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Bruyante Techno

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Emmanuel Grynszpan

Détournement

Texte intégral

La source du bruit

1Bien qu’il soit difficile de déterminer exactement la source du bruit, celle-ci est fortement marquée par la nature électronique de l’instrument qui l’a produit. Il est très rare d’entendre un son dont on puisse reconnaître la source en étant certain qu’elle n’est pas synthétique, ni transformée par quelque effet. Le bruit n’est plus un son acoustique légèrement bruité par l’amplification, mais un bruit fabriqué de toute pièce par la machine. L’échantillonneur laisse son empreinte sur le son, il est utilisé pour abîmer, retourner, défaire la source si elle n’est pas déjà électronique.

  • 134 MURRAY SCHAFER, Robert, op. cit.

2La techno esthétise le bruit intégral, puissant, indésirable, parasite et inharmonique, celui qui supporte toutes les définitions répertoriées par Robert Murray Schafer134. Le hardcore, c’est le tout électronique. Un paru pris de l’artifice radical, même si ce n’est pas nouveau. De Herbert Eimert à Jean-Michel Jarre, l’électronique a été utilisée de diverses manières, supportant des projets esthétiques et idéologiques opposés. Le hardcore file dans la direction du bruit, de la machine, de l’électronique dans ce qu’elle a apparemment de plus inhumain. Le bruit implacable, régulier, oppressant, triomphant.

Détournement + récupération

3Les compositeurs en résidence à l’IRCAM ou au GRM vont jusqu’à participer à l’élaboration des instruments, en l’occurrence à la conceptions de programmes parfois dédiés à une seule œuvre. Ces pratiques trouvent leur origine dans la culture de l’écrit, et on ne trouve rien de semblable dans la techno. Les compositeurs formulent une demande précise qui vient de la pratique de l’écriture, de la faculté d’abstraction développée dans l’apprentissage de la musique savante. La technologie est soumise à l’écrit, obéit à une intention génératrice. Bien sûr, il arrive qu’il y ait des déviations dues à l’influence de la machine, mais la démarche de Pierre Boulez — une référence incontournable — est de mettre la technologie au pas, servilement au service de la création. Dans la culture savante, la présence d’un interdit surplombe les rapports entre technologie et création : on ne doit pas utiliser un instrument que l’on ne maîtrise pas.

Il y a chez Pierre Schaeffer une remise en cause de cet interdit, tandis qu’il est encore renforcé à Cologne. « Accepter d’être dérouté » sont ses termes. Ce hiatus est à l’origine de la profonde divergence qui oppose, aujourd’hui encore, l’IRCAM et le GRM.

4Les musiciens de techno ne se donnent pas les moyens de concevoir eux-mêmes les instruments correspondant à leur désir. Leur attitude est « pragmatique » et implique une soumission implicite à la technologie. Ils n’attendent ni imaginent une technologie qui permette de nouvelles réalisations, mais se servent de ce qui existe et poussent l’instrument à exprimer une inspiration qui évolue parallèlement à l’évolution technologique. Dans les périodes les plus créatives, il y a interaction entre nouvelles technologies et création musicale. Il arrive que les musiciens de techno n’utilisent la machine que pour reproduire des modèles sans variation importante ; la méthode qui reste la plus féconde est celle du détournement, dans un contexte où les fabricants cherchent avant tout à profiter du désir d’imitation.

Depuis quelques années, les constructeurs d’instruments électroniques se soucient de coller à la demande des musiciens de techno, ou du moins à ce qu’ils en imaginent. Chaque grand constructeur a développé une gamme d’instruments qui vise spécifiquement les musiciens de techno. Les publicités en attestent, qui utilisent des graphismes à la mode, du type de ceux qu’on trouve sur les flyers.

5Les constructeurs visent le marché des suiveurs, c’est-à-dire le plus grand nombre, en décrivant sommairement les caractéristiques de la musique techno réduite à des clichés : « gros sons de basses, filtres puissants, nappes analogiques, séquences acides... ». Le marché des instruments électroniques est désormais saturé de ces instruments « orientés techno, rap, bouse, etc. » Ceux qui désirent reproduire une musique ayant fait ses preuves ont l’embarras du choix. Cet aspect n’est pas propre à la techno, mais était déjà répandu dans l’univers du rock, où, par exemple, on achète la même guitare que celle de son guitariste favori dans le but de jouer les mêmes notes avec le même son. Les luthiers payent très cher des guitaristes célèbres pour qu’ils posent sur leurs publicités. Néanmoins, les instruments électroniques n’ont pas un intérêt visuel comparable à la guitare, et le geste du musicien n’a rien de spectaculaire. Qui plus est, la techno ne fabrique pas encore des stars susceptibles d’être utilisées pour vendre des instruments. Les fabricants se contentent donc pour l’instant de décrire le résultat sonore dans ce qu’il a de plus superficiel et insistent particulièrement sur deux aspects : la convivialité et la référence implicite à des instruments « légendaires » plus anciens, telle la TB 303.

Souplesse d’utilisation des instruments

6La valeur des instruments électroniques s’évalue selon plusieurs critères. L’un d’entre eux est la souplesse d’utilisation. Un synthétiseur comme le Yamaha DX7 est un bon exemple de souplesse. Des musiciens d’horizons très différents l’ont utilisé. En revanche, certains instruments sont conçus pour des styles musicaux bien déterminés, et produisent un éventail de sons relativement réduit. C’est l’articulation des fonctions entre elles, les capacités de synthèse et la mémoire interne qui font la souplesse d’un instrument. La Groovebox de Roland est un exemple d’instrument destiné à produire de la techno, et seul le public ciblé achète cet instrument. C’est le contraire d’un instrument « ouvert », et on peut y voir plusieurs traits caractérisant les constructeurs : c’est une incitation à reproduire les mêmes formules, en restant dans un style que le fabricant contrôle ; un instrument limité lasse rapidement le musicien, ce qui va le pousser à en acheter un nouveau. En fait tous les instruments peuvent être détournés avec plus ou moins de bonheur. Pour innover avec un instrument « raide », il faut avoir une grande imagination et une ingéniosité certaine.

Echantillonnage et industrie

7Des cédéroms d’échantillons sont massivement vendus aux possesseurs d’échantillonneurs et d’ordinateurs. Ces cédéroms contiennent des sons classés par style, destinés à être utilisés comme échantillons au sein de compositions. Leur avantage est d’être formatés à cet effet, donc plus faciles à traiter. Les sons sont également libres de droits, or il faut savoir que certains artistes ont intenté des procès à des musiciens qui empruntaient de manière trop explicite leurs compositions. Au delà de ces points positifs, l’existence de ces cédéroms est en fait un détournement complet du principe de l’échantillonnage. Il s’agit ni plus ni moins d’un formatage de sons par l’industrie musicale, transformant l’échantillonneur en simple banque de sons dont ces cédéroms seraient des recharges. Les adeptes les plus créatifs de l’échantillonneur répugnent à utiliser ces produits et persistent à emprunter leurs sons où bon leur semble, et persisteront tant qu’il sera possible d’échantillonner à partir de n’importe quelle source. Ces cédéroms sont le fruit d’une industrie qui cherche à créer de la demande tous azimuts, et le formatage n’a de prise que sur ceux qui ne s’aventurent pas au delà des chemins défrichés.

8L’évolution technologique de la techno est un jeu du chat et de la souris entre fabricants et musiciens techno. L’instrument techno majeur que fut la TB 303 n’était pas du tout destiné à produire ce type de musique, et n’était pas non plus un instrument « ouvert ».

  • 135 KYROU, Ariel : « Pour les minima technologiques — manifeste cynique contre machine idéale », Paris,(...)

« A sa naissance, l’objet technologique naît avec une nome. En 1981, Roland sort la boite à rythmes TB 303 afin que les musiciens produisent facilement des sons de basses jazz et funk. Deux ans plus tard, Chris & Cosey, duo électronique issu des maîtres de l’indus Throbbing Gristle, détourne la TB 303pour incarner par des boucles obsédantes et suraiguës les fantômes de leur titre ‘Dancing with ghosts” ».135

  • 136 Les composants électroniques de la TB 303, en particulier les diodes, ont depuis longtemps cessé d’ (...)
  • 137 Instruments électroniques de collection.

9Puis la techno s’est entichée du son acide de cet instrument et l’a détourné. Les fabricants ont réagi au bout de quelques années, non pas en réactivant la production de cet instrument, mais en créant des clones numériques, parce qu’il était désormais impossible d’utiliser les mêmes composants136. La vogue est aux synthétiseurs analogiques vintages137 désormais sur le marché de l’occasion et les fabricants en sont réduits à concevoir des synthétiseurs numériques imitant le mieux possible les synthétiseurs analogiques. Ils font de leur mieux pour abuser du fétichisme analogique des musiciens techno.

Conflit avec la machine

10Alors que les éditeurs en informatique musicale s’acharnent à concevoir des logiciels de plus en plus performants, les musiciens de la scène hardcore persistent en majorité à jouer sur des ordinateurs complètement obsolètes.

  • 138 EMPIRE, Alec : « Manifeste », Paris, Art Press, Hors-série no 19, 1998, p. 176. Le groupe Atari Tee (...)

« Atari symbolise la technologie informatique bon marché que nous utilisons. Servez-vous des rebuts de l’ennemi ! »138

Le matériel hardware original a donc cessé d’être produit (de même que les clones éventuels) et le développement software est devenu résiduel ; seuls quelques inconditionnels élaborent des logiciels circulant confidentiellement. Les musiciens continuent à travailler sur de petites machines largement dédiées au jeu. Il n’est pas inintéressant de remarquer la capacité des appareils de jeu à se transformer en instruments de musique.

  • 139 MOCKINGBIRD, Minnie : « The Hacker et la techno : explorations », op. cit., p. 58.

11Accidents, incompatibilités et bogues informatiques font le quotidien des musiciens de techno en prise avec un équipement souvent bon marché. L’ordinateur est un environnement instable et ardu pour qui n’est pas familier avec l’informatique. Plus généralement, les instruments électroniques ont un fonctionnement interne inaccessible et réservé aux spécialistes de l’électronique. En conséquence de quoi le musicien se contente de l’interface plus ou moins conviviale de l’instrument dont il veut tirer la substance. Les premiers sons que l’on obtient sont les sons pré-programmés, des sons qui imitent les instruments acoustiques avec une fidélité très relative. Non seulement ils sont insatisfaisants techniquement, mais de plus ce ne sont pas du tout les sons bruiteux que recherche le musicien de hardcore. Les sons synthétiques sont pauvres, proche de sinusoïdes, et le musicien veut un son riche au sens de Russolo : gonflé d’harmoniques et d’inharmoniques. Pour arriver à ses fins, il doit nécessairement pousser la machine dans ses derniers retranchements en utilisant des procédés de ré-injection, de distorsion, de mise en boucle, d’accélération ou de décélération, de transposition dans les fréquences extrêmes, etc. Manipulations qui sont aux limites des capacités des machines et leur causent parfois même des dégâts, en particulier pour les fragiles synthétiseurs analogiques. Les ratées de la machine, le bruit comme accident : « J’aime bien les trucs accidentels dans la musique, les sons qui ne sonnent pas bien, qui ne sont pas dans le rythme. Quand la machine se plante, il se passe des choses intéressantes ! Et puis j’essaie de capturer mes instants de spontanéité ; je ne veux pas que ce soit figé. »139

L’histoire de la musique électronique est marquée depuis ses débuts par le détournement, volontaire ou non, de l’instrument, de Schaeffer qui transforme un objet destiné à conserver le son en instrument de création musicale (le disque, puis la bande magnétique) aux synthétiseurs et échantillonneurs actuels.

Le sound system

  • 140 in McKAY, George : DiY Culture, Party & protest in nineties Britain, London, Verso, 1998, p. 257.

12A l’origine, l’expression anglo-saxonne « sound system » désigne l’équipement utilisé par les amateurs jamaïquains de dub et de raggae lorsqu’ils organisent des fêtes, qui peuvent à plusieurs titres être considérées comme des ancêtres de la rave. Le sound system permet de diffuser une musique sur support préenregistré à une puissance sonore suffisante pour satisfaire une foule en plein air. Il se compose de platines, de table de mixage, d’amplificateurs, d’enceintes et d’un groupe électrogène. Car le plus important est là : il doit être entièrement autonome et mobile. Comme le fait remarquer Hillegonda Rietveld140, dans une période où la musique fait l’objet d’une répression, un gramophone et une caisse pleine de disques sont plus aisés à transporter qu’un groupe au complet. D’où le parallèle possible entre les fêtes clandestines où les résistants à l’occupation nazie écoutaient du jazz et de la jungle (« musique non-aryenne »), les fêtes jamaïquaines sous un régime militaire qui interdisait le raggae, et, évidemment dans des conditions moins extrêmes, les raves interdites par les autorités anglaises et françaises. Le sound system réunit une technologie récente dans un camion pour diffuser le plus fort possible la musique interdite de cité. Le matériel, conçu pour être utilisé dans des salles de spectacle, est bringuebalé par monts et par vaux pour apporter aux danseurs le dernier bruit technologique ultra puissant. Les enceintes font d’ailleurs quasiment l’objet d’un culte. Leurs formes impressionnantes sont représentées sur les flyers. Certains sound systems décorent, « customisent », les enceintes, surtout les boomers qui émettent les pulsations graves. Le danseur n’aime rien autant que de se sentir tout petit face à une muraille d’enceintes, là où le son devient palpable, traverse le corps. L’enceinte est devenue un instrument musical, visuel, focalisant l’attention du danseur.

Détournement par le DJ

13Au commencement de la techno, il y a eu détournement des instruments, parce que le D| utilise les platines comme un instrument de création en variant la vitesse de rotation, en pratiquant le scratching, manipulations auxquelles les constructeurs ont adapté leurs matériels. Les tables de mixage sont, elles, utilisées hors de leur fonction initiale quand les musiciens pratiquent la ré-injection du son, provoquant des larsens dans les infrabasses, ou pour démultiplier la saturation des pistes sonores. Le matériel est utilisé aux limites de ses possibilités.

  • 141 L’acétate et le dubplate sont une étape qui précède celle du master dans la chaîne de fabrication e (...)

14Le disque est utilisé de plusieurs manières puisque, indépendamment du son gravé dessus, il est utilisé comme matière sonore et comme instrument lorsqu’il est scratché. Il est à la fois la reproduction à des centaines d’exemplaires d’une même musique, mais aussi un « acétate »141, c’est-à-dire un disque unique, produit pour un seul DJ, certain que son morceau sera joué par lui seul. Faire presser un enregistrement sur un seul disque, c’est consacrer le vinyle comme support suprême de la techno. D’instrument de reproduction par excellence, le vinyle devient paradoxalement dans ce cas garantie de singularité. Λ cause de sa fragilité, l’acétate ne peut être joué qu’une dizaine de fois au faîte de sa qualité, ce qui renforce le caractère immédiat et unique du mix techno.

Réappropriation- recyclage

  • 142 TORDJMAN, Gilles : « Sept remarques pour une esthétique du sample » in Technikart, no 20, mars 1998 (...)

« Il n’y a pas de différence esthétique entre une guitare et un synthétiseur ou une boîte à rythmes : ce sont des outils de production du son. Le sampler [échantillonneur en anglais] est d’une nature différente : c’est un outil de reproduction du son, mais dont la finalité n’est pas la fidélité. C’est la rupture majeure des nouvelles musiques : faire d’outils de reproduction (samplers, platines) des vecteurs de nouvelle production. »142

15Pas besoin d’une description technique de l’échantillonneur pour montrer qu’il est un instrument ouvert par essence. Il est à la fois neutre parce qu’il laisse une totale liberté au musicien (toute matière sonore le traverse), et orienté parce qu’il modifie le son lui-même, prête à des manipulations contre nature, et surtout parce qu’il transforme la signification de l’échantillon.

L’échantillonneur est vanté comme un méta-instrument contenant tous les autres en lui : plus besoin de s’acheter tel instrument cher ou introuvable, il suffit d’aller chercher les sons déjà fixés et utilisés par un musicien. C’est le raisonnement le plus courant et le plus basique. L’échantillonneur est réduit à une banque de sons potentiellement illimitée.

  • 143 Cité par SHONO, Susumu : « Techno-éclectisme », Contrechamps, no 11, Genève, L’Age d’homme, 1990, p (...)

16L’échantillon est comparé à un ready made par John White143 en référence à Duchamp. Utiliser l’échantillonneur, c’est ouvrir la boite de Pandore...

  • 144 RISTAT, Jean : « un voyage d’idées », op. cit.

Le détournement de l’échantillonnage ne va pas sans une forme de parasitage. L’échantillon est transformé par la machine, même la plus « fidèle », à cause de la conversion numérique. Comme le fait remarquer le DJ Jérôme Pacman, « on chope sur le sampler trois notes de piano, on les met à l’envers, on les retourne à l’endroit. Ce ne sera plus un son de piano. »144

Coller un échantillon dans un contexte différent produit un bruit né de la collision d’objets hétérogènes. La signification est perturbée, transformée dans la direction du bruit.

Détourner et révéler la machine

17Le hardcore fait mugir la machine, lui fait émettre des sons pour lesquels elle n’est pas conçue.

  • 145 Professeur diabolique : « tékhnè », op. cit., p. 37.

« La machine se fait enfin entendre à une large audience et dévoile sa véritable nature. [...] La machine peut enfin s’exprimer, corps sans âme, Prométhée déchaîné, qui hurle sa longue solitude industrieuse, hurlements des ténèbres de la souffrance glacée des espaces infinis et inorganiques. »145

Le hardcore véhicule une pensée nihiliste, pessimiste et anti-positiviste par opposition au reste du mouvement techno. La machine est vécue comme un traumatisme, parce que la confrontation ne semble pas tourner à l’avantage de l’homme. Entre altérité et fusion avec la machine, le musicien est en proie au doute, puis bascule dans une relation sadomasochiste, voulant faire « hurler » la machine, et, en fin de compte, se détruisant les oreilles.

Contre la technologie propre : stratégies de salissure

18L’utilisation des filtres est généralisée dans la techno. C’est le corollaire du son acide. C’est le moyen le plus simple et immédiat de transformer le son. Les synthétiseurs grand public ont des sons pré-programmés au timbre peu séduisant, puisque sensés ressembler à des instruments traditionnels. Le timbre de ces sons est toujours très pauvre, toujours plus proche d’un son sinusoïdal que d’un instrument réel. Ces sons sont néanmoins utilisés comme point de départ, parce que tous les synthétiseurs ne permettent pas de créer un son de toute pièce — d’autant que cela peut paraître fastidieux à beaucoup de musiciens. Le filtrage permet de détourner n’importe quel son à hauteur fixe pour en faire un son acide, c’est-à-dire un bruit.

  • 146 GEISS, Michael : « Le sampling : mode d’emploi », Keyboards, Hors série no 17, Paris, Février-mars (...)

19Les réglages, filtres en tous genres et effets divers se multiplient sur toutes les machines dans le seul but de fuir la hauteur. La vogue actuelle des filtres est telle qu’ils équipent désormais les échantillonneurs grand public : « Les versions récentes de ces machines intègrent des fonctions dignes des bons synthétiseurs : filtres résonnant, FM, modulateurs d’amplitude, ou même des effets Lo-Fi (dégradation volontaire du son) des distorsions pour les musiques à tendance “industrielle”, sans oublier les multi-effets de plus en plus complets. En techno, il est évident que l’on bénéficiera grandement de toutes actions possibles sur les paramètres en live. Certains samplers conçus récemment sont orientés dans ce sens et sont proches du synthé analogique. »146

20Les fabricants s’engouffrent dans la brèche et collent à la demande en un rien de temps. La dialectique entre froideur digitale et chaleur analogique, haute technologie et son sale est parfaitement intégrée par les industriels. Le détournement est neutralisé, le bruit est socialisé. Mais il faut reconnaître que la salissure de l’industrie ne sonne pas tout à fait comme la salissure industrielle. Les effets « Lo-Fi » et autres distorsions agissent comme des compresseurs, c’est-à-dire qu’ils écrêtent et égalisent le bruit ; ce qui revient à normaliser et à rationaliser le bruit, une action antinomique avec les principes vitalistes du bruitisme italien, les seuls que l’on retrouve un tant soit peu dans le hardcore. La déformation du son est contrôlée et perd son agressivité. La guitare électrique a connu la même évolution. Il y a des sons de guitares saturées qui passent à la radio et d’autres non, parce qu’ils n’utilisent pas ces effets compresseurs. Le son sale semble répandu, mais il est édulcoré par l’industrie, qui anticipe parfaitement le désir qu’ont beaucoup de jeunes de jouer au rebelle... mais pas trop.

Notes

134 MURRAY SCHAFER, Robert, op. cit.

135 KYROU, Ariel : « Pour les minima technologiques — manifeste cynique contre machine idéale », Paris, Crash, no 4, septembre 1998, p. 68.

136 Les composants électroniques de la TB 303, en particulier les diodes, ont depuis longtemps cessé d’être fabriqués par les entreprises de sous-traitance du sud-est asiatique. Les constructeurs estiment n’avoir aucun intérêt commercial à réactiver la production des composants, malgré les demandes pressantes des inconditionnels de la TB 303.

137 Instruments électroniques de collection.

138 EMPIRE, Alec : « Manifeste », Paris, Art Press, Hors-série no 19, 1998, p. 176. Le groupe Atari Teenage Riot emprunte son nom à l’ordinateur Atari, dont la production a récemment cessé. Le modèle Amiga est également utilisé, alors qu’il a cessé d’être produit depuis au moins cinq ans.

139 MOCKINGBIRD, Minnie : « The Hacker et la techno : explorations », op. cit., p. 58.

140 in McKAY, George : DiY Culture, Party & protest in nineties Britain, London, Verso, 1998, p. 257.

141 L’acétate et le dubplate sont une étape qui précède celle du master dans la chaîne de fabrication en série du vinyle. On peut lire ces support une trentaine de fois après quoi ils se détériorent rapidement.

142 TORDJMAN, Gilles : « Sept remarques pour une esthétique du sample » in Technikart, no 20, mars 1998, p. 58.

143 Cité par SHONO, Susumu : « Techno-éclectisme », Contrechamps, no 11, Genève, L’Age d’homme, 1990, p. 81.

144 RISTAT, Jean : « un voyage d’idées », op. cit.

145 Professeur diabolique : « tékhnè », op. cit., p. 37.

146 GEISS, Michael : « Le sampling : mode d’emploi », Keyboards, Hors série no 17, Paris, Février-mars 1998, p. 26.

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