Chapitre 4. Les attentes des jeunes dans une société de médias
p. 81-102
Texte intégral
Des âges et des attentes contrastés
1Qui sont ces jeunes investis dans les danses électro ? Il est difficile de cerner les contours de cette jeunesse en termes de catégories sociales. De manière générale, ce qui caractérise les musiques populaires (c’est-à-dire le rock, le hard rock, le punk, le rap, la chanson, les variétés, etc.) c’est qu’elle sont fortement liées à la jeunesse, plus que d’être portées par tel ou tel milieu social. Si les adultes continuent d’être attachés aux musiques qu’ils ont aimées auparavant, d’où le fait que le rock, la pop et la chanson soient autant écoutées par les adultes, le rap, les musiques électroniques, le punk ou encore le metal et le hard-rock sont surtout écoutés par les 15-24 ans. Si le lien avec la jeunesse est clairement établi, on ne peut en revanche pas dire, contrairement aux idées reçues, que toutes les musiques populaires sont celles des classes populaires. C’est au moment de la jeunesse que les catégories sociales dirigent le moins le choix des pratiques culturelles. On sait tout de même que, parmi ces musiques, le rap, la techno et les musiques électroniques sont davantage écoutées par les milieux populaires et moyens, tandis que la pop et le rock sont aujourd’hui davantage écoutés par les milieux plus favorisés1. Quant aux danses électro, on ne dispose d’aucune donnée qui permettrait de cerner avec certitude les profils sociologiques des jeunes danseurs. La simple observation laisse penser qu’il s’agit plutôt de jeunes urbains, habitants des villes ou des banlieues, issus des classes moyennes, reflétant bien la diversité et le métissage de la société française aujourd’hui. On peut aussi avancer que les danses électro touchent une large tranche de la jeunesse : si l’on a pu voir au moment de l’emballement médiatique des enfants de moins de 10 ans se déhancher et balancer furieusement les bras, imitant leurs grands frères ou leurs grandes sœurs, c’est surtout à partir de la préadolescence que la danse électro suscite le plus d’engouement, jusque la vingtaine passée environ. Mais les danses électro prennent des résonances bien différentes : la préadolescence, l’adolescence et la jeunesse sont des âges de la vie distincts, qui portent chacun leurs propres enjeux.
2Ces trois jeunesses sont apparues successivement dans l’histoire. Après la constitution de l’adolescence au milieu des années 1950, qui fait suite aux progrès spectaculaires de la scolarisation dans le secondaire, les sociologues parlent de l’apparition, dans les années 1980, de la jeunesse. Une période s’intercale entre l’adolescence et la vie adulte. Les jeunes reportent l’entrée dans la vie active, le départ de chez les parents, la mise en couple et le premier enfant. Beaucoup connaissent des situations mixtes : ils s’engagent progressivement dans la vie adulte. Par exemple, ils travaillent mais habitent encore chez leurs parents, ou alors ont leur logement indépendant mais ne sont pas encore engagés dans une vie professionnelle ou amoureuse stable : ils passent de petits boulots en petits boulots, expérimentent des histoires amoureuses, ou encore habitent en colocation. À partir des années 1980, cette phase intermédiaire concerne la plupart des jeunes, quel que soit leur milieu social. Plusieurs raisons expliquent cet étirement de la jeunesse. Avec l’allongement de la durée des études, l’accès de plus en plus massif à l’enseignement universitaire, l’entrée dans la vie active se fait plus tardivement. Le chômage des jeunes et les difficultés d’insertion professionnelle contribuent également à retarder l’entrée dans la vie adulte. Mais cet épisode est aussi le fruit d’une nouvelle manière de s’acheminer vers la vie adulte, où chacun se construit au travers d’expériences, qu’elles soient professionnelles ou amoureuses. Disposant bien sûr toujours de leur héritage familial, les jeunes ont aujourd’hui tendance à construire également leur identité par essais et erreurs, au travers d’expériences sociales et d’affiliations électives, dans des espaces d’expérimentation qu’ils contribuent à inventer – comme c’est le cas des courants culturels2.
3Très récemment, les sociologues observent l’apparition d’un nouvel âge de la vie : depuis quelques années, se sont les préadolescents qui revendiquent à leur tour davantage d’autonomie. C’est au moment de l’entrée au collège, dès 11 ans, que ce début d’indépendance s’affirme. Le préadolescent cherche à ne plus se définir seulement comme un membre de sa famille. Il commence à se définir aussi comme un jeune. Les préadolescents ont moins d’autonomie que les adolescents, mais davantage que les enfants. Ils restent encore fortement sous l’autorité de leurs familles, mais commencent à se détacher en partie du monde de l’enfance pour s’identifier à leur groupe d’âge, à leur génération. C’est ce début d’autonomie qui les mènera ensuite à l’adolescence proprement dite, où ils affirmeront davantage leur identité propre, leurs idées, leurs modes de vie, leur sexualité. Pour le moment, ils expérimentent la possibilité que leur identité ne se limite pas à celle de l’univers familial. Et c’est en se définissant en partie comme « jeune » que ce processus s’opère3. À la maison, au sein du collège ou à partir de lui, les préadolescents développent donc leurs propres goûts, leurs propres activités : ils se retrouvent dans un goût commun pour le skateboard, pour un sport, pour les jeux vidéos, pour la musique (les chansons de Lorie, ou encore de Priscilla, trouvent une large audience chez les collégiennes), ou encore… pour les danses électro. Ils adoptent un style vestimentaire marqué jeune, les filles se maquillent. Les parents, notamment dans les milieux les plus aisés, encouragent cette autonomie, et donnent souvent de l’argent de poche. L’industrie du disque s’est vite saisie de ce nouveau marché : de plus en plus, des musiques s’adressent spécifiquement à ce jeune public. Car c’est aussi par l’identification à des stars et aux modèles culturels proposés par les médias et les industries culturelles que cette identité jeune s’affirme. C’est d’ailleurs en été 2007, au moment où les danses électro et la Tecktonik ont fait l’objet d’une large médiatisation, que ces expressions se sont diffusées auprès des plus jeunes. L’engouement des collégiens pour les danses électro traduit donc un phénomène très contemporain : les progrès de l’autonomie culturelle des préadolescents.

Fig. 16. Couverture du magazine Gold Stars.
4Si les danses électro fédèrent une large tranche de la jeunesse, tous n’y trouvent donc pas le même intérêt. Les uns et les autres sont à des étapes différentes de leur construction identitaire. Pour les préadolescents, les danses électro font partie de ces goûts librement choisis, où les jeunes commencent à développer leur propre univers parallèlement à la vie familiale, et s’affilient à une identité « jeune ». Les préadolescents y expérimentent la coexistence entre leur identité dans la vie familiale et leur identité dans l’univers propre à leur génération. Les enjeux sont un peu différents pour la tranche d’âge suivante. Les adolescents sont davantage engagés dans le processus de construction identitaire : ils sont en quête de rôles différents de ceux de l’enfance, d’affirmation d’un libre choix de leurs idées. Ils s’émancipent davantage. Paradoxalement, c’est en s’identifiant à des icônes qui les représentent et à des groupes propres à leur classe d’âge que les adolescents parviennent à affirmer leur indépendance. Car dans ces groupes, ils expérimentent de nouveaux rôles, de nouveaux engagements et activités qui ne dépendent pas de leur famille. Les adolescents choquent souvent par le caractère extrême de leurs goûts et de leurs engagements. Ils adoptent des styles spectaculaires, des coiffures excentriques, des piercings... qui les affilient sans aucune équivoque à la jeunesse en général et à une mouvance culturelle en particulier. Pour les psychologues, l’adolescence se caractérise par le passage d’une crise d’identité. Cette « crise » n’est cependant problématique, voire pathologique, que pour un petit nombre d’entre eux.

Fig. 17. Jey Jey.

Fig. 18. Team Blackout, championnat de France Vertifight 2010.

Fig. 19. Team C4 Electro, championnat de France Vertifight 2010.
5L’expression désigne en fait plus largement une période normale de mutation : les adolescents connaissent un déséquilibre provisoire nécessaire à une réorganisation de la personnalité. Le surconformisme dont ils font parfois preuve est une manière de sur-affirmer leur identité dans une période traversée par les bouleversements4. Les sous-cultures musicales offrent de telles possibilités de s’affilier à un ensemble culturel générationnel tout en affirmant une individualité singulière. Cette distinction personnelle passe par la manière propre à chacun de s’approprier le look et les préférences musicales – des subtilités qui peuvent être invisibles aux yeux des non initiés5. La construction identitaire se réalise dans ces jeux d’appartenances. Peu à peu, l’adolescent découvre qu’il a un moi propre, qu’il ne se réduit pas à ses différentes affiliations : il est à la fois membre de sa famille, membre de sa génération, membre d’un univers culturel particulier. Son moi propre apparait dans ce jeu entre ces différentes identités. Ainsi, à l’adolescence, les jeunes s’engagent davantage dans un univers culturel propre à leur génération. Le contrôle parental pèse moins, ils disposent davantage de temps libre pour s’investir dans des activités, partager du temps avec leurs amis. Ils affirment leurs goûts et les affichent souvent ostensiblement dans les codes vestimentaires. Ils expérimentent un libre choix de leurs idées, s’affirment en s’investissant dans des activités. Dans une société où peu de responsabilités sont laissées aux adolescents, c’est dans les courants culturels et en formant des groupes de pairs que les jeunes trouvent à s’exprimer et à s’affirmer. Les danses électro font partie de ces courants générationnels auxquels les adolescents peuvent s’identifier, la danse et les teams font partie de ces activités dans lesquels ils peuvent s’impliquer, tenir un rôle actif, avoir une identité différenciante dans un univers propre à leur classe d’âge.
6Cet investissement peut se prolonger après l’adolescence. La jeunesse telle qu’on l’a définie est un moment propice au développement d’activités amateurs, et les relations amicales ont encore beaucoup d’importance. Les danses électro peuvent être pratiquées pour le plaisir, parallèlement aux études ou à l’activité professionnelle. Les danseurs actuellement investis dans les championnats Vertifight sont majeurs pour la plupart. La danse peut aussi prendre une tournure plus professionnelle pour ceux qui interrompent leurs études, envisageant une carrière artistique. Ainsi par exemple de Jey Jey qui, après avoir obtenu son bac, s’accorde une année pour tenter sa chance comme danseur intermittent plutôt que de poursuivre en BTS. La jeunesse est le moment de telles pratiques et expérimentations qui, quelles que soient leurs suites, seront venues enrichir les parcours de vie.
« Les danseurs qui participent aujourd’hui au Vertifight ont commencé ados. Ceux qui ont continué sont maintenant majeurs, ils ont entre 18 et 25 ans pour la plupart. »
Youval, créateur du Vertifight.
Des jeunes nés avec Internet et les médias
7Les danses électro sont un phénomène qui est autant lié à la danse et à la musique qu’à la culture Internet. C’est la première fois qu’on voit une telle coïncidence entre culture numérique et culture musicale, festive. Les jeunes générations sont nées avec ce que l’on appelle encore les NTIC, les nouvelles technologies de l’information et la communication. Si les adultes ont appris à composer avec les ordinateurs, les téléphones portables et les messageries électroniques, ce sont des objets qui ont toujours été familiers aux adolescents et préadolescents d’aujourd’hui. Les blogs, les messageries instantanées, les sites de partage de contenus tels que YouTube et Dailymotion, les réseaux sociaux tels que MySpace, Facebook, Copains d’avant, sont autant d’outils qu’ils utilisent très spontanément. En 2008, plus des trois-quarts des 12-17 ans ont leur propre téléphone portable, le taux d’équipement atteignant 99 % pour les 18-24 ans. La quasi-totalité de ces jeunes possesseurs de mobile l’utilisent pour envoyer des SMS. C’est aussi chez les plus jeunes que la culture des « nouveaux écrans » (ordinateur, jeux, vidéos) s’impose, au détriment de la télévision et de la lecture. Ce sont encore eux qui se connectent plus fréquemment à Internet, et sont les plus utilisateurs de messageries instantanées. La création de blogs touche prioritairement les plus jeunes. En 2009, plus de la moitié des 12-17 ans ont déjà créé un blog. Ils sont le même nombre à participer à des réseaux sociaux, toutefois ici légèrement battus par les 18-24 ans, plus de 60 % d’entre eux participant à ces réseaux6. Ces médias sont des supports de la sociabilité : les jeunes restent en contact et se donnent rendez-vous avec les téléphones portables, les SMS, MSN ou d’autres messageries instantanées. Ces médias, particulièrement Internet, donnent également lieu à de nouveaux types de liens sociaux. Sur les blogs, les chats, les forums, les réseaux sociaux, les jeunes participent à des communautés en ligne. Sur Facebook, chacun peut retrouver les personnes qu’il connaît, discuter avec eux de façon instantanée, poster des commentaires sur leurs pages, mettre en ligne des photos ou des contenus vidéos. Sur Copains d’avant, chacun peut retrouver ceux qui ont croisé son chemin, en faisant part de sa scolarité et de son parcours personnel. Sur les forums, les discussions s’animent autour de sujets précis : technologie, musique, ou encore menus problèmes de la vie quotidienne. Sur les blogs, chacun se raconte, au jour le jour, au grès de ses envies, invitant les amis et visiteurs à laisser réactions et commentaires. La participation à la « blogosphère », les échanges sur les espaces virtuels, sont des liens tissés entre les jeunes même s’ils ne se déroulent pas dans un espace physique. Les blogs peuvent donner lieu à des usages différents. Ceux des plus jeunes se caractérisent par leur caractère gigogne. Principalement utilisés pour communiquer avec les amis, les blogs adolescents peuvent dans le même temps être un mode de partage de l’intimité, des goûts culturels. Sur leurs blogs, les adolescents présentent leurs amis, conservent et exposent les temps forts partagés avec eux, à grand renfort de photos et de vidéos, mais expriment aussi leurs ressentis, leurs intérêts et leurs préférences culturelles.7
« Je télécharge des films, de la musique, tout, des logiciels. Je fais du montage, vite fait. On télécharge tous. »
Clément, 15 ans
« Je dirais pas accro à Internet, mais c’est une habitude. J’y vais minimum une fois par jour pour voir les infos, les nouveaux trucs, les tendances… »
Titi, 18 ans.
8Les nouveaux médias sont d’abord des nouvelles modalités techniques d’entretenir les liens, qui prolongent la sociabilité telle qu’elle peut se tenir dans d’autres espaces. Les échanges se réalisent avant tout au sein du réseau de connaissances. À l’école, au sein de la famille, les adolescents sont toujours sous le regard des adultes. Ils disposent de peu d’espaces intimes à partager entre amis. Internet, tout particulièrement les messageries instantanées, offrent de nouveaux lieux virtuels pour l’intimité amicale, loin du regard des professeurs ou des parents. En ce sens, les espaces virtuels prolongent la sociabilité amicale telle qu’elle se crée dans les espaces physiques : les jeunes parlent, échangent avec les amis qu’ils connaissent déjà. Finalement, les adolescents discutent et « traînent ensemble » comme ils pourraient le faire dans la rue ou chez les uns et chez les autres8. Mais sur Internet, les jeunes s’adressent aussi à des communautés plus larges : au groupe de leur tranche d’âge et à ceux qui partagent les mêmes intérêts. Internet apparaît ici comme un nouvel espace public, où les adolescents se rendent visibles à la communauté adolescente au sens large9. Ces nouvelles technologies soulèvent la question de la redéfinition des frontières entre espace public et espace privé. Si les messageries instantanées ne sont finalement qu’une nouvelle manière de communiquer au sein d’un réseau de connaissance, ce n’est pas le cas des pages des réseaux sociaux, qui sont bien souvent visibles par tous. L’intimité, aujourd’hui, est plus facilement exposée. Le rapport à soi, aux autres et au monde prend, avec ces nouvelles technologies, de nouveaux contours. Les jeunes ne sont pas les seuls à y être confrontés, et chacun doit aujourd’hui gérer l’information qu’il rend disponible sur soi, sur les réseaux sociaux mais plus généralement sur tous les contenus mis en ligne. La plupart des réseaux permettent de choisir le niveau de visibilité de sa page et de ne rendre visible le profil qu’aux amis. Il est aussi possible de ne pas livrer toutes les informations personnelles sur les pages de renseignement, ou encore d’utiliser un pseudonyme, comme c’est le cas sur les blogs des jeunes sur la plateforme Skyrock. Ces opérations ne sont pas que techniques : moduler la manière dont on se rend visible dans un espace public est une manière de produire son identité, sur Internet comme dans bien d’autres espaces sociaux. Car l’identité n’est jamais fixée ; elle se rejoue sans cesse, notamment au travers des mises en scène de soi et de l’image que nous renvoient les personnes que l’on rencontre.
« Tous les soirs on est sur MSN entre nous. Dès qu’on est chez nous. »
Pich, 19 ans, team Hooliteck
9La plateforme de la radio Skyrock est largement investie par les jeunes. 97 % des skyblogueurs seraient âgés de 12 à 19 ans10. Y avoir son propre blog affilie à ce groupe d’âge, et c’est bien à cet ensemble générationnel que les jeunes s’adressent en s’exprimant sur leur site. Mais les pages affilient aussi à des communautés de goût. Au travers de leurs noms, des présentations, des photos, les blogs dévoilent les goûts des uns et des autres, les univers culturels d’appartenance. C’est aussi parce qu’ils sont liés aux intérêts culturels que les blogs des jeunes peuvent avoir une existence éphémère. Le désinvestissement d’un goût va de pair avec l’abandon d’un blog, un nouvel intérêt culturel motivant la création d’une nouvelle page. Ainsi, sur la quantité de blogs de la plateforme, tous ne sont pas vivants, si l’on peut dire. Les blogs abandonnés, sans nouveau contenu pour les faire vivre, subsistent sur la toile comme des témoignages des goûts passés. D’autres espaces que les blogs fonctionnent sur de telles affiliations culturelles. Sur MySpace, notamment dans la section dédiée à la musique, les membres s’adressent clairement à leur univers culturel d’appartenance : rock, pop, techno, électro… En participant à de tels réseaux sociaux, qu’il s’agisse d’avoir sa propre page ou d’en être un visiteur assidu, les jeunes se retrouvent autour de leur passion commune, mais se sentent également appartenir à une communauté autour de ces goûts partagés. Le principe du choix des amis revêt ici une importance stratégique : s’il prolonge la sociabilité avec les proches, il permet aussi de s’affilier à ce qui est jugé attractif ou « cool », qu’il s’agisse d’un courant culturel, d’un musicien, d’un artiste ou d’une idole11.
« Je me balade pas mal sur MySpace. À la différence de Dailymotion ou de YouTube, MySpace c’est vraiment un logiciel où c’est des artistes personnels qui mettent leurs idées. […] Il y a des chanteurs, il y a de tout, mais moi je me balade surtout pour trouver des nouveaux Djs. »
Titi, 18 ans
10Ces jeunes sont aussi nés dans une société où les médias tiennent une place importante. Les grands médias – radio, presse, télévision – ont accompagné l’avènement des cultures juvéniles. L’ordinateur, le numérique, Internet et le multimédia sont ensuite venus s’ajouter au paysage médiatique contemporain. Ce sont des réalités dans lesquelles ont tout de suite baigné les jeunes générations. Bien des tendances lourdes ont été diagnostiquées : on a pu parler de société de l’information pour désigner la rapidité de la circulation des informations et l’importance stratégique de leur maîtrise, mais aussi la coexistence de plusieurs réseaux où sont fabriquées et circulent ces informations, Internet offrant une possibilité d’expression parallèle à celle des grands médias. On a pu parler aussi de société de la communication, pour souligner combien celle-ci prend une place centrale, devient un impératif et une valeur en soi. On a pu encore parler de l’importance des images et du jeu des apparences dans une société devenue postmoderne.
« Dance Generation, c’est aussi beaucoup de passages dans les médias : TV, magazines, quotidiens, radios… »
Blog de Dance Generation
11Les jeunes amateurs de danse électro sont familiers des médias. L’importance donnée au look, la recherche de renommée, voire les tentations pour la célébrité, les mises en scène de soi (souci du corps, goût pour la photo, diffusion d’images de soi sur le web), sont autant d’aspirations modelées par la société médiatique. Les jeunes ne sont pas seulement à l’aise avec la diffusion de leur image, ils savent se comporter avec les médias. Ainsi, au printemps 2007, France 2 souhaitait réaliser un petit reportage sur la Tecktonik et la danse électro pour le journal télévisé. Ils ont contacté le collectif Dance Generation qui leur a donné rendez-vous au Trocadéro à Paris pour une démonstration de danse. Les jeunes de Dance Generation ont organisé un véritable casting en faisant venir les danseurs qu’ils estimaient les meilleurs. Ils ont tenu une véritable petite conférence de presse à l’intention des journalistes. Tout ceci n’a pas paru étrange ni même remarquable aux yeux des professionnels de la télévision : le monde des médias est le leur, ils sont habitués à ce type de mise en scène. Mais il est loin d’être anodin que des adolescents ou des jeunes à peine sortis de l’adolescence soient si à l’aise avec les médias, sachent se mettre en scène, et trouvent naturel de se promouvoir et de diffuser le plus largement possible leur image ! Sur le blog du collectif, on peut ainsi trouver une rubrique « Dance Generation et les médias », recensant les apparitions à la télévision, dans la presse et à la radio. Être vu dans les médias est un objectif, et l’autopromotion une attitude qui va de soi.
« Nous, notre culture, c’est Guetta qui fait des pubs pour L’Oréal, c’est Bob Sinclar qui est sur des téléphones, c’est même Tecktonik qui font tout, des brassards, qui montrent leur tête dans les clips, dans les journaux, les flyers. C’est l’Internet, c’est les médias. C’est le seul moyen de se différencier. »
Fozzie Bear, 18 ans, Dance Generation
Une jeunesse narcissique ?
12Pourquoi les jeunes dansent-ils ? Beaucoup apprécient l’effort, la transpiration, le défoulement que la danse leur procure. Ils y trouvent une saine dépense d’énergie, un moyen de relâcher la pression de leur vie quotidienne. Danser est aussi une façon particulière d’apprécier la musique, en la ressentant dans son corps, en la retraduisant dans les gestes. Ici, il ne s’agit pas seulement de s’abandonner à la musique, comme c’est le cas sur le rock, la techno et bien d’autres musiques, mais aussi de la retraduire dans une expression codifiée. Les mouvements des danses électro se fixent au fur et à mesure des inventions des danseurs. Des mouvements popularisés par des danseurs et des teams deviennent des mouvements de base. Ces phases dorénavant baptisées, comme le hair cut mimant l’attitude du gel appliqué sur les cheveux, forment une trame sur laquelle chacun peut ensuite improviser, apporter sa touche personnelle. Il y a là quelque chose de très prégnant dans la danse électro : il s’agit de trouver son style, d’avoir des mouvements à nuls autres reconnaissables. La consécration étant d’être à son tour à l’origine d’une nouvelle phase qui viendra enrichir le répertoire de cette danse. D’être à son tour source d’inspiration pour les autres. D’être reconnu pour son style. De laisser son empreinte. La danse est à la fois une forme d’expression, un moyen de communiquer sa personnalité, et de la voir reconnaître comme particulière.
« Une musique, c’est personnel, quand on l’entend on n’entend pas la même chose. En fait, quand je danse je montre la musique à ma façon. »
Titi, 18 ans
« On se vide le crâne. Moi quand je vais jumper, toute la semaine j’ai la pression scolaire, la pression des parents. […] Dès que le jump va commencer on va se défouler à ne plus pouvoir respirer, à se couper le souffle. »
Picolo, 17 ans, team Hooliteck.
« Pour moi, les meilleurs danseurs sont ceux qui ont leur propre style. Les polycopiés, ça sert à rien. »
Pich, 19 ans, team Hooliteck
13Cette injonction à être singulier, à exprimer sa personnalité, à la faire reconnaître, traverse tout le courant électro. Elle ne se retrouve pas seulement dans la danse, mais aussi sur Internet. Les blogs sont des pages personnelles où l’auteur s’exprime librement. Les billets sont classés de manière chronologique, et invitent les visiteurs à y laisser des commentaires. Des hébergeurs proposent des pages aux internautes et des outils en ligne pour créer leur contenu. Skyrock, la plateforme de la radio éponyme qui remporte un énorme succès chez les jeunes, impose un format assez standardisé, mais il est tout de même possible d’apporter une touche personnelle en intégrant des fonds de page, et bien sûr par le contenu qui y figure. Les billets publiés peuvent contenir du texte, mais aussi des photos et des vidéos, largement utilisées par les jeunes. Les blogs peuvent être vus comme un nouveau type de journal intime : parce que les billets sont postés au jour le jour, mais aussi parce que les jeunes s’y racontent. Au-delà des quelques informations imposées par le format de la page, l’âge et le lieu d’habitation, les jeunes se présentent, parlent de leur personnalité, de leurs goûts, de leurs amis, de leurs émotions, de leurs choix. Ils s’adressent à leurs pairs pour leur déclarer leur amour ou leur amitié. Ils font les récits des fêtes et autres moments partagés. Ils dévoilent les émotions qui les transportent dans leurs relations et leurs passions. Ils se mettent en images, eux et leurs amis, à grand renfort de photos et de vidéos. Mais si ces journaux sont intimes par leur contenu, leur diffusion sur Internet en fait bien au contraire des objets publics.
« Le but, c’est d’essayer de créer son propre style »
Sacha, 14 ans
14Ainsi, si l’expression de l’intériorité domine, il s’agit de la communiquer, de la rendre publique. Dans leurs blogs, les jeunes s’adressent à leurs amis, à leur entourage amical proche. Mais ils s’adressent aussi à leur communauté de goût, à ceux qui partagent les mêmes passions, les mêmes intérêts. Plus largement encore, ils s’adressent à la communauté de leur classe d’âge. Le blog est un nouveau moyen à la disposition des adolescents et préadolescents pour développer leur propre univers culturel, indépendamment de leur famille. C’est aussi un nouveau vecteur d’identification à des groupes générationnels, par lesquels les jeunes conquièrent une nouvelle autonomie et construisent leur identité12.
15Doit-on conclure du culte de soi qui transparaît dans les danses électro que la jeunesse est de plus en plus narcissique ? Que ces jeunes sont repliés dans une attention portée à eux-mêmes, obsédés par leur image ? Cette importance donnée au soi s’inscrit dans une quête d’authenticité et de réalisation, qui s’enracine loin dans les valeurs de nos sociétés occidentales. Elle prend ses sources dans les idéaux modernes d’autonomie et de liberté individuelle13. À partir des années 1960 aux États-Unis, puis durant les deux décennies suivantes dans l’ensemble des sociétés occidentales, ces recherches d’accomplissement prennent de nouveaux contours. L’avènement des médias de masse, les transformations de la famille, les mœurs plus permissives, induisent des évolutions dans la personnalité et les liens sociaux. Une importance accrue est donnée à l’intime. La recherche d’accomplissement personnel devient plus aiguë. Des analyses critiques diagnostiquent l’avènement d’une personnalité narcissique. Moins engagé dans la vie politique et citoyenne, l’individu est décrit comme ayant tendance à se focaliser sur lui-même, sa vie privée, son développement personnel. Moins assuré de son identité, il est davantage soucieux de son image, cherchant à être admiré ou à s’identifier à des célébrités pour s’assurer de sa valeur personnelle. Moins confiant dans l’avenir et dans le monde, il s’engage difficilement dans des relations durables14. Mais d’autres analyses mettent l’accent sur les répercussions sociales de ces changements. Elles relèvent que le lien social devient en effet plus électif et mouvant, sans pour autant se désagréger. Elles montrent que des groupes se constituent autour du partage des instants vécus, de l’intime et des émotions. Elles montrent comment la socialité s’organise autour du culte des images de soi et des célébrités15.
« Ce que je mets sur mon blog ? Des photos de soirée, des photos quand je vais en boîte […]. Pour montrer ce que je fais, montrer ce que j’aime, montrer qui je suis. Ça permet de montrer sa personnalité. »
KLM, 18 ans, team Piratek
16Les pratiques des jeunes danseurs électro s’inscrivent dans ces mouvements de fond. Elles traduisent cette tendance à l’affirmation de soi, et la manière dont les frontières entre intimité, espace privé et espace public se redessinent actuellement. À une époque où l’identité est moins héritée que construite au jour le jour, la mise en scène de l’intime dans les médias témoigne d’une quête de reconnaissance et d’une recherche de repères. Exposer sa vie privée ou être le spectacteur de l’intimité d’autrui s’inscrit dans une recherche de lien à l’autre, d’approbation de ses conduites ou de recherche de modèle de conduite16. La quête identitaire qui se joue à l’adolescence, et aujourd’hui s’initie dès la préadolescence, prend alors de nouveaux contours. Elle est fortement empreinte d’« extimité », ce mouvement qui pousse à communiquer ses sentiments intérieurs. À l’heure des nouveaux médias et des blogs, cette tendance trouve à s’exprimer sous de multiples formes : par le récit de soi, mais aussi par la mise en scène de soi au travers des photos et des vidéos. Ces expressions de soi sont tournées vers les autres. Les jeunes soumettent leurs images d’eux-mêmes et leurs émotions au regard des autres. Pas à n’importe qui, mais à ceux de leur classe d’âge, à ceux qui partagent les mêmes goûts et les mêmes enthousiasmes, qui sont les plus susceptibles de les comprendre. Ils les invitent à réagir à la personnalité qu’ils dévoilent. Les commentaires sont autant de réactions qui approuvent ou au contraire manifestent l’incompréhension face à cette intimité affichée. L’exposition de soi ne vise donc pas que la célébration de soi-même. Les jeunes y trouvent aussi des moyens de s’approprier leurs émotions, en les exprimant mais aussi par le miroir que leur tendent les uns et les autres en y réagissant. Finalement, ce travail de narration et de mise en scène est un moyen pour les jeunes d’explorer leur intériorité, de construire leur personnalité17.
« Au début, c’était surtout pour moi et pour mes amis, pour montrer ce que j’aime. Et là ça n’a pas vraiment changé, mais on parle beaucoup plus de danse. […] Et surtout, dans mon blog, je regarde les commentaires, j’essaie de répondre au maximum de personnes. »
Lili Asian, 16 ans
17Les mises en scène de soi au moyen de l’écrit, de la photo et de la vidéo sont de véritables outils utilisés par les jeunes pour produire leur identité et l’éprouver en la mettant à l’épreuve du regard des autres et de leurs réactions. L’identité personnelle ne peut en effet se construire sans ce miroir du regard des autres. Elle est au carrefour d’un sentiment intérieur, des statuts et rôles que l’on endosse, et des assignations identitaires par autrui. Elle évolue constamment, se rejoue encore et encore au fur et à mesure des expériences sociales et des interactions. Car c’est aussi dans les interactions les plus quotidiennes que l’identité s’ajuste, se négocie, évolue18. C’est pourquoi il y a constamment une recherche de reconnaissance, une forme de vérification que l’identité intimement ressentie corresponde bien à la manière dont on est perçu par les autres. Ou, plus exactement, il y a constamment négociation entre l’identité subjective et l’identité pour autrui. Mais il est certain que ces jeux de miroirs sont d’autant plus importants à l’adolescence. L’exposition des sentiments personnels, en tant qu’elle est tournée vers autrui, témoigne aussi de la manière dont le lien social peut s’établir sur ce qui est de l’ordre du sentiment, de l’intime. Au-delà donc de la tendance individuelle à exposer davantage ce qui relève habituellement de la sphère privée, on peut aussi parler d’une tendance plus globale où c’est à partir de l’expression des sentiments et de l’intime que se développent des sentiments d’appartenance sociale19.
18Les pratiques des bloggeurs et des danseurs électro ne relèvent pas d’un simple repli sur soi. Il y a plutôt un double mouvement qui consiste à affirmer sa singularité tout en s’identifiant fortement à des semblables. Les vêtements, coiffures et look sur les photos affilient sans aucune équivoque aux danses électro. La mode est toujours à mi-chemin entre originalité et conformisme, entre liberté et pression sociale. Il est difficile en effet de s’en extraire, l’intégration à un groupe suppose bien souvent se s’y conformer. Elle est à la fois recherche d’affirmation personnelle et identification à un groupe, une époque, une classe d’âge. En bref, elle singularise tout autant qu’elle confond dans le groupe20. De même, les codes et pratiques des danses électro distinguent tout en identifiant à un style et une génération. En dansant, en soumettant leurs passions et émotions sur les pages de leurs blogs, les jeunes sont en quête d’une expression personnelle, mais ils cherchent aussi à « vibrer » avec ceux qui sont traversés par les mêmes états intérieurs, avec ceux qui partagent les mêmes enthousiasmes. Ce mouvement qui pousse à être ensemble autour de sensibilités et de goûts communs est aussi quelque chose de très contemporain. Internet apparaît ici comme un nouveau média au service de cet élan qui pousse à s’assembler autour d’émotions partagées. Si narcissisme il y a dans ces phénomènes contemporains, force est de constater qu’il est aussi un « narcissisme collectif21 ».
« Mon blog, je mets des trucs comme ça, des choses qui me passent par la tête. Et quand on fait des vidéos, je les mets sur mon blog. On va voir les blogs des grands danseurs, voir l’actualité, voir s’il y a des choses qui se préparent, des aprems électro. On va voir les blogs des amis. »
Julie, 15 ans
19À l’heure où les identités sont de plus en plus complexes, chacun participant de plusieurs mondes sociaux (celui de sa profession, de sa famille, de sa religion, de ses loisirs, etc.), les jeunes expérimentent ces jeux identitaires. La personne contemporaine participe en effet de plusieurs « cercles sociaux ». De plus en plus, les appartenances sociales sont plus souples et multiples22. Moins enfermée dans des rôles uniques, la personne est davantage menacée par l’incertitude et le manque de repères. Mais elle trouve aussi davantage l’occasion de réaliser les différences facettes de sa personnalité, en s’identifiant à différents groupes sociaux. Les affiliations à des styles et les mises en scène de soi sont aussi des moyens pour les jeunes de faire l’expérience de l’affiliation identitaire et de la manière dont la personne se construit dans ses diverses appartenances. Les blogs sont d’ailleurs plus nombreux que les utilisateurs, laissant penser qu’une même personne les multiplie en fonction de ses divers passions et intérêts. La multiplication des pseudonymes et des blogs par une même personne témoigne des multiples appartenances, que celles-ci se succèdent dans le temps ou se cumulent à un moment donné23.
20Les adolescents sont, depuis l’apparition de cet âge de la vie, toujours aux prises avec la quête identitaire. Les enjeux de construction de soi au travers des jeux d’affiliation et de singularisation ne sont pas nouveaux. Mais ce sont les formes qu’ils prennent aujourd’hui qui le sont davantage. La construction identitaire aujourd’hui témoigne d’une pulsion à l’expression de soi. À la faveur des nouveaux médias, elle passe davantage par des mises en scène de soi, une publicisation des sentiments intérieurs, permettant un retour sur soi au travers des réactions des pairs.
Danser… et devenir célèbre ?
21Dans les danses électro, devenir célèbre est une aspiration répandue. Les danseurs sont en quête de popularité. En dansant, ils désirent être identifiés pour leur style singulier. Être reconnu dans les clubs, dans la rue, sur la Toile est une satisfaction. C’est aussi pourquoi ils y diffusent leur image et les vidéos de leurs performances. Broadcast yourself, comme l’annonce le site de YouTube : les sites de partage de contenus sont des moyens pour chacun de rendre publiques des vidéos qui, jusque-là, restaient dans les cercles d’intimité. Ces sites offrent aussi des moyens de mesurer la popularité. Un système de vote permet aux internautes d’évaluer le film, les vidéos les plus appréciées se distinguant par le nombre d’étoiles. Les sites indiquent également, pour chaque vidéo, le nombre de commentaires apportés par les internautes et le nombre de fois où elle a été vue. C’est ainsi que la fameuse vidéo de Jey Jey dansant dans son garage, ayant acquis une popularité sur le web puis profitant encore du coup de projecteurs des grands médias durant l’été 2007, atteint aujourd’hui plus de 14 millions de vues. Les scores attestent de la renommée des danseurs et des teams. La popularité de Lecktra, Lili Asian et encore bien d’autres stars du mouvement électro se mesure ainsi aux dizaines de milliers ou même aux millions de visionnage des vidéos les mettant en scène. De même, les blogs renseignent sur le nombre de visites depuis la création de la page et durant le mois en cours, ainsi que sur le nombre d’amis et le nombre de commentaires laissés sur les posts. Skyblog entretient aussi les mécanismes de popularité en réalisant des « tops » (top 100, top 7 jours et top 24 heures) en fonction du nombre de visites, et en élisant huit « Blogs Stars », mis en valeur et présentés sur la page d’accueil de la plateforme. Être Blog Star est un statut désiré, une forme de consécration, comme en attestent les remerciements des bloggeurs distingués et les commentaires de félicitations. La blogosphère jeune est un espace d’expression mais aussi un réseau qui fonctionne sur la recherche de popularité et de renommée, mesurable au travers des scores et des consécrations24. Posséder un grand nombre d’amis, susciter des commentaires, constituent des performances en soi. Mais la qualité des amis importe aussi : la popularité se construit aussi en collectionnant des amis qui ont eux-mêmes une renommée. C’est pourquoi les idoles et personnes admirées, ou tout simplement jugées « cool », sont sollicitées pour faire partie du répertoire d’amis
« 3 millions de visiteurs sur le blog ! Merci ! »
Blog de Dance Generation
« Blog star, t’es sur la première page de Skyblog. […]. Pour aller sur ton compte Skyblog tu es obligé de passer sur la première page Skyblog, donc sur cette page tu vas voir les blog stars, donc forcément tu vas cliquer dessus, tu vas dire tiens c’est quoi ce blog, ça te fait de la pub. Blog star, c’est comme si tu avais un grand panneau affiché dans ta rue : allez sur ce blog. »
Fozzie Bear, 18 ans, Dance Generation
« On a envie d’être reconnu. Quand par exemple sur notre vidéo on voit tous les commentaires, c’est parfait, c’est génial, meilleure vidéo de team, qu’on vient le voir et qu’on lui dise, Pich, t’es le meilleur jumper, c’est clair que ça fait plaisir, ça motive, on a envie de continuer. »
Picolo, 17 ans, team Hooliteck
22On attribue à Andy Warhol cette phrase : « À l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité ». Dans les années 1960, le Pop art valorise le banal, le quotidien. Les œuvres Pop troublent les frontières entre l’art et les objets les plus ordinaires de la société de consommation. Les reproductions de boîtes de soupe Campbell par Andy Warhol en sont des exemples connus. Ce mouvement artistique annonce des tendances qui vont se diffuser dans l’ensemble de la société. On retrouve cette valorisation du banal et cette aspiration à la popularité dans les nouveaux programmes de télévision de la fin des années 1990. Les shows et émissions de téléréalité consacrent les quarts d’heure de célébrité d’individus lambda. Les personnes les plus ordinaires peuvent dorénavant accéder à la popularité. Chacun aspire à ce que son existence et ses caractéristiques personnelles puissent être reconnues comme remarquables25. Cette aspiration des anonymes à prétendre, aux côtés des célébrités, à une visibilité publique, est présente chez les jeunes téléspectateurs de Loft Story et autres émissions de téléréalité, comme chez les bloggeurs et les danseurs électro. Les désirs de célébrité se diffusent avec les nouveaux formats d’émission qui ouvrent la télévision aux individus ordinaires, mais aussi avec Internet, qui offre encore de nouvelles possibilités d’acquérir une visibilité publique. Après la télévision, Internet multiplie les scènes publiques des héros ordinaires, où peuvent se jouer les désirs de reconnaissance et les quêtes de repères.
« Depuis que je suis toute petite, j’ai toujours voulu être célèbre mais dans le milieu chant au début. Je veux toujours, mais là pour l’instant c’est la danse, c’est bien parce que c’est ce que j’aime. Être artiste. »
Lili Asian. 16 ans
« Ça fait toujours plaisir de danser, se faire connaître, se faire reconnaître. Qu’on arrive à quelque chose et que ça plaise. »
Manon, 15 ans
Notes de bas de page
1 O. Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, op. cit., p. 117-131 ; L. Muller, Participation culturelle et sportive, tableaux issus de l’enquête PCV de mai 2003, INSEE, Direction des études statistiques et sociales.
2 O. Galland, A. Cavalli, L’allongement de la jeunesse, Arles, Actes Sud, 1993, p. 11-39 et O. Galland, « Adolescence, postadolescence, jeunesse : retour sur quelques interprétations », Revue française de sociologie, no 42-4, 2001, p. 611-640. Voir aussi A. Vulbeau, Les inscriptions de la jeunesse, Paris, L’Harmattan, 2002.
3 F. De Singly, Les adonaissants, op. cit.
4 E. H. Erikson, Adolescence et crise. La quête de l’identité, Paris, Flammarion, 1994.
5 G. Muggleton, « Individualité distinctive et affiliation subculturelle », dans H. Glévarec, E. Macé, E. Maigret, Cultural Studies. Anthologie, op. cit., p. 232-250. Pour l’auteur, ces recherches de distinction personnelle seraient propres à un deuxième âge des sous-cultures, caractérisé par des inscriptions plus fluides. Mais on peut faire l’hypothèse que ces variations et appropriations des styles ont été sous-estimées par la première génération de chercheurs des cultural studies, ainsi qu’y invite G. Clarke. Voir, dans le même ouvrage, « Plaidoyer pour les pulls de ski. Une critique des théories des subcultures jeunes », p. 122-129.
6 R. Bigot, P. Croutte, La diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française, op. cit., p. 36, 89, 107, 120 et O. Donnat, Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, op. cit., notamment p. 205-214.
7 Sur les usages des blogs en général : D. Cardon, H. Delaunay-Téterel, « La production de soi comme technique relationnelle. Un essai de typologie des blogs par leurs publics », Réseaux, no 138, 2006, p. 15-71 ; sur les usages des blogs par les jeunes : H. Delaunay-Téterel, « La communication juvénile à travers les blogs de lycéens », Agora Débats/Jeunesses, no 46, 2008, p. 44-56.
8 D. Boyd, « Production d’identités dans une culture en réseau », Médiamorphoses, no 21, Armand Colin/INA, 2007.
9 Idem et A.-C. Orban de Xivry et al., « Vous tous chez moi. Une jeune cyberstar au pays des autres », in A. Klein (dir.), Objectif blogs ! Explorations dynamiques de la blogosphère, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 163-183.
10 H. Delaunay-Téterel, « La communication juvénile… » art. cit., p. 45.
11 D. Boyd, « Production d’identités… », art. cit.
12 A.-C. Orban de Xivry et al.,« Vous tous chez moi… », art. cit.
13 C. Taylor, Le malaise de la modernité, Paris, Cerf, 2005.
14 Sur le versant critique, voir notamment C. Lash, La culture du narcissisme, Paris, Flammarion, 2006, notamment p. 29-84 et G. Lipovetsky, L’ère du vide : essais sur l’individualisme contemporain, Paris, Gallimard, 1983.
15 Voir notamment, M. Maffesoli, Le temps des tribus, Paris, Le Livre de Poche, 1988 et La transfiguration du politique, Paris, Grasset et Fasquelle, 1992.
16 A. Ehrenberg, L’individu incertain, Paris, Hachette Littératures, 1999, p. 170.
17 S. Tisseron, L’intimité surexposée, Paris, Hachette, 2001.
18 C. Dubar, La socialisation, Paris, Armand Colin, 2000, p. 107-123.
19 M. Maffesoli, Le rythme de la vie, op. cit., p. 138-139.
20 G. Simmel, « La mode », La tragédie de la culture, Paris, Payot, 1988.
21 M. Maffesoli, Au creux des apparences, Paris, Plon, 1990, p. 35.
22 G. Simmel, « Le croisement des cercles sociaux », Sociologie. Etudes sur les formes de la socialisation, Paris, PUF, 1999 et M. Maffesoli, Au creux des apparences, op. cit., p. 245-288.
23 Selon H. Delaunay-Téterel, doctorante (France-Télécom R&D), interviewée par R. Francou pour InternetActu, on recensait en mai 2006, 4 800 000 Skyblogs pour 2 900 000 pseudonymes. Voir http://www.internetactu.net/2006/06/19/upfing06-le-phenomene-skyblogs/. En août 2010, la plateforme, renommée Skyrock, annonce 32 197 085 blogs pour 22 562 251 profils.
24 A.-C. Orban de Xivry et al., « Vous tous chez moi… », art. cit.
25 F. Jost, Le culte du banal, Paris, CNRS Éditions, 2007, p. 49-69 et 91-118.
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