentés sous le terme metal. Chacun d'entre eux se nourrit à la fois de ses semblables – sans que l'un ne phagocyte jamais complètement l'autre – mais s'alimente également aux genres musicaux les plus divers (« punk », « hardcore », « rap », « musique classique », « musique traditionnelle », « techno », etc.), ce qui a pour effet de redéfinir, tout en élargissant dans le même temps, le sens du mot metal. Il s'agit donc d'une terminologie évolutive, aussi élastique que spongieuse défiant toute identification stable et définitive. Comme le propose Robert Walser, « le heavy metal, comme quasiment toutes les pratiques culturelles, est continuellement en mouvement, sous l'effet de ses contradictions constitutives3 ».
- 4 Chapoulie, J.-M. 1985. Préface à Becker, H. S. Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Pari (...)
- 5 Je me réfère ici par analogie à la définition du monde de l'art établie par Howard Becker. Pour lui (...)
Hybride d'une vitalité effrénée, cette multitude de genres et de sous-genres fournit constamment les bases de nouvelles mutations selon un processus de démultiplication continu. Une définition pure aux frontières étanches de ce que l'on appelle metal est donc improbable. Ainsi, le metal n'est pas une propriété inhérente à certains actes ou à certaines personnes, mais une « catégorie construite au cours des activités d'un ensemble complexe4 » d'acteurs et d'objets composant le monde du metal5.
- 6 Weinstein, D. 2000. Heavy Metal. The music and its culture. New York : Da Capo Press. 1ère éd. 1991 (...)
- 7 Jusqu'à un certain point, ce constat est sensiblement le même dans l'ouvrage de l'ethnomusicologue (...)
3On peut néanmoins tenter de dissiper ce brouillage terminologique en procédant à un retour diachronique sur ses origines. Dans son ouvrage, Deena Weinstein, décompose l'histoire du heavy metal en cinq phases : « Le heavy metal apparaît entre 1969 et 1972 et engage sa cristallisation entre 1973 et 1975. L'âge d'or du heavy metal traditionnel, sa pleine cristallisation, se produit entre 1976 et 1979. Ensuite, entre 1979 et 1983, le metal subit une poussée sous l'effet de la multiplication du nombre de groupes et de fans en tous genres, conduisant à une complexité interne et à une expansion de ses frontières. Cette période de croissance a finalement contribué à enrichir sa diversité qui s'est cristallisée et fragmentée en sous-genres après 19836 » Si cette analyse est recevable, elle ne dit cependant rien des processus musicaux à l'œuvre. Il me semble que le metal est traversé par trois types de processus plus ou moins centrifuges. Le premier (années 70) est celui de la constitution du genre sur la base d'une bipolarisation du hard rock et du heavy metal. Une décennie marquée par un durcissement musical intrinsèque, ou l'on voit progressivement poindre une logique de la surenchère. Le second processus (années 80) est celui de la radicalisation musicale, dans une logique extrémiste. Le troisième processus (années 90) est celui du métissage, dans une logique de renouvellement en même temps qu'est amorcé un mouvement de retour aux origines. Dans une certaine mesure, une carrière d'amateur de metal se déroule également selon trois phases. En règle générale, ses débuts dans le genre sont marqués par l'écoute de formations relativement modérées, qui le conduisent à rechercher des groupes de plus en plus rapides ou lents, de plus en plus lourds ou éthérés, de plus en plus sombres ou enchantés, etc. Après quoi, selon le rythme de chacun, les goûts musicaux se diversifient7.
4En pénétrant encore plus avant au cœur de chacun des genres metal, on peut saisir ce qui les caractérise et notamment ce qui distingue et rapproche à la fois la violence du « death metal » et le caractère éthéré du « dark atmospheric metal », le minimalisme du « doom metal » et la virtuosité du « symphonic metal », le satanisme du « black metal » et le christianisme exacerbé du « Christian metal », le réalisme social clinique de l'« industrial metal » et les échappées oniriques du « metal progressif », les nostalgiques d'un « metal » de facture traditionnelle appelé « true metal » et le « neo-metal » s'employant à proposer un certain nombre d'orientations innovantes, etc.
5Vouloir comprendre ce que recouvre le terme metal nécessite, dans un premier temps, d'opérer un retour aux sources. Je me propose, dans le second chapitre, d'isoler les précurseurs du hard rock et du heavy metal ainsi que leur descendance directe. Puis de nous pencher sur un certain nombre d'enjeux technologiques, économiques et sociaux ayant favorisé leur apparition. A la suite de quoi, nous pourrons explorer les multiples genres et sous-genres auxquels ils ont donné naissance au travers des formations musicales les plus représentatives, en prenant notamment appui sur un certain nombre d'éléments discographiques. Dans la foulée, nous élargirons notre regard pour le porter sur l'équipement instrumental du metal, mais également sur ce qui touche l'équipement vestimentaire et l'expression corporelle qui lui est propre.
6Dans le troisième chapitre seront abordées les sources d'inspiration des pratiquants du metal. Comme toutes les formes musicales actives, le metal puise dans ses ressources internes, mais emprunte également à d'autres disciplines artistiques, notamment à la littérature, au cinéma, à la bande dessinée, voire à la peinture, à la photographie ou à l'art graphique. Ces disciplines se déclinent elles aussi en une multitude de genres ou de courants. Certains d'entre eux rencontrent plus aisément les faveurs des acteurs du metal, au point quelquefois, de devenir indissociables de certains genres musicaux. A l'inverse, certaines formes artistiques peuvent à leur tour être soumises à l'influence du metal comme nous le verrons.
7Bien qu'un certain nombre d'éléments permettent de penser que le metal tend à se démocratiser et à être reconnu pour sa valeur artistique et culturelle, il n'en est pas moins l'objet d'un certain nombre de critiques, résultant de représentations sociales quelquefois très négatives. Lui est ainsi reproché d'avoir des propensions au machisme, à la violence, au satanisme, à inciter au suicide ou encore de nourrir des accointances avec l'extrême droite. Fondés ou non, ces griefs et leurs conséquences seront analysés et discutés dans le quatrième chapitre.
Après avoir établi la genèse du metal, décliné ses multiples avatars et dépeint son environnement artistique, culturel et social, il me semble intéressant d'effectuer un retour historique sur la manière dont la France a été traversée par ce phénomène. Dans le cinquième chapitre, nous observerons tout particulièrement la constitution du monde du metal français à travers ses groupes, ses labels, ses concerts et festivals ou encore ses médias spécialisés.
8Le sixième et dernier chapitre de cet ouvrage s'emploiera à décrire les conditions de la pratique d'un échantillon d'amateurs de metal en région Lorraine. Pointer ces conditions permet à la fois de mesurer l'attachement individuel ou collectif au metal, mais également de dégager un certain nombre d'implications pratiques, artistiques, économiques, affectives ou sociales qui leur sont consubstantielles. Ainsi, après avoir restitué quelques caractéristiques sociologiques propres à ces acteurs, nous verrons de quelle manière le pouvoir de la musique s'exerce sur eux et les fait agir. En effet, l'observation des mécanismes de performation de la passion permet d'éclairer à la fois l'usage que font ces acteurs d'un certain nombre d'objets, la manière dont ils élaborent les collectifs et les dispositifs qui leur sont nécessaires, tout comme elle met en lumière leur degré d'engagement dans des activités concrètes.
9En somme, le projet de cet ouvrage vise à répondre à quelques interrogations simples. Qu'est ce que la musique metal ? Sachant qu'aucun genre artistique ne peut exister sans un monde pour le soutenir, comment le monde du metal s'est-il érigé ? Comment ce monde et cette musique sont-ils perçus dans la société ? Quelles sont ses sources d'inspiration ? Qui sont les amateurs et les pratiquants du metal ? Comment s'est-il emparé d'eux ? Comment l'aiment-ils ? S'y attachent-ils ? Comment le produisent-ils ? Que produisent-ils ? Je tenterai d'apporter des réponses à ces questions en situant tour à tour mes analyses à un niveau international, national, puis local. Mais avant d'entamer le développement de ce vaste programme, le premier chapitre sera consacré aux sources documentaires et à la méthodologie employées pour sa réalisation.
Notes
1 Blanchet P. 1985. Heavy Metal Story. La bible du hard rock. Paris : Calmann-Levy.
2 Hebdige, D. 1996. Système du mod. Réseaux, no 80, « Les cultural studies », p. 73.
3 Walser, R. 1993. Running with the devil : power, gender & madness in heavy metal music. Delaware, Ohio : Wesleyan University Press, p. 135.
4 Chapoulie, J.-M. 1985. Préface à Becker, H. S. Outsiders. Etudes de sociologie de la déviance. Paris : Métailié, p. 16.
5 Je me réfère ici par analogie à la définition du monde de l'art établie par Howard Becker. Pour lui, il se compose de « l’ensemble des individus et des organisations dont l’activité est nécessaire pour produire les événements et les objets qui sont caractéristiques de ce monde ». Becker, H. S. 1983. Mondes de l'art et types sociaux. Sociologie du Travail, no 4, p. 404.
6 Weinstein, D. 2000. Heavy Metal. The music and its culture. New York : Da Capo Press. 1ère éd. 1991, p. 21. Il est à noter que l'auteur n'effectue pas de distinction entre hard rock et heavy metal dans sa perspective historique. Elle reconnaît la paternité du heavy metal à Led Zeppelin et Black Sabbath. Robert Walser y ajoute Deep Purple, mais lui non plus ne distingue pas le hard rock du heavy metal. Walser, R. 1993. op. cit., p. 10. Pour Bettina Roccor, « hard rock et heavy metal ne signifient pas "de facto la même chose", mais appartiennent à la famille de la musique rock ». Roccor, B. 2002. Heavy Metal. Kunst, Kommerz, Ketzerei. Berlin : I.P. Verlag Jeske/Mader GbR. 1ère éd. 1998, p. 122.
7 Jusqu'à un certain point, ce constat est sensiblement le même dans l'ouvrage de l'ethnomusicologue américain Berger, H. M. 1999. Metal, rock and jazz. Perception and the phenomenology of musical experience. Delaware, Ohio : Wesleyan University Press, p. 59. Il effectue un parallèle avec l'addiction aux drogues, en notant toutefois qu'avec le metal, « contrairement à l'usage de drogues, les effets ne diminuent pas, mais augmentent ». Selon moi, cette analyse s'arrête cependant à mi-chemin car elle contient une double restriction. En effet, elle mésestime tout d'abord la variété des formats de l'écoute, ensuite, elle réduit le goût de l'amateur de metal.
© Éditions Mélanie Seteun, 2004