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La Radio et ses publics

 | 
Hervé Glevarec
, 
Michel Pinet

Première partie. Qu'est-ce que l’audience statistique pour la sociologie ?

Chapitre I. « Audience » et « public »

Texte intégral

  • 1 Bourdon J., « À la recherche du public ou vers l’indice exterminateur. Une histoire de la mesure d’ (...)
  • 2 Souchon M., « Histoire des indicateurs de l’audience », Quaderni, 35, 1998a, p. 93-106.
  • 3 La recherche du distinguo semble caractériser dès son origine la radio publique. C’est en 1958 que (...)

1Dans le domaine de la réflexion statistique sur les pratiques médiatiques, la notion dominante est celle « d’audience », et dans le domaine de la radio, celle de « contact ». Fruit d’une histoire des instruments de mesure et du langage de description de la consommation des médias, l’audience désigne en première approche une quantification numérique du nombre d’auditeurs1. Michel Souchon rappelle la façon dont le critère courant « d’audience cumulée » a été réhabilité par le secteur public2. Ce critère, qui correspond au nombre de contacts avec un support, sans indication de durée, et a fortiori de qualité, est en effet l’indicateur qui sert le plus l’audience d’une chaîne (par contraste avec son « audience instantanée »). Λ l’inverse, on a pu noter, à l’occasion du rééquilibrage des audiences cumulées des radios françaises depuis les années 2000 et 2001 (baisse de RTL et montée de NRJ) que le critère d’audience cumulée pouvait desservir certaines radios (RTL et France Inter par exemple) qui vont alors valoriser la durée d’écoute3.

  • 4 Service public en charge de la radio et de la télévision en France de l’après-guerre à sa transform (...)

2C’est à partir de 1949 que la RTF (Radiodiffusion télévision française)4 participe pour la première fois au cofinancement d’un sondage Ifop/Etmar que lui propose sa concurrente Radio Luxembourg. Cécile Méadel rappelle la résistance que le service public a longtemps manifestée face aux outils de mesure quantitatifs d’audience (le carnet d’écoute), que ses représentants connaissaient parfaitement par ailleurs et qui existaient déjà à l’étranger :

  • 5 Méadel C., « Du développement des mesures d’audience radiophoniques », dans Eveno P. et Marseille J (...)

« Avant guerre, les professionnels de radio ne travaillent pas dans un univers dépourvu de chiffres : ils sont attentifs à la progression du nombre global de foyers équipés [...] ; ils ont surtout à leur disposition des mesures fines de publics privilégiés : le nombre d’adhérents de leurs associations, les lecteurs payants de leur publication, le chiffre d’affaires publicitaire, le courrier et même le téléphone, les contacts directs lors d’émissions publiques5. ».

  • 6 Il conviendrait sans doute dorénavant de confronter cet « appauvrissement » à la batterie d’analyse (...)

3Caractéristique centrale des premières mesures d’audience : leur souveraine confidentialité. Excepté quelques dirigeants, personne n’est censé en avoir connaissance. C’est durant la décennie 1980, rappelle C. Méadel, que les données d’audience deviendront publiques. On aura alors quitté le qualitatif pour le quantitatif, le « foyer » pour « l’individu », les « relations avec les auditeurs » pour les « études de marché », l’auditeur aux multiples motivations pour le comportement. « La mesure privilégiée du public devient ce chiffre qui, quart d’heure après quart d’heure, indique le comportement des individus devant leur poste de radio. » C. Méadel y voit un appauvrissement des approches du public, une « raréfaction des caractéristiques des auditeurs retenues comme pertinentes pour les professionnels6 ». L’audience a acquis depuis une bien plus grande visibilité. Les audiences télévisées des émissions de la veille étaient par exemple données en 2003 le matin sur la radio RMC-Info (Radio Monte-Carlo, radio « généraliste »).

Les critiques de l’audience

  • 7 Dayan D., « Le double corps du téléspectateur », dans Proulx S. (dir.), Accusé de Réception. Le spe (...)
  • 8 Dayan D., « Télévision, le presque public », Réseaux, 100, 2000, p. 427-456. Pour une réflexion cri (...)
  • 9 Cefai D. et Pasquier D. (dir.). Les sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, p. 16. (...)
  • 10 Cf. le texte ancien de Bechtel R. B., Achelpohl C. et Akers R., « Correlates between Observed Behav (...)
  • 11 Ang I., Desperately seeking the Audience, Londres, Routledge, 1991, p. 13, 155. Ien Ang participe a (...)
  • 12 « Le mot audience n’a pas le même sens en français et en anglais, écrit M. Souchon. En français, il (...)

4La notion d’audience a reçu plusieurs critiques portant sur sa polysémie et sur son déficit sociologiques7. En dehors des questions épistémologiques liées au recueil des données sur lesquelles nous reviendrons, elle laisse accroire à une audience constituée ou consciente d’elle-même. Ainsi, Daniel Dayan distingue « l’audience » du « public » à l’aide d’un critère de réflexivité : un public est une audience qui se sait telle. Un « public » est performatif dans ses manifestations, ce qui n’est pas le cas d’une audience8. « Le "public" se compose de "particuliers" qui s’engagent dans des régimes d’action publique », écrivent Daniel Cefai et Dominique Pasquier9. Dans Recherche désespérément l’audience, la sociologue Ien Ang va jusqu’à dénier toute existence à la notion d’audience parce qu’elle atomise et déréalise la réception. Toute étude du « flux d’écoute » ou toute élaboration de « taxinomie collective agrégée » telle qu’une « audience télévisée » devrait s’effacer devant l’analyse des microsituations de l’écoute. À « l’audience de la télévision », Ien Ang oppose « le monde social des audiences réelles », désignant par cette formule les pratiques et les expériences infinies, contradictoires, dispersées et dynamiques en relation avec la télévision. Insaisissable l’audience ? Faite d’une myriade de pratiques et d’expériences dispersées ? De surcroît, il n’existe pas, pour Ang, d’objet social qui s’appellerait « regarder la télévision » comme activité séparée de la vie quotidienne10. « L’audience » est une catégorie du discours institutionnel et des professionnels de la télévision, ajoute-t-elle, en lui préférant le « monde social des audiences actuelles11 ». La notion est d’un usage courant et spécifique dans les reception studies, où elle renvoie à l’idée de groupes sociaux de récepteurs (autrement dit, « audience » tend à signifier « public » à travers des titres comme Adoring Audience, Science Fiction Audiences, Media Audiences)12.

  • 13 Livingstone S., « Du rapport entre audiences et publics », Réseaux, 126, 2005, p. 17-55.
  • 14 Abercrombie N. et Longhurst B., Audiences, A Sociological Theory of Performance and Imagination, Lo (...)

5En fait, la notion d’audience est une représentation sociopolitique qui sert aux sociologues des médias, surtout de tradition anglo-saxonne, à désigner un type de lien entre téléspectateurs d’un programme et un type de rapport aux médias13. Ce lien est qualifié de « faible » ou de « dispersé », du fait notamment d’un environnement médiatique contemporain très dense14. Ensuite, ce rapport est fragile. Selon Sonia Livingstone, la distinction entre « audience » et « public » est abstraite :

  • 15 Livingstone S., op. cit., p. 17-55.

« Cependant, à l’instar de la distinction plus générale entre public et privé, cette distinction-là [entre "audience" et "public"] fonctionne mieux dans l’abstrait qu’appliquée à n’importe quelle situation concrète. Que peut-on affirmer empiriquement sur les "publics" qui ne puissent aussi s’appliquer aux audiences, dont les membres ont entendu parler les uns des autres, sont conscients d’appartenir à un groupe plus vaste, sont même susceptibles de se rencontrer pour discuter de ce qu’ils ont vu ou entendu, transmettent parfois leurs réactions aux diffuseurs, prennent assurément part aux événements médiatiques nationaux, et ainsi de suite15. »

  • 16 Livingstone S., Making Sense of Television : The Psychology of Audience Interpretation, Londres, Ro (...)
  • 17 Chalvon-Demersay S., « La confusion des sentiments. Une enquête sur la série télévisée Urgences », (...)
  • 18 « Les travaux sur la réception de la télévision qui sont menés depuis vingt ans ont montré de façon (...)
  • 19 Guy Saez le dit très bien à propos des statistiques de pratiques culturelles et des acteurs culture (...)
  • 20 Lahire B., La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Décou (...)
  • 21 Le champ des analyses de réception en France semble présenter une triple polarisation : des analyse (...)

6La notion d’audience semble être ce qu’on appelle un artefact. Le sens du mot audience dans la langue française comme succès d’une personne ou d’un thème auprès d’un public ajoute à un terme dont la sociologie française n’a jamais usé dans ses analyses théoriques. « L’audience » ne serait pas un concept très sociologique ; allant contre toutes les analyses dites ethnographiques, celles issues des cultural studies britanniques notamment, pour lesquelles la mesure chiffrée (d’ailleurs absente de leurs analyses) ne dit pas grand-chose des processus d’interprétation (souvent hétérogènes selon les populations de récepteurs), elle ne prend pas en compte le « texte » des médias16. Plus largement, la sociologie de la réception tend à rappeler sinon l’existence, du moins la possibilité de « publics » au sens non plus d’une agrégation mathématique, mais d’une « communauté imaginée17 ». Comme l’écrit Dominique Pasquier, « quand on ne fait que compter ceux qui regardent on ne sait rien de ce qu’ils ont vu18 ». En fait, le rapport à la statistique est fondamentalement ambigu même chez les sociologues : tout le monde l’exige par réalisme sociologique et personne ne la souhaite dans son travail19. Les sociologues sont, de surcroît, de plus en plus sensibles aux écarts statistiques (entre classes d’individus) à partir desquels ils assertent, voire théorisent20. Les critiques peuvent de surcroît se retrouver dans un rejet des statistiques pour des raisons tout à fait opposées, les uns parce qu’ils ne veulent s’intéresser qu’aux publics, les autres parce qu’ils dénoncent les producteurs et consommateurs de statistiques qu’ils considèrent biaisées21.

  • 22 Donnat O. et Toula R, op. cit. ; Hennion A., « Ce que ne disent pas les chiffres... Vers une pragma (...)
  • 23 « Est-il bien sûr, en effet, qu’être un public, c’est être à un instant donné face à une émission p (...)
  • 24 Pasquier D., « Des audiences aux publics : le rôle de la sociabilité dans les pratiques culturelles (...)

7Plus conjoncturellement encore, l’analyse statistique des pratiques tend à être appréciée négativement : soit qu’on ne sache pas ce qu’on mesure ou qu’on le mesure mal – c’est le cas par exemple des chiffres de délinquance – soit qu’on considère que la statistique écrase son objet, qu’elle ne dit rien du sens, non plus des façons de faire – c’est de plus en plus le cas en sociologie des pratiques culturelles22. Avec des statistiques, on saisit des pratiques ou des comportements, non pas des discours, non plus de la réflexivité. De fait, on ne sait rien, en dehors d’une enquête de terrain, des paroles d’appréciation, de rejet, de critique des programmes, rien sur le rapport politique aux chaînes, etc.23. Le déplacement peut être tel qu’il enjoint à considérer les discours plutôt que les pratiques : « en d’autres termes, il s’agirait de considérer que l’engagement dans la pratique ne se mesure pas dans la pratique elle-même mais dans sa mise en scène au sein de différents contextes24 », écrit D. Pasquier. En effet, on a la plupart du temps fait dire aux pratiques ce qu’elles ne disent pas sans le recours à un système d’interprétation. Par exemple, comment passe-t-on d’une pratique rare statistiquement et par rapport à d’autres à une pratique dont on va dire qu’elle est marquée par la distinction ? Pourtant, depuis Durkheim, on le sait, la statistique a plusieurs avantages : elle est le seul instrument de mesure à visée et à capacité représentatives, elle seule produit des effets de réel en montrant les distributions et les régularités, et, enfin, elle renferme des capacités d’objectivation et de typification qui n’ont rien d’artificielles dès l’instant que pourraient bien s’y manifester des faits sociaux, par exemple des pratiques régulières et routinières.

  • 25 Morley D., Family Television, Cultural Power and Domestic Leisure, Londres, Routledge, 1986.
  • 26 Ainsi la rationalité des professions supérieures les porte-t-elle à utiliser le magnétoscope pour s (...)

8L’analyse statistique des pratiques suppose d’être contrôlée par une connaissance ethnographique. En termes de sociologie de la réception des médias, la meilleure illustration du caractère décisif de l’analyse de terrain est donnée par les travaux de D. Morley qui mettent en évidence la qualité socialement très variable des temps quotidiens25 : la valeur du temps domestique de consommation de la télévision pour les hommes au travail est opposée à celle des femmes au foyer ; l’espace et le temps domestiques sont des espaces de loisir pour l’homme, des espaces de travail pour les femmes au foyer ; la consommation masculine de la télévision comme détente s’oppose dans cette configuration sociale à sa consommation féminine coupable. C’est dire s’il convient d’avoir la plus grande méfiance quant aux interprétations unifiées des pratiques dites de loisirs qui ne tiendraient pas compte des rapports différenciés au temps quotidien. Rien ne semble, par exemple, plus éloigné de la pratique un peu obsessionnelle des membres des professions supérieures que l’usage que font de la télévision les membres des catégories ouvrières. Aux uns la course à l’échalote que constitue le souhait de tout faire en un temps minimum et contraint, aux autres l’usage hédoniste que confirment des statistiques aussi inaperçues que leur pratique du magnétoscope26. Il n’y a là rien de moins qu’une certaine économie de la jouissance et du rapport au temps (et on n’est pas sûr que les dominants y soient les plus heureux).

  • 27 Ang L, Living-Room War, Londres, Routledge, 1996, p. 66-81
  • 28 Champagne P„ « La télévision et son langage : l’influence des conditions sociales de réception sur (...)
  • 29 Donnat O. et Larmet G., « Télévision et contextes d’usages. Évolution 1986-1998 », Réseaux, 119, 20 (...)
  • 30 Calbo S., Réception télévisuelle et affectivité, Paris, L’Harmattan, 1999.

9En fait, les sociologues ignorent tout des jeux de langage radiophoniques ou télévisés, c’est-à-dire du langage de description dont les individus useraient pour désigner leurs pratiques médiatiques. C’est ce que rappelle instamment I. Ang. Prônant un contextualisme radical, l’auteur écrit qu’il n’est pas possible, par exemple, de considérer la télévision comme relevant a priori de la catégorie du loisir ou de l’amusement27. Un exemple historique simple se trouve dans le sens de loisir familial qu’avait la télévision dans les années 196028 qui tend ainsi à s’opposer assez fortement aux usages individualisés contemporains29 en dehors des réceptions collectives30. Cette question débouche sur une autre encore plus radicale : dans notre cas, l’univers que présupposent la production et l’analyse de données d’audiences radiophoniques est-il homogène quant à ses objets ? France Culture et MFM ont-elles autre chose en commun que de s’appeler radio ?

Auditoire, cible et public

  • 31 De Bussiîre M„ Méadel C. et Mauriat C. (dir.), Histoire des publics à la radio et à la télévision. (...)
  • 32 Latour B. (dir), Ces Réseaux que la raison ignore, Paris, L’Harmattan, 1992.
  • 33 Latour B., Petite réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches, Paris, Les Empêcheurs de pens (...)
  • 34 Méadel C., « De la formation des comportements et des goûts. Une histoire des sondages à la télévis (...)

10A. Hennion et C. Méadel ont montré que les auditeurs réels d’une radio étaient insaisissables, que les variables statistiques des taux d’audience de Médiamétrie étaient des médiations parmi d’autres de figures d’auditoires à jamais représentés par des chiffres d’audience, du courrier, des appels téléphoniques31. Dans notre cas, cette position n’est logiquement plus tout à fait défendable puisqu’elle reviendrait à annuler notre prétention à la description sociologique et aux assertions argumentées. La sociologie des médiations, de l’acteur-réseau et des objets-intermédiaires32 ne cherche pas à faire cette sociologie-là, qu’elle trouve peut-être un peu « fait-ichiste33 ». Pourtant, au regard des données que nous analyserons, ce sont des réseaux d’un type particulier qui apparaissent, ceux que forment auditeurs et radios, et ceux-ci ont la caractéristique d’être exclusifs les uns des autres. Ce réel-là peut-il être relativisé ? Les statistiques n’auraient-elles pas au moins cet avantage de ne pas impliquer un sujet du goût, comme le produit un entretien en face-à-face34 ? De ne pas impliquer non plus de jugement a priori, de jugement de valeur, sur la qualité des écoutes ?

  • 35 On sait que cette « généralité » de la télévision est l’objet d’un soutien de la part d’un auteur c (...)
  • 36 Cette différence n’est pas récente dans le sens où le champ de la radio a, dès ses origines, au moi (...)
  • 37 Esquenazi J.-P, « Le renouvellement d’un jeu de langage. Genres et canaux », Réseaux, 81, 1997, p.  (...)
  • 38 Barnes K., « Top 40 Radio : A Fragment of the Imagination », dans Frith S. (dir), Facing the Music,(...)

11Les professionnels de radio visent deux objectifs parfois en contradiction sociologique : la cible la plus étoffée possible et l’étendue des cibles la plus large, la puissance et la pénétration. Comment trouver les musiques, les chanteurs, les émissions, les animateurs, les journalistes, le ton, etc., bref le format, qui rassemble le plus d’auditeurs et/ou en exclut le moins ? Autant les télévisions se retrouvent sur une cible privilégiée commune, à savoir la ménagère, responsable des achats selon les études marketing (en prime time où seules les industries de la grande consommation peuvent payer des spots de publicité), et un grand public35, autant les secondes diffèrent radicalement quant à leurs cibles. La différence est frappante quand on compare les deux premières télévisions françaises (TF1 et France 2) et les deux premières radios (NRJ et RTL). Cette différence semble tenir à la densité des médias, radio ou télévision36. Plus un champ se densifie, plus il semble se segmenter, faisant apparaître des auditoires hétérogènes. Bref, le règne de la modernité n’est pas celui de la transversalité des audiences, mais celui de la fragmentation des auditoires37. « Radio’s history is one of fragmentation », écrit K. Barnes38. C’est la démonstration que nous mènerons.

  • 39 Voici la définition que donne Médiamétrie de la « cible » dans son Lexique des termes professionnel (...)

12Il y a deux niveaux dans l’usage de la notion de cible39 : un usage social/publicitaire et un usage commercial. L’usage social relève du discours et de l’image publique. Dire « nous sommes la radio des moins de 24 ans », relève de ce discours. Ce premier discours, symbolique, est décisif, même pour les régies publicitaires des radios, puisqu’une partie de leur travail vise à sensibiliser directement les industriels sur leur support et ses cibles. En effet une part du travail des régies publicitaires tient dans un discours qualitatif tenu auprès des industriels sur le contrat de communication spécifique (les valeurs, l’imaginaire de la radio...) qui est censé être celui de leur média auprès de leurs auditeurs.

  • 40 Cf. Annexe I.
  • 41 « Concernant la définition des cibles, il y a incontestablement un conservatisme de la profession, (...)
  • 42 Gross rating point, les publicitaires s’en servent pour « mesurer le nombre de contacts d’un plan m (...)
  • 43 Quel est alors l’enjeu commun à toutes les radios nationales ? Peut-on par exemple utiliser la noti (...)

13Le discours commercial est celui des régies publicitaires des différentes radios ou groupements de radios qui vendent des cibles d’audience, mais de façon beaucoup plus fine, et, de surcroît, relative à la segmentation conventionnelle des publics. Il y a une pluralité des cibles et sous-cibles d’un même programme : les 13-24 ans, les 13-19 ans, les 20-24 ans, les jeunes mères, les hommes cadres... Il y avait en 2002, 24 cibles publicitaires conventionnelles et une trentaine de cibles complémentaires40. La notion de cible est une convention de marché entre les acteurs du champ publicitaire, entre le monde des médias et le monde des annonceurs (agences médias et industriels)41. C’est pourquoi la notion sociologique de champ (champ de la radio) est d’une application trop casuelle ici. Le seul bien commun recherché par l’ensemble des radios serait l’auditeur, objectivé par l’audience cumulée (et la part d’audience)42. C’est pourquoi il y a des désaccords d’ordre général sur la limite inférieure de recueil des données d’enquête (à partir de 13 ans depuis 2002). Mais cet enjeu relève du discours d’affichage et ne peut dissimuler le fait que commercialement et textuellement les radios ne se donnent pas les mêmes auditeurs et auditoires, sous l’angle de l’âge, du genre, de la position sociale43, etc. On accorderait beaucoup aux radios en les accusant de segmenter la population. Comme si les goûts des jeunes et des moins jeunes avaient besoin des radios pour diverger assez radicalement ! On peut cependant défendre l’argument d’une visibilité accrue des différences. On peut aussi défendre la thèse d’un discours et d’une injonction à la différence.

  • 44 « [...] Dans les sociétés de la modernité tardive d’Europe et d’ailleurs, la distinction entre audi (...)

14Chemin faisant, nous nous demandons si ces discussions sur la différence entre audience et public ne cessent pas de contourner un troisième terme : l’auditoire. Pour les sociologues, auditoire tend à être synonyme d’audience. Or, il ne l’est pas dès l’instant qu’il n’est pas transversal, dispersé comme une audience. Bref, dès que l’auditoire d’une émission, d’une chaîne est exclusif d’autres (des gens – très nombreux – ne regardent jamais TF1 ou si peu, d’autres n’écoutent jamais NRJ, d’autres jamais France Musique, d’autres jamais RTL, etc.), ne tend-il pas à exister comme objet sociologique ? Tout se passe comme si pour certains chercheurs, on pouvait en toute évidence, sous prétexte d’être dans la modernité, considérer que les mêmes médias étant consommés par tout le monde (ou que leurs ressemblances étant si fortes, ils ne font qu’un, ce qui est à démontrer), ils rendent indistincte et inopérante toute différence au profit des gens en général. Les médias ont-ils définitivement tué la sociologie44 ?

Quel discours de la description sociologique ?

  • 45 Nous sommes nous-mêmes confrontés à cette articulation puisqu’une autre partie de notre travail est (...)
  • 46 Gitlin T., « Prévoir l’imprévisible », Réseaux, 39, 1990, p. 19-36 ; Souchon M., « Les programmateu (...)
  • 47 Les deux derniers discours apparaissent ainsi bien distincts par exemple sous la plume de G. Turner (...)

15La sociologie doit articuler trois discours de la description des auditeurs, auditoires ou audiences45 : le discours de la radio, le discours de l’objet social et le discours de l’auditoire (ou de la cible). Le discours de la radio est celui que les professionnels de la radio tiennent sur leurs destinataires (« nos auditeurs sont plutôt ceci ou cela »)46 ; le discours de l’objet social définit un type de contenu et d’auditeur correspondant à une radio (par exemple quand on dit d’une radio qu’elle relève d’un style social, musical) ; le discours de l’auditoire (ou de la cible) est celui, traditionnel, de la sociologie, quand celle-ci s’intéresse d’une part aux affinités entre des groupes sociaux et des pratiques, des objets ou des valeurs, d’autre part à l’identité sociale des pratiquants47. Nous nous situerons ici dans ce troisième discours.

  • 48 Champagne R, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du publi (...)
  • 49 Peterson R., « Audience and Industry Origins of the Crisis in Classical Music Programming : Towards (...)

16Faut-il alors avoir des préventions critiques contre la cible médiatique, cet outil que mobilisent les industries culturelles pour désigner leur public et/ou le vendre à des publicitaires ? L’hypothèse de la cible devrait être très familière aux sociologues puisqu’elle fait fond sur l’idée d’une différenciation des publics visés. Peu importe ici le discours de la radio ou du capitalisme qu’elle sert48, puisque notre objet n’est pas celui-là. Soit la radio se donne un public ou une cible, c’est le cas des radios privées, soit elle ne s’en donne pas (« public radio is not a format », écrit R. Peterson49), mais elle en a un statistiquement (et sociologiquement ?). Le constat est simplement retourné : on ne peut plus seulement voir les radios viser des cibles, il faut constater que toutes sont ciblées. Toutefois, il y a une différence majeure qui tient à ce que la cible des professionnels préexiste conventionnellement à l’auditoire.

  • 50 Hartley J., « The Real Word of Audiences », Critical Studies in Mass Communications, 5, 1988, p. 23 (...)
  • 51 « L’audimat [est] l’indicateur conventionnel de cet artefact qu’est "l’audience" » cohabite ainsi a (...)

17Situer le discours sociologique au niveau des auditoires solutionne-t-il les débats critiques sur l’audience ? Les auditoires – qui sont une version plus descriptive, exhaustive et neutre des cibles – peuvent-ils être autre chose qu’une cartographie des contacts radiophoniques ? L’auditoire, comme ensemble logique d’individus possédant une même particularité, est-il une énième « fiction de public50 » produite par les chercheurs ? On peut en effet refouler les auditoires pour une bonne raison, celle de leur artificialité comptable, et pour une mauvaise, celle de leur réalisme comptable. Ce faisant, c’est par la bande que l’auditoire revient toujours, à travers l’argumentaire sociologique quand – implicitement – il est tenu pour su que l’auditoire de tel programme ou de tel média est jeune ou féminin ou, au contraire, non diplômé, etc. (cela vaut pour n’importe quelle pratique)51. Aucun sociologue, même le plus antipositiviste, n’est prêt à renoncer à ce qui fait le B.A.BA de sa perception du monde, à savoir de ne cesser, – comme tout le monde d’ailleurs –, de faire de la statistique sans le savoir dès qu’il qualifie une pratique par ses pratiquants. Il a même pour tâche de faire, lui, de la bonne statistique.

À quel « jeu de langage » appartient l’audience radiophonique ?52

  • 52 Une première version de ce qui suit a été publiée dans la revue Le Temps des médias. Glevarec H., « (...)

18Qu’est-ce que ledit « contact » des études de Médiamétrie ? Notion publicitaire, le contact est défini par Médiamétrie comme « l’exposition à un support » (Mémo Média 2000, Médiamétrie). Paradoxalement, ce contact a toujours été mesuré à partir d’une déclaration de la personne interrogée, en fait à partir d’une certaine sorte de déclaration (variable selon les dispositifs d’enquête). En France du moins (nous reviendrons plus loin sur le dispositif suisse de la montre enregistreuse), le contact n’a jamais été passivement mesuré. Aussi échappe-t-il à la plupart des commentateurs de chiffres d’audience qu’il s’agit dans les enquêtes Médiamétrie de se déclarer auditeur, mais d’une sorte de déclaration verbale ou non verbale.

  • 53 Jean Lebrun, producteur à France Culture et néanmoins journaliste, témoigne d’une telle situation d (...)

19Tout se passe comme si les analystes critiques de l’audience, argumentant sans s’être confrontés aux données construites d’audience, parlaient d’un objet statistique virtuel. S’ils s’y confrontaient concrètement, ils n’auraient alors affaire qu’à un type d’objet, construit et institutionnel, tout ce qu’on veut d’artificiel ou d’artefactuel, mais à un objet dont la nature est bien d’être une déclaration du panéliste (comme c’en est une au téléphone pour le recueil en continu de l’enquête « 126 000 » de Médiamétrie). De quelle nature est cette déclaration dans le cas du Panel radio ? C’est une activité basée sur un « pacte » avec le demandeur (Médiamétrie) qui consiste à estimer que son écoute doit être manifestée par une croix dans une case qui en représente un quart d’heure. Pour le faire comprendre, imaginons la « fable du voleur ». Chaque fois qu’il quitte sa maison, Monsieur R***, panéliste, allume la radio dans l’intention d’éloigner les voleurs qui croiront par là que sa demeure est occupée53. On peut supposer que pour sa période d’absence cet auditeur ne cochera pas les cases de ce qu’il ne jugera pas comme une écoute. Malgré toute la bizarrerie et la perversité dont les humains sont capables, est-ce faire là une hypothèse indue que de supposer cela plutôt que l’inverse (autrement dit quelque chose comme un mensonge mais tout aussi volontaire) ? En soi l’hypothèse du faux carnet est plausible, mais peu d’éléments y portent : aucun intérêt matériel ou symbolique évident. Le carnet d’écoute est une méthodologie qui demande à l’auditeur de jouer son rôle d’auditeur (qui incorpore donc un trait du moment herméneutique, c’est-à-dire de la signification vécue de l’écoute). Ce jeu est institutionnel, en premier lieu parce qu’il est instrumenté par un carnet d’écoute, en second lieu parce qu’il suppose que cette écoute est objectivable (on ne peut, au contraire, demander à quelqu’un de noter ses mouvements de la main ou ses clignements d’yeux). Dans l’enquête dite « 126 000 », le contact est un « contact déclaré » au téléphone selon un protocole qui tend à réduire au maximum l’interprétation du télé-enquêteur. La durée du contact conventionnel est ici de 7 minutes (pas que l’enquêté ne connaît pas) et l’enquêté est amené à fournir, pour toute mention d’une radio écoutée 24 heures avant l’appel, une heure de départ (en réponse à la question : « à partir de quelle heure avez-vous écouté telle radio ? ») et une heure de fin (« jusqu’à quelle heure avez-vous écouté ? »). Il s’agit d’une déclaration qui ne restitue ni un zapping éventuel, ni une précision minutée, puisque le télé-enquêteur se fait le médiateur entre une déclaration minutée qu’il sollicite et une grille de codage en 7 minutes.

  • 54 Witigenstein L., Investigations philosophiques [1953], Paris, Tel-Gallimard, 1961, § 23.

20Ce que la convention professionnelle appelle un contact est une certaine sorte de déclaration. On le voit plus clairement encore en comparant ce type de déclaration avec la déclaration « d’habitude d’écoute » où l’on demande aux gens d’inscrire, dans le cadre de l’enquête Panel sur 21 jours, en toute généralité, pour un jour de semaine (lundi-vendredi), pour le samedi et pour le dimanche, s’ils sont auditeurs (« tous les jours ou presque », « presque tous les jours », « 1 ou 2 fois par semaine » et « moins souvent »). C’est donc sous une certaine description que la déclaration d’être auditeur signifie. Il convient de restituer à un questionnaire la logique de son jeu de langage pour avoir un objet qui n’est plus universel (la mesure de l’audience !) mais contextualisé54.

  • 55 Médiamétrie installe dans chaque foyer faisant partie du panel Mediamat (3100 foyers, soit 8000 per (...)

21La même critique peut en effet être adressée au sujet des commentaires sur la mesure d’audience des chaînes de télévision, bien que la déclaration qui affirme que l’on y est (devant le poste), y soit d’une autre nature. Les études réalisées par Médiamétrie en télévision à l’aide d’un audimètre à bouton-poussoir sont tout autant appuyées sur une certaine sorte de déclaration positive, dès l’instant que chaque membre du foyer dispose de sa propre touche individuelle qu’il enclenche pour signaler sa présence dans la pièce où le téléviseur est allumé55. On croit toujours que la mesure d’audience mesure les caractéristiques de l’écoute, alors qu’elle mesure plus directement une déclaration, un « je suis là devant le poste » – selon la consigne – dont la contre-vérité est un mensonge subjectif : non pas tant donc un « la personne est aux toilettes », par exemple, qu’un « il n’écoute pas » bien qu’il déclare être là. À propos de la télévision, il y a un second moment herméneutique, celui où le commentateur des audiences choisit comme unité de contact déclaré la seconde ou davantage.

  • 56 http://www.radiocontrol.ch/.

22Du coup, le contact que Médiamétrie recueille (au téléphone ou sur un carnet d’écoute) est beaucoup plus fort qu’on ne veut le croire, et l’enregistrement de (tous) les contacts sonores d’un individu (via un audimètre portable tel que la montre radio et télécontrol en Suisse) et d’une présence accrue des médias dans toutes les situations de la vie quotidienne rend cette remarque encore plus décisive. En effet, paradoxalement là encore, la technique de la montre enregistreuse, a priori désignée pour attraper de façon passive le contact (quatre secondes des sons ambiants sont enregistrées trois fois par minute et agrégées statistiquement en audience à la minute)56, en dit moins sur le jeu de langage dans lequel est l’auditeur et sur son type d’écoute que les méthodes déclaratives. Le radiocontrol ne saisit pas non plus le zapping situé d’un auditeur qui balaierait 10 stations en une minute sur son autoradio, niveau qui est pourtant celui de l’accroche et de la prise avec un programme entendu.

  • 57 Le « public moyen » a été, en son temps, la réponse sociologique de Pierre Bourdieu au « grand publ (...)

23Nous avons donc une série d’objets sociologiques et sociaux désignant des collectifs d’auditeurs : l’audience (au sens français du dénombrement), le public (au sens français du collectif conscient de lui-même), le grand public, le public moyen57, la cible, le ou les auditeurs et l’auditoire.

  • 58 Quere L., « Le public comme forme et comme modalité d’expérience », dans Cefai D. et Pasquier D. (d (...)

24Qu’est-ce que l’auditoire des études de Médiamétrie ? L’auditoire n’est ni l’audience, ni le public. Il n’est pas l’audience parce qu’il incorpore un critère de durée qui durcit le lien entre auditeur et radio(s), par exemple dans le cadre de l’enquête Panel sur 21 jours. Il n’est pas le public parce que nous n’en saisissons pas les manifestations réflexives spontanées, mais il en a une dimension pourtant : il est une déclaration (de contacts). Un auditoire est défini par sa pratique. Mais comme l’écrit Louis Quéré58, ces collections d’individus qui sont dans un certain cas, n’ont pas de lien entre eux. Ce qui va différencier un auditoire d’une audience, c’est bien pourtant qu’il incorpore quelque chose de la notion de public, à savoir cette dimension déclarative.

  • 59 Mace E., « Qu’est-ce qu’une sociologie de la télévision ? Esquisse d’une théorie des rapports socia (...)
  • 60 Goffman E., « The Interaction Order », American Sociological Review, 48/1, 1983, p. 1-17 [traductio (...)
  • 61 Meadel C., « De la formation des comportements et des goûts. Une histoire des sondages à la télévis (...)
  • 62 Buckingham D et Bragg S., Young People, Sex, and the Media : the Facts of Life ? Basingstoke, Palgr (...)

25Le contact incorpore donc toujours cette idée que l’auditeur a considéré qu’il écoutait. Ce qu’on appelle l’audience cumulée semble plus proprement être une « déclaration comme auditeur » qu’une accumulation de contacts. Les auditoires sont-ils autre chose qu’une cartographie des contacts radiophoniques ? On peut maintenant répondre oui. Parce que ce sont des auditoires déclarés. L’auditoire est-il une énième « fiction de public » produite par les chercheurs, comme le dit J. Hartley (1988) ? Non. Et à la fiction de public répondent la fiction de l’audience et la fiction du contact, deux faits qui n’ont encore jamais existé jusqu’à aujourd’hui comme données brutes. Pas plus d’ailleurs que l’audimat (désigné médiamat depuis qu’est prise en compte la déclaration individuelle en télévision) comme traduction des goûts. « Tout comme les parts de marché ne mesurent pas les goûts, écrit Éric Macé, les taux d’audience ne renvoient pas à des publics "réels" mais à des agrégats statistiques masquant une grande mobilité des téléspectateurs face à l’offre disponible d’émissions59 » Une partie des lecteurs va croire que l’on parle d’audience. Or, le sociologue parle d’individus ayant déclaré un contact, d’individus inscrits dans un certain ordre de l’interaction60 avec ces objets que sont les radios et l’attente conventionnelle d’un commanditaire, Médiamétrie. Cet auditeur déclaré est cet auditeur ritualisé et institué par l’enquête61. Du coup, la formule qui approche le mieux ce jeu de langage semble être un : « J’ai écouté. » Plus généralement, ce jeu de langage est : indiquer une pratique (une écoute de la radio) en réponse à une interrogation. Le carnet d’écoute (diary) est susceptible de construire d’autres jeux de langage encore, comme ceux que relatent D. Buckingham et S. Bragg62 qui demandent à des adolescents de consigner ce qu’ils voient dans les médias relativement à l’amour, au sexe et aux relations.

  • 63 Maynard D. W. et Schaeffer N. C., « La pratique des sondages vue par l’ethnométhodologie », dans de(...)

26Il faut insister contre toutes les affirmations un peu rapides sur « l’artefactualité » de la mesure d’audience. L’audience n’est pas un artefact (les sociologues seraient bien en mal, avec leurs quelques sous, de faire mieux que Médiamétrie), c’est au mieux un jeu de langage ou une convention, il apparaît par conséquent qu’enquêter auprès des panélistes pour saisir ce qu’il en est de ce type de déclaration serait nécessaire. Est-ce que chaque croix sur le carnet signifie la même sorte de déclaration ? Est-ce que chaque panéliste déclare quelque chose d’identique ? Ces questions supplémentaires n’ont rien de nouveau et peuvent être adressées à tout protocole d’enquête sociologique par questionnaire (et en ce domaine on est souvent beaucoup moins exigeant ailleurs qu’ici). La notion de jeu de langage permet d’échapper à la critique herméneutique de sous ou sur-signification du contact et à la critique ethnométhodologique d’indexicalité radicale de toute pratique, notamment celle de répondre à une enquête63.

  • 64 Wittgenstein énumère des jeux de langage très proches de ce que peut être une déclaration d’écoute  (...)

27Il y a, historiquement, quatre grands jeux de langage du recueil et de la mesure d’audience64 :

    • 65 C’est là la plus ancienne méthode de mesure de l’audience. Cf. La Notoriété et l’écoute des émetteu (...)
    • 66 Opinion et comportement des auditeurs de la radio, Ifop/Etmar, juillet 1964 (A. N. Versement 880 21 (...)

    la déclaration de pratique (les habitudes d’écoute). Elle recouvre des questions du type « Écoute-t-on chez vous les stations suivantes ? ; Lesquelles régulièrement ? Lesquelles de temps en temps65 ? » Ou : « Pour chacune des stations de radio suivantes, pouvez-vous me dire si vous l’écoutez tous les jours, plusieurs fois par semaine, rarement ou jamais66 ? » ;

  • le compteur (audimétrique) soutenu d’une déclaration de présence (audimétrie individuelle). C’est le modèle dominant de la mesure d’audience en télévision. Un boîtier répercute les ouvertures et fermetures de postes, les changements de chaînes d’un téléviseur. C’est l’audimat, devenu médiamat en 1989. Le compteur passif (montre enregistreuse) n’est pas un jeu de langage de l’écoute, au mieux il recouvre le jeu « porter une montre ». Ce qu’il a gagné en objectivité (le contact), il l’a perdu en subjectivité (la déclaration). L’item de base n’est plus ici déclarer un contact mais être en contact (puisque la radio captée par le moniteur dans un supermarché est susceptible d’être retenue comme données brutes) ;

    • 67 « Si la réponse est : "J’ai écouté France Inter entre 7 heures et 9 heures, puis France Culture de (...)
    • 68 Tassi P., Modèles statistiques de la mesure d’audience des médias audiovisuels, Paris, Economica, 2 (...)

    la déclaration d’écoute de la veille, ce que Ifop/Etmar appelait en 1966 sa nouvelle définition de l’auditeur. Ce protocole est à la fois rétrospectif et « soutenu » par un enquêteur et une convention horaire67. Cette forme trouve son prolongement dans l’enquête téléphonique en continu sur l’écoute radiophonique de la veille dite « 126 000 » de Médiamétrie68 ;

  • enfin, le carnet d’écoute. Il consiste dans l’enquête Panel de Médiamétrie à indiquer, sur le modèle du carnet d’activités de l’enquête Emploi du temps de l’Insee, les radios écoutées sur un carnet horaire tout au long de la journée sur la base du quart d’heure.

Notes

1 Bourdon J., « À la recherche du public ou vers l’indice exterminateur. Une histoire de la mesure d’audience à la télévision française », Culture technique. 24, 1992, p. 131-140, Chalvon-Demersay S. et Rosental P.-A., « Une démographie des comportements volatiles ? L’émergence de la microanalyse dans la mesure d’audience », Quaderni, 38, 1999, p. 129-146 ; Champagne P, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de la recherche en sciences sociales, 101-102, 1994, p. 10-22 ; Durand J., « La mesure automatique de l’audience des médias. Le système Audimat », Revue française de marketing, 87/4, 1981, p. 41-49 ; Durand J., « Audience, définition et méthodes de mesure », dans SFEZ L. (dir.), Dictionnaire critique de la communication, PUF, vol. 2, 1993, p. 1034-1037 ; Durand J, « Les audiences de la radio », Sociologie de la communication, Réseaux/CNET, 1997, p. 915-921 ; Durand J., « Les études sur l’audience de la radiotélévision en France », Quaderni, 35, 1998, p. 79-92, Meadel C., Publics et mesures, une sociologie de la radio, Paris, CSI, 1986 ; Meadel C., « De la formation des comportements et des goûts. Une histoire des sondages à la télévision dans les années cinquante », Réseaux. 39, 1990, p. 37-55 ; Mehl D., La Fenêtre et le miroir. La télévision et ses programmes, Paris, Payot, 1992.

2 Souchon M., « Histoire des indicateurs de l’audience », Quaderni, 35, 1998a, p. 93-106.

3 La recherche du distinguo semble caractériser dès son origine la radio publique. C’est en 1958 que la notion de « préférences » est supprimée des questionnaires d’enquête d’écoute. Elle était trop en désaccord avec le taux d’écoute. « En octobre 1952, sur la liste des dix émissions préférées, cinq sont produites par la RTF, mais aucune n’est citée dans les plus écoutées », écrit Meadei C., « Du développement des mesures d’audience radiophoniques », dans Eveno P. et Marseille J. (dir.), Histoire des industries culturelles en France, ADHE, 2002, p. 407-417.

4 Service public en charge de la radio et de la télévision en France de l’après-guerre à sa transformation en ORTF en 1964. Jeanneney J.-N. (dir.), L’Écho du siècle. Dictionnaire historique de la radio et de la télévision en France, Paris, Hachette littérature/Arte Éditions, 1999.

5 Méadel C., « Du développement des mesures d’audience radiophoniques », dans Eveno P. et Marseille J. (dir.). Histoire des industries culturelles en France, ADHE, 2002, p. 407-417 et 409.

6 Il conviendrait sans doute dorénavant de confronter cet « appauvrissement » à la batterie d’analyses secondaires, d’enquêtes qualitatives, de données électroniques, de tests en auditorium et autres radiotests que les radios commanditent ou réalisent elles-mêmes afin de mieux « connaître » leurs auditeurs.

7 Dayan D., « Le double corps du téléspectateur », dans Proulx S. (dir.), Accusé de Réception. Le spectateur construit par les sciences sociales, Laval, Presses de l’université de Laval/L’Harmattan, 1998, p. 175-189.

8 Dayan D., « Télévision, le presque public », Réseaux, 100, 2000, p. 427-456. Pour une réflexion critique sur la tension dans les travaux de Daniel Dayan entre une herméneutique des « publics » et une théorie de la performativité de la « télévision cérémonielle », nous renvoyons à Glevarec H., Libre antenne. La réception de la radio par les adolescents, Paris, Colin/Ina, 2005. Disons simplement ici pour aiguiser la curiosité des lecteurs que l’objection que Dayan et Katz font aux Lang de n’avoir pas vu que le défile du général Mac Arthur, commandant en chef des armées du Pacifique à Chicago, de retour en 1951, relevait de la cérémonalité et non de l’information, s’appuie sur aussi peu que ce que les Lang ont laissé quant aux réceptions effectives, à savoir un « texte » télévisuel. C’est pourquoi Dayan et Katz vont parler de « genre télévisuel », de « metteur en scène », et recourir à une théorie de la performativité. Or, la théorie de la performativité linguistique ne loge rien du côté du destinataire (qui n’est que son « point illocutoire »). Double paradoxe de la critique adressée aux Lang qui risque l’anachronisme et le textualisme : « Ce que les Lang n’ont pas vu » (les manifestations du public), comme le titrent Dayan et Katz : eux-mêmes peuvent-ils l’avoir vu ! Cf. Dayan D. et Katz E., « Le général, son défilé, la foule et la télévision. Événements, spectateurs, audiences et publics », dans Cefai D. et Pasquier D. (dir.), Les sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, Paris, PUF, 2003, p. 79-99, p. 86.

9 Cefai D. et Pasquier D. (dir.). Les sens du public. Publics politiques, publics médiatiques, p. 16. Louis Quéré propose, lui, une définition du « public » comme « modalité d’expérience ». Il s’agit du public d’un « jeu de langage » (pris chez Wittgenstein) ou d’un « cadre de l’expérience » (pris chez Goffman). Ce n’est pas un public réflexif mais un public encastré dans une activité sociale, une sémantique et une organisation de l’action, et « articulé » à des perspectives sur le sens de ce qui se passe. Ce n’est pas un public performatif mais pragmatique. Il se décrit moins comme « se voir public » que comme « être en public ». Quere L., « Le public comme forme et comme modalité d’expérience », dans Chai D et Pasquier D. (dir.), op. cit., p. 113-34.

10 Cf. le texte ancien de Bechtel R. B., Achelpohl C. et Akers R., « Correlates between Observed Behavior and Questionnaire Responses on Television Viewing », dans Rubinstein E et al. (dir.). Television and Social Behavior. Television in Day-to-Day Life : Patterns of Use, Washington DC, Government Printing Office, vol. 4, 1972.

11 Ang I., Desperately seeking the Audience, Londres, Routledge, 1991, p. 13, 155. Ien Ang participe ainsi d’un certain « tournant pragmatique ». Elle cite Knorr-Cetina pour laquelle la finesse grandissante des grilles et le nombre croissant des attributs font que les individus doivent deviner quels vont être les attributs d’une situation sociale (ce qu’elle appelle le « situationnisme social »). L’approche dite située de l’action aurait, selon nous, toute sa pertinence dans une approche située de la réception (c’est-à-dire au moment de la réception), mais on sait les problèmes qu’elle pose à l’enquête. Knorr-Cetina K., The Pratice Turn in Comtemporary Theory, NewYork/Londres, Routledge, 2001, p. 162.

12 « Le mot audience n’a pas le même sens en français et en anglais, écrit M. Souchon. En français, il est l’équivalent du mot anglais "viewing" : étudier l’"audience", c’est dénombrer les personnes à l’écoute de telle émission, de telle chaîne pendant telle période ou telle tranche horaire, etc. Chez les Anglo-Saxons, le mot "audience" a le sens du mot français "public" : L’"audience research" concerne l’ensemble des travaux étudiant le public, par des sondages ou d’autres méthodes, pour compter les spectateurs ou les auditeurs, aussi bien que pour connaître d’autres aspects de leur comportement, de leur mode vie, de leurs pratiques culturelles, etc. ». Souchon M., « Les recherches sur l’audience au service de la programmation », dans Proulx S. (dir), Accusé de réception. Le spectateur construit par les sciences sociales, Laval, Presses de l’université de Laval/L’Harmattan, 1998c, p. 47-65, p. 48.

13 Livingstone S., « Du rapport entre audiences et publics », Réseaux, 126, 2005, p. 17-55.

14 Abercrombie N. et Longhurst B., Audiences, A Sociological Theory of Performance and Imagination, Londres, Sage, 1998.

15 Livingstone S., op. cit., p. 17-55.

16 Livingstone S., Making Sense of Television : The Psychology of Audience Interpretation, Londres, Routledge, 1998. « L’audience que le positivisme essaie d’extraire et de maintenir silencieuse dans le calme de son laboratoire ou dans la stabilité de ses relations statistiques n’est pas une audience que les cultural studies reconnaissent. » « The audience that positivism tries to extract and hold still in the calm of its laboratory or in the fixity of its statistical relations is not an audience that cultural studies recognize », écrit John Fiske. Fiske J., « Audiencing : A Cultural Studies Approach to Watching Television », Poetics, 21, 1992, p. 345-359.

17 Chalvon-Demersay S., « La confusion des sentiments. Une enquête sur la série télévisée Urgences », Réseaux. 95, 1999, p. 235-83 ; Pasquier D., La Culture des sentiments. L’expérience télévisuelle des adolescents, Paris, MSH, 1999.

18 « Les travaux sur la réception de la télévision qui sont menés depuis vingt ans ont montré de façon définitive l’existence d’une construction culturellement située des interprétations. Le même programme peut faire l’objet de lectures parfois antinomiques selon les sexes, les âges ou les origines sociales : quand on ne fait que compter ceux qui regardent on ne sait rien de ce qu’ils ont vu. Les mesures d’audience ne nous renseignent pas sur les publics, elles recensent des comportements sans rien dire des pratiques elles-mêmes, de leur motivation, de leur intensité ou de leur inscription dans l’expérience des individus. » Pasquier D., « Des audiences aux publics : le rôle de la sociabilité dans les pratiques culturelles », dans Donnai O. et Toula P. (dir), Le(s) Public(s) de la culture, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 109-116, p. 110.

19 Guy Saez le dit très bien à propos des statistiques de pratiques culturelles et des acteurs culturels. Saez G., « Les politiques culturelles des villes. Du triomphe du public à son effacement », dans Donnai O. et Toula P. (dir), op. cit., p. 197-225, p. 223.

20 Lahire B., La Culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004

21 Le champ des analyses de réception en France semble présenter une triple polarisation : des analyses de réception précises de programmes et/ou de publics ; des analyses du « contrat de communication », et, enfin, une sociologie des publics de la culture qui, du fait de l’histoire de la sociologie de la culture en France, est très largement déconnectée et fonctionne avec ses propres outils. Ce que l’on appelait jusqu’aux travaux sur les médias « sociologie de la réception » en France n’était, la plupart du temps, qu’une sociologie de la réception par les spécialistes et le monde de l’art. Les sociologues français ont, ou pensent avoir, avec la sociologie de P. Bourdieu, les outils théoriques suffisants pour penser la réception, à savoir les couples habitus/bien symbolique, disposition esthétique/œuvre, ou encore, déchiffrement/forme symbolique. On sait que L’Amour de l’art (1969) contient déjà une théorie du décodage différentiel (code artistique et code de la vie quotidienne), qui n’est pas sans faire écho à celle de Stuart Hall (1980) (décodage dominant, négocié, oppositionnel). Cf. Heinich N., Le Triple Jeu de l’art contemporain, Paris, Minuit, 1998. Bourdieu P., « Éléments pour une théorie sociologique de la perception artistique », Revue internationale des sciences sociales. XX/4, 1968. Bourdieu P. et Darrel A., L’Amour de l’art. Les musées d’art européens et leur public, Paris, Minuit, 1969 ; Hall S., « Coding and decoding », dans Hall H., Lowe et Wilier (dir), Culture, Media, Language, Londres, 1980, p. 128-138. On retrouve exemplifiée cette distance avec les travaux anglo-saxons sur la réception chez G. Mauger et C. Fossé-Poliak. Mauger G. et C. Fossé-Polak, « Les usages sociaux de la lecture », Actes de la recherche en sciences sociales, 123, 1998, p. 3-24. Involontairement sans doute, aucun auteur ayant travaillé sur les « objets populaires », ou les « lectures ordinaires » sont légion, n’est discuté (par ex. Radway J., Reading the Romance : Women, Patriarchy and Popular Literature. The University of North Carolina Press, 1984).

22 Donnat O. et Toula R, op. cit. ; Hennion A., « Ce que ne disent pas les chiffres... Vers une pragmatique du goût », dans Donnat O. et P. Tolila (dir.), op. cit., p. 287-304.

23 « Est-il bien sûr, en effet, qu’être un public, c’est être à un instant donné face à une émission précise ? Cette certitude fonde toute la politique de programmation et même, quoique plus difficilement, de production. Et pourtant elle est extrêmement réductrice : elle ne laisse place ni au désir d’être un public, ni à la volonté de se reconnaître en lui, ni au plaisir de l’avoir été, ni au souvenir, ni à l’imagination », Chalvon-Demersay S., « La mesure du public : approche généalogique de l’audience télévisuelle », Quaderni, 35, 1998, p. 45-51.

24 Pasquier D., « Des audiences aux publics : le rôle de la sociabilité dans les pratiques culturelles », dans Donnat O. et P. Tolila (dir), op. cit., p. 109-116, p. 110.

25 Morley D., Family Television, Cultural Power and Domestic Leisure, Londres, Routledge, 1986.

26 Ainsi la rationalité des professions supérieures les porte-t-elle à utiliser le magnétoscope pour suppléer à l’absence devant l’écran tandis que l’économie populaire incline ses familiers à l’utiliser quand deux programmes plaisent en même temps. Cf. Degenne A. et Lebeaux M.-O., « Le temps des loisirs, le cycle de vie et ses contraintes », dans Donnai O. (dir.). Regards croisés sur les pratiques culturelles, Paris, La Documentation française, 2003 ; Donnat O., Les Pratiques culturelles des Français. Enquête 1997, Paris, La Découverte/La Documentation française, 1998, p. 151 ; Glevarec H., « Les médias et la vie culturelle », dans Saez G. (dir), Institutions et vie culturelles. Les notices, Paris, La Documentation française, 2004, p. 134-138.

27 Ang L, Living-Room War, Londres, Routledge, 1996, p. 66-81

28 Champagne P„ « La télévision et son langage : l’influence des conditions sociales de réception sur le message », Revue française de sociologie, XII/, 1971, p. 406-430, p. 408.

29 Donnat O. et Larmet G., « Télévision et contextes d’usages. Évolution 1986-1998 », Réseaux, 119, 2003, p. 63-94.

30 Calbo S., Réception télévisuelle et affectivité, Paris, L’Harmattan, 1999.

31 De Bussiîre M„ Méadel C. et Mauriat C. (dir.), Histoire des publics à la radio et à la télévision. Actes de la journée du 20 mars 1992, Paris, Comité d’histoire de la radio, Comité d’histoire de la télévision et GEHRA, 1994, Hennion A. et Méadel C., « Programming Music : Radio as a Mediator », Media, Culture and Society, 8/3, 1986, p. 281-303 ; Hennion A, et Meadel C, Radios, réseaux, régies. La représentation du public par les professionnels de la radio, Paris, Centre de sociologie de l’innovation. École des mines de Paris, 1988.

32 Latour B. (dir), Ces Réseaux que la raison ignore, Paris, L’Harmattan, 1992.

33 Latour B., Petite réflexion sur le culte moderne des dieux faitiches, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1996. La sociologie que nous pratiquons est une sociologie de « l’altérité des conditions », selon la formulation de Nicolas Dodier reprise à son article d’explicitation des deux approches sociologiques que sont l’ethnométhodologie et l’approche constructiviste en sociologie. Dodier N., « Une éthique radicale de l’indexicalité », dans de Fornel M. et al. (dir.), L’Ethnométhodologie, une sociologie radicale, Paris, La Découverte, 2001, p. 315-330.

34 Méadel C., « De la formation des comportements et des goûts. Une histoire des sondages à la télévision dans les années cinquante », Réseaux, 39, 1990, p. 37-55 ; Méadel C, art. cit., dans Latour B. (dir.), Ces réseaux que la raison ignore, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 169-186.

35 On sait que cette « généralité » de la télévision est l’objet d’un soutien de la part d’un auteur comme Dominique Wolton. Wolton D., Éloge du grand public, Paris, Flammarion, 1990.

36 Cette différence n’est pas récente dans le sens où le champ de la radio a, dès ses origines, au moins en France, historiquement été plus dense que celui de la télévision (mise à part la période de l’après-guerre à la libéralisation des ondes). En 1966 par exemple, la première et la seconde chaînes de télévision de l’ORTF cohabitent avec France Culture, France Musique, France Inter, Inter Variétés, Europe no 1, Radio Luxembourg et Radio Monte-Carlo (auxquelles on peut ajouter sur certaines portions du territoire : Radio Andorre et Radio des Vallées). On sait que la couverture et le confort d’écoute de toutes ces stations n’étaient pas systématiquement assurés. Enquête périodique radio et télévision, no 38, 10 janv. au 15 fév. 1966, Ifop/Etmar (A. N. Versement 880 217, art. 79).

37 Esquenazi J.-P, « Le renouvellement d’un jeu de langage. Genres et canaux », Réseaux, 81, 1997, p. 103-118.

38 Barnes K., « Top 40 Radio : A Fragment of the Imagination », dans Frith S. (dir), Facing the Music, New York, Pantheon, 1988, p. 8-50, p. 10.

39 Voici la définition que donne Médiamétrie de la « cible » dans son Lexique des termes professionnels, Mémo Média 2000 : « Sous-population que l’on souhaite toucher par une émission ou une campagne publicitaire. Elle est décrite par des caractères sociodémographiques, d’équipement ou de comportement. »

40 Cf. Annexe I.

41 « Concernant la définition des cibles, il y a incontestablement un conservatisme de la profession, déclare le vice-président de TF1 Étienne Mougeotte. Dans une société qui a beaucoup changé, dans ses comportements, ses pratiques, on a une fixité des cibles qui pose problème. Par exemple, le fait qu’on vit longtemps, qu’on ait des enfants plus tard, pourrait amener à considérer que la cible des moins de 50 ans n’est plus pertinente et y intégrer les moins de 55 ans ou de 60 ans. Mais c’est très compliqué de mettre toute la profession d’accord là-dessus. Le problème aussi, c’est que si on veut des cibles homogènes, on va descendre à un niveau de spécialisation tel qu’il n’y aura plus 25 cibles mais 350 et ce ne sera plus viable ». Mougeotte E., « Entretien la loi d’airain du Mediamat », Hermès, 37, 2003, p. 107-115, p. 110.

42 Gross rating point, les publicitaires s’en servent pour « mesurer le nombre de contacts d’un plan média pour cent personnes de la cible ». Le Grignou B., Du côté du public. Usages et réceptions de la télévision, Paris, Economica, 2003, p. 60.

43 Quel est alors l’enjeu commun à toutes les radios nationales ? Peut-on par exemple utiliser la notion de champ telle que formulée dans Bourdieu R, « Le marché des biens symboliques », L’Année sociologique, 22/1, 1971a, p. 49-126 ? Les relations deux à deux, trois à trois ou davantage que forment les véritables espaces de concurrence débouchent-elles sur un champ de concurrence unifié ? Quel sens aurait ce champ à imploser en une multitude de sous-champs réductibles à une série de relations binaires, ternaires, etc., au mieux conjoints comme le seraient deux ensembles sécants ! Les radios ne s’accordent ni sur un objet commun, certainement pas sur la musique, ni sur un client ou un destinataire, puisqu’elles couvrent en partie des « cibles » différentes. On peut cependant parler de champ de l’audience pour désigner l’ensemble des auditeurs, qui peuvent notamment se positionner les uns par rapport aux autres à l’aide des radios. Cf. Glevarec H. et Pinet M., « From Liberalization to Fragmentation : A Sociology of French Radio Audiences Since the 1990s and the Consequences for Cultural Industries Theory », Media, Culture and Society, 30/2, 2008, p. 215-238.

44 « [...] Dans les sociétés de la modernité tardive d’Europe et d’ailleurs, la distinction entre audience et public est de plus en plus difficile à établir, du fait de l’imbrication de plus en plus profonde des médias dans tous les aspects de la société ». Livingstone S., « Du rapport entre audiences et publics », Réseaux, 126, 2005, p. 17-55.

45 Nous sommes nous-mêmes confrontés à cette articulation puisqu’une autre partie de notre travail est l’étude de la réception des radios jeunes par les adolescents, sur la base d’une enquête qualitative. Cf. Glevarec H., Libre antenne. La réception de la radio par les adolescents, Paris, Colin/Ina, 2005 ; Glevarec H. et Pinet M., « La radio : un espace d’identification pour les adolescents », dans Donnat O. (dir). Regards croisés sur les pratiques culturelles, Paris, La Documentation française, 2003, p. 319-342.

46 Gitlin T., « Prévoir l’imprévisible », Réseaux, 39, 1990, p. 19-36 ; Souchon M., « Les programmateurs et leurs représentations du public », Réseaux, 39, 1990b, p. 93-108.

47 Les deux derniers discours apparaissent ainsi bien distincts par exemple sous la plume de G. Turner quand il montre que l’auditoire de Radio 1 est celui des 25 ans mais que son discours est de dire qu’elle s’adresse aux jeunes en général. Turner G., « Who Killed the Radio Star : the Death of Teen Radio in Australia », dans Frith S. (dir.), Rock and Popular Music : Politics, Policies, Institutions, Londres, Routledge, 1993, p. 142-155, p. 142.

48 Champagne R, « La loi des grands nombres. Mesure de l’audience et représentation politique du public », Actes de/a recherche en sciences sociales, 101-102, 1994, p. 10-22.

49 Peterson R., « Audience and Industry Origins of the Crisis in Classical Music Programming : Towards World Music », dans Pankratz D B. et Morris V. B. (dir), The Future of the Arts, Praeger, 1990, p. 207-27, p. 218.

50 Hartley J., « The Real Word of Audiences », Critical Studies in Mass Communications, 5, 1988, p. 234-238.

51 « L’audimat [est] l’indicateur conventionnel de cet artefact qu’est "l’audience" » cohabite ainsi avec « la structure de l’audience de la télévision montre que ces populations "modestes" sont surreprésentées par le "public" de la télévision ». Mace E., « Qu’est-ce qu’une sociologie de la télévision ? Esquisse d’une théorie des rapports sociaux médiatisés ? La configuration médiatique de la réalité », Réseaux, 104, 2000, p. 245-288, p. 260-265.

52 Une première version de ce qui suit a été publiée dans la revue Le Temps des médias. Glevarec H., « L’audience est une "déclaration" et un "jeu de langage". Le cas de la mesure d’audience en radio », Le Temps des médias, 2/9, 2007, p. 182-198.

53 Jean Lebrun, producteur à France Culture et néanmoins journaliste, témoigne d’une telle situation dans son livre Le Journalisme en chantier, éd. Bleu autour, 2008, p. 7.

54 Witigenstein L., Investigations philosophiques [1953], Paris, Tel-Gallimard, 1961, § 23.

55 Médiamétrie installe dans chaque foyer faisant partie du panel Mediamat (3100 foyers, soit 8000 personnes âgées de 4 ans et plus en 2003), un ou plusieurs audimètres (selon le multi-équipement) munis de télécommande a touches individuelles qui enregistrent en permanence et à la seconde près toutes les utilisations du ou des téléviseur(s) du ménage, la marche et l’arrêt du téléviseur, l’écoute des différentes chaînes, l’utilisation du magnétoscope, et l’utilisation du téléviseur pour des jeux vidéo ou comme moniteur. Cf. Durand J., « La mesure automatique de l’audience des médias. Le système Audimat », Revue française de marketing, 87/4, 1981, p. 41-49.

56 http://www.radiocontrol.ch/.

57 Le « public moyen » a été, en son temps, la réponse sociologique de Pierre Bourdieu au « grand public ». « Moyen » a la signification sociologique de consommateurs appartenant à la petite bourgeoisie ou classe moyenne. Il est articulé à son objet, que désigne la notion « d’art moyen ». Bourdieu P., « Le marché des biens symboliques », L’Année sociologique, 22/1, 1971b, p. 49-126.

58 Quere L., « Le public comme forme et comme modalité d’expérience », dans Cefai D. et Pasquier D. (dir.), Les Sens du public. Publics politiques, publics médiatiques. Paris, PUF, 2003, p. 113-134, p. 116.

59 Mace E., « Qu’est-ce qu’une sociologie de la télévision ? Esquisse d’une théorie des rapports sociaux médiatisés ? La configuration médiatique de la réalité », Réseaux, 104, 2000, p. 245-288, p. 269.

60 Goffman E., « The Interaction Order », American Sociological Review, 48/1, 1983, p. 1-17 [traduction dans Winkin Y. (dir). Les Moments et leurs hommes, Paris, Seuil/Minuit, 1988].

61 Meadel C., « De la formation des comportements et des goûts. Une histoire des sondages à la télévision dans les années cinquante », Réseaux, 39, 1990, p. 37-55, p. 51.

62 Buckingham D et Bragg S., Young People, Sex, and the Media : the Facts of Life ? Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004

63 Maynard D. W. et Schaeffer N. C., « La pratique des sondages vue par l’ethnométhodologie », dans de Fornel Μ. et al. (dir), L’Ethnométhodologie, une sociologie radicale, Paris, La Découverte, 2001.

64 Wittgenstein énumère des jeux de langage très proches de ce que peut être une déclaration d’écoute : « Reconstituer un objet d’après une description (dessin) », « rapporter un événement », « représenter les résultats d’une expérimentation par des tables et des diagrammes ». Cf. Wittgenstein L., Investigations philosophiques [1953], Paris, Tel-Gallimard, 1961, § 23.

65 C’est là la plus ancienne méthode de mesure de l’audience. Cf. La Notoriété et l’écoute des émetteurs locaux, Ifop, juin 1963 (A N. Versement 880 217 art. 79).

66 Opinion et comportement des auditeurs de la radio, Ifop/Etmar, juillet 1964 (A. N. Versement 880 217 art. 79).

67 « Si la réponse est : "J’ai écouté France Inter entre 7 heures et 9 heures, puis France Culture de 9 h 30 jusqu’à 10 heures environ", l’enquêteur note ces réponses puis fait préciser, montrant le programme, les heures de début, de changement et de fin d’écoute. » Enquête périodique radio et télévision, no 38, 10 janv. au 15 fév. 1966, Ifop/Etmar (A. N. Versement 880 217 art. 79).

68 Tassi P., Modèles statistiques de la mesure d’audience des médias audiovisuels, Paris, Economica, 2005, p. 23-24. Thomas Courtois, ancien salarié de Médiamétrie, mène une réflexion sur le processus de catégorisation à l’œuvre dans l’enquête téléphonique. Pour autant, la question du type de déclaration que recueille le questionnaire passé au téléphone sur l’écoute de la veille demeure. Cf. Courtois T., « La ménagère à moins de cinquante ans. Ou : être populaire selon Médiamétrie », Mouvements, 57, 2009, p. 30-36.

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