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Technomedia

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Anne Petiau

Blogs et réseaux sociaux : les jeunes dans la société médiatique

Chapitre 5. Culture numérique, culture médiatique

Texte intégral

L’épopée Internet

  • 1 P. Breton, S. Proulx, L’explosion de la communication, Paris, La Découverte, 2006, p. 294-295.

1Sur Internet, les jeunes s’expriment, diffusent des contenus, créent des réseaux entre pairs. Ces pratiques actuelles prennent corps sur les possibilités permises par Internet. Celui-ci occupe une place particulière parmi les médias. Dans les grands médias de masse (radio, presse, télévision) un petit nombre de rédacteurs ou d’orateurs s’adresse à un grand nombre de récepteurs. La communication est essentiellement descendante. Avec Internet, chaque récepteur est aussi un émetteur potentiel. Ce qui fait l’originalité d’Internet est d’être à la fois un système de communication et un système de diffusion. On peut communiquer d’un point à un autre, comme avec le téléphone, mais chaque point peut diffuser de l’information, comme le fait la radio. C’est ce qui fait que chaque utilisateur d’Internet a la possibilité de recevoir des informations, mais aussi d’en émettre1. Cette possibilité, contenue dès l’invention d’Internet, est encore renforcée avec les applications participatives de ce que l’on nomme le web 2.0. De plus, les autres médias sont aujourd’hui présents sur Internet : il est possible d’y diffuser des images et du son, et ces dernières années ont vu le développement des web radios et web télévisions.

  • 2 M. Castells, La galaxie Internet, Paris, Fayard, 2002, p. 18-49.
  • 3 « Internet dans le monde », La Documentation française : www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/ (...)

2L’histoire d’Internet commence au sein d’une agence créée par le département américain de la défense en 1958, l’ARPA (Advanced Research Projects Agency). Dans un contexte de Guerre Froide, cette agence a pour but de développer et d’utiliser la recherche universitaire pour assurer la suprématie de la technologie militaire américaine. L’une des branches de l’agence, consacrée au traitement de l’information, travaille à un projet d’informatique interactive permettant de relier différentes équipes. L’objectif est donc de mettre en réseau des centres informatiques. L’agence met au point une nouvelle technique de transmission d’informations entre ordinateurs, la « commutation par paquets ». En 1969, un premier réseau relie quatre universités américaines et le siège de l’ARPA. Ce réseau, nommé Arpanet, est ensuite progressivement étendu. Au début des années 1970, un protocole permettant la communication entre réseaux est mis au point : le TCP, qui devient ensuite TCP/IP. Après avoir transféré, en 1975, le réseau Arpanet à la Defense Communication Agency, le département de la défense sépare finalement, en 1983, le réseau en deux : ARPA-Internet destiné à la recherche et la communication dans les réseaux scientifiques, et MILNET consacré à l’usage militaire. En 1990, ARPA-Internet est démilitarisé. Internet passe d’abord sous la gestion de la NSF (National Science Fondation), puis est privatisé, autorisant ainsi des entreprises à développer leurs propres dispositifs d’accès au réseau. Internet devient accessible aux particuliers et aux entreprises. Le protocole de communication TCP/IP est adopté comme norme internationale commune. Internet se démocratise avec la création en 1990 au sein du CERN (Centre Européen de Physique Nucléaire), par l’informaticien anglais Time Berners-Lee, du World Wide Web. Ce programme permet de récupérer et d’envoyer des informations depuis et vers tout ordinateur connecté à Internet. Le World Wide Web facilite la navigation sur la toile grâce à une interface graphique simple à utiliser et l’introduction de liens hypertextes permettant de passer d’une page à une autre. C’est sur cette base que seront développés les autres navigateurs2. Accompagné par le développement de la micro-informatique et l’équipement croissant des ménages, le « réseau des réseaux » s’étend pour passer de 1000 ordinateurs connectés en 1984 à 1250 milliards d’utilisateurs dans le monde en 20073.

  • 4 Idem et P. Breton, S. Proulx, L’explosion de la communication, op. cit., p. 289-296.

3L’Internet actuel trouve donc ses origines dans des préoccupations et financements militaires. Mais il doit aussi beaucoup à des jeunes universitaires qui, à la fin des années 1970, sur les campus américains, imaginent de nouveaux usages pour ces nouvelles technologies. C’est donc aussi de cette culture libertaire et communautaire des hackers qu’Internet tire une autre partie de ses origines. Ces universitaires développent des programmes gratuits permettant d’échanger des fichiers et des messages. Ils inventent des programmes permettant de mener des discussions en ligne, les BBS (Bulletin Board Systems), principe que l’on retrouve dans les actuels forums de discussion. Ces étudiants mettent le fruit de leurs inventions dans le domaine public, autorisant ainsi leur reprise et leur développement. C’est aussi un groupe d’étudiants qui est à l’origine de la réunion de deux réseaux existants, Arpanet et Usenet, constituant ainsi Internet. Lorsque le World Wide Web est inventé en 1991, les hackers inventent et diffusent gratuitement leurs propres navigateurs, permettant de se rendre sur différents sites. Un étudiant américain, Marc Andreessen, développe et diffuse ainsi Mosaic, avant de contribuer au développement du logiciel commercial Netscape Navigator. Mais ce sera finalement Internet Explorer de Microsoft, intégré au logiciel Windows, qui s’imposera4.

  • 5 L. Allard, « Émergence des cultures expressives d’Internet au mobile », Mediamorphose, no 21, sept (...)
  • 6 M. Inizan, « L’industrie du disque dénonce les ‘voleurs à la petite semaine’ », Le Monde, 9 septem (...)
  • 7 Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information.
  • 8 Parmi les nombreux articles de presse sur la question, voir notamment : « Hadopi, la chronologie » (...)

4Le blog est aussi vieux qu’Internet, si l’on considère que le tout premier site web réalisé en 1990 par l’inventeur du World Wide Web, Tim Berners-Lee, en contenait déjà le principe : il informait de son projet et des nouveaux sites Internet au fur et à mesure de leur création. Mais l’essor des blogs se réalise vraiment avec que l’on appelle le Web 2.0 : une deuxième génération d’applications permettant un usage plus participatif d’Internet5. Avec les blogs, chaque internaute peut créer facilement son journal en ligne et l’enrichir de contenus aussi bien écrits qu’audiovisuels. De même sur les réseaux sociaux tels que Facebook et MySpace : chacun peut créer son profil, ajouter des textes, des photos, des vidéos, interagir avec ses « amis » sur le réseau. Ces sites de socialisation offrent la possibilité de réagir sur les profils des uns et des autres, en y laissant des commentaires. On retrouve ces possibilités d’apports de contenus audiovisuels et de commentaires sur les sites de partage, tels que YouTube et Dailymotion, où les internautes peuvent diffuser des vidéos et les « tager ». Ce système de tags s’est aujourd’hui largement répandu. On trouve cette possibilité de classifier et de rechercher des informations grâce à des mots-clefs librement choisis par les internautes sur de nombreux sites Internet. Les visiteurs participent ainsi à hiérarchiser les contenus du web, aiguillant les visiteurs suivants. Le Web 2.0 comprend aussi le Wiki, une application collaborative permettant aux internautes de participer à l’élaboration du contenu d’un site. L’exemple le plus connu est l’encyclopédie collaborative Wikipedia. Les fils RSS permettent quant à eux à un internaute de se « syndiquer » à un flux et d’être ainsi prévenu des mises à jour d’un blog ou de n’importe quel site Web. Des applications, telles que Netvibes, permettent de se créer une page personnelle incluant un lecteur des différents fils RSS et affichant les mises à jour en temps réel. Les sites de P2P (peer-to-peer), tels qu’Emule ou Kazaa, permettent quant à eux d’échanger des fichiers (musique, vidéo) de pair à pair. Chaque internaute peut diffuser et télécharger des contenus, le serveur du site allant puiser chez tous les utilisateurs où le contenu est disponible. Le téléchargement de pair à pair, illégal, fait l’objet depuis plusieurs années de vives critiques de la part de l’industrie du disque et du cinéma, qui le tient pour principal responsable de la chute des ventes de la musique et de la fréquentation des salles, et de la part de la SACEM qui dénonce les infractions au droit d’auteur6. Après beaucoup d’hésitations et de débats au sein du gouvernement et de l’espace public, deux lois sont passées pour légiférer sur le téléchargement illégal et tenter de l’enrayer. En 2006, la loi DAVSI7 est venue modifier le code de la propriété intellectuelle. À cette loi, qui vise principalement les éditeurs de logiciels destinés au P2P, a fait suite en mai 2009 la loi dite HADOPI, qui modifie à son tour le code de la propriété intellectuelle, de l’industrie cinématographique et de l’éducation. La loi tire son nom de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, qu’elle crée pour contrôler les téléchargements des internautes. Cette nouvelle loi suscite de nombreuses réactions et polémiques, notamment de la part des associations d’internautes attachés au P2P et ne se satisfaisant pas de l’offre légale de musique en ligne. Une autre série de critiques provient de personnalités politiques, qui dénoncent l’atteinte à la liberté d’expression induite par le volet répressif de la loi, qui prévoit des sanctions de suspension et même de coupure de l’accès à Internet, sur décision de la Haute autorité. Après une censure de la première version de la loi par le Conseil constitutionnel, la loi HADOPI 2 est finalement adoptée quelques mois plus tard. Au terme de trois avertissements, les contrevenants s’exposent à des amendes et à la suspension de leur abonnement Internet, sur décision d’un juge. La loi reste fortement critiquée, tant pour son atteinte aux libertés que pour son inapplicabilité8. Une régulation plus en phase avec les usages actuels d’Internet, comme une licence globale permettant un volume de téléchargement plutôt qu’un achat par titre, aurait sans doute été mieux acceptée, tout en permettant une rétribution aux auteurs conformément à la législation entourant la propriété intellectuelle.

5Si certaines applications du web 2.0 font débat, comme c’est le cas avec le P2P et les échanges de fichiers dématérialisés qui bousculent la gestion établie de la propriété intellectuelle, l’aspect saillant de ces applications est qu’elles renforcent la dimension participative et socialisatrice d’Internet. Elles permettent la mise en relation et les interactions entre internautes, et facilitent la participation, la contribution des usagers aux contenus du web.

Réseaux des pairs et grands médias

  • 9 E. Morin, Les stars, Paris, Seuil, 1972, p. 127-134 et 137-147.

6Internet, en tant que nouveau média, est aussi un nouvel espace où se jouent les phénomènes de starification. Les stars et les vedettes ont accompagné le développement des industries culturelles et des grands médias. Dès le début de son histoire, le cinéma Hollywoodien a misé sur la popularité des acteurs pour assurer le succès de ses films, donnant naissance au star-system. Cette stratégie économique n’a pu réussir que parce qu’elle a rencontré chez les spectateurs un besoin de participation magique à l’existence extraordinaire de ces héros modernes, d’identification à des modèles de vie. Les adolescents trouveront dans James Dean un héros propre à leur classe d’âge, incarnant leurs désirs de révolte, de vie aventureuse et d’autonomie vis-à-vis de la famille9. Après la grande période du star-system, les industries culturelles et les grands médias ont continué de proposer des productions culturelles, de donner naissance à des vedettes, des stars de la chanson, du sport ou du cinéma. La radio, la télévision et les magazines construisent les popularités et diffusent des modèles culturels, comme en témoignent les posters accrochés aux murs des chambres. Jusque-là, les stars qui fascinaient les adolescents étaient consacrées par les grands médias. Mais avec Internet, et tout particulièrement les applications du web 2.0, les jeunes développent leur propre espace de starification. Les notoriétés se construisent aussi sur les blogs, sur les réseaux sociaux comme Facebook et MySpace, sur les sites de partages de vidéos comme YouTube et Dailymotion. La construction de popularité ne suppose plus forcément l’accès aux médias de masse, elle peut se réaliser au sein des réseaux animés par les jeunes, qui consacrent eux-mêmes leurs propres stars. L’essor d’Internet a donc changé le jeu établi en donnant naissance à des canaux d’expression qui peuvent concurrencer les grands médias. Les phénomènes de starification ne sont pas les seuls touchés. C’est d’ailleurs surtout dans le domaine de l’information et du savoir que ces transformations ont été pensées.

« Moi perso j’essayais d’imiter Va Van. C’est le pote de Treaxy. C’est un grand danseur qui est connu, il est dans la team Ecclesiast. J’essayais d’imiter ses phases. »
Sacha, 14 ans

« [Pour les aprems], moi et Kevin on fait la musique, ça finit sur le blog, c’est beaucoup vu, genre ceux qui sont filmés par Ristourne veulent être sur la vidéo pour finir sur le blog, pour être des petites stars de l’Internet. Il y en a quelques uns qui ont été révélés au public, pour les jeunes, grâce aux aprems. »
Fozzie Bear, 18 ans, Dance Generation

  • 10 A. Mattelart, Histoire de la société de l’information, Paris, La Découverte, 2006, p. 47-57 et E. (...)

7Dans une société où la maîtrise de l’information est devenue centrale, des analyses s’intéressent à la manière dont les nouvelles technologies de l’information et de la communication, à commencer par Internet, modifient le jeu installé depuis l’avènement des grands médias. Plusieurs expressions ont été proposées pour penser les transformations des sociétés occidentales à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale : société postindustrielle, société de communication, société de l’information… Ces analyses, diverses, s’intéressent au formidable développement des médias, de l’informatique, des technologies de la communication et de traitement de l’information. Elles relèvent la transformation des relations sociales, professionnelles et économiques qui accompagne cette montée des médias et de l’informatique. Elles relèvent la montée du réseau dans les organisations sociales et les relations. Elles constatent la part croissante des services et des métiers liés aux médias, à la communication et aux savoirs : recherche et enseignement, services aux personnes et aux entreprises, conseil, ingénierie et formation, production et diffusion culturelle, journalisme, animation culturelle et sportive… Tous ces secteurs représentent une part croissante de l’emploi et de l’économie. Dans la période précédente, c’est la production industrielle qui occupait une place centrale dans l’économie et l’emploi. Les principaux enjeux étaient donc liés à la maîtrise de la production. Aujourd’hui, l’enjeu de maîtrise du savoir et de la circulation des informations prend le pas. C’est ce que l’on voit dans le développement des études, du conseil et des expertises, tant dans le monde de l’entreprise que dans les politiques publiques menées par les gouvernements. Les relations aux médias, la capacité à communiquer, à construire une image publique, à maîtriser la diffusion des informations, sont jugées indispensables, aussi bien dans le monde politique que professionnel ou public10.

  • 11 La première expression est de J. De Rosnay, La révolte des pronétariens. Des mass médias aux média (...)
  • 12 J. B. Thomson, « La nouvelle visibilité », Réseaux, no 129-130, 2005, p. 59-87.

8Destinés à une large audience, les médias de masse (radio, presse, télévision) laissent peu de place à la parole des auditeurs et des lecteurs auxquels ils s’adressent. Internet, qui permet à la fois de recevoir de l’information et d’en diffuser, modifie la donne en permettant à tout un chacun non seulement de recevoir de l’information, mais aussi d’y réagir. Les commentaires, de plus en plus utilisés sur les sites, permettent aux internautes de réagir aux articles de journaux et aux émissions de radio ou de télévision. Le système des tags, qui consiste à associer des mots-clefs aux films, émissions ou autres biens culturels, leur permet de proposer leur propre classification. Mais les internautes peuvent aussi produire du contenu et le diffuser largement. Les blogs, en proposant une interface peu complexe, ont largement facilité la possibilité de faire entendre les voix individuelles. Le développement des médias sur Internet a lui aussi pris deux visages différents. D’un côté, les grands médias y sont présents. La plupart des journaux proposent des éditions en ligne, les radios y sont diffusées et rendent accessibles leurs archives, de même pour les chaînes de télévision. De l’autre côté, grâce aux logiciels de streaming et de podcast, des internautes peuvent aussi mettre des contenus audio et vidéo sur leurs sites ou leurs blogs, ou même lancer des radios et télévisions. Les webradios, et dans une moindre mesure les webtv, fleurissent sur le net, aux côtés des médias traditionnels. Après les médias de masse, voici donc l’avènement des « médias des masses » ou de la « communication de masse individuelle11 » : les flux de communication ne descendent plus seulement d’un petit nombre vers une large audience ; les membres de cette audience peuvent à leur tour diffuser de l’information auprès d’un large public. D’autres voix peuvent ainsi se faire entendre. Les internautes peuvent réagir aux articles et aux émissions. Ils peuvent s’emparer d’un contenu audiovisuel et démultiplier sa diffusion sur Internet. Il n’est pas rare de voir circuler sur les sites de partage de contenus des vidéos mettant en cause une personnalité politique. Ainsi, la vidéo de Nicolas Sarkozy insultant un visiteur refusant de lui serrer la main lors du Salon de l’agriculture en 2008 a largement circulé sur le web, récoltant à ce jour plus de 9 millions de vues. Citons encore, parmi tant d’autres exemples possibles, la circulation d’une vidéo, en plein contexte de campagne interne au Parti socialiste en amont des élections présidentielles de 2007. Celle-ci montre la tenue d’une table ronde réunissant Ségolène Royal et des militants socialistes. Ségolène Royal y propose entre autres un nombre d’heures de présence obligatoire dans les établissements pour les professeurs de collège, et explique rester discrète sur cette proposition pour ne pas déclencher les réactions des organisations syndicales enseignantes. Cette vidéo, largement relayée sur Internet, (plus de 900 000 vues sur Dailymotion), a provoqué un tollé chez les enseignants. À l’ère d’Internet et de la circulation des informations, les scandales dans la vie politique et publique deviennent courants12. Ces voix provenant d’autres sources que les grands médias peuvent se faire critiques ou délibérément alternatives vis-à-vis du monde politique ou des grands médias. Les mouvements associatifs ont trouvé avec Internet une possibilité d’expression et de mobilisation – pensons par exemple au mouvement altermondialiste. Des médias indépendants – certains regroupés dans le réseau Indymedia – concurrencent les médias traditionnels et proposent des contenus éditoriaux qui peuvent être élaborés collectivement par des journalistes non professionnels.

9Mais les multiples voix qui se font entendre sur Internet ne sont pas forcément porteuses d’une alternative ou d’une critique. Les blogs et les réseaux sociaux sont d’ailleurs tout autant investis par les internautes ordinaires que par les personnalités politiques, tout comme les contenus audiovisuels proviennent toujours en grande partie des grands médias. Il reste qu’Internet, notamment avec les applications du web 2.0, a permis aux internautes de s’exprimer de manière individuelle ou de créer des réseaux de diffusion autonomes. Quelle qu’en soit l’intention, publier un contenu sans pour autant avoir accès aux grands médias est devenu possible, tout comme il est devenu possible de faire entendre ses réactions aux informations diffusées.

  • 13 P. Chantepie, « Web 2.0 : les économies de l’attention et l’insaisissable internaute-hypertexte »,(...)
  • 14 Comme l’analyse E. Neveu, les discours sur la société de communication relèvent parfois d’un récit (...)
  • 15 R. Bigot, P. Croutte, La diffusion des technologies de l’information et de la communication dans l (...)
  • 16 F. Rebillard, Le web 2.0 en perspective, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 47-55.

10Dans quelle mesure ces nouveaux réseaux modifient vraiment la donne établie avec les grands médias, les pouvoirs politiques et les industries culturelles ? Les économistes parlent du déplacement de la rareté vers l’attention à l’âge du web 2.0 : la difficulté concerne moins l’accès à la production de contenus que de susciter l’attention parmi un grand nombre de contenus13. Une première relativisation découle donc du fait que toutes les voix ne parviennent pas à mobiliser la même audience. De ce point de vue, un internaute lambda ne bénéficie ni de la légitimité ni de l’audience des médias traditionnels, qui investissent aussi les nouveaux canaux de communication. De même, tous les mouvements sociaux n’ont pas la même capacité à exister publiquement, à constituer des réseaux de diffusion et à se faire entendre. Il faut également rappeler l’existence des inégalités d’équipement informatique et d’accès à Internet14. En France, ce que l’on a appelé le « fossé numérique » se réduit, mais des inégalités demeurent. Si les jeunes de tous les milieux sociaux ont des taux d’accès à Internet presque comparables, ce n’est pas le cas chez les adultes en emploi : en 2008, les ouvriers sont deux fois moins nombreux que les cadres à utiliser Internet, les différences étant encore plus marquées pour les retraités. Les taux d’équipement en ordinateur à domicile varient également avec les niveaux de vie et les niveaux de diplôme. Les inégalités entre pays sont également très criantes. En 2007 en Europe, les taux d’accès des ménages à Internet vont de 20 % pour la Roumanie à 83 % pour les Pays-Bas. Les écarts sont encore plus grands entre les pays du Nord et du Sud. Si 47,8 % des Européens ont accès à Internet, ils sont 4,7 % en Afrique, 4,4 % dans les pays d’Océanie, 9,6 % en Asie et 18,8 % en Amérique Latine et aux Antilles. Si l’on s’intéresse aux usages, on voit que parmi les nombreux utilisateurs du web, et malgré le développement des applications du web 2.0, seul un petit nombre d’internautes crée du contenu. Si là encore les plus jeunes se distinguent, ils ne sont finalement que 22 % à l’échelle de la population globale des internautes à avoir créé un blog ou un site15. On ne peut donc pas faire abstraction du fait que, si Internet et les nouveaux médias occupent une place grandissante dans les pratiques culturelles des adultes et des jeunes, tous n’ont pas la même facilité d’accès à Internet, n’en disposent pas à domicile, ni n’ont la même aisance avec l’outil informatique. Internet offre de nouvelles possibilités mais n’annule pas magiquement les inégalités face à la culture. Sans opposer diamétralement réception et création, car la simple consultation d’un contenu médiatique n’est pas incompatible avec une attitude active d’appropriation ou de regard critique, il faut noter que la contribution aux contenus du web est loin de concerner tous les internautes16.

Des canaux parallèles de starification

11Dans le domaine culturel aussi, de nouveaux canaux de diffusion se sont constitués sur Internet. En France, MySpace s’est imposé comme le principal réseau autour de la musique. Les groupes et musiciens y créent leur page, sur laquelle ils ont la possibilité de mettre quelques morceaux en écoute, ainsi que des contenus audiovisuels et des textes. Les musiciens peuvent ainsi insérer des photos et des vidéos de leurs performances, présenter leur biographie artistique et annoncer leurs concerts à venir. Comme sur les autres réseaux sociaux une section est consacrée aux « amis » et aux commentaires que ceux-ci laissent sur la page. Tandis qu’un petit nombre d’amis est visible sur la page (du « top 4 » au « top 40 », selon le choix de l’internaute), les autres sont accessibles en cliquant sur un lien. Les musiciens agrandissent leur réseau d’amis en acceptant les demandes et en faisant eux-mêmes des demandes d’ajouts à d’autres musiciens. La gestion des amis permet de rester en contact avec les musiciens et lieux de diffusion connus, animant ainsi la vie musicale locale, mais aussi d’afficher ses influences et affiliations en sollicitant des musiciens de renommée dans son univers stylistique, ainsi qu’à agrandir son réseau et la fréquentation de la page. Ces outils font de MySpace un outil promotionnel facilement accessible. Les compteurs du nombre de visites sur la page, du nombre d’amis et du nombre d’écoutes des morceaux en ligne, permettent de mesurer la fréquentation du site et la notoriété des musiciens.

  • 17 J. Beuscart, « Les transformations de l’intermédiation musicale » Réseaux, no 142-142, 2007, p. 14 (...)

12À partir du début des années 2000, de nouveaux sites apparaissent qui cherchent à concurrencer les grands groupes en matière de distribution, d’édition et de production musicale. Si certains éditent et distribuent de nouveaux artistes, d’autres proposent aux internautes de devenir producteurs de musiciens17. Ainsi de MyMajorCompany, Spidart ou encore Aka Music. Les musiciens peuvent s’y inscrire, créer leur profil et mettre en écoute leur musique. Les internautes peuvent investir dans l’artiste de leur choix, des petites sommes dont le montant varie selon les sites (cinq à dix euros). Ils sont également invités à assurer la promotion de leurs artistes auprès de leurs amis et connaissances. Lorsqu’une somme est atteinte, entre 50 000 et 70 000 euros pour un album selon les sites, l’album est enregistré et soutenu dans sa promotion avec des studios et médias partenaires. Les recettes issues de la vente en ligne et des supports physiques sont partagées entre l’artiste, le site et les internautes producteurs. Ces sites proposent donc une alternative au circuit classique de production musicale, où les artistes doivent convaincre une maison de disque d’investir dans leur projet musical, et où peu sont élus face au nombre de prétendants. Ici, le succès des projets musicaux repose sur l’autopromotion assurée par les artistes et par les internautes-producteurs.

« Make your dream come true »,
promet le site Aka Music aux musiciens.

  • 18 J. Beuscart, « Les usages de Myspace par les musiciens autoproduits », Réseaux, no 26, 2008, p. 13 (...)
  • 19 Sur les figures de musiciens entrepreneurs en musiques populaires, voir P. Coulangeon, Les musicie (...)

13Certains musiciens, chanteurs et groupes ont acquis une renommée et une large diffusion grâce à ces nouveaux réseaux. Ainsi de Lorie et Raphaël, dont les notoriétés se sont construites sur Peoplesound, un site précurseur dans les réseaux alternatifs à l’industrie du disque, aujourd’hui fermé. Le groupe Arctic Monkies et la chanteuse Lily Allen se sont quant à eux fait connaître sur MySpace. Citons encore Kamini, qui a connu une popularité subite suite à la circulation du clip Marly-Gomont sur les sites de partage de contenus. Jusqu’à présent, les majors de l’industrie du disque étaient intournables pour une large diffusion et les carrières à dimension internationale, que les musiciens soient produits directement par elles ou simplement distribués. Ces nouveaux circuits de promotion, de diffusion et de production sont-ils capable d’ébranler la domination des majors ? Malgré les quelques succès, largement médiatisés, de groupes et musiciens parvenus à la consécration par ces réseaux, il est trop tôt pour affirmer qu’ils pourront constituer une véritable alternative. En revanche, il est certain que ces sites offrent de nouvelles possibilités d’autopromotion pour les musiciens. MySpace par exemple leur permet de se constituer un premier public et peut permettre de trouver des concerts ou d’initier des collaborations. Il permet finalement surtout d’animer les milieux musicaux locaux, tandis que l’industrie du disque reste le passage obligé pour les carrières nationales et internationales18. On peut se demander si, dans l’avenir, ne se mettra pas en place une collaboration similaire à celle existant avec les indépendants, les majors prenant le relais pour assurer une diffusion plus large une fois les musiciens révélés. Il faut aussi noter que ces formes d’autopromotion demandent des compétences particulières aux musiciens. Au-delà du travail spécifiquement artistique, les musiciens doivent donc développer de véritables qualités de manager voire d’entrepreneur pour assurer leur promotion, se créer un public, trouver des occasions de prestations19.

14Sans renverser la domination des grands médias, les plateformes Internet du web 2.0 ont accru les possibilités d’expression de ceux qui, jusque-là, étaient des récepteurs des messages médiatiques. Dans le domaine de l’information, de la musique, et plus largement de la production et de la diffusion culturelle, les plateformes et réseaux sociaux permettent aux internautes de réagir aux contenus publiés sur le web mais aussi de produire leur propre contenu. On assiste ainsi au développement de réseaux horizontaux où des internautes s’adressent à d’autres internautes. Les blogs et les réseaux sociaux constituent des espaces communautaires au sens où des pairs s’y retrouvent autour de goûts ou de pratiques communes, mais ils peuvent aussi former des espaces de diffusion, de promotion et de reconnaissance parallèles. Comme on le voit dans la musique avec l’exemple de MySpace, il s’agit moins d’un contre-pouvoir que d’un entrelacement avec les médias et acteurs traditionnels. Ceux-ci utilisent aussi les nouveaux moyens promotionnels sur Internet. Le modèle de réussite reste la signature dans une maison de disques, et ce sont bien les grands médias qui entérinent la consécration des musiciens dont la popularité s’est construite sur les réseaux en ligne.

« C’est primordial quand tu veux faire avancer des projets : communiquer, faire de la pub. Par exemple, pour la marque Trinitek, il y a beaucoup de com’ qui va se faire sur MSN et Skyblog, sur MySpace aussi. »
Jey Jey, 20 ans

« Nous on est vraiment la preuve, grâce à un blog on passe dans des émissions, on est booké, on fait des soirées. Sans ce blog on n’aurait rien fait de tout ça. Le blog, c’est la base de tout. »
Fozzie Bear, 18 ans, Dance Generation

  • 20 F. Rebillard, Le web 2.0 en perspective, op. cit., p. 104-105.

15Sur Internet, les réseaux horizontaux créés par les internautes coexistent avec les diffusions verticales des industries culturelles20. Il ne s’agit pas de deux univers étanches. Le phénomène des danses électro est tout à fait exemplaire de ces dynamiques, où s’entrecroisent réseaux des pairs et grands médias. Quand, durant l’été 2007, les grands médias se sont intéressés à la Tecktonik et aux danses électro, ils ont mis les feux des projecteurs sur des danseurs qui avaient déjà acquis une popularité certaine sur Internet, tel que Jey Jey dansant dans son garage. En retour, la subite visibilité médiatique est venue renforcer l’engouement suscité par ce mouvement et les jeunes danseurs. La rencontre entre les réseaux créés par les jeunes sur Internet et les grands médias ont provoqué une véritable explosion médiatique : il n’était pas possible de ne pas avoir entendu parler de Tecktonik en juillet-août 2007. Les grands médias sont venus prendre le relais et amplifier l’essor d’un mouvement qui se diffusait déjà dans les clubs, dans les cours de collège, et surtout sur Internet. Ils ont relayé les figures de danseurs dont la renommée s’était déjà construite dans ce système de starification que constituent les blogs, les sites de partage de contenus et les réseaux sociaux. Un réseau où les codes mêmes de la médiatisation se sont popularisés, via la diffusion d’images et de vidéos en ligne, l’utilisation des outils de mesure de popularité présents sur les plateformes (voire même la constitution de véritables revues de presse sur si l’on pense au blog de Dance Generation !). Comme dans les réseaux liés à la musique, ce sont bien les grands médias qui continuent de représenter la plus grande consécration. Si les réseaux des pairs et les canaux plus traditionnels s’entrelacent, si une renommée peut être acquise dans les espaces en ligne, la médiatisation dans la presse et à la télévision reste le modèle le plus achevé de la starification.

« Internet, c’est ce qui fait la renommée des artistes. »
Youval, créateur du Vertifght

16Suivant la loi de l’événement, les grands médias se sont peu à peu désintéressés de ce phénomène juvénile. Le subit engouement provoqué par l’explosion médiatique est peu à peu retombé. Cela ne signifie pas pour autant que les danses électro aient disparu. Les grands médias n’éclairent que partiellement la réalité sociale. Visibilité médiatique et existence sociale ne se recouvrent pas toujours ! Les réseaux, sites et blogs consacrés aux danses électro et à la Tecktonik sont aujourd’hui moins nombreux mais existent toujours. Certains danseurs dont la popularité s’était construite sur Internet, et que l’éclairage des grands médias est venu consacrer, sont toujours actifs. Les sites de partage de contenus continuent d’être investis. Les vidéos des battles des championnats Vertifight sont aujourd’hui postées en grand nombre sur YouTube et DailyMotion.

« On s’est dit : pour être connu, il faut noyer YouTube sous nos vidéos. Et c’est ce qu’on a fait. »
Steady, créateur du Vertifght.

Une célébrité accessible

  • 21 S. Tisseron, L’intimité surexposée, op. cit., p. 101-127.

17Les stars des danses électro, consacrées dans les réseaux des pairs sur Internet, sont des jeunes comme les autres. Aujourd’hui, la célébrité tend à se banaliser : parce qu’elle devient une aspiration largement partagée, mais aussi parce que les figures de la célébrité peuvent être des personnes ordinaires. La figure la plus extrême de cette tendance est la téléréalité. Avec Loft Story par exemple, des jeunes accèdent à la célébrité sans avoir de dons ou de talents particuliers. Ils sont des jeunes comme les autres, auxquels les spectateurs peuvent facilement s’identifier. Ils sont des « héros de la banalité », sortis de la condition de jeunes ordinaires par les médias – et pouvant d’ailleurs y revenir tout aussi subitement21. D’autres émissions, comme Nouvelle Star, réactualisent le télé-crochet, les téléspectateurs étant invités à suivre les sélections de jeunes chanteurs, leurs épreuves sur scène devant un jury, jusqu’à la consécration d’un seul. D’autres encore, comme Star Academy et Pop Star, mixent concours d’amateur et téléréalité : les jeunes aspirants à la célébrité passent diverses sélections, souvent sanctionnées par le vote des téléspectateurs, tout en étant filmés dans un quotidien spécialement créé pour les besoins de l’émission. Ces héros-ci sont proches des jeunes – par leur âge, leurs préoccupations et petites histoires du quotidien mises en scène par les émissions – mais doivent aussi faire preuve de compétences particulières : le chant, la danse, la maîtrise de la scène. Les jeunes vedettes des danses électro sont aussi distinguées pour leur maîtrise de la danse. L’objectif est d’ailleurs de trouver son propre style, et d’être reconnu pour cela. Mais ce sont malgré tout des stars accessibles, très proches par leur âge et leur style de ceux qui les admirent, qui les imitent pour apprendre les phases, avant de trouver à leur tour leur propre style.

« Sur les plateaux télé, on voit ce que les danseurs vivent, et ça nous donne envie. Faire des clips, aller à l’étranger, connaitre des gens, connaître des producteurs. »
Julie, 15 ans

« Ces jeunes ne sont pas des stars comme des stars du show bizz et tout ça, c’est des clubbers avant tout. Quand on va faire des prestations, après ils vont danser avec leur public. Leur public, ce n’est pas seulement d’avoir des autographes qui les intéressent, c’est de passer un moment, un battle, un échange, avec leurs égéries. C’est une nouvelle conception de la starification. »
Tishou Aminata Kane, comédienne, chorégraphe et coach

  • 22 E. Morin, Les stars, op. cit., p. 17-35.
  • 23 M. Maffesoli, Le temps des tribus, op. cit.
  • 24 D. Pasquier, « Identification au héros et communauté de téléspectateurs : la réception d’Hélène et (...)

18Pourquoi les stars suscitent-elles tant d’enthousiasme ? Plusieurs ressorts sont à l’œuvre. La fabrication de stars par les industries culturelles et les médias rencontre un besoin profond de participation à une dimension magique, surréelle. Les grandes stars du cinéma hollywoodien, tels que Greta Garbo et Rudolf Valentino, sont des figures extraordinaires, au sens littéral du terme : leur beauté est exceptionnelle, leur existence échappe aux vicissitudes de la vie quotidienne. La star divinisée suscite alors la projection dans cette existence magnifiée. D’autres stars – celles de la période post-hollywoodienne – sont à mi-chemin entre le monde ordinaire et le monde divin. Si leur existence est toujours empreinte d’extraordinaire et d’excentricité, comme en font écho les médias, par d’autres caractères elles sont proches des hommes ordinaires et suscitent davantage l’identification22. D’autres stars encore cristallisent des espoirs de carrière. Dans des milieux comme le sport, la musique et la chanson, où le succès n’est pas lié à la réussite scolaire ni à l’obtention de diplômes, les stars incarnent des destins possibles. Plus ou moins divinisées, étoiles inaccessibles ou héros des temps modernes, les stars et les vedettes sont des figures médiatrices : modèles d’identification, symboles d’une condition, ou encore moyens de vivre par procuration une existence magique. Mais médiatrice, la star l’est dans un autre sens encore. Car elle n’est jamais celle d’une seule personne. Un autre de ses ressorts est d’être une figure commune. Le temps d’un concert, d’un match, les fans vibrent ensemble autour de leurs vedettes. Les passions partagées, dans un fan club ou de manière plus informelle, l’identification commune à un héros ou une figure d’admiration, génèrent un sentiment d’appartenance. Un des ressorts de la starification est la capacité des stars et autres vedettes à être le pôle autour duquel se retrouve une communauté, par les émotions communes qu’elles leur font partager23. Au moment de l’adolescence, ces différents ressorts jouent à plein. À l’âge où les relations amicales comptent tant et où l’identité manque d’assurance, les stars font participer à un groupe, supportent la sociabilité, et sont des modèles d’identification. Ces stars peuvent être celles du sport, de la musique et de la chanson, ou encore du cinéma et de la télévision. Les séries télévisées qui rencontrent beaucoup de succès chez les adolescents, comme Hélène et les garçons, reposent sur les mêmes processus. Si elles sont perçues comme niaises par les plus âgés, les plus jeunes s’y intéressent car ils y trouvent des modèles de comportements des premiers baisers, des premiers amours et des premières séparations, et plus généralement des relations entre filles et garçons. En s’identifiant aux personnages et aux passions qui les traversent, en riant, s’emportant et pleurant avec eux, les plus jeunes apprennent à maîtriser ces émotions nouvelles. Les récits des dernières aventures des héros sont aussi la matière des discussions et jeux de rôles entre amis, et c’est aussi parce qu’elles permettent ce partage au sein des petits groupes que les séries fonctionnent. Mais elles font aussi participer à une communauté plus large : celle des fans qui partagent les mêmes enthousiasmes24.

  • 25 S. Tisseron, L’intimité surexposée, op. cit., p. 28-38.

19Les mêmes ressorts sont à l’œuvre dans les émissions de téléréalité et les télé-crochets actuels comme Pop Star. Les jeunes téléspectateurs peuvent suivre passionnément les aventures des candidats, vibrer avec eux, partager l’ascension magique et l’accession à la célébrité des vainqueurs, ou encore commenter les succès et les défaites entre amis. Les petites aventures du quotidien des candidats aux émissions de téléréalité offrent un miroir du vécu de cet âge de la vie, où peuvent se puiser des modèles de conduite, notamment en matière de relations amoureuses et plus largement de relations entre les sexes25. Mais un pas de plus est franchi dans le processus de banalisation des stars. Car les stars en question ne sont pas si différentes des jeunes qui suivent leurs aventures : les quelques élus parvenus à la gloire pourraient tout aussi bien être eux… Dans les danses électro aussi, les stars sont des jeunes comme les autres, auxquels il est facile de s’identifier. La célébrité apparaît comme un état auquel chacun peut aspirer : la danse est une activité accessible, et il n’est plus besoin d’attendre l’éclairage des grands médias pour qu’une popularité se construise, celle-ci pouvant être acquise au sein des réseaux des pairs, sur les blogs et les sites de partage de contenus.

« Comme Va Van dans Yelle. Moi j’aimerais bien tourner dans un clip. […] Pour être connu, pour montrer aux jeunes, leur montrer la danse électro, leur apprendre. »
Sacha, 14 ans

20Les stars des cultures jeunes ont changé depuis le rock’n’roll : on peut parler d’une diffraction de la célébrité. Dans les danses électro, chacun peut s’imaginer être à son tour la vedette suscitant l’enthousiasme, la figure d’identification autour duquel le groupe va s’agréger. Parvenus à une forme de popularité grâce à la sanction des pairs dans les canaux parallèles de starification, les danseurs vedettes des danses électro suscitent à leur tour une émulation. Un des ressorts de l’engouement pour ces danses est sans aucun doute cette accessibilité qui fait que chacun peut à son tour s’imaginer être la figure d’identification des autres. Les mécanismes de popularité des grands médias se retrouvent aujourd’hui au sein des cultures juvéniles elles-mêmes. Depuis le rock’n’roll initial, les jeunes ont toujours été pleinement acteurs des courants culturels dans lesquels ils s’investissent, les animant par les pratiques amateurs, leur donnant leurs contours en les incarnant dans des styles de vie et leur sociabilité quotidienne. Avec les réseaux Internet, les jeunes participent d’une nouvelle manière à la construction des popularités et la consécration des stars de leur univers culturel.

Fig. 20. Place du Trocadéro à Paris en 2008.

Notes

1 P. Breton, S. Proulx, L’explosion de la communication, Paris, La Découverte, 2006, p. 294-295.

2 M. Castells, La galaxie Internet, Paris, Fayard, 2002, p. 18-49.

3 « Internet dans le monde », La Documentation française : www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/internet-monde/index.shtml

4 Idem et P. Breton, S. Proulx, L’explosion de la communication, op. cit., p. 289-296.

5 L. Allard, « Émergence des cultures expressives d’Internet au mobile », Mediamorphose, no 21, septembre 2007.

6 M. Inizan, « L’industrie du disque dénonce les ‘voleurs à la petite semaine’ », Le Monde, 9 septembre 2009.

7 Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information.

8 Parmi les nombreux articles de presse sur la question, voir notamment : « Hadopi, la chronologie », Le Monde, 15 septembre 2009 ; « La loi Hadopi 2 n’est pas applicable », Le Monde, 23 octobre 2009. Pour les critiques circulant sur Internet, voir notamment le fascicule anonyme téléchargeable en ligne : Tout savoir sur Hadopi 2 et la riposte graduée. Le guide de survie.

9 E. Morin, Les stars, Paris, Seuil, 1972, p. 127-134 et 137-147.

10 A. Mattelart, Histoire de la société de l’information, Paris, La Découverte, 2006, p. 47-57 et E. Neveu, Une société de communication ?, Paris, Montchrestien, 2006, notamment p. 43-58 et 105-110.

11 La première expression est de J. De Rosnay, La révolte des pronétariens. Des mass médias aux médias des masses, Paris, Fayard, 2006 et la seconde de M. Castells, « Émergence des médias de masse individuels », Le Monde Diplomatique, août 2006.

12 J. B. Thomson, « La nouvelle visibilité », Réseaux, no 129-130, 2005, p. 59-87.

13 P. Chantepie, « Web 2.0 : les économies de l’attention et l’insaisissable internaute-hypertexte », Esprit, no 353, 2009, p. 107-127.

14 Comme l’analyse E. Neveu, les discours sur la société de communication relèvent parfois d’un récit mythique, célébrant l’avènement d’une société meilleure. Le livre de J. De Rosnay (La révolte des pronetariens, op. cit.), annonçant une société plus démocratique découlant de la prise de pouvoir des individus ordinaires grâce à Internet sans tenir compte de la persistance d’inégalités sociales, est exemplaire de cette tendance. E. Neveu, Une société de communication ?, op. cit., p. 46-47. Voir aussi M. Castells, La galaxie Internet, Paris, Fayard, 2001, p. 300-332.

15 R. Bigot, P. Croutte, La diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française, CREDOC, 2009, p. 120 et p. 145-148 ; O. Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, op. cit., p. 27-32 et 45-69 ; CNUCED, Information Economy Report, 2007.

16 F. Rebillard, Le web 2.0 en perspective, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 47-55.

17 J. Beuscart, « Les transformations de l’intermédiation musicale » Réseaux, no 142-142, 2007, p. 143-174.

18 J. Beuscart, « Les usages de Myspace par les musiciens autoproduits », Réseaux, no 26, 2008, p. 139-168.

19 Sur les figures de musiciens entrepreneurs en musiques populaires, voir P. Coulangeon, Les musiciens interprètes en France, op. cit., p. 200-207.

20 F. Rebillard, Le web 2.0 en perspective, op. cit., p. 104-105.

21 S. Tisseron, L’intimité surexposée, op. cit., p. 101-127.

22 E. Morin, Les stars, op. cit., p. 17-35.

23 M. Maffesoli, Le temps des tribus, op. cit.

24 D. Pasquier, « Identification au héros et communauté de téléspectateurs : la réception d’Hélène et les garçons », dans C. Méadel, La réception, Paris, CNRS Éditions, 2009, p. 89-107.

25 S. Tisseron, L’intimité surexposée, op. cit., p. 28-38.

Table des illustrations

Légende Fig. 20. Place du Trocadéro à Paris en 2008.
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© Éditions Mélanie Seteun, 2011

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