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Disorder

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Paul Edwards
, 
Élodie Grossi
, 
Paul Schor

« While the world was dying, did you wonder why ? » :

« Quand le monde se mourait, est-ce que tu t’es demandé pourquoi ? » Le punk, la politique et les (fan) zines britanniques, 1976-1984

Matthew Worley
Traduction de Séraphine Drozek

Texte intégral

  • 1 Ce chapitre est une version en traduction française de Matthew Worley (2015), « Punk, Politics and (...)

1Traduction par Séraphine Drozek, relue et révisée par Élodie Grossi et Paul Schor1

  • 2 Éditorial de Do You Know Vanessa Redgrave ?, n° 2, 1981, p. 2. Le titre de cet article fait référen (...)

« Les fanzines musicaux émergent afin de faire valoir les opinions de mélomanes qui sont ignorées par les grands titres de la presse musicale. L’usage du terme demeure courant, bien que certains fanzines n’aient plus grand chose à voir avec la musique, préférant promouvoir d’autres idées et d’autres formes artistiques […]. Le fait est n’importe qui ayant quelque chose à dire ou recherchant un support pour son art peut créer un “fanzine” – même si ce n’est qu’une publication ponctuelle de deux pages. Les imprimeurs de la presse locale sont les moins chers, beter badges [sic], rough trade et les disquaires locaux etc. le distribueront. Alors pourquoi ne pas en faire autant2 ? »
Paper Alcohol Collective (Northampton)

  • 3 La raison derrière cet argument était la couverture hostile donnée à la première visite des Ramones (...)
  • 4 On trouve pour la première fois le terme « punk » utilisé dans le même contexte dans les écrits jou (...)

2Édité pendant l’été 1976, le premier numéro de Sniffin’ Glue… and Other Rock‘n’Roll Habits ne paraît pas augurer un tournant culturel décisif (voir figure 1). Des photocopies imprimées à la hâte sur huit feuilles de papier A4 agrafées en haut à gauche, un titre gribouillé au feutre noir sous lequel apparaît un gros titre dactylographié proclamant : « Ce truc ne vise pas à être lu […] c’est fait pour être trempé dans de la colle et être sniffé. » Le contenu est griffonné à même la couverture : il sera question des Ramones, du Blue Oyster Cult, et le tout sera complété par des critiques de disques punk. À l’intérieur, la même combinaison de feutre et d’assemblage dactylographié souligne le raisonnement derrière la confection de la revue : « Nous pensons que le rock‘n’roll, surtout le “punk rock” est basé sur le plaisir et rien d’autre – on laisse les grandes idées à des gens comme Yes, Mike Oldfield, etc. » S’ensuit un tombereau de critiques de concerts et de disques, toutes publiées à la pelle les unes à la suite des autres – avant de terminer avec un essai à la dernière page présentant le contexte culturel de l’époque (Perry, 1976a : 8). Les hebdomadaires de la presse musicale britannique – qui en 1976 comprenaient Melody Maker, New Musical Express (NME), Record Mirror et Sounds – sont présentés, tout d’abord, comme étant « tellement éloignés des préoccupations des gosses qu’il est carrément impossible qu’ils puissent avoir quoique ce soit à apprendre aux fans de punk rock3 ». Juste après, on donne la définition même de « punk rock ». Bien que le terme fasse partie du lexique de la presse musicale du début des années 70, il n’avait été que récemment adopté pour décrire une nouvelle vague de groupes, que Sniffin’ Glue décrivait comme faisant « du rock dans sa forme la plus basique – du rock qui vient de la rue. Des gosses qui font des jam sessions dans le garage de leur père, avec un matériel de piètre qualité, habillés avec des fringues qui leur collent à la peau, la tête vide (plus rien à faire maintenant que l’école est finie), entourés de magasins de modélisme4 ». La « plupart » des groupes de musique britanniques contemporains sont ensuite qualifiés de « dépassés », tandis que quelques néophytes – tels que les Sex Pistols – sont présentés comme les seuls groupes dignes de pouvoir tirer leur épingle du jeu. En conclusion du numéro, l’éditeur du fanzine, Mark P (Mark Perry), un adolescent de Deptford, employé de banque à ses heures perdues, publie ce qui deviendra l’un des premiers d’une série de cris de ralliement incitant les lecteurs de Sniffin’ Glue à participer eux-mêmes à la scène punk, à faire les choses eux-mêmes (à la manière du « Do It Yourself »). « Vous les gamins », exhortait-il de manière pressante dans le numéro 5 de novembre 1976, « ne soyez pas satisfaits de ce qu’on écrit. Allez-y, lancez vos propres fanzines […] inondez le marché avec des écrits punk » (Perry, 1976c : 2).

  • 5 Jon Savage (1991) donne la meilleure description de l’émergence du punk britannique.
  • 6 Ripped & Torn, n° 1, 1976, p. 1.
  • 7 Bombsite, n° 2, 1977, p. 2.
  • 8 D’autres titres de Londres et des alentours en 1976-77 comprennent : Cells, City Chains, Cliché, Fa (...)

3Il est bien documenté que la période comprise entre la première apparition de Sniffin’ Glue en juillet 1976 et la parution de son dernier numéro en août-septembre 1977 consacra l’émergence du punk comme une forme musicale et une culture jeune reconnaissable entre toutes5. La production d’une quantité innombrable de fanzines inspirés par Perry et par la philosophie « DIY », qui avait façonné le punk britannique quasiment dès le départ, fut un élément déterminant de l’émergence du punk. Partout au Royaume-Uni, les fanzines jouèrent un rôle primordial dans cette ascension en initiant, encourageant et documentant la vague punk déclenchée par des groupes comme The Sex Pistols, The Clash et d’autres. Dès la fin de l’année 1976, Ripped & Torn commençait à être publié près de Glasgow, à Cumbernauld, et se présentait comme le « premier magazine punk écossais, écrit par les fans […] et pour les fans6 ». Il fut suivi par Boring Fanzine et Trash ’77 (tous les deux de Glasgow), Hangin’ Around et Jungleland qui étaient publiés à Édimbourg, et d’autres titres comme Crash Bang (publié à Airdrie), Granite City (publié à Aberdeen), Kingdom Come (publié à Dunfermline) et The Next Big Thing (publié dans le Stirlingshire). Ghast Up, Girl Trouble, Noisy People, Plaything étaient les premiers fanzines publiés à Manchester, tandis que Shy Talk, Gun Rubber, Home Groan et Submission couvraient la scène de Sheffield. L’émergence du punk de Birmingham fut saisie par Censored ; à Leeds, il s’agissait de New Pose et Pure Mania ; à Bristol, de Loaded. Alternative Ulster et Private World venaient d’Irlande du Nord ; Heat et Raw Power s’installèrent à Dublin ; Rip Off et Up Yours au Pays de Galles. En Angleterre cette fois, Bombsite s’engageait à « lutter pour l’avènement de la nouvelle vague (new wave) dans le nord-ouest », tandis que les actualités musicales dans le Nord-Est étaient détaillées dans Bored Stiff, Deviation Street, Gabba Gabba Hey, Garage Land, Genocide et Out Now7. Pendant ce temps-là, à Londres et ses environs, de multiples fanzines commençaient à être édités durant la période allant de 1976 à 1977, y compris 48 Thrills, Bondage, Chainsaw, In the City, Jamming, Jolt, Live Wire, London’s Outrage, Panache, Sideburns, Skum et White Stuff8.

  • 9 Par exemple : Damaged Goods (York), Look at the Time (Peterborough), Love and Peace et Negative Rea (...)
  • 10 À Londres, Compendium Books, Rock On, Rough Trade et Small Wonder vendaient des ’zines (Rat Scabies (...)
  • 11 London’s Burning, n° 1, 1976 ; London’s Outrage, n° 1 et n° 2, 1976-77.
  • 12 L’orthographe de « graffiti » changeait dans chaque numéro – e.g. Graffitti, Grafitty, Grafity et G (...)
  • 13 Voir Vague (1994).
  • 14 Voir Dwyer (1989, 1992 et 1995).

4Une grande partie d’entre eux – si l’on tient compte d’autres titres édités et distribués dans les grandes villes, les villes de taille moyenne et les villages de la Grande-Bretagne9 – suivirent le modèle de Sniffin’ Glue : un texte acerbe juxtaposé à des images coupées-collées, le tout photocopié et vendu à un coût minimal pendant les concerts ou chez les disquaires10. La plupart des ’zines ne duraient pas plus qu’une poignée de numéros, tirés à quelques dizaines ou centaines d’exemplaires. Plusieurs d’entre eux étaient des numéros uniques créés dans un moment d’enthousiasme fébrile. Cependant, certains fanzines punk commencèrent, au fil du temps, à développer un contenu et un design plus varié et plus créatif que les premiers efforts plutôt grossiers des premiers numéros. Même Sniffin’ Glue subit une transformation durant la période 1976-77, avec l’inclusion en son sein d’analyses critiques à propos du développement du punk, ainsi que la publication de photos et de contributions provenant d’autres sources que de Perry uniquement. London’s Burning (1976), du journaliste Jhon Ingham (sic), était constitué de collages composés de gros titres de journaux, comprenant des photos et des textes de The Clash, tandis que la première édition de London’s Outrage (1976) de Jon Savage intercalait des coupures de presse avec des références culturelles pop et un essai avertissant de la descente aux enfers imminente de la Grande-Bretagne sur les pentes du fascisme. Le deuxième numéro, édité en 1977, compilait des photos de paysages désolés et de graffitis londoniens qui reflétaient la vision dystopique punk « No Future » (voir la figure 211). En effet, la conception graphique des ’zines punk évolua rapidement en incorporant des collages, des montages, des illustrations et un éventail de couleurs qui contrastaient avec l’esthétique simpliste noir et blanc des premiers numéros, avec leur mélange de textes manuscrits et dactylographiés. L’influence de Crass, qui voulait transformer la référence rhétorique du punk à l’anarchie en une pratique cohérente, fut un catalyseur dans l’émergence de ’zines ouvertement politiques. Les meilleurs – Acts of Defiance, Anathema, Enigma, Fack, New Crimes, Pigs for Slaughter, Toxic Graffitti (sic12) – faisaient cohabiter quelques articles sur la musique avec des pamphlets politiques sur des sujets tels que la vivisection, la guerre nucléaire, les squats, le « système » et ses divers tenants organisationnels et intellectuels. D’autres, tel que Vague, avaient commencé à être publiés en suivant une forme plutôt conventionnelle, avant d’engager une transformation, en incluant cette fois des analyses en profondeur sur la pertinence socioculturelle du punk, ainsi que de longs essais sur la pratique situationniste et sur la Fraction Armée Rouge (RAF13). Le ’zine punk Rapid Eye Movement se métamorphosa aussi en une compilation de la taille d’un livre, se donnant pour but d’explorer ce que son fondateur, Simon Dwyer, nommait l’« occulture14 ».

  • 15 À propos du rejet explicite du prefix « fan », voir Antigen, n° 1, 1982, p. 2 ; City Fun, vol. 2, n (...)

5Cela laisse entendre que les fanzines qui avaient émergé avec le punk avaient rapidement transcendé leur préfix « fan15 ». Certains d’entre eux étaient édités par des coopératives, ce qui permit l’élargissement de leurs réseaux sociaux ; d’autres permettaient de faire fusionner les agendas politiques (y compris anarchistes, fascistes, féministes et socialistes) et la culture punk, ainsi que les cultures dites « post-punks » qui surgissaient dans son sillage. Ce faisant, les ’zines forgeaient un réseau de presse alternative underground, où les voix dissidentes et les premières opinions politiques des jeunes pouvaient s’exprimer et débattre. L’objectif de ce chapitre, par conséquent, est d’analyser et de contextualiser le contenu politique des fanzines associés au punk britannique, jusqu’aux années 80. On examinera tour à tour l’émergence de critiques culturelles qui découlent des liens entre le punk, la musique populaire et l’industrie culturelle ; l’expression d’idées au contenu largement socialiste qui furent encouragées par le punk et le « cultural turn » pris par la gauche contemporaine ; et l’expression de positions politiques clairement anarchistes issues de l’ethos punk DIY. De manière plus générale, ce chapitre met en lumière la culture décrite par Jon Savage comme étant analogue à la tradition anglaise du pamphlet filtrée par les idées politiques contre-culturelles de « la gauche psychédélique et de la presse underground pro-situ » qui y était associée durant les années 60 (Savage, 1991 : 279).

« Pourquoi lire ça quand tu peux faire le tien16 !!! »

  • 16 Le titre de cette section vient de Cool Notes, n° 3, 1982.
  • 17 Voir Triggs (2010 : 18), Duncombe (2008 [1997] : 15-17), Sabin et Triggs (2000), Atton (2002) et We (...)

6L’histoire des fanzines a fait couler beaucoup d’encre17. On peut retracer leurs origines en remontant jusqu’aux magazines fait-main écrits par les fans de science fiction aux États-Unis et en Grande-Bretagne dans les années 30 : il s’agissait d’œuvres minutieusement rédigées, qui permettaient d’organiser et de transmettre des histoires et des commentaires critiques au sein d’un réseau de passionnés. Par la suite émergèrent des publications qui n’étaient ni professionnelles ni commerciales. Celles-ci couvraient un éventail de domaines culturels comme les comics, le sport, le cinéma, en passant par la sexualité et la religion. Il n’est donc guère surprenant que la musique ait été – et soit encore – au cœur des sujets traités par les fanzines, traitant de genres ou d’artistes spécifiques depuis au moins des années 50. Ainsi, la majorité des tous premiers fanzines punk ne faisaient que suivre cette tradition bien établie, en exaltant la « nouvelle vague » (new wave) pour le plaisir des « fans » qui se trouvaient sur la même longueur d’onde.

  • 18 Voir Fountain (1988), Nuttall (1970 [1968]), Stansill et Mairowitz (1971).
  • 19 Anarchy in the UK, n° 1, 1976.

7Et pourtant, le grand nombre de fanzines liés au punk ayant vu le jour en 1976 et 1977 suggère qu’ils étaient bien plus que de simples produits dérivés de la consommation de musique. Déjà, dans les années 60, faire la distinction entre les fanzines, les publications contre-culturelles (telles que Frendz, International Times, Oz) et les pamphlets de style samizdat avec leur longue tradition radicale devenait de plus en plus ardu18. De fait, Jamie Reid avait fini par réunir ces trois types de publications : les illustrations qu’il avait réalisées pour les Sex Pistols utilisaient des graphiques détournés et des concepts qu’il avait explorés pendant ses années d’études à la Croydon Art School (qu’il avait fréquentée avec Malcolm McLaren et Helen Wallington-Lloyd), pour ensuite être diffusés par la Suburban Press, qu’il avait co-fondée en 1970. Le propre fanzine des Sex Pistols, Anarchy in the UK (publié en 1976), avait ce pedigree, incorporant des photographies de la clique du groupe à ses débuts et des sarcasmes au ton politique dont la qualité était jugée sur un seul critère : « est-ce que ça menace le status quo19 ? » Crass aussi publia le premier des trois ’zines d’International Anthem à la fin de l’année 1977, qui juxtaposait les illustrations de Gee Vaucher, des collages de paroles et des essais de Penny Rimbaud (Jeremy Ratter), illustrant l’héritage contre-culturel du groupe (voir figure 3). Le punk, et les fanzines qui y étaient associés étaient de plus en plus marqués par une esthétique subversive qui permettait d’élargir leur potentiel politique. Alors que les groupes écrivaient des chansons au contenu politique revendiqué et soutenaient des causes telles que Rock Against Racism (RAR) et la Campagne pour le Désarmement Nucléaire (CND), les fanzines ouvraient un nouvel espace de débat et d’établissement des implications politiques plus larges de la culture punk.

  • 20 Le soutien qu’apporta Parsons au début aux fanzines fut de courte durée, voir Burchill et Parsons ( (...)
  • 21 Cobalt Hate, n° 3, 1980, p. 2.

8Cela avait été compris à l’époque. Selon Tony Parsons, qui avait été recruté par le NME avec Julie Burchill à la fin de l’année 1976 afin de couvrir l’émergence du punk, les fanzines représentaient « l’offre la plus large, la plus irrévérencieuse, la plus drôle, la plus salvatrice de la presse musicale alternative dans l’histoire du rock‘n’roll » (Parsons, 1977 : 1220). Ainsi, les fanzines promouvaient un espace de créativité qui permettait de contester et de tourner en dérision ce que Cobalt Hate décrivait, en 1980, comme la couverture médiatique « infestée de conneries » des hebdomadaires21. Dans la même veine, Jon Savage remarquait en 1976 que les fanzines offraient un complément graphique et littéraire à l’assaut musical et stylistique porté par le punk. Non seulement les fanzines avaient une fonction de démocratisation culturelle envers les jeunes, mais ils innovaient, en proposant un « nouveau langage », qui prenait la forme de « coups de gueules visuels et verbaux » libérés des contraintes de la censure, des dictats éditoriaux, des révisions ou des délais serrés qui gouvernaient, habituellement, les autres publications (Savage, 1991 : 279-280).

  • 22 Triggs (1995 : 72-87 ; 2006 : 69-83 ; 2010 : 16-17). Voir aussi Henry (1984 : 30- 36) ; Bestley et (...)
  • 23 Voir aussi MacGowan (1976 : 6) : « On a tout attaché avec des épingles à nourrice. Toutes les photo (...)
  • 24 Ogg (2009) ; Young (2006) ; Hesmondhalgh (1998 : 25-74).

9La majorité des écrits académiques à propos des fanzines punks britanniques ont développé des arguments similaires. Teal Triggs, en particulier, a beaucoup fait pour mettre en valeur les innovations graphiques dont les ’zines punk avaient fait preuve, en démontrant à quel point leur langage visuel avait été à la pointe de la révolte culturelle punk, et avait permis de modeler une esthétique unique, qui a, depuis, été absorbée par les tendances graphistes plus mainstream. Triggs et Tricia Henry ont toutes les deux éclairé les modalités par lesquelles le graphisme punk ressemblait, et parfois s’inspirait des approches innovantes développées par l’art moderniste du début du siècle22. De manière plus générale, les approches sociologiques du punk britannique ont – tout comme Savage avant eux – remarqué que l’assemblage coupé-collé des fanzines reflétait le bricolage vestimentaire et l’agentivité du punk à ses débuts. Dick Hebdige, par exemple, a relevé comment la pagination désordonnée, les fautes d’orthographe et le coût de production bon marché des fanzines punk résonnaient comme une indication de leur « caractère urgent et de leur instantanéité […] ils fonctionnaient comme des mémos qui proviendraient de la ligne de front » (Hebdige, 2007 [1979] : 111-11223). Dave Laing a souligné que la langue et l’imagerie utilisées dans les fanzines ont aidé à définir les frontières du punk au sein de (et contre) l’industrie musicale et, plus généralement, la société (Laing, 1995 : 14-15). Si l’héritage durable du punk, en tant que dynamique culturelle, était de permettre de transformer l’observateur passif en participant actif, alors les fanzines méritaient bien leur place aux côtés des labels indépendants et des disques auto-produits dans le panthéon de ce qui reflétait si bien cet esprit DIY24.

  • 25 Sideburns, n° 1, 1977, p. 2. Pour des guides sur comment écrire un fanzine, voir Adventures in Real (...)

10Ces approches sont fondées. Les collages graphiques et les textes irrévérencieux de la plupart des fanzines répondaient au style acerbe du punk qui lui-même semblait incarner la rhétorique du déclin et de la dislocation sociale peuplant les discours politiques et médiatiques des années 1970. Simultanément, le processus même d’écriture et de distribution d’un fanzine réaffirmait l’intention déclarée des acteurs du punk de rendre la musique populaire et la culture jeune à ceux qui la créaient, l’écoutaient et la vivaient. Les guides qui donnaient des conseils sur comment créer son propre fanzine devinrent des éléments incontournables des ’zines punk, comme le diagramme pionnier de Sideburns, montrant trois accords et les instructions à suivre pour former son groupe : « Voilà un accord. En voici un autre. En voilà un troisième. Maintenant, crée ton groupe » (voir figure 425). De plus, le contenu de la plupart des fanzines britanniques prouvait que le punk était bel et bien une réponse consciente aux développements politiques et culturels contemporains.

  • 26 Pour en voir un exemple amusant, voir l’entretien avec un teddy boy (1977 : 9-10).

11Cependant, on devrait se garder de trop insister. D’innombrables fanzines ne faisaient qu’imiter la presse musicale, et représentaient moins une alternative qu’une pâle copie. De nombreux ’zines restaient aussi focalisés sur la musique et sur les dynamiques internes qui façonnaient la culture jeune, argumentant sans fin sur ce qui constituait le « punk », en délimitant les rivalités tribales (entre punks, teddy boys, mods, skinheads, etc.), qui, trop souvent, laissaient cours à de violentes confrontations26. Un numéro de fanzine lambda était toujours constitué d’un florilège de critiques de disques, de classements maison des titres, d’entretiens avec les groupes et de récits de soirées à un concert. En d’autres termes, les fanzines répondaient aux intérêts habituels des adolescents enthousiastes vis-à-vis des changements perpétuels de style et de goût au sein de la culture populaire et passionnés de musique pop.

  • 27 Une liste de quelques exemples notables inclurait : 0533 (à Leicester), Alternative Sounds (à Coven (...)

12Néanmoins, le punk a aussi produit une expression ouvertement politique. Bien que l’on rédigea maintes fois dans les médias et dans la presse musicale son acte de décès, la pertinence de longue durée du punk et sa diffusion se poursuivirent durant les années 80, et celle-ci était cartographiée par la production (qui semblait infinie) de fanzines27. Certaines de ces publications entreprirent de définir et d’orienter la raison d’être du punk au-delà de la dimension de « plaisir » prônée dans le premier numéro de Sniffin’ Glue, vers des objectifs plus ambitieux de changements politiques et culturels.

« La liberté est précieuse, la plupart des gens ne sont pas libres, ils souffrent en silence loin de nos écrans télé28 »

  • 28 Dans Bits, n° 1, 1981.
  • 29 Voir, par exemple, la déclaration de Paul Simonon (The Clash), commentant ainsi les origines du pun (...)

13Le punk, du moins à ses débuts, fut présenté comme une réponse à l’état de la musique populaire du milieu des années 70, c’est-à-dire perçue comme de la pop diluée pour le grand public (diffusée sur Top of the Pops et Radio One) et comme du rock‘n’roll dominé par une élite vieillissante de plus en plus détachée du public29. De la même manière que The Clash rejetait « Elvis, les Beatles [et] les Rolling Stones », comme n’ayant plus aucun rapport avec la vie des jeunes en 1976-77, Tony D (Tony Drayton) ouvrait le premier numéro de Ripped & Torn par une diatribe contre « ces connards chiants (tous les Led Zeppelin, The Who, Paul McCartney, Stevie Wonder, etc., de ce monde) qui sont en train de glander dans un paradis tropical au soleil, tandis que nous, pauvres diables, devons faire avec la merde qu’ils veulent bien nous balancer » (Drayton, 1976 : 5-6). Le moins que l’on puisse dire, c’est que le punk a représenté un tournant stylistique, générationnel et d’attitude dans la musique populaire et la culture qui y est associée.

  • 30 « So What Else in New ? », Hangin’ Around, n° 6, 1977, p. 3-4.

14Ce genre d’interprétations formait la base d’une grande partie des textes qui étaient publiés dans les premiers fanzines. Les ’zines ont participé à ancrer le fait que le punk se posait comme un défi lancé à la musique mainstream et aux médias, en démystifiant leurs processus, et en proposant de nouvelles façons de produire et de diffuser des idées. On peut aussi citer Rick O’Shea, qui, dans Heat (en 1977), écrivait que le punk représentait « se dresser contre les systèmes établis […] en prenant position et en déblayant le chemin pour les autres groupes » (O’Shea, 1977 : 12). Le but, selon Mark Perry, était de « tout inclure, les posters, les pochettes d’albums, la façon de se présenter sur scène, absolument tout ! » (Perry, 1976b : 4). Les fanzines, par extension, étaient conçus pour permettre cela en offrant à ceux qui étaient les plus proches de cette culture un moyen de la définir, de la contester et de la modeler de l’intérieur. « Ça dépend de nous, le public », insistait Hangin’ Around (Édimbourg, 1977), « si l’on veut chasser les opportunistes, les parasites, et éradiquer les frimeurs et les grippe-sous30 ».

  • 31 Voir aussi Barbequed Iguana, un fanzine lié au Jacquard club qui fut établit par Jon Fry et Jon Vin (...)

15Cela pouvait signifier plusieurs choses en pratique. Les fanzines ne donnaient pas seulement un « bon coup de pied » à l’industrie musicale institutionnalisée, ils avaient également tendance à placer toute expression de la culture punk locale ou issue des grass-roots au-dessus de celles présentées par la presse musicale nationale ou l’industrie du disque (Tim, 1977 : 2). Alors que Gun Rubber de Sheffield présentait un mur couvert de graffiti avec le slogan « j’en ai rien à faire de Londres », les ’zines ultérieurs – par exemple, Anti-Social (de Coventry), Defused (de Cumbria), Wool City Rocker (de Bradford) – avaient pour politique éditoriale de publier, avant tout, des articles sur les artistes locaux. Les groupes « vedettes » étaient interviewés quand ils passaient dans le coin, mais la plupart des fanzines réservaient une place de choix à la promotion de groupes, de disques et de clubs locaux. Certains fanzines développèrent même des liens étroits avec les salles locales : par exemple, Knee Deep in Shit de Bradford devint correspondant pour le « 1 in 12 club » dès 1981, tandis que d’autres montaient des labels de cassettes afin de distribuer des compilations et des maquettes au sein du réseau des fanzines31.

  • 32 Anti-Climax, d’Ipswich, semblait se réjouir de rejeter The Clash. Voir aussi « All the Glitters Tur (...)

16De la même manière, les ’zines servaient à créer un lien entre les groupes et à les rattacher à la culture punk au sens large. Les interviews des groupes comprenaient habituellement des questions portant sur les opinions politiques des membres, leurs objectifs, ainsi que la quantité d’argent gagnée, ou les conditions des contrats. Les groupes qui paraissaient déconnectés de leur public étaient immédiatement accusés d’avoir succombé aux appâts du star-système et d’avoir trahi leurs racines punk. Le cas le plus notoire est celui des membres de The Clash, qui furent critiqués pour s’être frottés au rock‘n’roll mainstream, bien que d’autres groupes étaient tout aussi moqués, méprisés ou ignorés, dès qu’ils étaient vus comme ayant franchi les normes mouvantes du punk32.

  • 33 Cela inclut Family of Noise, Ligotage, The Night Porter et Zerox.
  • 34 Voir, par exemple, Bring into Being, n° 1, 1983 ; Fight Back, n° 1, 1984 ; Intensive Care, n° 2, 19 (...)
  • 35 D’autres exemples incluent Ready to Ruck, Skins et Tell Us the Truth. Voir aussi des ’zines comme B (...)

17Enfin, les ’zines offraient une véritable alternative aux médias plus traditionnels, en couvrant des groupes et des scènes qui n’apparaissaient pas dans les colonnes du NME et compagnie, ce qui permettait aux personnes qui participaient au façonnement de cette culture de réfuter les distorsions médiatiques et de réaffirmer leurs identités culturelles. Le statut culte du groupe pré-pop Adam & the Ants ne peut réellement être compris qu’en mesurant l’attention dont il bénéficiait dans Panache, Vague et dans les « Ants-zines » spécialisés créés au tournant de la décennie33. On ne peut guère saisir la brève, mais notable influence de groupes tels que A.P.F. Brigade, Brigandage, Crisis, Six Minute War ou UK Decay sur le paysage musical sans faire référence aux fanzines. Alors que Crass avait tendance à fuir tout contact avec une presse musicale qui n’était vue guère plus que comme un intermédiaire relayant les intérêts des grandes entreprises, les membres du groupes préféraient accorder aux fanzines des entretiens, durant lesquels ils pouvaient diffuser de l’information et faire des déclarations34. Venant d’une toute autre direction, les ’zines tels que Hard as Nails et Skinhead Havoc firent beaucoup pour réaffirmer les cultures urbaines issues de la rue, face aux défis présentés par l’extrême-droite et les distorsions médiatiques des journaux dominants. Leur couverture de la musique reggae et de la soul révélait notamment un héritage culturel bien plus vaste que celui dépeint par les hebdomadaires musicaux ou par la presse à sensation35.

  • 36 Le fait que certains fanzines incluaient des annonces était controversé, tandis que les prix affich (...)
  • 37 « The Opposition (The New Underground) », Aftermath, n° 3, 1980, p. 13.
  • 38 Voir aussi Fletcher (2013).

18À un niveau plus fondamental, les fanzines permettaient à ceux qui étaient engagés avec le punk de construire leurs propres récits culturels. À leur tour, ces acteurs ont pu façonner une critique de plus en plus acerbe des médias et de l’industrie musicale, tout en transformant la politique culturelle punk. En premier lieu, on disséquait les machinations de l’industrie musicale en se livrant à des analyses plus inclusives sur la marchandisation culturelle. Selon David George, qui écrivait dans Dirt (1978), l’exploitation du punk par un « capitalisme arrogant » réaffirmait la nécessité pour les groupes et pour les ’zines de s’engager de manière critique dans « un mouvement rock qui refuse l’exploitation, qui est anti-capitaliste, non-violent, anti-raciste et anti-sexiste » (George, 1978 : 3). Comme cela l’indique, les fanzines avaient tendance à mettre en relief que leur but était non lucratif, en ajustant leur prix afin de couvrir tout juste leurs frais de production, et en élaborant leur contenu sans prendre en considération les recettes qu’ils pourraient faire36. Aussi, la priorité était donnée aux groupes qui souhaitaient contourner les grands labels et qui avaient préféré signer chez les petits labels indépendants ou qui produisaient leurs propres disques. Tony Medlycott, dont le ’zine Aftermath couvrait la dissémination du punk dans l’Est londonien de 1979 à 1981, considérait que les disques (et les ’zines) produits de façon indépendante formaient la base d’un « nouvel underground », d’une « opposition » engagée à « transmettre ses points de vues », plutôt qu’à se plier aux directives des « maisons de disques, de la radio populaire, du grand public et ainsi de suite37 ». En effet, de tels arguments étaient confirmés par le désir qu’avait démontré Rough Trade de distribuer les ’zines via son propre nouveau réseau de distribution, et par la possibilité qu’offrait localement Better Badges d’imprimer des fanzines, sur la base du « imprimez maintenant et payez plus tard » (Fletcher, 1980 : 13-1638). Bien entendu, de telles initiatives avaient pour résultat d’étendre la portée des fanzines ainsi publiés, et de susciter l’augmentation du nombre de titres disponibles.

  • 39 Quelques exemples évidents parmi des centaines : The Adverts, Alternative TV et Magazine ; les couv (...)
  • 40 Voir, par exemple, « The Spectacle », A System Partly Revealed, n° 2, 1982, p. 5 ; « Fuck the Press (...)

19Deuxièmement, la critique des médias initiée par les fanzines faisait bien plus que pointer les limites apparentes de la presse musicale. Le pouvoir des médias était une source constante de fascination pour les punks, et cela se reflétait dans d’innombrables noms de groupes, titres, contenus de chansons et choix graphiques39. Surtout, le punk révéla et explora comment les médias commodifiaient, objectifiaient et anesthésiaient. Ainsi, The Secret Public, publié par Linder Sterling (Linda Mulvey) et Jon Savage en 1978, comprenait des photomontages qui combinaient des images pornographiques, des appareils électroménagers et des formules publicitaires afin de dévoiler les fausses promesses genrées du spectacle médiatique. De manière plus générale, du moins à partir des années 80, les ’zines utilisaient la typographie des journaux et les coupures des gros titres afin de réaffirmer la contemporanéité du punk ainsi que son esprit d’engagement. Les gros-titres relatant des moments de crise ou d’horreur étaient juxtaposés à de banales images publicitaires, tandis que des scènes anodines, que l’on retrouvait dans les médias (une femme dans la cuisine, des enfants qui jouent) étaient imprimées à la suite d’essais caustiques qui touchaient aux stéréotypes de genre et à la probabilité d’une guerre imminente (voir la figure 5). En effet, la télévision, la radio et la presse écrite étaient vues comme des forces de contrôle qui avaient pour fonction de renforcer la morale sociale, de réprimer la dissidence et de détourner l’attention du public vis-à-vis des inégalités dans la vie quotidienne40.

  • 41 Collage, Anti-Climax, n° 6, 1980, p. 8 ; Nasty (1977 : 3) ; Hate and War, n° 2, 1982, p. 6 ; « Fash (...)

20De telles analyses critiques étaient, en partie, tirées de l’expérience. Le punk avait touché le grand public grâce à la panique morale générée par les médias après l’intervention scandaleuse des Sex Pistols sur le plateau de l’émission Today de la chaîne Thames Television, le 1er décembre 1976. Il avait aussi été codifié et commercialisé durant l’année 1977, ce qui révélait la vitesse par laquelle le punk, perçu comme un défi, pouvait se trouver désarmé, rhabillé et converti en profit. Dès la fin 1977, un certain découragement était sensible dans les analyses publiées dans les fanzines sur l’impact et le potentiel futur du punk. Durant les années 80, les tirades contre les « poseurs » et la commercialisation d’uniformes punk devinrent un classique des fanzines41.

  • 42 Voir McLuhan et Fiore Quentin (1967) ; Berger (1972) (qui était aussi une série de la BBC). Dès les (...)
  • 43 En ce qui concerne l’influence des « écoles d’art » sur le punk et la musique pop en général, voir (...)

21D’un autre côté, la perspective punk portée sur les médias et les mécanismes d’exploitation consubstantiels à l’industrie musicale gardaient les traces d’analyses critiques qui eut une certaine importance dans les années 6042. Ceci était, en partie, dû à l’influence de personnes comme Malcolm McLaren, Jamie Reid, Bernie Rhodes et Penny Rimbaud, dont la familiarité avec les idées politiques d’extrême-gauche ou contre-culturelles ont nourri la construction du punk43. Cela témoignait aussi des liens qu’entretenait le punk avec des débats plus larges concernant la signification politique des formes et des pratiques culturelles. Dès ses débuts, le punk avait été défini comme le produit ou bien le reflet des importants problèmes politiques et économiques qui criblaient le pays dans les années 70. Il n’y avait donc rien de surprenant à ce que les fanzines punk empruntent et dialoguent avec l’environnement politique duquel ils avaient émergé.

Les magazines rock‘n’roll du monde moderne44

  • 44 Titre adapté du gros titre de White Stuff, n° 1, 1977 : « Une revue rock‘n’roll pour le monde moder (...)
  • 45 Black, Pemberton et Thane (eds) (2013) ; Hay (2010 : 446-470) ; Moran (2010 : 173-198) ; Tiratsoo ( (...)
  • 46 Pour une vue d’ensemble exhaustive de l’époque, voir Harrison (2010).

22Le punk britannique se développa dans une conjoncture historique bien distincte. Bien que les universitaires aient commencé à interroger à la fois la nature et l’étendue de la crise que vivait la Grande-Bretagne dans les années 70, (en analysant la manière dont sa signification fut construite et utilisée pour forger un récit hégémonique), il est indéniable que de nombreux changements significatifs, qu’ils soient d’ordres culturels, politiques ou socio-économiques, prirent place et transformèrent durablement le pays45. En effet, résumer les différentes variables définissant la période passerait par la création d’un montage textuel en tout point semblable aux collages produits par les fanzines punk de l’époque, issu de la juxtaposition des gros titres des médias avec des images. Ainsi, on peut citer pêle-mêle les pressions inflationnistes qui participèrent à produire des confrontations dans le monde industriel, l’instabilité économique et « l’hiver du mécontentement » (en 1978-79) ; la dépression économique d’ampleur internationale, la crise du pétrole (1973-74) et la montée d’un sentiment d’insécurité post-impérial révélée par les relations qu’entretenait la Grande-Bretagne avec l’Europe, ainsi que les débats sur la dévolution et la Guerre des Malouines (1982) ; les tensions sociales latentes liées au National Front qui renaissait de ses cendres, aux émeutes de l’été 1981, aux bêtes noires des journaux incarnées par les hooligans du football, les voleurs violents, les « sniffeurs » de colle, et les punk rockers ; le conflit sanglant en Irlande du Nord, les bombes de l’IRA, ainsi que les attaques terroristes dans le pays et à l’étranger ; la guerre froide battant son plein et le CND (Campaign for Nuclear Disarmament) revigoré ; un chômage de longue durée, la désindustrialisation et les luttes sur les piquets de grève qui culminèrent avec la grève des mineurs de 1984-85. Sous-jacent à tout cela, la Grande-Bretagne connaissait une transition démographique qui induisait des transformations lentes, mais profondes – le secteur tertiaire venait à remplacer la production industrielle – et les attitudes socio-culturelles évoluaient. De manière plus générale, au cours de cette même période, les valeurs largement collectivistes qui avaient émergé après la Deuxième Guerre mondiale cédaient leur place aux principes individualistes du néo-libéralisme, tandis que les trois grands courants politiques britanniques subissaient un ré-alignement notable, et que « l’autoritarisme populaire », que Stuart Hall théorisait comme le noyau du thatchérisme, venait gangréner l’esprit de la nation toute entière (Hall, 1977 : 14-2046).

  • 47 Par exemple, Coon (1976 : 34-35) ; Parsons (1976 : 29) ; Marsh (1977 : 112-114).

23Dans ce contexte, le punk tirait son épingle du jeu, du moins en partie, notamment car il s’engageait vis-à-vis de toutes ces implications sociales et en était également le reflet. Les symboles politiques, les slogans et les signes représentant la « crise » étaient les éléments clés de l’iconographie punk. Les premières créations de Malcolm McLaren et de Vivienne Westwood comportaient des croix gammées, des images de Marx, des références situationnistes et des citations de Buenaventura Durruti. Le deuxième single des Sex Pistols (« God Save the Queen ») se comprenait comme une riposte critique aux célébrations du jubilé d’argent de 1977, puisque figurait, sur la pochette du disque, l’image défigurée de la reine. Leur premier single, « Anarchy in the UK » (1976), coïncidait avec la demande de prêt au FMI formulée par Denis Healey afin de pallier à l’instabilité économique de la Grande Bretagne – le titre de la chanson faisant à la fois référence au sentiment de déclin ressenti dans le pays et à un cri d’émancipation. Les Clash, eux, sortaient des titres sur fond de commentaire social acéré, ayant comme référence les émeutes de Notting Hill (1976), le chômage, l’ennui, la haine et la guerre. Étant donné le contexte social plus large dans lequel prenait place cette musique, la rage punk et ses prétentions d’être la réponse appropriée, pouvaient facilement être comprises comme la réaction des jeunes aux échecs politiques successifs et au glaçant n° future que ces derniers laissaient présager47.

  • 48 Ces exemples viennent de Guttersnipe, vol. 1, nos 1, 2, 4, 5, 7, 1978 et 1979, et vol. 2, n° 1, 198 (...)

24Ce genre d’interprétations ne tarda pas à être relayé par la presse musicale et les grands médias, et atteint les fanzines. Bien que beaucoup d’acteurs punk résistaient et rejetaient les connotations politiques inhérentes à cette critique, d’autres choisissaient de les suivre et de laisser exprimer tout leur potentiel critique et politique. Un fanzine comme Guttersnipe (1978-80), par exemple, était produit par un collectif de la ville de Telford, majoritairement composé d’adolescents, qui juxtaposaient des critiques de concerts et de groupes à des photographies réalistes dont la portée était sociale et représentaient des murs couverts de graffiti, des « gosses » dans les rues, des coupures de journaux et des logements sociaux. À l’intérieur, des articles antiracistes, portant aussi sur les pratiques sexuelles des adolescents, l’Irlande, l’apartheid et la violence apparaissaient aux côtés d’entretiens avec des jeunes du coin qui étaient au chômage, avec d’anciens détenus des centres de redressement pour délinquants juvéniles, et avec des survivants de tentatives de suicide. Ce genre de publications avait pour effet de faire figurer le punk comme un mode de documentation et un vecteur de reportages socio-politiques, et d’inciter les mouvements de protestations48.

  • 49 Cela, évidemment, fait référence au concept de Raymond Williams à propos d’une « culture vécue », t (...)
  • 50 Pour une discussion à propos des coups militaires et des répressions autoritaires supposées, voir K (...)
  • 51 Bored Stiff, n° 2, 1977, p. 2 ; Breakdown, n° 1, 1977 ; Flicks, n° 4, 1977 ; « Smash the National F (...)
  • 52 Par exemple, voir Bits, n° 1, 1981 ; Kick, n° 4, 1982, p. 5 ; Nihilistic Vices, n° 1, 1979 ; Toxic (...)

25On le voit, l’aspect et la substance de Guttersnipe étaient en phase avec l’époque, ayant pour effet de créer une véritable « structure de sentiments49 ». De plus, son insistance sur l’écœurement de la jeunesse, les tensions politiques et la crise économique, se retrouvait dans d’autres fanzines désireux de connecter l’émergence du punk avec des thèmes sociaux et politiques plus généraux. En particulier, les courants antiracistes et antifascistes étaient régulièrement mentionnés dans les fanzines à la fin des années 70, en partie à cause de la présence du National Front dans certaines rues des centres-villes, mais aussi pour répondre à l’idée que la Grande-Bretagne se dirigeait vers une crise qui ne pourrait se résoudre que par l’autoritarisme. Tandis que les journaux évoquaient avec crainte un possible effondrement socio-économique et que des rumeurs de coups d’Etat militaires (ou « communistes ») se propageaient, les paroles et l’imagerie punk répondaient et faisaient écho à la clameur des médias50. Des articles critiquant l’adoption de la croix gammée par le punk figuraient dans Jolt et Ripped & Torn, des images de manifestations du National Front alimentaient les photomontages des fanzines, tandis que le quatrième numéro de Flicks avait publié l’image d’une grande swastika recouverte par le slogan « Ecrasez le fascisme51 ». De manière similaire, les récits de harcèlement policier et le rejet violent des élites politiques consolidait la notion de « punk » comme réponse créative au sentiment de désespoir général, surtout au tournant de la fin des années 7052.

  • 53 Voir aussi Wright (1977 : 14) ; Laing (1978 : 123-128).
  • 54 Entretien avec Steve Gaunt, un organisateur du Front national de la jeunesse à Leeds, British News, (...)
  • 55 Des ateliers de fanzines étaient organisées dans quelques conférences RAR, avec l’objectif spécifiq (...)
  • 56 Plus tard, les magazines d’extrême droite qui pourraient être considérés de tradition ’zine incluen (...)

26D’une certaine mesure, le contenu politisé des fanzines punk était influencé par des tentatives, venant de la gauche et de l’extrême droite, de revendiquer – ou d’utiliser – le punk à des fins idéologiques (Worley, 2012 : 33-354). Ainsi, par exemple, les membres de la Ligue de jeunesse communiste (Young Communist League, YCL), du parti socialiste ouvrier (Socialist Workers Party, SWP) et d’autres tendances d’extrême-gauche interprétaient le punk comme une riposte aux échecs capitalistes, comme un moyen de « montrer son rejet des frustrations et des conditions qui [affectaient] la jeunesse de la classe ouvrière » (Wall, 1977 : 7453). De la même façon, à l’extrême droite, le punk était considéré par certains jeunes militants comme une réaction violente, palpitante, au « train-train quotidien de la société libérale54 ». Ainsi, de manière peu surprenante, les fanzines produits après 1976 alimentèrent bientôt un débat toujours d’actualité sur la signification des formes culturelles spécifiques à la jeunesse et leur potentiel à produire des changements politiques et sociaux. En d’autres termes, les fanzines étaient vus soit comme une sorte de média alternatif en marge du mainstream, ou comme des publications de style samizdat conçues afin de propager des perspectives radicales. Le YCL démontra son affinité avec la révolte punk des jeunes en changeant le graphisme de son propre journal afin de lui donner des airs de fanzine, tandis que le SWP alla encore plus loin en lançant l’éphémère Red Rebel, un magazine qui ressemblait aux ’zines des jeunes et mélangeait des tracts politiques avec des interviews de groupes comme les Angelic Upstarts. RAR (Rock Against Racism), qui travaillait étroitement avec le SWP et la Ligue anti-nazis (Anti-Nazi League, ANL) à la fin des années 70, publia aussi son propre journal de type ’zine, Temporary Hoarding, dès 1977, en combinant des reportages musicaux à des essais politiques et à des photo-collages (réalisés à la manière punk), prenants pour objet des grèves, des concerts RAR, des slogans et des manifestations55. À l’autre bout du spectre politique, Eddy Morrison du National Front lança le fanzine Punk Front à Leeds en 1978, ayant déjà commencé à intégrer un mélange de reportages musicaux avec des opinions politiques racistes dans un magazine plus concis et auto-produit portant le nom de British News. Par la suite, Morrison et Joe Pierce, éditeur du magazine Bulldog publié par le mouvement de jeunesse du National Front (Young National Front, YNF), créaient le mouvement Rock Against Communism (RAC) pour contrer RAR en lançant leur propre fanzine, Rocking the Reds56.

  • 57 Les ’zines listés furent produits par Mick Turpin, Janine Booth, Richard Edwards, Seething Wells (S (...)

27Bien sûr, les ’zines étaient aussi produits de manière indépendante par de jeunes militants politiques qui s’étaient enthousiasmés pour le punk et son potentiel. Guttersnipe comprenait des membres du SWP dans son collectif, et le début des années 80 fut le théâtre de l’émergence d’un certain nombre de ’zines alliant punk et poésie, et publiant des « ranters », des poètes qui déclament leurs vers (Attila the Stockbroker, Little Brother, Seething Wells, Mick Turpin, Tim Wells) et qui étaient prompts à utiliser l’infrastructure du punk afin de communiquer et de diffuser au plus grand nombre leurs opinions politiques socialistes. Il suffit de feuilleter les pages de Another Day Another Word (Liverpool), Blaze (Peterborough), Cool Notes (Londres), Molotov Comics (Leeds), Stand Up and Spit (Londres) et Tirana Thrash (Harlow) pour se retrouver immergé dans la période marquant le début du thatchérisme, en lisant les ferventes tirades – bien que parfois humoristiques – dénonçant le chômage, le fascisme, les « gauchistes très tendance », la brutalité policière et le retour de la menace de la guerre froide57.

  • 58 Voir, par exemple, Adventures into Basketry (Nottingham), After Hours (Londres), Dangerous Logic (L (...)
  • 59 Par exemple, « The Working Woman », Acts of Defiance, n° 3, 1982, p. 10 ; le collage de « Look What (...)
  • 60 Brass Lip, n° 1, 1979. Voir surtout l’essai « Roxex » (p. 16-17), qui prend comme point de départ l (...)

28Dans le même temps, le contenu politique des fanzines punk était étroitement lié au « tournant culturel » qui marquait les idées politiques de la fin du xxe siècle (Dworkin, 1997). Alors que de nouveaux champs de luttes avaient émergé au cours des années 50 et 60 – la culture, la langue, la jeunesse, la race, le genre, les médias – l’intime devenait politique, et les réponses individuelles aux questions portant sur la sexualité, l’identité, les loisirs et le plaisir prenaient plus d’importance. On voyait de manière nette la trace de cela dans les longs entretiens faits avec des groupes tels que Au Pairs, Gang of Four, The Mekons, The Pop Group, The Raincoats, Red Crayola et Scritti Politti, tous abordant des thèmes relatifs à l’autonomie créative, au genre, à l’hégémonie et à la praxis58. Cette tendance s’exprimait aussi par des poèmes et des nouvelles qui peignaient de glaçants portraits de l’aliénation, la misogynie et l’anxiété59. Brass Lip (197960), ’zine issu de Manchester, se concentrait exclusivement sur les groupes qui s’étaient engagés à explorer les politiques du genre, à discuter leur relation avec le mouvement de libération de la femme, et qui exposaient le sexisme endémique à l’industrie musicale (voir figure 11). Auparavant, Jolt, de Lucy Toothpaste (Lucy Whitman) avait émis une critique féministe sur le punk, qui trouva, plus tard, son exutoire dans les mouvements RAR et Rock Against Sexism (RAS). Drastic Measures, le ’zine qui était associé à la fois à Temporary Hoarding et à RAS, publiait des articles de Toothpaste et d’autres auteurs sur la dynamique du « Sex & Violence & Rock & Roll » (Toothpaste, 1978 : 4-6 et 1980 : 6-7).

  • 61 « A Breakdown of Oppression », City Fun, n° 12, 1981, p. 6.

29Le meilleur exemple de la sorte était peut-être City Fun (1978-84), publié à Manchester, dans lequel des écrivains comme Andy Zero (Andy Waide), Liz Naylor et Cath Carroll combinaient un humour irrévérencieux à des analyses critiques qui couvraient le terrain étendu des opinions de la nouvelle gauche libertaire (Wilkinson, 2013). Des articles sur le RAR, le CND et la scène gay de la ville étaient juxtaposés à des critiques acérées de Factory Records ou des prétentions postmodernes de Paul Morley dans le NME, tandis qu’étaient publiées des rubriques télé humoristiques, sous-tendues par un anti-consumérisme et une critique plus générale des médias. L’humeur pouvait basculer du dogmatique – « Cette société est basée sur la hiérarchie et l’exploitation. Nos relations avec autrui en sont le reflet. La discrimination est produite à un niveau préconscient » – au satirique, avec les caricatures de Ray Lowry61. Une sensibilité critique issue des impulsions de la gauche de l’époque était sous-jacente à cela : cette sensibilité façonnait un sentiment, un désir et une expression culturelle qui pourraient pointer le chemin vers un dépassement des bornes limitées du patriarcat, de l’État ou du marché.

  • 62 The Eklektik, n° 2 1982 (produit par Andy Palmer de Crass) ; Dat Sun, n° 1, 1978 ; Adventures in Re (...)
  • 63 Voir, par exemple, des ’zines comme Flowmotion, Industrial News, Intolerance, Kata et Stabmental.
  • 64 Voir, par exemple, All the Madmen, Concrete Beaches, Kick et Rapid Eye Movement.
  • 65 And Don’t Run Away You Punk, n° 1, 1984 ; Incendiary, n° 1, 1984 ; Kill Your Pet Puppy, n° 4, 1981.

30Finalement, et de manière plus générale, les fanzines inspirés par le punk ouvrirent des espaces de questionnement qui favorisaient la créativité, l’exploration intellectuelle et l’expérimentation politique. Ces espaces pouvaient prendre une variété de formes : la publication d’une série d’œuvres artistiques (dans The Eklektik), des hommages rendus au Blast ! de Wyndham Lewis (dans Dat Sun), des essais sur la vie urbaine qui s’inspiraient de l’influence situationniste (dans Adventures in Reality), ou bien des introductions à des auteurs comme Wilhelm Reich, Henry Miller et Austin Osman Spare (dans White Stuff62). Pour les fanzines qui étaient liés ou qui s’inspiraient de la culture industrielle ayant émergé autour de Throbbing Gristle, l’attention était centrée sur les systèmes de contrôle et le côté sombre de la condition humaine : les meurtres, le fétichisme et l’abject63. L’intérêt porté à Aleister Crowley et au surnaturel devint manifeste dès le début des années 80, tout comme les références aux textes de William Burroughs, Brion Gysin et à d’autres artistes/écrivains underground64. De temps à autre, on publiait aussi des listes de lecture, des critiques de livres, et des essais sur The Floodgates of Anarchy (1970) de Stuart Christie et d’Albert Meltzer, The Female Eunuch (1970) de Germaine Greer, The Dispossessed (1974) d’Ursula Le Guin, News from Nowhere (1890) de William Morris, et The Politics of Everyday Life (1967) de Raoul Vaneigem, comme autant de références que l’activiste punk en herbe pouvait adopter65.

31Pris dans leur ensemble, et en lien avec la démographie de la jeunesse punk, les fanzines produits jusque dans les années 80 révélaient le positionnement politique énergique, réflexif et souvent rudimentaire de cette culture. Bien que les auteurs, sujets et lecteurs prétendaient reconnaître les limites du punk en tant que moyen de promouvoir un réel changement politique ou social, tous cherchaient, en réponse à cela, soit à modeler les cultures punk et post-punk desquelles les fanzines faisaient partie, soit à étendre la protestation punk au-delà des paramètres standardisés de la culture jeune. Cela se traduisait occasionnellement par l’engagement des jeunes dans des mouvements ou des campagnes politiques organisés. Cependant, la culture politique punk tendait de plus en plus à rejeter la dichotomie « gauche-droite », en optant pour une tendance explicitement anarchiste, qui se voulait consciente des impostures du spectacle médiatique, et qui s’établissait contre les contours établis de l’État et de la société. Comme l’écrivait Tony Drayton dans Kill Your Pet Puppy :

« Grâce à l’anarchie, les gens ont retrouvé leur amour propre, leur IDENTITÉ PERSONNELLE, mais pour cela, il faut détruire ce qui est faux, les institutions et les dieux nationaux qui vous ont volé votre individualité et qui vous ont forcés à devenir esclaves à leurs autels […] Le MYTHE tout entier de la société s’effondre, effondrez-vous avec ou bien contribuez à le briser jusqu’à ce qu’il sombre dans l’inutilité. Les concepts capitalistes sont obsolètes, […] quand un individu confronte le système avec sa propre inutilité, c’est un acte anarchiste. […] Le “punk” expose le mythe – les punks sont en première ligne, les troupes de choc qui annoncent la chute du MYTHE, la MORT d’une civilisation qui régnait par la peur de la MORT. Le seul message du punks, sa seule philosophie est que TU PEUX ÊTRE TOI, TU N’AS PLUS À ACCEPTER CE QUE L’ON TE DIT D’ÊTRE… » (Drayton, 1980)

Le rêve impossible66...

  • 66 Ce titre vient du fanzine produit par les Poison Girls.
  • 67 Pour la relation de McLaren et Reid avec King Mob, voir Wise D. et Wise S. (1996 : 63-102).
  • 68 Rimbaud (1982) ; Cross (2004 : 25-44) ; Berger G. (2006).

32La relation entretenue par le punk britannique à l’anarchie remonte à ses origines (Donaghey, 2013 : 138-170). Ceci étant dit, l’appel aux armes des Sex Pistols, « Anarchy in the UK », était une déclaration d’intention, plutôt qu’un réel engagement vis-à-vis d’un credo politique. Malgré toutes les connections qu’avaient entretenues Jamie Reid et McLaren avec le groupe radical King Mob, McLaren était surtout fasciné par l’excitation disruptive émanant de l’anarchie, plutôt que par son idéologie sous-jacente. Dans un entretien au NME en 1976, il déclara : « Je la [l’anarchie] vois juste comme une réaction vis-à-vis des cinq dernières années de stagnation, […] une déclaration d’autonomie, d’indépendance ultime, de faire les choses par soi-même [do-it-yourself] » (Kent, 197667). Johnny Rotten (John Lydon) voulait « être » l’anarchie, l’incarner plutôt que la poursuivre en tant qu’objectif politique en soi. Crass, au contraire, adoptait le terme de manière plus délibérée, en l’utilisant pour forger une alternative à l’avertissement lancé par les Sex Pistols à propos d’un futur qui ne se mesurerait plus que par des projets consuméristes, de logements sociaux et par l’atrophie68.

  • 69 L’emblème fut conçu par Dave King afin de représenter plusieurs formes de répression. Le symbole es (...)
  • 70 « White Punks on Hope », Stations of the Crass, Crass Records, 1979.
  • 71 Glasper (2006). Dial House existait en tant qu’espace créatif et collectif bien avant 1977.

33Cela prit du temps. Comme les Sex Pistols, Crass (formé en 1977 et qui avait sorti leur premier single fin 1978) utilisaient au début le terme « anarchie » et son symbole d’un A dans un cercle dans le cadre d’un arsenal sémiotique et linguistique destiné à provoquer et déranger. Dans le cas de Crass, cet arsenal incluait l’emblème de la paix associé au CND, des vêtements de scène noirs des pieds à la tête, et d’inspiration militaire, des références au nihilisme et à l’existentialisme, des slogans déclarant « Combats la guerre, fais pas la guerre » (« Fight War Not Wars ») ou « Il n’y a d’autorité que toi-même » (« There is n° Authority but Yourself »), et un motif distinctif qui semblait être une combinaison de croix, swastika et Union Jack69. De telles ambiguïtés – ces symboles opposés qui s’entrechoquent – faisaient partie de manière intégrale de l’esthétique initiale de Crass, servant à dissimuler ou invalider la signification des objets, afin d’inciter l’émergence d’un questionnement sur la nature du pouvoir et de sa dissémination. Dès 1979, cette stratégie avait conduit le groupe à devenir à la fois la cible et l’objet d’admiration de factions de gauche et de droite, ce qui les avait poussés à s’associer de manière plus affirmée à l’anarchie, symbolisant une troisième voie, au-delà du système politique binaire établi. « Putain de politique de merde qui va tous nous faire tuer », entonnait ainsi Steve Ignorant (Steve Williams) sur Stations of the Crass, l’album de 1979 du groupe, poursuivant par un tonitruant « la gauche, la droite, vous pouvez tous vous faire voir, […] l’anarchie et la liberté, c’est tout ce que je veux70 ». Dans ce but, les membres du groupe vivaient collectivement à la Dial House, en bordure de la forêt d’Epping, et entretenaient cette ruche créative qui inspira d’innombrables groupes, maisons de disques et initiatives politiques qui émergèrent au long des années 80 et qui choisirent d’exister en dehors des structures dominantes de l’industrie musicale et, plus généralement, de la société71.

  • 72 « Punk and Politics », Ability Stinks, n° 1, 1981, p. 6 ; « Posh or Poor », City Chains, n° 2, 1977 (...)

34Il n’est guère surprenant que l’influence de Crass devint rapidement visible dans les fanzines punk. L’approche du groupe s’intégrait parfaitement à la culture DIY, tandis que leur son, leur look et leurs paroles sans compromis trouvaient un écho certain auprès de ceux qui prenaient au sérieux la radicalité du punk. Le débat sur la signification politique du punk avait déjà trouvé place dans certains ’zines punk de la première heure72. Dans le sillage de Crass, dont les pochettes de disques qui se dépliaient, disséquaient savamment des thématiques telles que la religion, la géo-politique et les relations sociales, et dont le ’zine International Anthem se posait comme modèle pour combiner des textes acerbes aux visuels « anti-système », le débat allait s’étendre au-delà du domaine de l’expression créative. Toxic Graffitti, par exemple, produit par Mike Diboll, juxtaposait des entretiens de groupes à des collages à connotation politique, des traités sur l’anarchie à des diatribes contre la répression d’État (voir la figure 7). Le contenu du numéro cinq, publié en 1980, et connu sous le nom de « numéro sur la libération mentale », était truffé d’une série de tirades nihilistes sur l’ineptie du travail, sur l’illusion politique et sur l’abjection étouffante de la vie quotidienne :

  • 73 Le numéro « 5 » de Toxic Grafity semble être le troisième numéro du fanzine – préalablement nommé N (...)

« Dieu est un mensonge. Il n’y a pas de dieu, dieu est une arnaque, la mort, c’est l’oubli […] Je rejette la religion, je rejette le travail, dans un système capitaliste (capitalisme d’Etat, ou fasciste, ou communiste, c’est la même chose) […] le travail c’est l’esclavage, ça ne te libère pas, c’est un putain de mensonge, le “mythe” du capital […] oui, je rejette les valeurs d’aujourd’hui et les valeurs du passé […] Je ne vois aucune solution politique, car la politique de gauche ou de droite, ce sont des mensonges […] RENDS-TOI COMPTE DE LA FOLIE DE LA “CIVILISATION” ET DE SES FOUTUS EXCÈS, GAVAGES ET PUTAINS D’EXCÈS POUR TOUT, PUIS AGIS POUR LA DÉTRUIRE. » (Diboll, 1980 : 1873)

  • 74 Citations de Kick, n° 3 et n° 4, 1980 et 1982. Voir aussi All the Madmen et And Don’t Run Away You (...)

35D’autres publications lui emboîtèrent le pas. Cobalt Hate, publié dans la ville de Stevenage dès 1979, émergeait comme un amas de slogans désordonnés, de coups de gueule et de collages de textes copiés – le troisième numéro portait l’accroche « anarchie, hérésie, nihilisme, mépris » (voir figure 8). Parmi les publications liées à l’Autonomy Centre établi en 1981-82 dans le quartier londonien de Wapping, ou au Centro Iberico (1982) de Westbourne Park, des ’zines comme Book of Revelations, Enigma, Paroxysm Fear, Pigs for Slaughter, Precautions Essentielles Pour La Bonne et Scum donnaient à lire des traités anarchistes radicaux qui encourageaient l’action directe contre la propriété, les groupes fascistes et l’État. On publiait aussi des guides de graffiti ou sur les effets du gas CS, en partant d’une interprétation classiste de l’anarchie qui, plus tard, allait influencer les initiatives de guerre des classes (Class War) du milieu des années 80 (Bone et al. : 1991). De manière plus ésotérique, les membres des collectifs Kick et Kill Your Pet Puppy concevaient une forme d’anarchie punk centrée sur l’idée de « vaincre la réalité plutôt que d’y échapper ». Ainsi, Richard Cabut entre 1980 et 1982 proposait un anarchisme qui devait être une « affaire mystique plutôt que politique », tournant autour d’une « expérience de vie » qui comprenait les squats (ou les logements coopératifs), la créativité et la résistance aux « conventions et aux attentes de la société74 ».

  • 75 Cross (2014). Comparer aussi des ’zines comme Fack et Toxic Graffitti avec Scum de Andy Martin ou P (...)
  • 76 Ce terme fut utilisé dans le manifeste du parti conservateur (Conservative Party) de 1979.

36Un tel débat aboutissait à un désaccord sérieux entre ceux qui voyaient l’anarchie comme un « état d’esprit » (ou une révolution qui commençait et finissait avec l’individu) et ceux qui l’envisageaient comme un mouvement collectif dont le but ultime était la destruction de l’État. De même, de nombreux échanges opposèrent ceux qui défendaient une position pacifiste, et ceux qui préconisaient le recours à la confrontation physique75. C’est finalement sur ce terrain de luttes que se développa, de manière simultanée, la fondation idéologique relativement cohérente de l’anarchisme DIY punk. La religion était reconnue comme une source d’oppression archaïque, une structure morale et institutionnelle qui se déployait, historiquement, afin de protéger l’élite dirigeante du pays en asservissant mentalement, émotionnellement et physiquement ceux qu’ils gouvernaient. Dans le même temps, l’État était présenté comme un dispositif de répression qui exerçait son pouvoir pour défendre des intérêts particuliers (ceux des politiciens, des propriétaires du capital), ses forces – la police, l’armée et les tribunaux – étaient utilisés pour contrôler, réprimer et détruire, si nécessaire, tout vestige de résistance. Les médias, évidemment, servaient d’opium des peuples et de moyen d’endoctrinement. Au niveau social, également, la famille existait en tant que lieu de conditionnement par lequel les rôles liés au genre, au patriarcat et aux valeurs hégémoniques étaient imposés et continuellement renforcés par le système éducatif. Les intérêts du capital étaient entretenus par l’exploitation de la science et par une machine de guerre qui projetait la menace d’un holocauste nucléaire afin de terroriser et d’asservir les populations ; la guerre froide était un coup de force de deux systèmes d’élite engagés dans une guerre destructrice. D’un point de vue britannique, Margaret Thatcher devint l’icône de l’oppression organisée par l’État : l’instigatrice de la guerre (des Malouines) et la personnalité publique qui représentait un système prêt à écraser ceux qui se trouvaient à l’écart ou qui contestaient sa vision d’une « renaissance » (« new beginning ») britannique (voir figure 976).

  • 77 Quelques exemples pourraient inclure : A New Body (Peterborough), A System Partly Revealed (Londres (...)

37Par conséquent, dès le début des années 80 existaient d’innombrables ’zines avides de juxtaposer des entretiens au contenu politique à de féroces condamnations de l’État en guerre et de ses divers satellites77. En effet, l’approche de collage du punk se trouvait perçue par une lentille dystopique : des images de champignons atomiques, d’animaux torturés et d’enfants affamés participaient à nourrir des polémiques conçues pour dénoncer la « réalité » construite par les politiciens et les simulacres médiatiques. Comme le décrivait Anathema (1982) :

  • 78 « Life Today… Is It Really Life ? », Anathema, n° 1, 1982, p. 17-18. Anathema fut produit par Lee G (...)

« Ton futur est entre les mains de quelqu’un d’autre. Des mains maintenant ligotées par les chaînes des financiers. Un esprit contrôlé par des chaînes sémantiques et un manque d’idéaux. Qui prend toujours le chemin le plus facile […] L’autorité, c’est l’autorité, le pouvoir, c’est le pouvoir […] Pour gouverner, tu as besoin de pouvoir. Pour avoir du pouvoir, il faut le garder […] Faire des promesses, leur/nous mentir, le profit en souriant […] C’est l’heure du dîner, allume ta radio. Oh non, la faible lueur du tiers-monde perd encore en intensité. Le quatrième Reich se profile, porté par une vague d’agitation sociale78 ».

  • 79 Quelques titres de la région : Acts of Defiance, Anathema, A Trip into Realism, Cardboard Theatre, (...)

38Pourtant, l’importance de ces ’zines venait tout autant du fait qu’ils avaient établi des réseaux de jeunes activistes punk, que du fait qu’ils avaient produit une culture politique clairement anarchiste. L’agentivité était inhérente au punk et celle-ci s’étendait à la sphère politique lorsque l’anarchie fut bientôt comprise comme plus qu’un symbole des capacités d’expression personnelle. Par conséquent, en s’intéressant, par exemple, à une sélection de ’zines anarchistes produits dans le Nord-Est, on trouve les traces d’un milieu politiquement engagé qui cherchait à passer de la théorie à la pratique79. Parallèlement au débat concernant les limites pratiques et intellectuelles de l’anarchie, on voit des liens se tisser entre les ’zines et les groupes d’action locaux (le Sunderland Anti-War group, les anarchistes Tyne & Wear, les cellules anti-fascistes), les librairies anarchistes (Red and Black à Middlesbrough) et les mouvements nationaux, y compris le CND, le Front de libération des animaux (Animal Liberation Front, ALF) et le mouvement anti-chasse de la Hunt Saboteurs Association. Les débats concernant l’efficacité des manifestations du CND ou les répercussions de la guerre des Malouines ou la grève des mineurs succédaient aux essais publiés sur le mouvement de libération des femmes. De plus, les personnes impliquées dans ces différentes instances faisaient partie de collectifs locaux de musiciens qui mettaient à disposition des salles telles que The Bunker à Sunderland pour organiser des concerts pour des causes, des répétitions et permettre aux associations locales et politiques de se réunir. Les fanzines punk, à l’échelon local, déteignaient ainsi sur les cultures militantes et subversives, se tenant bien éloignés des plaisirs éphémères du hit-parade ou des frivolités des cultures jeunes à la mode.

  • 80 Pour la critique de la gauche, y inclus des initiatives comme celle de la RAR, voir « Fascists – Wh (...)
  • 81 Pour une critique de ces attitudes, voir Vague (1983 : 29).
  • 82 Un exemple local inclurait la descente de la police à la librairie Freewheel à Norwich, dans laquel (...)
  • 83 Worthington (2005) ; Hetherington (2000) ; McKay (1996).

39L’anarchisme formulé par les fanzines punk entretenait une relation problématique avec les traditions antérieures de la pensée anarchiste, même s’il reflétait beaucoup de ses tensions historiques (Cross, 2010). Il s’agissait, à maints égards, d’un anarchisme forgé par une variété d’impulsions, que ce soit les ré-alignements successifs de la gauche engendrés par l’émergence de nouveaux mouvements sociaux et l’influence dominante de la contre-culture des années 60, ou une réaction de rejet vis-à-vis des changements technologiques, culturels et socio-économiques marquant la fin du vingtième siècle. L’individualité et la liberté étaient au cœur de ce projet, et ces valeurs étaient à l’opposé de la rhétorique de la Nouvelle Droite (New Right) et se trouvaient également en porte-à-faux vis-à-vis du communisme et de la gauche social-démocrate80. À cause de cela, peut-être, l’anarchisme exposé dans les fanzines punk pouvait être à la fois dogmatique et pertinent, idéaliste et normatif. Certains textes de fanzines étaient dominés par un ton misanthropique, qui révélait un mépris certain pour les gens « ordinaires » ou non-engagés politiquement, suggérant un élitisme aussi maussade que complaisant81. Néanmoins, les ’zines participaient à un mouvement anarchiste plus étendu, qui renforçait les rangs du CND, permettait de rendre visible sur la place publique la question des droits des animaux et qui était suffisamment visible pour susciter une condamnation au Parlement et l’attention de la police82. Si la bataille de Beanfield (1985) fut la réponse institutionnelle la plus violente formulée à l’encontre de la culture nomade enracinée dans l’anarchisme punk, les manifestations Stop the City de 1983-84 faisaient partie du même continuum qui amène aux manifestations anti-capitalistes et anti-mondialisation des périodes plus proches de nous83.

« De toute façon, j’aime pas les fanzines, ils sont ennuyeux à lire et c’est pas constructif, mais c’est mieux que The Sun84 »

  • 84 Bondage, n° 1, 1976, p. 6.
  • 85 Hopton (1987) ; Friedman (1987) ; Hill (1991 [1972]). Graham Burnett écrivit le ’zine New Crimes.
  • 86 Ceci demeura vrai même alors que le punk évolua et que des styles et genres nouveaux (ou renouvelés (...)

40La production de ’zines anarchistes du début des années 80 s’apparente peut-être au moment où le punk a le plus ressemblé au catalogue de pamphlets « pro-situ » et radicaux décrits par Jon Savage. Non seulement l’esprit des ranters comme Abiezer Coppe était bel et bien ressuscité sous la plume des textes de Mike Diboll, Lee Gibson, Andy Martin, Jah Ovjam (Graham Burnett), Ian Slaughter (Ian Rawes) et d’autres, mais les idées libertaires de la contre-culture des années 60 avaient été extirpées du panorama utopique des hippies pour faire écho aux constats plus sombres développés dans la culture punk, au milieu d’une sévère crise économique, de graves tensions géo-politiques, et alors que le thatchérisme infligeait un traumatisme durable au corps politique britannique85. Les espaces culturels qui avaient été ouverts par le punk permettaient le développent de fanzines qui présentaient une grande variété de qualités et de styles. Certains de ces fanzines – peut-être la plupart d’entre eux – se concentraient surtout sur la musique, restant fidèles au credo punk selon lequel les jeunes, qui le créaient et qui l’écoutaient devaient se réapproprier le rock’n’roll86. D’autres allaient au-delà du modèle fanzine afin d’incorporer des collages, des poèmes et des nouvelles ; beaucoup, aussi, traitaient des thèmes dominants de l’époque : l’aliénation, le consumérisme, les drogues et la colle, les politiques de la sexualité, la réalité déformée des médias de masse, les tensions raciales, la violence culturelle des jeunes et la menace imminente de la guerre nucléaire. Dans tous les cas, la politique de la culture fanzine était tout autant façonnée par leur mode de production que par leur contenu.

  • 87 Ceci évoque les idées développées par Jürgen Habermas à propos de la sphère publique, notamment che (...)
  • 88 Garry Bushell (Napalm), Cath Carroll (City Fun), Steve Lamacq (A Pack of Lies), Gavin Martin (Alter (...)

41D’un point de vue historique, les fanzines punk permettent d’avoir un aperçu des intérêts, des angoisses et des opinions d’une partie significative de la jeunesse britannique pendant une période où se déroulait des changements politiques, culturels et socio-économiques importants. D’un point de vue culturel, les ’zines dévoilent l’évolution des styles et des formes musicales nés avec et autour du punk britannique, de la fin des années 70 aux années 80, et au-delà. Surtout, ils montrent aussi à quel point les cultures jeunes ne sont pas simplement produites et consommées mais aussi construites et utilisées. Les premiers fanzines, qui avaient été créés en guise de media informé, ont rapidement produit leurs propres récits et leurs propres interprétations de ce que signifiait le punk, bien qu’étant souvent éloignés (géographiquement et culturellement) du tumulte londonien87. Inversement, les fanzines ont permis l’accès à l’industrie culturelle établie, ouvraient à ceux qui le souhaitaient une voie vers le journalisme ou l’industrie de la musique88.

42D’un point de vue politique, les fanzines ont facilité l’expression politique et l’exploration intellectuelle. Ce faisant, ils ont ouvert un espace alternatif pour les jeunes éloignés ou exclus du champ politique existant. Les ’zines anarchistes poussèrent cette dimension à l’extrême avec enthousiasme, mais les critiques culturelles publiées par City Fun et Jolt, ou les diatribes anti-thatchériennes écrites par des trublions à l’âme de poète, nous rappellent l’existence d’un milieu de gauche vivant qui tentait de donner sens à un terrain politique mouvant. Bien sûr, on pourrait dire que les politiques de genre et les condamnations du racisme mises en avant par plusieurs fanzines punk constituent des changements socio-culturels dans les années 70 et 80 aussi importants que les transformations politiques et économiques initiées par le gouvernement et le capital. Simultanément, l’adoption par une large frange de la culture punk d’une identité anarchiste peut être vue comme étant symptomatique d’un désengagement plus généralisé vis-à-vis du courant dominant ou de la manière plus traditionnelle de faire de la politique. Il est certain que les ’zines (et la plupart des groupes punk) ont eu tendance à rejeter toute affiliation politique ; les sous-cultures et la musique populaire étaient adoptées car elles représentaient une alternative – ou une diversion – face à un monde terni par la banalité de l’école et du travail, les relations figées, les distractions ineptes des médias et les querelles lointaines d’une élite politique apparemment inamovible. C’est peut-être pour cette raison que les tentatives de récupération politiciennes, par la gauche comme par la droite, qui avaient pour objectif d’exploiter et de surfer sur cette même vague de mécontentement qui avait produit le punk, ne rapportèrent pas grand chose. L’impulsion sans-compromis du punk était le « DIY », le fait de faire les choses par soi-même, de ne pas se conformer aux diktats et aux doctrines d’idéologues auto-proclamés.

43En conclusion, les fanzines punk servaient à produire de l’agentivité, ils étaient un moyen de participation et une plateforme d’expression politique et créative. Ils pouvaient être isolés et élitistes, répétitifs et simplistes, puérils et naïfs. Mais les meilleurs d’entre eux mobilisaient la critique culturelle formulée par le punk pour créer une presse alternative consciente des impostures des représentations médiatiques et libérée des demandes du marché. Dans leur processus de production et leur expression politique formatrice, les fanzines incarnaient l’esprit « DIY » et l’appel à l’action du punk. Ils cultivaient un espace alternatif dans lequel les jeunes pouvaient s’engager et exprimer leur distance vis-à-vis d’idées et de mécanismes politiques plus officiels. Le regard rétrospectif nous donne à voir, tour à tour, une jeunesse exubérante et profondément et durablement insatisfaite – le produit d’une génération dont le futur paraissait assombri par de nombreuses incertitudes, mais dont la culture était riches de possibilités.

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Notes

1 Ce chapitre est une version en traduction française de Matthew Worley (2015), « Punk, Politics and British (fan) zines, 1976 – 84 : “While the world was dying, did you wonder why ?” », History Workshop Journal, vol. 79, n° 1, p. 76-106, reproduite avec la permission de la Oxford University Press.

2 Éditorial de Do You Know Vanessa Redgrave ?, n° 2, 1981, p. 2. Le titre de cet article fait référence à Kill Your Pet Puppy, n° 2, 1980, p. 4.

3 La raison derrière cet argument était la couverture hostile donnée à la première visite des Ramones à Londres pendant l’été de 1976.

4 On trouve pour la première fois le terme « punk » utilisé dans le même contexte dans les écrits journalistiques de Lester Bangs, Dave Marsh et Mike Saunders, avant que le texte de Lenny Kaye sur la jaquette de l’album Nuggets (Elektra, 1972), une compilation de groupes garage des années 60, permit de cimenter le terme en relation à la musique rock, mise à nu et imprégnée de l’attitude irrévérencieuse des teenagers. Par la suite, la revue américaine Punk, éditée par Legs McNeil et John Holmstrom dès janvier 1976, permis de lier les groupes garages des années 60 à l’approche et à l’attitude des Stooges, MC5, Lou Reed et de groupes de New York comme les Dictators et les Ramones.

5 Jon Savage (1991) donne la meilleure description de l’émergence du punk britannique.

6 Ripped & Torn, n° 1, 1976, p. 1.

7 Bombsite, n° 2, 1977, p. 2.

8 D’autres titres de Londres et des alentours en 1976-77 comprennent : Cells, City Chains, Cliché, Fair Dukes, Flicks, Kid’s Stuff, London’s Burning, More-On, Napalm, The New Wave, Shews, Sound of the Westway, Strangled, Summer Salt, Sunday Mirra, Surrey’s Burning, Tacky/No Future, These Things, Up & Coming et Zip Vinyl. White Stuff est édité par Sandy Robertson, qui déménagea d’Écosse à Londres, avant d’imprimer le premier numéro de son fanzine. Tony Drayton déménagea à Londres aussi, en 1977, et emmena avec lui son ’zine Ripped & Torn. Plus tard, le 1er janvier 1980, il lancera l’influent Kill Your Pet Puppy lors un concert du groupe Adam and the Ants. Zip Vinyl était écrit en français par Mark Loge et P. Sarfatee, tous les deux basés à Londres.

9 Par exemple : Damaged Goods (York), Look at the Time (Peterborough), Love and Peace et Negative Reaction (Cambridge), Punkture (Stone), Breakdown et Reaction (Southampton), Revenge (Grimsby), Rotten to the Core (Nottingham), Situation Vacant (Derby), Spit in the Sky et Stranded (Exeter), Strange Stories (Southend), Viva La Resistance (Preston) et Vomit (Norwich).

10 À Londres, Compendium Books, Rock On, Rough Trade et Small Wonder vendaient des ’zines (Rat Scabies du groupe The Damned disait que Rock On était la « FNAC du punk rock » [1977 : 20]). On trouvait les ’zines aussi dans les librairies, les disquaires indépendants ainsi qu’à Virgin. En revanche, les ventes se faisaient surtout aux concerts – ce qui permettait, dans le même temps, de réunir de l’argent pour se payer des verres – avant que les mentions de ’zines dans d’autres ’zines ne permissent de faire se développer un large réseau postal. Certains ’zines étaient donnés gratuitement mais la plupart se vendaient entre 5 pence et 50 pence.

11 London’s Burning, n° 1, 1976 ; London’s Outrage, n° 1 et n° 2, 1976-77.

12 L’orthographe de « graffiti » changeait dans chaque numéro – e.g. Graffitti, Grafitty, Grafity et Graffity.

13 Voir Vague (1994).

14 Voir Dwyer (1989, 1992 et 1995).

15 À propos du rejet explicite du prefix « fan », voir Antigen, n° 1, 1982, p. 2 ; City Fun, vol. 2, n° 2, 1980, p. 2 ; Toxic Grafitty, n° 4, 1979, p. 23.

16 Le titre de cette section vient de Cool Notes, n° 3, 1982.

17 Voir Triggs (2010 : 18), Duncombe (2008 [1997] : 15-17), Sabin et Triggs (2000), Atton (2002) et Wertham (1973).

18 Voir Fountain (1988), Nuttall (1970 [1968]), Stansill et Mairowitz (1971).

19 Anarchy in the UK, n° 1, 1976.

20 Le soutien qu’apporta Parsons au début aux fanzines fut de courte durée, voir Burchill et Parsons (1987 [1978] : 36-37).

21 Cobalt Hate, n° 3, 1980, p. 2.

22 Triggs (1995 : 72-87 ; 2006 : 69-83 ; 2010 : 16-17). Voir aussi Henry (1984 : 30- 36) ; Bestley et Ogg (2012) ; Kugelberg et Savage (2012) ; Savage (2013). Pour une reconnaissance contemporaine, voir la dédicace de Jonh Ingham à John Heartfield dans London’s Burning (1976 : 2) ; Shock (1978 : 13) ; The Eklektik, n° 2, 1982.

23 Voir aussi MacGowan (1976 : 6) : « On a tout attaché avec des épingles à nourrice. Toutes les photos ont été arrachées à d’autres magazines. Désolé d’avoir tout écrit à la main, mais j’ai pas de machine à écrire. »

24 Ogg (2009) ; Young (2006) ; Hesmondhalgh (1998 : 25-74).

25 Sideburns, n° 1, 1977, p. 2. Pour des guides sur comment écrire un fanzine, voir Adventures in Reality, Issue G, 1981, p. 21 ; Alternative Sounds, n° 17, 1980, p. 15 ; City Fun, n° 3, 1978, p. 4 ; Guttersnipe, vol. 2, n° 1, 1980, p. 7 ; Rising Free, n° 6, 1983, p. 14-15.

26 Pour en voir un exemple amusant, voir l’entretien avec un teddy boy (1977 : 9-10).

27 Une liste de quelques exemples notables inclurait : 0533 (à Leicester), Alternative Sounds (à Coventry), Artificial Life (à Londres), Attack on Bzag (à Leeds), Burnt Offering (à Northampton), City Fun (à Manchester), Dayglow (à Londres), Final Curtain (à Grays), Grim Humour (à Herne Bay), Grinding Halt (à Reading), Guttersnipe (à Telford), Hard as Nails (à Canvey Island), Have a Good Laugh (à Newcastle), Harsh Reality (à Ipswich), Hit Ranking (à Cheam), Inside Out (à Edimbourg), Kick (à Londres), Kill Your Pet Puppy (à Londres), New Crimes (à Southend), NMX (à Sheffield), Raising Hell (à Leeds), Ready to Ruck (à Folkestone), Safety in Numbers (à Portsmouth), Suss (à Luton), Trees and Flowers (à King’s Lynn) et Vague (à Salisbury/Londres).

28 Dans Bits, n° 1, 1981.

29 Voir, par exemple, la déclaration de Paul Simonon (The Clash), commentant ainsi les origines du punk : « Les gosses qui regardent Top of the Pops voient tous ces groupes de merde, et qu’il n’y a rien à y faire. Et ils voient un mec jouer de la guitare dans un club et ils pensent qu’il faut cent ans pour apprendre à jouer. » (1977 : 5)

30 « So What Else in New ? », Hangin’ Around, n° 6, 1977, p. 3-4.

31 Voir aussi Barbequed Iguana, un fanzine lié au Jacquard club qui fut établit par Jon Fry et Jon Vince à Norwich. En ce qui concerne les cassettes, voir les ’zines comme Apathy (Bradford), Hit Ranking (Cheam), New Crimes (Southend) et New Systems (Penarth). Pour des exemples du réseau cassettes, Stabmental, n° 2, 1980, p. 9-11, New Crimes, n° 6, 1982, p. 20 et New Systems, n° 1, 1982, p. 2-3. Quelques ’zines ont aussi émis des « flexi disques » ou des singles (par exemple Grinding Halt, In the City, Sniffin’ Glue, Toxic Grafity et Trees and Flowers).

32 Anti-Climax, d’Ipswich, semblait se réjouir de rejeter The Clash. Voir aussi « All the Glitters Turns to Rust », Anathema, n° 2, p. 21 ; « Money Corrupts », Chainsaw, n° 5, 1978, p. 7 ; Youth in Asia (1982 : 18).

33 Cela inclut Family of Noise, Ligotage, The Night Porter et Zerox.

34 Voir, par exemple, Bring into Being, n° 1, 1983 ; Fight Back, n° 1, 1984 ; Intensive Care, n° 2, 1980 ; Kill Your Pet Puppy, n° 1, 1980 ; Toxic Grafitty, n° 4, 1979.

35 D’autres exemples incluent Ready to Ruck, Skins et Tell Us the Truth. Voir aussi des ’zines comme Boots & Braces, Cool Notes et Stand Up and Spit, qui couvraient le soul et le reggae plus que pour la forme. En effet, les fanzines reggae comme le Pressure Drop (1975) de Nick Kimberley et Penny Reel, et plus tard Ital Rockers et Small Axe, pourraient faire l’objet d’une étude tout aussi utile sur la culture fanzine. Dans le courant dominant, Black Echoes combla un vide concernant la couverture musicale de l’époque.

36 Le fait que certains fanzines incluaient des annonces était controversé, tandis que les prix affichés provoquaient des questions concernant l’économie morale des éditeurs. En effet, certains titres, comme In the City et Jamming, étaient critiqués par d’autres ’zines (et par leurs lecteurs) comme étant trop commerciaux.

37 « The Opposition (The New Underground) », Aftermath, n° 3, 1980, p. 13.

38 Voir aussi Fletcher (2013).

39 Quelques exemples évidents parmi des centaines : The Adverts, Alternative TV et Magazine ; les couvertures des singles « Public Image » des PIL, et « Dead Cities » des Exploited ; la couverture de l’album That’s Life de Sham 69 ; « The Sun Says » de Cock Sparrer et « News of the World » de Jam ; les textes de « Nobody’s Scared » de Subway Sect (« Les médias, dites moi quoi dire/décidez pour moi »).

40 Voir, par exemple, « The Spectacle », A System Partly Revealed, n° 2, 1982, p. 5 ; « Fuck the Press », Live Wire, n° 7, 1977, p. 4 ; « Wake Up World », Ripped & Torn, n° 16, 1979, p. 13 ; « Don’t Believe Media Lies », Sunday the 7th, n° 2, 1981, p. 12-13. A System Partly Revealed était édité par John Cato, qui termina son élan anarchiste en côtoyant le British Movement et Combat 18, toutes deux des organisations néo-nazies.

41 Collage, Anti-Climax, n° 6, 1980, p. 8 ; Nasty (1977 : 3) ; Hate and War, n° 2, 1982, p. 6 ; « Fashion Parade », IQ32, n° 2, 1983, p. 6.

42 Voir McLuhan et Fiore Quentin (1967) ; Berger (1972) (qui était aussi une série de la BBC). Dès les années 80, Society of the Spectacle (1967) de Guy Debord avait déjà été traduit et était rendu disponible au-delà des petits cercles gauchistes ou anarchistes. L’influence de Debord peut être vu dans le graphisme de Reid, selon Gray (1974).

43 En ce qui concerne l’influence des « écoles d’art » sur le punk et la musique pop en général, voir Frith et Horne (1987).

44 Titre adapté du gros titre de White Stuff, n° 1, 1977 : « Une revue rock‘n’roll pour le monde moderne ».

45 Black, Pemberton et Thane (eds) (2013) ; Hay (2010 : 446-470) ; Moran (2010 : 173-198) ; Tiratsoo (1997 : 163-190).

46 Pour une vue d’ensemble exhaustive de l’époque, voir Harrison (2010).

47 Par exemple, Coon (1976 : 34-35) ; Parsons (1976 : 29) ; Marsh (1977 : 112-114).

48 Ces exemples viennent de Guttersnipe, vol. 1, nos 1, 2, 4, 5, 7, 1978 et 1979, et vol. 2, n° 1, 1980. Un documentaire « Open Door » du BBC sur les fanzines fut produit en 1980.

49 Cela, évidemment, fait référence au concept de Raymond Williams à propos d’une « culture vécue », tel que développé dans son Marxism and Literature, Oxford, Oxford University Press, 1977.

50 Pour une discussion à propos des coups militaires et des répressions autoritaires supposées, voir King et Nugent (eds.) (1977) ; Whitehead (1985 : 202-220) ; Beckett (2009 : 376-382).

51 Bored Stiff, n° 2, 1977, p. 2 ; Breakdown, n° 1, 1977 ; Flicks, n° 4, 1977 ; « Smash the National Front Now », Gabba Gabba Hey, n° 3, 1977, p. 9 ; Toothpaste (1977 : 7) ; « When Did You Stop Wearing Nazi Paraphernalia ? », Ripped & Torn, n° 7, 1977, p. 7.

52 Par exemple, voir Bits, n° 1, 1981 ; Kick, n° 4, 1982, p. 5 ; Nihilistic Vices, n° 1, 1979 ; Toxic Graffitti, n° 3, 1979.

53 Voir aussi Wright (1977 : 14) ; Laing (1978 : 123-128).

54 Entretien avec Steve Gaunt, un organisateur du Front national de la jeunesse à Leeds, British News, mars 1978, p. 3.

55 Des ateliers de fanzines étaient organisées dans quelques conférences RAR, avec l’objectif spécifique d’utiliser les ’zines afin de soulever des interrogations politiques et d’encourager l’engagement politique. Voir Temporary Hoarding, n° 7, 1978, p. 16 ; Big Flame, août 1979, p. 11.

56 Plus tard, les magazines d’extrême droite qui pourraient être considérés de tradition ’zine incluent White Noise et Blood & Honour.

57 Les ’zines listés furent produits par Mick Turpin, Janine Booth, Richard Edwards, Seething Wells (Steven Wells), Tim Wells et Attila the Stockbroker (John Baine). Voir aussi plusieurs ’zines de Bradford de l’époque qui comprenaient des poèmes de Joolz, Seething Wells, Nick Toczek et d’autres.

58 Voir, par exemple, Adventures into Basketry (Nottingham), After Hours (Londres), Dangerous Logic (Londres), Let’s Be Adult About This (Londres), Mental Children (Londres), Printed Noises (Manchester) et Voice of Buddha (Londres).

59 Par exemple, « The Working Woman », Acts of Defiance, n° 3, 1982, p. 10 ; le collage de « Look What is Happening » dans Between the Lines, n° 1, 1979, p. 7 ; « Short Story », Black Dwarf, n° 2, 1979, p. 4-6.

60 Brass Lip, n° 1, 1979. Voir surtout l’essai « Roxex » (p. 16-17), qui prend comme point de départ l’annonce de l’album Black and Blue des Rolling Stones.

61 « A Breakdown of Oppression », City Fun, n° 12, 1981, p. 6.

62 The Eklektik, n° 2 1982 (produit par Andy Palmer de Crass) ; Dat Sun, n° 1, 1978 ; Adventures in Reality, Issue G, 1981 ; White Stuff, n° 4 et n° 6, 1977.

63 Voir, par exemple, des ’zines comme Flowmotion, Industrial News, Intolerance, Kata et Stabmental.

64 Voir, par exemple, All the Madmen, Concrete Beaches, Kick et Rapid Eye Movement.

65 And Don’t Run Away You Punk, n° 1, 1984 ; Incendiary, n° 1, 1984 ; Kill Your Pet Puppy, n° 4, 1981.

66 Ce titre vient du fanzine produit par les Poison Girls.

67 Pour la relation de McLaren et Reid avec King Mob, voir Wise D. et Wise S. (1996 : 63-102).

68 Rimbaud (1982) ; Cross (2004 : 25-44) ; Berger G. (2006).

69 L’emblème fut conçu par Dave King afin de représenter plusieurs formes de répression. Le symbole est entouré par des serpents qui mordent leur propre queue.

70 « White Punks on Hope », Stations of the Crass, Crass Records, 1979.

71 Glasper (2006). Dial House existait en tant qu’espace créatif et collectif bien avant 1977.

72 « Punk and Politics », Ability Stinks, n° 1, 1981, p. 6 ; « Posh or Poor », City Chains, n° 2, 1977, p. 10 ; « Marxism and the Mass Media », Jolt, n° 2, 1977, p. 5 ; Plaything, n° 2, 1977, p. 1.

73 Le numéro « 5 » de Toxic Grafity semble être le troisième numéro du fanzine – préalablement nommé No Real Reason.

74 Citations de Kick, n° 3 et n° 4, 1980 et 1982. Voir aussi All the Madmen et And Don’t Run Away You Punk.

75 Cross (2014). Comparer aussi des ’zines comme Fack et Toxic Graffitti avec Scum de Andy Martin ou Pigs for Slaughter de Ian Rawes.

76 Ce terme fut utilisé dans le manifeste du parti conservateur (Conservative Party) de 1979.

77 Quelques exemples pourraient inclure : A New Body (Peterborough), A System Partly Revealed (Londres), Bring into Being (Rocester), Coming Attack (Leighton Buzzard), Fack (North Cheam), Fight Back (Blackburn), Guilty of What (Stirlingshire), New Crimes (Southend), Nihilist Vices (Londres), Re-Action (Welwyn Garden City), Scrobe (Whitehaven) et Twisted Nerve (Meriden).

78 « Life Today… Is It Really Life ? », Anathema, n° 1, 1982, p. 17-18. Anathema fut produit par Lee Gibson, qui changeait fréquemment le nom des ses ’zines. D’autres titres incluaient Protesting Children Minus the Bondage et Kiss the Earth. Voir Gibson (2013).

79 Quelques titres de la région : Acts of Defiance, Anathema, A Trip into Realism, Cardboard Theatre, Hate and War, IQ32, No Comment et Testament of Reality.

80 Pour la critique de la gauche, y inclus des initiatives comme celle de la RAR, voir « Fascists – What Next ? », Toxic Graffitti, n° 3, 1979, p. 3, qui suit la condamnation de la gauche politique faite par Crass dans Kill Your Pet Puppy, n° 1, 1980, p. 13-15. Voir aussi New Crimes, n° 4, 1981, p. 10-11.

81 Pour une critique de ces attitudes, voir Vague (1983 : 29).

82 Un exemple local inclurait la descente de la police à la librairie Freewheel à Norwich, dans laquelle des exemplaires du fanzine Final Straw furent saisis, à cause d’un article qui montrait comment faire un cocktail Molotov.

83 Worthington (2005) ; Hetherington (2000) ; McKay (1996).

84 Bondage, n° 1, 1976, p. 6.

85 Hopton (1987) ; Friedman (1987) ; Hill (1991 [1972]). Graham Burnett écrivit le ’zine New Crimes.

86 Ceci demeura vrai même alors que le punk évolua et que des styles et genres nouveaux (ou renouvelés) se développaient dans son sillage. Voir, par exemple, Maximum Speed (Mod) ou Are You Scared to Get Happy ? (C86), avec son slogan : « Pour en revenir aux rudiments… un fanzine punk rock » (« Getting back to basics… a punk rock fanzine »). Voir Dale (2012 : 150-151).

87 Ceci évoque les idées développées par Jürgen Habermas à propos de la sphère publique, notamment chez Fraser (1990 : 56-80). Ainsi, on pourrait dire que les fanzines ont aidé les punks à former un « contre-public subalterne » décidé à formuler des « interprétations » alternatives et parfois oppositionnelles « de leurs identités, intérêts et besoins » (p. 67). Voir aussi Warner (2009).

88 Garry Bushell (Napalm), Cath Carroll (City Fun), Steve Lamacq (A Pack of Lies), Gavin Martin (Alternative Ulster), Paul Morley (Girl Trouble), Sandy Robertson (White Stuff), Jon Savage (London’s Outrage), Adrian Thrills (48 Thrills) et Johnny Waller (Kingdom Come) sont juste quelques exemples.

Auteur

Est professeur d’histoire moderne à l’université de Reading. Il est l’auteur de : No Future. Punk, Politics and British Youth Culture, 1976- 1984, Cambridge UP, 2017.
M.worley@reading.ac.uk

Séraphine Drozek (Traducteur)

© Éditions Mélanie Seteun, 2019

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