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Quand le rap sort de sa bulle

 | 
Denis-Constant Martin

Chapitre IV. Diam’s en route vers sa « bulle »

Texte intégral

1L’itinéraire de Diam’s est multiple. Il l’a conduit de Chypre à la France, du presque anonymat de petites scènes situées dans les banlieues sud de la région parisienne à la gloire des tournées nationales et internationales, d’une adolescence difficile à un rôle de jeune femme modèle. Diam’s est donc devenue, comme quelques autres rappeurs mais aucune rappeuse en France, une personne publique qui ne se contente pas de faire le métier d’artiste mais intervient fréquemment sur des sujets divers, qui parle et dont on parle en de nombreuses occasions. Pour comprendre sa trajectoire, et pouvoir en analyser l’aboutissement provisoire qu’a représenté le succès de Dans ma bulle, il convient donc, non seulement, de retracer brièvement sa biographie mais surtout de tenter de saisir comment le personnage qu’elle incarne en public – celui qui est l’objet de jugements pour ses performances sur scène ou en enregistrement, comme pour ses comportements et ses prises de parole « à la ville » – a été construit, par elle-même et par d’autres.

Vingt-six ans d’une Diam’s

  • 79 Voir, entre autres : Wikipédia ; http://diams.mes-biographies.com/biographie-Diam’s.html ; http:// (...)
  • 80 DJ Dimé, Les 10 ans d’une Diam’s, Quilz Recordz, 2005.
  • 81 Groupe dont les membres, aux origines très variées habitaient le XIIIe arrondissement de Paris (d’ (...)
  • 82 « […] Tu veux m’condamner faut-il d’abord user d’mon arme qui est la liberté d’expression […] mon (...)
  • 83 « J’avais 14 ans et je n’assumais pas mon prénom, trop mignon pour un MC : Mélanie. J’ai cherché q (...)
  • 84 Le cas possessif anglais rattache ce qui est possédé (laissé ici ouvert, comme en forme de désir) (...)

2La biographie de Diam’s, pseudonyme de Mélanie Georgiades, est suffisamment connue79 pour qu’il ne soit pas nécessaire d’y revenir en détail. Elle voit le jour le 27 juillet 1980 à Nicosie (Chypre). Son père, chypriote, quitte rapidement sa mère, française. Celle-ci va donc élever seule sa fille. Toutes deux s’installent en France en 1984. Diam’s passe son enfance et son adolescence dans l’Essonne (Orsay, Brunoy, Massy, Les Ulis) ; habitant en zone pavillonnaire, elle n’en rencontre pas moins des amis qui vivent dans des immeubles de cités voisines. Avec eux, elle écoute du rap et découvre des Américains comme Dr Dre, Public Enemy. Toutefois, d’après ce qu’elle dira plus tard, ce sont surtout les Français de NTM (et aussi d’IAM) qui la marquent alors. Très jeune, elle se met à rapper. Dans l’anthologie rassemblée par son complice habituel, DJ Dimé, Les 10 ans d’une Diam’s80, on peut entendre une bande qu’elle grava dans sa chambre en 1995. Elle écoute alors, entre autres, la radio 88.2 qui offre aux amateurs la possibilité de faire un freestyle par téléphone. Mélanie Georgiades appelle, l’animateur lui propose de passer la semaine suivante au studio. C’est alors qu’elle rencontre des membres de la Mafia Trece81 qui l’inviteront à participer à leur prochain enregistrement : Cosa Nostra, (M13 Records, 1997). Dans « Rencontre du XIIIe type », elle y dénonce les expulsions mais aussi les filles qui friment ; toutefois, c’est dans « Je plaide pour la rue » qu’elle fait entendre une voix singulière revendiquant ardemment sa liberté d’expression82. À partir de ce moment, elle décide de se rebaptiser Diam’s, choisissant un pseudonyme qui associe subtilement les idées de luxe, de brillant, à celles de pureté et de dureté83 en suggérant la propriété, l’identité personnelle unique84. Dès lors, elle multiplie les apparitions : en featurings, en concerts, en festivals. Elle figure sur plusieurs compilations, notamment De Paris à New York, la rencontre (Chrysalis France, 1998), Sachons dire non (Nocturne, 1998) et L’Hip-hoppée (Blackdoor Records, 2000) à l’occasion de laquelle elle donne sa version d’une chanson de Francis Cabrel « Saïd et Mohamed » ; elle multiplie les featurings, avec Kery James, Sinik, Driver, Disiz la Peste, Kennedy… tant et si bien qu’elle « […] va battre le record des featurings et des participations aux compilations, cet ordinaire des rappeurs qui cherchent à se faire une place. Elle est partout, dans un milieu essentiellement masculin, noir, et issu des cités, elle qui est fille, blanche et élevée dans un pavillon » (Perrin 2006 : 143).

  • 85 Originaire de Sevran (93), Black Mozart se produit d’abord comme DJ puis suit une formation d’ingé (...)
  • 86 Réédité en 2006 par Capitol Music/EMI.
  • 87 Plus tard, elle reprendra des cours d’orthographe et de grammaire pour répondre « correctement » a (...)
  • 88 Après que la rappeuse a déclaré « J’sais que j’suis pas une bombe latine/ni une blonde platine », (...)

3Diam’s se lie avec Black Mozart, compositeur rap, concepteur musical et producteur85. Ensemble, ils mettent au point Premier mandat (Reel Up, 199986). On y entend des invités américains (DV alias Khrist et Heather B, la rappeuse étatsunienne qui, sans doute, correspond le mieux à la Diam’s d’alors) et français (Mr R., Driver et Vibe). Mais cet album initial est un échec commercial et ne se vend guère qu’à 8 000 exemplaires. Diam’s décide pourtant d’abandonner ses études en fin de première pour concentrer toute son énergie sur le rap87. En 2001, le morceau « Suzy », un clash vigoureusement simulé dans lequel elle revendique son intégrité de rappeuse, placé sur la compilation Original Bombattack (M 10), attire davantage l’attention et enregistre un nombre important de téléchargements sur la toile. C’est sans doute alors que sa réputation sort du cercle étroit des amateurs exclusifs de rap pour toucher un public plus large. En 2002, la firme phonographique EMI lui fait signer un contrat ; elle enregistre des titres qui ne seront pas édités mais parvient finalement à publier sur le label Hostile (filiale de EMI) son deuxième album, Brut de femme, en 2003. Cette fois l’accueil est favorable : il s’en vend 250 000 exemplaires ; Diam’s emporte son premier disque d’or et, l’année suivante, une Victoire de la musique. De ce CD, « DJ » est extrait et proposé en « simple » ; dans une atmosphère festive, sur un fond musical évoquant la chanson franco-arabe des années 1950, elle n’a pas peur de rapper le besoin d’évasion et le droit au plaisir des jeunes filles ordinaires88 : il devient un « tube » de l’été en 2003. Brut de femme est alors prolongé par le coffret CD/DVD Ma vie mon live (Hostile/EMI, 2004) qui reprend des captations de concert. Elle continue à apparaître dans les enregistrements de ses amis, sur diverses scènes, françaises et étrangères ; DJ Dimé célèbre les quelque dix années de rap de Diam’s avec une anthologie intitulée Les 10 ans d’une Diam’s (Label rouge/Quillzrecordz, 2005) dans laquelle il rassemble un grand nombre des enregistrements, diffusés ou inédits, qu’elle a réalisés entre 1995 et 2005.

  • 89 http://www.infodisc.fr/Albums_Runs.php ; http://www.infodisc.fr/Ventes_Album06.php ; http://www.in (...)

4Le 6 février 2006, paraît Dans ma bulle (Hostile/EMI), le troisième album de Diam’s. Il monte très rapidement au hit-parade et s’installe pour plusieurs semaines dans le top 10, cependant que les simples de « La Boulette » et « Jeune demoiselle » connaissent également des chiffres de vente importants89. Au total, Dans ma bulle, disque de diamant dépassant le million d’exemplaires achetés (sans compter les téléchargements), sera le CD le plus vendu en 2006. Il est suivi, à la fin de l’année, d’une tournée baptisée « Ma France à moi en concert » (reprenant un titre de l’album, sans doute plus attractif que Dans ma bulle) qui suscite un engouement considérable. Un double DVD, Autour de ma bulle (Hostile/EMI) continue l’opération en 2007, année au cours de laquelle Diam’s reçoit trois prix, dans le cadre des Music Awards décernés par la station de radio NRJ, dont celui de la chanson francophone de l’année pour « La Boulette » ; elle se voit aussi couronnée comme artiste française de l’année par la chaîne de télévision MTV. Étendant ses domaines d’action, elle présente une émission sur la chaîne de télévision MCM et accepte le poste de directrice artistique du catalogue Motown France (géré au sein de Universal Music France), avatar hexagonal de la firme qui rendit la soul music afro-américaine scintillante et policée.

Les facettes de Diam’s

  • 90 Entretien accordé à Fun TV, 4 mars 2006 ; Médioni 2006.

5Rappeuse parvenue à se hisser au même niveau de succès commercial que les vedettes des variétés, femme populaire chez les jeunes – filles mais aussi garçons – de sa génération, et plus encore de la suivante Diam’s a construit sa carrière en élaborant un personnage public qui conforte son rôle de modèle tout en lui conférant une humanité ordinaire. Ce personnage est évidemment doté de multiples facettes, comme un diamant bien taillé, dont celles qui brillent le plus sont sans doute ses noms : Diam’s pour la scène, le public, les prononcements et les postures, qu’ils concernent la mode ou les questions politiques et sociales ; Mélanie, pour l’intimité, son « vrai » prénom que crient ses adulatrices pour signifier le lien émotionnel qui les attache à la jeune rappeuse. En outre, elle se caractérise par l’éclectisme des goûts qu’elle affirme en musique. Si, évidemment, elle s’est formée à l’écoute du rap (les Américains Dr Dre, Public Enemy ; les Français NTM, Assassin et IAM, avec lesquels elle a grandi et qu’elle a vu débuter durant son adolescence), elle ne répugne ni à la chanson, ni au rock. Sa reprise de « Saïd et Mohammed » était également un hommage à son auteur, Francis Cabrel, à côté de qui elle apprécie aussi un groupe tel que Noir Désir et des artistes de variétés internationales à la mode comme Kanye West ou Mary J. Blige90.

  • 91 « Swarovski. J’aime quand ça strasse. Du coup, je mérite bien mon surnom. Je mets aussi plein de b (...)
  • 92 « Je ne porte que des baskets blanches simples ou des Nike dorées […] Le haut à capuche : Stella M (...)
  • 93 « J’suis crue mais crue est la vie/j’suis pas la rue/j’suis pas comme elle cruelle à vie […] j’cro (...)

6Diversité, voire contraste de goûts la caractérisent également hors des domaines musicaux : elle veut se montrer simple mais n’hésite pas à afficher une dilection consumériste pour des articles prestigieux. Comme ses fans, elle aime les kebabs et les jeux vidéo mais elle peut désormais acquérir ce qui leur demeure inaccessible (à quoi toutefois il ne leur est pas interdit de rêver) : de grosses voitures, des bijoux, en véritables pierres ou en toc91, des vêtements et des chaussures inspirés de la mode urbaine mais « relookés » par de grandes maisons92. Même éclectisme concernant la littérature ; elle revendique la lecture comme une passion, un besoin pour nourrir sa plume, mais s’y adonne, dit-elle sans prétention : elle mentionne, d’un côté Mesrine (Instinct de mort ; Flammarion) de l’autre Frédéric Beigbeder et le Jean-Paul Sartre des Mots (Gallimard). Pour Diam’s, pas de contradiction entre rap et autres genres musicaux ; entre naturel façon banlieue et étalage, dénué de toute ostentation bourgeoise, d’une richesse récemment acquise ; non plus qu’entre chansons sentimentales retrouvant la mélodie, confessions personnelles, réalisme descriptif ou prises de positions fermes, le tout dans un langage très soigné façonné à partir des tournures de la rue, et même cru, si elle le juge nécessaire93.

  • 94 Cassettes enregistrées plus ou moins artisanalement et diffusées hors des circuits commerciaux.
  • 95 Dans ces réseaux d’appréciation mutuelle, les liens qu’elle entretient avec Sinik sont placés sous (...)
  • 96 Le magazine Groove, par exemple, la considère comme un « rappeur connu » ayant fait un « écart » ((...)
  • 97 Qui « traverse » vers d’autres publics, en l’occurrence, que les auditeurs habituels du rap.
  • 98 Entretien accordé à TV NRJ.be le 25 mai 2007.

7L’individualisme, sans lequel le vedettariat, même rap, n’existerait pas n’entraîne pas chez Diam’s l’oubli ou le rejet du collectif. Dans sa pratique artistique d’abord : elle a suivi le parcours du MC qui doit nécessairement commencer par se faire agréer par le « milieu ». Elle a enregistré des mix-tapes94 confidentielles, puis des disques produits par de petites firmes indépendantes ; elle a multiplié les apparitions auprès d’autres artistes, renommés ou non, et, de son côté, n’a jamais cessé d’inviter des collègues95 à participer à ses enregistrements, émissions de télévision ou concerts. Elle vante avec insistance le talent de ses choristes et les soutient dans des débuts de carrières individuelles un peu hasardeux. Diam’s signifie qu’elle sait d’où elle vient ; qu’elle se souvient de sa dette à l’égard de ceux qui l’ont aidée et veut montrer que la gloire n’a pas entamé son sens de la solidarité. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle explique pourquoi elle a accepté un poste de directeur artistique : elle se voit dénicheuse de talents, en situation d’aider des jeunes qui démarrent. Son intégrité, selon les codes de la morale rap, est presque inattaquable96. Et pourtant, elle est parvenue à élargir le public du rap et à se faire une place chez les majors de l’industrie phonographique. Le journaliste Jean-Éric Perrin affirme : « On ne saura jamais assez gré à Diam’s d’avoir permis au rap français, au milieu des années 2000, de retrouver un peu d’exposition à un moment où il était repoussé dans un no man’s land médiatique. Le triomphe cross-over97 de ses albums et de ses singles, et la forte affirmation de leur auteur à s’inscrire dans une histoire du rap pur et dur témoigne [sic] de la combativité de ce genre musical que l’on a voulu cantonner à une sorte de réserve indienne » (Perrin 2006 : 143). Diam’s cajole son public, celui des concerts à qui elle se donne généreusement et qui, en retour, non seulement l’adule mais lui assure une partie importante de ses revenus. Elle dit, en revanche, se méfier du show business, en dépit de son ascension dans le star system ; elle prétend ne pas être sensible aux marques visibles de réussite, Music Awards et autres Victoires de la musique98.

8Comme beaucoup d’autres rappeurs, Diam’s affiche ouvertement sinon des opinions partisanes, du moins des idéaux politiques. Elle ne dissocie pas sa personne de ce qu’elle profère : le contenu de ses textes peut la concerner directement, mettre sur la scène publique des expériences personnelles dans lesquelles d’autres se reconnaissent aisément (absence de père, violence contre les filles, jalousie) ; il évoque aussi la vie des défavorisés ; il stigmatise ceux qui attisent la haine et aggravent les injustices.

  • 99 « Marine,/ Regarde-nous,/ On est beau./On vient des 4 coins du monde/Mais pour toi on est trop./Ma (...)
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  • 101 Dans l’émission « En aparté » de Canal +, le 23 mai 2007 ; position sur laquelle Diam’s s’est expl (...)
  • 102 Médioni 2006 : 16.

9Diam’s se prononce vigoureusement contre le Front national et Jean-Marie Le Pen, dont elle interpelle la fille dans « Marine » (Dans ma bulle)99 et, dans « Ma France à moi », elle refuse la France qui « vénère » Nicolas Sarkozy100. Elle s’est impliquée clairement en 2007 dans le mouvement pour l’inscription des jeunes sur les listes électorales mais a limité son engagement à cette incitation civique après les remous causés par le soutien qu’elle avait apporté à Ségolène Royal sur un plateau de télévision101. Elle ne prétend pas « faire » de la politique mais seulement dire « […] des choses toutes simples, presque innocemment, mais sans aller par quatre chemins : “Ma France à moi peut embellir la tienne et non pas la casser.” Je ne me vois ni comme un porte-drapeau ni comme un porte-parole, d’ailleurs je ne suis pas dressée pour, sinon je ferais de la politique. Je lance davantage un regard de reporter, curieux, passionné, sur la société. Je raconte cette atmosphère qui nous plombe et comment, malgré les craintes et les casseroles, les jeunes bravent les épreuves pour devenir des hommes et des femmes bien102 ».

Une figure de l’ambiguïté

  • 103 C’est-à-dire sa personne publique ; ce qui n’exclut pas que la manière dont elle se présente en ta (...)
  • 104 « Dans les coulisses,/Y’a des tas de putes,/Ça baise mais ça fait la prude » (« Dans ma bulle »).

10Diam’s aux multiples facettes apparaît très nettement comme une figure de l’ambiguïté. La question que suggère son personnage103, de rappeuse, de jeune femme intervenant dans la sphère publique, de modèle de rôle est : y a-t-il contradiction insoluble entre tout ce qu’elle représente – ce qu’elle présente aux yeux et aux oreilles des autres, ce que ceux-ci voient et entendent d’elle – ou bien son art, en rap et dans la vie « civile-civique », ne réside-t-il pas précisément dans un éclectisme assumé qui repose sur le mélange des genres et peut-être même des valeurs ? Diam’s veut demeurer simple, en phase avec son public qui, s’il n’est pas exclusivement issu des couches les plus défavorisées, n’est pas nécessairement fortuné. Elle évoque, voir invoque, la « banlieue » mais n’en affiche pas moins, dans ses clips, dans ses apparitions sur scène, une aisance matérielle qui fait rêver, et dont elle se moque d’ailleurs gentiment dans « Jeune demoiselle » ; rêve qu’elle rend par ailleurs accessible grâce aux produits dérivés (habillement, accessoires) qui sont commercialisés à son enseigne. De même, il lui est arrivé, en ses débuts, de critiquer les grandes entreprises, notamment radiophoniques, de production et de diffusion de la musique. Aujourd’hui, quelque méfiance qu’elle ait conservée à leur égard, elle n’y est pas moins solidement installée. Hostile au machisme, évidemment, dénonçant les violences faites aux filles, jouant à considérer l’homme tel un objet de consommation (le clip de « Jeune demoiselle », encore) elle flétrit, comme nombre de rappeuses en France et outre-Atlantique, celles d’entre elles qui se déshonorent en se donnant trop facilement et, pire, jouent, les saintes nitouches104 : Diam’s refuse d’être féministe comme on l’est dans les mouvements qui portent cet adjectif. Après tout, c’est peut-être dans le domaine de l’éthique politique qu’elle est le plus cohérente, mis à part son éphémère soutien à Ségolène Royal, ce sont des valeurs qu’elle défend : le respect des autres, quelles que soient leur origine ou leur religion, le mélange, la solidarité, l’égalité et la justice, le droit au plaisir et le travail.

  • 105 Microsoft Network, fournisseur d’accès à Internet.

11Dernier couple antinomique ou, à nouveau, brassage des normes ? Le travail, chez Diam’s est aussi bien celui des parents pauvrement rémunérés, celui de ceux qui maintenant utilisent MSN105 que le sien : artiste, auteure, performeuse, voulant prouver que son succès n’est pas un accident, une mode de saison sans raison, mais le fruit d’un labeur acharné, tout spécialement dans la mise en accord des textes et leur environnement musical. Car ce qui différencie Diam’s des autres rappeuses françaises (et aussi de la plupart des rappeurs), ce qui sans aucun doute contribue fortement à la séduction qu’elle exerce sur un large public, c’est le soin – le travail – que les concepteurs sonores avec lesquels elle collabore et elle-même investissent dans la mise au point musicale de ses productions. Cela ne signifie évidemment pas que Princess Anies, Sté Strausz, Lady Laistee, Bams ou Kenny Arkana déploient moins d’énergie et de soin dans la mise au point de leurs réalisations mais que, du fait de ses expériences et de la manière dont elle a accumulé sa « culture », de son talent personnel et des « dispositifs » dans lesquelles elle opère (Grenier 2007), Diam’s propose des raps dont la subtilité musicale et l’intrication des paroles avec le substrat sonore sont d’une grande qualité, teintée d’une singularité marquée, et d’une ample diversité. C’est à l’analyse de la dimension spécifiquement musicale de quelques pièces tirées de Dans ma bulle que nous allons maintenant nous attacher pour essayer de comprendre comment le produit sonore résulte d’un ensemble de procédures minutieusement conçues.

Notes

79 Voir, entre autres : Wikipédia ; http://diams.mes-biographies.com/biographie-Diam’s.html ; http://www.rap2france.com/biographie-diam-s.php ; http://www.diams-lesite.com ; www.diams-rap.com/biographie.php ; Perrin 2006 : 143 ; ce chapitre utilise, entre autres, des sources citées dans : Valty 2007. La plupart des textes racontant la vie de Diam’s tissent un récit dont il est peu important de savoir s’il est exact ou non dans le moindre de ses détails. Dans la perspective analytique qu’adopte ce livre, il suffit qu’il fournisse la base sur laquelle la personne publique a été/s’est édifiée, à partir de laquelle une « histoire » confère sens à une vie, dans ses dimensions médiatisées sur scène et hors de scène.

80 DJ Dimé, Les 10 ans d’une Diam’s, Quilz Recordz, 2005.

81 Groupe dont les membres, aux origines très variées habitaient le XIIIe arrondissement de Paris (d’où le trece) et Ivry-sur-Seine. Mafia Trece pratique un rap plutôt dur, parfois moraliste, aux scansions rythmiques pesantes, mis en scène de manière théâtrale pour souligner l’engagement de ses textes.

82 « […] Tu veux m’condamner faut-il d’abord user d’mon arme qui est la liberté d’expression […] mon souhait c’est qu’tous les acharnés de la liberté fassent de même afin de ruiner l’uniforme non conforme à la norme/Un ange passe/Signé Diam’s ».

83 « J’avais 14 ans et je n’assumais pas mon prénom, trop mignon pour un MC : Mélanie. J’ai cherché quelque chose de bref et de vif. Qui claque. J’ai ouvert le dictionnaire et la définition du mot diamant m’a plu. Ce n’était pas pour le cliché “meilleur ami de la femme”, mais parce qu’un diamant ne peut être brisé que par un autre diamant… » (Médioni 2006 : 18).

84 Le cas possessif anglais rattache ce qui est possédé (laissé ici ouvert, comme en forme de désir) à son possesseur et indique ce qui est intrinsèquement personnel : Diam’s se désigne diamant et en revendique les propriétés. Cette interprétation se trouve matérialisée dans le pendentif qu’arbore fréquemment la rappeuse qui reproduit, en pierres brillantes, son pseudonyme.

85 Originaire de Sevran (93), Black Mozart se produit d’abord comme DJ puis suit une formation d’ingénieur du son ; il s’associe au groupe Ménage à Trois, collabore au projet Sachons dire Non ! et, après avoir bénéficié du succès d’estime du Brut de femme de Diam’s, travaille avec, parmi beaucoup d’autres rappeurs, Passi, Mystik et Sinik (http://profile.myspace.com/index.cfm ?fuseaction= user. viewprofile& friendid= 377214542, consulté le 11 septembre 2008).

86 Réédité en 2006 par Capitol Music/EMI.

87 Plus tard, elle reprendra des cours d’orthographe et de grammaire pour répondre « correctement » aux lettres de ses admirateurs : « Je ne pouvais pas imaginer qu’un minot montre à ses parents un mot de Diam’s criblé de fautes » (Médioni 2006 : 16-17).

88 Après que la rappeuse a déclaré « J’sais que j’suis pas une bombe latine/ni une blonde platine », le refrain, chanté par le chœur, dit : « DJ laisse-moi kiffer la vibes avec mon mec/j’suis pas d’humeur à c’qu’on m’prenne la tête/j’ai mes soucis donc s’il te plaît arrête/laisse-moi kiffer la vibes avec ceux qu’j’aime » (kiffer : apprécier, jouir de ; vibes : vibration, atmosphère, ambiance, notamment au sein d’un groupe, dans un lieu ou un groupe est assemblé).

89 http://www.infodisc.fr/Albums_Runs.php ; http://www.infodisc.fr/Ventes_Album06.php ; http://www.infodisc.fr/Ventes_Single06.php (consultés le 30 avril 2008).

90 Entretien accordé à Fun TV, 4 mars 2006 ; Médioni 2006.

91 « Swarovski. J’aime quand ça strasse. Du coup, je mérite bien mon surnom. Je mets aussi plein de bijoux en toc. Des boucles d’oreilles, des créoles. Ma montre Chanel – un cadeau – ne me quitte jamais » (Médioni 2006 : 18).

92 « Je ne porte que des baskets blanches simples ou des Nike dorées […] Le haut à capuche : Stella McCartney ou H & M, peu importe. Mes jeans sont tous des Diesel. J’ai un faible pour ma doudoune Sonia Rykiel. » (Médioni 2006 : 18)

93 « J’suis crue mais crue est la vie/j’suis pas la rue/j’suis pas comme elle cruelle à vie […] j’croque la rue et les ruelles dans mes écrits/car crue est la vie » (« Cruelle à vie », Brut de femme, Hostile/Capitol/EMI, 2003).

94 Cassettes enregistrées plus ou moins artisanalement et diffusées hors des circuits commerciaux.

95 Dans ces réseaux d’appréciation mutuelle, les liens qu’elle entretient avec Sinik sont placés sous une lumière particulière : il est pour elle un ami d’enfance et d’adolescence, presque un frère, qu’elle a soutenu lorsqu’il était en prison.

96 Le magazine Groove, par exemple, la considère comme un « rappeur connu » ayant fait un « écart » (Hammou 2005 : 190) et Kizito (rappeur d’origine burkinabé, enseignant de mathématique et de biologie, chanteur de reggae et de rap) prononce un jugement exceptionnellement virulent dans sa « Lettre à Mélanie » : « La mafia 13 le MA3 tu t’en rappelles ?/ou le disque dur de ta mémoire les a à jamais effacés/T’as mis à gauche ceux qui t’ont rendue célèbre/C’est pour cette raison entre autres qu’il faut qu’tu saches que je t’emmerde » (voir : http://fr.youtube.com/watch?v=NMFVLB7liNU et http://kizito.free.fr).

97 Qui « traverse » vers d’autres publics, en l’occurrence, que les auditeurs habituels du rap.

98 Entretien accordé à TV NRJ.be le 25 mai 2007.

99 « Marine,/ Regarde-nous,/ On est beau./On vient des 4 coins du monde/Mais pour toi on est trop./Ma haine est immense quand je pense à ton père./ Il prône la guerre quand nous voulons la paix./ [Refrain :] Donc j’emmerde…/ J’emmerde…/ J’emmerde qui ?/ Le Front national ! ».

100 « Ma France à moi, c’est pas la leur, celle qui vote extrême,/Celle qui bannit les jeunes, anti-rap sur la FM,/Celle qui s’croit au Texas, celle qui a peur de nos bandes,/Celle qui vénère Sarko,/intolérante et gênante ».

101 Dans l’émission « En aparté » de Canal +, le 23 mai 2007 ; position sur laquelle Diam’s s’est expliquée dans Libération le 7 avril 2007 (http://www.liberation.fr/actualite/politiques/elections2007/246190.FR.php, consulté le 30 avril 2008).

102 Médioni 2006 : 16.

103 C’est-à-dire sa personne publique ; ce qui n’exclut pas que la manière dont elle se présente en tant que personne privée ne joue pas également un rôle dans la construction de cette ambiguïté. L’autoportrait qu’elle propose dans « Petite banlieusarde », qui clôt le CD Dans ma bulle, est extrêmement parlant à cet égard ; elle s’y décrit en couples contrastés comme : métisse et blanche ; banlieusarde de zone pavillonnaire ; fille sans père ; fumeuse et « saine » ; vedette malgré elle, nostalgique des freestyles, mais craignant de « retourner dans l’ombre » ; non diplômée qui conseille aux autres d’étudier…

104 « Dans les coulisses,/Y’a des tas de putes,/Ça baise mais ça fait la prude » (« Dans ma bulle »).

105 Microsoft Network, fournisseur d’accès à Internet.

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