Akh Purattim 3
| , , ,Terqa et sa région
Rapport sur les travaux de prospection et de sondage dans la région de Terqa en 2006
Texte intégral
1Le projet de prospections et de sondages dans la région de Terqa (fig. 1), dirigé par O. Rouault et Y. al Showan, responsable de la direction du service des Antiquités dans la région de Deir-ez-Zor, s’est déroulé cette année selon deux axes complémentaires. En premier lieu, l’étude du tell de Marwaniye, qui avait donné des résultats importants et nouveaux dès l’année dernière, a été continuée pour avoir une idée complète de la chronostratigraphie du site, avec l’aide de Sophie Berthier pour l’étude des niveaux islamiques. Nous avons aussi prévu de poursuivre les prospections de surface, magnétiques et pédestres, toujours en rive gauche, intégrant dans notre stratégie une dimension de sauvetage : nous avons en effet constaté la disparition de plus en plus rapide de la plupart des sites de petite dimension, dans le territoire qui nous intéresse, en raison de l’avancement des cultures et de l’implantation de systèmes d’irrigation de plus en plus développés.
INTRODUCTION : LES SONDAGES À TELL MARWANIYE (fig. 2)
- 1 Masetti-Rouault 2006. Voir aussi Masetti-Rouault 2007.
2Les sondages réalisés l’année dernière à tell Marwaniye1, à la suite d’un programme de prospections magnétiques, avaient mis en évidence la présence de couches archéologiques datables de la fin de l’âge du Bronze Récent et du début de l’âge du Fer, grâce en particulier à la présence de céramique « cassite tardive » (fin BM II et Fer I), ainsi que de matériel du Fer II, dans la partie sud du tell. D’importants niveaux islamiques avaient aussi été identifiés. Toutefois, aucune structure bâtie n’avait pu être mise au jour dans le cadre de ces travaux, et la stratégie des opérations de cette année consistait surtout à mieux comprendre l’organisation de l’occupation des niveaux archéologiques correspondant aux couches déjà identifiées. Le travail s’est déroulé du 24 septembre au 30 octobre, avec une équipe d’une dizaine d’ouvriers. Il a été réalisé par Benedetta Bellucci, responsable du sondage k1-k3, et par Sophie Berthier, responsable du sondage k4-k6, avec l’assistance de Delphine Didier, qui a aussi travaillé au programme de prospections de surface.
LE SONDAGE MR2k1-MR2k3
- 2 Masetti-Rouault 2006, p. 744-748.
3Ce sondage a été placé à 30 m au sud du point géodésique (189,84), à proximité du sondage MR1k1 effectué l’an dernier2, afin d’utiliser les informations déjà obtenues. Long de 15 m et large de 3 m, il est orienté est-ouest, à peu près parallèle aux courbes de niveau du tell à cet endroit. Sa surface était donc à l’origine assez horizontale, correspondant à la cote de 187,50. Un élargissement vers le sud a été nécessaire et nous avons ouvert un second locus de 3 m sur 5 m, MR2k2. Ensuite, au cours des opérations, nous avons déterminé un autre locus de 2 m sur 2 m (MR2k3) dans l’angle sud-est de MR2k1, afin d’y faire un sondage jusqu’au sol vierge.
Le niveau islamique (fig. 5)
4Une occupation d’époque islamique avait déjà été attestée tant par les prospections de surface que par nos sondages MR1k1 et MR1k2. Cette année nous n’avons pas pu retrouver, dans cette partie du tell, des structures clairement datables de cette époque, mais nous avons recueilli une quantité de matériel islamique de différentes époques, comme des fragments de céramique, des récipients en verre et des objets en bronze et en fer. La couche de surface (e1), meuble et sableuse, avec beaucoup de cailloutis provenant de la terrasse, couvre une ancienne surface du tell (e2, cote 187,44), marquée par la présence de cendres, d’où provient le matériel islamique. Depuis ce niveau avaient été creusées une série de fosses qui ont perturbé l’ensemble du locus. La plus grande de ces fosses, e6 (cote min. 186,24), occupe toute la partie est du locus, avec un remplissage caractérisé par une couche limoneuse de cendres et de terre rubéfiée, contenant beaucoup d’inclusions, d’os animaux calcinés, et de tessons islamiques, dont certains glaçurés, d’époque abbasside. C’est d’ici que proviennent la plupart de nos trouvailles, parmi lesquelles il faut remarquer un fragment d’un « qadus », un récipient en argile à fond bitumé et base ronde utilisé dans les systèmes d’élévation d’eau apportée par les canaux d’irrigation. Dans la partie ouest du sondage, nous avons par contre mis au jour un niveau de sols, e3, marqué par la présence de foyers, avec des restes de bois carbonisé.
5Ces couches, et un remplissage de terre (e4), couvrent un autre niveau d’occupation présentant des traces de foyers, le sol e5 (cote max. 186,90), toujours d’époque islamique comme le prouve la céramique recueillie. Toutefois, le matériel présent dans cette couche est déjà mélangé et nous avons pu y reconnaître de la céramique néo-assyrienne et cassite tardive, sans doute remontée des couches plus anciennes à l’occasion du creusement des fosses.
Le niveau néo-assyrien (Fer II) [fig. 3 à 6]
6Aucune construction datable du Fer II n’a été mise au jour dans notre sondage, bien que la présence de ce niveau sur le tell soit évidente, documentée en particulier par le matériel céramique. Toutefois, pendant la fouille, des couches et des sols couverts par les niveaux islamiques, dans un contexte déjà clairement Fer I (Cassite Tardif), nous avons retrouvé une sépulture en jarre (e13, cote 186,45) qui avait coupé le tannour e11 qui était lui-même associé au sol e20 (cote 186,09), caractérisé par la présence de matériel cassite. Cette jarre, qui avait été à son tour perturbée et détruite par une construction plus récente, relève d’une typologie qui semble correspondre à la tradition locale du Fer II, telle qu’elle a été documentée par nos fouilles de 2005. Il s’agit apparemment d’une sépulture d’enfant, mais les os étaient épars et nous n’avons pu retrouver in situ que trois petites perles en fritte dans un fragment du fond de la jarre resté en place. La présence de cette tombe prouve donc à nouveau l’existence, sur le site ou à proximité, d’un habitat de la même époque, même s’il reste difficile de le dater avec plus de précision. La tombe a été détruite au moment de la construction de la structure en briques crues e54, qui se présente dans la partie ouest du sondage comme une sorte de grand mur, fortement érodé. Nous avons aperçu les premières briques cassées et déplacées dès la cote 187,40, mais les assises en place ont été retrouvées à la cote 186,30, déjà donc au niveau de la fondation, marquée par la présence de briques rectangulaires, différentes de celles utilisées pour l’élévation du mur. Ces briques ont été posées, sans opération visible de nivellement, sur les fragments de la jarre détruite et ont recouvert la base de deux tannour d’époque cassite (e11 et e17).
7Le mur e54, orienté nord-ouest - sud-est, est donc postérieur à la construction de la tombe néo-assyrienne e13, mais nous n’avons pas assez d’éléments pour en préciser la datation. Il est possible en effet, étant donné ses dimensions et sa position stratigraphique, qu’il s’agisse également d’une construction d’époque néo-assyrienne, postérieure à la première occupation. Mais on pourrait aussi le dater, dans ce contexte, de l’époque islamique étant donné que, dans l’espace limité de ce sondage, nous n’avons pu identifier aucun sol de la phase précédente qui lui soit clairement associé.
8Par ailleurs, dans l’espace du sondage MR2k2 (fig. 3 et 6), à une cote légèrement plus élevée (186,57 et 186,97), nous avons mis au jour deux autres murs (e30 et e50) dont la situation stratigraphique est semblable, étant tous deux posés sur des couches ou des structures du Fer I. La fondation du mur e30 se trouve sur une couche de sol cassite (e9), tandis que le mur e50 a été bâti en utilisant comme fondation le tracé d’un mur appartenant aussi au niveau cassite. Puisque e30 et e50, sans doute parallèles, sont orientés nord-ouest - sud-est, ils pourraient faire partie de la même organisation de l’espace à laquelle appartient aussi e54, qui leur serait perpendiculaire. Encore une fois, dans la mesure où nous n’avons pu identifier aucun sol associé, ni retrouver de matériel diagnostique, l’hypothèse de l’appartenance de ces structures à une même phase de construction reste incertaine, ainsi que leur détermination chronologique. De toute manière, les murs e30 et e50 d’une part, et e54 de l’autre, ont été construits avec une technique et des briques de dimensions différentes. Si une datation au Fer II reste possible, nous ne pouvons pas exclure la possibilité qu’il s’agisse de constructions d’époque islamique.
Le niveau cassite tardif (BRII-Fer I) [fig. 3, 4 et 5]
9L’occupation cassite aussi, déjà révélée par les prospections de surface, avait été confirmée en 2006 par nos sondages, qui avaient mis en évidence des couches contenant cette typologie céramique facilement identifiable. Nos recherches de cette année ont mis au jour un niveau archéologique clair auquel ce matériel est directement associé.
10Sous le fond de fosses islamiques, dans la partie ouest du sondage, nous avons retrouvé un premier sol en terre (e9, cote 186,53), caractérisé par la présence du foyer e12, de quelques briques cuites, d’un matériel céramique cassite clair ainsi que de quelques objets en bronze. La fouille a montré qu’il s’agissait du premier d’une série de sols appartenant à ce niveau, comme e16 (186,30) et e20 (186,11). Le sol e16 a livré une quantité importante de céramique cassite tardive, mais aussi un grand récipient en basalte, renversé sur le sol. Il s’agit toujours de surfaces apparemment ouvertes, où nous avons constaté la présence de foyers, de tannour et de petites plates-formes de briques cuites. C’est sur ce sol e16 que nous avons retrouvé une tablette cunéiforme, petit document administratif daté du roi Kadashman-Enlil (sans doute le deuxième du nom). Le sol e16 avait couvert un sol plus ancien, e20 (cote 186,11), caractérisé par la présence de tannour (e11, e17), ainsi que de récipients de grandes dimensions, comme une jarre, largement bitumée sur toute sa surface.
11Le sol e20, correspondant à celui d’une cour extérieure, est par ailleurs associé à des structures bâties, comme le mur e24, orienté nord-ouest - sud-est, qui partage la cour en deux espaces. À l’ouest se trouvent les deux tannour e11 et e17, tandis qu’à l’est deux murets de refend forment un aménagement de stockage (e19, cote 186,15) parallèle au mur lui-même. Dans le cours du temps, e24 a été arasé et sur son tracé a été ensuite construit le mur e50. Le matériel céramique abondant correspond à un contexte domestique et rural. En effet, nous avons identifié les restes d’un petit mur qui forme un angle vers le sud-ouest avec e24, créant ainsi deux locaux fermés, avec un sol e46 qui toutefois n’a pas livré de matériel. Le sol e20 semble s’être étendu jusqu’à la cour de cette maison.
12La fouille du dispositif de stockage e19 a été élargie par la création du locus MR2k3 (2 m sur 2 m) afin d’étudier les niveaux plus anciens dans la partie orientale du sondage. Nous avons pu mettre en évidence au moins deux sols, e34 (185,60), marqué par des traces de foyers, et e40 (185,01), séparés par un remplissage très limoneux, avec cendres et os d’animaux, auxquels est de nouveau associée de la céramique cassite. Le sol e20 a sans doute continué à être utilisé lors de la première occupation du Fer I.
Le niveau Bronze Moyen II (fig. 5)
13Les prospections de surface semblaient indiquer que l’occupation d’époque cassite tardive avait été la première sur le tell. Notre sondage MR2k3 nous a permis de rejoindre un niveau plus ancien, identifié par la trouvaille d’un matériel céramique bien connu dans la région de Terqa et de Mari, de tradition paléobabylonienne, attesté dès le Bronze Moyen II. Il a été ramassé sur le sol e43 (cote 184,99) que nous avons dégagé après avoir fouillé un remplissage très limoneux qui le séparait du premier sol d’époque cassite tardive. Dans cette partie du tell, le sol e43 pose directement sur le sol vierge et il représente donc sans doute la fondation la plus ancienne identifiée ici, qui est ainsi mise en évidence pour la première fois.
M. Gr. M.-R. et B. B.
LE SONDAGE MR2k6 (fig. 2 et 7)
14Un sondage a été implanté sur le sommet du tell (4 m sur 2 m) dans le but d’obtenir une séquence stratigraphique complète des occupations de la période islamique. Il nous a permis de découvrir que la zone haute du site n’avait pas été occupée aux périodes islamiques anciennes.
Le niveau islamique
15Immédiatement sous la couche de colluvions (e57) est apparu un niveau de dépotoir, marqué par des épandages cendreux et des zones de terre rubéfiée (e58), associé à un muret en brique crue conservé sur une seule assise (e62) et à un sol dur verdâtre conservé dans un angle du sondage (e63). Sous la couche e58, le remblai e59, contenant des déchets de destruction, a livré du matériel abbasside et du verre.
16La pauvreté du matériel des couches de surface ne permet pas de préciser davantage la chronologie, située dans une fourchette ixe-xie siècle.
Les niveaux antérieurs
17Une série de remblais inférieurs a livré un lot hétérogène contenant du matériel néo-assyrien et abbasside. Le remblai e60 est une épaisse couche d’abandon, homogène, non litée, meuble, contenant quelques fragments de brique crue et cuite recouvrant l’ensemble du sondage. Il est postérieur au remblai e64, très argileux, qui contient de la céramique néo-assyrienne. Dans la partie sud du sondage, nous avons mis au jour le restes d’un tannour (e73) et d’une jarre effondrée sur elle-même, un sol d’occupation enduré beige clair e68, ainsi qu’un sol d’occupation e69 (187,86) en terre battue à l’angle sud-ouest du sondage (sans céramique).
18Quelques éléments de structure ont été mis en évidence : un alignement de brique crue (e65) sud-est - nord-ouest, composé de brique crue verte, posé sur un mur en brique crue de même orientation, plus large (e67), affleurant à la cote 188,24. Par manque de temps la base du mur n’a pu être atteinte.
19Le mur e67 pourrait aussi, dans une dernière phase d’occupation, être associé aux restes d’un pavement, calade en gros galets (e66) ennoyés dans une matrice d’argile sombre, affleurant à 188,14. Mais le sol a été détruit dans sa partie orientale, ne permettant pas d’établir une relation stratigraphique directe. Sous ce niveau d’occupation, des remblais anthropiques en place n’ont pu être fouillés. Le sondage a été arrêté à la côte 187,41 et rebouché.
Conclusion
20Le sondage MR2k6 a permis la mise en évidence d’un niveau d’occupation néo-assyrien attesté, en 2006, dans le sondage MR2k1, par des tombes, et aussi, l’année précédente, dans le sondage MR1k1 (tombes MR1k1 e33-e36). S. B.
LE PROGRAMME DE PROSPECTIONS MAGNÉTIQUES
21Les résultats déjà obtenus par les opérations réalisées l’année 2005 ont montré l’intérêt d’une coopération continue et intensive entre archéologues et physiciens, et nous ont encouragés à poursuivre le programme déjà lancé. Ce dernier est fondé en premier lieu sur l’acquisition d’images issues des prospections magnétiques réalisées sur les sites relatifs au « Projet Terqa et sa région » (fig. 1), mais aussi sur le travail partagé de leur interprétation.
Tell Masaïkh (fig. 8 et 9)
22Cette année, à la demande des archéologues de la mission à tell Masaikh, Vivien Mathé et Rémy Chapoulie ont prospecté avec leur appareil deux différentes parties de ce tell. En premier lieu, il s’agissait d’améliorer la qualité de l’image déjà obtenue par une prospection magnétique effectuée sur le site en 2002, en particulier sur la zone correspondant au chantier E Nord, où allait commencer une nouvelle opération de fouille. L’image obtenue, mettant en évidence la présence de certaines structures, a par la suite été utilisée pour établir une stratégie de travail. En retour, la situation stratigraphique relevée par les fouilleurs a été comparée avec l’image initiale, fournissant des informations détaillées sur la manière dans laquelle certaines réalités archéologiques répondent à ce type d’analyse.
23Une seconde opération réalisée à tell Masaïkh a été la recherche, dans la partie au sud du tell (fig. 9), en profitant d’une période où les champs n’étaient pas cultivés, d’une éventuelle « ville basse » qui est normalement associée aux cités néo-assyriennes, mais qui restait introuvable autour de tell Masaïkh. La prospection a montré qu’il n’y avait pas de ville basse dans cet endroit, pourtant plus haut que le reste de la plaine entourant le site. Ces résultats clairs et rapides, en nous permettant de faire l’économie d’une série de sondages, ont encouragé les archéologues à chercher et enfin trouver d’autres solutions à ce problème historique.
Tell Marwaniye et El Jurdi Sharqi (fig. 2, 10, 11 et 12)
24Après avoir complété la prospection de tell Marwaniye commencée en 2005, il a été décidé d’explorer de la même manière El Jurdi Sharqi 3, un tell d’assez grandes dimensions, mais très érodé et plat qui se trouve en face du premier. Ce tell nous intéresse dans la mesure où il présente la même stratigraphie que Marwaniye, dont il est éloigné de moins d’un kilomètre.
25L’opération a confirmé la présence à El Jurdi Sharqi 3 des vestiges d’un habitat. Il sera donc utile de développer le projet d’y faire des sondages, peut-être dès l’année prochaine. Ensuite, les champs qui séparent les deux tells ont aussi été prospectés. On a pu mettre en évidence la présence dans cet espace d’un paléochenal qui, appartenant à un réseau dérivant de l’Euphrate, aurait fourni à cette zone l’eau nécessaire à l’agriculture à une époque qui n’a pas encore pu être précisée. Il est par ailleurs possible que ce canal, qui aurait été coupé dans la surface de l’agglomération constituée par les deux sites à une époque de crise ou d’abandon de l’habitat sédentaire et villageois, soit responsable de leur séparation. Dans ce cas, il serait postérieur aux périodes d’occupation communes sur les deux sites.
Conclusions
26Les problèmes posés par la difficulté à retrouver, sur les surfaces très érodées et perturbées de la vallée actuelle, les tracés des canaux d’irrigation anciens, et à les associer à des sites bien identifiés, ont attiré l’attention des physiciens, et des prospections pédestres ont été entreprises pour se rendre compte des réalités du terrain. L’expérience de cette année pourrait se prolonger lors de la prochaine mission, dans le cadre d’un programme de recherche concernant l’étude des paléochenaux dans la région de Terqa, avec des appareils adéquats pour ce type de prospections, développement qui s’intégrerait parfaitement dans notre projet global. M. Gr. M.-R. avec la collaboration de V. M. et R. Ch.
LA PROSPECTION PÉDESTRE
Objectifs (ig. 13)
27Dans le cadre de l’étude de la problématique historique concernant les raisons de la nouvelle fondation de Kar-Assurnasirpal au début du viiie siècle, peut-être par Nergal-eresh, le gouverneur assyrien de la province de Rasappa, nous avons à plusieurs reprises mis en relation cet événement avec la réalisation d’un projet d’aménagement du territoire comportant la construction d’un canal d’irrigation de grande envergure, le Nahr Dawrin. Le tracé, qui aurait pu être utilisé à nouveau à l’époque islamique, a été incisé par traits dans la terrasse pléistocène, où il est alors conservé et peut encore être relevé. Par contre, les tronçons qui se trouvent dans la terrasse holocène sont aujourd’hui pratiquement perdus, érodés ou comblés par les modifications naturelles ou anthropiques de la vallée.
28Comme on l’a vu, les prospections de surface ont identifié une série de petits sites, correspondant à des hameaux, marqués par la présence de céramique néo-assyrienne tout au long du parcours du Nahr Dawrin jusqu’à la hauteur de tell Masaïkh, tandis qu’en aval de ce point la situation devient moins lisible. Apparemment très peu de sites de l’âge du Fer II ont été reconnus dans cette zone, et de toute manière ils semblent dépendre plutôt de systèmes d’irrigation locaux, dérivés de l’Euphrate.
29Afin de mieux évaluer cette situation, et de comprendre si elle a pu dépendre de quelque façon de la politique économique assyrienne, nous avons décidé d’effectuer une prospection à pied le long du parcours du canal en aval de tell Masaïkh et de Darnaj, où se trouve un segment encore clair, jusqu’à la hauteur de tell Marwaniye, qui constitue la limite de notre permis, soit sur une extension d’environ 10 km. Cette opération a été réalisée par Olivier d’Hont, avec la collaboration de Delphine Didier et de Vivien Mathé, qui nous a aussi aidés à trouver et à utiliser des images satellitaires SPOT, très utiles à la reconnaissance des détails de la région ainsi que des variations du paysage agraire dans le cours du temps.
La zone prospectée
30À la sortie du « canyon » de Darnaj, le Nahr Dawrin bifurque dans le sens qu’une branche, sans doute plus récente – peut-être d’époque islamique –, continue son parcours sur la terrasse, tandis qu’une autre, plus ancienne, descend dans la plaine alluviale. Ce tracé reste par ailleurs en retrait par rapport aux rives des paléoméandres et court parallèlement au lit majeur. Un des premiers résultats de la prospection à pied a été de montrer qu’en effet, cette partie du tracé du Nahr Dawrin, dont la lecture dans les images satellitaires reste ambiguë, n’est absolument plus visible sur le terrain. En général, on a remarqué que les cultures contemporaines se sont désormais largement étendues au-delà de la limite de la terrasse, rendant inutile même une analyse du parcellaire afin de relever la situation ancienne. Par contre, l’alignement des puits qui se trouvent au pied de la terrasse pléistocène, fournissant aujourd’hui l’eau nécessaire aux cultures et aux villages installés sur les bords de la steppe, pourrait reprendre l’ancien tracé du Nahr Dawrin. Cette hypothèse ne pourra être confirmée que par une étude magnétique pour rechercher l’éventuelle présence du paléochenal entre les puits.
31Nous avons pu mettre en évidence une série de sites de l’âge du Fer II (fig. 13) qui seraient alignés sur ce parcours ancien, d’une façon analogue à la situation vérifiée en amont, où on constate leur présence sur la rive droite du canal. Certains de ces sites avaient déjà été relevés par les prospections précédentes, comme El Jurdi Sharqi 1 et 2, mais d’autres, comme ceux que nous avons nommés Darnaj B, Darnaj C, tell Jurdi, et tell Hassiyyé ont été découverts pendant cette étude. Il s’agit de sites de petite ou très petite taille, des buttes très érodées, et, dans le cas de Darnaj B, déjà presque complètement arasées par une exploitation en gravière. Tell Jurdi Sharqi 1 par contre est protégé par la présence d’un cimetière encore en usage.
32La prospection a été complétée par un ramassage de tessons, qui ont été ensuite reconnus, étudiés et classifiés. Leur utilisation comme indicateurs pour établir la chronologie des occupations de sites est cependant délicate, complexe et de résultat incertain, dans la mesure où il s’agit souvent de tessons non diagnostiques, ou appartenant à des traditions technologiques locales non suffisamment attestées dans les sites urbains, mieux connus.
Conclusions et perspectives
33Ces sites de l’âge du Fer II se trouvent éparpillés au milieu de la terrasse de rive gauche, dans une position en retrait par rapport à la rive du fleuve, et ils n’ont pu exister sans un apport d’eau par un système de canaux. La présence et la densité de ces sites, dont les phases d’occupation n’ont été ni longues ni continues mais semblent limitées dans le temps au Fer II – avec une reprise parfois à l’époque islamique –, pourraient être de bons indicateurs de l’existence d’un réseau hydrologique dérivé du Nahr Dawrin à l’âge du Fer II, confirmant donc l’hypothèse que l’ouvrage de Nergal-eresh ne se limitait pas à la région de Terqa, mais comprenait toute la rive gauche jusqu’à Khindanu, à la hauteur d’Abou Kemal. Nous ne pouvons naturellement pas exclure l’hypothèse que ces sites aient utilisé un système hydraulique dérivé de l’Euphrate, qui pourrait être attesté par des traces de canaux mises en évidence entre Marwaniye et le fleuve.
- 3 Ci-dessus, p. 338.
34En effet, le cas offert par Marwaniye et El Jurdi Sharqi3, qui lui fait face au sud-est, atteste d’une occupation de la partie moyenne de la terrasse également à des époques où le Nahr Dawrin n’existait pas encore – la période paléobabylonienne et la période du Fer I – ou bien n’existait plus, comme à l’époque classique et islamique. L’image satellitaire et les cartes anciennes montrent par ailleurs la présence d’un petit réseau de canaux prenant l’eau de l’Euphrate, à la hauteur du village de Abu Hardub. On aurait alors un double système, l’un dépendant du fonctionnement d’une grande structure contrôlée par un pouvoir colonial et extra-régional, et l’autre géré au niveau local. À certaines époques ils auraient pu fonctionner d’une façon concurrentielle, ou bien en alternance, selon les changements de politique, tant du pouvoir « externe » que des communautés résidant dans la région ou l’exploitant, qui auraient pu modifier leurs systèmes d’approvisionnement d’eau, au cours du temps. On comprendrait ainsi pourquoi l’agglomération, sans doute unique à l’origine, formée par l’habitat de Fer I-II de tell Marwaniye et de Jurdi Sharqi 3, s’est trouvée ensuite coupée en deux parties par un canal postérieur à ces occupations. Sa présence a été prouvée par les résultats d’une prospection magnétique de la surface qui se trouve entre les deux sites, qui a permis de relever la présence d’un ancien paléochenal, visible aussi dans l’image satellitaire 3.
O. d’H. et S. B.
CONCLUSION GÉNÉRALE
35L’intégration de disciplines et de spécialités diverses dans la réalisation d’un programme d’études historiques sur la région de Terqa commence à donner des résultats évidents – au moins pour la rive gauche – qui sont désormais utilisables rapidement pour l’élaboration d’hypothèses nouvelles sur l’évolution de l’occupation de cette partie de la vallée de l’Euphrate. La combinaison de recherches de terrain (fouilles et sondages), avec une reconnaissance attentive du paysage et une prospection de la céramique de surface, s’est révélée particulièrement fructueuse.
36En particulier, la découverte à tell Marwaniye de l’occupation d’époque paléobabylonienne, et ensuite la trouvaille d’une tablette cunéiforme dans un niveau d’époque cassite, sont des faits qui peuvent modifier l’approche traditionnelle de l’histoire de ces périodes et des cultures locales dans le Moyen-Euphrate. Mais aussi l’identification de nouveaux sites en aval de tell Masaïkh et de Darnaj est une réussite importante, considérant l’état de grande dégradation des vestiges anciens dans la région, peut-être à la dernière minute avant leur effacement total du paysage de la vallée. Ces réalisations sont le fruit d’une collaboration forte et sans réserves entre spécialistes de disciplines différentes, parfois très éloignées, qui savent utiliser leur compétence pour enrichir la recherche commune.
37Dans ce même esprit, et aussi dans la perspective de sauvegarder des informations qui risquent d’être perdues dans un proche avenir en raison de l’urbanisation et du développement des travaux hydroagricoles modernes, nous comptons continuer ce projet d’étude du territoire en nous concentrant de façon plus précise sur les problèmes d’utilisation, de partage et d’aménagement des systèmes hydroagricoles et de l’eau aux époques anciennes. Il est possible qu’à travers l’étude de cette thématique nous puissions arriver à obtenir une vision renouvelée, et plus réaliste, de l’économie de la région, et de ses changements politiques et culturels dans le cours du temps.
M. Gr. M.-R.
BIBLIOGRAPHIE
38Masetti-Rouault M. Gr.
2006 « Rapporto preliminare delle prospezioni e sondaggi nel territorio di Terqa nel 2005 : le ricerche nei siti di Jebel Mashtale e Tell Marwaniyé », in O. Rouault et C. Mora (éd.), « Il progetto “Terqa e la sua regione (Siria)”. Rapporto preliminare 2005 », Athenaeum, Studi di Letteratura e Storia dell’Antichità 94, p. 739-749.
2007 « Rapporto preliminare sulla campagna di prospezioni e sondaggi nella regione di Terqa nel 2006 », in O. Rouault et C. Mora (éd.), « Il progetto “Terqa e la sua regione (Siria)”. Rapporto preliminare 2006 », Athenaeum, Studi di Letteratura e Storia dell’Antichità 95, p. 841-843.
Notes
1 Masetti-Rouault 2006. Voir aussi Masetti-Rouault 2007.
2 Masetti-Rouault 2006, p. 744-748.
3 Ci-dessus, p. 338.
Table des illustrations
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Légende | Fig. 1 – Plan de la région de Terqa |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 176k |
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Légende | Fig. 2 – Tell Marwaniye : plan avec emplacement des sondages |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-2.jpg |
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Légende | Fig. 3 – Tell Marwaniye : plan des phases cassite tardive/Fer I et Fer II |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-3.jpg |
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Légende | Fig. 4 – Tell Marwaniye : vue générale du sondage, vers l’ouest |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-4.jpg |
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Légende | Fig. 5 – Tell Marwaniye : section sud du sondage MR2k1 |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-5.jpg |
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Légende | Fig. 6 – Tell Marwaniye : vue du sondage MR2k1-MRk2 |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-6.jpg |
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Légende | Fig. 7 – Tell Marwaniye : profil de la section sud du sondage MR2k6 |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-7.jpg |
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Légende | Fig. 8 – Tell Masaïkh : prospection magnétique, chantier E Nord |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 192k |
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Légende | Fig. 9 – Tell Masaïkh : prospection magnétique, la plaine au pied du tell, côté sud |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 192k |
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Légende | Fig. 10 – Tell Marwaniye et El Jurdi Sharqi : photo satellite |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 340k |
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Légende | Fig. 11 – Tell Marwaniye : prospection magnétique |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 492k |
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Légende | Fig. 12 – El Jurdi Sharqi : prospection magnétique |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-12.jpg |
Fichier | image/jpeg, 316k |
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Légende | Fig. 13 – Carte correspondant à la couverture de la prospection pédestre |
URL | http://books.openedition.org/momeditions/docannexe/image/4467/img-13.jpg |
Fichier | image/jpeg, 332k |
© MOM Éditions, 2015