Chapitre X. Glissements et combinaisons de valeurs
p. 153-170
Texte intégral
1À propos du rap, à propos de Diam’s, nous avons fréquemment parlé de « valeurs ». De fait, les analyses que nous avons proposées dans les chapitres précédents ont mis en évidence l’existence dans le rap – musiques et paroles –, en particulier chez Diam’s et ses auditeurs, de systèmes de valeurs implicites – exprimées symboliquement, notamment dans la manière particulière de produire et d’assembler les sons – et explicites. Il est maintenant grand temps de préciser le sens donné à ce mot pour examiner comment les systèmes de valeurs rencontrés dans le rap et chez Diam’s rendent compte des évolutions qui se sont produites depuis une trentaine d’années dans le domaine éthique au sein de la société française, et surtout chez les jeunes.
2« Les valeurs peuvent être considérées, propose Bertrand Roudet, comme le fondement des opinions et des comportements, comme des repères normatifs pour la pensée et l’action. Structurant nos représentations, orientant nos actes, les valeurs ne sont toutefois pas observables. Il faut les approcher en recueillant des informations susceptibles d’être interprétées en termes de valeurs » (Roudet 2001 : 13). Et c’est bien en cela que l’étude du rap et l’examen plus attentif d’un enregistrement qui a connu un succès exceptionnel se révèle fructueuse, car elle fournit des données riches, mises en forme sensible, qui permettent d’approcher par un chemin peu fréquenté ces réalités difficilement observables que sont les valeurs. Pierre Bréchon précise que les valeurs sont organisées et que les systèmes ainsi formés possèdent une certaine cohérence. Il ajoute que, dans une société donnée, pendant une époque particulière, certains systèmes tendent à prévaloir sur les autres, sont partagés plus largement et, qu’en général, ils ne changent pas brutalement mais sont travaillés par des processus de glissement et de recomposition qui les font évoluer (Bréchon 2003a : 13-15). De fait, il semble bien que les matériaux que nous avons étudiés témoignent de changements, de mutations, parfois de revirements, en tout cas de nouvelles combinaisons qui ont provisoirement abouti en 2006-2007 à un système de valeurs recomposé servant de cadre de référence à une partie de la jeunesse française pour appréhender la société dans laquelle elle vit, s’en construire des représentations et tâcher d’y trouver sa place.
Une société du scepticisme
3Le rap s’est développé en France à partir des années 1980, dans les années 1990 surtout ; Diam’s est née et a grandi, a construit sa personne publique durant cette période. Il ne serait donc pas étonnant que le rap de Diam’s soit un révélateur des directions vers lesquelles valeurs et représentations ont évolué au tournant du xxe et du xxie siècle. Le rap, nous l’avons entrevu, n’est évidemment pas apparu dans un vide social ; bien au contraire, son épanouissement et son succès sont directement liés à une certaine organisation de la société et aux transformations qu’elle a connues. Or, l’une des tendances dominantes soulignée par les sociologues dans la France des trois dernières décennies du xxe siècle est la montée d’un sentiment d’insatisfaction, associée à la crainte du chômage, qui provoque une peur de l’avenir, tout particulièrement chez les ouvriers et les 18-24 ans (Michelat, Simon 1996 : 176). Beaucoup pensent que la France « recule » et éprouvent de plus en plus de mal à se projeter dans l’avenir (Rivière 2006 : 31). L’extension de la scolarisation des jeunes a plus aggravé cette situation qu’elle ne lui a apporté des solutions parce que le contenu et la forme des enseignements, tels qu’ils sont délivrés par l’Éducation nationale, ne préparent pas de la meilleure manière à l’entrée sur un marché du travail qui se rétrécit. La ségrégation scolaire, un des traits souvent soulignés du système d’enseignement français qui marginalise les enfants d’origine étrangère, ceux des classes défavorisés et, bien entendu, ceux qui cumulent ces deux « handicaps » façonne des citoyens qui se voient en société comme d’abord exclus et relégués (Felouzis 2003 ; Fougère et Sidhoum 2006 ; Lorcerie [dir.] 2003). Au bout du compte : « En France, le modèle d’insertion professionnelle des jeunes fait jouer plus qu’ailleurs le marché du travail comme un filtre qui sélectionne les plus employables et rejette les autres sur le marché secondaire, voire dans des formes d’exclusion durables » (Galland, Lemel 2006 : 22). Les frustrations s’additionnent donc et conduisent à la conviction que, contrairement aux générations précédentes, les jeunes de la fin du xxe siècle et du début du xxie siècle n’ont guère de chance de connaître une situation sociale en amélioration par rapport à celle de leurs parents. Ceci est encore plus vrai dans les « cités », les « banlieues », les « quartiers » stigmatisés, dont les jeunes, notamment les porteurs de capuches, sont assimilés, à l’extérieur, là où on ne les côtoie pas, à des « autres » absolus (Rivière 2006 : 46). Éric Marlière, sous le titre éloquent La France nous a lâchés ! décrit le processus de ghettoïsation qui tend à isoler physiquement, mais aussi dans les représentations dominantes, certaines zones urbaines ou périurbaines, et le sentiment d’injustice, la conviction d’être victime d’un monde cynique et injuste qui en résulte (Marlière 2008).
4Dans ces zones et au-delà, chez les ouvriers et les jeunes notamment, les systèmes d’autopositionnement social, les possibilités d’identification – à un groupe comme la classe ouvrière par exemple – se sont affaiblis, fragilisant considérablement les cadres sociaux dans lesquels les individus vivaient, où ils trouvaient à la fois des repères, des réseaux de solidarité et des organisations de lutte (Dubar 2000). C’est une « idéologie du rejet » qui tend à s’infiltrer partout (Joffrin 2003 : 163-164). Une des conséquences en a été le développement de la désaffection à l’égard des institutions, du manque de confiance à l’endroit de tout ce qui manifeste la puissance publique. Mais ce désenchantement ne signifie pas indifférence : il exprime, dans les couches défavorisées, dans les quartiers stigmatisés, dans une bonne partie de la jeunesse toutes classes confondues, le sentiment d’être délaissé, d’être incompris et abandonné ; il découle d’une exigence d’être entendu, d’être consulté, d’être respecté qui est particulièrement forte chez les jeunes, parmi les personnes de faible niveau scolaire et dans les catégories populaires (Michelat, Simon 1996 : 184-185). La faille existant entre le souhait d’être pris en compte, dignement, et une réalité vécue où il ne peut être réalisé suscite des attitudes protestataires de type nouveau, ne s’investissant plus dans les organisations et les formes traditionnelles de lutte mais dans des mouvements sociaux conjoncturels, focalisés sur des problèmes particuliers, mobilisant des acteurs « flottants et potentiels » grâce à une « capacité symbolique de créer l’émotion » qui recourt à la « puissance de mise en scène » que favorise l’utilisation systématique des médias (Hérault, Lapeyronnie 2006). De la même manière, en dépit des images que forgent certains d’entre eux, les cités ne sont pas un enfer homogène de dégradation et de violence. On y survit, on y vit, on y imagine en permanence : « La société des cités a conservé une inventivité adaptative qui lui permet de produire ses propres règles d’interaction et de convivialité, ses règles de civilité. Bien sûr cette société des cités prend le risque de l’erreur et elle y tombe parfois. Mais elle produit de la fluidité relationnelle, de la civilité ordinaire, de la règle propre, de la valeur de référence. Elle invente. À partir du constat de différences culturelles, générationnelles ou de genre, elle suggère une attitude à la règle dont on perçoit la pertinence en d’autres contextes » (Hatzfeld 2006 : 71). S’il y a désaffiliation (Bacqué, Sintomer 2001 ; Castel 1995) il y a également émergence d’une culture originale qui témoigne de : « […] cette compétence sociale que connaissent bien ceux que l’on a coutume aujourd’hui d’appeler “les jeunes des banlieues” et qui consiste précisément à jouer de sa capacité d’imposer sa propre définition de la situation et à transformer, du moins dans certains contextes où cela est rendu possible, une identité dévalorisante en une présentation de soi qui force le respect des pairs et qui suscite la crainte et la méfiance des autres » (Rinaudo 2003 : 121). Dans le milieu divers et complexe des cités, des stratégies de survie basées sur la débrouille et l’inventivité, peu contraintes par le respect d’institutions et de lois jugées impertinentes permettent le fonctionnement de microsociétés plus en marge que coupées du reste de la France, parce que leurs résidents se déplacent (d’où l’importance symbolique et pratique accordée au RER en région parisienne, aux stations Gare du Nord et Châtelet), qu’ils l’irriguent de musiciens, de danseurs, de sportifs et aussi de jeunes entrepreneurs dynamiques (Bordet 2003 ; Hatzfeld 2006).
5Ces conclusions sont celles de sociologues qui ne se sont pas vraiment penchés sur le rap ; il est d’autant plus intéressant de remarquer que les préoccupations découvertes dans ce genre musical rejoignent très précisément leur constat. Le rap ne peut en aucun cas être considéré comme un nouveau mouvement social mais il a certainement joué un rôle dans la mise en scène émotive de la déréliction ressentie par des jeunes – la galère – et dans l’expression symbolique d’une protestation qui n’est pas constituée de manière à déboucher toujours sur l’action ou sur un engagement durable et organisé. Il a mis en forte lumière les capacités d’adaptation, de survie, les formes de solidarité (le posse par exemple) qui permettent de contrebattre la « désaffiliation », en inventant un nouveau genre musical, porteur d’un discours original où s’ébauche un ordre différent de celui qui rejette un grand nombre de ses porte-voix, et qu’ils rejettent à leur tour.
Des normes « déviantes »
6En ce qui concerne plus spécialement les jeunes, on a diagnostiqué une « fragilité existentielle » dans la génération anti-CPE – la « génération nan nan » de « La Boulette » – caractérisée en grande partie par une déstructuration identitaire et la difficulté à se construire une image positive de soi (Le Goff 2008 : 142-145) ; on a souligné l’autonomisation de la culture des jeunes vis-à-vis de celle des adultes – dans toutes les classes sociales. Ces tendances ont provoqué l’évasement sans cataclysme d’une faille qui engendre de l’indifférence plus que du conflit, qui substitue à la transmission des normes de génération à génération une circulation au sein des mêmes groupes d’âges. Tout cela ne signifie pas que les règles et les valeurs aient disparu, ni même que, en tant que telles, elles soient dépréciées ou rejetées : « Le problème que posent les jeunes en général (ou du moins la majorité d’entre eux et pas simplement les plus “durs”) aux autres habitants n’est pas qu’ils agissent hors les normes, mais selon d’autres normes, qui prennent parfois à tel point le contre-pied des normes dominantes qu’elles sont insupportables et incompréhensibles pour ceux qui respectent ces dernières. Plus que d’anomie, il faut alors parler de normes déviantes et de conflit de normes. Poussée à l’extrême, la norme déviante rend presque impossible une insertion non conflictuelle dans le reste de la société » (Bacqué, Sintomer 2001 : 234). Déviant signifie bien ici qui « dévie » par rapport à une majorité, ou aux caractéristiques que l’idéologie dominante attribue à cette majorité ; l’adjectif ne connote rien de pathologique. La déviance peut, d’une part, permettre de mieux comprendre ce que sont les normes à un moment donné (Geremek 1976), d’autre part être annonciatrice de normes renouvelées si, au fur et à mesure que vieillissent les jeunes d’une époque, ils préservent dans la suivante les innovations dont ils ont été porteurs. Il convient donc d’entrer plus avant dans le détail de ce qui a évolué au cours des trente dernières années.
Individualisme et permissivité
7Il ne fait aucun doute que l’individualisme s’est accru : certains voient dans le « culte du moi-je » (Joffrin 2003 : 163-164) l’aboutissement d’un processus d’individualisation stimulé par les changements technologiques (téléphone portable, Internet, appareils de reproduction musicale à utilisation individuelle) qui a permis aux enfants nés dans les années 1980 et après de jouir d’une grande autonomie dans les espaces domestiques et publics (Cusset 2006 : 26-27). Cet individualisme, toutefois, n’est pas équivalent de repli sur soi et d’isolement, c’est pourquoi, à la suite de la plus récente enquête sur les valeurs des Français (2008), Pierre Bréchon préférait parler d’individualisation plutôt que d’individualisme : « L’individualisation correspond à une culture du choix, chacun affirmant son autonomie, sa capacité d’orienter son action sans être contrôlé et contraint » (Bréchon 2009). L’individualisation recouvre à la fois la volonté d’indépendance de l’individu et le souci des autres, l’intérêt, notamment des jeunes, pour des questions communes, humanitaires ou liées à l’environnement (Muxel 2003 : 8-9) ; elle n’abolit pas mais transforme les modes de sociabilité (Marlière 2008 : 188) aujourd’hui tramés par des attitudes de tolérance, de respect et de permissivité (Galland 2003a : 61-62).
8Dès les années 1980, Annick Percheron avait remarqué que les jeunes d’alors étaient plus libéraux dans le domaine des mœurs et tolérants à l’égard de ce qu’on a nommé l’incivisme quotidien (Percheron 1991 : 31-32). Cette tendance n’a fait que se confirmer. L’acceptation de l’homosexualité, par exemple, est bien plus grande, bien qu’elle ait régressé à la fin des années 1990. Un larcin chez un petit commerçant ou dans un grand magasin, un trajet sans ticket dans les transports en commun ne sont plus guère condamnés (Roché 2006 : 356) ; la fraude fiscale, les pots de vin, les indemnités indues sont moins injustifiables chez les 18-29 ans de la fin du siècle passé que chez leurs aînés (Schweisguth 2001 : 108-109). Dans les quartiers populaires, permissivité et scepticisme entraînent une certaine forme de cynisme : le mensonge et la corruption sont considérés comme des aspects « normaux » d’une société compétitive ; tous les puissants en ont bénéficié et ceux qui en tirent le plus d’avantages, les plus astucieux comme Bernard Tapie, sont dignes d’admiration (Perrineau, Rey 2002 : 32-36). Ici tolérance ne vaut pas absolument approbation mais équivaut à constat : puisque la norme est de se comporter ainsi, autant en profiter lorsque l’occasion s’en présente. Ce « libéralisme » moral semble depuis le début du nouveau millénaire être sensiblement tempéré sans que cela marque véritablement un retour en arrière, sur les positions des anciens : « La baisse de la permissivité dans les jeunes générations […] ne doit donc pas être interprétée comme un simple “retour” à des valeurs traditionnelles un moment répudiées par des générations contestataires. Elle exprime plutôt une nouvelle forme de régulation des relations sociales fondées avant tout sur la préservation et l’entretien des relations entre intimes. Dans cet univers de relations où les règles impersonnelles et abstraites perdent de leur importance, “savoir se conduire avec les autres” devient ainsi une qualité essentielle » (Galland 2003b : 266).
Ordre et autorité
9Les attentes en matière de régulation des relations sociales sont donc importantes, dans les rapports avec les proches mais aussi avec les plus lointains. Le déclin des valeurs traditionnelles et la plus grande permissivité ne conduisent ni à l’anomie ni à des formes d’anarchisme mais à une réappréciation de normes de vie en commun, de l’autorité et de la discipline. Dans la société, la place de l’individu doit être reconnue et préservée mais accordée au respect des autres ; dans cette perspective, l’individualisation est associée à un « humanisme égalitaire » (Schweisguth 2003 : 208) dans lequel toutes les personnes doivent bénéficier des mêmes droits et des mêmes chances, au point que la demande d’égalité se fait plus forte que la demande de liberté (Magni Berton 2009). C’est pourquoi ordre et autorité sont nécessaires, ainsi les enquêtes enregistrent-elles une montée de la demande d’ordre sans aucun recul des valeurs humanistes (Schweisguth 2007 : 397) ; elles indiquent l’émergence de nouvelles combinaisons : « La demande d’autorité que révèlent les résultats de l’enquête Valeurs [2008] traduit une demande d’ordre dans la sphère publique et non une demande de retour à une société d’ordre moral. Elle s’inscrit dans le nouveau cocktail de valeurs qui caractérise les sociétés développées contemporaines : liberté privée et ordre public » (Schweisguth 2009). On note même un renouveau de la confiance dans la police et dans l’armée (Roché 2006 : 356 ; Schweisguth 2001 : 108-109 ; Schweisguth 2009). Cette tendance générale devrait être nuancée selon les lieux d’habitation, les niveaux de revenus et les degrés d’instruction. La multiplication des caillassages de véhicules de police, la haine des « keufs » qui s’étale sur les murs et se voit dans les regards est bien une réalité de certaines cités où domine une vision négative de toutes les institutions ayant vocation à assurer l’ordre (Marlière 2008). La contradiction, néanmoins, n’est peut-être pas si profonde qu’il y semble car, d’une part, l’hostilité manifeste à l’endroit de la police est la conséquence immédiate de certains comportements policiers, vécus d’autant plus douloureusement qu’ils s’insèrent dans un malaise général n’étant plus conçu en termes de lutte des classes (Kokoreff 2008) ; d’autre part, l’animosité contre les policiers relève du constat qu’ils ne jouent pas le rôle qui devrait être le leur. L’ordre qu’ils incarnent et prétendent faire régner est un ordre injuste, reposant sur des valeurs fausses ; le rejet de la police n’est, de ce point de vue, pas un refus de l’ordre ou de l’autorité en tant que tels mais de l’ordre déplorable qu’elle représente, il est par conséquent exigence d’un ordre différent. Faf la Rage le suggérait dans « J’ai honte » en opposant un flic qui rêvait de justice à Henri, policier facho, « le zéro, le beauf’bien comme il faut ».
10L’idée d’un ordre différent est d’ailleurs celle qui traverse le rap de part en part, peut-être moins dans l’apparente objectivité des paroles que dans les symboliques de sa pratique. Le hip-hop repose sur l’ordre et la règle, la danse l’illustre à l’évidence mais le rap le montre aussi. La sélection, l’assemblage, l’organisation des matériaux musicaux exigent une discipline considérable dans le travail en commun ; concepteurs sonores et MCs s’acharnent à mettre en ordre des éléments hétérogènes de manière à faire surgir une organisation inédite qui touche les corps et mette en valeur les textes. L’autorité est consentie, elle est le plus souvent répartie entre plusieurs personnes, faiblement hiérarchique et n’appartient pas à un « chef » ; la discipline n’anéantit ni le jeu ni le plaisir ; le travail obéit à des modalités d’organisation étrangères aux grandes entreprises ou aux administrations. Le monde du rap au travail est réglé et ordonné ; il est une enclave jouissive dans la société contemporaine ; il est peut-être aussi le rêve de ce que pourrait être une autre organisation sociale.
11D’une manière générale, pour une bonne partie de la jeunesse (mais pas sa totalité), la relation à l’autre ne repose donc pas fondamentalement sur l’antagonisme, sauf lorsque cet autre incarne précisément le conservatisme et l’intolérance, d’où l’hostilité à l’encontre de Jean-Marie Le Pen et du Front national, ou de Nicolas Sarkozy et de ses affidés. Les attitudes face au racisme et à la xénophobie sont révélatrices des tiraillements que vivent les jeunes. La tendance dominante est très clairement à leur rejet, et elle se confirme depuis le début du xxie siècle. Le racisme est le troisième sujet de préoccupation des 15-25 ans, après le chômage et l’insécurité ; lutter contre ses méfaits est, dans cette tranche d’âge, la première raison qui pousserait à s’engager politiquement. Pourtant, ici encore, la permissivité a des effets paradoxaux car une petite majorité de ce groupe considère que les comportements de certaines personnes « peuvent parfois justifier que l’on ait à leur égard des réactions racistes » et il semble que, sans parler d’antisémitisme, les plaisanteries visant les Juifs ou le négationnisme ne soient pas perçus avec une gravité particulière. Enfin, il ne faut pas oublier que la proportion des jeunes électeurs qui votent Front national est à peu près identique à celle des autres générations (Corman 2003). Pareillement, les attitudes envers les immigrés sont, dans l’ensemble, moins négatives que celles des autres Français, mais l’intérêt que les jeunes leur portent n’est pas très vif (un peu plus chez ceux qui se réclament de la gauche) (Bréchon 2001 : 74-75). Néanmoins, dans leur ensemble, les 18-25 ans considèrent que l’immigration est une chance pour la France (Corman 2003 : 177-178).
Appartenances et travail
12« Savoir se conduire avec les autres », c’est également adopter certains comportements vis-à-vis de ceux avec qui l’on vit dans la plus grande proximité, les membres de la famille. Ici également, de nouvelles combinaisons de valeurs se font jour. La place de la famille demeure très importante pour les jeunes ; les deux tiers d’entre eux affirment, sans discontinuer de 1980 à 1999, qu’il faut aimer et respecter ses parents ; en contrepartie, les enfants attendent beaucoup d’eux (Galland 2001 : 37-38). La permissivité des mœurs affecte la considération portée au mariage qui ne connaît pas de véritable regain de faveur. En revanche, elle ne s’étend pas à la fidélité ; celle-ci est vue comme un des fondements sur lesquels doit se construire un couple (Herpin 2003 ; Schweisguth 2003). Les fantasmes de « liberté sexuelle » caressés par certains soixante-huitards ont fait long feu et, tout autant voire plus que l’anxiété causée par la pandémie du sida, c’est bien une morale des relations intimes qui sous-tend ce parti pris : dans un couple, ce qui importe le plus est la qualité de la relation, nourrie de compréhension, de tolérance, de respect et concrétisée dans le partage des tâches ; le souci d’homogamie sociale, religieuse ou politique ne pesant plus très lourd (Galland 2001 : 38-39). « Aujourd’hui les individus veulent construire une famille à travers leurs relations et leurs efforts de communication dans un couple égalitaire, accueillant et dialoguant avec des enfants dont il faut aussi respecter la personnalité » (Bréchon 2009). C’est à peu près le modèle de famille proposé par Diam’s dans « Car tu portes mon nom ».
13Par ailleurs, ce qui relevait traditionnellement de la religion fait aussi l’objet d’un réaménagement. La baisse d’influence du catholicisme, et du christianisme en général, ne cesse de s’accentuer depuis les années 1960 ; pourtant elle n’entraîne pas une généralisation de l’athéisme. Le rejet de l’Église romaine pousse plutôt vers des croyances moins institutionnalisées, vers une sorte de religion « à la carte » qui peut abriter le libéralisme des mœurs tout en préservant la croyance en un au-delà (Lambert 2001, 2003), qui donne à des valeurs morales conçues en dehors des dogmes – paix, tolérance, amour, intégrité, liberté – une charge, peut-être une légitimité, religieuse (Donegani 2006). Ces randonnées religieuses, qui choisissent volontiers le hors-piste, pour reprendre les jolies métaphores d’Yves Lambert, sont un des symptômes de ce que Claude Dubar nomme une « crise des identités symboliques » qui place l’individu, et tout particulièrement le jeune, face à un défi particulièrement difficile à relever dans la société française contemporaine : se construire personnellement, ce qui implique trouver les ressources pour ce faire en redéfinissant les liens d’appartenance, les identifications, l’usage pratique qui en est fait et le poids symbolique qui leur est accordé (Dubar 2000). Dans ces conditions, alors que la famille demeure le point d’ancrage le plus solide, à condition que les relations y soient stables et harmonieuses, ce qui est loin d’être toujours le cas dans la réalité des séparations et recompositions, la religion – sauf en ce qui concerne certaines confessions très intégratrices (comme les Églises évangéliques) – n’offre plus beaucoup de ressources, et le rapport au lieu d’habitation est pour le moins ambivalent. Dans les cités particulièrement marginalisées, le sentiment d’appartenance au quartier et aux sous-groupes qui le peuplent a pu remplacer la conscience de classe. Mais ce « nous » auquel peut se rattacher l’individu est à géométrie variable, instable et pas totalement satisfaisant ; d’où l’espoir très répandu que s’en sortir exige d’abord de sortir du ghetto, même si on l’a chéri et défendu (Marlière 2008 : 197-189). En dépit du quartier, des bandes (pris dans un sens général et neutre) et des copains, l’avenir est individuel. Il est conditionné à la reconnaissance du mérite de la personne et l’exigence de justice sociale a précisément pour objet de permettre à l’individu de surmonter les inégalités, les relégations et les stigmatisations. Elle est donc indissociable, nous l’avons déjà entrevu, d’une demande de régulation sociale et économique adressée aux instances qui devraient assurer le bien commun (Galland 2003b : 266 ; Riffaut, Tchernia : 130).
14Dans ces nouveaux dispositifs normatifs, le travail occupe par conséquent une position axiale : il est ce qui manque, ce qui provoque l’anxiété et, par conséquent, ce que l’on désire, ce que l’on valorise. Pour l’ensemble des Français à la fin du xxe siècle, le travail est un des piliers les plus forts de l’estime de soi ; il est une « composante importante du bonheur » (Riffaut, Tchernia 2003 : 109). Cela ne signifie pas pourtant que toute la vie doive être consacrée au travail : ce qui est important est l’épanouissement de la personne ; il ne peut se produire sans le travail mais ne doit pas se réduire au travail. En fait, cette importance accordée au travail repose sur une transformation du rapport à l’emploi conçu comme un temps de la vie où l’individu peut réaliser son potentiel et affirmer « son identité d’être socialisé » (Gonthier, Tchernia 2009). Il en va de même chez les jeunes : l’importance accordée au travail par les 19-26 ans a crû au cours des années 1980-1999 mais avec des variations dans le sens qui lui est donné. Durant la première décennie c’est effectivement le travail facteur de réalisation de soi qui domine, alors que pendant la seconde, c’est surtout le travail condition d’un mode de vie satisfaisant qui est privilégié ; dans l’ensemble, l’idée que, si le travail est important, il n’y a pas que cela dans la vie est plus ancrée chez les jeunes que chez leurs aînés (Galland 2001 : 29-37).
Le paradoxe politique
15La demande de régulation sociale concerne donc, entre autres, le travail ; la puissance publique est perçue comme responsable de l’emploi et des conditions dans lesquelles il s’effectue. Une partie du désenchantement des jeunes vient du fait que les gouvernements qui se sont succédés depuis les années 1980 ont failli à cette obligation. Ce désappointement a évidemment des répercussions sur la manière dont la politique est appréhendée.
Déception
16Les jeunes semblent plus « dépolitisés » que les plus âgés (Bréchon 2003b : 136). « Dépolitisés » n’est peut-être pas le mot le plus approprié, cependant, pour désigner leur attitude vis-à-vis de la politique car les jeunes ont indéniablement des opinions politiques, même si elles sont peu structurées et pas très solides (Bréchon 2001 : 63-66) : ils sont attachés à la protection des acquis sociaux ; ils ont une mauvaise image de l’administration, des syndicats et des partis ; mais leur vision de l’armée et de la police s’est améliorée entre 1981 et 1999, et leur confiance dans le système d’enseignement a augmenté (Bréchon 2003b : 135-139). Ici encore, la contradiction peut probablement s’interpréter comme conséquence d’une déception focalisée sur les institutions, le personnel politique et les partis qui ne proposent aucun projet susceptible de répondre aux souhaits ou aux ambitions des jeunes (Muxel 2003 : 13). Dans les quartiers dits populaires, les questions de « grande » politique sont évidemment moins cruciales que les problèmes de vie quotidienne, parmi lesquels le travail revient comme un leitmotiv. De ce fait, le monde politique paraît lointain, détaché de la vie concrète ; les élus sont inaccessibles, ils ne sont pas à l’écoute des besoins des citoyens et cela semble être dans leur nature même (Perrineau, Rey 2002 : 29-35). La barrière qui s’est élevée entre les élus et les jeunes des cités enserre une vision cynique de la vie démocratique (Marlière 2008 : 85, 95, 101) dominée par la croyance que tout est régi par un « système » essentiellement inégalitaire et injuste, moins analysé avec les catégories classiques de l’exploitation et de la domination que conçu comme un « eux » hostiles aux « nous », cette opposition basique renvoyant parfois à une théorie du complot (dont nous avons trouvé des traces dans le rap), ourdi par les États-Unis, les francs-maçons, les sionistes, voire des sectes telles que les « illuminati » (Marlière 2008 : 145-152).
17Dans cette conception du politique, déçue, cynique et passablement incohérente, Jean-Marie Le Pen et le Front national émergent comme une des rares bornes clairement repérées par les jeunes : « Socialisés dans une période politique marquée par le brouillage des repères idéologiques et des enjeux programmatiques des principales forces politiques de ce pays, Le Pen et son parti ont fonctionné comme les seules balises politiques à partir desquelles ils pouvaient se situer » (Muxel 2002 : 521). Ils sont pour beaucoup l’ennemi, sans pour autant qu’il y ait une véritable unanimité à cet égard, puisqu’en 2002, le vote Front national a oscillé entre 29 % (1er tour de la présidentielle) et 22 % (2d tour) des 18-30 ans ayant un niveau d’instruction inférieur au bac. Mais ce vote avait moins valeur d’approbation que de condamnation du reste de l’offre politique et pouvait donc, encore, être compris comme l’expression d’un dépit (Muxel 2002 : 542-543).
Attentes
18Malgré ces multiples marques de défiance, les attentes demeurent fortes à l’égard du monde politique, la différence entre gauche et droite est encore perçue par un grand nombre de jeunes (Bréchon 2001 : 70-72) et, au niveau local, on peut assister à une réinvention du jeu politique dans lequel entrent des associations, des bailleurs sociaux, des élus, vus davantage en tant qu’individus que représentants de forces politiques, jeu dans lequel transparaît encore une foi « assez sincère et naïve » dans les principes démocratiques (Hatzfeld 2006 : 81-84). Le paradoxe de la politique saisie par les jeunes est donc tramé par le désenchantement, l’adhésion aux principes démocratiques et aux valeurs républicaines, et la puissance des attentes à l’égard des responsables. Dès les années 1980, ce paradoxe se traduisait par un fort attachement au droit de vote mais une abstention sensiblement plus élevée que dans le reste de l’électorat (Percheron 1991 : 37-39). En 2000, dans les quartiers populaires, le vote est toujours valorisé mais sans qu’il soit régulièrement pratiqué, les variables importantes en ce domaine étant, d’un côté, le niveau d’études, de l’autre, l’intensité de la socialisation politique familiale (Perrineau, Rey 2002 : 39). Chez les Français en général, on a noté un développement de l’abstention intermittente, le passage d’un vote « par principe » (voter est un devoir citoyen) à un vote « sous condition » (dépendant des enjeux du moment) ; dans ce cadre, deux types de comportements se sont répandus chez les jeunes : l’abstention chez les moins politisés, la protestation qui peut se manifester dans les urnes (avec des choix aux extrêmes, sans continuité) ou dans l’action non électorale, ou dans les deux (Bréchon 2003b : 144-145 ; Muxel 2001 : 420-421 ; Muxel 2003 : 14-15). Les jeunes sont donc loin d’être dépolitisés ; ils adhèrent plutôt à des visions non conventionnelles de la vie politique et de la manière d’agir en politique. Leurs actions prennent des formes diverses et variées selon qu’elles se déroulent au niveau local ou dans un cadre national, selon les enjeux perçus et les conjonctures ; elles vont de l’abstention à la manifestation, en passant par le vote, mais s’inscrivent dans une conception protestataire qui découle du dépit, du sentiment de délaissement causé par les élus et de l’incapacité des partis classiques à offrir des projets de société séduisants (Bréchon 2001 : 68 ; Muxel 2003 : 13).
19Il convient toutefois de nuancer ce constat général en fonction des situations scolaires et professionnelles des individus : les étudiants sont politiquement plus conscients que les jeunes actifs, ils sont davantage disposés à participer à des manifestations et plus hostiles au Front national et à ses idées. Le niveau de défiance est équivalent dans ces deux groupes mais ne s’exprime pas de la même manière (Muxel 2007a : 4). En ce qui concerne plus spécifiquement les jeunes des quartiers populaires, à la défiance s’ajoutent des revendications très claires : plus d’équité de la part de la justice et de la police ; moins de discriminations scolaires et professionnelles ; des mécanismes équitables de redistribution par le fisc et les allocations ; des représentants droits, honnêtes, proches des citoyens, capables de formuler des projets et d’y rester fidèles (Perrineau, Rey 2002 : 44). Le rap, devenu transclassiste, a pris en charge ces attitudes, dans leur diversité et leurs contradictions, et l’implication d’un certain nombre de rappeuses et de rappeurs dans les campagnes d’invitation à l’inscription sur les listes électorales harmonisa sans équivoque la foi dans la vertu de la démocratie avec la défiance et la protestation contre ceux qui symbolisent le mieux, aux yeux de la majorité des jeunes, l’injustice, le manque d’honnêteté et l’absence de respect à l’égard des autres ou des jeunes, Jean-Marie Le Pen et Nicolas Sarkozy. Ce faisant, le rap et ses hérauts ne se montrent pas comme représentatifs de toute la jeunesse, ni même des jeunes des milieux les plus défavorisés et les moins instruits, mais comme l’expression d’une large fraction des moins de 30 ans qui rassemble des élèves, des étudiants, des chômeurs et des actifs moins affectés que beaucoup par le dépit ou la tentation de l’extrême droite, bref une « élite » (Deseuf 1994) de banlieue ou de centre-ville.
20Pour ces jeunes, on l’a signalé, droite et gauche font encore sens mais davantage parce qu’elles se différencieraient sur les questions de valeurs et de culture que parce qu’elles représenteraient, comme naguère, des modèles économiques différents. Pour la grande majorité des jeunes, l’économie de marché est une réalité installée que la décision politique ne peut plus modifier (Michelat, Tiberj 2007 : 383). Une majorité des 18-21 ans pense que les entreprises doivent jouir de davantage de liberté mais c’est encore l’État qui devrait y veiller (Muxel 2007a : 6). L’efficacité de la concurrence n’est pas un dogme véritablement admis (Bréchon 2003b : 143) et l’emploi – que doivent fournir les entreprises mais que le gouvernement a pour obligation de stimuler – demeure le sujet d’inquiétude le plus fort, devant les inégalités sociales (Muxel 2007a : 5). L’univers économique des jeunes, comme de l’ensemble des Français, doit abriter le libéralisme et la régulation étatique, l’un ou l’autre étant préconisé selon les situations, de manière à ce que puisse fleurir et être récompensé le mérite individuel. De ce point de vue, l’État doit soutenir l’individu dans son ambition d’accomplissement, il ne doit pas assister ceux qui demeurent passifs (Schweisguth 2007 : 401-404). Le rap français transpose en musique ce mélange de genres autrefois antithétiques : aidé au départ par les politiques de la ville, il a très vite mis en valeur des dynamiques d’ambition personnelle, des systèmes de repérage et de certification des talents qui ne reniaient pas les solidarités ; il a appris à fonctionner avec les grandes entreprises de la production et de la diffusion phonographiques tout en y promouvant un idéal d’individualisme intègre.
Camaïeus et cocktails
21D’un côté grande tolérance dans le domaine des mœurs, notamment sexuelles, individualisme, humanisme à vocation universaliste, ambition qui se matérialise dans un désir de consommation ciblant en particulier ce qui singularise (vêtement, automobile, matériel audiovisuel et de télécommunication portable), acceptation comme « naturelle » de l’économie de marché ; de l’autre, transformation des formes de sociabilité, nouvelles conceptions des relations sociales où doit intervenir la régulation, place centrale de la famille dans la vie, importance de la fidélité dans les relations conjugales, valorisation du travail, demande d’ordre et d’autorité adressée notamment à l’État (en particulier pour ce qui est de la sécurité et de l’emploi) ; et puis, fluctuation des sentiments d’appartenance, ambivalences à l’égard des groupes et des lieux d’origine, incertitudes quant aux identifications possibles et potentiellement valorisantes, désenchantement politique et revendications « républicaines » adressées à l’État : la génération du rap, celle qui est venue au monde à partir des années 1980, paraît pétrie de contradictions. À moins que ces contradictions semblent telles uniquement parce qu’elles sont mesurées à l’aune de normes et de valeurs qui étaient clairement dichotomisées et opposées dans le passé, aux temps des générations précédentes. Les sociologues ont évoqué, s’agissant des moins de 30 ans, des « normes déviantes », marquées par des variations ; ne seraiton pas finalement en présence d’un moment où glissent et se recomposent les valeurs ? (Bréchon 2003a). Où ce ne sont pas tellement de nouvelles valeurs qui émergent que de nouveaux assemblages, de nouveaux panachés : des « camaïeus » (Bréchon 2009) et des « cocktails » (Schweisguth 2009) ? Dans cette perspective, les contradictions repérées marqueraient davantage l’apparition de mixtes originaux effaçant les oppositions antécédentes pour proposer une nouvelle vision de la société, une utopie qui se heurte encore aux hiérarchies, aux systèmes de pouvoir, aux mécanismes de domination installés depuis plusieurs décennies. Cette utopie n’est pas hors politique (puisqu’elle implique de la régulation publique et de l’État, y compris dans l’action internationale) mais elle ne trouve dans le politique tel qu’il fonctionne aujourd’hui ni canal d’expression, ni raison de se mobiliser, sinon de manière défensive et protestataire. Même les nouveaux mouvements contestataires en lesquels certains, une minorité toutefois, se reconnaissent ne se sont pas montrés capables de prendre en charge ce rêve d’une autre société : au caractère sporadique et éphémère du rassemblement des jeunes énergies sur des objectifs politiques correspond en effet la difficulté de ces mouvements à inscrire leurs actions dans la durée et à démontrer qu’ils peuvent véritablement peser sur les décisions gouvernementales, à défaut de prouver, comme le dit l’un d’entre eux, Attac, qu’« un autre monde est possible… » (Sommier 2003).
Les combinaisons de Diam’s
22Le rap ne peut évidemment être considéré comme un mouvement social. Il est, constate Manuel Boucher, « désarticulé » et « erratique » (Boucher 1998 : 424), incapable d’impulser une action collective (Mucchielli 2003 : 351-352), son plus grand succès, en ce domaine, demeurant d’avoir contribué à l’inscription de nouveaux électeurs en vue de la présidentielle 2007. En revanche, il a mis en sons et en mots les préoccupations, les angoisses, les désirs, les demandes d’un ample segment de cette génération, même si tous ses membres n’en sont pas des auditeurs acharnés. C’est bien ceci qui ressort de l’effort de repérage des valeurs dans le rap et chez Diam’s mené au cours des chapitres précédents : le rap de France, tel que consigné dans un mythe d’origine encore largement répandu, a été bâti sur un socle de valeurs dont la paternité est attribuée à Afrika Bambaataa et dont l’arrangement a été affiné et raffiné au fil des ans.
23Les arrangements et réarrangements de valeurs que l’on peut saisir dans le rap correspondent pour l’essentiel à ceux que les sociologues ont décelés dans la société française, et tout spécialement chez les moins de 30 ans. Autour de l’idée de respect, comme dû à chaque personne et obligation de chacune, ont été placés : la tolérance (donc l’antiracisme et une certaine forme de permissivité), la solidarité, la sincérité (l’intégrité, l’authenticité) mais aussi le travail (avec son corollaire de nécessité de l’instruction), l’ambition individuelle accompagnée d’espoirs de réussite et de reconnaissance (matérialisées dans la consommation). Ces valeurs sous-tendent des transformations des formes de sociabilité (dont témoigne le rap), au centre desquelles la famille, cimentée par la fidélité, joue un rôle insigne, dans une conception qui semble classique. Ces valeurs nourrissent également la demande de nouvelles régulations des relations sociales, dans les sphères privées et publiques, soit finalement l’espoir d’un nouvel ordre, dont on a vu que le rap le représentait symboliquement. Dans le rap, cette organisation des valeurs n’élimine pas les tensions, du fait de la confrontation permanente des valeurs, comme idéal, à la réalité sociale du nouveau millénaire : tensions entre l’individu et le groupe, dans les attitudes face au « système » au sein duquel il faut fonctionner même si on le récuse. Il en découle un pessimisme social directement énoncé ou sous-jacent dans la difficulté (même chez les rappeuses) à donner une place « convenable » à la femme, donc à la situer dans des relations sentimentales heureuses. Pessimisme social que n’apaisent pas les appels à la révolte ou à la rébellion, dans la mesure où le rap ne peut leur donner véritable effet ; c’est le constat désolé que dressent Kool Shen et JoeyStarr au moment de faire renaître NTM de ses cendres ; pour le premier : « Même si, encore plus que Chirac, Sarko représente ce qu’on déteste, on ne revient pas pour commenter le climat social, ni pour donner une leçon à la scène hip-hop. » Et le second de préciser : « On revient pour nous. De toute façon, nos chansons n’ont rien changé à la situation à l’époque, pourquoi elles le feraient aujourd’hui ? » (cités dans : Davet 2008b). Et ce pessimisme social trouve toute sa place dans la société du scepticisme qu’abrite la France des années 2000.
24De cet héritage du rap, Diam’s a conservé le modèle de la combinaison : des sons, des mots et des valeurs. Elle officialise, en quelque sorte, le fait que les auditeurs du rap ne sont pas seulement des enfants des quartiers défavorisés, mais aussi des banlieues pavillonnaires et, implicitement, des centres villes. Non seulement parce qu’elle rappe pour les « tess » aussi bien que pour les « pav’ », mais parce que, tout en insistant sur son indiscutable formation rap, elle assume totalement son infléchissement mélodique et qu’elle confère à certains morceaux qu’elle interprète une dimension sentimentale intime ignorée de la plupart de ses consœurs et confrères. Ce faisant, elle instaure une relation complexe avec son public : il s’agit bien d’un rapport collectif établi en concert avec l’ensemble des présents mais il est tissé de liens individuels avec chacun des auditeurs, du concert ou des enregistrements. Diam’s n’innove pas en ce domaine, les grandes vedettes (surtout les femmes mais aussi certains hommes) de la chanson ou du jazz possèdent ce talent de faire croire à chaque personne qui les écoute qu’elles ne s’adressent qu’à elle, en particulier. Mais Diam’s a déployé ce savoir-faire dans l’idiome du rap, et s’est ainsi mise en position de jouer un rôle de modèle que ses fans lui reconnaissent volontiers, et de distribuer des conseils appuyés sur les valeurs qu’elle défend : importance de la famille et de la fidélité ; anti-racisme ; valorisation d’un travail joyeusement organisé ; individualisme intègre ; engagement citoyen. Diam’s tente de surmonter le pessimisme qui imprègne le rap, elle le transcende en partant de ses anxiétés personnelles – éprouvées dans l’adolescence ou encore aujourd’hui face à son devenir de star – pour mettre en avant ses succès, qui peuvent être ceux de toutes les « boulettes », les « petites meufs » et de leurs « mecs mortels », si elles parviennent à les découvrir…
25En fin de compte, Diam’s a su intégrer à son héritage rap des innovations qui n’appartiennent qu’à elle. L’élargissement du rap auquel elle est parvenue lui a permis de mettre de manière très audible sur la place publique (les scènes, les ondes et les lieux d’écoute intimes d’où sourdent des conversations et des liens d’affinité) les glissements et recompositions de valeurs qui travaillent une bonne partie de la jeunesse française, glissements et recompositions que le rap avait, avant elle, commencé de faire entendre mais pas de manière aussi claire et en peinant à les détacher d’une mélancolie imparfaitement compensée par la formulation farouche d’un sentiment de révolte. Son succès en 2006 est probablement dû à cet ensemble de facteurs : un talent reconnu – certifié – dans le rap, un soin particulier apporté par son équipe et elle-même à la confection de combinaisons musicales attirantes, l’approfondissement de la dimension mélodique de ce langage et son application à des thématiques sentimentales, le tout pris en charge par les « dispositifs » de l’industrie du divertissement. Ce sont sans doute ces caractéristiques qui la distinguent de rappeuses – pour en rester aux seules femmes – telles que Princess Aniès, Sté Strausz, Lady Laistee, Bams ou Kenny Arkana, en lui permettant de proposer une bien plus grande diversité de modes expressifs. Et, surtout, en faisant de ces modes expressifs variés les véhicules de valeurs en mouvement et en recomposition.
Hors de la « bulle » : l’élection présidentielle de 2007
26La consécration de Diam’s est venue avec Dans ma bulle, un album très soigneusement élaboré et stylistiquement varié, publié en 2006, alors que commençait de se préparer activement l’élection présidentielle de 2007. Diam’s, comme d’autres vedettes du rap marquées par l’arrivée au second tour de Jean-Marie Le Pen – la « balise politique » de leur génération – en 2002 s’est engagée dans une campagne pour l’inscription des jeunes sur les listes électorales. Celle-ci semble avoir eu des effets non négligeables dans certaines localités, notamment en Seine-Saint-Denis (Binet 2007) et, pour cette raison ou pour d’autres, les 18-24 ans se sont montrés moins abstentionnistes que lors de la présidentielle précédente, bien que le scrutin ait mobilisé davantage la génération des 25-34 ans (Muxel 2007b : 321). Dans ces classes d’âge, Ségolène Royal – dont le langage avait d’abord séduit Diam’s avant qu’elle n’adopte pendant la campagne une position discrète puis de reconnaître, après, qu’elle avait voté pour la candidate socialiste256 – recueillit 63 % des suffrages exprimés chez les moins de 25 ans, dont 69 % chez les jeunes femmes ; 76 % chez les électeurs ayant une origine africaine ; 51 % de ceux qui déclarent s’en sortir difficilement257 (Jaffré 2007), soit dans des catégories où se recrutent les amateurs de rap. Constater qu’une partie de ceux qui étaient susceptibles d’être sensibles aux appels de certains rappeurs – et pas d’autres, comme Doc Gyneco qui prit ouvertement position pour Nicolas Sarkozy (Mortaigne 2008) – sont allés s’inscrire et sont allés voter, souvent pour Ségolène Royal, n’est pourtant pas véritablement surprenant.
27Ce qui est frappant, en revanche, est que les glissements et recompositions de valeurs mis en musique par Diam’s dans ses enregistrements et ses tournées se sont retrouvés dans la campagne électorale, au point parfois de constituer certains des enjeux sur lesquels elle s’est jouée. Cela ne signifie évidemment pas que Diam’s les y a introduit. Il y a eu conjonction, dans ce phénomène, des préoccupations des Français, notamment des jeunes, et des thèmes autour desquels les candidats, et leurs conseillers – qui n’ignorent pas la littérature sociologique et politologique analysant ces préoccupations – ont choisi d’organiser leur propagande. En premier lieu, il convient de remarquer que l’électorat du début des années 2000 est sensiblement moins stable en termes de soutiens partisans que celui des décennies précédentes ; la crise de la représentation s’est traduite par une progression de ceux qui ne se reconnaissent ni dans la droite, ni dans la gauche. Or ceux-ci, qu’on a baptisé les « ninistes », qui sont tendanciellement plus nombreux dans les jeunes générations et que François Bayrou, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy s’attelèrent tout particulièrement à courtiser, se caractérisent par des mélanges de valeurs prises aussi bien à la gauche qu’à la droite traditionnelles (Michelat, Tiberj 2007 : 374-377). Une des stratégies déployées par Nicolas Sarkozy a consisté à borner très rapidement le terrain des débats avec les questions de délinquance, d’immigration et d’« intégration » nationale, contraignant les autres candidats à l’y rejoindre et à y apparaître en flou dans la mesure où il avait également feint d’adopter des approches « de gauche ». De ce fait, il est parvenu à brouiller les cartes et à obtenir une sorte de « crispation » sur ses positions d’un électorat qui tendait, les enquêtes des années précédentes le montraient comme les thématiques du rap, à devenir plus tolérant (Tiberj 2008 : 34-38). En outre, Nicolas Sarkozy, à qui Ségolène Royal emboîta le pas, enroba ses orientations politiques et économiques dans un « pathos peu commun de la souffrance et de l’amour » (Le Goff 2008 : 28) qui évoque étrangement l’un des apports de Diam’s au rap. D’un côté la « France qui souffre », la « France qui se lève tôt », non celle dont la force de travail est exploitée ou dont les retraites permettent à peine de vivre, est devenue l’objet des promesses électorales ; de l’autre, les deux principaux candidats « […] ont fait valoir leur individualité particulière, leurs goûts et leurs sentiments personnels comme partie intégrante de leur combat pour accéder à la fonction présidentielle ; l’implication privée dans leur vie politique a été portée à son plus haut point » (Le Goff 2008 : 28-29). Cette manière d’exhibitionnisme politique n’est pas sans rappeler, non plus, la façon dont Diam’s met en scène son histoire et ses difficultés affectives dans ses enregistrements et ses concerts. Enfin, plus que des projets, plus que des ensembles cohérents de politiques à mettre en œuvre, ce sont des valeurs qui ont occupé le centre de la scène électorale : l’importance du travail, du mérite, de la discipline, de la diversité, de l’ordre, tous ces thèmes que le rap a abondamment traités – même si le contenu qui leur était donné pouvait être différent – ont jalonné les discours de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy. Seule l’exaltation nationaliste, la magnification du drapeau tricolore et de La Marseillaise ont fait exception à ces convergences d’ensemble (Le Goff 2008 : 56-60).
Le rap comme « révélateur social »
28Le rapport complexe entre rap, société et politique qui émerge de cette analyse incite à revenir sur les significations sociales généralement attribuées au rap, ou à certains genres de musique populaire en général. Ce qui ressort des pages précédentes est bien que le rap ne saurait être interprété comme une expression univoque de la révolte, du mécontentement ou de la rébellion. En France, au moins, le rap n’apparaît pas comme « authentiquement subversif » (George 2007 : 93), ni la culture hip-hop comme « résistante avant tout » (Whiteley, Bennett, Hawkins 2004 : 8, 15). Ni l’un, ni l’autre ne participent d’une contre-culture ; au contraire, ils sont partie intégrante de la société telle qu’elle existe et telle qu’elle évolue, ils fournissent des outils pour la décoder, s’y situer et, éventuellement, y agir. C’est leur rapport aux mutations sociales et à leurs temporalités qui en fait la spécificité. Les valeurs que Brian George, dans son étude du rap en France, croit être « en tension », les attitudes qu’il voit comme « contradictoires » (George 2007 : 100-101) n’apparaissent telles que si elles sont pensées sur la base de dichotomisations qui sont devenues obsolètes. Car ces anciennes tensions et contradictions – les différentes vagues de l’enquête Valeurs le montrent – se sont fondues en de nouvelles combinaisons. Il semble donc plus fécond, d’un point de vue heuristique, de traiter le rap en général, et Dans ma bulle en particulier, comme un de ces « révélateurs sociaux » permettant d’appréhender les processus de mutation qui taraudent les sociétés avant de devenir manifestes, révélateurs capables de « […] détecter les courants du changement sous les eaux mortes de la continuité » (Balandier 1971 : 86).
29La musique populaire est probablement au nombre des plus fertiles de ces révélateurs sociaux. Ne cessant de se transformer, généreuse en innovations, adoptant et modifiant inlassablement les techniques et les équipements qui produisent, reproduisent et transmettent les sons, elle entretient des relations privilégiées avec le changement social, y compris le glissement des valeurs, et peut le répercuter avec ses moyens propres. Rap et musiques populaires peuvent même participer au changement social : par suite de leur capacité à mettre en forme esthétique et sensible des idées, des représentations et des valeurs qui sont au cœur des processus de mutation, ils contribuent à les diffuser et à élargir leur influence, donc probablement leur impact. Les chansons populaires et le rap consistent en un assemblage complexe de sons – eux-mêmes formés par l’interaction de divers paramètres – et de mots, qui sont, sur scène ou dans les clips vidéos, incarnés en des langages du corps démultipliant leur potentiel communicatif. La conjonction dans l’émission immédiate d’une telle multiplicité de moyens expressifs, dont certains sont non verbaux, permet à la musique populaire de prendre en charge mieux que la plupart des autres arts les ambivalences et les contradictions (Bohlman 1997 : 72). C’est une des raisons pour lesquelles la musique populaire et le rap peuvent faire sentir des processus de mutations sociales qui ne sont pas encore aboutis, qui sont traversés d’hésitations, d’indécisions et d’incertitudes à propos de la morale, de l’ordre social et de la forme que pourrait prendre une société rêvée dans le flou et l’approximatif (Martin 2006). Le rap de France a joué ce rôle de révélateur social dans la mesure où il n’a pas projeté une vision homogène de la société, où il n’a pas proposé un ensemble figé de normes éthiques mais une large palette de projets et de valeurs tramés d’ambivalences et de contradictions. La diversité des « messages », ou des significations sociales du rap français, s’est ainsi trouvée apte à relayer des combinaisons en voie de se faire, dans le temps où les valeurs qui s’y trouvaient associées et remodelées étaient encore le plus souvent considérées comme antithétiques et irréconciliables, rattachées de manière exclusive à la droite ou à la gauche.
30 Dans ma bulle éclate précisément au moment où certains de ces processus profonds, ceux qui affectent les valeurs, commencent à affleurer ; cet album, à la suite d’une vingtaine d’années de rap français, indique à sa manière quelles sont les combinaisons originales qui font de plus en plus évidemment sens pour ceux qui sont nés après 1980 ; il contribue à les diffuser ouvertement et prélude à leur entrée décisive dans l’arène politique de 2007. De ce point de vue, il peut être considéré comme un « objet politique non identifié » (OPNI), un de ces phénomènes peu examinés par la politologie, généralement considérés comme n’ayant aucune portée politique directe, mais qui manifestent, diffusent et modèlent les représentations du politique (Martin [dir.] : 2002). Ces OPNI sont en général caractérisés par leur capacité à exprimer l’ambiguïté, l’ambivalence et la contradiction ; ils sont donc particulièrement capables de transmettre des mutations de valeurs, dans le temps même où elles s’opèrent, en accueillant des mélanges en cours d’élaboration. S’agissant du rap, son rapport à l’ambiguïté et à la contradiction est capital. Car, il faut y insister pour finir, l’inscription de ce genre musical dans un cadre théorique défini à l’aide des concepts de mutations, de révélateurs sociaux et d’OPNI aboutit à nuancer ses interprétations trop simplistes en termes de musique de révolte, de rébellion, de résistance, de « fureur de dire », de contreculture, de voix des « cités », voire d’« expression des lascars »,… sinon à les démentir complètement.
31Diam’s n’est pas une aberration dans le monde du rap : adoubée par nombre de ses prédécesseurs, elle en est un des aboutissements. Depuis « sa bulle », elle a synthétisé des regards extrêmement divers portés sur la société française par des artistes – pairs en rap ou « grands anciens » – qui, comme beaucoup de créateurs, se sont distingués grâce à leur talent pour mettre en formes esthétiques les interrogations d’une époque. Elle s’est adressée à un public plus vaste que le petit monde des inconditionnels du rap, est parvenue à le toucher et au-delà, même chez ceux qui ne l’apprécient guère (comme l’indiquent les réactions à l’entretien qu’elle donna à Libération258), a contribué à mettre en débat public des visions sociales reposant sur de nouveaux cocktails de valeurs. C’est pour cette raison que Dans ma bulle, record des ventes de disques en 2006 mais n’ayant touché malgré cela qu’un petit nombre d’acheteurs, rappelons-le, demeurera, quels que soient le plaisir ou le déplaisir qu’on éprouve à l’entendre, comme un document significatif sur la France du xxie siècle commençant.
Notes de bas de page
256 Ségolène Royal avait bénéficié de soutiens moins ambigus de la part de Disiz la Peste, de Kery James, de Grand Corps Malade et d’Akhenaton (Binet 2007 ; Lafargue de Grangeneuve 2007).
257 Mais seulement 47 % de ceux qui disent s’en sortir très difficilement, alors que Nicolas Sarkozy les attirait en majorité, comme il le faisait des électeurs ayant arrêté leurs études avant l’âge de 20 ans ; explication, parmi d’autres, de la défaite de Ségolène Royal qui s’est montrée incapable de reconquérir électoralement les couches populaires (Jaffré 2007).
258 http://www.liberation.fr/actualite/politiques/elections2007/246190.FR.php (consulté le 30 avril 2008).
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