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Disorder

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Paul Edwards
, 
Élodie Grossi
, 
Paul Schor

Le fanzine DIY comme élément de structuration des réseaux punk

Samuel Étienne

Texte intégral

« No zine, n° scene », titre d’une rubrique du fanzine Mononoke

1Les fanzines sont des journaux amateurs autoédités par des fans ou des passionnés. Apparus dans les années 1930 aux États-Unis, ils vont connaître une véritable explosion démographique au milieu des années 1970 sous la férule du mouvement punk et de sa philosophie do-it-yourself (DIY). Historiquement ces fanzines punk succèdent à la free press et constituent un autre élément important de la presse alternative de l’après-guerre. Structurellement, ils s’en distinguent pourtant car le format physique, le produit esthétique – reposant sur la xérographie – et les modes de circulation des fanzines punk DIY rappellent que cette presse est marquée par une forte déprofessionalisation, par un manque de capital économique et par une existence en dehors de tout cadre légal et institutionnel (Atton, 2002 ; Étienne, 2003). Désinstitutionnalisée de fait ou par choix idéologique, la presse alternative doit assurer elle-même sa diffusion (se faire connaître) et sa distribution (être présente dans des points de vente). Ce double poste est particulièrement chronophage et consomme une grande partie de l’énergie des membres du journal. Il est aussi celui dont le contrôle échappe plus facilement aux acteurs du fanzine et qui, en cas de défaillance, génère découragement et amertume. Il s’agit donc d’un véritable point d’achoppement pour l’existence des journaux indépendants. Le fanzine punk apparaît alors comme un pivot historique séparant deux grands modes de diffusion de la presse alternative. Le premier mode se caractérise par une évolution d’une diffusion locale à une diffusion nationale (voire internationale) à travers l’adhésion aux circuits traditionnels de distribution, donc au sacrifice d’une partie des gènes underground : par exemple, les fanzines et prozines français pro-punk de 1976-1978 (Rock News, Feeling, Rock’n’Roll Musique) avaient opté pour une distribution en kiosque par les Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP, dénommées Presstalis depuis 2009), ce qui pose la question de leur capacité à véhiculer efficacement la philosophie DIY du punk. En effet, si l’on suit l’idée de radicalité de Walter Benjamin, le contenu éditorial d’un média qui se revendique radical ne peut se contenter d’une forme et d’un format classique, il doit aussi exprimer physiquement cette radicalité et inventer de nouveaux créneaux de diffusion. Les exemples britanniques de Sniffin’ Glue, Ripped & Torn, Panache, etc., démontrent tout au contraire qu’une distribution en circuit court, de la main à la main aux concerts ou en dépôt-vente chez les disquaires légitime davantage le discours et sublime l’émulation créatrice du punk (Étienne, 2016). Les modes de diffusion et de distribution qu’ils proposent sont radicaux comparés aux pratiques usuelles de l’époque. Le second mode de circulation de cette presse alternative est donc celui qui privilégie une distribution hors des circuits traditionnels et au travers d’un réseau alternatif autogène qui se construit au fur et à mesure. L’objet de ce chapitre est de montrer les stratégies éditoriales inventées par les fanzines punk pour structurer la communauté, allant souvent au-delà de la simple promotion d’une musique punk, mais en véhiculant également des idées et des pratiques. Il s’agira notamment de proposer une méthodologie visant à cartographier a posteriori les réseaux de circulation de l’information punk à travers le prisme des fanzines et de voir comment s’est construit un réseau en postulant que le fanzine DIY était le vecteur privilégié de l’information punk.

Distribution de la presse alternative et diffusion de l’information

2Une analyse historique de la diffusion de la presse alternative (free press) précédant le fanzinat punk révèle un mode de diffusion tremplin : du local vers le national (Jezzo-Vannier, 2011). En France, au début des années 1960, cette presse ne se trouvait pas dans les kiosques à journaux. Elle se vendait dans la rue, à la criée. Son aire d’influence était donc forcément limitée géographiquement. Ce n’est qu’à la fin années 60 que certains titres adoptent une distribution via les NMPP – le réseau de distribution créé et contrôlé par le groupe Hachette – ce qui s’avère à double tranchant puisque d’un côté leur diffusion devient nationale, mais de l’autre le jeu trouble des NMPP, rouage majeur du système dominant, les condamne souvent à disparaître rapidement faute d’une distribution géographiquement en phase avec leur lectorat. De plus, le quasi-monopole de distribution des NMPP permet d’imposer des conditions commerciales drastiques que peu de titres indépendants arrivent à surmonter sur la durée, faute de trésorerie (Debaussart, 1996). Les nouveaux magazines de rock défendant le punk qui apparaissent en France entre 1976 et 1978 sont à bien des égards des fanzines, mais presque tous choisissent d’être distribués via les NMPP ce qui révèle deux choses : tout d’abord, la philosophie 100 % DIY n’est pas encore présente chez ces amateurs, ensuite le choix des NMPP est un choix par défaut dû à l’inexistence d’un autre mode diffusion (Étienne, 2016). Le réseau alternatif très actif et performant dans les années 1980 sur lequel s’appuieront les fanzines de rock alternatif reste à construire. En raison des contraintes de diffusion, les fanzines limitent leur tirage à quelques dizaines ou centaines d’exemplaires ; le cas du fanzine américain Cometbus fait figure d’ovni : distribué directement par son auteur, il s’en est vendu jusqu’à 11000 exemplaires par numéro.

3Des décennies avant l’ère d’un Internet grand public, les fanzineurs ont mis en place des réseaux d’échanges d’information, des boutiques ambulantes (« distros ») de journaux souvent adossées à des labels ou à des groupes en tournée, des listes de vente par correspondance (VPC), organisé des festivals ou conventions de fanzines. Ces réseaux sont avant tout informels, souvent éphémères, portent un nom spécifique ou pas. Ils sont une des pièces fondamentales de la mécanique des scènes musicales underground mais restent largement ignorés alors qu’ils ont assuré le rôle de réseaux sociaux analogiques. L’interaction entre fanzineurs prend place au sein des distros qui sont plus des lieux de création de lien social où se matérialise la rencontre physique entre les zineurs et leurs lecteurs (lors des concerts ou conventions, par exemple) que des moyens offrant simplement un service, celui d’une meilleure distribution des zines. Ces distros fonctionnent sur le principe d’échange de bons procédés, elles sont des micro-alliances stratégiques entre membres d’une même scène subculturelle. Paradoxalement, la création et le développement de ces structures de diffusion, bien que 100 % DIY, contribuent au gain de notoriété des fanzines et provoque l’accroissement de la tension entre anonymat et célébrité, authenticité et compromission. Le monde underground évolue donc en permanence dans un chantier où toute construction nouvelle permettant l’organisation du territoire et une meilleure diffusion des supports médiatiques doit être immédiatement détruite pour éviter la captation par le système dominant. L’einstuerzende neubauten est l’une des réalités de la presse underground la plus radicale.

Fig. 1. La « distro » ambulante Motor Books & Psycho Zines présente à La Comedia, un café-concert de Montreuil lors d’une soirée de soutien à l’émission de radio Konstroy (9 septembre 2016).

4La solidarité inter-fanzines est cruciale (« n° zine, n° scene » pour reprendre le slogan de Mononoke) et la recension des journaux pairs (et non, concurrents) est un leitmotiv rédactionnel pouvant occuper une grande partie du contenu d’un fanzine (Deviance, n° 12). La chronique ou la publicité pour les autres zines fait partie de l’ADN des fanzineurs, beaucoup d’entre eux exposant cette activité comme un devoir moral vis-à-vis de la scène. Toutefois, certains expriment également un malaise :

« J’ai toujours été réticent à l’idée d’écrire des chroniques de fanzines. Pour la simple raison que j’en fais moi-même (ah bon, vous en doutiez ?), et que, même si je m’investi [sic] beaucoup dedans, je ne considère pas celui-ci comme LE fanzine parfait, donc à partir de là je me pose la question : qui suis-je pour juger les zines des autres ? Mais à la fois j’aime beaucoup les fanzines, en lis beaucoup, et naturellement j’avais envie d’en parler. » (Divergence, n° 4, 2009).

5Ce qui n’empêche pas ce fanzine de proposer quatre pleines pages A4 de chroniques. Cette hésitation à porter un regard critique sur la scène traduit aussi la conscience d’une scène fragile où il vaut mieux soutenir que tenter de donner des leçons aux autres. Ce type de réserves existe moins lorsqu’il s’agit de faire la chronique des disques, quand bien même le critique ne serait pas lui-même musicien.

6Le travail de distribution est probablement le plus ingrat car il faut se déplacer ou gérer cela à distance avec toutes les difficultés de communication que cela suppose (absence de réponse, cessation d’activité d’un point de vente, vendeurs n’ayant pas de temps à consacrer à une activité qui rapporte peu, etc.). La distribution est chronophage et les « retours sur investissement » souvent imprévisibles. C’est une tâche qui est donc souvent négligée et c’est probablement là que réside le handicap majeur d’un fanzine : sa capacité à se diffuser, à transmettre l’information au-delà du cercle amical, du cercle d’initiés, du cercle local. La plupart des fanzines dits « historiques » ou « mythiques » sont justement ceux qui ont su se donner les moyens d’être présents sur un grand espace, de rayonner au-delà des territoires conquis et de marquer les générations : Combo, Le Légume du Jour, Abus Dangereux, Violence, On A Faim !, Rock Hardi, Prémonition, No Government. Ces fanzines n’étaient pas dans les kiosques à journaux, mais ils étaient présents dans les étagères des disquaires indépendants, sur les stands des distros alternatives lors des concerts, dans les Centre-Info Rock parfois. Présents, là où gravitait leur lectorat potentiel.

« J’ai mis un point d’honneur à ce que le zine soit bien distribué. Le but était d’éclater le cercle d’initiés, le réseau des potes, pour que quelqu’un à l’autre bout de la France tombe sur une copie de Violence comme moi je suis tombé par hasard sur un exemplaire de Kakophony ou Precurs chez un disquaire stéphanois. » (Frank Frejnik, Up The Zines !, n° 3, 2007).

Fig. 2. Chroniques de fanzines dans Chips & Cookies, n° 0, 2002.

7Avoir une idée de la densité et de l’étendue des réseaux alternatifs est difficile, de par la nature alternative elle-même qui ne se prête pas à une publicité des plus en vue. Pour les fanzines, un examen détaillé de leur contenu permet de redessiner une partie des connections existantes entre ces acteurs du passé. On a proposé une méthodologie de cartographie de ces réseaux basée sur la promotion interne des fanzines (Étienne et James, 2015). Autrement dit, comment l’information sur la presse underground véhiculée au sein des fanzines nous renseigne sur les liens potentiels qui unissent ses acteurs. L’intégration de cette information dans un système d’information géographique (SIG) permet de dresser des cartes des flux d’information et de leur évolution dans le temps. La méthodologie consiste tout d’abord en l’établissement d’une typologie hiérarchisée des connexions entre fanzines. Au premier niveau, on classe l’information promotionnelle, le compte-rendu, la publicité. À ce niveau, le fanzine émetteur de l’information (fanzine nœud de réseau) a connaissance de l’existence d’un autre fanzine (fanzine distant) dont il en fait la promotion. Aucun lien tangible entre les acteurs des deux fanzines n’est nécessaire à ce stade, il s’agit donc d’une connexion de faible valeur. Au deuxième niveau, le rapport entre les deux fanzines (nœud et distant) est plus fort : une interview ou la présence de collaborateurs communs témoignent d’un échange direct entre les acteurs, que ce soit via le téléphone, le courrier postal, la rencontre ou, pour les fanzines apparus à partir des années 1990, la correspondance courriel. Au troisième niveau, on place les projets structurants forts unissant deux fanzines : splitzine ou common-zine. Le split-zine, à l’image des split-45 tours, est un partage de l’espace disponible sur le support physique : tel fanzine occupe la moitié des pages, tel autre occupe l’autre moitié (Full of Shit, n° 4 / Bavardages, n° 5). La mise en page se fait souvent tête-bêche, permettant à chaque fanzine d’avoir sa propre couverture suivie de son propre contenu sur la moitié des pages (Roger Mag, n° 10 / Les Faux-Fils de Thrash Bourrent, n° 7). Parfois, certains ajoutent un peu de piment à la lecture en alternant les pages : paires pour le fanzine X, impaires pour le fanzine Y… C’est le cas du splitzine Wee Wee, n° 8 / This Heaven Gives Me Migraine, n° 1 (aka In Dust We Trust, n° 3). Le split-zine est donc une association temporaire entre plusieurs fanzines permettant l’édition simultanée d’un numéro conjoint. Le common-zine ou mix-zine est une réalisation commune des rédacteurs respectifs de plusieurs fanzines : les fanzines fusionnent véritablement et le contenu rédactionnel ne traduit pas la contribution respective de l’une ou de l’autre équipe. C’est un projet ambitieux et qui requiert des échanges, donc des connexions, très forts entre les différents points du réseau. Mac & Cheese, n° 2 (2013) est ainsi né de l’association des fanzines Rotten Eggs Smell Terrible, Shot Down et Slow Death, chacun étant par ailleurs un zine unipersonnel. Pour le lecteur non averti, difficile de déceler la filiation entre ces différents projets, mais le titre du common-zine peut faire plus explicitement référence aux zines pères : La terrible Vendetta de Storm l’Apatride est né de la fusion momentanée de Vendetta, Storm et L’Apatride. Différent est le projet de Coooop, une coopérative de fanzines : plutôt que d’éditer plusieurs fanzines individuellement, ceux-ci sont regroupés en un seul, le nombre de « o » du titre principal dépendant du nombre de fanzines compilés.

Les zines agrégateurs

  • 1 « Xerography Debt est un zine de recension pour les lecteurs de zines écrit par des fanzineurs. »

8Le réseau se construit aussi grâce aux métazines ou zines agrégateurs de fanzines (review zine) : quand la matière première devient exclusivement les autres fanzines. Parmi les plus influents du genre est Facsheet Five, fanzine créé en 1982 aux États-Unis par Mike Gunderloy. Sans être le premier fanzine-catalogue, Factsheet Five fut le premier fanzine fan de fanzines quelque soit leur domaine d’intérêt. Gunderloy voulait casser le ghetto des subcultures spécialisées (science-fiction, rock’n’roll, etc.) pour s’intéresser à l’univers du fanzinat en tant que subculture à part entière (Duncombe, 1997). Le principe édicté par Gunderloy fut d’une simplicité déconcertante et germe du succès à venir : tout fanzine reçu serait chroniqué dans un futur numéro de Factsheet Five. D’un simple feuillet recto-verso roné-toypé dissertant sur six fanzines (no 1, mai 1982), Facsheet Five allait devenir en moins d’une décennie un recueil imprimé à 10 000 exemplaires et recensant plusieurs milliers de fanzines sur près de 150 pages (no 44, 1991). La charge de travail était devenue si exténuante (jusqu’à 80 h par semaine) que Gunderloy jeta l’éponge expliquant qu’il en allait de sa santé mentale. Le fanzine fut repris par Seth Friedman en 1993 qui, loin de l’idéal anarchiste de Gunderloy, choisit de faire de Factsheet Five un magazine économiquement viable : augmentation des tarifs d’abonnement, amélioration de la qualité d’impression, couverture en papier glacé puis en couleur, abandon du recensement systématique des fanzines reçus et, surtout, fin du troc de zines. Ce changement radical de paradigme ne fut pas synonyme d’échec pour autant, puisque profitant d’un intérêt grandissant du mainstream pour le DIY et l’underground au début des années 1990 le magazine Factsheet Five vit son tirage augmenter jusqu’à plus de 16 000 exemplaires profitant d’une distribution nationale via les réseaux de presse institutionnels. Il cessa de paraître en 1998 avec son numéro 64. Le Facsheet Five de Gunderloy fut conçu comme un projet politique de mise en réseau des fanzineurs, un service offert par ce fanzine pour les autres fanzineurs, celui de Firedman était un projet capitaliste d’aide à la consommation de fanzines dont les services offerts disparurent petit à petit. Après Factsheet Five, Zine Guide prit la relève quelque temps en continuant à inventorier la presse zine américaine. Citons quelques autres zines agrégateurs respectables : Broken Pencil (lancé en 1995 à Toronto, Canada), Zine World (1996-2012, 31 numéros publiés, Portland, Oregon, É-U), Xerography Debt (lancé en 1999, n° 44 en décembre 2018, Glen Arm, Maryland, É-U), The Zine Yearbook (1996-2008, 8 numéros publiés, Bloomington, Indiana, É-U), One Minute Zine Reviews (2011, Manchester, New Hampshire, É-U) qui, comme son titre l’indique, propose des recensions expéditives de zines. M’inspirant de Factsheet Five, j’avais lancé en 2003 un petit zine mensuel gratuit (4 pages A5), Quality Street, sous-titré « les actus de la presse musicale de la rue », qui recensait les zines musicaux que je lisais à l’époque et qui alimentaient également l’émission de radio « Sniffin’Glue » que j’animais sur Radio Campus 93.3 à Clermont-Ferrand. Le format volontairement limité à une feuille recto-verso ne permettait pas de faire la chronique de plus d’une dizaine de fanzines, mais cela me permit de respecter une périodicité mensuelle pendant… un semestre. Plus récemment, c’est Up The Zines ! qui assure avec brio le rôle d’agrégateur de fanzines, essentiellement musicaux, sur le territoire national. UTZ alterne interviews de zineurs (les mêmes questions se répètent quasi systématiquement d’un numéro à l’autre) et abondantes chroniques des zines reçus entre deux numéros. Entre 2004 et 2018, UTZ a déjà publié 18 numéros et constitue une véritable archive vivante du fanzinat musical français. Ce type de zines interroge cependant sur la finalité même du média zine : pour reprendre la phrase de Stephen Duncombe, le fanzine ne célèbre-t-il pas les losers dans un monde de winners ? Sont-ils toujours là pour soutenir une scène (musicale, par exemple) ou bien sont-ils là avant tout pour célèbrer les zines, s’auto-célébrer en quelque sorte ? Xerography Debt nous apporte un élément de réponse : « XD is a review zine for zine readers by zine writers1. » De plus, XD ne publie pas de mauvaises chroniques et toute critique se veut constructive : « Constructive criticism is given, but basically we don’t have the time or money to print bad reviews. » (Xerography Debt, n° 27, 2010). Ayant moi-même œuvré dans ce genre zinesque, je dois bien avouer que l’objectif principal, si ce n’est unique, était de faire connaître les zines, de montrer leur diversité de ton et de style, de promouvoir le travail de mes pairs. Ce faisant, le soutien aux scènes musicales était possible, mais par effet indirect : il fallait aller lire les zines dont je faisais la chronique pour effectivement en connaître un peu plus sur la scène couverte par tel ou tel zine. Quand on connait la portée limitée de son propre zine, on peut vraiment douter de l’impact global des métazines en tant que support d’une scène autre que la scène des zines elle-même. Le risque de repli communautaire est donc sous-jacent aux zines agrégateurs : seuls les zineurs avertis lisent ce genre de zines et très vite, on constate que le contenu éditorial varie peu d’un numéro à l’autre. Le métazine devient l’organe de correspondance d’un club de zineurs où l’on prend des nouvelles de X ou Y, apprenant qu’il ou elle publie un nouveau titre, etc.

Fig. 3. Cartographie du réseau national d’échanges inter-fanzines pour le fanzine Aaargh (Poitiers, 1997-1998) (Étienne et James, 2015).

Fig. 4 et 5. Le zine agrégateur comme élément de construction d’un réseau de fanzineurs : Xerography Debt, n° 32, 2013 (Portland, É-U) et Up the Zines, n° 16, 2016 (Toulouse, France).

Les conventions et festivals

9Les rassemblements organisés permettent aux fanzineurs de se rencontrer et d’échanger. L’atomisation de la « communauté » cesse un temps et une agrégation physique des membres s’opère le temps d’une journée ou d’un week-end. La rencontre permet d’échanger son fanzine et d’agrandir son cercle de diffusion, il provoque la rencontre entre des individus qui échangent, par courrier, email ou téléphone, depuis des mois voire des années sans ne s’être jamais rencontrés. Ces rencontres sont chargées en émotion et sont souvent relatées dans les fanzines. Toutefois, les réflexes subculturels subsistent : les fanzineurs anarcho-punk converseront plus facilement avec leurs homologues des subcultures rock qu’avec des graphzineurs ou des bédéistes. S’ils vivent sur la même planète zine, ils ne sont décidément pas du même monde.

10La décennie actuelle voit la multiplication des rassemblements autour du fanzine. Dans la seconde moitié des années 2000, on ne comptait que quelques festivals – Fanzines ! (Paris), Fais-le toi-même (Lille), Central Vapeur (Strasbourg) et autres événements ponctuels organisés dans des squatts. Le festival parisien est devenu un rendez-vous régulier auquel se sont ajoutées des manifestations nouvelles, d’ambition variable : Rebel Rebel (biennal au FRAC PACA, Marseille), Forum du fanzine (organisé par Udoduf, Paris), Le Bar Zines, événement quasi mensuel à Montreuil organisé par la distro Motor Books & Psycho Zines. Le phénomène est encore plus marqué aux États-Unis où, pour donner un seul chiffre qui aurait valeur d’exemple, la page facebook Zine Nation recensait, le 1er janvier 2017, 57 festivals programmés pour le seul mois de janvier 2017.

Fig. 6 et 7. Nuit du fanzine (Clermont-Ferrand, 30 octobre 2003), événement organisé dans un espace autogéré
(actuellement le Raymon’bar).

11Le fanzine DIY est un média éphémère, mais qui a su se forger une identité forte et porteuse de valeurs positives au sein de la subculture punk. Il a été un maillon essentiel de structuration des scènes alternatives en offrant une tribune aux groupes, labels et autres médias indépendants. La multiactivité culturelle de nombreux fanzineurs a permis non seulement le soutien médiatique mais aussi le développement des scènes à travers des réseaux d’échanges informels. Ce ne sont pas les fanzines eux-mêmes qui permettent ce développement mais les individus qui les animent lorsqu’ils ont une propension à ne pas se limiter à cette seule activité journalistique. La recension des fanzines est un élément objectif permettant de reconstituer a posteriori les réseaux d’échanges et leur densité entre les acteurs des scènes alternatives.

Bibliographie

Bibliographie

Atton Chris (2002), Alternative media, Londres, SAGE Publications.

Debaussart Emmanuelle (1996), « Pavane pour la presse morte », Rock & Folk, hors-série « 30 ans de rock et de folk », p. 34-45.

Étienne Samuel (2003), « “First & last & always” : les valeurs de l’éphémère dans la presse musicale alternative », Volume ! La revue des musiques populaires, vol. 2, n° 1, p. 5-39.

— (2016), Bricolage radical. Génie et banalité des fanzines do-it-yourself, vol. 1, Saint-Malo, Éditions Strandflat.

Étienne Samuel et James Dorothée (2015), Geographic Information System and DIY Zines : A Tool for Mapping Underground Music Scenes, Second KISMIF Conference, Porto.

Jezo-Vannier Steven (2011), Presse parallèle : la contre-culture en France dans les années soixante-dix, Marseille, Éditions Le Mot et le Reste.

Notes

1 « Xerography Debt est un zine de recension pour les lecteurs de zines écrit par des fanzineurs. »

Table des illustrations

Légende Fig. 1. La « distro » ambulante Motor Books & Psycho Zines présente à La Comedia, un café-concert de Montreuil lors d’une soirée de soutien à l’émission de radio Konstroy (9 septembre 2016).
URL http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/1562/img-1.jpg
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Légende Fig. 2. Chroniques de fanzines dans Chips & Cookies, n° 0, 2002.
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Légende Fig. 3. Cartographie du réseau national d’échanges inter-fanzines pour le fanzine Aaargh (Poitiers, 1997-1998) (Étienne et James, 2015).
URL http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/1562/img-3.jpg
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Légende Fig. 4 et 5. Le zine agrégateur comme élément de construction d’un réseau de fanzineurs : Xerography Debt, n° 32, 2013 (Portland, É-U) et Up the Zines, n° 16, 2016 (Toulouse, France).
URL http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/1562/img-4.jpg
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Légende Fig. 6 et 7. Nuit du fanzine (Clermont-Ferrand, 30 octobre 2003), événement organisé dans un espace autogéré(actuellement le Raymon’bar).
URL http://books.openedition.org/ms/docannexe/image/1562/img-5.jpg
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Auteur

Fanzineur depuis le milieu des années 1980, Samuel Étienne est directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Etudes - Université PSL (Paris). Il est l’auteur de Bricolage radical : génie et banalités des fanzines do-it-yourself, tome 1 et 2, Strandflat, 2016 et 2019.
Samuel.etienne@ephe.sorbonne.fr

© Éditions Mélanie Seteun, 2019

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