Le Monde du rock
|Chapitre 5. Le coût des choses
Texte intégral
« La liberté consiste dans le droit de dépenser un maximum de son propre argent pour ses propres choix »
John Kenneth Galbraith [1986]
Introduction
- 1 Leveratto, J.-M. 2000. La mesure de l'art. Sociologie de la qualité artistique. Paris : La Dispute, (...)
1Les choses propres au monde du rock procèdent d'une activité de production. Elles ont un coût. Faire émerger ce coût de production permet de rendre compte à la fois de l'attachement des acteurs à l'endroit de ces choses, mais également de la réalité de leurs pratiques. L'investissement économique d'un amateur dans la pratique rock, pendant son temps de loisir, est un indicateur particulièrement fiable et objectif pour saisir les implications artistiques, affectives ou sociales qu'il recouvre. Je fonde ce raisonnement sur les propos de Jean-Marc Leveratto pour qui « le désintéressement du praticien amateur d'un art est rendu sensible par le caractère coûteux, en argent et en temps, d'une passion improductive. Consacrer la majeure partie de son revenu personnel [...] à s'investir personnellement dans une pratique artistique, hors de son occupation professionnelle, est une perte réelle de temps ou d'argent au regard du profit économique qu'aurait pu apporter leur mobilisation pour réaliser un bénéfice commercial1 ». Il sera donc question dans ce chapitre de circuler entre budgets de production et conditions pratiques de production. Je m'attacherai à présenter quatre grands types d'activités. Celles qui visent à produire de la musique rock. Celles qui visent à produire des concerts rock. Celles qui visent à produire des disques rock. Et celles qui visent à produire des mots sur le rock.
- 2 Doublé-Dutheil, C. 1991. Les groupes de rock nantais. In Mignon, P., Hennion, A. Sous la dir.. Rock (...)
- 3 Guibert, G., Migeot, X. 1999. Les dépenses des musiciens de musiques actuelles. Eléments d'enquêtes (...)
2Ce travail articule à la fois pratique du dénombrement, à partir d'un questionnaire, et entretiens de type compréhensif. Le travail de dénombrement, encore très peu répandu au sein des recherches sur les « musiques actuelles », a été initié par Catherine Dutheil2 et développé ensuite par Gérôme Guibert et Xavier Migeot dans une enquête particulièrement féconde3 inspirant très largement mon propre travail. Si l'aspect économique permet d'objectiver un attachement, cette méthode permet en outre d'accorder toute son importance aux objets et aux dispositifs. En effet, le monde du rock se constitue autant du musicien et de son instrument, que du local au sein duquel il répète. Autant du programmateur et de son lieu de diffusion, que du label qui va publier son disque. Tout autant que du fanzine qui va porter un jugement sur ce disque. C'est dans la continuité entre les humains et les choses que le monde du rock prend corps.
Je ne sais que trop bien le caractère résolument grossier des instruments de mesure déployés ici. Mais il est des simplifications qui peuvent jeter quelques lumières nouvelles sur un objet d'étude aussi réfractaire à l'objectivation que le monde du rock.
- 4 Benhamou, F. 1996. L'économie de la culture. Paris : La Découverte, coll. Repères, no 192.
Il convient donc de manier ces données avec prudence comme Françoise Benhamou nous y invite dès lors qu'il s'agit d'économie culturelle4.
1. Produire de la musique rock
3Produire de la musique rock renvoie à la pratique instrumentale et donc à sa performation. Une activité s'articulant autour d'un pôle individuel et d'un pôle collectif. Le pôle individuel renvoie à la constitution d'un parc instrumental personnel. Le pôle collectif renvoie quant à lui, à la pratique musicale en groupe. Les deux pôles sont évidemment interdépendants puisqu'en règle générale, l'un conditionne l'autre. Avant de m'y attarder, je vais dresser un rapide portrait des musiciens de l'échantillon.
1.1. Morphologie sociale des musiciens
4Cette strate de l'échantillon comprend 216 musiciens officiant au sein d'un ou de plusieurs groupes. On compte parmi eux 8 femmes et 208 hommes. Les deux tiers d'entre eux sont célibataires. Ils résident plutôt en zone urbaine et se répartissent de manière quasi équivalente entre communes de moins de 10 000 habitants et communes de plus de 10 000 habitants. Leur âge moyen se situe aux alentours de 24 ans (écart de 16 à 55 ans). Ils sont issus de familles appartenant majoritairement aux PCS des employés et des professions intermédiaires.
- 5 Dans l'ensemble, ces tendances vont plutôt dans le sens de celles dégagées par Catherine Dutheil da (...)
5Ils sont plutôt fortement diplômés puisque 61 % d'entre eux détiennent un diplôme supérieur ou équivalent à bac+ 2. Plus du tiers d'entre eux sont scolarisés au moment de l'enquête. Les actifs appartiennent majoritairement aux catégories des employés, des ouvriers et des demandeurs d'emploi. Plus de la moitié d'entre eux évoluent dans des formes d'emploi précaires. La frange restante bénéficie d'un CDI5. Près d'un tiers d'entre eux projette d'intégrer le régime d'assurance chômage de l'intermittence du spectacle. En moyenne, ils ont découvert le rock aux alentours de 11 ans. Généralement par la médiation d'un disque. Outre le groupe de rock au sein duquel ils évoluent, un quart d'entre eux pratique la musique au sein d'un second groupe ou occupe des responsabilités associatives.
Instruments pratiqués
- 6 J'entends le corps et donc la voix en tant qu'un instrument.
6Comme le graphique 1 en rend compte, les instruments les plus pratiqués au sein de cette strate de l'échantillon sont la guitare, la basse, la batterie et le chant6.
7Cette partition est on ne peut plus conventionnelle au sein du monde du rock. La guitare détient un statut symbolique qui fait d'elle l'instrument emblématique du rock. Sa représentation au sein de l'échantillon est plus de deux fois supérieure à celle de la basse, deuxième plus forte occurrence citée. Une domination pouvant se justifier par deux hypothèses. Tout d'abord, les groupes sont souvent constitués de deux guitaristes, plus rarement d'un nombre équivalent de bassistes ou de batteurs. Ensuite, il est envisageable que les guitaristes se soient plus volontiers pliés à mon enquête que les bassistes ou les batteurs ou encore les chanteurs. Quoiqu’il en soit, le pourcentage de batteurs et de bassistes est relativement proche. L'infériorité numérique légèrement plus marquée des chanteurs tient au fait que sa fonction ne constitue pas toujours l'apanage d'une seule et même personne au sein d'un groupe, mais que le chant peut être dévolu à un guitariste ou à un bassiste, voire à un batteur. La présence d'instruments traditionnels tels qu'un clavier (orgue, synthétiseur, piano), des percussions ou un saxophone, reste tout à fait marginale au sein de cet échantillon, tout comme l'utilisation de platines ou de samplers, et ce malgré l'avènement de genres musicaux hybrides tels le rock fusion ou le neo-metal qui en sont des adeptes fervents. On remarque une présence nettement plus marquée de la catégorie « autres instruments » qui renvoie par exemple à des instruments à vents tels que la trompette, des instruments à corde comme la contrebasse ou encore des instruments destinés à produire de la musique électronique.
Par ailleurs, les musiciens ne se contentent généralement pas de pratiquer un seul instrument. En effet, une centaine de musiciens déclarent pratiquer un second, voire un troisième instrument. Dans ce cas, c'est encore la guitare qui arrive en tête, suivie de la basse, de percussions, de la batterie et des claviers.
Débuts dans la pratique instrumentale
- 7 Guibert, G., Migeot, X. 1999, op. cit., p. 117-121.
- 8 Donnat, O. 1996a. Les amateurs. Enquête sur les activités artistiques des français. Paris : Ministè (...)
8Comme le graphique 2 en rend compte, les musiciens de l'échantillon démarrent majoritairement la pratique instrumentale entre 10 et 20 ans. Plus rarement avant ou après ces âges. Ce qui situe l'âge moyen d'entrée dans la pratique musicale aux alentours de 15 ans. Moyenne corroborée à peu de choses près par l'étude de Gérôme Guibert7, tandis que dans son enquête sur les musiciens amateurs, Olivier Donnat fait état d'une moyenne plus élevée d'un an8. On peut éventuellement en déduire qu'en moyenne, les musiciens rock sont plus précoces que l'ensemble des pratiquants musicaux tous genres confondus. Ce qu'il est éventuellement possible de mettre en relation avec le caractère non nécessairement académique de la pratique rock.
Graphique 2 - Âges d'entrée dans la pratique instrumentale pour les musiciens de l'échantillon (ci-dessus)

1.2. Le parc instrumental
- 9 Ne sera retenu ici que l'instrumentarium principal des acteurs interrogés. C'est-à-dire, celui qu'i (...)
9Le parc instrumental fait référence à l'équipement nécessaire à la pratique instrumentale. Il se décompose en quatre grands postes. L'instrument9, le système d'amplification, le matériel informatique et/ou électronique et enfin, les accessoires. Hormis le poste « accessoires », les trois autres postes se situent principalement au sein de trois catégories de gammes :
-
la gamme moyenne, désignant un équipement d'une valeur comprise entre 764 et 1 527 €,
-
le haut de gamme, désignant un équipement d'une valeur supérieure ou égale à 1 527 €.
Instruments (183 réponses)
10Les musiciens se divisent de manière quasiment équivalente entre possesseurs d'un instrument d'entrée de gamme (37,4 %) et possesseurs d'un instrument haut de gamme (36,9 %). La frange restante (25,7 %) dispose d'un instrument de gamme moyenne.
En moyenne, chaque musicien a consacré 1 357 € à son instrument.
Système d'amplification (143 réponses)
11Le système d'amplification est un poste ne concernant pas les batteurs, percussionnistes ou autres saxophonistes étant entendu que ces derniers pratiquent un instrument acoustique. Par contre, il concerne une certaine proportion de chanteurs, même si ces derniers utilisent quelquefois la sono appartenant à l'ensemble du groupe, ou alors celle mise à disposition dans la structure au sein de laquelle ils répètent.
Un peu plus de la moitié des musiciens (51,8 %) dispose d'un système d'amplification d'entrée de gamme. Les franges restantes se répartissent entre possesseurs d'un système haut de gamme (28 %) et possesseurs d'un système de gamme moyenne (20,3 %).
En moyenne, chaque musicien a consacré 1 150 € à son système d'amplification.
Matériel informatique et/ou électronique (64 réponses)
12Le matériel informatique et/ou électronique concerne les boîtes à rythmes, les échantillonneurs (samplers), les ordinateurs et les logiciels de musique assistée par ordinateur (MAO).
Près de la moitié des musiciens (45,4 %) possède un équipement d'entrée de gamme. La frange restante se divise en deux parties. La plus importante (31,3 %) concerne les musiciens équipés d'un matériel de gamme moyenne. La moins importante (23,4 %) concerne les musiciens dotés d'un équipement de gamme moyenne.
En moyenne, chaque musicien a consacré 1 333 € à son matériel informatique et/ou électronique.
Accessoires (140 réponses)
13Par accessoires, il faut entendre un certain nombre d'objets directement nécessaires à la pratique musicale ou alors permettant de protéger les instruments. Ce sont par exemple les effets, les pieds de micros, les accordeurs, les câbles et les housses. La multiplicité des accessoires rend évidemment leur évaluation relativement complexe. Toutefois, les données obtenues permettent de dégager trois grandes tendances. Plus des trois quarts (81,4 %) des musiciens déclarent investir des sommes inférieures ou égales à 763 € dans les accessoires. La frange restante (18,6 %) y consacre des sommes supérieures.
En moyenne, chaque musicien a consacré 543 € à ses accessoires.
Petite synthèse
14Le tableau 1 rend compte de la moyenne des budgets investis individuellement par les musiciens de l'échantillon pour leur parc instrumental. On peut y lire qu'ils possèdent généralement un parc instrumental de gamme moyenne. Il se trouve qu'en proportion, les étudiants sont les plus nombreux à posséder un parc instrumental haut de gamme. Ils devancent les employés qui pourtant, disposent d'un pouvoir d'achat plus élevé. En outre, il est remarquable de noter que les musiciens les plus jeunes sont souvent dotés de l'équipement le plus onéreux. Comment la frange la plus jeune et sans réelle autonomie économique peut-elle être la mieux équipée ? On peut émettre plusieurs hypothèses quant à ces investissements. Soit ils sont pris en charge par les familles. Soit ils sont le fruit de travaux saisonniers. Par ailleurs, à un autre niveau, ils peuvent résulter d'un projet d'investissement professionnel dans la musique, justifiant l'acquisition d'un équipement haut de gamme. Mais ils peuvent également être la conséquence d'une survalorisation de l'équipement propre à certains genres musicaux (le metal en particulier). Ces hypothèses pouvant parfaitement être articulées entre elles.
1.3. Caractéristiques de la pratique de groupe
15L'échantillon comprend 100 groupes de rock. De manière à ne pas biaiser les statistiques, je me suis exclusivement appuyé sur les déclarations de leurs leaders. La carrière de ces formations musicales s'articule essentiellement autour de trois grands pôles d'activités que sont la répétition, le concert et la production phonographique. Avant d'explorer les conditions de la pratique, il faut dégager brièvement certaines caractéristiques propres à ces formations rock.
1.3.1. Les groupes de rock
Âge des groupes de rock
- 11 L'un d'entre eux a néanmoins franchi la barre des vingt ans d’existence. Deux autres formations exi (...)
16La moyenne d'âge des 100 formations composant l'échantillon s'élève à 4 ans (écart de 1 à 20 ans). Comme le graphique 3 en rend compte, l'échantillon compte peu de groupes nés dans les années 8011 La majeure partie d'entre eux a été créée au cours des années 90. Et les groupes nés entre 1996 et 2000 sont les plus fortement représentés (75 %). Ce qui permet de dégager trois grandes tranches générationnelles : celle des groupes des années 80, celle des groupes nés dans la première moitié des années 90 et celle des groupes nés après cette période.
Genres pratiqués
- 12 Je pense notamment aux enquêtes sur les pratiques culturelles des français dirigées par Olivier Don (...)
- 13 Doublé-Dutheil, C. 1991, op. cit., p. 153.
17Les enquêtes sur les pratiques culturelles intégrant le rock sont souvent frustrantes car elles ne renseignent pas de manière suffisamment précise les types de rock pratiqués12. Pour tenter d'inverser modestement cet état de fait, j'ai laissé à chaque groupe le soin de définir lui-même le genre musical qu'il pratique. Le processus d'autodéfinition produit des constructions catégorielles assez déroutantes quelquefois, mais rend néanmoins compte des logiques de distinction à l'œuvre au sein du monde du rock. « R'n'R minimaliste au 2e degré », « Hunting Christ Black Metal », ou encore « Emo'n'jazz'n'core », en constituent des illustrations remarquables. Ces auto-labellisations singulières renvoient bien évidemment à des genres musicaux totalement uniques. On assiste donc à une « valse des étiquettes13 » puisque l'échantillon affiche pas moins de 53 valeurs différentes. Si l'on s'en tient à la fréquence des citations, il apparaît très nettement que le genre « Hardcore Metal » est le plus fréquemment cité en tant que tel (12 citations). Mais il s'agit d'un hybride qui peut de plus se voir accoler les termes « Chaotic », « Noise » ou « Indus ». Impossible d'y voir clair. Il faut donc s'en tenir aux termes les plus fréquemment cités. Dès lors, il apparaît plus distinctement que l'échantillon se compose en majorité de groupes pratiquant des formes de rock appartenant aux courants « metal », « classic rock », « hardcore », et enfin, « punk ».
1.3.2. La répétition
18Je propose d'évaluer la pratique de la répétition à la lumière de quatre critères. Les deux premiers sont d'ordres temporels et sociaux et touchent à la fréquence des répétitions et à leur durée. Ils me semblent, en effet, être des indicateurs de choix pour ce qui relève à la fois des ambitions d'un groupe (faire carrière, préparer un album ou des concerts, prendre du bon temps) et de ses contraintes internes (éloignement géographique des musiciens, emplois du temps discordants). La fréquence et la durée des répétitions sont assez variables selon les groupes et il est relativement difficile d'en rendre compte de manière homogène. Elles sont généralement tributaires de cinq facteurs :
-
des motivations collectives,
-
de l'actualité du groupe (prévision de concerts, d'enregistrement, etc.) ;
-
des disponibilités personnelles de chacun des membres du groupe ;
-
des disponibilités du local de répétition ;
-
du coût de la location du local ou d'une séance de répétition.
Les deux autres critères d'évaluation sont d'ordre socioéconomique. Ils ont à voir avec le type de lieu de répétition et le montant du loyer que les musiciens lui consacrent mensuellement.
Fréquences des répétitions (98 réponses)
19Les groupes rock de l'échantillon déclarent répéter selon des fréquences variables :
-
49 % déclarent répéter au moins une fois par semaine ;
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33,7 % déclarent répéter au moins deux fois par semaine ;
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12,2 % déclarent répéter au moins trois fois par semaine ;
-
5,1 % déclarent répéter au-delà de quatre fois par semaine (2 % déclarent répéter chaque jour de la semaine).
20On observe donc un partage quasi équivalent entre deux grands blocs. D'un côté les groupes répétant au moins une fois par semaine. De l'autre, les groupes répétant au moins deux fois par semaine, voire davantage. La fréquence des répétitions est révélatrice. Elle fait émerger l'attachement collectif à une pratique. Et la nature du projet qu'elle recouvre. De même qu'elle peut révéler un certain nombre de contraintes telles que la disponibilité des membres du groupe ou celle du lieu de répétition. Mais pour être plus efficient, ce critère doit également être croisé avec celui de la durée des répétitions.
Durée des répétitions (99 réponses)
- 14 Doublé-Dutheil, C. 1991, ibid., p. 158.
21Plus des trois quarts (83 %) des séances de répétition durent entre 2 et 4 heures. Dans ce cas, il s'agit majoritairement de groupes répétant entre une à deux fois par semaine. Ce qui porte la durée moyenne de la répétition à six heures par semaine. Soit un chiffre identique à celui qu'a dégagé Catherine Dutheil au début des années 9014 Le schéma est identique pour la petite frange de groupes répétant au-delà de 4 heures. À l'inverse, les répétitions de ceux qui répètent quotidiennement n'excèdent jamais deux heures. Ce qui, toute proportion gardée, semble indiquer que plus les répétitions s'allongent, moins elles sont fréquentes et inversement. La tendance générale reste cependant relativement modérée et compatible avec d'autres activités sociales ou culturelles.
22La question de la répétition est extrêmement sensible à l'intérieur d'un groupe puisqu'elle renvoie à la détermination de chacun de ses membres à s'impliquer dans un travail collectif. Les critères de la fréquence et de la durée des répétitions sont très fréquemment mobilisés entre musiciens. Ils constituent des éléments d'appréciation, voire de distinction. Ils renseignent sur le projet qui sous-tend l'entité groupe. Ils renvoient à la valeur travail. Et leur combinaison participe éventuellement de la grandeur d'un groupe.
Locaux de répétition (98 réponses)
23J'ai proposé une typologie des lieux de répétition dans le chapitre 2. Les groupes de l'échantillon s'y répartissent de la manière suivante :
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39,8 % des groupes de l'échantillon répètent dans l'espace domestique ;
-
23.4 % des groupes de l'échantillon répètent dans l'espace locatif ;
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9,2 % des groupes de l'échantillon répètent dans l'espace professionnel ;
-
27.5 % des groupes de l'échantillon répètent dans l'espace de l'intérêt général.
Loyers des locaux de répétition (92 réponses)
24Les loyers des locaux de répétition se répartissent selon quatre grandes catégories :
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58 % des groupes ne versent aucun loyer ;
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33 % des groupes versent un loyer mensuel inférieur à 30 € ;
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5 % des groupes versent un loyer mensuel compris entre 30 et 76 € ;
-
4 % des groupes versent un loyer mensuel supérieur à 76 €.
25Plus de la moitié des groupes de l'échantillon déclare ne verser aucun loyer. La répétition au sein de l'espace domestique annule a priori tout versement de loyer. Ce qui n'empêche pas certains musiciens d'en exiger un. En outre, il apparaît que l'espace locatif met quelquefois ses locaux gracieusement à disposition. Tout comme certains locaux de l'espace de l'intérêt général. Toutefois, 42 % des groupes de l'échantillon honorent des loyers. Dans ce cas, ils restent relativement modestes. Et on voit très clairement le pourcentage de groupes décroître à mesure que les loyers se font plus élevés.
- 15 Cette charge est évidemment partagée entre les membres du groupe.
En moyenne, les groupes versant un loyer déboursent donc mensuellement 42 €, soit 504 € à l'année15.
Equipement des locaux
- 16 Touché, M. 1996. Les lieux de répétition de musiques amplifiées. Défaut d'équipement et malentendus (...)
- 17 Voir les travaux de Marc Touché (CNRS) et de Réjanne Sourisseau (Agence Opale) déjà cités, mais éga (...)
26L'objectivation de certains critères liés à la pratique de la répétition conduit également à s'interroger sur la nature de l'équipement de ces locaux. Dans son enquête sur les lieux de répétition des musiques amplifiées, le sociologue Marc Touché relève que les groupes sont « à la recherche du confort et de l'isolement sonore16 ». Une recherche s'avérant souvent vaine. Il se trouve que plus de la moitié des locaux utilisés par les groupes de l'échantillon ne disposent pas d'une isolation phonique adaptée. Pas plus qu'ils ne sont équipés d'installations électriques adéquates. L'équipement des locaux est donc relativement disparate. Les groupes déclarent fréquemment effectuer eux-mêmes des travaux d'aménagement pour améliorer leurs conditions de répétition. Ainsi, à l'instar des situations décrites dans certains travaux17, l'activité de répétition rock s'inscrit majoritairement dans le domaine du bricolage.
Mais bon, tu vois, les caves avec les boîtes d'œufs : j'ai encore découvert ça ce weekend, chez des petits jeunes qui ont monté une asso à Senones... C'est invariable. C'est le grand standard des salles de répétition, des locaux de répète un peu humides, un peu froids en dessous de quelque part, en dessous d'un magasin... [Gildas, 40 ans, Rmiste, ingénieur du son, guitariste]
Les musiciens affichent souvent leur résignation devant ces conditions. Et cela d'autant plus que les loyers sont faibles, voire nuls. L'important semblant résider dans la possibilité de la pratique musicale elle-même.
La contrainte du nomadisme
27Les groupes de l'échantillon ne disposent que rarement d'un local de répétition qui les satisfasse pleinement. Ce qui les conduit à incorporer l'idée d'une certaine forme de nomadisme entre locaux de répétition. La majorité des groupes de l'échantillon résidant en milieu urbain déclare avoir écumé entre trois et cinq locaux de répétition au cours de leur carrière. Et ils ne se stabilisent généralement au sein d'un local de répétition qu'après cinq années d'activités. Rapporté à l'âge moyen des groupes de l'échantillon (4 ans), cela signifie qu'en moyenne ils changent de local chaque année. Toutefois, il semblerait que cette contrainte à la mobilité ne s'exerce pas de façon aussi prégnante en milieu rural. Car les groupes parviennent, dans la plupart des cas, à trouver un local stable dès la constitution du groupe. Dans leur immense majorité, les groupes de rock se débrouillent toujours pour répéter. Il ne viendrait à l'idée d'aucun musicien d'attendre qu'un local tout équipé se libère pour se mettre au travail. En conséquence, on peut faire l'hypothèse que la satisfaction que les musiciens retirent de la pratique instrumentale les amène à accepter, avec un stoïcisme certain, une forme de précarité probablement indissociable de la mythologie rock.
1.3.3. Les concerts
- 18 Le travail le plus remarquable sur le sujet est à mon sens celui de Berger, H. M. 1999. Metal, rock (...)
28Il ne s'agit pas ici de procéder à l'analyse d'un concert de rock. Sa qualité de spectacle vivant a été suffisamment bien analysée dans nombre de recherches18 et ce, aussi bien du point de vue des musiciens que des spectateurs. Il n'est donc pas nécessaire de s'y arrêter ici. En revanche, on possède nettement moins d'informations quant aux conditions concrètes d'accès au concert pour un groupe rock. C'est la raison pour laquelle je vais maintenant faire émerger un certain nombre de critères touchant à la quantité de concerts réalisés, à leurs conditions de réalisation géographiques et contractuelles, à leurs lieux, à leur rétribution, ainsi qu'à leur recherche.
Concerts donnés au cours d'une carrière (99 réponses)
29Le volume de concerts donnés au cours d'une carrière livre des indications particulièrement précieuses. C'est un critère objectivable et efficace pour évaluer la nature de l'inscription d'un groupe dans le monde du rock. Le dénombrement des concerts réalisés permet de dégager trois stades dans la carrière des groupes :
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Un stade « faible » désignant les groupes n'ayant réalisé qu'un nombre inférieur à 25 concerts. Il concerne 52,5 % de cette strate de l'échantillon. Si on ajoute à ce chiffre ceux n'ayant jamais donné aucun concert, on parvient à 60 %.
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Un stade « intermédiaire » désignant les groupes ayant donné entre 25 et 100 concerts. Il concerne 33,4 % de cette strate de l'échantillon.
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Un stade « fort » désignant les groupes ayant donné plus de 100 concerts. Il concerne 6 % de cette strate de l'échantillon.
- 19 D'où la nécessité de porter une observation sur les écarts au sein d'une même tranche d'âge. Pour l (...)
30En majorité, et à hauteur de leur carrière, les groupes de l'échantillon ont donc un volume d'activité concert plutôt « faible ». Si l'on croise les nombres de concerts avec l'âge des groupes, il apparaît que le stade « faible » concerne majoritairement ceux dont la carrière est la plus récente. Le stade « intermédiaire » est représenté par des groupes plus âgés. Ce qui signifie en toute logique que plus les carrières des groupes s'allongent, plus ils effectuent de concerts. Ce qui est confirmé par l'observation des groupes appartenant au stade « fort ». Toutefois, il est assez surprenant de trouver deux groupes comptant plus de 10 années d'existence comptabiliser moins de 25 concerts. Tout comme on peut trouver un groupe de la seconde moitié des années 90 totalisant 176 concerts19.
Concerts donnés au cours des douze mois précédant l'enquête (93 réponses)
Le volume de concerts donnés par les formations de l'échantillon au cours des douze mois précédant l'enquête varie entre 1 et 40. Il se répartit de la manière suivante :
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29,1 % des groupes ont donné moins de 5 concerts ;
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33,4 % des groupes ont donné entre 5 et 10 concerts ;
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37,6 % des groupes ont donné plus de 10 concerts.
Au total, les groupes de l'échantillon ont réalisé 884 concerts en l'espace d'une année. Ce qui représente une moyenne annuelle par groupe, d'environ 10 concerts.
- 20 Près du tiers d'entre elles parviennent à se produire plus d'une dizaine de fois à l’année. Un autr (...)
31Il apparaît assez nettement que les groupes les plus anciens (1982-1992) donnent le plus grand nombre de concerts à l'année. Les formations plus récentes se produisent quant à elles, en moyenne, moins de 10 fois par an20. Ce qui semble rejoindre la tendance observée à l'échelle de la carrière des groupes. À savoir qu'ils se produisent plus fréquemment à mesure qu'ils avancent en âge. Il reste cependant relativement difficile de dégager une nette régularité de ces observations. D'où la nécessité de prendre en considération un certain nombre de facteurs, tels l'actualité du groupe dont on sait qu'elle est variable selon les moments (diminution du rythme des concerts pour favoriser la composition ou l'enregistrement par exemple), l'adéquation d'un genre musical avec un marché d'amateurs ou encore l'efficacité d'un groupe dans la recherche de concerts.
Forme contractuelle des concerts (96 réponses)
32Près de 70 % des concerts donnés les 12 derniers mois précédant l'enquête l'ont été en dehors de tout cadre contractuel. Une situation concernant l'ensemble des groupes. Les plus anciens d'entre eux se produisant même plus fréquemment sans contrat que les groupes de la seconde moitié des années 90.
Localisation géographique des concerts (96 réponses)
33Se pose également la question de savoir où se déroulent les concerts en termes géographiques. Le croisement des données entre cadres contractuels et lieux de concerts donne un point de vue intéressant à propos de la circulation des groupes. Concernant mon échantillon, les deux tiers des concerts ont lieu en Lorraine. Ils s'effectuent essentiellement hors cadre contractuel. Ce qui est également le cas hors région ainsi qu'à l'étranger. Évidemment, la proximité de la Lorraine avec les quatre pays frontaliers que sont l'Allemagne, la Belgique, Le Luxembourg et la Suisse, rend plus aisé les passages de frontières, même si les concerts à l'étranger restent proportionnellement moins importants que les autres.
Lieux des concerts (96 réponses)
34Un peu moins des deux tiers des concerts s'est tenu dans des salles de concerts de petite contenance (moins de 400 places). Dans ce cas, ils ont principalement eu lieu dans les bars. Un tiers des concerts s'est tenu dans des salles de contenance moyenne (400 à 1 200 places) et sur des scènes extérieures, dans le cadre de festivals en plein air notamment. Seul un tout petit contingent de groupes s'est produit dans des salles de grande contenance (plus de 1 200 places).
Cachet moyen par concert (81 réponses)
- 21 Les concerts ont bien entendu également un coût. Il est souvent très difficile à évaluer compte ten (...)
- 22 Un pourcentage important de formations (19 %) ne répond pas à cette question. Ce qu'il est éventuel (...)
35Les cachets des concerts constituent souvent les principales sources de revenus des groupes de l'échantillon21. Il est donc particulièrement important d'en évaluer l'importance22. L'écart entre le cachet le moins élevé et le plus élevé est compris entre zéro et 763 € :
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18,5 % des groupes ont perçu en moyenne, des cachets inférieurs à 76 €, voire aucun cachet ;
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45.7 % des groupes ont perçu en moyenne, des cachets compris entre 76 à 229 € ;
En moyenne et par concert, on peut estimer que chaque groupe de l'échantillon a touché un cachet d'environ 204 €. Si on multiplie ce chiffre par le nombre moyen de concerts réalisés à l'année (10), il apparaît que chacun d'entre eux a généré 2 040 € de recettes annuelles.
- 24 En guise d'illustration, l'enquête ethnographique menée aux États-Unis pendant une période de trois (...)
36En règle générale, les groupes les plus anciens figurent également parmi les mieux payés. Au point qu'on ne les retrouve quasiment pas dans la catégorie des cachets inférieurs à la moyenne, soit 204 €. Inversement, les groupes en début de carrière se trouvent être les moins bien rémunérés. Cela signifie que la longévité d'un groupe lui confère en principe de la valeur économique. On ne peut évidemment pas dégager de linéarité stricte de cette tendance, qui, comme pour le nombre de concerts effectués mérite d'être nuancée et mise en rapport avec les capacités commerciales du groupe, son positionnement sur le marché ou plus prosaïquement encore, ses motivations24. C'est ce qu'illustre cet extrait d'entretien :
Y a 2 jours on a joué gratos.
À Strasbourg ?
Oui.
Vous avez quand même eu un défraiement ?
Non, on a tout payé. Les mecs ils nous disent qu'ils peuvent nous faire jouer mais sans moyens. Ils avaient rien. Entrée gratuite. Bière à un euro. Ils pouvaient pas faire mieux.
Qu'est ce qui vous motive alors pour jouer dans de telles conditions ?
Jouer. Ce qui nous motive, c'est jouer.
Vous êtes prêts à faire des plans comme ça, un peu foireux ?
Foireux non, ça nous a permis de vendre 4 CD. De nous faire connaître sur Strasbourg. On a vu quand même des gens de Strasbourg qui nous avaient vu ailleurs et qui sont revenus. Nous on joue pour la gloire, pas pour le pognon. J'ai mis 200 balles d'essence. Voilà, j'ai mis 200 balles d'essence. Nous on est comme ça. Si on avait dit que c'était 2 000 pour qu'on se déplace, les mecs nous auraient pas fait jouer.
Quand vous avez joué au Zénith vous étiez payé ?
Non, on a joué pour la gloire. Là on va ouvrir pour Blaze, c'est pour la gloire. Bob nous a fait déjà jouer 3 fois et il nous paye pas non plus. C'est pour la gloire (rire). Du moment qu'on a la bouffe et la boisson... C'est vrai qu'on a eu plein de réflexions au départ. Qu'on était en train de tuer les intermittents, bref. Moi je fais de la musique pour jouer, pas pour gagner des sous. On jouerait à Marseille on demanderait un défraiement, c'est un minimum. C'est ça ou tu joues pas. Je sais pas comment se démerdent les autres groupes. [Luc, 24 ans, étudiant, guitariste dans un groupe de metal progressif]
Globalement et en moyenne, les groupes de l'échantillon s'estiment plutôt mal rémunérés. Toutefois, il est permis de se demander à quoi ils consacrent leurs cachets.
Utilisation des cachets
37Lorsqu'un groupe parvient éventuellement à dégager quelques bénéfices financiers de ses concerts, ils sont en règle générale déposés dans une cagnotte ou sur un compte bancaire associatif. De cette manière, les cachets perçus sont directement réinjectés dans les charges liées à l'activité du groupe :
Donc vous prenez pas d'argent pour vous ?
Jamais, jamais. Tout l'argent qu'on peut gagner aussi bien en concert, qu'à une foire aux disques où on va vendre les disques qu'on a eu, hop, on met tout dans l'asso. Comme ça pas de problèmes. Même notre essence on se la rembourse. D'un côté c'est aussi bien pour nous. L'argent qu'on a là, ça nous sert pour nos disques aussi, donc ça revient au même. [Mark, 32 ans, assistant vétérinaire, guitariste-chanteur dans un groupe de rock]
Le peu de ressources économiques dont disposent la majorité des formations de l'échantillon contraint ces dernières à réduire leurs charges de fonctionnement de manière drastique. Ces charges sont évidemment indissociables des projets propres à chaque formation. Les conditions économiques au sein desquelles les groupes évoluent sont donc particulièrement déterminantes. Deux exemples :
Et vos cachets sont élevés ?
Ça va de 1 500 à, dans le meilleur des cas, 6 000, 8 000. Ça c'est plus exceptionnel. 4 à 5 000 c'est plus facile en festival ou plateau d'asso. En moyenne, 3 000 en gros. Le but c'est de trouver une date intéressante et de boucler des choses autour soit pour la promo, le remboursement de frais. 1 500 balles là, c'est bien ça rembourse l'essence. Y a un budget fixe qu'il faut amortir tous les mois c'est clair. Le loyer, le bahut, le téléphone, etc.
Faut que vous trouviez combien par mois ?
Faut entre 9 et 12 000 par mois. [Je manifeste mon étonnement] Tu sais, le crédit bail du camion c'est 6 500 balles. Après ça va être relatif par rapport au téléphone, aux photocopies. 12 000 c'est les mois les plus hauts. Plus tu lances l'activité, plus tu vas dépenser. Et après ça dépend du nombre de kilomètres. Si tu vas à Perpignan, si tu fais des concerts qui vont pas te rapporter grand chose, tu sais qu'il faut que t'en places deux de plus dans le mois. 9 000 est au moins un fixe. [Barthélemy, 40 ans, Rmiste, manager, responsable de production phonographique]
38Quand tu dois larguer entre 3 500 et 2 000 balles de téléphone par mois, t'as pas d'autre choix que d'être copain avec ton banquier et de faire beaucoup de concerts. Ça représente 20 à 25 000 francs sur l'année. Rien que ça. Je te dis pas le nombre de concerts qu'il faut faire juste pour payer le téléphone. Il en faut au moins 10, juste pour ça. Après il faut payer les envois, il faut faire des affiches des machins et tout... D'entrée de jeu, si tu fais pas 25 à 30 concerts dans l'année t'es pas rentable. T'es pas viable. C'est là qu'est toute la difficulté. On a évidemment une manière de fonctionner d'activistes, d'alternatifs. L'argent on le met pas dans notre poche. L'argent on le réinvestit dans tout ce qu'on fait. [Benjamin, 30 ans, Rmiste, manager, tourneur, musicien de rock expérimental]
- 25 Il faut noter par ailleurs que ces déplacements s'effectuent en règle générale avec les véhicules p (...)
Ces deux exemples donnent la mesure des sévères exigences de rentabilité économique auxquelles se soumettent certaines formations. En règle générale, les cachets parviennent au moins à couvrir les frais de carburant nécessaires aux déplacements inhérents à leurs concerts25. Ils contribuent également à couvrir d'autres types de charges fixes telles les frais téléphoniques, les frais postaux, les emprunts, les techniciens, etc. Dans le meilleur des cas, l'argent non dépensé constitue une épargne.
39A moins de pouvoir s'entourer de bénévoles, l'écrasante majorité des formations interrogées est contrainte de répartir les tâches liées au fonctionnement entre ses membres. Une contrainte partagée selon les compétences et le degré d'engagement des musiciens. En effet, si la faiblesse économique de la majorité des groupes réduit considérablement la possibilité de pouvoir investir dans un équipement collectif (véhicule, sono), il leur est quasiment tout aussi difficile de s'entourer d'un personnel technique (manager, technicien son ou lumière, etc.) compétent et efficace, susceptible de valoriser le groupe en question dans la perspective de le rendre économiquement rentable.
Le personnel technique son et lumière (93 réponses)
- 26 Pour les concerts ayant lieu dans les bars la présence d’un technicien ne se justifie évidemment pa (...)
40Seule une petite dizaine de groupes de l'échantillon déclare recourir occasionnellement aux services d'un ingénieur du son pour l'équivalent d'un cachet d'intermittence (61 à 106 €). Aucun ne s'attache les services d'un technicien lumière. Cela n'empêche évidemment en rien la participation de certains techniciens à titre bénévole. Mais dans l'ensemble, les groupes de l'échantillon se reposent sur le personnel technique mis à disposition au sein des salles de concerts26 pour des raisons économiques évidentes, résumées très lapidairement par cet acteur :
Un ingé son, t'as du mal à en trouver. Puis ils peuvent pas compter sur nous pour vivre. On a déjà du mal pour nous. [Christian, 28 ans, enseignant, batteur dans un groupe death/thrash metal]
Booking et management (93 réponses)
- 27 L'activité du tourneur vise exclusivement la recherche de dates de concerts. L'activité du manager (...)
41L'activité dite de booking consiste à rechercher des dates de concerts. Pour 81,7 % des groupes de l'échantillon, cette recherche est effectuée par un de leur membre. Certains disposent d'un manager (10,8 %), d'autres d'un tourneur27 (4,3 %) et d'autres encore (3,2 %) d'une personne (ami) ou d'une structure (label) qui peuvent leur venir en aide. En règle générale, les groupes éprouvent beaucoup de difficultés à trouver une personne désireuse de s'engager avec eux sur ce terrain. Ce responsable de structure départementale en donne les raisons principales :
Maintenant, ça manque cruellement de gens qui ont envie de s'investir pour les groupes. Et je comprends parce que c'est un rôle hyper ingrat. Le management c'est aussi souvent beaucoup d'efforts pour pas grand chose. Personne n'a envie d'être manager ou tourneur parce que c'est pas lucratif. Quelqu'un qui travaille (à côté) n'aura pas le temps de le faire consciencieusement. Quelqu'un qui est au chômage va y passer tout son temps et aura même pas de quoi se faire un cachet de temps en temps. Alors voilà. Je sais pas pourquoi ça va mieux dans d'autres régions, mais je pense qu'il y a une grande carence entre le potentiel de musiciens et les opportunités de développement de carrière qui pourraient être apportées par des acteurs vachement investis. [Laurent, 29 ans, chargé de mission dans une collectivité locale, guitariste]
- 28 Il est à noter qu'une poignée d'acteurs s'organise pour proposer une palette d'outils facilitant le (...)
La figure du tourneur, et probablement plus encore celle du manager - qui va prendre en charge des aspects excédant la seule recherche de concerts - est souvent investie d'une charge symbolique très forte. En effet, les musiciens souhaitent souvent déléguer les aspects qui leurs semblent les plus fastidieux au cours de leur carrière28.
42Un manager de groupe présente ses activités de la manière suivante :
C'est pas évident. Ça englobe beaucoup de choses. J'ai pas la notion groupe-> manager-> cherche concerts. C'est pas ce qui m'intéresse. C'est pas mon but. Le mot manager est peut être pas adapté. En France, on a pas de profession reconnue pour ça et adaptée. Ça peut être assistant d'artiste, secrétaire d'artiste. Ça va d'une part administrative, promo, attaché de presse, relations publiques. Tu es tourneur parce que à ce stade-là, t'as pas d'autre moyen que de chercher des dates toi-même. Tu es comptable. Accessoirement infirmier, psychologue, voilà. La palette est large. Au fur et à mesure, tu sais que tu peux déléguer certaines choses. Au départ c'est assez costaud. Faut forger un groupe dans l'identité, dans l'esprit. Savoir où il veut aller, savoir ce qu'il est capable de faire dans l'immédiat, ce qu'il pourra faire plus tard, etc. C'est une démarche plus large. Plus le temps passe, plus tu maîtrises des choses et eux aussi. Les fonctions se resserrent un peu plus. Bien que tu développes aussi des choses à côté. À côté de ça, t'as aussi toute une démarche artistique. Vigilance sur les concerts, quelle attitude avoir, ça, ça a fonctionné, ça a pas fonctionné, qu'est-ce qu'il faudrait faire ? Comment faire ? Quels titres il faut virer du répertoire ? Qu'est-ce qu'il faut rajouter ? Toute cette démarche de réflexion et de travail à ce niveau-là. [...] [Barthélemy, 40 ans, Rmiste, manager, responsable de production phonographique]
43Les formations les plus anciennes de l'échantillon ne disposent d'aucune personne pour se charger du booking. Ce qui ne les empêche pas de se produire plus fréquemment que les autres. Il est probable que la longévité d'un groupe lui confère suffisamment d'expérience et de notoriété pour faire l'économie d'un intermédiaire. Dans certains cas, certains musiciens expérimentés semblent même très peu disposés à laisser la gestion de leur carrière aux mains d'une tierce personne. La gestion des « affaires » ou du « business » d'un groupe de rock semble être particulièrement délicate à déléguer. L'efficacité recherchée nécessite un faisceau de compétences complexes, essentiellement acquises sur le tas, par expérience. Il n'est donc guère surprenant qu'un musicien s'étant chargé de la gestion de son groupe depuis le début de sa carrière accepte de s'en dessaisir aussi facilement. Il dispose en effet d'un certain nombre d'indicateurs lui permettant de penser que sa connaissance du monde du rock et les réseaux qu'il a pu constituer ne relèvent pas seulement de la bonne volonté, mais d'un travail de longue haleine, en partie intransmissible. C'est ce que relatent ces deux musiciens-managers :
Après tu manipules un groupe. Faut être un peu gestionnaire, faut être un peu VRP, faut être un peu tout en même temps. Et puis t'es souvent tout seul, parce que quand t'as bossé quatre ans tout seul, c’est difficile. Tu te demandes vraiment comment tu vas pouvoir apprendre à quelqu'un tout ce que t'as appris. Et quand t'es à un certain degré dans les négociations avec les gens au téléphone, tu te demandes si celui qui va prendre la relève il sera de ce niveau-là. Moi j'en ai des gens qui veulent bien m'aider pour faire du tour booking, mais la plupart d'entre eux, ils sauront pas négocier une fiche technique. Ils savent pas ce dont le groupe a besoin. Sais-tu que 90 % des groupes ne savent même pas faire une fiche technique ? Le mec il dit : « il vous faut quoi comme sono ? ». Ils savent pas. Ils savent même pas combien de tranches il faut sur la console pour sonoriser le groupe (rire). [...] Les compétences artistiques c'est très bien, mais c'est vraiment pas suffisant. [...] Là on part pour plus de trente concerts. Ça s'est pas fait tout seul. J'ai travaillé pendant six mois tous les jours. Alors oui eux, le bol qu'ils ont, ils ont le cul bordé de nouilles. Ils font des disques, ils font des concerts. Le travail. Travail, plein. Et ça me coûte à mort. [Benjamin, 30 ans, Rmiste, manager, tourneur, musicien de rock expérimental]
Faut toujours que ça passe par les musiciens. Je préfère le faire moi-même. Au moins j'ai tout chez moi, je démarche, si je connais pas j'appelle le mec du label. Je me suis rendu compte au fil des ans, qu'il valait mieux que je fasse les trucs moi-même plutôt que de les filer aux gens, parce que souvent c'est mal fait, ou pas comme tu voulais. En fait tu perds plus de temps en déléguant. J'apprends par la force des choses. Quand tu cherches un label, c'est pareil. Au début tu te plantes, mais après à force, t'apprends à parler comme ils veulent que tu parles et voilà. [Christian, 28 ans, enseignant, batteur dans un groupe death/thrash metal]
44On peut noter par ailleurs que la gestion d'un groupe procède souvent d'un travail solitaire qu'il est même relativement difficile de partager au sein d'un groupe. Premièrement, en raison d'un désintérêt manifeste de la majorité des musiciens pour ce type de travail (celui qui le prend en charge est souvent celui pour lequel il pèse le moins et plus rarement à qui il plaît le plus). Deuxièmement, par souci d'efficacité, car il s'agit de centraliser les informations pour éviter toute déperdition. Cette centralisation se cristallise souvent en une seule et même personne maîtrisant la globalité des informations internes et externes au groupe, ce qui représente souvent une charge considérable.
Les concerts constituent une activité majeure dans la vie d'un groupe de rock. Dans une certaine mesure, ils en marquent le tempo. Mais il ne faut pas oublier que l'obtention d'un concert est souvent tributaire d'un support phonographique. Il est donc nécessaire de se pencher sur les conditions de sa réalisation.
1.3.4. La production phonographique
- 29 Guibert, G., Migeot, X. 1999, op. cit., p. 119.
45Hormis une poignée de formations débutantes, rares sont celles ne disposant d'aucun enregistrement. Ce qui semble indiquer que « la production d'un disque ne sanctionne plus, comme auparavant, le passage d'un cap décisif vers la professionnalisation » comme le souligne Gérôme Guibert29.
La démocratisation des outils technologiques liés à l'enregistrement (home studio, logiciels de MAO) et à la duplication domestique (graveurs de CD) génèrent à ce titre probablement de réelles mutations. La production phonographique constitue incontestablement un passage obligé dans la carrière d'un groupe. Le support enregistré représente le groupe. Il lui permet de se faire connaître, d'obtenir des évaluations dans la presse spécialisée, de chercher des dates de concert, de démarcher des labels, etc.
Supports phonographiques (100 réponses)
46Au cours de leur carrière, les groupes produisent donc un certain nombre d'enregistrements audio. Ces derniers se matérialisent en quatre grandes catégories de supports :
-
la « démo » ;
-
les compilations, split et 45 tours ;
-
le EP (Extended Playing ou maxi 45 tours) ;
-
le LP (Long Playing ou album).
La « démo »
47Le début de mon travail de terrain a été précédé de manière très significative par le passage d'un format audio à un autre. Plus précisément, de la cassette au CD qui est actuellement la norme de diffusion de la musique enregistrée. Enregistrer une « démo » (pour démonstration) constitue une étape particulièrement importante dans la carrière d'un groupe débutant. Elle marque la capture des premières compositions qu'il va être possible de diffuser au-delà du seul cercle privé. Sauf cas exceptionnel, la « démo » est généralement le seul format qu'un groupe débutant s'autorise à produire lors de sa première année de carrière. Elle sert notamment à démarcher les organisateurs de concerts et à recueillir des commentaires critiques dans les fanzines ou magazines, dans le but d'acquérir un peu de notoriété et de pouvoir constituer un dossier de presse. La « démo » a donc avant tout une fonction utilitaire de type « carte de visite ». Mais il arrive également qu'elle fasse fonction de « maquette » pour tester l'efficacité d'un certain nombre de titres avant un enregistrement plus abouti comme on a déjà pu le voir dans le chapitre 2.
48Près des trois quarts (74 %) des groupes de l'échantillon ont enregistré une ou plusieurs démos au cours de leur carrière. Le quart n'en ayant jamais enregistré se compose à la fois des groupes les plus anciens et des groupes les plus jeunes de l'échantillon. Les plus anciens ont entamé leur carrière phonographique en enregistrant directement sur un autre type de support. Les plus jeunes n'ont quant à eux, tout simplement pas encore eu l'occasion d'enregistrer quoi que ce soit.
Compilations, splits, 45 tours
49Lorsqu'un groupe parvient à attirer l'attention d'un label, il arrive qu'on lui propose de participer à une compilation regroupant d'autres artistes, de figurer sur un split (du verbe « to split » entendu au sens d'une division), c'est-à-dire de partager un support audio (45 tours, EP, LP) avec une autre formation (une face chacun si l'on retient la forme du disque vinylique). Mais il est également envisageable que l'on offre au groupe en question la possibilité d'enregistrer les deux faces d'un 45 tours.
Il se peut, bien évidemment, que ce soit le groupe lui-même qui décide de produire ce type de supports. Bien entendu, certains de ces supports sont plus prestigieux que d'autres. Le projet des compilations et des splits vise à profiter de la notoriété des uns pour exposer les autres, moins connus.
Un peu plus d'un tiers (36 %) des formations de l'échantillon ont participé à des opérations de ce type. Il ne s'agit pas nécessairement des groupes les plus anciens, même s'ils sont les plus représentés. Par contre, il apparaît que les collaborations se multiplient à mesure que les carrières des groupes se prolongent.
EP (Extended Playing)
50Éditer un EP marque généralement une étape intermédiaire entre la démo et le LP. A cet égard, les groupes l'envisagent fréquemment comme une étape préparatoire et transitoire permettant de mettre l'auditeur potentiel en bouche avec un nombre de titres réduit. Le format EP (environ 25 minutes) est le moins courant des supports audio abordés ici. Rien d'étonnant donc à ce que les formations de l'échantillon soient à peine 18 % à en avoir publié un. Ce format ne semble pas discriminant puisque les trois générations de groupes y ont eu recours.
LP (Long Playing)
51Le support LP ou album représente la forme canonique de l'enregistrement. Il constitue une véritable épreuve au cours de laquelle il est attendu qu'un groupe démontre clairement sa créativité et ses compétences techniques pendant un temps relativement long (jusqu'à 74 minutes).
- 30 Elles sont 16 % à en avoir enregistré un, 11 % à en avoir enregistré deux et 1 % à en avoir enregis (...)
Les formations de l'échantillon sont à peine plus d'un tiers (28 %) à avoir enregistré au moins un album30. Dans ce cas, le cap de l'album ne se concrétise jamais avant la seconde année d'activité d'un groupe. On observe ensuite que la production d'albums n'est pas nécessairement relative à la longévité des groupes car certaines formations de la seconde moitié des années 90 ont parfois produit davantage d'albums que certaines formations plus anciennes.
52Les catégories de supports phonographiques étant établies, il est nécessaire à ce stade, d'apporter quelques éléments de réflexion à propos des conditions de leur production et de leur distribution. Elles ont à voir avec les cadres de l'enregistrement et de la diffusion des supports phonographiques, avec les budgets que les groupes y consacrent ainsi qu'aux modes de financement retenus. Ces données permettent à la fois d'établir des hiérarchies dans les niveaux de carrière et de faire émerger un certain nombre de contraintes s'exerçant sur les groupes de rock.
Cadres de l'enregistrement et de la distribution (100 réponses)
53Ces cadres renvoient à la quadruple partition de la production phonographique proposée dans le chapitre 2. À savoir les groupes disposant d'un label et d'un distributeur, les groupes avec label, les groupes avec distributeur et les groupes sans label, ni distributeur. Les carrières étant rarement linéaires, il est entendu qu'une même formation peut aisément traverser plusieurs cadres.
54De manière à juguler cette mobilité, j'ai pris le parti de ne m'intéresser qu'aux cadres de production et de distribution concernant la dernière production en date. Ce qui permet de dégager les données suivantes :
-
- 31 Aucune formation de l'échantillon n'est en contrat avec une major.
13 % des groupes ont collaboré avec un label bénéficiant d'une structure de distribution31 ;
-
3 % des groupes ont collaboré avec un label ne bénéficiant d'aucun réseau de distribution ;
-
3 % de groupes ont autoproduit leurs supports enregistrés mais ont disposé d'un distributeur ;
55On note immédiatement un partage net entre les groupes. Les uns, majoritaires, ne bénéficient d'aucun soutien externe. Les autres, minoritaires, jouissent du soutien d'une ou plusieurs structures. Il convient cependant de rester prudent quant à ces données. Notamment du fait de l'efficacité économique et commerciale variable des labels et des circuits de distribution. Ce point sera abordé plus loin. Par ailleurs, il apparaît que les formations les plus anciennes ne sont pas nécessairement les mieux pourvues en matière de soutien à la production et à la distribution. Certaines jeunes formations étant mieux équipées que d'autres plus âgées.
56Comme le tableau 2 en rend compte, le recours massif à l'autoproduction et à l'autodistribution est une tendance lourde. Aussi bien à l'échelle de la région que de l'échantillon. Même si, entre les deux niveaux, on observe un doublement du pourcentage des groupes bénéficiant du soutien d'une structure extérieure (label et/ou distributeur). Ce sont ces deux cadres généraux de la production et de la distribution que l'on va étudier maintenant.
Autoproduction et autodistribution : cadres dominants
- 33 « La concentration extrême du marché de la musique en France forme l'explication principale à l'exi (...)
- 34 Dans leur ouvrage, Gombert et Pichevin font également mention d'un choix économique, car selon eux (...)
57Le recours massif à l'autoproduction et à l'autodistribution indique deux logiques à l'œuvre au sein de l'échantillon. La première, largement majoritaire, résulte d'une indifférence de l'industrie du disque à l'égard de la majorité des groupes de rock33. Bien que vécue sur le mode de la contrainte, elle n'en est pas moins envisagée comme une phase transitoire. La seconde, minoritaire, correspond davantage à un choix éthique reposant sur le refus d'une aliénation quelconque avec cette industrie. Elle figure un choix assumé34.
Comme cela a déjà été rappelé plus haut à propos de la recherche de concerts, la plupart des groupes espèrent se débarrasser des tâches qui les écartent du travail purement artistique. Cela concerne également la production phonographique. Les groupes souhaitent bénéficier du capital économique et des dispositifs sociotechniques qu'une maison de disques ou un label sont supposés offrir.
58Toutefois, le manque de débouchés ne décourage pas les groupes à enregistrer leurs compositions sur la base d'objectifs variables et évolutifs :
On est là depuis mars 89. Ça fait une paire d'années. On a fait trois démos. Passage obligé par les démos. Ensuite on a fait un album autoproduit qu'on a distribué nous-mêmes. Qu'on a financé nous-mêmes. Après on a été repéré par une boîte française [...] qui nous a sorti le2e album. Manque de bol, quatre mois après la sortie de l'album, la boîte a coulé. Après une paire de galères. Y a des musiciens qui sont partis, on avait plus de local, le blabla habituel et on a été recontacté par une boîte américaine [...] qui nous a ressorti l'album avec une distribution mondiale, Canada, Japon, un peu partout. Ensuite on devait enregistrer un album puisqu'on avait signé pour trois albums. Ça s'est pas trop bien passé parce qu'ils voulaient pas trop financer l'album. Donc on avait pratiquement rien pour enregistrer. À chaque fois qu'on leur écrivait, ils voulaient pas répondre. On a laissé tomber. Pas de communication. On savait pas ce qui se passait. Enfin c'est pas grave. On a retrouvé des musiciens bien motivés et on a préparé les morceaux du nouvel album. On a enregistré l'album tous seuls encore. On l'a mixé, masterisé, produit tous seuls. Il est prêt. On attend plus qu'une boîte de disques. On a quelques contacts avec une boîte étrangère et une boite française et on attend. On l'a envoyé un peu partout. Le chemin classique. [Quentin, 33 ans, employé, chanteur d'un groupe death metal, a enregistré plusieurs disques pour des labels]
59Ces propos sont particulièrement exemplaires en ce qu'ils concentrent les étapes d'une trajectoire « classique » sur un mode ascendant (démos, repérage par un label, album), avant de l'illustrer sur un mode descendant (ennuis avec le label, retour à l'autoproduction) soulignant le caractère aléatoire du marché musical. Rien n'y est jamais définitivement garanti. Qu'une collaboration avec un label soit l'horizon à atteindre ou pas, le recours à l'autoproduction peut, selon chaque groupe, être vécu comme une expérience formatrice ou comme une contrainte.
- 35 Gombert, L., Pichevin, A. 1996, ibid., p. 13.
60Comme le soulignent Ludovic Gombert et Aymeric Pichevin, « l'autoproduction peut donner d'excellents résultats, mais elle ne permet pas de dépasser un certain stade, du moins sans l'appui de partenaires35 ». L'autoproduction augmente la charge de travail d'un groupe. Elle excède largement les seules dimensions artistiques pour se frotter à des aspects financiers et commerciaux. Il apparaît donc que les réalités des groupes sont variables et fonction de leurs opportunités tout autant que de leur engagement collectif. Il en va de même pour les groupes ne disposant d'aucun circuit de distribution professionnel. Ils sont contraints à l'autodistribution s'ils souhaitent écouler leurs productions. Ce qui signifie le déploiement d'un certain nombre de stratégies de distribution directe ou par intermédiaires évoquées dans le chapitre 2.
Coproduction : un cadre à nuancer
- 36 La forme contractuelle de ce type de collaboration est le contrat dit de licence.
61Pour beaucoup de formations, le modèle idéal d'une carrière artistique consiste à intégrer un label bénéficiant de moyens financiers conséquents et d'un circuit de distribution professionnel. On imagine sans peine que les groupes engagés dans cette forme de coopération présentent un intérêt commercial au moins ponctuel. Toutefois, il faut savoir que la majorité des labels accueillant des groupes de l'échantillon sont des structures associatives dont le capital économique est souvent trop faible pour pouvoir prendre en charge la globalité des frais liés à l'édition d'un disque. Dans le meilleur des cas, les modalités de coopération s'effectuent sur la base d'un partage des charges entre un label et un groupe. En d'autres termes, les parties négocient une coproduction. Elle s'établit schématiquement de la manière suivante : au groupe, les frais liés à l'enregistrement et au label, les frais liés au pressage, à la promotion et la distribution36. Dans ce cas, les labels injectent en moyenne des sommes comprises entre 1 526 et 7 600 €. Les propos ci-dessous rendent compte des réalités de la coproduction :
En fait, nous on a payé le studio, et eux payent tout le reste. La promo et le pressage de 2 000 CD. Donc ils s'occupent de tout. Distribution avec X, mais ça c'est une catastrophe, c'est le cas de la distribution avec X. Là ils y peuvent rien les pauvres. [... j Là, nous on est encore en train de rembourser. Ma femme a sorti plus de 4 000 balles. La copine du chanteur a sorti 5 000 balles, elle va être remboursée. Parallèlement à ça, on a repayé un site Internet, on a repayé une série de t-shirts à nous. Là, il nous reste encore un peu de thune à récupérer, le bassiste aussi, puis le batteur et le guitariste aussi. [...] Par contre, pour le prochain, si on reste chez eux [le label], le CD sera financé en partie. Pas forcément tout. Avec eux, pour 15 000 francs tu fais un album. Moi je suis pas forcément de cet avis là. Parce qu'on a l’habitude de travailler dans un studio relativement cher, même si on a des avantages. On connaît les gars, on sait où on va. Je suis pas persuadé qu'en allant ailleurs on aurait mieux. Parce que le gars, on le connaît pas. Il sait pas comment on fonctionne, comment on peut réagir. Y a plein de choses. Tant pis. S'ils mettent que 15, 20 000 balles, ça fera une bonne, bonne partie du studio qui sera payée et on mettra le reste au bout. [Florent, 33 ans, fonctionnaire, guitariste d'un groupe death metal]
62Il convient donc toujours de chercher à nuancer les déclarations des groupes dans la mesure où l'efficacité commerciale de leurs labels et distributeurs peut être extrêmement variable. Il est nécessaire de pondérer les termes employés qui recouvrent souvent des réalités assez hétérogènes. Éléments que la « lecture » d'un disque ne permet pas toujours d'élucider. Il apparaît ainsi que plus les capacités économiques, techniques et commerciales d'un label sont réduites, plus il requiert l'implication active du groupe avec lequel il coopère. Le problème se pose évidemment avec d'autant plus d'acuité lorsqu'un groupe travaille avec un label ne bénéficiant d'aucun circuit de distribution professionnel.
- 37 Certains labels disposent d'une forte réputation. L'association de leur nom à celui d'un groupe con (...)
63L'hétérogénéité des dispositifs de production et de distribution phonographique donne matière à s'interroger sur ce qui pousse ces formations à s'associer à des structures dont elles pourraient quelquefois effectuer le travail. Intégrer un label, de quelque dimension qu'il soit, signifie qu'un intervenant extérieur au groupe va contribuer au développement de sa carrière sur le plan phonographique. Les groupes accueillent souvent ce type de collaboration très favorablement. Non qu'elle les dégage intégralement d'une somme de travail importante (recherche de budget, recherche d'un distributeur...), notamment dans le cadre d'une modeste coproduction, mais parce qu'elle contient une forte dimension symbolique. Elle constitue pour un groupe une reconnaissance de son travail, en même temps qu'elle renvoie en arrière-plan à l'idée d'un processus d'accroissement de sa renommée37.
Étant donné qu'aucun groupe de l'échantillon ne bénéficie d'une prise en charge totale de la part d'un label ou d'une maison de disques, il est intéressant de se pencher sur les budgets de production phonographique.
Budgets de production et de valorisation
- 38 Ce sont essentiellement les très jeunes groupes de l'échantillon qui ont recours au « home studio » (...)
64Les budgets de production et de valorisation liés au dernier enregistrement en date concernent essentiellement trois phases : l'enregistrement, le pressage et la promotion. Évaluer les investissements consacrés à ces phases semble souvent assez difficile pour nombre de formations ne tenant pas nécessairement de comptabilité analytique. En outre, il faut tenir compte du fait qu'un petit nombre de groupes recourt au « home studio » pour ses enregistrements38 et qu'à ce titre, il n'y engage généralement aucun budget.
L'enregistrement (47 réponses)
65On peut isoler trois grands types de budgets relatifs à l'enregistrement :
-
46,8 % des budgets se situent en dessous de 763 € ;
-
23,4 % des budgets se situent entre 763 et 1 527 € ;
-
- 39 10,6 % de ces budgets sont supérieurs à 4 580 €.
29,7 % des budgets se situent au-delà de 1 527 €39.
On note une partition nette entre petits budgets inférieurs à 763 € et budgets supérieurs à cette somme. Avec une légère domination des budgets supérieurs. En règle générale, ce sont les groupes les plus anciens de l'échantillon qui investissent les budgets les plus élevés dans l'enregistrement.
- 40 Si on rapporte cette somme aux tarifs pratiqués sur le marché de l'enregistrement en Lorraine coura (...)
66En moyenne, chaque groupe ayant fréquenté un studio d'enregistrement a consacré 1 491 € à l'enregistrement de sa dernière production40.
Le pressage (44 réponses)
67On peut isoler quatre grands types de budgets relatifs au pressage :
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36,4 % des budgets se sont situés en dessous de 153 € ;
-
15,9 % des budgets se sont situés entre 153 et 763 € ;
-
36.4 % des budgets se sont situés entre 763 et 1 527 € ;
-
11.4 % des budgets se sont situés au-delà de 1 527 €.
Le premier de ces budgets est probablement en mettre en rapport avec la duplication manuelle, en flux tendu, qu'il est possible de pratiquer à domicile dans des proportions réduites. Il concerne la totalité des groupes enregistrant en home studio. Les trois autres budgets correspondent au pressage industriel. Il apparaît que plus les groupes sont anciens, plus ils injectent de l'argent dans le pressage, et donc en quantité de disques pressés. Toutefois, ce sont les groupes du milieu des années 90 qui y investissent les plus fortes sommes.
- 41 Si on rapporte cette somme aux tarifs pratiqués sur le marché du pressage en 2001, il apparaît qu'e (...)
En moyenne, chaque groupe de l'échantillon a consacré 782 € au pressage de sa dernière production41.
La promotion (36 réponses)
- 42 En guise d'exemple, on peut se reporter aux tarifs publicitaires pratiqués par le fanzine Kérosène, (...)
- 43 On peut également compter dans ce poste les frais de reproduction de la biographie ou du dossier de (...)
68Les enregistrements sont pour une grande partie destinés à la vente. Il ne faut pas oublier qu'une autre partie d'entre eux sont destinés à la promotion du groupe. Entre tous, le poste promotionnel reste le plus difficile à évaluer. Notamment parce qu'il s'étend souvent sur un temps relativement long. Il comprend essentiellement les frais postaux liés aux envois des enregistrements et les frais téléphoniques liés aux relances des destinataires. Dans le meilleur des cas, il concerne aussi l'achat d'encarts publicitaires au sein de fanzines ou de magazines spécialisés42. Parmi les groupes en mesure d'évaluer ce poste budgétaire43, on peut isoler deux grandes tendances :
-
61,2 % des groupes y ont consacré des sommes inférieures à 763 € ;
-
- 44 Avec un seuil de 3 053 €.
14 % des groupes y ont consacré des sommes supérieures à 763 €44.
L'investissement promotionnel reste donc en majorité relativement modeste. Sauf exception, il apparaît assez nettement que les budgets promotionnels augmentent à mesure que les groupes avancent dans leur carrière. Et à l'inverse, en toute logique, ils sont faibles lorsque les formations arrivent sur le marché.
- 45 Ce qui correspond à deux pages de publicité au sein d'un fanzine tiré à 3 000 exemplaires.
En moyenne, chaque groupe de l'échantillon a consacré 438 € à la promotion de sa dernière production45.
Petite synthèse
69Le tableau 3 rend compte de la moyenne des budgets de production investis par les groupes de l'échantillon à leur dernier enregistrement en date.
Modes de financement
70Aucun groupe de l'échantillon ne bénéficie d'une prise en charge totale des frais liés à l'enregistrement, à la duplication et à la promotion. Et ce, même lorsqu'un groupe est sous contrat avec un label et/ou un distributeur. Par conséquent, ces trois phases de la production s'articulent généralement autour de financements mixtes combinant par ordre d'importance et selon des degrés variables :
-
les fonds propres des groupes, soit l'épargne consécutive à leurs activités (40,7 %) ;
-
l'argent personnel des membres du groupe (31 %) ; les labels (15,5 %) ;
-
les aides privées provenant de la sphère familiale ou d'une souscription (6,7 %) ;
-
un programme d'aide de type Défi Jeunes (3,8 %) ;
-
les subventions publiques (2,9 %) ;
-
les emprunts bancaires (1,9 %).
71Les extraits d'entretiens suivants rendent compte d'un certain nombre de réalités financières liées à la production d'un disque :
On a tout payé nous-mêmes parce qu'on n'était pas signés. On n'avait même pas à démarcher d'ailleurs. On voulait vraiment sortir le truc-là et seulement après démarcher. On s'est un peu saignés, on s'est beaucoup saignés même (rire).
C'était votre argent perso ?
Ouais, ouais, ouais. On a pris un peu dans la caisse du groupe, mais y avait pas grand chose. La grande majorité c'était notre argent perso. Moi j'ai bossé tout l'été pour ça. Tu vois, c'est pas encore une vie de star (rires). [...]
Votre budget pour l'enregistrement c'est combien ?
Budget dernier album, c'est 40 000 francs. Tu sais, un album 12 titres, si tu veux faire un album correct, c'est le prix. Ça dépend du studio. Ouais, on a déboursé pas mal. Et encore, on a été vite. On aurait dû prendre beaucoup plus de temps que ça. On a pris que 11 jours pour 12 titres, c'est pas beaucoup. Dans le style en plus c'est éprouvant physiquement. Faut y aller au moins trois semaines pour bien faire. [Nathan, 20 ans, étudiant, batteur dans un groupe death metal]
72À un moment, pour mixer un album, j'ai dû vendre ma voiture. J'avais une voiture qui était bien. Pour une fois que j'avais une voiture, j'étais obligé de la revendre. Mes parents je leur disais que je préférais venir en train les voir, mais j'avais plus une thune. Y avait plus rien dans le frigo. Y a pas longtemps, un certain temps. On a été obligé de demander des bons d’alimentation, tout ça. J'ai été obligé d’aller voir l'assistante sociale. C'est pas évident. En même temps, tu fais des concerts où y a des milliers de personnes et en même temps, t'as tellement de mal à finir les fins de mois qu'on est allé voir l'assistante sociale. C'est un peu dégradant, sept mois de loyer de retard, etc., obligé de fabriquer des faux. [Yann, 42 ans, technicien musical, guitariste de très haut niveau, a enregistré quantité de disques]
73Quand il fallait qu'on trouve à l'arrache 50 000 balles parce qu'il y avait deux financeurs qui nous claquaient dans les pattes à trois semaines de partir en studio, j'étais très content que ma grand-mère, elle me prête 50 000 francs à perte de vue. Elle me les donne en fait, donc c'est moins lourd (rires). Elle a fait croire qu'elle me les prêtait pour faire plaisir à mes sœurs (rires). Ma grand-mère, tout ce qu'elle veut savoir c'est si l'argent a servi à quelque chose et si maintenant c'est mieux grâce à ça. En l'occurrence oui, donc elle est contente. Elle veut rien savoir de plus que ça. [Benjamin, 30 ans, Rmiste, manager, tourneur, musicien de rock expérimental]
74Ça a un intérêt de faire les choses avec peu de moyens. Ça t'apprend à te débrouiller, à avoir la niaque, à réfléchir, à penser aux choses, à bien goupiller ton truc. Et ça a un côté un peu bancal et pas fini que même certains gros artistes essaient de retrouver. C'est que la spontanéité a un côté intéressant. Maintenant, à vivre c'est pas toujours évident, évident et dès fois, c'est mieux de se sentir à l’aise. Je ramène toujours tout ça aux finances parce que l'aspect financier est toujours assez important. On a enregistré beaucoup de disques en très peu de temps, parce qu'on avait très peu de moyens. Peut-être qu'on aurait fait d'autres choses, peut-être mieux, peut-être plus mal, il s'avère que des fois t'as envie d'avoir un peu le choix et quand tu l'as pas t'as un peu les boules. Tu te dis : « merde, si j'avais le choix, j'aurais repris un jour de plus ». Alors c'est vrai qu'après ça, avec mon groupe précédent notamment, ça avait un côté un peu compétition. Record battu. Enregistrement / mixage en vingt heures. Ça a un côté anecdotique et rigolo mais si on en était là, c'est parce qu'on pouvait pas faire mieux. On pouvait pas avancer plus d'argent. De toute façon, je crois que l’un dans l'autre, depuis que je fais de la musique, j'ai beaucoup plus perdu d'argent que gagné d'argent. Si je fais les comptes vraiment, je crois que j'ai toujours perdu de l'argent. Ah ouais. [Xavier, 33 ans, luthier, guitariste dans un groupe punk rock garage]
75L'engagement financier personnel et la solidarité familiale constituent manifestement des éléments déterminants pour la production d'un enregistrement onéreux. Il faut également prendre en considération que certains genres musicaux s'accommodent très bien de budgets d'enregistrement modestes. Car ils répondent ainsi à des conventions esthétiques. C'est le cas du punk rock garage par exemple. Toutefois, si les fonds propres représentent la première des ressources d'un groupe de rock, il reste à voir si leurs recettes s'équilibrent avec leurs dépenses.
1.3.5. Dépenses et recettes d'un groupe de rock
- 46 Les groupes de rock génèrent évidemment d'autres types de recettes, liées notamment à la vente de d (...)
76L'activité d'un groupe de rock se cristallise autour de trois pôles. La répétition, les concerts et la production phonographique. Ces activités ont un coût. Mais il se peut également qu'elles génèrent des recettes. C'est le cas du cachet obtenu à la suite d'un concert, qui constitue la ressource principale et la plus objectivable d'un groupe de rock46. Le tableau 4 rend compte de la répartition des dépenses et des recettes moyennes liées au fonctionnement de 100 groupes de rock. Elles font référence à une année de concerts et de loyers ainsi qu'au dernier enregistrement en date.
- 47 Ce constat mérite d’être pondéré étant entendu que le total des dépenses est parfois augmenté d'éve (...)
77Il apparaît très nettement qu'en moyenne et par groupe, la masse des dépenses est supérieure à celle des recettes47. On relève en effet un différentiel de 1 175 €. Ce qui indique que les groupes de l'échantillon mènent un train de vie supérieur à leurs moyens. Au vu de ce déséquilibre entre recettes et dépenses, les ressources économiques autres que celles générées directement par l'activité artistique apparaissent comme une nécessité vitale.
1.4. Récapitulatif
78L'échantillon se compose de 216 musiciens. La majorité d'entre eux sont des hommes. Leur moyenne d'âge est de 24 ans. Ils résident pour la plupart en zone urbaine et sont fortement diplômés. Un tiers d'entre eux est scolarisé au moment de l'enquête. Les deux autres tiers se composent d'actifs appartenant aux catégories socioprofessionnelles des employés, des ouvriers et des demandeurs d'emploi. Ceux-ci évoluent majoritairement dans des formes d'emploi précaires. En moyenne, ils ont découvert le rock aux alentours de 11 ans et ils pratiquent la musique depuis l'âge de 15 ans. Ils possèdent en majorité un parc instrumental de gamme moyenne (d'une valeur moyenne de 4 383 €).
79Ces musiciens se répartissent au sein de 100 groupes de rock à tendance hardcore, metal, classic rock et punk. Ils sont localisés aux trois quarts en zone urbaine Ces groupes ont une moyenne d'âge de 4 ans. Ils répètent généralement entre une et deux fois par semaine. À raison de deux à quatre heures. Les répétitions se tiennent majoritairement au sein de l'espace domestique. Ce qui explique que la moitié des groupes n'ait aucun loyer à verser. Ceux qui acquittent un loyer y consacrent en moyenne 42 € par mois. Plus de la moitié de ces locaux sont plutôt mal équipés d'un point de vue phonique et électrique. Et la majeure partie des groupes répétant en zone urbaine sont contraints au nomadisme entre différents lieux de répétition, et ce, au moins pendant leurs quatre premières années d'existence. Les formations de l'échantillon donnent en moyenne 10 concerts par an. Toutefois, le nombre de concerts réalisés augmente à mesure que les groupes gagnent en longévité. 70 % des concerts s'effectuent hors de tout cadre contractuel. Les deux tiers d'entre eux sont donnés en Lorraine au sein de petites salles de concerts et notamment dans les bars. Le cachet moyen de ces formations s'élève à 204 €. Plus un groupe avance en âge, plus il touche des cachets élevés. Même si certains jeunes groupes tirent parfois mieux leur épingle du jeu que certaines formations plus anciennes, la longévité constitue un facteur favorable dans l'évolution de carrière d'un groupe. Toutefois, dans l'ensemble, leur faible potentiel économique ne les autorise pas à s'entourer d'un personnel technique spécifique (ingénieur son ou lumière, manager...). La plupart des groupes sont donc contraints de se débrouiller par leurs propres moyens pour chercher des concerts. En conséquence, peu de groupes de l'échantillon parviennent à échafauder des tournées au sens où on l'entend habituellement, à savoir une série de concerts successifs pendant une période supérieure à trois jours au moins. La majorité d'entre eux se produisent sur scène en fin de semaine.
80La production phonographique des groupes de l'échantillon s'effectue sous deux cadres distincts. Le premier est celui de l'autoproduction et de l'autodistribution. Il concerne plus des trois quarts des groupes de l'échantillon. Le second est celui de la coproduction. Il concerne le quart restant. Les caractéristiques de la coproduction étant très variables, il est prudent de toujours chercher à comprendre ce qu'elle recouvre. Il est difficile de prétendre que la longévité d'une carrière conditionne sa productivité phonographique. En effet, certaines formations récentes peuvent être aussi bien dotées, voire mieux quelquefois, que d'autres plus anciennes. Le volume de la production phonographique n'a donc rien de linéaire. Tout comme il est malaisé de prétendre que la longévité d'une carrière constitue un facteur prédisposant à la collaboration avec un label. Car on trouve un nombre quasi équivalent de groupes anciens et de groupes jeunes en collaboration avec un label. Par contre, plus les carrières se prolongent, plus les groupes consacrent de l'argent aux charges de production et de valorisation d'un enregistrement. La prise en charge financière de la production phonographique procède pour l'essentiel de financements mixtes combinant par ordre d'importance les fonds propres du groupe (provenant pour l'essentiel des concerts), la contribution personnelle de ses membres, et quelquefois, l'apport d'un label.
- 48 Evidemment, rien n'empêche certains musiciens à persévérer dans la voie de la professionnalisation (...)
81La répétition, les concerts et la production phonographique constituent les activités cardinales d'un groupe de rock. L'échantillon illustre, toute proportion gardée, qu'elles lui coûtent en moyenne plus cher qu'elles ne lui rapportent d'argent. Ce qui le contraint à trouver des ressources économiques ailleurs qu'à travers la seule activité artistique. La longévité d'un groupe tend à favoriser sa carrière scénique (et à assurer sa stabilité au sein d'un local de répétition) mais pas nécessairement sa productivité phonographique comme on l'a vu. Les retombées financières découlant d'un nombre de concerts accru et mieux rémunérés autorisent vraisemblablement des investissements plus qualitatifs dans la production phonographique. Ce qui, dans le même temps, lui permet probablement de donner davantage de concerts. La longévité apparaît donc comme un facteur de développement et de stabilité pour un groupe. Ce qui semble logique. Pour autant, compte tenu du nombre moyen de concerts réalisés à l'année (10), du montant moyen des cachets des concerts (204 €) et de leur cadre contractuel quasi inexistant, mais aussi du recours massif à l'autoproduction et à l'autodistribution, il n'est guère envisageable de considérer l'activité d'un groupe de rock autrement que sous la forme d'un loisir (même si l'activité peut être traversée par des aspirations, voire des opportunités à la professionnalisation). La faiblesse et la fragilité des ressources d'un groupe, même dans les tendances les plus hautes, éloignent toute possibilité concrète de vivre des revenus des concerts ou des disques. Ce qui a pour conséquence directe de rendre le régime d'intermittence du spectacle relativement inaccessible. Aussi, il y a donc tout lieu de penser qu'en règle générale, les motivations des musiciens de l'échantillon se situent ailleurs que dans une perspective de professionnalisation48. Ce qui n'ôte évidemment rien à la qualité de leur travail artistique.
2. Organiser des concerts rock
82L'organisation de concerts rock est une activité de diffusion (indissociable de la programmation). Elle implique une relation étroite entre diffuseurs, structures de diffusion et lieux de diffusion comme on l'a vu dans le chapitre 2. J'ai pu collecter des informations auprès de 31 diffuseurs. Ils œuvrent au sein de structures dans lesquelles l'activité de diffusion s'inscrit dans le cadre d'un projet culturel à dominante rock. Avant d'explorer les caractéristiques et les conditions de leur pratique, je vais dresser brièvement leur morphologie sociale.
2.1. Morphologie sociale des diffuseurs
83Cette strate de l'échantillon compte 3 femmes et 28 hommes. Les trois quarts d'entre eux sont célibataires. Près des deux tiers résident en zone urbaine et se répartissent majoritairement au sein de communes d'une taille inférieure à 20 000 habitants. Ils ont en moyenne près de 29 ans (écart de 18 à 51 ans) et sont issus de familles appartenant en majorité aux PCS des employés et des ouvriers.
- 49 Dans ce cas, ils évoluent majoritairement dans des formes d'emploi précaires. Trois d'entre eux son (...)
84Les diffuseurs de l'échantillon sont plutôt fortement diplômés puisqu'ils sont près de 60 % à détenir un diplôme supérieur ou équivalent à bac + 2. Près d'un quart de l'échantillon se trouve scolarisé au moment de l'enquête. Les actifs appartiennent majoritairement aux catégories des employés, des cadres moyens et des professions intermédiaires. Plus des trois quarts d'entre eux évoluent dans des formes d'emploi précaires. Le petit quart restant bénéficie d'un CDI. La diffusion constitue l'activité professionnelle de huit acteurs de l'échantillon49. Seuls deux acteurs de l'échantillon (musiciens par ailleurs) déclarent viser une intégration au sein du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. En moyenne, ils ont découvert le rock aux alentours de 11 ans. Généralement par la médiation d'un disque. Outre l'activité de diffusion qui constitue leur occupation principale, près d'un tiers des acteurs de l'échantillon occupe des responsabilités associatives ou joue dans un groupe de rock.
2.2. Caractéristiques des structures de diffusion
Âge des structures de diffusion
85Les structures de diffusion au sein desquelles les acteurs de cette strate de l'échantillon exercent ont démarré leurs activités entre 1983 et 2001. La majeure partie d'entre elles a été créée entre 1999 et 2001. Elles ont un âge moyen d'environ 4 ans.
Concerts organisés au cours d'une carrière (30 réponses)
86Le volume de concerts organisés par une structure de diffusion au cours de sa carrière est un critère objectivable et efficace pour évaluer la nature de son inscription dans le monde du rock. Le dénombrement des concerts réalisés permet de dégager trois stades dans la carrière des structures de diffusion :
-
Un stade « faible » désignant les structures ayant réalisé moins de 10 concerts. Il concerne 56,7 % de cette strate de l'échantillon ;
-
Un stade « intermédiaire » désignant les structures ayant réalisé entre 10 et 40 concerts. Il concerne 23,3 % de cette strate de l'échantillon ;
-
Un stade « fort » désignant les structures ayant réalisé plus de 40 concerts. Il concerne 20 % de cette strate de l'échantillon.
En majorité, et à l'échelle d'une carrière, les structures de diffusion ont donc un volume d'activité « faible ». A priori, les structures de diffusion les plus anciennes sont également celles ayant organisé le plus de concerts. La longévité est donc en toute logique un facteur favorable au développement de l'activité.
Concerts organisés au cours des douze mois précédant l'enquête (27 réponses)
87Le volume de concerts organisés par les structures de diffusion de l'échantillon au cours des douze mois précédant l'enquête varie entre 1 et 18. Ils se répartissent en trois grandes catégories :
-
44 % de structures de diffusion ont organisé entre 1 et 2 concerts ;
-
28 % de structures de diffusion ont organisé entre 5 et 10 concerts ;
-
28 % de structures de diffusion ont organisé plus de 10 concerts.
Au total, les structures de diffusion de cette strate de l'échantillon ont organisé 179 concerts en l'espace d'une année. Ce qui représente une moyenne annuelle d'environ 7 concerts par structure de diffusion. En règle générale, plus les structures sont anciennes, plus elles organisent de concerts à l'année.
Équipes de diffusion (30 réponses)
- 50 Une seule personne de l'échantillon déclare n'avoir aucun collaborateur. Il s'agit dans ce cas préc (...)
88La constitution d'une équipe est une condition nécessaire de l'activité de diffusion. Il est physiquement impossible de s'en charger seul50. Les équipes sont constituées d'un nombre de collaborateurs variables. Ils se répartissent de la manière suivante :
-
20 % des équipes de diffusion comptent moins de 5 collaborateurs ;
-
40 % des équipes de diffusion comptent entre 5 et 10 collaborateurs ;
-
40 % des équipes de diffusion comptent plus de 10 collaborateurs.
En moyenne, les équipes de diffusion mobilisent environ sept personnes par concert. Il apparaît par ailleurs, que plus les équipes sont fournies en personnel, plus elles organisent de concerts. Et à l'inverse, plus les équipes sont réduites, moins elles organisent de concerts.
- 51 Hugues, E. C. 1996. Le regard sociologique. Paris : EHESS, p. 82.
89Le fonctionnement d'une structure de diffusion repose sur une division du travail souvent très poussée (programmation, comptabilité, affichage, etc.). En effet, la diversité de l'activité de diffusion nécessite une répartition des tâches conduisant de fait à une « délégation du sale boulot » selon l'expression d'Everett Hugues51. Cette division du travail est un point particulièrement sensible. Notamment lorsqu'elle repose, pour l'essentiel, sur la contribution de bénévoles dont les représentations (« la magie du spectacle vivant ») se heurtent quelquefois aux réalités du terrain comme le souligne cet organisateur de concerts :
C'est clair que moi je reste à la présidence pour l'instant parce que c'est moi qui fais - c'est sans prétention - mais si tu veux c'est moi qui tiens les rênes, quoi. Je veux dire que si ça marche c'est parce que je suis suffisamment motivé. Je pense motiver suffisamment les gens, mais c'est peut-être ça aussi qui est l'élément moteur. Si tu m'enlèves, je dis pas que ça se fera pas, mais pas de la même façon, dans les mêmes conditions... tu vois ce que je veux dire ? Donc moi j'ai besoin d'être là pour tenir le truc. Mais j'ai besoin de gens pour travailler. Les gens qui viennent je leur tiens le même discours. Je leur dis : « Bon ben voilà, l'asso elle fonctionne comme ça, vous acceptez ci, vous acceptez ça, et puis oui ou non ». Ça, ils le disent. Donc ce qui est marrant, ce qu'il faut voir, c'est que depuis la création de l'association on a vu débouler je ne sais combien de gens qui ont participé d'une façon ou d'une autre à la réalisation des spectacles, à la mise en place et au travail de bénévole, et c'est un peu ça, l'esprit. Bon tu restes deux mois, trois mois... Rares sont ceux qui sont restés un mois. En général les gens restent 4-5 mois, voire plus... et quand ils en ont marre ils s'arrêtent. [...] Là où c'est le plus difficile c'est quand même pour ce qui est de la promo au niveau de l'affichage - ça c'est un boulot pénible : ça fait neuf ans que je le fais moi avec quelqu'un.
C'est vrai ?
Bien sûr, parce qu'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, et mon expérience m'a suffisamment fait comprendre qu'il y a des gens qui te disent oui, mais parce qu'ils en ont marre, parce que ça leur plait pas du tout - ils y avaient jamais goûté - ils font pas l'affichage. Alors que tu perdes des affiches, ça fait déjà chier parce que il y en a certains qui en méritent par rapport à d'autres, mais ce qu'il y a de pire c'est quand tu envoies des gens faire un affichage, ils mettent pas les affiches. Ils donnent les affiches à des gens qui sont pas du tout concernés, ce qui fait que tu perds complètement ta promo et que tu peux même pas satisfaire quelqu'un avec ces affiches. Donc c'est doublement pénible et ça je supporte plus. Donc je fais l'affichage moi-même. C'est très contraignant mais au moins je suis sûr que c'est fait. Et on cible quand même le département. Donc voilà un peu comment on fonctionne. [Léonard, 41 ans, employé municipal, diffuseur, rédacteur d'un bulletin d'infos]
90Les modes de fonctionnement sont multiples et relèvent d'un certain nombre de dispositions interindividuelles. Par conséquent, la contrainte du bénévolat conduit les acteurs associatifs « moteurs » à s'entourer d'un certain nombre d'acteurs ayant au minimum de la sympathie à leur égard. Soit éprouvant un intérêt quelconque pour les groupes programmés. Soit encore, pouvant tirer avantage (en terme de prestige social notamment) d'une participation à l'activité de diffusion. On peut donc faire l'hypothèse qu'en la matière, la division du travail est corrélative d'une répartition du plaisir. Ces ajustements semblant indissociables du déroulement de l'activité.
Budgets de production et de valorisation (25 réponses)
91L'organisation de concerts est tributaire d'un investissement financier. Cet investissement est souvent difficile à évaluer du fait de son caractère fluctuant (variation des cachets artistiques, des frais de promotion, des tarifs de location d'un lieu, des tarifs du système de sonorisation, etc.). On peut néanmoins distinguer trois catégories de budgets :
-
Les « petits » budgets, inférieurs à 763 €. Ils concernent 44 % des structures de diffusion de cette strate de l'échantillon ;
-
Les budgets « intermédiaires », compris entre 916 et 1 527 €. Ils concernent 12 % des structures de diffusion de cette strate de l'échantillon ;
-
Les « gros » budgets supérieurs à 1 527 €. Ils concernent 44 % des structures de diffusion de cette strate de l'échantillon.
On note une partition égale entre « petits » et « gros » budgets. Mais les budgets inférieurs à 1 527 € restent toutefois dominants. En règle générale, il apparaît que les structures de diffusion les plus anciennes disposent des budgets les plus importants.
En moyenne, la somme consacrée à l'organisation d'un concert s'élève à 1 870 €.
Modes de financement (23 réponses)
92La question des modes de financements est particulièrement délicate à évaluer, du fait notamment de la fluctuation des budgets d'investissement. Les résultats obtenus permettent néanmoins de dégager les éléments suivants :
-
34,8 % des diffuseurs déclarent autofinancer la totalité de leurs activités ;
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65,2 % des diffuseurs déclarent recourir à des financements mixtes.
L'autofinancement concerne uniquement les structures de diffusion à « petits » budgets. Dès lors que l'on passe dans les catégories supérieures, les financements mixtes semblent être la règle. Dans ce cas, ils résultent généralement d'un croisement de fonds propres et de subventions publiques (collectivités locales et services déconcentrés de l'Etat notamment).
2.3. Récapitulatif
93L'échantillon se compose de 31 diffuseurs. La majorité d'entre eux sont des hommes. Leur moyenne d'âge est de 29 ans. Ils résident majoritairement en zone urbaine et sont fortement diplômés. Un quart d'entre eux est toujours scolarisé au moment de l'enquête. Les trois autres quarts se composent d'actifs appartenant aux catégories socioprofessionnelles des employés et professions intermédiaires. Ceux-ci évoluent généralement dans des formes d'emploi précaires. La diffusion constitue l'activité professionnelle de huit actifs de cette strate de l'échantillon. En moyenne, ils ont découvert le rock aux alentours de 11 ans.
94Les diffuseurs exercent au sein de structures de diffusion. L'âge moyen de ces structures de diffusion est de 4 ans. À l'échelle de leur carrière, elles ont organisé un volume de concerts plutôt « faible », inférieur à dix concerts. Ces structures de diffusion organisent en moyenne sept concerts à l'année. Ce qui porte leur budget d'investissement moyen par concert à 1 870 €, soit un « gros » budget. Ce dernier repose généralement sur un financement mixte croisant fonds propres et subventions publiques. Chaque concert requiert la participation d'une équipe composée en moyenne de sept personnes. Elles sont dans ce cas, très largement bénévoles. Ce qui donne à penser que la division du travail doit fonctionner de pair avec une répartition du plaisir. La longévité semble être un facteur favorable au développement de l'activité. En effet, plus les structures de diffusion sont anciennes, plus elles organisent de concerts. On peut faire l'hypothèse qu'elles gagnent en visibilité à mesure qu'elles progressent dans leur carrière de diffuseurs culturels. Ce qui leur permet probablement de bénéficier plus aisément de subventions publiques. Avec pour conséquence, la possibilité d'organiser des manifestations culturelles à une fréquence plus soutenue, mais également d’une taille plus importante. Ce qui conduit mécaniquement à un accroissement des équipes, et, ce qui, toute proportion gardée, semble également de nature à favoriser la professionnalisation d'une poignée de diffuseurs.
3. Publier des disques rock
- 52 Je ne tiendrai aucun compte du format des supports phonographiques. L'emploi du mot « disque » a do (...)
- 53 Onze d'entre eux sont gérants de leur label, les deux autres en sont employés.
95La publication de disques rock ne s'inscrit pas exclusivement dans le schéma groupe-> autoproduction. Elle peut également s'effectuer dans le cadre d'un label phonographique. Nous avons déjà vu à plusieurs reprises que ces derniers pouvaient être de taille et d'efficacité variable. En fonction de leur capital économique et de leur réseau de distribution notamment. Ne pas en tenir compte dans un premier temps permet d'en accentuer les disparités52. J'ai pu recueillir des informations auprès d'un échantillon de 13 acteurs de ces structures53. Avant d'explorer les caractéristiques et les conditions de leur pratique, je vais dresser une brève morphologie sociale des label managers de l'échantillon.
3.1. Morphologie sociale des acteurs de labels
96Cette strate de l'échantillon est entièrement masculine. Plus de la moitié des label managers vivent en couple. Ils résident majoritairement en zone urbaine et se répartissent aux deux tiers dans des communes de plus de 20 000 habitants et pour le tiers restant, dans des communes de moins de 5 000 habitants. Leur âge moyen se situe aux alentours de 26 ans (écart de 20 à 47 ans). Ils sont issus de familles appartenant en majorité aux PCS des cadres moyens et professions intermédiaires.
- 54 Dans ce cas, ils évoluent pour deux d'entre eux sous des formes d’emploi précaires (contrat emploi (...)
97Ils sont plutôt fortement diplômés, puisque 61,6 % d'entre eux détiennent un diplôme supérieur ou équivalent à bac + 2. Cette strate de l'échantillon comprend essentiellement des actifs appartenant aux catégories des commerçants/artisans/chefs d'entreprise et des employés. Près de 40 % d'entre eux bénéficient d'un CDI, tandis que les 60 % restants évoluent dans des formes d'emploi précaires. La production phonographique constitue l'activité professionnelle de quatre acteurs de l'échantillon54. Aucun d'entre eux ne souhaite intégrer le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. En moyenne, ils ont découvert le rock aux alentours de 11 ans. Généralement par la médiation d'un disque. Outre leurs activités dans le cadre de leur label, plus de la moitié d'entre eux occupent des responsabilités associatives, éditent un fanzine, organisent des concerts, ou encore, jouent dans un groupe de rock.
3.2. Caractéristiques des labels
Âge des labels
98Les labels de l'échantillon ont été créés entre 1985 et 2000. Plus de la moitié d'entre eux sont nés dans la seconde moitié des années 90. Les autres dans la seconde moitié des années 80. Ils ont un âge moyen de 6 ans.
Productions phonographiques publiées au cours d'une carrière (13 réponses)
99Près des deux tiers de l'échantillon a publié moins de cinq disques au moment de l'enquête. Le tiers restant en a publié un nombre supérieur à dix (maximum 600 pour un label important, ou une cinquantaine pour un label plus modeste). Dans ce cas, ces disparités sont évidemment imputables au capital économique du label ainsi qu'à sa force de distribution. En regard de leur volume de publication, et à l'échelle d'une carrière, les labels apparaissent donc majoritairement comme des structures de taille relativement modestes. La longévité semble donc être un facteur favorable à leur développement étant donné que plus une structure a de l'ancienneté, plus elle publie de disques.
Productions phonographiques publiées au cours des douze mois précédant l'enquête (13 réponses)
- 55 Un seul label n'a publié aucun disque au cours de la période de référence. Soit 7,7 %.
100Le volume de disques publiés par les labels de l'échantillon au cours des douze mois précédant l'enquête varie entre55 et 50. Ils se répartissent en trois grandes catégories :
-
46,2 % des labels n'ont publié qu'un seul disque ;
-
30,8 % des labels ont publié entre trois et huit disques ;
-
15,4 % des labels ont publié dix disques et plus.
La publication de disques reste donc majoritairement très faible. Toutefois, de manière globale, il apparaît qu'ils ont publié 57 disques au cours de la période de référence. Ce qui représente en moyenne quatre disques publiés à l'année pour chaque label. Une fois encore, plus les labels sont anciens, plus ils publient de disques à l'année.
Label staff (13 réponses)
101Le fonctionnement d'un label repose lui aussi sur une multiplicité d'activités (promotion, envois, contrats, distribution, etc.). À ce titre, on peut supposer qu'il est le lieu d'une division du travail. Bien que la constitution d'une équipe de collaborateurs ne soit pas a priori une condition nécessaire à l'activité d'un label, c'est toutefois sous cette configuration collective qu'elle fonctionne habituellement comme on peut le voir ci-dessous :
-
30.8 % des labels se composent d'un à deux acteurs ;
-
53.9 % des labels se composent de deux à quatre acteurs ;
-
15,4 % des labels se composent de cinq acteurs ou plus.
Les labels de l'échantillon sont donc en majorité de très petites unités. Avec en moyenne, trois acteurs impliqués. À l'évidence, les équipes s'étoffent à mesure de la croissance du capital économique d'un label, de son volume d'activités et de sa force de distribution. C'est le cas par exemple du label le plus important de l'échantillon qui se compose d'une équipe de sept salariés.
Budgets de production et de valorisation
102Les budgets de production d'un label renvoient à leurs investissements dans les trois phases que sont l'enregistrement, le pressage et la promotion d'un disque. En l'occurrence ici, il s'agit de leur dernière production en date.
Enregistrement (13 réponses)
103On peut isoler trois grandes tendances relatives à l'enregistrement :
-
53.8 % des labels n'ont consacré aucun budget à l'enregistrement ;
-
15,4 % ont participé à l'enregistrement d'un disque à hauteur d'un budget compris entre 153 € et 763 € ;
-
30.8 % ont participé à l'enregistrement d'un disque à hauteur d'un budget compris entre 1 527 et 3 053 €.
Il apparaît tout d'abord qu'en majorité, les labels n'ont consacré aucun budget d'enregistrement à leur dernière production en date. Lorsqu'ils y consacrent un budget, on note un écart significatif entre deux types d'investissements renvoyant très explicitement au capital économique de chaque label. Toutefois, aucun d'entre eux ne finance l'intégralité de l'enregistrement d'un disque. L'investissement financier dans l'enregistrement d'un disque marque un rapport de coproduction entre un artiste et un label. Ce rapport de coproduction ne s'annule pas dès lors qu'un label n'investit aucun budget dans l'enregistrement. Dans ce cas, il se traduit très prosaïquement sous une autre forme d'investissement (pressage ou promotion). Dans les deux cas, les investissements (ou leur absence) ne font jamais que témoigner d'une différence de traitement à l'endroit des artistes et de la capacité économique d'un label.
- 56 Ce qui correspond à environ six journées de studio 24 pistes numériques (hors achat des bandes enre (...)
En moyenne, les labels ayant investi un budget à l'enregistrement de leur dernière production y ont consacré 1 704 €56.
Pressage (13 réponses)
104Les données recueillies permettent de dégager trois grandes catégories de budgets d'investissement :
-
23,1 % des labels n'ont consacré aucun budget au pressage ;
-
61,6 % des labels ont consacré au pressage un budget inférieur ou égal à 1 527 € ;
-
15,4 % des labels ont consacré au pressage un budget supérieur à 1 527 €.
Le non investissement, au même titre que l'investissement budgétaire indique une fois encore la nature des rapports de coproduction entre un label et un artiste. Il se dégage néanmoins que la majorité des labels de l'échantillon consacre un budget aux charges de pressage d'un disque.
- 57 Ce qui correspond à un pressage de 700 copies CD album (durée inférieure à 74 minutes, boîtier plas (...)
En moyenne, les labels ayant investi un budget dans le pressage de leur dernière production y ont consacré 1 252 €57.
Promotion (13 réponses)
105Le poste promotion est difficile à évaluer car il s'étend quelquefois sur un temps relativement long. Il comprend par exemple l'achat d'insertions publicitaires au sein de fanzines ou de magazines spécialisés, mais également les frais postaux liés aux envois des enregistrements ou les frais téléphoniques liés aux relances des destinataires. Ces coûts promotionnels indiquent trois tendances :
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30,8 % des labels n'ont consacré aucun budget à la promotion d'un disque ;
-
53,9 % des labels ont consacré à la promotion un budget inférieur ou égal à 1 527 € ;
-
15,4 % des labels ont consacré à la promotion un budget supérieur à 1 527 €.
Il est assez surprenant de constater que certains labels ne consacrent aucun budget à la promotion. Mais dans ce cas, ils investissent un budget dans l'une des deux autres phases de la production (enregistrement et/ou pressage).
- 58 Pour prendre un exemple, le budget moyen permet au mieux de faire l'acquisition de trois pages, d'u (...)
En moyenne, les labels ayant investi un budget dans la promotion de leur dernière production y ont consacré 948 €58.
Petite synthèse
106Le tableau 5 rend compte de la moyenne des budgets de production consacrés par les labels de l'échantillon à leur dernier enregistrement en date. Si on les compare aux budgets de production phonographique des groupes (2 711 €), il apparaît que les budgets de production des labels leurs sont supérieurs de 1 193 €. Les différences sont très nettement marquées pour les postes pressage et promotion. Les labels y investissant environ le double d'argent que les groupes. Mais le budget consacré à l'enregistrement est lui aussi légèrement supérieur à celui des groupes.
Circuits de distribution (12 réponses)
107Les labels recourent à des circuits de distribution variés. Dans l'ordre, selon leur fréquence de citations, on trouve :
-
la VPC (32,4 %) ;
-
le dépôt-vente (23,5 %) ;
-
le réseau de distribution national (17,6 %) ;
-
le réseau de distribution international (8,8 %).
108Les labels se contentent rarement d'un seul circuit de distribution. Ils les cumulent pour augmenter les opportunités d'écouler leur marchandise. La VPC est néanmoins la formule la plus fréquemment usitée, devant le dépôt-vente et les modes de distribution informels. Près des trois quarts des circuits de distribution relèvent de stratégies d'autodistribution. Ce qui reflète bien la tendance générale à propos de la distribution des disques rock. On trouve cependant une petite frange de labels bénéficiant d'un réseau de distribution national, voire international. Il me semble intéressant d'illustrer ces deux tendances à travers les propos de deux responsables de labels associatifs. Chacun représentant à sa manière un versant possible de la distribution :
J'ai monté la distro parce que j'en avais marre d'acheter des disques qui coûtaient 100, 150 balles à la Fnac ou dans d'autres listes de distribution. Le label, je l'ai monté parce qu'on trouvait pas de labels pour sortir nos disques, donc, tant qu'à faire, autant le faire nous même. Démarche la plus simple, la plus efficace. En fait, le label et la distro fonctionnent en parallèle. Pour l'instant, je les ai montés en juillet 2001. J'y ai apporté un financement personnel. J'ai sorti trois disques pour l'instant. Avec mes disques je fais des échanges pour récupérer des disques pour ma distro, pour l'alimenter et par ce biais-là, je distribue mes groupes à l'étranger, en France. Ça fonctionne en vases communicants. J'ai une éthique non profit. Pour les disques que je distribue, je ne fais pas de profit sur le dos des groupes. Pas de profit. Je fais une marge bénéficiaire d'un euro. Je pense que c'est tout à fait honnête. Ça peut paraître très peu, mais grâce à ça je peux acheter d'autres disques, toujours en magouillant bien sûr. Voilà, c'est comme ça que je fonctionne. Je distribue aussi bien des groupes japonais, américains, européens et français. Régionaux, principalement. Je me pose pas de barrières de style. Je distribue aussi bien du hip hop, de l'électro, que du grind, du death et bien sûr toutes les sous catégories de hardcore et de punk. La seule chose que j'exige, c'est que le groupe ait une éthique et une démarche indépendante et alternative. Donc pas de discours sexistes, homophobes, racistes, pro-capitalo ou ce genre de trucs quoi. Pour les styles de musique, je fais absolument tout. J'ai une petite liste de distro d'environ 150 références, je sais que c'est très peu, mais c'est pas si mal pour un début. Je distribue aussi de la lecture, des fanzines, je distribue des brochures politiques, des trucs qui sont photocopiés et à prix libre, voire gratuit, des recueils de nouvelles et de poésie. Je les vends aux concerts, par correspondance, j'essaie de faire fonctionner ça par le bouche à oreille, dans les distros, par les groupes. En ce qui concerne les groupes régionaux, je fonctionne sur le système du dépôt-vente quand j'ai pas d'argent, soit je leur rachète cash leurs disques. C'est un système qui me convient parfaitement. Y a peu de gens qui s'intéressent à ça. Hormis les gens qui bouffent du grindcore ou du hardcore, parce que c'est vachement ancré dans la culture, j'aimerai bien que ça s'étende à d'autres styles. [Martin, 21 ans, étudiant, chanteur et guitariste dans plusieurs groupes hardcore, rédacteur d'un fanzine hardcore, label et catalogue de distribution]
109Notre statut marginal au point de vue commercial faisait que c'était très difficile à gérer. Soit les distributeurs étaient intéressés mais trop petits, soit gros, mais on était relégués au fin fond de leurs catalogues, sans intérêt de leur part. Donc il y a environ un an et demi, on a pris la décision de monter notre propre réseau de distribution pour nos produits. Ça s'est échelonné dans le temps. On peut dire que ça a démarré de manière efficace au début de l'année 2001, après un an de montée très fluctuante, et on a aujourd'hui un réseau de distribution en France avec 11 représentants sur le terrain, avec des comptes ouverts auprès de 500 magasins environ, dans toutes les grandes chaînes : Fnac, Virgin, Hypermédia, Planet Saturn etc. Également des supermarchés, les plus importants étant Leclerc - qui ont des centres culturels Leclerc bien dédiés à la musique - mais on vend accessoirement à Auchan ou à Cora, et puis à toute une foule de disquaires indépendants - enfin ceux qui restent, il en reste pas tant que ça - qui s'approvisionnent chez nous. Et la partie inattendue de cette activité c'est que dans le même temps que nous on se trouvait mécontents des distributeurs français - on n'est pas les seuls dans ce cas-là - et plusieurs distributeurs français indépendants ont disparu de la scène, ont simplement fait faillite, ce qui fait qu'on s'est retrouvés au début de cette année avec un outil de distribution en France indépendant face à une quantité de labels qui étaient à la recherche de cette même opportunité. [Gaétan, 47 ans, directeur d'un important label rock]
Il existe évidemment une différence d'échelle à la fois structurelle et économique entre ces deux acteurs. Leurs réalités sont relativement éloignées, mais leurs pratiques se rejoignent incontestablement sur le fond. Toutes deux procèdent d'une insatisfaction les ayant conduit à mettre en œuvre eux-mêmes ce qui leur faisait défaut. Ce qui semble être une tendance lourde au sein du monde du rock.
Modes de financement (9 réponses)
110La question des modes de financement est particulièrement délicate à évaluer, du fait notamment de la fluctuation des budgets d'investissement. Les résultats obtenus permettent néanmoins de dégager les éléments suivants :
-
75 % des labels déclarent autofinancer la totalité de leurs activités ;
-
25 % des labels déclarent recourir à des financements mixtes.
Les trois quarts des labels recourent donc uniquement à leurs fonds propres pour développer leurs activités. Le quart restant recourt à des financements mixtes. Soit une combinaison entre fonds propres et argent personnel. Dans ce cas, il s'agit de petits labels individuels. En règle générale, plus les labels ont un poids économique important, plus ils fonctionnent sur leurs fonds propres. À l'inverse, plus les labels sont jeunes et dépourvus de capital économique, plus ils sont tenus de trouver d'autres types de ressources. Si l'un d'entre eux a bénéficié du programme Défi Jeunes (bourse allouée par le ministère de la Jeunesse et des Sports) pour démarrer ses activités, il est rare cependant que les labels parviennent à obtenir des subventions publiques pour leurs activités.
3.3. Récapitulatif
111L'échantillon se compose de 13 label managers. Il est exclusivement masculin. Et sa moyenne d'âge est de 26 ans. Ces acteurs résident majoritairement en zone urbaine et sont fortement diplômés. La majeure partie d'entre eux appartient aux catégories socioprofessionnelles des commerçants et des employés. Ils évoluent majoritairement dans des formes d'emploi précaires. La diffusion constitue l'activité professionnelle de quatre actifs de cette strate de l'échantillon. En moyenne, ils ont découvert le rock aux alentours de 11 ans.
112Ces acteurs exercent leurs activités au sein de labels dont l'âge moyen est de 6 ans. Les labels de l'échantillon mobilisent généralement une équipe de trois personnes. Qui publie en moyenne quatre disques à l'année. Les trois quarts d'entre eux sont publiés sur les fonds propres du label. Le quart restant requiert un financement mixte reposant pour l'essentiel sur l'argent personnel des acteurs du label. À l'échelle d'une carrière, la longévité semble être un facteur favorable au développement de l'activité. En effet, plus un label aura de l'ancienneté, plus il aura publié de disques. Ce qui peut sembler logique. Toutefois, le développement et l'efficacité d'un label tiennent pour l'essentiel à son capital économique et à sa force de distribution. De ce point de vue, la majeure partie des labels de l'échantillon est de taille modeste. On peut le vérifier de trois manières. Premièrement, en observant la nature des rapports de production qu'ils entretiennent avec les artistes avec lesquels ils collaborent. Deuxièmement, en prêtant attention aux budgets investis dans la production d'un disque. Troisièmement, en faisant émerger les circuits de distribution qu'ils mobilisent. Concernant le premier point, l'enquête permet de dégager qu'aucun label ne couvre par lui-même la totalité des charges de production d'un disque. Le rapport de coproduction est un invariant. À propos du second point, il ressort que les labels engagent avant tout des budgets sur les volets pressage et promotion. Nettement moins sur le volet enregistrement qui reste généralement dévolu aux groupes de rock. Si, à titre individuel et en moyenne, ces budgets sont supérieurs à ceux que les groupes investissent dans la production de leurs propres disques, ils restent néanmoins relativement faibles. Car en moyenne, la somme des budgets engagés ne permet généralement que des investissements très modérés (six journées de studio, pressage de 600 CD album et trois pages de publicité dans un fanzine). Concernant le troisième et dernier point, il apparaît que les circuits de distribution sont marqués aux trois quarts par des stratégies d'autodistribution. Ce qui est une tendance lourde pour ce qui touche à la distribution des disques rock.
4. Écrire sur le rock
113Écrire sur le rock se traduit fréquemment sous la forme de l'objet fanzine. J'ai collecté des informations auprès de 33 rédacteurs de fanzines. Avant d'explorer les caractéristiques et les conditions de leur pratique, je vais dresser une brève morphologie sociale des rédacteurs de l'échantillon.
4.1. Morphologie sociale des rédacteurs
114Cette strate de l'échantillon se compose de 4 femmes et de 29 hommes. Plus des deux tiers sont célibataires. Ils résident plutôt en zone urbaine et se répartissent de manière quasi équivalente entre communes de plus de 20 000 habitants et communes de taille inférieure. Leur âge moyen se situe aux alentours de 27 ans (écart de 15 et 44 ans). Ils sont issus de familles appartenant majoritairement aux PCS des employés et des cadres moyens.
- 60 Dans ce cas, il s'agit d'un contrat emploi-jeune.
115Les rédacteurs sont plutôt fortement diplômés puisque 63,6 % d'entre eux détiennent un diplôme supérieur ou équivalent à bac + 2. Plus d'un quart d'entre eux sont scolarisés au moment de l'enquête. Les actifs appartiennent majoritairement aux catégories des employés, et des demandeurs d'emploi. Plus d'un quart d'entre eux bénéficient d'un CDI. Les trois autres quarts évoluent dans des formes d'emploi précaires. L'activité fanzine constitue l'activité professionnelle d'un seul acteur de l'échantillon60. Seuls deux rédacteurs (musiciens par ailleurs) projettent d'intégrer le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. En moyenne, ils ont découvert le rock aux alentours de 12 ans. Généralement par la médiation d'un disque. Les rédacteurs ne se consacrent généralement qu'à leur fanzine. Seule une petite frange d'entre eux est engagée dans d'autres activités, telles que la pratique musicale ou les responsabilités associatives.
4.2. Caractéristiques des fanzines
Âge des fanzines
116Les fanzines de l'échantillon ont été créés entre 1985 et 2000. L'écrasante majorité d'entre eux est né dans la seconde moitié des années 90, avec une très forte représentation de fanzines nés entre 1998 et 1999. Leur moyenne d'âge est de 4 ans.
Volume et fréquence de parution (33 réponses)
117Près des trois quarts des fanzines ont une parution aléatoire. Ce qui est typique de cette forme de presse. Le quart restant parait majoritairement selon une périodicité trimestrielle ou semestrielle. Ce qui représente grosso modo, à hauteur de l'échantillon, deux numéros à l'année. A hauteur de leur carrière, ces fanzines se caractérisent par le volume d'édition suivant :
-
45.5 % des fanzines ont édité moins de cinq numéros ;
-
39.5 % des fanzines ont édité entre cinq et dix numéros ;
-
15 % des fanzines ont édité plus de dix numéros.
Ces données indiquent que plus des trois quarts des fanzines de l'échantillon n'ont pas franchi le cap des dix numéros. Le volume de parution est fonction de l'âge des fanzines. Plus les fanzines sont anciens, plus ils ont publié de numéros. De la même manière, les parutions les plus régulières sont également le fait des fanzines les plus anciens, dont les rédacteurs ont dépassé la trentaine.
Modes d'impression (33 réponses)
118L'impression d'un fanzine s'effectue généralement selon deux grands procédés que sont l'imprimerie et la reprographie. Les fanzines de l'échantillon recourent très majoritairement à la reprographie. Seuls deux d'entre eux sont imprimés industriellement (tirage : 1 500 exemplaires). La sous-traitance reste donc très marginale. Le travail de reproduction étant généralement effectué par le rédacteur lui-même.
Fanzine staff (33 réponses)
119Le fonctionnement d'un fanzine repose sur une multiplicité d'activités (interviews, chroniques disques, mise en page, reprographie, distribution, etc.). À ce titre, on peut supposer qu'il est le lieu d'une division du travail. Bien que la constitution d'une équipe de collaborateurs ne soit pas a priori une condition nécessaire à l'activité d'un fanzine, c'est toutefois sous cette configuration collective qu'elle fonctionne habituellement comme on peut le voir ci-dessous :
-
57,6 % des fanzines se composent d'un à deux rédacteurs ;
-
30,4 % des fanzines se composent de moins de dix rédacteurs ;
-
12 % des fanzines se composent de dix rédacteurs ou plus.
En majorité, les fanzines sont donc des unités réduites à une ou deux personnes. Toutefois, à hauteur de l'échantillon, les équipes se constituent en moyenne de quatre personnes. À l'évidence, les effectifs croissent conjointement à l'évolution des procédés d'impression et du tirage. Et donc du capital économique. Plus il est important, plus il requiert un nombre de collaborateurs élevé. C'est le cas notamment des deux fanzines inscrits dans une logique industrielle.
Budgets de production et tirage (33 réponses)
120Deux types d'indicateurs permettent d'apprécier la taille de l'entreprise fanzine : le budget de production et le nombre d'exemplaires édités. Le poste budgétaire lié aux charges d'impression est incontestablement le plus important pour un fanzine. Il ne faut cependant pas négliger qu'il subsiste des charges annexes permettant d'aboutir à sa réalisation (téléphone, frais postaux, promotion, etc.). Les fanzines de l'échantillon se répartissent sous trois grandes catégories :
-
70 % sont des « petits » fanzines. Leur budget de production moyen (au numéro) est inférieur à 114 €, pour un tirage n'excédant jamais les 100 exemplaires ;
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21 % sont des fanzines de taille « intermédiaire ». Leur budget de production moyen (au numéro) est compris entre 153 et 763 €, pour un tirage compris entre 50 et 1 000 exemplaires (moyenne de 150 exemplaires) ;
-
9 % sont des « gros » fanzines. Leur budget de production moyen (au numéro) est supérieur ou égal à 2 290 €, pour un tirage compris entre 300 et 1 500 exemplaires (moyenne 1 100 exemplaires).
- 61 « Dans les pays capitalistes, si les éditeurs ne veulent pas publier un livre, un poète peut polyco (...)
121L'importante majorité des fanzines de l'échantillon est donc de « petite » taille. Tant par ses investissements financiers que par son tirage. Cette observation permet de souligner une hétérogénéité marquée entre budgets et tirages. Cette disparité tient probablement aux capacités de gestion et aux ressources techniques ou commerciales inégales dont disposent les rédacteurs de fanzines. Toutefois, tous ont à des degrés divers, recours à la « ruse » ou au « détournement » pour réduire les coûts de production de leur fanzine ou de ses outils promotionnels61 :
Faut dire que moi, je fais pas mal de flyers. J'arrive au taf, je me permets [il mime le gars discret], j'en sors, allez 10 par jour, mais y a 8 flyers par planche, ça me fait 80 flyers par jour, bon je fais ça pendant 10 jours, ça me fait 800 flyers. Je peux faire de belles enveloppes à 2,70 [francs] et j'en envoie à tous mes contacts. [Aurélien, 26 ans, employé, rédacteur de fanzines punk rock français, organisateur de concerts]
- 62 La société en question (une mutuelle étudiante) lui demande, en retour, d'apposer son logo sur le f (...)
122Certains d'entre eux trouvent néanmoins des manières de procéder moins frauduleuses sous la forme de partenariats avec une société privée62 ou une collectivité locale :
On est d'ailleurs bien aidés par la mairie pour ça, parce que c'est la mairie qui nous permet de faire des photocopies gratuites. C'est un 40 pages en nombreux exemplaires. Là ils nous aident bien. On pourrait pas le faire par nous-mêmes. Au début, on le faisait frauduleusement dans les entreprises de chacun. D'ailleurs on remercie le ministère de l'Armement pour ça, mais ils le savent pas (rire). [Eric, 25 ans, étudiant, guitariste-chanteur d'un groupe grunge]
En moyenne, chaque fanzine a donc consacré un budget de production s'élevant à 352 € par numéro. Le tirage moyen s'élève quant à lui, de manière globale, à 266 exemplaires.
Circuits de distribution (33 réponses)
123Les rédacteurs de l'échantillon recourent habituellement à trois types de circuits pour distribuer leurs fanzines. Dans l'ordre, selon leur fréquence de citations, on trouve :
-
la VPC (41,8 %) ;
-
le dépôt-vente (36,4 %) ;
- 64 La VPC repose sur la vente au numéro mais également sur l'abonnement qui est une formule permettant (...)
- 65 En France, la distribution professionnelle de la presse est majoritairement assurée par les NMPP (N (...)
Comme les labels ou les groupes rock, les fanzines se contentent rarement d'un seul circuit de distribution. Ils les cumulent pour augmenter les opportunités d'écouler leurs exemplaires. La VPC reste la formule la plus fréquemment usitée64, devant le dépôt-vente et les modes de distribution informels. La totalité des circuits de distribution relève donc de stratégies d'autodistribution65. Ce qui reflète une fois encore la tendance générale à propos de la distribution des objets rock.
Modes de financement (33 réponses)
124La question des modes de financement est particulièrement délicate à évaluer, du fait notamment du caractère fluctuant des budgets de production. Les résultats obtenus permettent néanmoins de dégager les éléments suivants :
-
72,7 % des rédacteurs déclarent autofinancer la totalité de leurs activités ;
-
24,3 % des rédacteurs déclarent recourir à des financements mixtes ;
-
3 % des rédacteurs déclarent être entièrement subventionnés.
- 66 L'un d'entre eux a par ailleurs pu bénéficier d’un financement public (programme d'aide à l'initiat (...)
Les données obtenues montrent qu'en règle générale les fanzines sont financés sur leurs fonds propres. Aucun rédacteur ne déclare tirer parti du « système D ». Pas davantage qu'ils ne déclarent vendre d'encarts publicitaires. Ce qui est pourtant le cas des deux fanzines imprimés industriellement66. Pour ce qui est des autres fanzines, les financements mixtes combinent argent personnel et fonds propres. Celui déclarant être entièrement subventionné, est quant à lui pris en charge par une société privée, ce qui ne constitue pas réellement une subvention, mais plutôt une aide en nature. Les subventions publiques sont quant à elles inexistantes au sein de l'échantillon.
4.3. Récapitulatif
125L'échantillon se compose de 33 rédacteurs. Il est majoritairement masculin. Et sa moyenne d'âge est de 27 ans. Ces rédacteurs résident plutôt en zone urbaine et sont fortement diplômés. Plus d'un quart d'entre eux sont scolarisés au moment de l'enquête. Les trois autres quarts appartiennent aux catégories socioprofessionnelles des employés et des demandeurs d'emploi. Ils évoluent aux trois quarts dans des formes d'emploi précaires. L'activité fanzine constitue l'activité professionnelle d'un actif de l'échantillon. En moyenne, ils ont découvert le rock aux alentours de 12 ans.
126Les rédacteurs exercent au sein de fanzines. L'âge moyen de ces fanzines est de 4 ans. Ils se composent en moyenne d'une équipe de quatre personnes. À l'échelle de leur carrière, ils ont édité, en moyenne, moins d'une dizaine de fanzines. Leur fréquence de parution est très nettement aléatoire, mais on peut cependant estimer grosso modo qu'elle s'élève à deux numéros par an. Plus des deux tiers des fanzines sont de « petite » taille en regard de leurs budgets de production, de leur tirage et de leur procédé de fabrication. En moyenne, les budgets de production s'élèvent à 352 € par numéro. Ils sont tirés à 266 exemplaires et ils sont reprographiés. L'hétérogénéité marquée entre ces trois caractéristiques indique une inégalité au niveau des capitaux économiques des rédacteurs (qui fonctionnent majoritairement sur leurs fonds propres). Mais également une inégalité quant à leurs capacités de gestion technique et commerciale. La longévité d'un fanzine semble être un facteur favorable à son développement. Elle s'accompagne - de manière non nécessairement solidaire - d'un accroissement des budgets de production, d'une augmentation du tirage, d'un élargissement des collaborateurs et d'une régularité dans la parution. Toutefois, à l'instar de l'ensemble des objets produits par l'échantillon, la distribution reste le point faible du fanzinat. À tel point que l'autodistribution est dans ce secteur d'activité une règle absolue.
On a pu voir que ces quatre activités de production étaient indissociables d'un certain nombre de conditions pratiques. Des conditions sociales et des conditions économiques. Elles se rendent mutuellement opérantes. En effet, l'engagement financier conditionne la pratique. Et à l'inverse, la pratique requiert l'engagement financier. L'observation de cette irréversibilité fournit un certain nombre de données socioéconomiques que je compte aborder dans le chapitre suivant.
Notes
1 Leveratto, J.-M. 2000. La mesure de l'art. Sociologie de la qualité artistique. Paris : La Dispute, 103.
2 Doublé-Dutheil, C. 1991. Les groupes de rock nantais. In Mignon, P., Hennion, A. Sous la dir.. Rock. De l'histoire au mythe. Paris : Anthropos, coll. Vibrations, p. 147-158. La principale limite de cette enquête, fort intéressante par ailleurs, tient à ce que l'on ne dispose d'aucune indication quant au nombre d'acteurs interrogés. On peut noter que l'on retrouve cette démarche en germe dans l'étude ethnographique de Bennett, H. S. 1980. On becoming a rock musician. Amherst : University of Massachusetts Press, p. 21-22.
3 Guibert, G., Migeot, X. 1999. Les dépenses des musiciens de musiques actuelles. Eléments d'enquêtes réalisées en Pays-de-Loire et Poitou-Charentes. La Scène, Hors-série, « Politiques publiques et musiques amplifiées/actuelles ». Actes des 2es rencontres nationales. Nantes 1998, p. 117-121.
4 Benhamou, F. 1996. L'économie de la culture. Paris : La Découverte, coll. Repères, no 192.
5 Dans l'ensemble, ces tendances vont plutôt dans le sens de celles dégagées par Catherine Dutheil dans son enquête sur les musiciens rock nantais. À la différence cependant, que son échantillon se composait de 26 % de chômeurs, contre 13 % dans mon échantillon. Doublé-Dutheil, C. 1991, op. cit., p. 148-150.
6 J'entends le corps et donc la voix en tant qu'un instrument.
7 Guibert, G., Migeot, X. 1999, op. cit., p. 117-121.
8 Donnat, O. 1996a. Les amateurs. Enquête sur les activités artistiques des français. Paris : Ministère de la Culture, Dag, DEP, La Documentation Française, p. 61-64.
9 Ne sera retenu ici que l'instrumentarium principal des acteurs interrogés. C'est-à-dire, celui qu'ils utilisent en priorité.
10 Les sommes présentées dans cette recherche ont été arrondies au rang supérieur ou inférieur selon que le 10e suivant la virgule était supérieur ou inférieur à 50.
11 L'un d'entre eux a néanmoins franchi la barre des vingt ans d’existence. Deux autres formations existent quant à elles depuis la fin des années 80 et comptabilisent 14 années d'existence.
12 Je pense notamment aux enquêtes sur les pratiques culturelles des français dirigées par Olivier Donnat, dont la plus récente propose une partition entre les catégories « rock » et « hard rock, punk, trash ». On remarquera tout d'abord que les auteurs ont oublié un H à « thrash ». D'autre part, ce genre musical appartient à la même famille que le « hard rock ». Deux éléments qui dénotent a priori d'une certaine méconnaissance de la multitude des genres appartenant à la vaste famille du rock. In Donnat, O. 1998. Les pratiques culturelles des Français. Enquête 1997. Paris : Ministère de la Culture et de la Communication.
13 Doublé-Dutheil, C. 1991, op. cit., p. 153.
14 Doublé-Dutheil, C. 1991, ibid., p. 158.
15 Cette charge est évidemment partagée entre les membres du groupe.
16 Touché, M. 1996. Les lieux de répétition de musiques amplifiées. Défaut d'équipement et malentendus sociaux. Les Annales de la Recherche Urbaine, no 70, p. 63.
17 Voir les travaux de Marc Touché (CNRS) et de Réjanne Sourisseau (Agence Opale) déjà cités, mais également les multiples rapports produits sur la question dans les régions ou les départements, disponibles sur http://www.irma.asso.fr/bibliotheque/index.html [consultés le 16.10.2004]
18 Le travail le plus remarquable sur le sujet est à mon sens celui de Berger, H. M. 1999. Metal, rock and jazz. Perception and the phenomenology of musical experience. Hanover : Wesleyan University Press. À des fins comparatives, l'auteur y détaille de manière extrêmement subtile et minutieuse chaque instant d'un certain nombre de concerts rock, death metal, hard FM et jazz. On lira également avec profit les travaux de Bennett, H. S. 1980, op. cit., p. 159-189 ; Cohen, S. 1991. Rock culture in Liverpool. Popular music in the making. Oxford : Oxford University Press, p. 75-102 et celui de Weinstein, D. 2000. Heavy Metal. The music and its culture. New York : Da Capo Press. 1ere éd. 1991, p. 199-235. En langue française, on peut également tirer bénéfice de la lecture d'une partie de l'ouvrage de Mignon, R, Hennion, A. Sous la dir. 1991, op. cit. Et notamment des articles de Lucas, J.-M. 1991. Du rock à l'œuvre. In Mignon, P., Hennion, A. Sous la dir., op. cit., p. 84-100, et de Hennion, A. 1991. Scène rock, concert classique. In Mignon, R, Hennion, A. Sous la dir., op. cit., p. 101-119. Voir également Hennion, A. 1993. La passion musicale. Une sociologie de la médiation. Paris : Métailié, p. 317-341, ainsi que le chapitre « Le rock, spectacle vivant », in Gourdon, A.-M. Sous la dir. 1994. Le rock. Aspects esthétiques, culturels et sociaux. Paris : CNRS Editions, p. 65-105. Sans oublier Chastagner, C. 1998. La loi du rock. Castelnau-le-Lez : Climats, p. 91-98.
19 D'où la nécessité de porter une observation sur les écarts au sein d'une même tranche d'âge. Pour la tranche des groupes des années 80, on observe un écart de 25 à 250 concerts. Même chose pour la tranche des groupes de la première moitié des années 90. Et pour la tranche de la seconde moitié des années 90, on observe un écart de 25 à 200 concerts. On saisit ici combien il est difficile de dégager une régularité dans les carrières des groupes et que l'âge ne détermine pas toujours le parcours de chacun d'entre eux. En effet, certains groupes, mêmes anciens, ne privilégient pas toujours la pratique du concert. À l'inverse, des groupes jeunes peuvent être particulièrement efficaces pour obtenir des concerts en bénéficiant par exemple d'une conjoncture musicale favorable.
20 Près du tiers d'entre elles parviennent à se produire plus d'une dizaine de fois à l’année. Un autre tiers se produit entre 4 et 10 fois. Le dernier tiers s'est produit à moins de 4 reprises.
21 Les concerts ont bien entendu également un coût. Il est souvent très difficile à évaluer compte tenu du fait qu'il implique des charges très variables (déplacement, alimentation, équipe technique notamment) qui sont fonction à la fois du lieu du concert et de ses conditions techniques et économiques. Toutefois, j'ai pu identifier très précisément ces charges lors d'une enquête ethnographique réalisée aux États-Unis dans le cadre d'une tournée d’un groupe rock, courant 2003. Voir Hein, F. 2004. Ethnographie d'un groupe de rock en tournée aux Etats-Unis. Ethnographiques.org, no5. http://www.ethnographiques.org/documents/article/ArHein2.html.
22 Un pourcentage important de formations (19 %) ne répond pas à cette question. Ce qu'il est éventuellement permis d'interpréter comme une difficulté d'évaluation consécutive à une forte variabilité des cachets.
23 Certains obtiennent quelquefois des cachets supérieurs à 763 €. Il s'agit des groupes les plus anciens de l'échantillon.
24 En guise d'illustration, l'enquête ethnographique menée aux États-Unis pendant une période de trois semaines a permis de dégager que la moyenne des cachets obtenus par le groupe que j'y ai accompagné, s'élevait à 89 €. Ce groupe comptait pourtant à ce moment là, sept années d'existence.
25 Il faut noter par ailleurs que ces déplacements s'effectuent en règle générale avec les véhicules personnels des musiciens (un petit nombre d'entre eux ont fait l'acquisition, à titre privé, d'une fourgonnette ou d'un véhicule utilitaire) et plus rarement par le biais de la location ou du prêt.
26 Pour les concerts ayant lieu dans les bars la présence d’un technicien ne se justifie évidemment pas.
27 L'activité du tourneur vise exclusivement la recherche de dates de concerts. L'activité du manager s'articule autour d'un faisceau d'activités beaucoup plus étendu (recherche d’une maison de disques, de financements, etc.).
28 Il est à noter qu'une poignée d'acteurs s'organise pour proposer une palette d'outils facilitant le travail de booking : « Chez moi, au siège social de l'association, j'essaie de faire un réseau sur les groupes de l'association. J'essaie, ça commence à marcher, bien que ça fasse deux ans que ça existe. J'essaie de réunir les bios des groupes qui font partie de Lasso, toutes les démos si possible. Fiches techniques. On a ouvert une ligne téléphonique grâce aux subventions. C'est une ligne utilisable à partir de n'importe quel fixe. Ce qui fait qu'en fait, les groupes peuvent appeler de chez eux, sans que ça leur coûte personnellement, c'est répercuté sur la facture de l'asso. Ils déboursent rien. A partir de là, s'ils arrivent à dégoter un plan, ou si quelqu'un se montre intéressé, ils appellent chez moi, laissent l'adresse, ce qui étoffe le répertoire pour tout le monde et y a plus qu'à aller à la poste. Ce qui fait que le groupe ne paie ni les factures de téléphone, ni les enveloppes, ne se déplace même pas à la limite. En gros, cette opération sert à ce que les groupes se servent de l'asso, parce qu'elle est un outil. Faut pas confondre, comme j'ai commencé à le craindre, comme une entreprise de management. C'est pas ça. Je suis le président, mais j'ai un groupe. Si je m'occupe des autres groupes, je mets le mien de côté. C'est pas possible. Moi j'ai des actions qui doivent servir l'ensemble des groupes. C'est à eux de se démerder avec ça. S'ils en ont envie, moi je leur donne les outils. Personnellement, je l'utilise, libre à eux de le faire. On va pas aider les groupes... déjà on les sélectionne en fonction de leurs qualités, humaines et artistiques. A partir de là, s'ils veulent se bouger le cul, ils peuvent le faire. C'est bien joli de monter un groupe pour délirer, mais je vais pas arrêter mon groupe ou pêcher dans les études pour aider des gens qui n'en ont pas particulièrement envie. Le but aussi, c'est d'apprendre la démerde, mais facilitée. Sans la galère. Si, la galère existe forcément ». [Eric, 25 ans, étudiant, président d'association, guitariste-chanteur d'un groupe grunge]
29 Guibert, G., Migeot, X. 1999, op. cit., p. 119.
30 Elles sont 16 % à en avoir enregistré un, 11 % à en avoir enregistré deux et 1 % à en avoir enregistré trois.
31 Aucune formation de l'échantillon n'est en contrat avec une major.
32 Ce pourcentage intègre les 12 % de groupes (les plus jeunes de l'échantillon) n'ayant enregistré aucun support phonographique.
33 « La concentration extrême du marché de la musique en France forme l'explication principale à l'existence d'une autoproduction importante ». In Gombert, L., Pichevin, A. 1996. Autoproduire son disque. Paris : Dixit-Irma, p. 11.
34 Dans leur ouvrage, Gombert et Pichevin font également mention d'un choix économique, car selon eux « il n'est pas toujours plus rentable d'être produit par une maison de disques ». In Gombert, L., Pichevin, A. 1996, ibid., p. 11.
35 Gombert, L., Pichevin, A. 1996, ibid., p. 13.
36 La forme contractuelle de ce type de collaboration est le contrat dit de licence.
37 Certains labels disposent d'une forte réputation. L'association de leur nom à celui d'un groupe constitue à ce titre un label de qualité. Ce qui donne alors tout son sens au mot lui-même.
38 Ce sont essentiellement les très jeunes groupes de l'échantillon qui ont recours au « home studio ». Sauf cas particulier, on peut faire l'hypothèse que le recours au « home studio » reste pour l’essentiel une solution de dépannage ponctuelle pour les groupes débutants ne disposant pas encore d'un capital économique.
39 10,6 % de ces budgets sont supérieurs à 4 580 €.
40 Si on rapporte cette somme aux tarifs pratiqués sur le marché de l'enregistrement en Lorraine courant 2000, il apparaît qu'elle correspond à environ cinq journées de studio 24 pistes numériques (hors achat des bandes enregistrées).
41 Si on rapporte cette somme aux tarifs pratiqués sur le marché du pressage en 2001, il apparaît qu'elle correspond à la fabrication d'une centaine de CD d'une durée inférieure à 25 minutes, boîtier plastique standard, livret et jaquette recto quadri, intérieur noir et blanc. Tarifs de fabrication de la société Réverbération à Bordeaux.
42 En guise d'exemple, on peut se reporter aux tarifs publicitaires pratiqués par le fanzine Kérosène, édité à 3 000 exemplaires.
43 On peut également compter dans ce poste les frais de reproduction de la biographie ou du dossier de presse qui accompagnent habituellement les envois promotionnels ou encore l’achat d'enveloppes matelassées. Mais aussi l'abonnement Internet par exemple. Toutefois, ces postes sont très difficiles à évaluer pour qui ne tient pas de comptabilité analytique rigoureuse. On peut néanmoins supposer que les chiffres annoncés restent largement en dessous de la réalité, même si l'on sait que la reprographie est souvent effectuée sur le lieu de travail par exemple.
44 Avec un seuil de 3 053 €.
45 Ce qui correspond à deux pages de publicité au sein d'un fanzine tiré à 3 000 exemplaires.
46 Les groupes de rock génèrent évidemment d'autres types de recettes, liées notamment à la vente de disques, aux droits d'auteur ou encore au merchandising (qui est une charge avant de devenir une recette). Mais il était impossible pour les groupes de les faire émerger tant elles sont diluées dans le temps. Par contre, j’ai pu tenir personnellement la comptabilité d'un groupe rock en tournée aux États-Unis courant juin 2003. Et il s'est avéré que le cumul des recettes liées aux cachets des concerts et au merchandising (t-shirts et disques) n'a pas empêché la tournée de se solder par un déficit de 705 €.
47 Ce constat mérite d’être pondéré étant entendu que le total des dépenses est parfois augmenté d'éventuels frais liés à l'emploi, occasionnel ou non, d'un technicien son et/ou lumière. Par ailleurs, les frais de carburant liés aux déplacements constituent eux aussi un poste de dépense non négligeable. Leur évaluation reste cependant très aléatoire compte tenu de la variabilité des kilométrages effectués. Ce constat est également valable du point de vue des recettes, comme cela a déjà été souligné dans la note de bas de page précédente.
48 Evidemment, rien n'empêche certains musiciens à persévérer dans la voie de la professionnalisation avec le lot de difficultés inhérentes à ce choix. Pierre-Michel Menger en a largement dressé les contours dans Menger, P.-M. 1989. Rationalité et incertitude de la vie d'artiste. L'année sociologique, no 39, p. 111-151 et Menger, P.-M. 1991. Marché du travail artistique et socialisation du risque. Le cas des arts du spectacle. Revue française de sociologie, no XXXII, p. 61-74. Il faut noter en outre qu'une poignée d'institutions locales confortent les aspirants musiciens à une carrière artistique en ce sens. Force est de reconnaître que ces institutions confortent surtout la pérennité de leur fonctionnement en entretenant un mythe.
49 Dans ce cas, ils évoluent majoritairement dans des formes d'emploi précaires. Trois d'entre eux sont constitués en entreprise individuelle. Les autres sont sous contrat emploi jeunes au sein d'associations.
50 Une seule personne de l'échantillon déclare n'avoir aucun collaborateur. Il s'agit dans ce cas précis d'un individu ayant réduit l'activité de diffusion à l'activité de programmation.
51 Hugues, E. C. 1996. Le regard sociologique. Paris : EHESS, p. 82.
52 Je ne tiendrai aucun compte du format des supports phonographiques. L'emploi du mot « disque » a donc ici une visée totalisante.
53 Onze d'entre eux sont gérants de leur label, les deux autres en sont employés.
54 Dans ce cas, ils évoluent pour deux d'entre eux sous des formes d’emploi précaires (contrat emploi jeunes) au sein d’une association. Les deux autres sont soit constitué en entreprise individuelle, soit salarié d'une association, en CDI.
55 Un seul label n'a publié aucun disque au cours de la période de référence. Soit 7,7 %.
56 Ce qui correspond à environ six journées de studio 24 pistes numériques (hors achat des bandes enregistrées). Tarifs pratiqués sur le marché de l'enregistrement en Lorraine courant 2000.
57 Ce qui correspond à un pressage de 700 copies CD album (durée inférieure à 74 minutes, boîtier plastique standard, livret et jaquette recto quadri, intérieur noir et blanc). Tarifs de fabrication pratiqués en 2001 par la société Réverbération à Bordeaux.
58 Pour prendre un exemple, le budget moyen permet au mieux de faire l'acquisition de trois pages, d'une 2e ou 3e de couverture d'un fanzine édité à 3 000 exemplaires.
59 Ces circuits de distribution informels ont été largement décrits dans le chapitre 2 (vente directe, stands lors de concerts, etc.).
60 Dans ce cas, il s'agit d'un contrat emploi-jeune.
61 « Dans les pays capitalistes, si les éditeurs ne veulent pas publier un livre, un poète peut polycopier ou photocopier ses œuvres, comme le font souvent les poètes américains, qui utilisent au besoin le matériel de l'établissement scolaire ou du bureau où ils travaillent ». In Becker, H. S. 1988. Les mondes de l'art. Paris : Flammarion, éd. orig., 1982, p. 32.
62 La société en question (une mutuelle étudiante) lui demande, en retour, d'apposer son logo sur le fanzine.
63 Ces circuits de distribution informels ont été largement décrits dans le chapitre 2 pour ce qui concerne la production phonographique (vente directe, stands en concerts, etc.). Ils sont également valables pour les fanzines.
64 La VPC repose sur la vente au numéro mais également sur l'abonnement qui est une formule permettant aux fanzines qui la pratiquent de se constituer une trésorerie. L'abonnement peut représenter un enjeu financier assez considérable en même temps qu'il constitue un baromètre qualitatif. Mais il peut également être une contrainte puisqu'il oblige à la régularité et à la constance. Un petit nombre de fanzines propose cette formule. Trois d’entre eux, les fanzines à plus fort tirage, l'accompagnent d'une offre promotionnelle attractive. Ils offrent des CD à leurs abonnés selon des modalités variées. Ceux-ci proviennent de certains labels avec lesquelles ils entretiennent des échanges commerciaux. Les deux premiers (imprimés industriellement) les négocient en échange d'espaces publicitaires. Le troisième (reprographié), développe avec elles des relations privilégiées.
65 En France, la distribution professionnelle de la presse est majoritairement assurée par les NMPP (Nouvelles messageries de la presse parisienne).
66 L'un d'entre eux a par ailleurs pu bénéficier d’un financement public (programme d'aide à l'initiative Défi jeunes) lui ayant permis de démarrer son activité.
Table des illustrations
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Titre | Graphique 1 – Instruments les plus pratiqués par les musiciens de l'échantillon |
URL | http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/699/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 44k |
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Titre | Graphique 2 - Âges d'entrée dans la pratique instrumentale pour les musiciens de l'échantillon (ci-dessus) |
URL | http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/699/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 40k |
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Titre | Tableau 1 – Budgets consacrés au parc instrumental |
URL | http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/699/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 96k |
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Titre | Graphique 3 – Années de création des groupes de rock de l'échantillon |
URL | http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/699/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 56k |
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Titre | Tableau 2 – Cadres de la production et de la distribution phonographique |
URL | http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/699/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 112k |
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Titre | Tableau 3 – Budgets de production phonographique investis par les groupes |
URL | http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/699/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 84k |
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Titre | Tableau 4 – Estimation des dépenses et des recettes des groupes |
URL | http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/699/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 100k |
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Titre | Tableau 5 - Budgets de production investis par les labels |
URL | http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/699/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 72k |
© Éditions Mélanie Seteun, 2006