Yes that’s right, punk is dead,
It’s just another cheap product for the consumer’s head.
[…]
Punk became a fashion just like hippy used to be
And it ain’t got a thing to do with you or me.

Crass, « Punk Is Dead », The Feeding of the 5000,
Crass Records, 1979.

1Quarante ans après les premières manifestations publiques du punk, ce mouvement qui proclamait « No future » est l’objet de commémorations et d’analyses, certaines sérieuses d’autres grotesques. « Le punk, c’est devenu une p***** de pièce de musée », proclamait avec hargne Joe Corré (2016) – le fils de Vivienne Westwood, célèbre styliste ayant initié des courants de mode « punk » à la fin des années 1970, et de Malcolm McLaren, producteur et impresario des Sex Pistols –, avant d’annoncer qu’il brûlerait lui-même les archives de son père, décédé en 2010 (Corré, 20161). Le Figaro s’empressait de titrer que « le mouvement punk [était] littéralement parti en fumée », célébrant avec un enthousiasme à peine contenu la mise à mort des reliques de l’anti-establishment des années 19702. Le geste de Corré, outre sa résonance médiatique (due surtout à la valeur estimée de la collection), illustre les liens ambigus entretenus par les acteurs et actrices du punk (ou leurs descendants) avec les médias mainstream, entre recherche du sensationnel et mise en scène de sa propre imposture. Plus de quarante années après la naissance du punk dans les centres urbains de la Grande-Bretagne et des États-Unis, comme Londres, Liverpool, Manchester, New York, Detroit et Los Angeles, cette anecdote pose aussi la question de la transmission, de la mémoire et de l’histoire d’un mouvement qui s’était affirmé sans futur et sans postérité, mais qui est aujourd’hui consacré comme un moment essentiel de l’histoire des cultures jeunes et de l’histoire des mouvements artistiques.

2Ce geste et les commentaires qui en ont été faits s’inscrivent dans une lecture étroite du punk, le réduisant à un sous-genre musical rattaché à une poignée d’acteurs et actrices légitimes et de moments canoniques et à une brève période au cours de laquelle le punk aurait, effectivement, existé – communément pensée entre les années 1975 et 1978 – avant de connaître, selon les versions, une fin abrupte ou bien un enfermement dans l’imitation des pionniers ainsi qu’une diffusion dans la culture mainstream3. Ce récit n’est pas celui qui guide cet ouvrage dont tous les auteurs montrent que le punk, et son enfant illégitime le post-punk, sont des phénomènes sociaux bien plus riches et bien plus larges, ce que le recours aux méthodes des sciences sociales et aux déplacements dans le temps, l’espace et par-delà les catégories étroites des genres musicaux permettra de montrer.

3Premièrement, en délimitant arbitrairement une période de créativité pensée comme « authentique », comprise explicitement et uniquement dans les années 1970, le mythe fondateur nie l’émergence d’autres forces de création (musicales ou non) ayant émergé après cette période consacrée et qui composent avec des systèmes de production similaires à ceux du punk, notamment s’inspirant de la philosophie DIY. Ainsi, ce récit n’accorde pas de place aux formes de musique communément appelées « post-punk », qui émergent d’ailleurs en parallèle ou après le punk. En effet, les années 1970 et 1980 virent l’émergence de deux mouvements artistiques, identifiés par les artistes et les publics sous le nom de « punk » et de « post-punk », tous deux ayant eu un impact notable sur une pluralité de milieux artistiques aux États-Unis comme en Europe. Ils sont caractérisés par une créativité fulgurante, une grande variété d’artistes (citons pêle-mêle les Sex Pistols, Siouxsie and the Banshees, PIL, Gang of Four, The Pop Group, Père Ubu, Einstürzende Neubauten, Dead Kennedys, Kas Product, Magazine, Joy Division, X-Ray Spex, John Foxx, Virgin Prunes, Bauhaus, Bérurier Noir, OTH, Bad Brains, X, Wire, The Zeros, The Bags…), mais aussi par l’originalité des thèmes, exposés parfois pour la première fois dans le paysage de l’industrie musicale. De nombreux artistes racialisé.es, LGBT+, femmes (souvent marginalisé.es dans le paysage musical) se sont emparé.es du punk et du post-punk comme vecteur d’expression artistique, et en cela, ces deux courants ont figuré comme une importante plateforme d’émancipation.

4Deuxièmement, ce récit présente le punk comme un sous-genre musical défini par des artistes vitrines (comme les Sex Pistols), sans forcément rendre compte de l’apparition d’une scène ou d’un monde punk regroupant une multitude d’acteurs et actrices en réseau (producteurs et productrices, rédacteurs et rédactrices de fanzines, publics, etc.), travaillant parfois dans l’ombre des artistes, et ayant participé collectivement et activement à la construction du punk et du post-punk et de formes artistiques parallèles. De plus, le récit mythique du punk, s’appuyant sur une poignée d’artistes clés, a aussi pour effet de masquer les potentiels échecs et précarités des acteurs et actrices du champ, dont il est toutefois nécessaire de tenir compte si l’on veut décrire la construction de ces scènes de façon plus complète. Au lieu de concevoir le punk et le post-punk comme des courants façonnés par une succession de gestes spectaculaires individuels (comme le cas de Corré, exemple même de ce type de cliché médiatique), nous choisissons de les appréhender comme une expérience du monde social.

5Plutôt que proposer des définitions musicologiques ou esthétiques du punk et post-punk en tant que genres musicaux distincts, cet ouvrage collectif s’inscrit dans une démarche de déconstruction de ces récits mythiques du punk et du post-punk et de proposition d’une alternative analytique, à l’heure où la tendance est à la commémoration de ces mouvements.

6Contrairement aux pratiques éditoriales qui se focalisent sur les récits biographiques ou journalistiques des scènes musicales – dans un style sensationnel certes plaisant, mais rendant peu compte de la place occupée par les différentes acteurs et actrices (publics, producteurs et productrices, organisateurs et organisatrices de festivals, etc.) faisant plus que « graviter » autour des artistes et ayant contribué à la construction des mouvements punk et post-punk – nous avons, au contraire, choisi de réunir des chercheures en sciences sociales (historien.nes, sociologues, géographes, anthropologues, mais aussi des philosophes, politistes) pour composer cet ouvrage, afin de mieux ancrer l’expression artistique dans l’histoire sociale et politique des musiques populaires.

7Notre intention était ainsi de démontrer en quoi les sciences sociales, par une démarche empirique (les chercheures partant de terrains ciblés, d’enquêtes historiques et ethnographiques réalisées en collaboration avec les acteurs et actrices du punk et du post-punk) pouvaient faire émerger des perspectives nouvelles sur ces deux phénomènes, dont les définitions par les acteurs et actrices paraissent parfois contradictoires, en analysant les contextes et conditions d’émergence et de possibilité de ces mouvements, en étudiant les trajectoires des acteurs et actrices et en comparant les transformations des systèmes de productions culturelles élaborés dans des contextes variés. Les définitions du punk et du post-punk semblent contradictoires en ce qu’elles font parfois référence à une chronologie avancée par les acteurs et actrices (le post-punk arrivant après le punk), mais également à une description de postures « punk » et « post-punk » apparentées à des postures de classe : le post-punk serait alors défini par une rupture par rapport au punk et par un rapport à l’esthétique petit-bourgeoise des diplômés des écoles d’art, tandis que le punk (notamment ses courants plus hardcore ou oi !, dans les années 1980) renverrait à des codes typiques des milieux plus populaires4. Il nous paraît évident que ces deux définitions sont fragiles, qu’elles font partie des idées reçues sur ces mouvements ; nous choisissons plutôt d’analyser les positions défendues par les acteurs et actrices des scènes punk et post-punk et leurs enjeux, plutôt que de proposer une lecture esthétique des deux termes, fidèles en cela à un certain ethos punk de rejet et de critique des catégories.

8Si la question de l’émergence des mouvements punk et post-punk a souvent été abordée dans un cadre non-académique (on pourra citer l’ouvrage de Simon Reynolds Rip It Up and Start Again : Postpunk 1978-1984), il est nécessaire aujourd’hui de réfléchir à ces espaces d’expression comme autant de productions artistiques modelées par le climat social, politique du moment, tout en ayant recours aux diverses méthodologies des sciences sociales : ethnographies des publics, recherche historique, étude qualitative ou quantitative sur l’économie de l’échange des biens produits (étude des maisons de disques, par exemple, ou de l’esprit DIY), étude des relations entre médias et artistes, et ainsi de suite. Notre objet était donc de rassembler des terrains et des méthodologies épars (archives, prisme qualitatif ou quantitatif) pour donner une nouvelle représentation des acteurs et actrices qui se revendiquent punk ou post-punk, des espaces qu’ils créent, des formes d’expression employées dans des contextes sociaux, politiques, géographiques variés. Loin de présenter un récit unique et linéaire, les enquêtes qualitatives et quantitatives, ainsi que les recherches historiques que nous présentons dans ce livre, donnent toutes à voir des facettes multiples, multi-situées, de ce qu’ont été ces courants musicaux, voire ces expressions générationnelles, qui ne font, d’ailleurs, que se renouveler. Cette hétérogénéité nous paraît mieux rendre compte de la complexité et de la richesse de ces mouvements, tandis que la cohérence de l’ouvrage se trouve dans cette démarche partagée par tous les auteurs de partir des études de cas et d’oublier au moins temporairement les archétypes.

9Notre ouvrage se veut ainsi une contribution aux études sur la musique populaire (popular music studies), champ encore jeune mais en plein essor en France, en proposant des méthodologies appliquées à des cas et des terrains sur plusieurs continents et couvrant les quatre décennies. L’approche que nous suivons – grâce au concours de chercheures venant de plusieurs pays – permet non seulement de contribuer au développement des popular music studies, mais également de les rendre attrayantes et innovantes. L’une des originalités de cet ouvrage est de tisser des ponts entre des espaces géographiques qui débordent le cadre des pays canoniques (États-Unis et Grande-Bretagne, qui sont abordés ici sous des angles géographiques nouveaux), en défendant une dimension transnationale basée sur des études de cas bien distinctes, mais pouvant offrir des pistes d’analyses communes.

10Dès lors, notre livre s’inscrit également en complément d’une série de travaux académiques ayant émergé ces dernières années au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France dans le champ des popular music studies spécifiquement à propos du punk et du post-punk et du renouveau de ces mouvements musicaux au xxi^e siècle : les années 2010 ont été le théâtre de la formation d’une véritable punkademia, marquée par de nombreuses initiatives aux États-Unis et en Grande-Bretagne – citons pêle-mêle la publication de nombreux articles dans des revues à comité de lecture, ouvrages et monographies sur l’histoire et la sociologie du punk, fondation de revues spécialisées en punk studies comme Punk and Post-Punk, publiée depuis 2012, dont le comité éditorial comprend des universitaires majoritairement américain.es et britanniques, création de fonds d’archives dédiés au punk dans de prestigieuses universités américaines comme UCLA (depuis 2013), l’université du Maryland à College Park (depuis 2016), Cornell (depuis 2016), Stanford (depuis 2014), l’université du Connecticut (depuis 20135). Ces travaux constituent une deuxième vague historiographique survenue bien après la publication des premières études sur le punk en Europe depuis la fin des années 19706. En France, des travaux ont essaimé dans le sillage de ces premières analyses universitaires sur le punk et le post-punk : c’est le cas du projet de recherche Punk Is Not Dead, financé par l’ANR depuis 2016 et centré sur l’histoire du punk en France, et du numéro du premier semestre 2016 de la revue académique francophone Volume ! La revue des musiques populaires, consacrée à la « scène punk en France7 ». La réflexion proposée au sein de notre ouvrage est d’ailleurs issue du colloque universitaire international, Disorder : Histoire Sociale des Mouvements Punk et Post-Punk que nous avions organisé à Paris en mars 20158.

11Si de telles initiatives dans le champ académique et universitaire sont bénéfiques et nécessaires, dans une démarche de préservation et de constitution d’une mémoire des pratiques punk et post-punk, elles ont pour effet, toutefois, d’institutionnaliser ces courants (qui, de manière très paradoxale, ont permis l’élaboration de stratégies DIY, en marge de toute institutionnalisation), de réifier les positions de leurs acteurs et actrices dans le champ, voire de souligner le fait que le punk et le post-punk seraient devenus, au fil du temps, des objets « historicisés », « finis » et sans réelles perspectives d’actualisation.

12L’investissement du punk et du post-punk par les universitaires pose ici un défi qu’il nous semble nécessaire d’aborder avec réflexivité. L’anecdote rapportée en ouverture sur Corré, choisissant de brûler publiquement les archives de ses parents, apparaît ici comme le refus de toute tentative de mémorialisation du punk ; ce geste signale les tensions potentielles relatives à l’établissement d’archives punk institutionnelles pour les acteurs et actrices. Cela pose, ainsi, en filigrane, la question de la possibilité d’une constitution de mémoire(s) punk(s) et post-punk(s) dans un cercle académique, et, par extension, la constitution d’archives punk et post-punk par les historiennes dont la production des savoirs peut apparaître comme une dépossession, de même que le transfert à des archives publiques, étatiques, d’objets précieusement conservés comme des trésors privés. Afin d’aborder cette interrogation concernant l’agentivité dans la constitution des mémoires punk et post-punk, nous avons cherché à restituer la parole de deux acteurs et témoins des scènes punk et post-punk en Angleterre et en France qui ont en commun d’être des acteurs importants sans être des artistes, Steve Shepherd pour Manchester et Marsu pour Paris. Les deux entretiens semi-directifs que nous avons conduits nous permettent d’aborder, entre autres, la question de la mémorialisation du punk et du post-punk, et de compléter l’approche analytique suivie par les chercheures. Bien que non exhaustifs, ces deux entretiens permettent de nourrir des réflexions sur les relations entre les différentes pratiques des chercheures en sciences sociales s’intéressant au punk, du point de vue des acteurs et actrices, tout en insistant sur la nécessité de rejeter toute confiscation du punk par une mémoire institutionnelle, parfois trop prégnante ou par un récit prépondérant. Aborder ensemble punk et post-punk permettait aussi dès la conception du projet de s’affranchir des barrières chronologiques et de genres musicaux. Les deux entretiens montrent comment les trajectoires des acteurs et actrices, les réseaux, les institutions et les lieux connectent ces deux mouvements. Loin de s’enfermer dans les étiquettes, ce projet en remettant au centre les expériences des acteurs et actrices montrent que ces mouvements sont bien plus riches que des phénomènes musicaux, ce que les chapitres du livre déclinent. Le défi était ici de donner sens à l’hétérogénéité tout en respectant la singularité des expériences. Les lecteurs et les lectrices seront juges.

13Nous avons souhaité organiser le livre en quatre parties distinctes, chacune dirigée vers un thème en particulier : 1. Réseaux, fanzines, performance et arts visuels, 2. Transferts culturels, 3. Espaces punk, « Punks sur la ville », 4. Trajectoires de vie, milieux et mémoires du punk et du post-punk. Il nous a semblé important de regrouper ainsi ces chapitres, afin de briser l’approche chronologique linéaire si souvent utilisée pour discuter du punk et du post-punk, et de se concentrer sur des thématiques offrant des possibilités de résonances entre les différents terrains étudiés.

14La première partie du livre rassemble les contributions des auteurs qui axent leurs études sur la formation de réseaux par les acteurs et actrices punk et post-punk. Loin de la figure du « génie musical isolé », doté d’un « talent » inéluctable auquel ils doivent tout leur succès, les artistes de ce champ s’appuient sur des réseaux de connivence, par lesquels ils et elles trouvent des ressources propices qui viennent soutenir leurs créations artistiques et participent à leurs diffusions9. Le chapitre de Nick Crossley qui ouvre cette partie évoque notamment la formation de réseaux distincts à Londres et à Manchester, plus ou moins compacts et denses qui, chacun, influèrent sur la diffusion des ressources symboliques punk dans chacune de ces villes, à des rythmes différents. Matthew Worley, dans un second essai, analyse les modalités de circulation des fanzines en Angleterre sur la période 1976-1977 ainsi que les ramifications politiques de ces publications. En écho à celui-ci, le chapitre de Samuel Étienne revient sur le cas de l’émergence des fanzines en France, arguant de leur profonde influence sur la circulation des informations (annonces de concerts, etc.) auprès des publics épars sur le territoire et, par là même, de l’importance primordiale de ces canaux de diffusion alternatifs dans le maintien de styles de vie des punks locaux. Enfin, le chapitre de Christophe Broqua et Vincent Douris montre, à travers l’étude de l’émergence de la musique industrielle en France, l’importance de tenir compte du caractère décentralisé et déconcentré de la géographie de cette scène, dont les acteurs et actrices sont présent. es dans des villes aussi éparses que Bourg-en Bresse, Niort ou Caen, loin de la géographie imaginée et présentée comme centralisée.

15La deuxième partie est l’occasion de s’intéresser aux transferts culturels à l’œuvre dans la circulation transnationale du punk et du post-punk, et d’étudier les appropriations du punk et du post-punk par différents groupes et publics sur les différentes scènes locales. Le texte de Pierre Raboud vient discuter la notion de mobilisations politiques portées par les scènes punk suisses de 1976 à 1980. Dans son sillage, Simone Tosoni propose une analyse sur fond d’ethnographie et d’histoire orale des sous-cultures gothiques à Milan dans les années 1980, en discutant la notion d’enactment ou d’appropriation locale par les acteurs et actrices de postures sociales, politiques, et de pratiques vestimentaires liées à un courant musical circulant de manière plus large. Djordje Sredanovic propose une analyse comparative des scènes punk d’Europe de l’Est et d’Europe de l’Ouest dans les années 1980, en appliquant à son terrain, la Yougoslavie et l’Italie du Nord, les concepts folkloristes de désethnicisation et réethnicisation pour traiter de la circulation et de l’appropriation du punk (qui passe notamment par le recours aux langues locales) dans des contextes régionaux spécifiques. Enfin, Nathanel Amar analyse les possibilités d’émergence d’une scène punk contemporaine en Chine, en s’intéressant aux stratégies des artistes au tournant des années 2010, afin de contourner les lourdes répressions policières dont ils et elles font l’objet. Somme toute, ces quatre chapitres permettent de décentrer le regard du lecteur sur des espaces punk méconnus, tout en réitérant la nécessité d’étudier l’émergence de pratiques punk et post-punk en relation à leur ancrage local.

16La troisième partie du livre, à propos des « espaces punk et post-punk », s’ouvre sur le chapitre de Michael Stewart Foley consacré aux mobilisations politiques des punks à San Francisco au tournant des années 1980 et 1990, démontrant l’investissement par la jeunesse d’un espace de politisation par l’intermédiaire du punk. Dans un autre registre, Laurence Estanove s’intéresse à la construction, de 1979 à nos jours, d’un mythe musical lié à l’espace, en démontrant la manière dont le label écossais Postcard Records a associé un territoire national imaginé et mythique écossais à différent.es artistes post-punk, afin de façonner une véritable identité musicale territorialisée, et comment il a été dans l’intérêt de la municipalité de créer une forme de tourisme musical attractif. Daniel Makagon s’intéresse aux conditions de possibilités d’espaces de concerts punk DIY dans les pavillons de banlieues résidentielles de Chicago, en ayant recours à une enquête ethnographique menée à la fin des années 2010. Enfin, Djemila Zeneidi analyse les espaces de vie punk à Saint-Brieuc, à partir d’une ethnographie du « Wagon », squat fermé en 2004, qui s’érigeait en un lieu collectif permettant des formes d’expression politiques et artistiques à des jeunes bien souvent marginalisé.es. Cette troisième partie permet ainsi d’exposer une réflexion à la fois sur les espaces politiques punk, et sur les possibilités d’appropriations d’espaces privés ou publics par les acteurs et actrices punk pour contester l’ordre établi et créer de nouvelles conditions de possibilité d’expressions artistiques, tout en dessinant une autre géographie, une autre communauté imaginée.

17Enfin, la quatrième et dernière partie du livre, intitulée « Trajectoires de vie, milieux et mémoires du punk et du post-punk » propose une réflexion sur les acteurs et actrices des scènes punk et post-punk et les conditions de mémorialisation de ces scènes au temps présent. Le chapitre de Pierig Humeau, appuyé sur une enquête quantitative rare, offre une appréhension large de la scène punk qui inclut les membres actifs du public afin de rendre compte des trajectoires de vie et des perspectives sociales des punks d’une région française dans les années 2010. L’analyse proposée par Thomas Loué des parcours de vie des membres du groupe français OTH éclaire la question de la marginalisation et de la précarité des punks en France. Il fait apparaître également en filigrane la question de la difficulté de constituer des archives punk en France, étant donné la faible légitimité académique de ces objets au sein des sphères universitaires francophones, contrairement aux postures plus inclusives défendues par les universités américaines et anglaises sur le sujet. Enfin, les deux entretiens enregistrés tour à tour à l’automne 2017 avec Marsu, manager des Bérurier Noir et d’autres groupes de la scène punk parisienne des années 80, et Steve Shepherd, acteur des scènes punk et post-punk à Manchester dans les années 70 et 80, nous informent sur les trajectoires, perspectives et postures des témoins actifs de ces scènes. Ils apportent un regard informé et critique sur l’histoire et l’écriture de l’histoire. Comme pour les autres chapitres de ce livre, ils permettent de mieux envisager les études académiques qu’il serait souhaitable de mener sur le punk.