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Le Monde du rock

 | 
Fabien Hein

Chapitre 2. Choses Produites

Texte intégral

« Si ce qu'ils firent ne conduisit à aucune révolution officielle, cela rendit la vie plus intéressante dans le monde entier, et la vie a continué d'être plus intéressante qu'elle ne l'aurait été s'ils n'étaient jamais apparus »
Greil Marcus, Lipstick Traces [1989]

Introduction

  • 1 Hennion, A. 1993. La passion musicale. Une sociologie de la médiation. Paris : Métailié, p. 296.
  • 2 Hennion, A. 1993, ibid., p. 370.
  • 3 La performance est entendue ici comme un moment musical unique, produit collectivement, à l'issue i (...)
  • 4 Hennion, A. 1993, op. cit., p. 293.
  • 5 Moyennant quelques aménagements, je me permets de détourner à mon profit, la notion centrale de l'a (...)

1Il est entendu que le rock, ni aucun autre genre musical d'ailleurs, n'existe par lui-même. Pour vivre, le rock doit passer par des intermédiaires innombrables, qui, justement, constituent le monde du rock. « Il n'y a jamais de musique, il n'y a que des montreurs de musique » souligne Antoine Hennion1. Mais plus encore, ce dernier rappelle fort justement que « les mondes musicaux que nous habitons ne sont pas des ensembles nets, ce sont des mondes remplis d'entités bizarres, au statut variable2 ». Comment dans ce cadre restituer la multiplicité des intermédiaires assurant le fonctionnement du monde du rock ? Un bon moyen d'y parvenir consiste probablement à porter le regard sur un certain nombre de choses produites par ce monde. Il est évidemment impossible de s'attarder sur chacune d'entre elles tant elles sont nombreuses. Et il ne serait pas satisfaisant de les livrer en vrac ou d'en produire un simple catalogue. Pour en rendre compte de manière efficace, je m'appuierai sur trois grandes catégories de choses produites. Chacune d'entre elles renvoyant à une multiplicité d'activités, d'objets et de dispositifs permettant de fixer le rock, d'en faire une matière. Le monde du rock procède d'une activité de production. Il s'est stabilisé autour de trois grandes choses : la musique - entendue au sens de la réalisation d'une performance3 - le concert et le disque. C'est sous ces trois formes qu'il est possible d'objectiver le monde du rock. C'est à partir de ces choses que le rock acquiert « cette rassurante visibilité de la matière que la statue possédait d'emblée4 ». C'est également à partir d'elles qu'il est possible de saisir l'épaisseur du monde qui les crée, qui les mobilise et qui les relie. Car chacune de ces choses permet de retracer un chemin menant à une pluralité d'intermédiaires ayant rendu sa production effective. Un chemin circulant constamment entre humains et choses. Pour le dire autrement, il s'agit de rendre compte, en quelque sorte, du processus de traduction5 à l'œuvre entre une action et un résultat. Je vais donc décrire les spécificités de ces trois grandes catégories de choses.

1. La musique rock comme performance

  • 6 Dans son ouvrage séminal sur les carrières des musiciens de rock, H. Stith Bennett évoque bien la q (...)

2Produire de la musique rock nécessite la mobilisation d'un réseau diversifié d'intermédiaires. Pour qu'elle s'ébauche, qu'elle se pratique et qu'elle se donne à entendre, la musique doit être performée. À cette fin, il est nécessaire de réunir un certain nombre de conditions relatives à des humains, des objets et des lieux que je vais décrire ici, en insistant plus particulièrement sur le dispositif de la répétition. Plus précisément, pour que le rock se traduise ponctuellement sous la forme d'un objet sonore, il est nécessaire de réunir des musiciens, un parc instrumental et des lieux au sein desquels la musique puisse se pratiquer6.

1.1. Réunir des musiciens

  • 7 Il est nécessaire de prendre en considération l'existence d'une poignée de formations communément a (...)
  • 8 Aux extrêmes on trouve, hormis les « one man bands », des groupes constitués de deux membres et des (...)
  • 9 Je n'établirai pas de distinction entre musiciens et chanteurs. Ces derniers se considèrent souvent (...)

3Un groupe de rock se constitue habituellement7 sur la base d'une volonté commune de produire de la musique au sein d'un collectif. En moyenne, la configuration d'un groupe de rock s'établit sur la base d'une réunion de quatre personnes8. La combinaison d'un guitariste, d'un bassiste, d'un batteur et d'un chanteur9 constitue l'archétype de la formation musicale rock. Ces éléments posés, je propose de porter le regard sur la production musicale en tant que telle. Notamment sous l'angle de ses instruments. Car pour produire de la musique rock, les musiciens ont préalablement besoin de faire l'acquisition d'un parc instrumental.

1.2. Acquérir un parc instrumental

  • 10 « La notion de marché évoque la confrontation d'offres et de demandes libres et indépendantes les u (...)
  • 11 Dans une moindre mesure, certains magasins d'instruments et luthiers fonctionnent sur la base du dé (...)
  • 12 Trois remarques s'imposent ici. Il est tout d'abord nécessaire de prendre en considération la place (...)

4Par parc instrumental, il faut entendre l'ensemble des objets nécessaires à la production musicale. Il se compose généralement de quatre postes : les instruments, le système d'amplification, les accessoires (câbles, effets, housses de protection, etc.) et pour finir, le matériel informatique et électronique [boîtes à rythmes, échantillonneurs (samplers), ordinateurs et logiciels de musique assistée par ordinateur (MAO)]. Le parc instrumental s'acquiert au sein d'un marché10 divisé en deux grands secteurs : le marché du neuf et le marché de l'occasion. Le marché de l'occasion est généralement détenu par les musiciens eux-mêmes11 qui font leurs affaires entre eux par le biais du « bouche à oreille » ou de petites annonces. Il est de ce fait, relativement diffus et difficilement identifiable. Le marché du neuf est quant à lui détenu par des magasins d'instruments de musique et un petit nombre de luthiers12. Mais abordons maintenant la question de l'usage de ce parc instrumental.

1.3. Répéter

« Le local devient, pour les musiques amplifiées, capital. Il constitue le domicile du groupe. C'est le point d'ancrage d'où toutes ses initiatives vont pouvoir naître ; C'est le lieu où le groupe, dans son intimité, va pouvoir donner naissance à son art, c'est le lieu sans lequel rien n'est possible. » [Projet culturel. Autorisation de Chantier, 06.12.96]

  • 13 Sur ce sujet, on tirera grand bénéfice de la lecture du remarquable travail ethnographique suivant  (...)

5La répétition est le moment crucial où la musique se crée et se prépare avant qu'elle ne devienne concerts et disques13. Elle s'inscrit dans un espace temps tout autant que dans un espace physique : le local de répétition. Le temps de la répétition constitue un mode d'entrée dans la vie de musicien sous la forme d'un groupe. C'est un moment au cours duquel on fait une triple expérience. La première consiste à produire et à créer de la musique avec d'autres musiciens. La seconde consiste à repérer les potentialités de son équipement instrumental et à les ajuster aux capacités des autres équipements en présence. La troisième consiste à élaborer des projets communs en terme de développement de carrière (production phonographique et production scénique notamment). Autrement dit, cette combinaison d'expériences présuppose d'expérimenter un travail collectif. Ce qui signifie en outre, que la répétition est une activité indissociablement musicale et sociale.

Lorsque la musique se fait

6La répétition est un moment fondamental pour la constitution d'un répertoire musical. Tout comme elle est essentielle dans la construction identitaire d'un groupe. Il serait pourtant faux de croire que ce moment est exclusivement dirigé vers la production musicale. Les séances de répétition sont aménagées de telle sorte qu'on puisse y pratiquer de la musique mais également, qu'on puisse y discuter, voire s'y détendre. D'après les observations que j'ai pu effectuer, en règle générale, dès leur arrivée au local de répétition et après les civilités d'usage, les musiciens ressentent la nécessité impérieuse de mettre leur équipement instrumental en action. Ainsi, une répétition d'un groupe de rock débute habituellement par une cacophonie sonore rituelle au cours de laquelle chaque musicien se préoccupe avant tout de son propre instrument. Les baguettes roulent sur les éléments de batterie, les guitares s'accordent, les systèmes d'amplification sont testés.

7Puis, progressivement, chaque musicien se rend à nouveau disponible au collectif. Le travail peut commencer.

Lorsque la musique se tait

8Après 45 minutes à 1 heure de pratique instrumentale, les corps fatiguent et réclament une pause. On fume une cigarette, on boit un verre ou on va respirer au grand air. Ces moments sont l'occasion de transmettre des informations, de présenter le planning des concerts à venir, de régler les détails pratiques du déplacement pour le prochain concert, d'étudier un devis pour un studio d'enregistrement, de répondre à des interviews écrites, d'exposer les divergences entre les membres du groupe, de se répartir le travail administratif, etc. Il s'agit donc tout autant d'un temps de récupération pour les corps que d'un temps d'ajustement social indispensable à la cohésion du groupe.

1.4. Une typologie des lieux de répétition

9Le marché du local de répétition n'est pas réellement porteur en soi d'un poids économique conséquent. En volume, la demande se confronte à une offre relativement réduite, en tous les cas, difficile à juguler. Ce déséquilibre justifie que les groupes soient constamment à l'affût des mouvements et des perspectives au sein de ce patrimoine immobilier particulier. Dans cette dynamique, les musiciens orientent leurs recherches tous azimuts et se tournent aussi bien vers le secteur privé, que vers le secteur public ou parapublic. Les aléas de la vie des groupes de rock les conduisent souvent à circuler entre les locaux et à faire l'expérience des différentes formules existantes sur le marché. Leurs marges de manœuvre se réduisent ainsi plus souvent à saisir des opportunités qu'à effectuer des choix véritables. Afin de mieux saisir la diversité des locaux de répétition, je propose d'en dresser une typologie, dans une perspective comparative. Je présenterai les différents espaces au sein desquels ils existent et je pointerai également leurs particularités et leurs limites.

1.4.1. L'espace domestique : le local à domicile

La chambre : un investissement dual de l'espace

10Il se peut que la chambre d'un des musiciens (souvent le batteur pour des raisons liées à l'encombrement de son instrument) fasse office de local de répétition. C'est une formule assez courante chez les moins de 20 ans. Elle est plus improbable au-delà de cet âge. Elles nécessitent un accord avec l'environnement familial immédiat qui en subit plus ou moins les conséquences. C'est pourquoi ces chambres sont souvent excentrées des lieux de vie familiaux : dans une cave, à une extrémité d'un bâtiment, voire dans une dépendance. Autant que faire se peut, l'emplacement est choisi de manière à préserver la vie de famille et le voisinage. Ce type de local est donc doublement investi. Il est à la fois un lieu de vie intime et un lieu de travail collectif. Le premier l'emportant sur le second, on ne lui apporte que rarement des modifications visant à améliorer les qualités acoustiques de la pièce.

La pièce réservée : un mono-investissement de l'espace

11Certains locaux de répétition peuvent prendre place au sein de caves, garages, granges et dépendances et être exclusivement dédiés à la pratique instrumentale. Contrairement au cas de figure précédent, une pièce de ce type ne souffre pas d'un investissement partagé entre le collectif et l'individuel dans ce qu'il a de plus intime. À ce titre, elle est fréquemment équipée en conséquence. Comme souvent, pour tenter d'insonoriser la pièce, murs et plafonds sont recouverts des traditionnelles boîtes à œufs, de plaques de polystyrène, de laine de verre, d'épaisses tentures ou encore de moquette.

La pièce de dépannage : un investissement contraint et inadapté

12Il arrive que certains musiciens choisissent de jouer à domicile quelles qu'en soient les conséquences. Momentanément dépourvu de local de répétition, j'ai pu observer un groupe répéter dans un salon d'appartement au sein d'un immeuble de quinze étages. Plusieurs déambulations urbaines m'ont permis de constater que cet exemple n'avait rien de marginal. Inutile de préciser que ces expériences sont difficilement reproductibles eu égard aux nuisances sonores générées et aux réactions assez hostiles que soulève cette formule dans le voisinage.

L'espace domestique : particularités et limites

13Souvent idéalisée, la pratique de la répétition à domicile se révèle être relativement difficile. Au mieux, un local de répétition situé dans l'espace domestique présentera l'avantage d'être exempt de loyer. Tout au plus sera-t-il exigé une contribution aux frais liés à la consommation électrique. Pour le reste, à moins d'être situé dans une propriété dans laquelle le local ne constitue pas une source de nuisances pour l'environnement immédiat - ce qui reste exceptionnel - la répétition reste souvent chronométrée du fait du degré de tolérance variable que manifeste ce même environnement à l'égard du bruit.

Ah non, non, non. Ils répètent dans la cave les mercredis et samedis. En général ils n'exagèrent pas. Ils jouent de 14 à 17 heures en gros. Lui [le fils] il travaille ses cours [de batterie] une heure par jour. Ça fait un de ces raffuts. C'est infernal. Tout tremble. Le samedi après-midi, de toute façon je fais les courses. Les autres [musiciens du groupe] aimeraient bien venir plus souvent, mais c'est impossible. Ils feraient plus que ça si on les freinait pas. De toute façon, on a posé les conditions : il répète à la maison avec ses copains à condition qu'il bosse à l'école. Pour l'instant ça va. [Conversation avec une mère de famille à propos du groupe de son fils qui répète à domicile depuis 6 mois]

1.4.2. L'espace locatif : les bailleurs privés

Les studios d'enregistrement : une activité annexe

14Certains studios d'enregistrement font quelquefois de la répétition une activité commerciale annexe. Leurs propriétaires ou gérants sont souvent eux-mêmes musiciens. Ce qui, cumulé à leur activité d'ingénieur du son, les rend à la fois exigeants sur le plan acoustique comme sur le plan de l'insonorisation. Notamment, car ces locaux de répétition sont toujours attenants au studio d'enregistrement et qu'il faut préserver les uns des autres de toute intrusion sonore. Il s'agit de studios situés en périphérie de villes. Leur position géographique - zone industrielle ou forêt - les isole de tout voisinage d'habitation et y autorise de ce fait un accès illimité.

Les associations dédiées à la répétition

15Les structures de répétition associatives sont souvent initiées par des musiciens. Leurs statuts exigent des usagers qu'ils soient non pas simplement des consommateurs, mais des acteurs impliqués dans la gestion des lieux. S'ils sont insonorisés et bénéficient d'un système de sonorisation, de toilettes, d'un point d'eau et de chauffage, ces lieux sont toutefois dépourvus de matériel d'amplification et de batterie. Ce qui laisse aux utilisateurs la possibilité de répéter sur leur propre équipement, qu'ils disposent ensuite dans des boxes réservés à chacun des groupes fréquentant le lieu.

De particuliers à particuliers

16La location de particuliers à particuliers constitue entre toutes, la formule que l'on retrouve le plus fréquemment. En règle générale, il s'agit d'un espace difficile à louer (cave ou parking souterrain). Le proposer à la location en tant que local de répétition est souvent une aubaine pour le propriétaire. Les musiciens, trop heureux d'obtenir un lieu de répétition, se montrent habituellement très peu exigeants à son endroit et se satisfont d'un lieu fermant à clé et de quelques prises électriques. Ils sont en outre souvent prêts à fournir beaucoup d'efforts très éloignés de la pratique musicale (couler une dalle, confectionner une porte métallique, recouvrir murs et plafonds d'une matière supposée absorber les sons, etc.). Évidemment, ces lieux disposent rarement d'un équipement sanitaire de base (WC, lavabo). Pas plus qu'ils ne sont équipés d'un système de chauffage pour l'hiver. Les musiciens ont au moins aussi bien intégré l'idée qu'il fallait se contenter de peu que les propriétaires ont intégré celle qui fait d'eux des philanthropes pour la création musicale. Les doléances des premiers en direction des seconds restent ainsi toujours très mesurées par crainte de mettre un terme à cette relation.

Les agences immobilières

17Seul un nombre très réduit d'agences immobilières semblent proposer des locaux de répétition. Bien que les agences prétendent le contraire, ceux que j'ai pu visiter sont très mal équipés. L'humidité, l'exiguïté et les loyers démesurés (en moyenne 274 €/mois + 3 mois de caution) condamnent bien souvent ces locaux à l'inoccupation.

L'espace locatif : particularités et limites

  • 14 Cette relation duelle quasi exclusive n'est pas toujours dépourvue d’ambiguïté. Il arrive par exemp (...)

18Il est possible d'établir une distinction entre les locaux de répétition relevant de l'espace locatif en fonction du mode de gestion qui leur est associé. Concernant les deux premiers types de locaux (loué par un studio d'enregistrement ou une association dédiée à la répétition) propriétaires et responsables associatifs restent souverains. Ils conservent la gestion des lieux même si les associations cherchent quelquefois à impliquer les utilisateurs dans le fonctionnement de leurs locaux. Concernant les deux autres types de locaux (loués par un particulier ou par une agence immobilière), leur propriétaire délègue généralement la gestion du lieu à un musicien. Ce dernier est alors investi de deux fonctions : l'acquittement du loyer14 et le bon fonctionnement du local. Cette responsabilité n'est pas toujours sans poser quelques questions d'ordres économique, éthique et organisationnel comme on va le voir.

Payer le loyer de son local

19Les loyers de ce type de locaux sont souvent d'ordres très variables. On peut les situer dans une fourchette comprise entre 30 et 153 €. Lorsqu'un groupe estime le prix du loyer trop élevé pour lui, il lui faut trouver deux ou trois (rarement plus) groupes susceptibles de partager ces frais. Généralement, le réseau d'interconnaissances permet une diffusion rapide de l'information. En retour, le groupe recruteur procède à l'évaluation des prétendants sur la base de critères tels que les liens relationnels antérieurs, la réputation et dans une moindre mesure, les genres musicaux pratiqués par les candidats.

Solidarités inter-groupes

20La majorité des groupes ont été, ou sont encore, des nomades sur le marché de la répétition. Ce qui les conduit à se poser un certain nombre d'interrogations éthiques, voire déontologiques. C'est ce qui justifie certaines fois que les mieux pourvus d'entre eux, manifestent de la solidarité à l'endroit des moins bien pourvus. Autrement dit, certains groupes bénéficiant d'un local l'ouvrent à d'autres selon ses disponibilités. Toutefois mes observations donnent à penser que cette solidarité se met en œuvre dans des situations bien particulières ou le groupe accueillant, entretient des relations plus ou moins privilégiées avec le groupe accueilli.

Après les galères qu'on avait eues avec d'autres groupes on avait dit stop, plus personne, quitte à payer plus cher ! Mais bon, quand les autres se sont retrouvés à la rue, on pouvait pas faire autrement que de les dépanner. Normal, c'est des supers potes. Ça dure depuis deux ans maintenant... [Conversation avec Romuald, 25 ans, demandeur d'emploi, bassiste dans un groupe pop]

Organisation du local

  • 15 Beaucoup de ces locaux ne sont praticables qu'après les heures de bureau. Non pas que les musiciens (...)

21Partager un local à plusieurs groupes revient à multiplier les difficultés de gestion. Se pose tout d'abord la question d'une harmonisation des temps d'utilisation du local. Cela se traduit généralement par l'élaboration d'un planning15. Les groupes s'approprient alors certains créneaux horaires qui ne pourront être modifiés que dans un cadre négocié. Se pose ensuite la question de la soumission à des règles communes, tacites ou verbalisées, voire écrites telle qu'on peut les lire ci-dessous.

Exemple de règlement d'un local de répétition, 2000, ci-après

Exemple de règlement d'un local de répétition, 2000, ci-après

22Ces règles concernent essentiellement l'échéance pour le paiement des loyers, l'entretien du local et les problèmes liés à l'utilisation non préalablement négociée de matériel. Un ensemble de paramètres quelquefois difficiles à gérer si l'on en juge les propos suivants :

Attends, on veut plus mettre n'importe qui dans le loc ! On a eu suffisamment de problèmes avec les autres enfoirés. Ils filaient leurs chèques avec 15 jours de retard, ils se servaient de notre matos comme ça leur chantait, ils se bourraient la gueule au loc avec leurs copains. La foire quoi. On leur a demandé de partir gentiment... Les prochains ils vont passer un entretien d'embauche serré, je te jure. Si on pouvait payer le loyer tout seul on se ferait pas chier avec d'autres, je te jure. [Conversation avec Max, 43 ans, intérimaire, guitariste d’un groupe blues rock]

Assurer le matériel

  • 16 Les groupes de mon échantillon, dotés d'un équipement instrumental de gamme moyenne, l'évaluent gén (...)

23Les locaux de répétition présentent l'inconvénient, souvent rappelé par les groupes, de ne pas pouvoir être assurés selon des tarifs identiques à ceux pratiqués dans le parc immobilier classique et cela même lorsque les groupes justifient d'un bail. Les matériels entreposés dans un local et à plus forte raison, les matériels de plusieurs groupes réunis atteignent quelquefois des valeurs monétaires considérables16, sans compter les valeurs affectives très fortes comme on le verra dans le chapitre 4. Aucun groupe n'étant à l'abri d'un cambriolage (de multiples exemples hantent les esprits des musiciens), la question de l'assurance se pose souvent avec acuité. Toutefois, les musiciens effectuant des démarches dans ce sens se heurtent souvent à un mur, sinon à des montants de cotisation exorbitants.

1.4.3. L'espace professionnel

Le studio de répétition professionnel

24Les studios de répétition professionnels, lieux entièrement dédiés à la répétition, offrent à la fois isolation phonique et confort acoustique. Ils sont pourvus d'une batterie, d'un système de sonorisation pour le chant et d'amplificateurs pour guitare et basse. Entre parenthèses, on notera qu'ils sont également équipés de sanitaires. On y vend du temps de répétition en tranches sur la base d'un forfait horaire (environ 12 €).

L'espace professionnel : particularités et limites

25Les plannings fastidieux, les tours de ménage, la récupération des loyers, les « emprunts » de matériel, la promiscuité, les questions d'assurance, etc., autrement dit, l'ensemble des points susceptibles de se poser en termes litigieux avec des co-locataires n'ont plus cours ici, puisqu'ils sont entièrement pris en charge par le gérant des lieux.

Il serait probablement prématuré de considérer que les conditions de répétition offertes par ce type de lieu ne présente qu'un lot d'avantages et se rapprocherait de ce fait d'une sorte d'idéal commun à tous les musiciens. En effet, il présente un certain nombre d'inconvénients qu'on peut résumer en trois points.

Impossibilité de répéter sur son propre matériel

26Beaucoup de musiciens envisagent difficilement d'utiliser un autre équipement que le leur. C'est une caractéristique que l'on retrouve même auprès des groupes les moins expérimentés comme l'illustrent ces propos :

Ouais, bon au début c'est bien de pouvoir répéter comme ça, c'est sûr, ça dépanne, mais là on vient de s'acheter du matos et on peut plus continuer là-dedans. C'est trop con d'avoir du matos à la maison et de jouer dessus que quand t'as un concert. Tu peux jamais vraiment travailler ton son en fait. Faut qu'on trouve autre chose. [Conversation avec Kim, 23 ans, étudiant, chanteur d'un groupe hard rock constitué en 99, a donné une dizaine de concerts]

27Les musiciens sont souvent très attachés à la texture sonore et à la puissance que leur équipement est capable de restituer. Ensuite, il paraît évident que certains musiciens nourrissent un rapport d'intimité à l'objet qui dépasse ces seules caractéristiques techniques.

J'ai mis des années à mettre la main sur cet ampli. Je l'ai racheté à un mec qui faisait du baloche dans les années 70. Je l'ai eu pour peau de balle. J'y croyais pas. J'ai cru que j'allais faire une attaque quand je l'ai vu. J'ai pas discuté le prix une fois. Un Hiwatt de 70... Le même que celui de Townshend [The Who]. J'ai exactement le son du Live at Leeds. Ça ronfle grave. [Conversation avec Valentin, 28 ans, guitariste dans un groupe de rock sixties, ayant donné une soixantaine de concerts et réalisé un disque autoproduit]

Le soin quasi fétichiste que certains musiciens accordent au choix, puis à l'entretien de leur équipement renseigne sur la nature des rapports qu'ils entretiennent avec lui. Partant, on peut mieux comprendre qu'ils ne puissent se satisfaire d'un lieu de répétition standardisé et dépersonnalisé.

Entrée du processus créatif dans une logique chronométrée

28La création musicale s'accommode généralement très mal avec l'idée d'un temps contraint. De fait, les utilisateurs de ce type de lieu semblent généralement assez réservés quant à une gestion du temps hyper rationalisée :

C'est chiant d'avoir toujours l'œil sur l'horloge. T'espères que le groupe d'après va arriver avec un peu de retard. Le pire c'est quand t'es en plein milieu d'un morceau qu'il faut que tu remballes... En fait quand t'arrives t'as pas intérêt à bavasser trop longtemps, t'essaie de jouer au max et tu causes après. Si t'as rien qui sort [l'inspiration] et que tu vois l'heure tourner ça t'énerves et quand t'es énervé faut pas croire que tu vas sortir quelque chose de bon. Le problème c'est que ça vient pas comme ça. [Conversation avec Cédric, chanteur, usager de ce type de lieu depuis 6 mois]

Impossibilité d'une appropriation des lieux
  • 17 Touché, M. 1996. Les lieux de répétition de musiques amplifiées. Défaut d'équipement et malentendus (...)

29De multiples récits d'artistes évoquent l'importance que revêt pour eux leur lieu de travail. Il y est question d'appropriation d'un espace qu'ils rendent propice au libre déroulement de leur créativité. Or, les nouveaux lieux de répétition ressemblent beaucoup à des espaces issus de « technologies high-tech, climatisées, aux odeurs de javel signe d'un entretien quotidien aux normes d'hygiène en vigueur dans tout service public, clean quasi lisses et cliniques, claires, lumineuses, à l'acoustique mate » comme l'a souligné Marc Touché17. On peut donc légitimement se demander si les musiciens peuvent s'y sentir à l'aise. D'autant que certains musiciens entretiennent des rapports très affectifs avec leur local de répétition à l'image de ces propos :

Je passe plus de temps au local que chez moi. Des fois je me demande si c'est pas plus chez moi que chez moi, enfin que mon appart je veux dire ! On l'a décoré, on l'a équipé, on a tout fait pour être à l'aise. Y a une machine à café, un canapé, une petite chaîne. On passe de bonnes soirées ici. On joue, on discute, on s'écoute des trucs. On est un peu à l'abri de tout ici au fond de la cave. Je crois que je préfère être ici que chez moi en fait ! [Conversation avec Romuald, 25 ans, demandeur d'emploi, bassiste dans un groupe pop]

1.4.4. L'espace de l'intérêt général : secteur public et secteur parapublic

Le service municipal

30Les services municipaux sont très fréquemment sollicités pour les questions de répétition. Les pressions que peuvent exercer des administrés-musiciens sur leurs élus contraignent ces derniers à ne plus ignorer leurs conditions de pratique. Éventuellement, elles peuvent les conduire à envisager la création d'équipements adaptés.

Certaines municipalités proposent des mesures de dépannage provisoires et souvent inadaptées comme les salles des fêtes ou un coin de salle polyvalente, qui dans aucun cas, ne permettent à des groupes de s'installer durablement. D'autres confient la gestion de locaux, non nécessairement insonorisés, à un service municipal dédié à la jeunesse. D'autres encore en confient directement la gestion aux musiciens en exigeant qu'ils se constituent préalablement en association

L'Est-Républicain, édition du 26 janvier 2000

L'Est-Républicain, édition du 26 janvier 2000

Les MJC : deux modèles

  • 18 Mignon, P. 1991. Paris/Givors : le rock local. In Mignon, P., Hennion, A. Sous la dir. Rock. De l'h (...)

31Certaines MJC (Maison des jeunes et de la culture), entraînant dans leur sillage un certain nombre d'associations sensibles aux questions d'éducation populaire, ont par vocation toujours été sensibles aux pratiques culturelles des jeunes. Les premières ont occupé, dès le milieu des années 70, un rôle important dans la diffusion et la pratique du rock en France18. Par ailleurs, la formation musicale constitue souvent en ces lieux, un champ d'activité important. Rien d'étonnant donc à ce qu'elles aient également pris en considération la pratique de la répétition et « aménagé » des locaux à cet effet en leur sein. Deux logiques sont à l'œuvre dans ce cadre. La première, relativement sommaire et ancienne, vise à proposer une pièce, plus ou moins insonorisée, à des groupes qui se la partagent, contre une adhésion annuelle à leur structure. La seconde formule, plus récente, est calquée sur le modèle du local professionnel évoqué plus haut. Soit un temps de répétition vendu en tranche sur la base d'un forfait horaire (environ 7 €).

Le service culturel de la vie étudiante

32Sur un modèle identique à celui que l'on vient d'évoquer. Et lui aussi très fortement calqué sur l'exemple du studio professionnel, j'ai également pu observer qu'un service culturel universitaire disposait d'un local de répétition entièrement équipé qu'il louait aux étudiants musiciens dans des conditions analogues.

L’espace de l'intérêt général : particularités et limites

33Concernant l'intervention publique locale, bien que quelques initiatives prennent forme ça et là, il apparaît évident que les groupes de rock doivent différer leurs exigences d'égalité de traitement par rapport à d'autres activités artistiques. En attendant, ils n'ont d'autre choix que de se rabattre sur l'une des multiples alternatives exposées dans ce travail. Du point de vue des musiciens, les services municipaux et les élus sont souvent coupables d'ignorance ou pire d'évitement. Ce qui, dans les deux cas, aurait tendance à favoriser leur inertie selon certains musiciens :

Quand l'autre connard de la mairie il dit : « oui, des locaux de répètes il y en a », il a pas totalement tort. Il est en train de dire une connerie parce qu'il sait pas de quoi il parle, mais il a pas totalement tort. Dans le sens où les groupes se sont toujours démerdés pour avoir des locaux. Toujours. Depuis la nuit des temps les groupes se sont démerdés pour répéter. Ça leur a coûté cher, ça a fait partie du deal, de temps en temps y en a un qui trouvait un local gratuit, un autre un local à 4 000. Ça a toujours fait partie du deal et certainement que ça a fait partie du truc. T'en chies un peu, t'apprends à payer de ta personne, etc. [Benjamin, 30 ans, Rmiste, manager, tourneur, musicien de rock expérimental]

34Dans le secteur parapublic, les offres de locaux de répétition restent pour l'heure, elles aussi, largement en dessous des attentes des musiciens. Le modèle dit traditionnel des MJC est saturé, ce qui explique pourquoi les plaquettes de présentation de ces structures n'en font jamais mention. Les séances de répétition « en tranches », présentent quant à elles, le même type de limites exposées plus haut à propos du studio professionnel.

Au final, l'observation ethnographique permet d'identifier un marché des lieux de répétition segmenté en quatre espaces aux logiques distinctes. Ces quatre espaces se divisent eux-mêmes en deux secteurs selon le régime juridique auquel ils appartiennent : d'une part le secteur privé, et de l'autre, le secteur public et parapublic. Le schéma 1 rend compte de cette configuration.

Schéma 1 - Les différents espaces et secteurs de la répétition

Schéma 1 - Les différents espaces et secteurs de la répétition

35En conclusion, il apparaît que les groupes en activité sont massivement contraints de pratiquer leur musique dans des lieux non spécifiquement dédiés à cette pratique. Ce qui constitue un facteur d'encouragement au nomadisme entre les locaux de répétition ainsi que le recours massif au bricolage. Étant entendu que la répétition est l'activité première d'un groupe de rock, elle ne peut toutefois se suffire à elle-même et ne constitue qu'une rampe d'accès vers les activités phares du monde du rock. À savoir donner des concerts et enregistrer des disques.

2. La musique rock comme événement : le concert

36Un concert se traduit par la capacité d'un dispositif à le mettre en œuvre. Pour fonctionner, ce dispositif doit combiner simultanément un certain nombre d'acteurs, de lieux, de cadres et d'équipements. De manière concrète, un concert requiert peu ou prou l'intervention d'un producteur, d'un organisateur, d'un programmateur, d'une régie technique (sonorisation, lumière), de techniciens, d'un lieu, d'une billetterie, d'un débit de boissons, etc.

Je vais ici me centrer plus particulièrement sur ce que l'on appelle l'activité de diffusion d'artistes. Ce terme fait référence à la fois à l'activité de « diffusion » elle-même et à la figure qui lui est associée : le « diffuseur ». Cette bipolarité renvoie quant à elle à trois grands types d'activités/figures que sont : production/producteur, organisation/organisateur, programmation/programmateur. Par producteur, on entend généralement celui qui assure le financement d'un concert. L'organisateur est habituellement chargé de l'organisation matérielle de ce type de manifestation en terme de coordination d'activités et de répartition des tâches. Le programmateur, quant à lui, opère les choix artistiques de l'événement. La cristallisation de ces acteurs culturels dans l'activité de diffusion vise généralement au développement d'un projet culturel.

37Dans le cadre de mon enquête, hormis pour les structures d'économie privée, j'ai pu observer que ces trois activités/figures étaient largement interdépendantes les unes des autres. Elles sont souvent matérialisées sous la forme d'une seule et même entité dont il est quelquefois difficile de démêler les frontières. En règle générale, le producteur est aussi organisateur et il est rare qu'un programmateur se cantonne à cette unique activité et ne participe pas également à l'organisation de l'événement. Entre toutes, ce sont les figures du programmateur et de l'organisateur qui sont les plus clairement identifiables, celle du producteur étant quant à elle, plus implicite, intimement chevillée au corps de l'organisateur. Quoi qu'il en soit, les termes diffusion/diffuseur sont des dénominations génériques particulièrement bien adaptées pour désigner le dispositif que recouvre la mise en œuvre de concerts et des différents paramètres afférents : choix artistiques, financement, organisation matérielle.

38Le cadre général de la diffusion d'artistes consiste en une activité comportant deux types de mouvements. Un mouvement centrifuge tout d'abord, qui vise à mettre en œuvre les conditions du concert de la manière la plus large possible (organisation, promotion...). Un mouvement centripète ensuite, visant à faire converger des spectateurs vers un objet singulier : le concert. À ce stade, pour saisir plus finement ce que recouvre le terme de diffusion, il faut isoler les activités principales permettant à la musique rock de se présenter sous la forme d'un événement. Il est donc temps de se pencher plus spécifiquement sur les activités de programmation et d'organisation de concerts avant de s'intéresser aux lieux et aux cadres au sein desquels ces activités s'exercent.

2.1. Programmer des concerts

  • 19 Il arrive que des programmateurs freelance exercent en région (c'est une figure relativement rare). (...)

39L'activité de programmation est indissociable de la figure du programmateur. Cet acteur culturel a pour tâche de prononcer des choix esthétiques visant à assurer la réalisation artistique d'un concert au sein d'une structure de diffusion19. Sa position constitue de ce fait, un point nodal entre un groupe et une prestation scénique. Les relations entre ces deux extrémités s'effectuent de deux manières : du groupe vers le programmateur et inversement, du programmateur vers le groupe. Dans le premier cas, le groupe sollicite de pouvoir figurer dans la programmation d'une structure de diffusion. Il soumet cette demande à l'appréciation du programmateur. Démarche qu'il lui faut inscrire dans un processus se décomposant en quatre phases essentielles :

  • Identifier les structures de diffusion et estimer dans quelle mesure certaines d'entre elles peuvent être sensibles au genre musical développé par le groupe.

    • 20 L'Officiel de la Musique est un guide-annuaire des musiques actuelles. Il recense 25 000 contacts e (...)

    Identifier le programmateur pour tenter de développer une relation personnalisée. Des guides comme l'Officiel de la Musique20 sont particulièrement précieux à cette fin, mais ne recensent qu'un nombre limité de structures. Il faut donc mobiliser d'autres canaux comme les réseaux d'interconnaissances (les groupes amis qui conseillent un certain nombre de structures et de lieux), la lecture des agendas culturels dans les quotidiens, les périodiques gratuits, la presse spécialisée (pour trouver les lieux où se produisent des groupes de la même mouvance esthétique), etc.

  • Faire parvenir son matériel promotionnel (démo, dossier de presse, photos...) au programmateur en question.

  • Relancer le programmateur (d'où l'importance de bien l'identifier) pour s'assurer qu'il a bien réceptionné le matériel promotionnel.

40Dans le second cas, c'est un groupe qui est sollicité par un programmateur. Ici, c'est la proposition de ce dernier qui est soumise à l'appréciation du groupe. Démarche qu'il lui faut également inscrire dans un processus, mais qui ne se décompose qu'en deux phases principales :

  • Identifier le groupe présumé convenir à sa programmation.

  • Faire une proposition à ce groupe.

Il se crée donc un régime d'attente entre les deux entités qui relève tantôt de l'offre, tantôt de la demande. Chacune des parties peut tour à tour être décisionnaire ou suspendue à une décision externe, bien qu'en règle générale au niveau des groupes régionaux, ce soit plutôt le programmateur qui soit en position de force. Les deux parties évaluent généralement la qualité respective de chacun selon un certain nombre de critères esthétiques, économiques, éthiques et techniques. Les propos du diffuseur ci-dessous rendent compte de critères plutôt techniques :

41Par rapport à la programmation, tu m'avais expliqué comment vous programmiez et la manière dont vous teniez compte d'un certain nombre de paramètres, paramètres des vacances, etc. Tu pourrais revenir un peu sur ça ? Sur la manière dont une programmation s'effectue ?

C'est des facteurs purement techniques. On sait d'expérience que les gens ont des comportements, je dirais, par rapport aux sorties, par rapport aussi au comportement économique et que le calendrier joue sur ce comportement. Sans faire de généralités ou une loi, on peut prévoir de manière empirique que les gens sortent plutôt un peu moins en fin de mois, un peu plus après le 5 du mois, par rapport à des histoires d'argent. Après, les vacances scolaires par exemple, sur une ville comme Nancy ou y a beaucoup d'étudiants, influent sur les sorties de ce public. Le dernier week-end avant les vacances, si on a une programmation qui correspond plus je dirais, à des affinités d'un public étudiant, c'est évident que là on met plus de chances de notre côté pour arriver à toucher ce public là, parce qu'il sera plus tenté de sortir, de manière générale, sur cette période. Après, c'est valable en fonction de chaque esthétique, de chaque période. On sait par exemple que la période Noël, décembre, c'est pas forcément une très bonne période pour programmer. En général les périodes plutôt fastes entre guillemets, se situent entre février-mars et avril-juin, et après y en a une autre entre octobre et fin novembre. C'est des périodes qui sont aussi beaucoup concurrentielles, c'est donc pas les plus évidentes. Il faut tenir compte de ces facteurs, y compris des matches de Coupe du Monde, les élections... ça, c'est des facteurs qui influent. Dire si c'est positif ou négatif, ça dépend du public. Je sais que par exemple, nous à St Dié, le premier soleil c'est une catastrophe, ça tu peux pas le savoir, surtout quand tu places une date quatre mois à l'avance. En revanche, ouais, y a des facteurs comme ça qui ont trait à une connaissance du public, s'il est campagnard, de la ville, de ce qui s'y passe aussi... programmer lors du NJP c'est un peu ridicule de rentrer en concurrence avec des trucs surmédiatisés, à moins que ce soit quelque chose d'extraordinaire. C'est autant de facteurs qui jouent. Donc effectivement, la première ébauche sur le calendrier, c'est déjà de bien mettre en avant quelles sont les périodes de vacances, comment se positionnent les week-ends par rapport aux jours fériés. Est-ce qu'y aura un pont, pas de pont et de réfléchir un peu en fonction du type de concert. Fin de mois et début de mois on fera plutôt des concerts gratuits. C'était le projet de base en décembre, de faire des premières scènes comme on faisait au Caveau, donc de placer là plutôt en fin ou début de mois ces concerts-là parce que beaucoup de gens ont peut-être moins de moyens. Ils font peut-être plus gaffe quand ils sortent et c'est clair que là on lève une barrière d'accès des gens et en même temps, ça permet de faire une vente de l'affiche à venir. Ça c'est vraiment technique. Après les autres facteurs c'est les tournées. Evidemment, si les groupes sont en tournée ou pas, selon leurs disponibilités ou pas etc.

42Il faut jongler avec un nombre extraordinaire de paramètres en fin de compte

Ouais. Il y a pas de formule miracle non plus. C'est plus à terme quand tu commences à connaître un lieu, parce que l'identification du lieu, comment les gens y vont, quel type de gens y vont... C'est pas toujours évident, mais c'est là où on se rapproche d'un travail de programmation pertinent. Le plus pertinent possible. En tout cas, c'est celui vers lequel on tend. [Damien, 26 ans, emploi jeune, organisateur, programmateur de concerts]

À l'activité de programmation succède l'activité d'organisation comme on va le voir maintenant.

2.2. Organiser des concerts

  • 21 Pour connaître en détail l'ensemble des aspects du travail d'un organisateur on se reportera au gui (...)

43Par organisation de concerts, il faut entendre la mise en œuvre de l'organisation matérielle d'un concert. Une activité culturelle reposant à la fois sur des aspects financiers et techniques21. Plus précisément, cette activité renvoie à la figure de l'organisateur de concerts. Le travail de cet acteur culturel se décompose schématiquement en deux moments essentiels après que la programmation ait été établie :

  • Le moment qui précède le concert recherche d'un plan de financement et d'une salle pour le concert, planification de la promotion, de la billetterie, de la sonorisation et des lumières, des autorisations administratives, de l'hébergement, des repas, constitution d'une équipe pour le jour du concert avec une répartition des tâches (techniciens son et lumière, barmen, cuisinier, caissier...).

  • Le moment du jour du concert qui regroupe trois phases temporelles :

44Avant : accueillir le ou les groupes, installation-préparation des techniciens et du groupe (balance, lumières), repas, accueil du public (caisse et bar).

Pendant : s'assurer que le groupe puisse effectuer sa prestation dans de bonnes conditions en relation avec les techniciens.

Après : régler des cachets aux groupes, les raccompagner à l'hôtel, nettoyer la salle, effectuer les dernières formalités administratives.

45Le premier moment, tout en étant probablement le plus important à gérer du point de vue des tâches à effectuer est paradoxalement celui qui nécessite le moins de main-d'œuvre. D'un point de vue technique, deux, voire une personne peut y suffire. Dans la perspective du second moment, il s'agit de parvenir à constituer une équipe sur laquelle s'appuyer le jour du concert. Organiser un concert dans un lieu d'une jauge de 160 personnes nécessite la contribution minimale d'une équipe de sept membres : un à la caisse, un au contrôle billets, un à la cuisine, deux au bar, un technicien son et un technicien lumière.

46À moins de faire lui-même partie de l'équipe d'organisation, le technicien son est souvent employé dans le seul cadre de ses compétences spécifiques. Les autres postes, nécessitant un niveau de compétences nettement moindre, sont interchangeables et répondent le plus souvent aux dispositions des protagonistes qui les occupent ponctuellement ou alors selon les besoins du moment. C'est pourquoi on ne verra quasiment jamais un technicien son balayer la salle après un concert ou faire la vaisselle. Par contre, il est tout à fait envisageable qu'un autre membre de l'équipe d'organisation fasse la cuisine avant de tenir le bar et finisse de passer la serpillière une fois la soirée achevée.

Le travail de l'organisateur consiste donc à coordonner la réalisation effective d'un concert. Les attributs de cette fonction s'établissent selon une gamme d'activités variée. Elle est tributaire du contexte structurel dans lequel elle s'exerce. Pour mieux saisir ce contexte, je vais commencer par établir une typologie des structures de diffusion.

2.3. Les structures de diffusion

  • 22 Dans certains cas, assez rares, il est également possible que l'activité de diffusion s'exerce en d (...)

47J'ai pu dénombrer sept catégories de structures de diffusion développant un projet culturel. Cette typologie renvoie à des régimes juridiques au sein desquels s'exerce l'activité de diffusion22. Il est entendu qu'un régime juridique confère à un collectif le statut d'une personnalité morale.

Structures associatives

  • 23 La question des emplois-jeunes sera traitée dans le chapitre 6, section 3.

48Les structures fonctionnant sous régime associatif figurent très nettement parmi les plus représentées dans le champ de la diffusion. Pour la majorité des associations, l'activité de diffusion est prépondérante. Mais un petit nombre d'entre elles diversifie ses activités et se partage entre : diffusion, fanzine, label discographique, studio d'enregistrement, groupe, militance politique (d'obédience libertaire), animation et activités culturelles (expositions, théâtre, performances, mise en valeur de la culture ouvrière, etc.). En fonction de la taille des concerts qu'elles organisent, ces associations sont fréquemment composées d'un noyau de bénévoles plus ou moins important que les organisateurs parviennent à mobiliser ponctuellement ou de manière régulière. Depuis quelques années cependant, les associations les plus actives tentent de stabiliser leurs activités par la professionnalisation de certains de leurs membres en recourant à des dispositifs d'insertion ou d'emploi aidés de type CES (Contrat emploi solidarité) ou emploi-jeune23.

Collectivités locales

49Certaines municipalités disposent d'un service culturel ou d'un service jeunesse dont le personnel permanent organise des concerts. D'autres, qui en sont dépourvues ou qui estiment ne pas en avoir les compétences, fonctionnent sous la forme d'une délégation de service public en s'appuyant soit sur les associations locales, soit sur les bonnes volontés locales (sous couvert de la municipalité). Les municipalités organisatrices n'établissent que très rarement une programmation répartie sur l'ensemble des mois d'une année civile. La majeure partie d'entre elles « programment » au cours de périodes très précises. Ces manifestations ont essentiellement pour vocation d'animer la ville et de participer à son rayonnement culturel.

50Alors qu'elles s'investissent essentiellement dans la diffusion par le biais du subventionnement, il arrive également que des collectivités territoriales comme le Conseil régional ou les Conseils généraux, à travers les outils de développement culturel que constituent les ADDAM (Association départementale pour le développement des activités musicales) organisent des concerts.

Etablissements scolaires et universités

51Certains établissements scolaires, grandes écoles ou universités voient des étudiants se regrouper en association ou non pour animer des espaces qui leur sont quelquefois dévolus. D'autres encore organisent des concerts ou des festivals dans le cadre de réalisations à faire valoir dans le cadre de leur cursus universitaire. Les lycées d'enseignement général sont aussi quelquefois mis à contribution pour organiser des concerts.

MJC

52Le label MJC est à entendre selon deux acceptions. On a d'une part les structures disposant effectivement de ce label et remplissant les fonctions qui leur sont attachées. Et d'autre part, un certain nombre d'autres structures s'autodésignant sous le nom de MJC sans pour autant disposer des attributs et des moyens (financiers et humains) propres aux MJC du premier type. Abus de langage ou pas, il s'agit fréquemment de lieux municipaux mis à la disposition des associations locales et des jeunes - ce que l'on désignait autrefois comme « foyer des jeunes ».

Établissements pénitentiaires

  • 24 « Les centres de détention de Toul et Ecrouves ont conjointement sollicité l'association Trace Rock (...)

53Aussi surprenant que cela puisse paraître, les maisons d'arrêt et les centres de détention organisent des activités de diffusion à l'intention de leur population carcérale. La programmation et l'organisation de concerts sont généralement confiées à un membre du personnel du service éducatif dans le cadre des activités culturelles de l'établissement. Le programmateur cherche souvent à inviter des groupes susceptibles de satisfaire la frange la plus large de la population pénale. S'il ne dispose pas des compétences suffisantes à cette fin, il s'en remet éventuellement à des diffuseurs locaux24.

Entreprises

54En proportion, les organisateurs de spectacles constitués sous le régime juridique d'une entreprise privée sont très peu représentés. Ces sociétés organisent souvent leurs concerts dans les salles de grande contenance (Zénith, Galaxie...). Elles disposent bien évidemment d'un personnel salarié. Hormis quelques exceptions, les tournées de groupes phares de la scène internationale notamment, le genre musical rock n'y est développé que de manière relativement réduite. En outre, les groupes rock de dimension régionale en restent assez largement exclus.

Écoles de musique

55Diffuser des concerts de rock au sein d'écoles de musique suppose que ces dernières soient préalablement sensibilisées à la problématique des musiques actuelles, au-delà de la question de l'enseignement musical. Pour certaines d'entre elles, la diffusion est avant tout un moyen d'offrir à leurs élèves, une passerelle entre l'enseignement instrumental et la mise en application de cet apprentissage sous la forme d'une prestation scénique. Pour d'autres, il y est davantage question d'organiser des concerts (« masterclass ») de musiciens éminents, reconnus pour leurs qualités techniques, à destination de leurs élèves.

2.4. Les lieux de diffusion

  • 25 L'Officiel de la Musique. 2001. Paris : Irma.

56Les lieux de diffusion se différencient à la fois par leur capacité d'accueil et par leur fonction. Je reprendrai les critères de l'Officiel de la Musique25 pour classer les lieux identifiés selon leur capacité d'accueil. À savoir, moins de 400 places, de 400 à 1 200 places et au-delà de 1 200 places. Concernant la fonction des lieux, je les déclinerai sous trois catégories principales : les lieux spécialisés, les lieux non spécialisés et les lieux polyvalents.

2.4.1. Les lieux spécialisés

  • 26 Il s'avère qu'en fait d'insonorisation, les lieux ont surtout la chance d'être situés dans un envir (...)

57Les lieux spécialisés dans la diffusion d'artistes rock ont trois types de caractéristiques. Premièrement, ils se définissent comme tels, deuxièmement, on y assure une programmation plus ou moins régulière, troisièmement, ils sont a priori insonorisés26. Aucun de ces lieux ne se situe exclusivement dans le seul registre rock, notamment parce que la programmation y est partagée avec des genres musicaux variés. La part laissée au rock y est variable mais indiscutable. Ils se divisent tout d'abord en deux classes relativement à leur jauge : inférieure à 400 places et supérieure à 1 200 places. Ils se déclinent ensuite selon deux catégories distinctes : les salles de spectacles et les discothèques. Je vais maintenant aborder les caractéristiques propres à chacune de ces catégories de lieux.

Lieux de petite contenance (- 400 places)

Petites salles de spectacles

58Le fonctionnement de ces lieux est déterminé par leur biographie, leurs activités ou leurs perspectives du moment. Ils se caractérisent a priori par une programmation régulière et fournie. Certains de ces lieux optent pour une mutualisation de leur équipement. Dans ce cas, leur programmation relève entièrement, ou pour partie, des associations de diffusion locales. De cette manière, leur savoir-faire se trouve enrichi par une pluralité de compétences culturelles. Par ailleurs, il faut noter que la dimension de ces lieux et la proximité qu'elle favorise entre les acteurs est souvent fortement valorisée dans leurs discours :

C'est cool. Pas trop petit, pas trop grand. Ça permet de garder le contact avec le public. C'est vraiment ce type de salles que je préfère, que je sois sur scène ou dans la salle. Quand tu joues, tu peux te balader dans la salle avant et après le concert, les gens viendront te taper sur l'épaule pour discuter. Quand t'y vas pour voir un groupe, c'est toi qui peux aller leur faire la causette. Et puis dans une salle comme ça, si t'as 150 personnes, c'est bondé, mais si le même nombre de personnes vient te voir dans une salle de mille places, t'auras l'impression qu'y a personne. [Conversation avec Jean-Claude, 26 ans, batteur d'un groupe rock fusion, important consommateur de concerts et de disques]

59Outre ces aspects, dans certains de ces lieux, les associations ont la possibilité d'organiser des concerts dans des conditions optimales : pas de frais de location du lieu, système de sonorisation et de lumières sur place, techniciens à disposition, voire équipe de sécurité, tout en conservant quelquefois la gestion du bar. À titre d'exemple, la ville de Nancy, à travers la salle l'Austrasique, va jusqu'à allouer des subventions par concert organisé, pour couvrir un déficit éventuel ou pour permettre de payer les charges salariales des artistes.

60Ces lieux sont adaptés à des genres musicaux dont le potentiel commercial est relativement réduit. Il concerne donc les groupes débutants, qui à travers les opérations « premières scènes » peuvent roder leur répertoire dans des conditions techniques optimales. Mais il concerne également les groupes en développement de carrière qui y trouvent l'opportunité de se produire en première partie d'un groupe plus important. Ou encore de groupes confirmés, dont le rayonnement public reste limité.

61La gestion de l'ensemble des lieux dont il est question ici est assurée par du personnel permanent et salarié sous des intitulés de postes multiples : direction, assistant de direction, chef de projet, chargé de mission, gérant, programmateur, régisseur... et sous des formes contractuelles diverses : Contrat à durée indéterminée (CDI), Contrat à durée déterminée (CDD), emplois-jeunes, objection de conscience.

Discothèques

62Les discothèques sont équipées ou situées de telle façon qu'il est possible d'y diffuser de la musique à haut volume sonore. Si elles sont avant tout des lieux privés dédiés à un certain type de danse, certaines d'entre elles présentent quelquefois la particularité de diffuser des artistes rock. Cette double compétence incite à les classer dans la catégorie des lieux dédiés à la diffusion d'artistes.

Le rapport que les discothèques entretiennent avec le rock est relativement variable. Elles convergent néanmoins sur le principe de la réalisation d'un profit. À ce titre, la musique rock qu'on y diffuse (par disque ou par concert) est avant tout instrumentalisée en tant qu'élément pouvant favoriser un afflux massif de consommateurs.

63S'il s'estime compétent en la matière, c'est le gérant qui établit la programmation artistique des lieux. Le plus souvent cependant, il préfère déléguer cette expertise à un programmateur, voire à une association de diffusion avec les risques de friction inhérents au télescopage d'une logique commerciale avec une logique culturelle :

Quand la boîte ouvre, ils disent : « oui, on va faire toutes les musiques ». James dit à Diane : « si tu veux, nous on te programme un groupe expérimental une fois par mois ». « Oui, oui, très bien, fais-moi une proposition pour les trois prochains mois ». Le premier concert : Tomate. Absolument inconnu. Vachement bien. Un groupe transe avec didjeridoo, des trucs comme ça. Nous on était en tournée en Italie. Ils ont pas fait de promo. Mais pas du tout. Rien. Y a eu 10 personnes, y a eu des problèmes. Bref. On était pas là pour s'en occuper et ça a raté complètement. Ils leur ont pas filé à bouffer. Ils ont traité tout le monde comme des merdes. Ça s'est hyper mal passé. Et ben comme ça, ils ont décidé que tout le reste de la programmation ça dégageait. Qu'est-ce que tu fais dans ces cas là ? Et ben, le premier concert qui vient après et que tu peux plus annuler, tu le prends à ton compte et tu le fais quand même. Et tu te rends compte que comme c'est dans la boîte, il y a encore 10 personnes. Et le mec de la boîte, non content qu'il t'écoute pas, il est limite de t'insulter. Alors ça, ça fait partie des erreurs que les gens ils commettent et que tu prends sur la gueule. Les erreurs que eux ils ont commises, c'est de très, très mal gérer leur salle dès le début.

64Mais il y a un problème d'implication. Toi tu te situes à un niveau alternatif, mais lui, il se situe à un niveau commercial pur

Mais tu sais, même sur le niveau commercial pur, il se vautre radicalement. Croire que tu peux sur du court terme tirer des leçons de ce qui s'est passé, c'est vraiment très grave commercialement. Tout le monde sait qu'une entreprise a besoin d'un rythme de lancement. Tout le monde sait qu'au début ça marche pas. Y a quelques coups d'éclat qui ont marché, mais au début, tu rames. Et surtout, tu commences pas par larguer en cours de route des gens qui ont travaillé gratuitement pour toi. [Benjamin, 30 ans, Rmiste, manager, tourneur, musicien de rock expérimental]

Lieux de grande contenance (+ 1 200 places)

  • 27 Le Zénith appartient à la société Véga, filiale de Vivendi. Le Galaxie est une société anonyme en c (...)

65Si le rock peut trouver asile dans des lieux de très grandes contenances du type Zénith ou Galaxie, c'est essentiellement au travers de groupes phares, de renommée nationale ou internationale, disposant d'un impact médiatique massif. Ces salles peuvent accueillir plus 10 000 personnes. Elles sont gérées par des sociétés d'économie privée27 dont la logique est clairement orientée vers la réalisation d'un profit.

Plus le spectacle amène de monde, plus l'affaire est rentable pour tout le monde, logique implacable. [Carole Revel directrice générale commerciale du Galaxie, lu sur http ://www.le-galaxie.com (consulté le 12 avril 2001)]

On comprendra donc que les gestionnaires de lieux privés cherchent à réduire au maximum les risques financiers de leur entreprise. Comme pour les petits lieux, les gérants peuvent eux-mêmes produire des concerts, mais dans la majeure partie des cas, ils louent la salle à des associations, des entreprises ou des institutions. Ce qui a évidemment pour effet d'exclure les groupes à potentiel commercial réduit.

66Ce qui pourrait être une tautologie est néanmoins contredit par les opérations-tremplins qui voient de tels lieux investis par des groupes qui figurent probablement parmi les plus novices qui soient (entre 0 et 2 ans d'existence et n'ayant pour la majorité d'entre eux, jamais donné de concert). Ainsi, à titre d'exemple, la 7e édition du festival « Rock Lycée » a eu lieu au Zénith courant 2000. Ce tremplin, présentant 8 groupes, s'est déroulé devant 3 000 personnes. Le Conseil Régional de Lorraine, dans le cadre de la Mission An 2000, a quant à lui organisé le festival des « Musiques lycéennes », présentant 16 groupes devant un parterre équivalent. D'où l'idée que la proéminence du cadre sur l'entité groupe peut quelquefois favoriser la réalisation d'un événement d'envergure en des lieux qui ne lui sont pas destinés a priori.

2.4.2. Les lieux non spécialisés

67Les lieux évoqués dans cette section ne sont pas initialement dédiés à la diffusion d'artistes. Il s'agit de lieux au sein desquels la diffusion reste une activité tout à fait annexe - par rapport à l'activité principale du lieu - et souvent très ponctuelle. À ce titre, sauf exception, ils ne disposent d'aucun équipement technique (matériel ou humain) nécessaire à la diffusion. Leur jauge est, par ailleurs, généralement inférieure à 400 places. Ils appartiennent donc à la classe des lieux de petite contenance. On peut les isoler en six grandes catégories dont je vais respectivement présenter les caractéristiques propres.

Lieux de petite contenance (- 400 places)

Bars et les cafés

68Les bars et les cafés figurent souvent parmi les lieux de diffusion les plus représentés sur un territoire donné. En tant que débits de boissons, ils sont le plus souvent inadaptés à la diffusion de musique amplifiée car ils ne sont pas équipés à cette fin. Concernant la programmation, on y observe sensiblement le même type de fonctionnement que celui qui a été décrit plus haut dans la partie consacrée aux discothèques. En effet, les concerts y relèvent davantage d'un projet économique que d'un projet culturel. Là aussi, elle peut-être effectuée par le gérant du lieu, par un programmateur ou encore par une structure de diffusion.

Les bars offrent souvent des conditions d'accueil Spartiates : un coin dans la salle, quelques boissons, un repas dans le meilleur des cas. Pas d'équipement acoustique, pas de scène, pas de sono ni d'éclairages et encore moins de loges. Ce sont majoritairement des lieux où les groupes disposent d'un confort se résumant à une prise électrique et à un abri.

  • 28 J'ai vécu personnellement des situations où un limonadier refusa d'adresser la parole aux musiciens (...)
  • 29 Nombre de programmateurs sont également musiciens où l'on été à un moment de leur vie.

69Si une certaine incompréhension peut quelquefois opposer un groupe à un patron de bar28, la présence d'un médiateur (programmateur ou organisateur de concerts) peut permettre d'atténuer les tensions, essentiellement par la connaissance du premier et des réalités du second29. Cette position intermédiaire peut aboutir dans certains cas à élever le niveau de responsabilité des patrons de bar à l'égard des groupes accueillis :

Le patron assure 1 500 balles au groupe, leur file un repas le soir et le p'tit déj le lendemain, paie l'hôtel. C'est pas génial, mais c'est déjà mal. Nous tout ce qui reste à faire c'est s'occuper du groupe, mettre quelques affiches en ville, accueillir les mecs, les aider à monter leur matos, les ramener à l'hôtel, les chercher le lendemain pour le p'tit déj. C'est pas pourri. Bon c'est sûr la salle est toute petite et on y crève de chaud, mais ça dépanne. C'est mieux que d'avoir un day off [jour sans concert] sur une tournée. Tout le monde est content en général. Les groupes parce qu'ils jouent et qu'ils vendent quelques t-shirts et quelques disques, moi parce que je me fais plaisir et que ça me coûte rien et le patron parce qu'il rentre du blé sur des soirées comme ça. Comme c'est gratos, y a toujours plein de monde qui passe, ça picole un max c'est sûr. (Conversation avec Harry, 30 ans, diffuseur et tourneur]

  • 30 Les cachets sont le plus fréquemment versés au noir.

70Le risque financier encouru pour un patron de bar qui reçoit des concerts dans son établissement est souvent extrêmement réduit, voire nul. Les cachets sont négociés selon deux formules30. Soit au pourcentage des recettes de la soirée (difficilement vérifiable pour un groupe), soit selon un cachet fixe compris entre 46 et 457 €. Malgré des conditions techniques, humaines et juridiques variables, le concert en bar reste incontestablement une aubaine pour l'ensemble des parties en présence.

71Les patrons de bar rentabilisent rapidement un investissement somme toute modéré et leur bar bénéficie ensuite de retombées médiatiques significatives désignant leur établissement comme un lieu « branché ».

Moi ça me coûte pas grand chose. Je paie le groupe et je leur offre de quoi manger et à boire. S'il y a du monde, je rentre largement dans mes frais. S'il y en a pas et c'est rare, je me rattraperai la fois d'après. Je prends toujours des groupes du coin, comme ça ils ramènent tous leurs copains. C'est pas encore arrivé que je me sois planté. Les fans de metal ils ont de toute façon pas d'autres endroits où jouer. [Conversation avec Jean-Lou, la quarantaine, patron de bar dans les Vosges]

72Les programmateurs ou les associations peuvent y trouver un lieu de programmation assez peu contraignant et ainsi offrir à des groupes des solutions de dépannage qui se révèlent être particulièrement attractives pour un programmateur :

Je bosse avec un tourneur hollandais. Il case ses groupes en Europe comme il peut et me propose ensuite les days off de ses groupes qui sont dans le coin. Comme de toute façon il est pas possible de placer ces groupes dans une salle normale en France, je me les récupère, mais à mes conditions. Un groupe qui demande 5 ou 6 000 balles, je le touche à 1 500. Pour eux ça vaut toujours mieux que de rien avoir et d'avoir à payer la bouffe et l'hôtel. [Conversation avec Harry, 30 ans, diffuseur et tourneur]

73Les groupes trouvent dans les bars un terrain d'accueil souvent précieux pour se produire en public. Les groupes récemment créés et débutants notamment, peuvent y fourbir leurs premières armes et toucher leurs premiers cachets.

Écoute, moi c'est mon troisième groupe et à chaque fois on a commencé par jouer dans les bars. J'ai joué dans des vraies salles, c'est sûr, mais le gros des concerts c'est quand même dans des petits rades comme celui-là... C'est pas compliqué, y a que ça pour les petits groupes. C'est ça ou tu joue pas c'est clair. Quoiqu'on dise, le bar, c'est la liberté. [Conversation avec Nico, 27 ans, guitariste d'un groupe hard rock, rencontré dans un bar à Metz]

Si la majorité des groupes démarrent leur carrière publique dans les bars, aucun d'entre eux, hormis quelques prétendants à l'intermittence, ne songe réellement à la prolonger dans ce seul créneau. Le bar n'est jamais qu'une étape en attendant de pouvoir se produire dans des conditions plus favorables.

Établissements pénitentiaires

74Les établissements pénitentiaires sont incontestablement des lieux de diffusion. Néanmoins, il faut prendre en considération le fait qu'il s'agit de lieux fermés. Seule la population pénale peut y avoir accès. Il s'agit donc de lieux de diffusion particuliers.

Établissements scolaires et universités

75Universités, écoles d'ingénieurs et de commerce peuvent être quelquefois les supports physiques à l'organisation de certains concerts. Elles sont tributaires à la fois de la dynamique de certains élèves ou associations d'élèves qui décident de les organiser et des lieux mis à leur disposition à cette fin (caveau-bar, maison des étudiants, foyer ou encore amphithéâtres et salles de cours aménagés pour l'occasion).

Squats
  • 31 Hein, F. 2003. Hard Rock, Heavy Metal, Metal. Histoire, cultures et pratiquants. Clermont-Ferrand/P (...)

76Certaines friches industrielles ou bâtiments inoccupés privés ou publics peuvent faire l'objet d'une réquisition par des acteurs locaux souhaitant y produire des événements. Ces endroits ne sont pas des lieux squattés de manière permanente, il s'agit plutôt de lieux investis ponctuellement le temps d'un concert. Les justifications de ce type de démarche s'articulent principalement autour de la volonté des acteurs de mettre la création artistique à distance des institutions et des exigences commerciales. Une logique libertaire en somme, principalement véhiculée par des fans de musique punk et crustcore31, animée par le refus d'un profit quelconque. Évidemment, ces lieux sont certainement les moins bien équipés de tous ceux évoqués dans cette recherche. Sans vouloir être trop caricatural, ils se résument le plus souvent à quelques prises électriques et à des murs mêlant ferraille et béton.

77Les programmateurs de ce type d'endroit cherchent avant tout à produire des concerts de groupes partageant leur vision du monde. En d'autres termes, ils attendent que les groupes acceptent l'idée de se produire dans des conditions techniques minimales, renoncent à la perspective d'un cachet pour un simple défraiement englobant carburant et repas, mais également qu'ils ne soient pas affiliés à la Sacem (Société de gestion collective du droit d'auteur pour la musique) par exemple. Ces concerts sont donc dégagés de toutes contraintes administratives et reposent sur l'implication active de tous les intervenants. Le caractère « sauvage » et illégal de tels événements n'est évidemment pas sans poser un certain nombre de problèmes à leurs organisateurs, notamment en ce qui concerne les rapports avec les forces de l'ordre.

Auditoriums Fnac

78Les auditoriums Fnac accueillent des groupes rock dans le cadre d'opérations de promotion partenariales. Très mal insonorisés, ces lieux se prêtent difficilement à la diffusion de musiques amplifiées. De ce fait, ne s'y produisent généralement que les groupes ne nécessitant pas de développer un haut volume sonore, ce qui exclut les groupes de hard rock, hardcore, punk, metal et affiliés... Par ailleurs, il est intéressant de noter que ceux qui s'y produisent ne touchent pas de cachet pour leur prestation. Les groupes doivent donc se satisfaire de la « couverture » médiatique et promotionnelle offerte par la Fnac et son réseau de partenaires.

79Et quand vous jouez à la Fnac vous faites un set entier ?

Non, c'est 20, 30 minutes maxi. À fond. Les morceaux sont sélectionnés pour que ça trace. Avec les risques que ça comporte. À Belfort y avait les cadres qui se décrochaient. Le directeur était planté au milieu et faisait : « arrêtez, arrêtez ! ». « Vous prenez vos responsabilités, moi je triche pas avec les gens ». On va pas jouer avec des petites cuillères. À Belfort c'était grave. C'était des cloisons en contreplaqué. Ils ramassaient leurs cadres. C'est dommage qu'à la base ils aient pas pensé à adapter leurs forums. [Barthélemy, 40 ans, Rmiste, manager, responsable de production discographique]

2.4.3. Les lieux polyvalents

80Les lieux polyvalents ne sont pas initialement dédiés à la diffusion d'artistes. Il s'agit de lieux au sein desquels la diffusion reste dans le meilleur des cas, une activité parmi d'autres, mais où elle est plus généralement une activité secondaire, voire une activité tout à fait annexe par rapport à l'activité principale du lieu. À ce titre, l'équipement technique (matériel ou humain) dont disposent ces lieux pour la diffusion est variable. Par ailleurs, il va de soi qu'aucun de ces lieux ne se situe exclusivement dans le seul registre rock. La programmation y est partagée ou ouverte à des genres musicaux variés. Mais la part laissée au rock y est indiscutable. Ils se divisent en deux classes distinctes : celle des lieux de petite contenance (inférieure à 400 places) et celle des lieux de contenance moyenne (400 à 1 200 places). Et on peut ensuite les décliner en cinq catégories. Je vais aborder maintenant les caractéristiques propres de chaque catégorie de lieu polyvalent.

Lieux de petite contenance (-400 places)

MJC

81J'ai déjà expliqué plus haut le rôle des MJC dans le processus de développement du rock en France. Les MJC ont très tôt considéré l'activité de diffusion comme étant l'une de leurs missions. Elles l'envisagent essentiellement selon deux logiques, non opposées et plutôt complémentaires, de démocratisation culturelle (accès à l'œuvre, élargissement des publics) et d'éducation populaire (incitation à l'initiative).

Lieux culturels

82Les lieux culturels se distinguent des centres culturels par leur caractère plus autonome à l'égard des collectivités publiques, ce qui leur permet également de développer des projets plus expérimentaux sous un minimum de contraintes.

Lieux de contenance moyenne (400 à 1 200 places)

Salles polyvalentes

83Parmi les lieux les plus traditionnels où se tiennent des concerts, on trouve les salles dites « polyvalentes » ou « des fêtes ». Elles ont des vocations multiples : concerts, théâtre, repas, mariages, conférences, expositions, réunions, sport, etc. Selon des dimensions variables qui justifient d'ailleurs qu'on les situe dans des lieux de capacités moyennes, un grand nombre de villes et de villages disposent d'un équipement de ce type. Leur exploitation est assurée soit directement par les services municipaux, soit par les associations locales. En tous les cas, l'activité de ces lieux est étroitement tributaire de la dynamique locale.

Centres culturels

84Les centres culturels sont des lieux d'économie publique qui dépendent le plus souvent des municipalités ou d'un groupement de communes qui en assurent le fonctionnement. Ils sont donc toujours implantés dans des villes moyennes ou dans des secteurs géographiques où la population est relativement dense. Contrairement aux salles polyvalentes qui peuvent accueillir tous types de manifestations, les centres culturels sont exclusivement dédiés à la programmation « culturelle ». Au regard des plaquettes présentant la programmation de ces lieux, il apparaît qu'ils semblent davantage privilégier des formes d'expression autres que rock, ou alors, restent centrés sur des têtes d'affiches nationales excluant les groupes régionaux de moindre envergure.

Lieux-événements en extérieur

85Il est impossible de terminer ce tour d'horizon sans évoquer les manifestations de type festivals ou autres, ayant lieu en extérieur. Particulièrement difficiles à intégrer dans des catégories de taille, du fait de jauges difficiles à évaluer, elles ont un caractère mobile (le lieu n'est pas toujours le même d'année en année) et éphémère (le lieu de l'événement est investi de manière ponctuelle). Ces manifestations peuvent se tenir à de multiples endroits : parcs municipaux, quartiers, abords d'un village, etc. Elles se présentent sous la forme de scènes mobiles, chapiteaux ou podiums de taille variable.

86Comme ces lieux-événements ont une durée de vie très courte et une stabilité relative (éventuellement renouvelable d'année en année) ils ne se désignent jamais par un lieu physique, mais plutôt par un cadre. Il s'agira tantôt de festivals, tantôt d'animations culturelles émanant de municipalités, sans oublier l'événement de dimension nationale que constitue la « Fête de la musique ».

87De manière globale, la concentration des lieux de diffusion au sein des zones urbaines constitue une évidence. À ce titre, la présence de bars et de lieux polyvalents proposant de la diffusion en milieu rural relève probablement d'un processus de compensation visant à inverser la carence en lieux de diffusion spécialisés d'un autre type. Il est utile de rappeler que ces lieux sont totalement indissociables de la dynamique des structures de diffusion et des acteurs qui les mobilisent. Tout comme ils sont indissociables des cadres de la diffusion.

2.5. Les cadres de l'activité de diffusion

  • 32 Pour l’histoire des premiers concerts caritatifs dans le monde du rock, on se reportera à Benetollo(...)

88L'activité de diffusion vise à mettre en présence un artiste et un public. Cela en constitue le cadre commun. Cependant, rien n'empêche que ce type de manifestation soit traversé par un certain nombre d'autres éléments de justification pouvant lui donner sens. Il peut par exemple devenir le support d'un certain nombre d'actions dont le concert caritatif est probablement devenu l'archétype dès 198532. Le « détournement » de la fonction du concert pour servir d'autres fins que celles auxquelles on le destine habituellement le conduit à n'être plus qu'un simple support au cours duquel la musique devient un moyen. Ainsi, par effet de superposition, le cadre commun de la diffusion - inscrit dans rapport fonctionnel binaire et symétrique (concert = artiste <--> public) - se traduit alors sous une forme renouvelée et triangulaire. Le cadre général de la diffusion se voit relégué en arrière-plan au profit d'un cadre supérieur aux fonctions spécifiques (fonction-> concert). C'est de ces différents cadres dont il va être question ici. Ou plus précisément de leurs fonctions. Car les fonctions fixent le cadre. Comme on peut le voir dans le schéma 2, outre le cadre commun que je viens de développer, j'ai pu identifier quatre grandes catégories de cadres additionnels : le cadre utilitaire, le cadre rituel et festif, le cadre d'évaluation et le cadre socioculturel.

Schéma 2 - Les différents cadres de l'activité de diffusion, leurs fonctions et leurs principaux promoteurs

Schéma 2 - Les différents cadres de l'activité de diffusion, leurs fonctions et leurs principaux promoteurs

2.5.1. Cadre utilitaire

89La fonction utilitaire d'un concert s'observe dès lors que ce dernier sert un objet excédant le seul rapport entre un artiste et un public. À ce titre, elle est très certainement transversale à toutes les catégories de fonctions dont il va être question ici. Toutefois, elle peut se mesurer plus finement. Notamment lorsque l'activité de diffusion est au service d'un projet spécifique. C'est-à-dire, lorsque le concert est réduit à n'être plus qu'un simple outil. Cette fonction utilitaire se décline alors généralement en trois grandes catégories suivant l'intention des utilisateurs : réaliser un projet scolaire, animer un événement et diffuser des idées.

Les projets scolaires

90Il arrive que certains étudiants (issus d'écoles ou de filières universitaires spécifiques) organisent des concerts dont la fonction vise à concrétiser un projet scolaire. En règle générale, les étudiants concernés utilisent la diffusion comme une manière d'allier la nature obligatoire d'une séquence de formation avec des penchants personnels pour le rock [cf. flyer pour le « Rock Lycée », organisé par Sup'Est, école de cadres commerciaux, Nancy, 2002, ci-après]. Dans ce cas, les projets scolaires touchent quatre domaines principaux que sont la culture, la communication, les techniques de gestion et les techniques de commercialisation.

Flyer : « Rock Lycée », organisé par Sup’Est, Nancy, 2002

Flyer : « Rock Lycée », organisé par Sup’Est, Nancy, 2002

L'animation culturelle

91La question du concert rock en tant qu'animation ponctuelle est une valeur refuge pour plusieurs types d'institutions telles que les municipalités, qui, dans le cadre de leur politique culturelle, espèrent ainsi toucher une large frange de leurs concitoyens. On peut prendre pour exemple la multitude de concerts organisés chaque année dans certains quartiers de grandes agglomérations ou dans des petits villages en milieu rural [cf. flyer Music'o Village, 2001, ci-dessous]. Le concert rock en tant qu'animation sert également les associations de quartier ou de village lors de leurs kermesses, brocantes ou vide greniers. Tout comme il peut être mobilisé par une association de commerçants désireux d'animer leur ville.

Flyer « Music’o Village, 2001

Flyer « Music’o Village, 2001

L'engagement politique et social

92L'outil concert est fréquemment mobilisé par un certain nombre de structures associatives ou syndicales dans le but de propager des idées, soutenir une cause et/ou recueillir des fonds. On a ainsi vu apparaître des concerts en faveur de la lutte contre des maux comme le sida (AIDES) ou la faim (Restas du Cœur). Des concerts visant à sensibiliser l'opinion à des problèmes sociaux comme l'exclusion (Nuit de la Solidarité avec les SDF), le don d'organes (Esilog) ou la toxicomanie (Pushing), etc. On a également vu fleurir des concerts à teneur plus directement politiques et idéologiques en faveur des Droits de l'Homme [cf. flyer ci-dessous, 2003], du Tibet [cf. flyer ci-après, 2001], de collectifs anti-fascistes, de collectifs libertaires, du RIF (Rock identitaire français), de la légalisation du cannabis (Festival Euphoriant) et bien évidemment de syndicats (notamment à travers la traditionnelle fête du1er mai).

Flyer « Looping 101% Rock », concert pour les Droits de l’Homme, 2003 & Flyer « Festival Tibert Libre », 2001

Flyer « Looping 101% Rock », concert pour les Droits de l’Homme, 2003 & Flyer « Festival Tibert Libre », 2001

2.5.2. Cadre rituel et festif

93La fonction rituelle et festive d'un concert rock se manifeste lorsqu'il sert à raviver ou à pérenniser la tradition d'une communauté. Le concert est alors un outil rassembleur. Cette fonction rituelle et festive se décline en quatre grandes catégories suivant la nature de leurs promoteurs : le monde de la mécanique, le monde de la glisse, les fans des sixties et l'Etat culturel.

Le monde de la mécanique

94Historiquement, le rock a toujours été très lié au monde de la mécanique. Qu'il s'agisse d'auto ou de moto. Comme partout ailleurs, les rassemblements (concentrations) de motards ne sauraient se dérouler sans concerts de rock. Ils sont majoritairement organisés au sein de moto clubs.

Flyer d'une manifestation organisée par le chapitre des Baroudeurs 57, Knutange, 2000

Flyer d'une manifestation organisée par le chapitre des Baroudeurs 57, Knutange, 2000

95De la même manière, les manifestations visant à mettre en scène des voitures américaines des années 50 à 60 s'accompagnent elles aussi toujours de rock'n'roll.

Plaquette de présentation de l'« American Show », Pagny-sur-Moselle, 1999

Plaquette de présentation de l'« American Show », Pagny-sur-Moselle, 1999

Le monde de la glisse

96À l'instar du monde de la mécanique, le monde de la glisse est lui aussi très lié au monde du rock. Pas une vidéo de skate-board, de surf ou de snow-board sans musique rock en bande son par exemple. On observe ainsi par exemple la réunion d'associations de diffuseurs et de skate-boarders pour organiser la tenue de rencontres autour de cette discipline sur fond musical.

Flyer du festival « Skatecontest », association Rock Epine, Epinal, 2001

Flyer du festival « Skatecontest », association Rock Epine, Epinal, 2001

Les fans des sixties

97Phénomène en expansion, les anciens rockers reviennent parfois aux affaires. On voit fleurir ici ou là des associations impliquées dans la promotion du rock des sixties à travers l'organisation d'un certain nombre de manifestations (festivals, concerts, etc.). Celles-ci sont directement destinées aux musiciens des années 60, aujourd'hui âgés de 50 à 60 ans environ. Dans ce cadre propice, ces derniers reforment leurs anciens groupes ou en créent de nouveaux, répètent, se produisent en public et projettent quelquefois d'enregistrer le disque qu'ils n'ont pas enregistré à l'époque. Dynamisée par l'organisation de plusieurs festivals ayant regroupé des groupes nancéiens des années soixante reformés pour l'occasion, l'association Rock'n Lor est une illustration exemplaire d'un attachement au rock sur le long terme.

98

Programme du festival « Rock'n Lor », Nancy, première de couverture, 2001 & flyer « Soirée dansante sixties, association Rock'n Lor, 2003

Programme du festival « Rock'n Lor », Nancy, première de couverture, 2001 & flyer « Soirée dansante sixties, association Rock'n Lor, 2003

L'État culturel

99Le caractère fondamentalement démocratique de la fête de la musique constitue assurément une excellente occasion de rassembler les citoyens d'un pays autour d'un événement culturel. Son efficacité technique est aujourd'hui incontestable si on la mesure à sa fréquentation et à sa vitesse de propagation dans d'autres pays européens. Ce rituel annuel mis en œuvre par l'État culturel au début des années 80 contribue activement à la mise en présence d'un public massif de citoyens avec une quantité non moins massive de citoyens musiciens. Pour un groupe de rock, cette manifestation constitue probablement l'opportunité la plus franche de pouvoir se produire en public. Et à l'inverse, pour certaines personnes, elle peut également constituer la seule occasion de voir un groupe de rock en action.

2.5.3. Cadre d'évaluation

  • 33 Ehrenberg, A. 1991. Le culte de la performance. Paris : Calmann-Lévy. Coll. Pluriel, p. 13. Il faut (...)

100La fonction d'évaluation d'un concert rock est identifiable dès lors qu'il consiste en une épreuve soumise à l'appréciation d'un jury visant à établir une hiérarchie entre artistes et à récompenser le plus méritant d'entre eux. Le concert est alors un outil de sélection et partant, de mise en compétition. Ainsi, au travers d'une multitude de tremplins, sélections, concours et autres « marathons » rock, le concert peut être quelquefois l'outil d'une compétition qui, comme le notait Alain Ehrenberg, s'est progressivement installée et généralisée « dans le paysage imaginaire français33 » au cours des années 80. Cette fonction d'évaluation se décline en deux grandes catégories suivant la nature des gratifications qu'elle offre. Premièrement, on trouve les tremplins locaux s'adressant principalement aux groupes débutants et/ou peu expérimentés à qui on offre leurs premières expériences musicales (scènes, enregistrements, formations, etc.). Deuxièmement, on trouve les tremplins nationaux conduisant à la participation à des festivals prestigieux et recrutant des groupes relativement expérimentés ayant généralement dépassé le stade du premier niveau de compétition.

Les tremplins locaux

101Un certain nombre de tremplins locaux opposent des groupes pour l'attribution d'une récompense. La participation à ce type d'événements est conditionnée par un certain nombre de modalités présentées ci-dessous :

Pour participer, c'est simple, il suffit de jouer dans un groupe et de nous envoyer une petite démo K7 ou CD (même pourrie) avec bio du groupe et de chaque membre + photos et contacts (en bref tout ce qui peut nous aider). [Modalités de participation au Rock'en'Stock Festival organisé par l'IUT de Saint-Dié]

Pour une candidature : envoyer une maquette (K7, CD...) même si le son est pourri + petit descriptif du groupe : nombre de musiciens, date de naissance du groupe, instruments utilisés, répertoire (reprises, compositions, titres déposés à la Sacem), style de musique et expérience scénique. [...] C'est pas grave si vous n'avez pas de maquettes, c'est juste pour nous faire une idée avant les auditions car la sélection se fait pendant un week-end de janvier/février où on auditionne tous les groupes postulants. 15 minutes en comptant l'installation, les réglages, autant dire que c'est super court et qu’il faut être rapide, efficace pour s'installer, et percutant pour ressortir du lot par rapport à la vingtaine de groupes qu'on auditionne dans la journée... Question matos, normalement tout est prévu sauf guitares, basses, matos particuliers (harmonica, claviers, cuivres, effets...), et on aime bien que le batteur ne démonte pas entièrement notre batterie en s'installant, le groupe perd du temps sur son temps de jeu et ça nous énerve grave, un mec qui vient avec sa caisse claire, son charley, sa double pédale... Normalement baguettes et cymbales suffisent... [Modalités de participation au festival Ramdam organisé par l'ENSEM à Vandœuvre]

Flyer d'appel à candidature pour le festival « Rock Lycée », Nancy, 2001

Flyer d'appel à candidature pour le festival « Rock Lycée », Nancy, 2001

102La majorité des participants à ces concours sont de manière quasi exclusive, des groupes débutants. Leur premier niveau de récompense tient à la possibilité de pouvoir se produire sur scène dans des conditions professionnelles :

L'organisation met à la disposition des groupes sélectionnés une scène entièrement équipée son et lumière. L'accueil est le même que pour un groupe « professionnel ». [Extrait du texte de présentation du festival Scène en construction, organisé par la MJC de Saint-Avold et l'ASBH (Association Sociale du Bassin Mouiller)]

103Un second niveau de récompense tient en l'attribution d'autres prix :

Ces groupes se produisent ensuite pour le festival lui-même dans des conditions professionnelles devant un jury de pros et tout le public qu'ils auront pu ramener. Les critères de notation vont de la présence scénique à l'originalité, en passant par la technique et quelques autres... À la fin de la soirée, les juges établissent, selon leur notation, un classement général et les trois premiers se voient attribuer un prix : le premier choisi entre une semaine d'enregistrement au studio H YTECH, un stage d'été au Music Academy International (M.A.I.) et un bon d'achat dans un magasin de musique. Le suivant choisit entre les deux prix restant, etc. (Extrait du texte de présentation du festival Rock Lycée organisé par l'école Sup'Est à Nancy]

Pour la moitié des tremplins, la récompense la plus élevée consiste en un séjour d'une durée variable (un jour/une semaine) en studio d'enregistrement. Les autres prix consistent en des stages de formation, des bons d'achat, la création d'un site web, d'un CD-Rom ou d'un clip vidéo.

Les tremplins nationaux

  • 34 Curieux retour en arrière puisque après avoir longtemps décentralisé ses compétences en région, le (...)

104Les tremplins les plus courus et les plus prestigieux sont de dimension nationale et sont mis en œuvre par le Printemps de Bourges et les Eurockéennes de Belfort. Le festival du Printemps de Bourges présente chaque année des groupes « découvertes » provenant de chaque région française. Jusqu'à l'édition 2000, les groupes ont été sélectionnés sur des bases sensiblement identiques à celles décrites précédemment. Un premier tri était effectué sur la base d'une écoute d'un support audio, puis les groupes retenus se produisaient en public, à l'issue de quoi le jury opérait une nouvelle sélection visant à déterminer le groupe lauréat. Une nouvelle procédure a cependant été initiée en 2001. Les groupes finalistes sont dorénavant filmés pendant leur prestation locale, sur la base de quoi ils sont ensuite évalués au siège du Réseau Printemps à Paris34. Quoiqu'il en soit, les groupes retenus ne sont généralement plus des novices. Ils disposent d'un répertoire relativement rodé, ont déjà réalisé un certain nombre de concerts et autoproduit un ou plusieurs disques. Les retombées de cette opération (concerts, promotion, enregistrement...) s'étendent sur une durée pouvant aller jusqu'à six mois. Par conséquent, elles ne s'inscrivent pas seulement dans le cadre d'une compétition, mais également dans le cadre d'une aide au développement de carrière.

Flyers d'appel à candidature pour les festivals « Printemps de Bourges », et « Eurockéennes, 2002

Flyers d'appel à candidature pour les festivals « Printemps de Bourges », et « Eurockéennes, 2002

Les tensions inhérentes à la compétition

105Ces opérations sont souvent à la base de nombreuses polémiques. La remise en cause des critères d'évaluation, des compétences du jury peut affleurer parfois. Elle provient généralement des groupes engagés dans le processus mais également du public comme l'illustrent les deux exemples ci-dessous :

[Un musicien passablement énervé par son éviction] Et la Nathalie : « ouais, mais l'année prochaine... ». Elle commençait déjà à me dire que l'année prochaine ce serait truqué. Je lui ai dit : « arrêtes où je vais te tuer ». C’est terminé pour nous les concours. Le dernier qu'on a fait c'était juste pour rire, pour voir, pour les Eurockéennes. On n'a même pas passé la présélection. Que des gens qu'on connaît dans le jury. Avec notre dernier trois titres, qui est quand même un disque de qualité. Quand t'as le pouvoir de distribuer des bourses autour de toi, il faut réfléchir à ce que tu fais. Pas dépenser l'argent public comme ça, n'importe comment. Pour moi c'est terminé. Ce qui ressemble à des concours, c'est fini. En plus, tu fais toujours ça pas dans le but de te mesurer aux autres, mais parce que tu te dis que ce qu'il y a à gagner, ça pourrait vraiment t'aider. Tu fais pas une découverte avec un groupe qui a fait quatre concerts dans sa vie. Faut être sérieux. [Benjamin, 30 ans, Rmiste, manager, tourneur, musicien de rock expérimental]

Je trouve cette sélection assez débile aussi et je parle du même groupe que Fred qui n'est autre que SLIVER, en tous cas, moi je dis qu'il y a du COPINAGE là-dedans ! ! ! Parce que retenir un groupe comme ça... avec un tel niveau technique ! ! ! Je sais, je suis mauvaise langue et je vais aussi peut-être passer pour un salaud, mais bon, je peux pas m'en empêcher, je les ai vu deux ou trois fois, et à chaque fois, j'étais navré pour eux... Quand je vois qu'il y a des groupes comme TAHITI BOB, BYG 1, SHATAWAK, et plein de super-groupes qui se cassent le cul sûrement plus que certains dans cette putain de région, il y a de quoi être démoralisé... Voilà, c'est tout ce que j'avais à dire, en espérant qu'un membre du RAMDAM lise ce message... [Lu sur un site Internet à propos de la sélection du Ramdam 2001]

2.5.4. Cadre socioculturel

  • 35 Teillet, P. 1991. Une politique culturelle du rock ? In Mignon, P, Hennion, A. Sous la dir., op. ci (...)
  • 36 Opérations très nettement distinctes de l'animation culturelle décrite plus haut.

106La politique culturelle de l'État en direction des pratiques rock, enclenchée dès 1981, s'est notamment accompagnée d'une prise en compte accrue du secteur des « musiques actuelles »35. Ce qui s'est traduit concrètement par l'intervention de services décentralisés de l'Etat ou de collectivités locales et territoriales sous la forme d'opérations de soutien aux pratiques36. Dans ce climat a priori favorable au rock, on peut observer plusieurs types d'opérations à tonalité socioculturelle visant à encourager la diffusion d'un certain nombre de groupes. La fonction socioculturelle d'un concert rock s'observe dès lors qu'il est envisagé comme une aide au développement de carrière. Le concert est alors un outil de promotion culturelle. Cette fonction socioculturelle se décline en deux grandes catégories suivant la nature du projet qu'elle recouvre : premières scènes, soutien et développement de carrière.

Les premières scènes

107Pour des groupes de rock débutants, la fête de la musique et les tremplins locaux constituent souvent les seules opportunités de se confronter au public. Pour palier à ce déficit, certaines structures de diffusion locales ont inventé les « Premières Scènes ». Une formule permettant à des groupes débutants de se produire dans des conditions techniques optimales (sonorisation, éclairages et techniciens). Une expérience d'autant plus pertinente qu'elle vise à familiariser les musiciens avec les usages de la scène.

Programme de l'Austrasique, septembre-décembre 2002, p. 23

Programme de l'Austrasique, septembre-décembre 2002, p. 23

Le soutien et le développement de carrière

108Les promoteurs des dispositifs de soutien et de développement de carrières peuvent être des associations locales, des collectivités locales et territoriales, des services déconcentrés de l'Etat, des structures commerciales ou des organismes tels que la Sacem. On peut citer plusieurs exemples. Courant 2001, la ville de Nancy a lancé un dispositif d'accompagnement et de soutien intitulé « 6 Tournants Nancy Tour ». Son objet visait « à permettre à des artistes de bénéficier d'un ensemble de connaissances techniques, artistiques, d'environnement économique et professionnel et de santé publique, afin de faire progresser leur démarche artistique et ce, quelle que soit la finalité de la démarche (pratique amateur ou professionnalisation) ». La validation de la formation et la mise en pratique des acquis techniques s'est traduite par une tournée régionale de quatre dates de concert pour chacun des bénéficiaires. Entre 2002 et 2004, les ADDAM de trois départements (Meurthe-et-Moselle, Moselle et Vosges) ont coréalisé une opération de même nature intitulée « Un Tour en Lorraine » [cf. programme de l'opération ci-après]. Et pour finir, entre 2000 et 2001, l'association Décibel Prod, en partenariat avec les deux Fnac lorraines (Nancy et Metz), a été le promoteur d'une opération intitulée « Sélections Talents Lorraine ». Son action consistait à promouvoir certains groupes en leur permettant de se produire en « show case » dans les auditoriums Fnac et de bénéficier des services d'un réseau de communication en région.

« Un Tour en Lorraine », 2003

« Un Tour en Lorraine », 2003

109Dans un premier temps, il ressort de ce relevé ethnographique que les promoteurs d'actions culturelles cherchent souvent à associer leurs compétences. Dans un second temps, on observe que pour eux, la diffusion représente un outil de promotion culturelle qu'ils articulent avec des objectifs d'information, d'éducation populaire et plus spécifiquement encore, de formation culturelle et artistique.

Des hiérarchies floues

  • 37 Mais on peut également prendre en considération la fréquence des concerts, le montant du cachet, ou (...)

110Jusqu'à une période récente, il était relativement aisé d'identifier le développement de carrière d'un groupe, entre autres, à travers les lieux où il se produisait. Il respectait habituellement un processus conventionnel fondé sur une logique allant du plus petit vers le plus grand. Un groupe débutait sa carrière par la Fête de la musique et des concerts dans les bars, puis, progressivement parvenait à se produire dans des lieux plus prestigieux. Or, il apparaît que des groupes débutants se produisent dans des lieux qui ne leur sont pas immédiatement destinés. Les groupes lycéens au Zénith en sont un bon exemple. À partir de quoi il est possible de faire l'hypothèse que certains cadres de la diffusion ont contribué à bouleverser la trajectoire « traditionnelle » de la carrière d'un groupe de rock. Trajectoire permettant jusqu'alors une lisibilité simple des formes de la réussite d'une formation rock. Ce brouillage incite à considérer deux choses. Premièrement, que le niveau de développement de la carrière d'un groupe, n'est évaluable qu'à travers un certain nombre de critères relatifs à ses capacités à se produire en public, incluant les cadres de la diffusion, les structures de diffusion et les lieux de diffusion.37 D'autre part, et pour élargir cette ligne d'horizon, il faut également prendre en compte le rapport que ce groupe entretient avec la production discographique. Ce que je propose de faire dans la section suivante.

3. La musique rock comme objet : le disque

111Enregistrer une musique consiste à la capturer et à la fixer sur un support. Comme pour un peintre sous la main duquel se matérialise progressivement un tableau, un enregistrement vise à matérialiser la production musicale d'un groupe. Il procède donc d'une opération de traduction.

  • 38 Antoine Hennion a mené une enquête ethnographique du travail de production en studio d'enregistreme (...)

Alors que le principe du concert se fonde sur trois unités : physique (le groupe en tant qu'interprète), spatiale (le lieu du concert) et temporelle (le moment du concert), le principe de la musique enregistrée fait éclater ces différentes unités pour en recomposer d'autres. L'unité physique du couple groupe-interprète de musique cède la place à une unité technique sous la forme d'un support audio entièrement débarrassé de ses interprètes. L'unité spatiale localisée s'évanouit au profit d'une unité de la mobilité dans la mesure où une musique enregistrée peut s'écouter et se transporter en des lieux différents. L'unité temporelle fixe du moment du concert devient atemporelle puisque la musique enregistrée peut dès lors, s'écouter à tout moment au sein d'un espace privé mobile (domicile, voiture, baladeur...). En conséquence, la musique enregistrée est complémentaire de la musique performée en répétition ou en concert, du fait notamment de sa souplesse d'utilisation. On peut donc s'interroger tout d'abord sur les conditions de la capture de la musique. Puis, sur sa traduction sous forme d'un support enregistré38, à sa fabrication en série, et finalement, à sa distribution. Ces trois dernières phases constituant ce que l'industrie musicale appelle l'édition phonographique.

3.1. Capturer la musique

3.1.1. Trois configurations de studios d'enregistrement

112L'enregistrement est rendu possible par un dispositif sociotechnique composé d'acteurs humains (techniciens du type ingénieur du son, assistants...), d'objets techniques (magnétophone, console multipistes, parc de micros, câblage, effets...) et d'un lieu (le studio proprement dit). Ce dispositif se décline généralement selon trois types de configurations :

  • Le studio d'enregistrement traditionnel. À savoir un lieu fixe dédié à l'enregistrement, disposant de pièces ou de cabines insonorisées au sein desquelles se répartissent un certain nombre d'objets et de personnels techniques.

    • 39 Si l’enregistrement est effectué en présence du public on parle alors d'enregistrement « live ».

    Le studio d'enregistrement mobile. C'est-à-dire un équipement dont la vocation est de pouvoir se transporter aisément dans des lieux divers. Généralement de salles de concerts39 en locaux de répétition. Sa manipulation est indissociable d'un personnel technique.

  • Le « home studio ». Comme son nom l'indique, il s'agit d'un équipement à usage domestique pouvant éventuellement se transporter. Sa manipulation est elle aussi indissociable d'un personnel technique.

113Chaque type de configuration renvoie à un régime économique et juridique différent. Les studios d'enregistrement classiques et les studios mobiles proposent généralement un service marchand (sous régime associatif ou commercial). Les « home studios » fonctionnent quant à eux, dans la sphère domestique (ce qui n'annule pas nécessairement les rapports marchands dans la mesure où certains d'entre eux proposent des prestations tarifées). Chaque type de configuration se décline elle-même selon un certain nombre de catégories comme on va le voir maintenant.

3.1.2. Trois catégories de studios d'enregistrement

114Il existe trois grandes catégories de studios d'enregistrement. La taille de la console multipistes dont chacun est équipé constitue un critère essentiel de différenciation. La console est un élément central de l'équipement d'un studio. Les pistes qui la composent permettent d'enregistrer et de traiter chaque instrument de manière individualisée. Pour illustrer ces propos, on peut dire que chaque source sonore participant à la réalisation d'un disque est captée par un micro qui le renvoie, l'enregistre et l'isole des autres sur une piste de la console (exemple : guitare/piste 1, basse/piste 2, clavier/piste 3, grosse caisse/piste 4, voix/piste 5, etc.). En fonction de quoi, il est possible de retravailler individuellement l'ensemble des sources sonores. Ce qui signifie que plus une console est équipée en pistes, plus elle offre de possibilité et de souplesse techniques. Les trois catégories de studios d'enregistrement sont donc fonction de la taille des consoles dont ils disposent. On trouve ainsi :

  • Les petits studios : 8 pistes au moins.

  • Les studios intermédiaires : 16 pistes.

  • Les gros studios : 24 pistes et plus.

La musique rock se traduit donc en objet disque par l'intermédiaire d'un dispositif d'enregistrement dont je vais maintenant aborder les caractéristiques propres.

Les studios d'enregistrement traditionnels

Les petits studios : 8 pistes ou moins
  • 40 J'entends ici par professionnel, un individu pour lequel le travail en studio d'enregistrement cons (...)

115Ces studios fonctionnent sous régime associatif et ne sont généralement pas gérés par un professionnel40. Leur taille réduite en fait des lieux peu onéreux (76 € la journée). Ils occupent un créneau tout à fait particulier dans le monde de l'enregistrement car ils ont deux fonctions essentielles. Une fonction économique tout d'abord. Car ils permettent d'enregistrer des groupes à faibles budgets. Une fonction technique ensuite, sous la forme d'un apprentissage expérientiel. Car la fréquentation d'un petit studio constitue souvent une étape préparatoire à des enregistrements plus conséquents au sein de studios aux conditions techniques supérieures. Une console 4 pistes ne permet évidemment pas d'importantes fantaisies techniques. Étant donné qu'un groupe de taille réduite présente au moins huit éléments musicaux (guitare, basse, chant et cinq éléments de batterie), seule une console 8 pistes pourra réellement permettre d'individualiser chacun d'entre eux. En dessous de cette configuration, on se cantonne à capter la musique dans sa globalité (on dispose quatre micros dans la pièce où les musiciens jouent « live »).

Plaquette de présentation d'un studio 4 pistes

Plaquette de présentation d'un studio 4 pistes
Les studios intermédiaires : 16 pistes
  • 41 Les musiciens apprécient généralement de pouvoir disposer de plusieurs pistes pour leur instrument (...)

116Ces studios sont généralement gérés par un professionnel. Ils ont une position intermédiaire entre les petits et les gros studios. Un groupe de rock lambda peut isoler chacun de ses instruments, voire en doubler41 quelques uns. En admettant que guitare, basse et voix occupent 2 pistes chacune, il en reste 10 pour les éléments de la batterie. En somme, une console 16 pistes permet de traiter chaque instrument ou élément sonore de manière relativement individualisée. Le prix de ces studios oscille entre 10 et 34 € de l'heure. Cette disparité tarifaire est à mettre en rapport avec la qualité de l'équipement et des prestations proposées.

Texte de présentation d'un studio 16 pistes

Texte de présentation d'un studio 16 pistes
Les gros studios ; 24 pistes et plus

117Ce type de studio est géré par un ou plusieurs professionnels. Leurs tarifs horaires sont compris dans des fourchettes allant de 15 à 46 €. Ces écarts s'expliquent essentiellement, comme pour les studios intermédiaires, par la qualité de l'équipement dont ils disposent et la nature des prestations offertes.

Plaquette de présentation d'un studio 40 pistes

Plaquette de présentation d'un studio 40 pistes
Les studios d'enregistrement mobiles

118Les studios d'enregistrement mobiles sont des équipements démontables et transportables. On trouve des petits studios, des studios intermédiaires et des gros studios. Pour la première catégorie, les tarifs horaires sont compris entre 15 et 31 €. Les studios de taille supérieure affichent des tarifs horaires compris entre 31 et 46 €. En proportion, les studios mobiles sont donc sensiblement plus chers que les studios fixes. Ils sont généralement tous gérés par un professionnel.

À moins de disposer d'un local de répétition bénéficiant d'une acoustique particulière, les groupes réalisent rarement leurs enregistrements avec des studios mobiles. L'image du studio fixe, extérieur à l'environnement habituel du groupe, reste fortement valorisée. Ce sont davantage les institutions qui les sollicitent dans le cadre d'opérations particulières aboutissant à la création d'un CD. Les groupes profitent donc avant tout de la présence d'un studio mobile à un tremplin ou à un festival pour garder une trace de leur prestation.

Le « home studio »

119Comme son nom l'indique, le « home studio » repose sur le principe d'un équipement permettant d'enregistrer « à la maison », c'est-à-dire dans la sphère domestique. En principe, la pratique du « home studio » s'effectue dans la sphère domestique et il est a priori dégagé de toute considération marchande. Il faut tout particulièrement insister sur ce dernier point si on veut parvenir à établir une distinction claire avec les autres types de configurations analysées précédemment. En règle générale, les « home studios » (comprenant magnétophone et console de mixage) que j'ai pu observer sont de dimension relativement modeste et dépassent rarement les 12 pistes. A priori, rien ne permet de les distinguer des équipements des petits studios, si ce n'est que leurs propriétaires ne cherchent pas nécessairement à en faire une activité commerciale.

120Le milieu de l'enregistrement connaît depuis près d'une quinzaine d'années une tendance à la démocratisation des matériels. Ceux qui, hier encore, étaient hors de prix, deviennent progressivement accessibles en même temps que se réduit l'écart de qualité entre les matériels professionnels et les matériels grands publics. Ainsi, il est possible d'acquérir un « home studio » 12 pistes de qualité moyenne sans débourser plus de 1 527 €. Un 8 pistes d'une gamme identique coûte aux alentours de 763 € et un 4 pistes environ 458 €.

  • 42 Pour réaliser de bons enregistrements, il ne faut pas seulement une bonne console multipistes (trad (...)

121Par ailleurs, les développements récents de la MAO (Musique Assistée par Ordinateur) permettent d'équiper un ordinateur relativement puissant, d'un studio d'enregistrement virtuel, à des prix relativement modérés (un logiciel multipistes coûte, selon sa qualité, entre 76 et 458 € et une carte son coûte entre 61 et 351 €). La prolifération de cette formule est d'ailleurs en train de s'affirmer comme une tendance incontournable dans le monde du rock. Elle constitue, pour les groupes à petits budgets notamment, une ressource particulièrement commode. Avec le risque néanmoins d'aboutir à des résultats de qualité variable42.

  • 43 C'est le cas du genre lo-fi par exemple. « Lo-fi » pour « low-fidelity » qui est l'inverse de « hi- (...)

122Les seuls groupes à privilégier ce mode d'enregistrement sont ceux pour lesquels il correspond à une démarche artistique particulière43. Ils sont très minoritaires. Pour les autres, ce sont essentiellement des raisons économiques qui les poussent à enregistrer dans ces conditions. Le recours au « home studio » étant souvent loin de relever d'une sinécure :

Comme on avait plus un rond, on n'avait plus d'autre choix que d'enregistrer au local. Comme on savait que Max avait un 8 pistes on lui a proposé de le faire. Il est venu au loc et on a commencé à discuter de tout ça et à caler des dates. C'était vraiment le bordel parce qu'il fallait tenir compte de tout un tas de paramètres. Il a fallu qu'on emprunte les micros de Rémi, ça voulait dire qu'il fallait que ce soit à un moment où il s’en servait pas. Il a fallu qu'on trouve un ADAT. Il a fallu qu'on trouve de bonnes écoutes. Comme on pouvait pas tout faire sur un week-end, il a fallu recommencer ce délire plusieurs fois de suite. Le matin ou la veille de l'enregistrement il fallait courir partout pour tout récupérer. Après il a fallu tout monter. Tu perds une journée rien qu'à faire toutes ces conneries. On a eu vraiment du mal à caler les disponibilités du matos et de chacun sur plusieurs week-end. En plus j'avais monté des panneaux pour isoler chaque instrument avec des portes qui traînaient dans la cave... [Conversation avec Achille, 25 ans, batteur dans un groupe de rock industriel ayant une solide expérience de l'enregistrement]

123Très peu de groupes disposent en biens propres d'un équipement suffisamment complet pour pouvoir enregistrer à domicile. Le « home studio » est certainement moins onéreux que ne l'est un studio professionnel, mais les économies financières réalisées sont souvent inversement proportionnelles à la somme d'ennuis générés. Le recours au « home studio » lorsqu'il n'est pas totalement équipé et correctement maîtrisé n'a donc rien de comparable à l'univers apaisé de l'offre de service :

Y a plein de groupes qui m'ont dit qu'ils s'étaient équipés en matos et qu'ils allaient tout faire chez eux. En général, tu les vois rappliquer ici peu de temps après (rires). [Conversation avec Dany, 42 ans, ingénieur du son professionnel dans un studio 24 pistes]

  • 44 Cette opération de traduction est évidemment liée à plusieurs phases de traitement sonore. Le mixag (...)

124La capture de la musique s'effectue donc dans le cadre d'un dispositif sociotechnique. Un dispositif au sein duquel on capture une musique performée, que l'on traduit44 sous la forme d'un support enregistré. Un processus dont le résultat objectif est un « master », ou si l'on préfère, une matrice, permettant la réalisation d'un disque. À ce titre, l'opération consistant à capturer la musique est la première étape d'un processus de traduction visant cette fois-ci, à éditer la musique.

3.2. Editer la musique

  • 45 Pour une approche très détaillée de ces trois étapes, voir Gombert, L., Pichevin, A. 2004. Autoprod (...)
  • 46 J'entends ici le mot disque dans un sens très large, en tant qu’un support enregistré, quelle qu’en (...)

125Éditer la musique est une activité multipolaire. On la désigne couramment sous le terme d'édition phonographique. Elle recouvre trois grandes catégories d'activités : la production, la fabrication et la distribution45. La production vise à réunir les conditions de capture d'une musique. La fabrication vise à sa multiplication et à son conditionnement. La distribution vise à sa diffusion. Autrement dit, l'édition phonographique consiste en un processus de traduction par étapes. Traduction d'une musique performée en support enregistré (« master »). Traduction du « master » en une série de disques46. Traduction d'une œuvre artistique en produit de consommation culturelle. Soit un processus reliant une production artistique à une réception culturelle. Je vais présenter les caractéristiques locales de ces trois catégories d'activités.

3.2.1. La production phonographique

  • 47 Il est plus juste de parler d'un oligopole à franges comme le souligne Gérôme Guibert, tant il est (...)
  • 48 D'angelo, M. 1997. Socio économie de la musique en France. Diagnostic d'un système vulnérable. Pari (...)
  • 49 D'angelo, M. 1997, Ibid., p. 52-54.
  • 50 Mario d'Angelo les classe dans la catégorie « artisan », à savoir « une entreprise en nom personnel (...)

126Les producteurs phonographiques se divisent habituellement en deux groupes. On trouve d'une part, les quatre multinationales (majors) dont les filiales sont réparties sur tout le globe, et dont la position oligopolistique47 tient à « leurs forces de distribution, de promotion et au réseau qui est tissé autour d'elles. Une major apparaît ainsi comme ayant une capacité de développement international pour une production48 ». On trouve d'autre part, les producteurs phonographiques indépendants (labels) dont Mario d'Angelo a dressé une typologie en cinq points49 qui, pour intéressante qu'elle soit, n'en est pas moins relativement inadaptée aux réalités locales comme on va le voir. En effet, Mario d'Angelo s'intéresse aux entreprises de production phonographique. Or, sur un ensemble de 28 structures de production phonographique identifiées au cours de mon enquête, on ne trouve guère plus de trois entreprises de ce type50. La majorité des labels observés fonctionnent sous statut associatif. Dans ce cas, leurs activités sont généralement tributaires du bénévolat et opèrent avec un capital économique souvent très réduit. De plus, les labels indépendants se divisent généralement en deux catégories distinctes : les labels disposant d'une structure de distribution et les labels ne disposant d'aucune structure de distribution, qui sont de loin les plus nombreux. Ce qui ne doit pas occulter un point essentiel concernant la production phonographique : les groupes de rock de l'échantillon recourent très majoritairement à l'autoproduction, ce qui signifie qu'ils sont leurs propres producteurs phonographiques. Un point qui nous conduit à entrevoir les modalités de la fabrication d'un disque.

3.2.2. La fabrication d'un disque

127La fabrication d'un disque est une opération purement technique à triple fonction. Elle consiste d'une part, à dupliquer le « master » en quantités variables. D'autre part à dupliquer son emballage dans des proportions identiques (pochette de disque 33 tours ou livret, jaquette et boîtier de CD). Et pour finir, à conditionner l'ensemble (cellophanage).

  • 51 Boîtier plastique trois pièces, livret quatre pages, recto quadrichromie, intérieur noir et blanc.
  • 52 500 exemplaires coûtent environ 1 145 € et 2 000 exemplaires coûtent environ 2 443 €. Il apparaît q (...)

La démocratisation des moyens d'enregistrement s'est accompagnée progressivement d'un autre type de démocratisation touchant aux modes de duplication. D'un point de vue industriel, le pressage de disques est devenu lui aussi plus accessible. Autant sous l'effet des tarifs pratiqués que du point de vue des quantités minimales de fabrication. À titre d'exemple, un pressage de 100 CD standards51 d'une durée maximale de 74 minutes représente un investissement d'environ 870 €52.

  • 53 Pour avoir une idée du phénomène, en 1997, 10 millions de CD-R étaient vendus en France. En 2001, l (...)

128Par ailleurs, l'arrivée récente de graveurs de CD audio dans l'espace domestique (d'une valeur de 305 à 458 € pour les graveurs de salon et de 122 à 305 € pour les graveurs informatiques) a contribué à renforcer d'une certaine manière le phénomène de l'autoproduction en accentuant l'autonomie des groupes et de certains labels53. Il est ainsi possible d'enregistrer à domicile, d'y dupliquer le résultat et de présenter le tout dans une pochette confectionnée sur ordinateur. J'ai ainsi pu observer un nombre croissant de groupes, en début de carrière notamment, évoluer de manière quasi autarcique pour ce qui concerne leur production phonographique. Toutefois l'ensemble de ces facteurs ne va évidemment jamais sans poser la question des modes de distribution de ces disques.

3.2.3. La distribution d'un disque

  • 54 Il s'agit là d'un point largement abordé dans Becker, H. S. 1988. Les mondes de l'art. Paris : Flam (...)

129Une grande partie des disques produits sont destinés à un usage commercial et ce, quel que soit leur mode de fabrication. À ce titre, ils sont supposés s'inscrire dans un circuit de distribution propre à ce type d'objets. Pour les acteurs, la forme la plus prestigieuse de la distribution est le circuit de distribution professionnel. Car il est le seul à même de pouvoir diffuser largement sa production auprès des magasins de disques (disquaires traditionnels ou chaînes de magasins de type Fnac, Nuggets, Leclerc ou encore Virgin). Il s'avère que très peu de labels, et encore moins de groupes rock, bénéficient d'un dispositif de ce type. Il s'agit donc pour eux, de trouver des solutions de substitution54. Et donc, d'examiner des modes de distribution plus protéiformes. Avec pour conséquence, une efficacité commerciale souvent moindre. Dans ce cas, les producteurs de disques s'appuient généralement sur les deux grandes ressources que constituent la distribution directe et la distribution par les intermédiaires. Celles-ci n'étant nullement exclusives l'une de l'autre.

130Le schéma 3 récapitule sommairement les trois formes de distribution les plus courantes observées au sein du monde du rock. Chacune renvoie à plusieurs caractéristiques qui seront plus largement présentées ensuite. Je m'en tiendrai cependant aux caractéristiques des deux formes les plus pratiquées, à savoir les formes de la distribution directe et celle de la distribution par les intermédiaires. On peut les considérer en tant que formes de distribution alternatives à propos desquelles il est probablement plus juste de dire qu'elles sont une combinaison de ressources (de méthodes et de points de vente) pour vendre des disques.

Schéma 3 - Les différentes formes de la distribution au sein du monde du rock

Schéma 3 - Les différentes formes de la distribution au sein du monde du rock

La distribution directe

131La distribution directe s'effectue généralement selon trois modalités distinctes. Au sein du cercle privé, lors des concerts et des conventions et grâce à la vente par correspondance. Cette forme de ressource-distribution procède donc essentiellement d'un croisement entre méthodes et lieux spécifiques.

Le cercle privé

132La famille et les amis constituent le premier cercle d'acheteurs potentiels d'un disque. L'acte d'achat y est plus fréquemment conditionné par des relations affectives que par des critères artistiques. Il s'agit d'un marché souvent plus favorable aux groupes qu'aux labels étant donné que les premiers ont, dans tous les cas, une proximité avec leur environnement social immédiat tandis que les seconds peuvent co-produire le disque d'un groupe dont les membres sont inconnus au sein de leur environnement social.

Les concerts et les conventions
  • 55 Les conventions sont des manifestations supposées réunir un large panel d'acteurs autour d'une thém (...)

133Les concerts et dans une moindre mesure les conventions55, sont des lieux tout à fait privilégiés pour écouler un certain nombre de disques. À cette fin, groupes et labels installent des stands sur lesquels ils présentent les différents produits (merchandising) qu'ils proposent à la vente. Pour un groupe, il peut s'agir de t-shirts et de disques, tandis qu'un label proposera avant tout les disques de son catalogue. Le volume de la vente de ces produits à l'issue d'une prestation scénique d'un groupe, constitue un instrument de mesure permettant de juger a posteriori de son impact sur le public.

Le stand José Records, Epinal, 2003

Le stand José Records, Epinal, 2003
La vente par correspondance

134La vente par correspondance est un moyen relativement commode pour écouler un certain nombre de productions phonographiques, à condition néanmoins de pouvoir informer le public potentiel de l'existence de ces productions. Les groupes et labels disposent pour cela de deux moyens. D'une part, les chroniques disques et les interviews dans certains magazines et fanzines. D'autre part, l'information contenue sur les flyers [cf. flyer promotionnel pour la sortie de la première compilation CD-R du label Brain Damage, 2001, ci-après] ou ceux diffusés par courrier électronique.

Flyer promotionnel pour la sortie de la première compilation CD-R du label Brain Damage, 2001

Flyer promotionnel pour la sortie de la première compilation CD-R du label Brain Damage, 2001

135En termes économiques, vendre ses productions directement à un client constitue pour les groupes et les labels la formule la plus efficace puisqu'elle leur permet de se rétribuer directement, sans l'intervention d'un intermédiaire. Toutefois, ce procédé ne permet d'écouler qu'un nombre limité de productions, ce qui les conduit à mobiliser des initiatives complémentaires qui prennent notamment appui sur plusieurs types d'intermédiaires.

Flyer promotionnel pour le nouvel album d'un groupe nancéien, 2002

Flyer promotionnel pour le nouvel album d'un groupe nancéien, 2002
La distribution par les intermédiaires

136Les intermédiaires de la distribution sont généralement de trois types. On compte notamment les magasins de disques, les catalogues de distribution par correspondance et les bourses aux disques. Ces intermédiaires pratiquent essentiellement la formule du dépôt-vente, sur la base de laquelle ils n'encourent aucun risque financier. Ils font plus rarement, l'acquisition de certains disques (en petites quantités). En tant qu'intermédiaires, et selon les cas, ils prélèvent quelquefois un pourcentage s'élevant à 10 ou 20 % du prix de vente. Cette forme de ressource-distribution procède ici d'une combinaison entre méthodes, lieux et des objets spécifiques.

Les magasins de disques

137Les magasins de disques constituent le dernier maillon du circuit de distribution : celui qui met physiquement en rapport un client potentiel avec une production. Entre tous, le magasin de disques est probablement (pour l'instant) l'endroit le plus évident pour acquérir des disques. Ces magasins de disques se divisent en quatre grandes catégories :

  • Les généralistes

  • Les spécialisés rock

  • Les multispécialistes (Fnac, Virgin, Planet Saturn, Espace Culturel Leclerc)

  • Les chaînes de disquaires (Madison/Nuggets, Plein Ciel)

Les groupes et les labels ne bénéficiant pas des services d'un circuit de distribution professionnel déposent fréquemment eux-mêmes leurs productions en magasins. À condition toutefois que les magasins de disques pratiquent la formule du dépôt-vente, ce qui n'est pas le cas pour tous. En règle générale, groupes et labels limitent cette démarche aux magasins de disques situés dans leur ville d'origine. Il est possible d'étendre cette démarche à d'autres villes, mais elle nécessite alors de gérer les dépôts à distance de manière suffisamment rigoureuse pour que les paiements et les « réassorts » soient effectués. Cette formule reste cependant relativement marginale et, le cas échéant, se trouve être plus fréquemment pratiquée par les labels.

Les catalogues de distribution par correspondance

138La distribution par correspondance s'effectue sous la forme de catalogues édités par des structures, associatives ou non, souvent spécialisées dans un genre musical particulier. Ces catalogues se présentent sous la forme d'une liste plus ou moins importante de références. Ils sont disponibles soit sous format papier, soit - ce qui est de plus en plus fréquent - en ligne sur les sites Internet.

Flyer promotionnel pour le catalogue Sucette Distroy, petite structure de distribution sans cadre juridique, 1999

Flyer promotionnel pour le catalogue Sucette Distroy, petite structure de distribution sans cadre juridique, 1999

139Dans une majorité de cas, ces références sont souvent difficiles à obtenir par d'autres moyens dans la mesure où ces catalogues concentrent une majorité de productions underground évoluant généralement en dehors du circuit de la distribution professionnelle. À ce titre, on peut dire qu'ils s'adressent principalement à un public de grands amateurs. Si les références de ces catalogues sont essentiellement vendues par correspondance, il est également possible que leur promoteur tienne stand lors de certains concerts, festivals ou conventions.

Flyer promotionnel pour le catalogue Combat Rock, 2001

Flyer promotionnel pour le catalogue Combat Rock, 2001

Extrait du catalogue State Of Mind, petite structure de distribution associative, 1999

Extrait du catalogue State Of Mind, petite structure de distribution associative, 1999

Extrait du catalogue Muséa, distribution nationale, 2001

Extrait du catalogue Muséa, distribution nationale, 2001
Les bourses aux disques

140Les bourses aux disques sont des manifestations réunissant généralement une cinquantaine de disquaires itinérants d'origines diverses (français, allemands, anglais, belges). Véritables marchés dédiés aux disques, ils sont particulièrement prisés par les collectionneurs ou les amateurs exigeants qui y voient une source d'approvisionnement supplémentaire à leur canal habituel, selon mes observations, chaque manifestation de ce type attire aux alentours de 1 500 visiteurs qui s'acquittent d'un droit d'entrée d'environ 3 €. Par leur nature même, les bourses aux disques exigent de se tenir dans des lieux très spacieux, de type parc des expositions ou salle polyvalente.

Flyer RDVD « Rendez-Vous des amateurs de Disques »

Flyer RDVD « Rendez-Vous des amateurs de Disques »

4. Les choses produites par le monde du rock

  • 56 Menger, P.-M. 1997. La profession de comédien. Formation, activités et carrières dans la démultipli (...)

141Mon enquête a permis de dégager que plus des trois quarts de la production rock se concentrait en zone urbaine et notamment au sein des villes les plus importantes. Cette caractéristique indique que la grande métropole constitue le biotope de la pratique rock. On peut donc suivre Pierre-Michel Menger lorsqu'il souligne que « son importance est d'autant plus grande que l'activité artistique est faiblement institutionnalisée, davantage exercée en indépendant qu'au sein d'organisations56 ».

  • 57 Ce point mérite d'être soulevé tant il est vrai que les acteurs locaux ont tendance à ériger des fr (...)

142Les choses rock se caractérisent par leur pluralité. Une pluralité d'objets, d'acteurs, de lieux, de dispositifs et de cadres reliés par d'innombrables réseaux. J'ai cependant pu relever un déficit d'équipements culturels destinés à la pratique rock. Très peu de lieux de répétition adaptés comparativement au nombre de groupes en activité. Encore moins de lieux de diffusion spécialisés en regard des groupes de rock et des structures de diffusion en activité. De la même manière, les labels et les groupes sont massivement contraints à l'autoproduction et à l'autodistribution de leurs disques. À l'inverse, l'offre de services marchands est plutôt conséquente. On dénombre un grand nombre de magasins d'instruments de musique, de magasins de disques, de bars diffusant des artistes rock locaux et de studios d'enregistrement. Par conséquent, il est assurément plus commode de s'équiper en vue de la pratique, que de pratiquer dans de bonnes conditions. Ce qui permet de distinguer deux marchés. Le marché de la production culturelle rock. Et le marché de la consommation culturelle. Ces deux marchés sont totalement interdépendants. En effet, les disques produits par les acteurs locaux sont destinés à la commercialisation. Et l'équipement nécessaire à la production de ces disques provient du commerce. On pourrait décliner cet exemple à l'infini. Prenons l'exemple de la diffusion. D'un côté les structures de diffusion organisent des concerts. Elles produisent donc de la culture. De l'autre côté, elles font commerce de ce service avec un public. À ce titre, elles organisent de la consommation culturelle. Sans compter qu'entre les deux, selon la taille de l'événement, elles louent un système de sonorisation, louent une salle ou encore, louent un service de sécurité. La circulation entre marché de la production culturelle et marché de la consommation culturelle est irréversible57.

  • 58 Pour Nelson Goodman, les mondes de l'art ne s’élaborent jamais ex nihilo. Leurs acteurs doivent néc (...)

143Par ailleurs, il est également important de retenir que pour faire face à des conditions de pratique lacunaires, les acteurs du monde du rock développent des stratégies multiples. Quelques exemples. S'ils ne trouvent pas de lieux adaptés à la répétition, ils les inventent. S'ils ne trouvent pas de salles de concerts où se produire, ils se tournent vers les bars. S'ils ne trouvent pas de labels pour les produire, ils recourent à l'autoproduction. S'ils n'ont pas les moyens de s'offrir une séance d'enregistrement en studio, ils enregistrent en « home studio ». S'ils ne trouvent pas de distributeur pour leurs disques, ils les distribuent eux-mêmes. Ce qui indique que le monde du rock est indubitablement doté d'une forte réactivité. En définitive, l'écologie du monde du rock s'articule sur des opportunités et des stratégies, tout autant que sur des expériences engageant créativité et ingéniosité. Cette écologie s'élabore maillon par maillon. Elle est réticulaire et repose sur la coopération d'une pluralité d'acteurs et de choses. Soit un ensemble de ressources déjà disponibles et/ou qui vont permettre d'en produire de nouvelles58.

144Il est entendu que le monde du rock produit également des émissions radio, de la littérature spécialisée ou encore de l'enseignement musical, etc. Pour des questions de format, j'ai délibérément pris le parti de ne pas présenter un relevé exhaustif de l'ensemble des objets produits par ce monde. Préférant me concentrer sur quelques objets cardinaux. Au terme de cet exercice descriptif, il est temps maintenant d'apporter un éclairage sur un échantillon d'acteurs du monde rock.

Notes

1 Hennion, A. 1993. La passion musicale. Une sociologie de la médiation. Paris : Métailié, p. 296.

2 Hennion, A. 1993, ibid., p. 370.

3 La performance est entendue ici comme un moment musical unique, produit collectivement, à l'issue incertaine et systématiquement re-produit, re-créé, re-présenté par des musiciens.

4 Hennion, A. 1993, op. cit., p. 293.

5 Moyennant quelques aménagements, je me permets de détourner à mon profit, la notion centrale de l'article de Callon, M. 1986. Eléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc. L'Année Sociologique, no 36, p. 170-207. J'emploierai la notion de traduction pour désigner un processus menant d'une action à un résultat. Qu'il est également envisageable d'employer à rebours pour aller du résultat vers l'action elle-même.

6 Dans son ouvrage séminal sur les carrières des musiciens de rock, H. Stith Bennett évoque bien la question des musiciens et du parc instrumental, mais hélas, ne s'intéresse pas aux lieux de la répétition. Bennett, H. S. 1980. On becoming a rock musician. Amherst : University of Massachusetts Press, p. 17-23.

7 Il est nécessaire de prendre en considération l'existence d'une poignée de formations communément appelées « one man band », constituées d'un seul musicien, ou plutôt d'un homme-orchestre, pouvant jouer quasi simultanément de la guitare, de l'harmonica, du synthétiseur et de la batterie, tout en chantant. L'effet est spectaculaire. Si cette option artistique réinterroge fortement la notion de groupe pour le chercheur, il est manifeste que les acteurs - au vu de la terminologie employée pour se définir - ne s'embarrassent pas de ce type de questionnement.

8 Aux extrêmes on trouve, hormis les « one man bands », des groupes constitués de deux membres et des groupes pouvant rassembler six à dix musiciens (plusieurs chanteurs, claviers, instruments à vent, échantillonneurs, platines, etc.).

9 Je n'établirai pas de distinction entre musiciens et chanteurs. Ces derniers se considèrent souvent eux-mêmes comme des musiciens à part entière.

10 « La notion de marché évoque la confrontation d'offres et de demandes libres et indépendantes les unes des autres dans un espace économique réglé par l'exercice des multiples rationalités individuelles qu'expriment les prix ». In Paradeise, C, avec la coll., de Charby, J., Vourc'h, F. 1998. Les comédiens. Profession et marché du travail. Paris : PUF, coll. Sciences sociales et sociétés, p. 10.

11 Dans une moindre mesure, certains magasins d'instruments et luthiers fonctionnent sur la base du dépôt-vente avec certains de leurs clients.

12 Trois remarques s'imposent ici. Il est tout d'abord nécessaire de prendre en considération la place qu'occupe aujourd'hui la vente par correspondance sur le marché de l'équipement instrumental. Deuxièmement, l'acquisition d'un matériel informatique ne s'effectue généralement pas au sein de magasins de musique, mais plutôt dans des magasins spécialisés ou dans les rayons des grandes surfaces. Troisièmement, les luthiers, mais également certains magasins d’instruments, assurent aussi un service réparation.

13 Sur ce sujet, on tirera grand bénéfice de la lecture du remarquable travail ethnographique suivant : Touché, M. 1998. Mémoire vive # 1. Annecy : Le Brise Glace/CNRS-MNATP.

14 Cette relation duelle quasi exclusive n'est pas toujours dépourvue d’ambiguïté. Il arrive par exemple que l'intermédiaire surfacture le prix du loyer aux musiciens qui en ignorent le montant réel.

15 Beaucoup de ces locaux ne sont praticables qu'après les heures de bureau. Non pas que les musiciens travaillent tous en journée, mais parce que ces lieux sont directement situés sous des boutiques, des bureaux ou encore de crèches. L'accès y est donc impossible avant 18 ou 19 heures en semaine exception faite du dimanche. La majorité des groupes répètent donc en soirée entre 19 et 24 heures. Il est de ce fait assez improbable que des groupes se partagent une soirée.

16 Les groupes de mon échantillon, dotés d'un équipement instrumental de gamme moyenne, l'évaluent généralement aux alentours de 17 500 €.

17 Touché, M. 1996. Les lieux de répétition de musiques amplifiées. Défaut d'équipement et malentendus sociaux. Les Annales de la Recherche Urbaine, no 70, p. 66.

18 Mignon, P. 1991. Paris/Givors : le rock local. In Mignon, P., Hennion, A. Sous la dir. Rock. De l'histoire au mythe. Paris : Anthropos, p. 210-211.

19 Il arrive que des programmateurs freelance exercent en région (c'est une figure relativement rare). Ils entretiennent des contacts réguliers avec des tourneurs et proposent des concerts à certains bars ou à des associations locales sans nécessairement s'investir dans leur organisation. Ils ont avant tout un rôle de médiateur.

20 L'Officiel de la Musique est un guide-annuaire des musiques actuelles. Il recense 25 000 contacts et constitue à ce titre un véritable outil de référence dans le milieu. Depuis 1988, il est édité annuellement par l'Irma. Disponible sur : www.irma.asso.fr [consulté le 21.07.2004]

21 Pour connaître en détail l'ensemble des aspects du travail d'un organisateur on se reportera au guide écrit par Audubert, P., Daniel, L. 2005. Profession entrepreneur de spectacles. Paris : Irma.

22 Dans certains cas, assez rares, il est également possible que l'activité de diffusion s'exerce en dehors de tout cadre juridique.

23 La question des emplois-jeunes sera traitée dans le chapitre 6, section 3.

24 « Les centres de détention de Toul et Ecrouves ont conjointement sollicité l'association Trace Rock pour mettre en œuvre une saison de programmation "musiques actuelles" à destination des détenus ». In Lettre d'info réseau de Zic Zac en Lorraine « réseau de diffuseurs lorrains de Musiques Actuelles », 03.07.2000.

25 L'Officiel de la Musique. 2001. Paris : Irma.

26 Il s'avère qu'en fait d'insonorisation, les lieux ont surtout la chance d'être situés dans un environnement qui a priori tolère des volumes sonores élevés.

27 Le Zénith appartient à la société Véga, filiale de Vivendi. Le Galaxie est une société anonyme en compte propre.

28 J'ai vécu personnellement des situations où un limonadier refusa d'adresser la parole aux musiciens, où un autre refusa de verser le cachet convenu sous prétexte que la fréquentation du public n’avait pas atteint le seuil escompté, où un autre encore, fit livrer des pizzas au jambon, au mépris du régime végétarien de certains musiciens.

29 Nombre de programmateurs sont également musiciens où l'on été à un moment de leur vie.

30 Les cachets sont le plus fréquemment versés au noir.

31 Hein, F. 2003. Hard Rock, Heavy Metal, Metal. Histoire, cultures et pratiquants. Clermont-Ferrand/Paris : Mélanie Séteun/Irma, coll. Musique et Société, p. 86-88.

32 Pour l’histoire des premiers concerts caritatifs dans le monde du rock, on se reportera à Benetollo, A. 1999. Rock et politique : censure, opposition, intégration. Paris : L'Harmattan. Coll. Logiques Sociales, p. 179-201.

33 Ehrenberg, A. 1991. Le culte de la performance. Paris : Calmann-Lévy. Coll. Pluriel, p. 13. Il faut noter par ailleurs que la compétition entre groupes de rock est une dimension originelle de cette musique. L'histoire du rock fourmille d'anecdotes mettant en scène des groupes voulant jouer plus fort, plus vite, plus dur. Pour le vérifier, on peut par exemple se reporter à Tosches, N. 2000. Country. Les racines tordues du rock'n'roll. Paris : Allia, p. 87-88. On peut y lire une succulente anecdote sur la notion de compétition ayant opposé Jerry Lee Lewis à Chuck Berry.

34 Curieux retour en arrière puisque après avoir longtemps décentralisé ses compétences en région, le Printemps de Bourges renoue avec des méthodes jacobines. Concernant le tremplin des Eurockéennes, le jury est identique d'un bout à l'autre du processus d'évaluation.

35 Teillet, P. 1991. Une politique culturelle du rock ? In Mignon, P, Hennion, A. Sous la dir., op. cit., p. 217-246.

36 Opérations très nettement distinctes de l'animation culturelle décrite plus haut.

37 Mais on peut également prendre en considération la fréquence des concerts, le montant du cachet, ou encore la capacité de se produire ailleurs qu'en région, etc. Ces points seront développés dans le chapitre 5.

38 Antoine Hennion a mené une enquête ethnographique du travail de production en studio d'enregistrement. Ce travail est retranscrit dans le chapitre 4 de son livre Hennion, A. 1981. Les professionnels du disque. Une sociologie des variétés. Paris : CNRS/Métailié, p. 107-134.

39 Si l’enregistrement est effectué en présence du public on parle alors d'enregistrement « live ».

40 J'entends ici par professionnel, un individu pour lequel le travail en studio d'enregistrement constitue l’activité principale et dont il tire ses ressources principales.

41 Les musiciens apprécient généralement de pouvoir disposer de plusieurs pistes pour leur instrument car cela leur permet de superposer les couches enregistrées pour épaissir le son (certains d'entre eux n'hésitent pas à « empiler » plusieurs dizaines de couches de guitares en reproduisant leurs parties à l'identique, mais avec un son chaque fois différent pour lui donner du volume au mixage). Mais cela permet également de rajouter d'autres parties instrumentales. Cette pratique se nomme overdub.

42 Pour réaliser de bons enregistrements, il ne faut pas seulement une bonne console multipistes (traditionnelle ou virtuelle comme Cubase), mais également un parc de micros de qualité, ce qui fait souvent défaut aux groupes, étant donné que les bons micros sont très onéreux (on ne les trouve d'ailleurs que dans des studios bien équipés). Par ailleurs, il faut également faire preuve de compétences techniques. Une poignée de musiciens locaux reconnus pour les enregistrements effectués pour leur compte propre sont désormais sollicités par d'autres musiciens qui les rémunèrent pour leur travail de production.

43 C'est le cas du genre lo-fi par exemple. « Lo-fi » pour « low-fidelity » qui est l'inverse de « hi-fi » qui signifie « high-fidelity ». Les enregistrements lo-fi présentent la particularité d'être extrêmement dépouillés, bruts, se rapprochant au plus près de la musique telle qu'elle sort des amplificateurs. Les musiciens de rock garage apprécient eux aussi ces sonorités rêches.

44 Cette opération de traduction est évidemment liée à plusieurs phases de traitement sonore. Le mixage en constitue un moment central d'autant plus remarquable qu’il cristallise toute une gamme de médiations d’ordres techniques, esthétiques, éthiques, sociales ou encore économiques. Il s'agit d’un sujet de recherche à lui seul.

45 Pour une approche très détaillée de ces trois étapes, voir Gombert, L., Pichevin, A. 2004. Autoproduire son disque. Paris : Irma, ainsi que Lefeuvre, G. 1998. Le guide du producteur de disques. Paris : Dixit.

46 J'entends ici le mot disque dans un sens très large, en tant qu’un support enregistré, quelle qu’en soit la forme (vinyle ou CD) ou la durée (33 tours, CD single, etc.).

47 Il est plus juste de parler d'un oligopole à franges comme le souligne Gérôme Guibert, tant il est vrai que ces multinationales contrôlent la majeure partie de l'industrie du disque, mais pas la totalité. In Guibert, G. 2005. La production de la culture. Le cas des musiques amplifiées en France. Clermont-Ferrand/Paris : Mélanie Séteun/lrma, coll. Musique et Société.

48 D'angelo, M. 1997. Socio économie de la musique en France. Diagnostic d'un système vulnérable. Paris : La Documentation Française, p. 52. Une brève et instructive histoire de l'industrie du disque est relatée dans l'article de Guibert, G. 2000. Industrie musicale et musiques amplifiées. Chimères, no 40. Disponible sur : http://www.revue-chimeres.org/pdf/40chi10.pdf [consulté le 23.01.2001]

49 D'angelo, M. 1997, Ibid., p. 52-54.

50 Mario d'Angelo les classe dans la catégorie « artisan », à savoir « une entreprise en nom personnel ou une SARL, réalisant de 1 à 10 millions de francs de chiffre d'affaires, avec des variations assez importantes d'une année sur l'autre. Elle est monoproduit, sans distribution autonome et opère dans les genres [relativement peu] populaires. Sa force principale est d'être innovante sur un créneau unique avec des coûts de production qui restent maîtrisés et des artistes partenaires. Ses faiblesses sont liées, d'une part, à l'accroissement du risque artistique consécutif à l'éventuelle augmentation de la notoriété de ses artistes et donc à la croissance des besoins en fonds de roulement, et d'autre part, à un management reposant sur une ou deux personnes ». In D'angelo, M. 1997, ibid., p. 53-54.

51 Boîtier plastique trois pièces, livret quatre pages, recto quadrichromie, intérieur noir et blanc.

52 500 exemplaires coûtent environ 1 145 € et 2 000 exemplaires coûtent environ 2 443 €. Il apparaît que plus les quantités sont élevées, plus le prix du CD à l'unité diminue.

53 Pour avoir une idée du phénomène, en 1997, 10 millions de CD-R étaient vendus en France. En 2001, le chiffre atteint 236 millions. Source : Snep.

54 Il s'agit là d'un point largement abordé dans Becker, H. S. 1988. Les mondes de l'art. Paris : Flammarion, éd. orig., 1982, p. 112-146.

55 Les conventions sont des manifestations supposées réunir un large panel d'acteurs autour d'une thématique précise : convention underground, convention metal, gothique, etc. Elles mêlent souvent bourses aux disques, stands divers, concerts et débats.

56 Menger, P.-M. 1997. La profession de comédien. Formation, activités et carrières dans la démultiplication de soi. Paris : Ministère de la Culture et de la Communication, p. 29.

57 Ce point mérite d'être soulevé tant il est vrai que les acteurs locaux ont tendance à ériger des frontières entre les deux types de marchés. Ils se situent bien entendu plus volontiers du côté de la production culturelle pour en dénigrer celui de la consommation. Ce faisant, ils se positionnent également du côté d'une certaine idée de la pureté artistique ou culturelle. Antoine Hennion a raison de souligner que « le rock est un des rares domaines de la culture populaire qui, au moins dans le domaine anglo-saxon, ait dépassé l’interrogation stérilisante en termes de vérité ou de manipulation ». Anglo-saxon prend ici tout son sens, car en France, ce débat est loin d’être épuisé. Hennion, A. 1993, op. cit., p. 307.

58 Pour Nelson Goodman, les mondes de l'art ne s’élaborent jamais ex nihilo. Leurs acteurs doivent nécessairement prendre appui sur les ressources disponibles et se les approprier avant de pouvoir créer de nouvelles formes artistiques et de nouveaux mondes. Voir Goodman, N. 1992. Manières de faire des mondes. Nîmes : Editions Jacqueline Chambon, coll. Rayon Art, éd. orig., 1978.

Table des illustrations

Titre Exemple de règlement d'un local de répétition, 2000, ci-après
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Titre L'Est-Républicain, édition du 26 janvier 2000
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Titre Schéma 1 - Les différents espaces et secteurs de la répétition
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Titre Schéma 2 - Les différents cadres de l'activité de diffusion, leurs fonctions et leurs principaux promoteurs
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Titre Flyer : « Rock Lycée », organisé par Sup’Est, Nancy, 2002
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Titre Flyer « Music’o Village, 2001
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Titre Flyer « Looping 101% Rock », concert pour les Droits de l’Homme, 2003 & Flyer « Festival Tibert Libre », 2001
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Titre Flyer d'une manifestation organisée par le chapitre des Baroudeurs 57, Knutange, 2000
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Titre Plaquette de présentation de l'« American Show », Pagny-sur-Moselle, 1999
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Titre Flyer du festival « Skatecontest », association Rock Epine, Epinal, 2001
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Titre Programme du festival « Rock'n Lor », Nancy, première de couverture, 2001 & flyer « Soirée dansante sixties, association Rock'n Lor, 2003
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Titre Flyer d'appel à candidature pour le festival « Rock Lycée », Nancy, 2001
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Titre Flyers d'appel à candidature pour les festivals « Printemps de Bourges », et « Eurockéennes, 2002
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Titre Programme de l'Austrasique, septembre-décembre 2002, p. 23
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Titre « Un Tour en Lorraine », 2003
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Titre Plaquette de présentation d'un studio 4 pistes
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Titre Texte de présentation d'un studio 16 pistes
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Titre Plaquette de présentation d'un studio 40 pistes
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Titre Schéma 3 - Les différentes formes de la distribution au sein du monde du rock
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Titre Le stand José Records, Epinal, 2003
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Titre Flyer promotionnel pour la sortie de la première compilation CD-R du label Brain Damage, 2001
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Titre Flyer promotionnel pour le nouvel album d'un groupe nancéien, 2002
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Titre Flyer promotionnel pour le catalogue Sucette Distroy, petite structure de distribution sans cadre juridique, 1999
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Titre Flyer promotionnel pour le catalogue Combat Rock, 2001
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Titre Extrait du catalogue State Of Mind, petite structure de distribution associative, 1999
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Titre Extrait du catalogue Muséa, distribution nationale, 2001
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Titre Flyer RDVD « Rendez-Vous des amateurs de Disques »
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© Éditions Mélanie Seteun, 2006

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