Rapport sur les travaux de la mission archéologique française à Tell Masaïkh en 2006 (MK11)
p. 307-324
Texte intégral
INTRODUCTION (fig. 1)
1Les opérations de fouille à tell Masaïkh en 20061 ont été réalisées dans trois chantiers, dont deux, le chantier E Nord et le chantier G, ouverts cette année, sont situés sur l’« acropole », sur la butte la plus élevée du tell, autour du point géodésique, et correspondent à des parties du palais néo-assyrien (NA) découvert dans le chantier E. Le troisième, le chantier D, se trouve par contre sur le côté occidental du tell, à l’extérieur de l’enceinte néo-assyrienne. On y a déjà étudié des niveaux de la phase NA0, la fondation de l’époque d’Assurnasirpal II, des niveaux d’époque khanéenne et paléobabylonienne (Bronze Moyen II-III), attestés ici par quelques sols et surtout des tombes, et enfin les niveaux Halaf, Halaf Récent et Transitionnel vers l’Obeid, ainsi que Halaf Moyen. Tenant compte du caractère unique, pour le moment, de cette occupation Halaf dans la basse vallée du Moyen-Euphrate, nous avons décidé d’y continuer régulièrement des recherches, espérant en particulier y retrouver des structures domestiques, encore non identifiées. On a également effectué un bref sondage dans le chantier E Sud, situé au sud-est du palais, afin d’avancer l’étude d’une construction découverte lors de la saison passée.
2La stratégie principale développée cette année – mais destinée à continuer aussi pendant les prochaines missions – a donc eu comme finalité première la suite de l’exploration des structures architecturales du palais néo-assyrien, élargissant les surfaces connues et vérifiant nos interprétations stratigraphiques. Le palais a été découvert pendant nos premières opérations sur le site, mais notre technique de travail, limitée par les restrictions inhérentes aux sondages, ne nous avait pas permis de développer un réel programme de dégagement. Nos interprétations générales ont souvent été guidées par la comparaison avec le modèle des autres résidences royales assyriennes de la même époque, comme le « North-West Palace » de Kalakh, ou les palais d’Arslan Tash et de Til Barsip, qui présentent manifestement beaucoup de points communs avec l’organisation architecturale de tell Masaïkh. Dans la mesure où nous pouvons maintenant envisager un vrai programme de fouilles, il nous a semblé très important de l’orienter résolument vers l’analyse du palais, afin d’approfondir notre connaissance du projet fonctionnel – mais aussi artistique et idéologique – reflété par sa construction, tenant compte du fait que c’est sans doute dans la même perspective qu’avait été élaboré le plan d’aménagement du territoire de la rive gauche de l’Euphrate à la même époque.
3Les deux chantiers nouveaux, E et G Nord, permettent de commencer l’exploration des zones respectivement au nord et au sud de la grande cour dallée interprétée provisoirement comme un bitanu. Le chantier G a été ouvert au sud du chantier E, correspondant à la partie méridionale de cette cour. Paola Poli, Bianca Maria Tomassini Pieri et Adrien Bonnan-Garçon ont travaillé dans ce secteur. Dans le chantier E Nord, sur le sommet actuel du tell, Sabrina Salmon et Myriam Carminati ont repris la fouille d’un secteur du palais qui s’articule autour d’un grand mur (MK11ENe16), au nord de la salle de réception, orienté vers le nord-est. Béatrice Robert et Demetrio Castignola ont été responsables des sondages dans le chantier D.

Fig. 1 – Plan de tell Masaïkh avec l’emplacement des chantiers
LE CHANTIER G
Introduction (fig. 2)
4Deux loci, k192 et k193, chacun de 15 m sur 10 m, ont été établis à 10 m au sud de l’ancienne limite du chantier E, à 10 m à l’est de l’axe nord-sud passant par le point géodésique. Cet emplacement et les dimensions de sa surface ont été choisis en fonction de notre évaluation de la probable longueur maximale de la cour dallée appelée cette année k199 (30 m environ), dans le but d’en identifier les murs, ou les constructions, qui la limitent à l’ouest et au sud. Par ailleurs, les carrés ont été placés dans une zone où la pente est encore limitée, rendant possible la recherche de la continuité des structures mises au jour dans le chantier E. En effet, les dalles en briques cuites de la cour k199 sont, dans le chantier E, dans la partie la plus élevée, à une cote de 191,95, mais elles descendent déjà, à la limite sud de la fouille ancienne, jusqu’à 191,82. La surface de départ du locus k192 est à 193,56.
5La fouille a commencé, dans le locus k192, avec une équipe d’une trentaine d’ouvriers, provenant des villages voisins de Tayyane et de Darnaj. Seuls les premiers cinq mètres du locus k193, à l’est, ont pu être ouverts pendant cette saison, portant ainsi l’espace total à 20 m sur 10 m. Toutefois, au cours de la fouille, le travail dans k193 a été arrêté sur un niveau d’époque romaine tardive, tandis que, dans k192, nous avons mis au jour le niveau néo-assyrien. Les opérations ont été ouvertes par le nettoyage, par des moyens mécaniques, de la surface, qui avait été utilisée pendant une longue période comme dépôt pour nos déblais du chantier E, au-delà d’une route en terre qui traversait le tell.
k192 : niveau moderne et islamique (fig. 2)
6Nous avons conservé, au début de la fouille, la référence au locus k192 pour l’ensemble des couches et des constructions identifiées immédiatement sous la surface, et correspondant à des occupations de datation difficile, de toute manière postérieur au niveau romain tardif (RT). Il s’agit de couches de terre équivalentes à d’anciens espaces ouverts sur le tell, dont une partie suit déjà en section la pente actuelle de la butte sur laquelle se trouve le chantier E (e3, à 193,13 maximum dans la partie nord du locus ; e4, à 192,97, vers le sud ; e10, à 192,95). Elles ont un aspect argileux, parfois très rubéfié, avec des traces de foyers, des cendres, des lentilles de sable gris, sans qu’aucune structure ne soit visible. Le matériel céramique est rare : dans cette zone aussi la surface du tell est propre, pratiquement sans perturbation visible. Nous avons toutefois retrouvé, recouverte par ces couches dans la partie sud-ouest du locus, une fosse (e35, cote maximale 192,44) coupant le niveau romain tardif. Cette fosse, qui contient beaucoup de cendres noires et des charbons, pourrait être associée à des activités artisanales développées à proximité. Le matériel qui y a été retrouvé – de la céramique glaçurée, des fragments de verre et une pointe de flèche en fer – est d’époque islamique ancienne, toutefois postérieur aux tombes e7 et e8.
7Au niveau de la couche e4 nous avons commencé à dégager plusieurs marqueurs de tombes, des murets ou des amas de pierres, des fragments de céramique ou de roche. La plupart des sépultures, en pleine terre, présentent la même orientation, nord-est - sud-ouest ou est-ouest, et la même organisation, qui sont manifestement communes tant aux tombes d’époque islamique qu’à celles d’époque RT, avec comme seule différence éventuelle la position du crâne, d’ailleurs souvent peu explicite. Dans la mesure où on n’y retrouve pratiquement pas de mobilier, la détermination de la chronologie de ces tombes reste parfois imprécise. Toutefois, la présence de fragments céramiques diagnostiques dans les marqueurs ou dans les fosses permet dans quelques cas de dater approximativement une partie de ces sépultures, par ailleurs situées à des cotes à peu près équivalentes. Nous avons pu, en particulier, pour au moins deux tombes islamiques d’adulte (e6 cote min. 192,20 et e8, cote min. 192,27), proposer une date vers le xie-xiie siècle. Elles présentent les mêmes caractéristiques : une assez grande profondeur sous la surface ancienne, avec des marqueurs plutôt élaborés, et un aspect particulièrement construit. Dans la tombe e6 le corps était entouré, dans une vaste fosse (e29), par de très grosses dalles de pierre calcaire mal dégrossies, tandis que dans la tombe e8, le squelette était partiellement recouvert de briques cuites, sans doute prélevées sur le sol d’époque RT dans lequel elle était intrusive.
8Nous avons fouillé d’autres tombes d’adultes d’époque islamique, comme e21, e25, e26 (cote min. 192,40), e16 (cote min. 192,98), et e52 (cote min. 192,20), mais leur densité n’apparaît pas importante, comparée à celle d’autres secteurs du tell. Ces sépultures tendent à s’aligner sur la surface, plus dure et compacte, correspondant aux restes du grand mur néo-assyrien e33 – le mur ouest de la cour k199, dont le tracé devait être encore perceptible – et qu’elles viennent ainsi perturber. Dans le même niveau, on retrouve une grande quantité de tombes d’époque romaine tardive (RT).

Fig. 2 – Plan général du chantier G
k197 : le niveau RT (fig. 3-5)
Le cimetière RT1
9Intrusives dans les couches e10 et e22 (cote max. 192,58), au niveau le plus élevé des structures bâties RT – mais aussi NA –, nous avons fouillé une certaine quantité de tombes d’époque RT, qui semblent correspondre à un cimetière spécialisé pour enfants en bas âge. Elles présentent une typologie mixte : une partie est constituée par des sépultures utilisant de gros fragments de jarres en forme de silure, en céramique grossière rouge, sans anses ni col, bitumées à l’intérieur (e9, à 193,02 ; e12 à 193,06 ; e14 à 192,82 ; e17 à 192,68 et e30 à 192,59). D’autres tombes sont en pleine terre, avec parfois des marqueurs construits avec des rochers, ou encore de tessons provenant du même type de jarres (e5 à 193,02 ; e17 à 192,68 ; e24 à 192,85 ; e31 à 192,55 ; e36 à 192,34 et e40 à 192,07). En général, on n’y retrouve aucun mobilier, mais deux des tombes en pleine terre, e5 et e31, nous ont livré des petits bijoux, un coquillage troué et un petit collier de perles en fritte. Il est difficile de dire si ces deux modes d’ensevelissement correspondent à deux époques différentes et de les mettre en relation directe avec l’habitat de la même période, fouillé dans le chantier E, le chantier F et maintenant aussi dans le chantier E Nord.

Fig. 3 – Plan du chantier G, les niveaux romains tardifs

Fig. 4 – Vue générale du chantier G

Fig. 5 – Chantier G, locus k203, la « maison romaine »
10Des tombes d’adultes RT ont été identifiées à des cotes légèrement inférieures (e39 à 192,27 ; e46 à 192,29 ; e65 à 192,23 ; e67 à 192,34 ; e68 à 192,28 ; e70 à 192,33 et e72 à 192,29), dont certaines intrusives dans des sols d’époque RT, comme e34 (à 192,30). Le corps est en général disposé sur le côté droit, jambes allongées et bras le long du corps, sans matériel associé. Toutefois, dans la tombe e46, couverte par des fragments de panse provenant d’un grand récipient, nous avons retrouvé une petite bague en fer encore en place ; et la tombe e65 nous a livré une boucle de ceinture circulaire en bronze, portant encore les traces de textile.
La phase RT2 : k197
11Une partie de ces tombes est intrusive dans une série de sols en terre (e34, cote max. 192,30), correspondant à une phase d’occupation plus ancienne de l’époque RT. Il s’agit d’un vaste espace ouvert, sans structure bâtie, qui occupe apparemment l’ensemble de la surface du locus, bien que le sommet de quelques murs de la phase plus ancienne (RT3) soit déjà perceptible. Par ailleurs, vers l’ouest, ces sols (e20, cote 192,60), marqués par la présence de foyers et de quelques briques cuites de dimensions différentes, se prolongent et montent sur le sommet de la ruine constituée par l’érosion du mur d’époque néo-assyrienne e33 (cote max. 192,54, voir fig. 5). Une partie de leur surface est recouverte de djuss (e32, cote 192,55). Encore in situ, un ensemble de huit jarres en forme de silure, disposées sur deux files parallèles, étaient enterrées à la verticale dans ce sol, et l’ensemble comportait, à une de ses extrémités, une sorte de structure en djuss – peut-être une base de poteau, ou bien un support de jarre.
12D’autre part, dans l’angle sud-ouest du locus, à l’est du mur e33, nous avons retrouvé les restes d’un sol en terre avec des fragments de briques cuites (e57, cote 192,31), associé à une petite plate-forme carrée de briques cuites et djuss (e58, cote 192,34), qui avait fonctionné comme foyer, et à un petit mur de refend (e62, cote min. 192,16). Ces structures couvrent une couche de remplissage (e57 cote min. 191,75) contenant beaucoup de cendres, des scories de fer et des fragments d’objets et d’outils en fer, laissant penser encore une fois à la présence d’un atelier métallurgique. La fosse de la tombe islamique e6 coupe la connexion avec le sol e34, mais l’ensemble apparaît assez homogène, comme en témoigne la nature du matériel céramique associé, clairement d’époque RT.
La phase RT3 : k203 et k204
13Le sol e34 repose sur la couche e73 (max. 192,20), constituée de terre meuble, argileuse, sans beaucoup d’inclusions, et qui recouvre un autre sol, e59 (191,90). Ce sol en terre et djuss a été partiellement bâti avec des fragments de briques cuites et de dalles en basalte, de meules dormantes, provenant des restes d’une autre phase d’occupation du niveau romain. La fouille a montré qu’il s’agissait d’un espace quadrangulaire, k203, limité par quatre murets et couvrant une surface d’environ 25 m 2. Il est limité au nord-ouest par le mur e69 (max. 192,25, long. 5,50 m), à l’est par e78 (max. 192,35, long. 5,05 m), au sud-est par e75 (max. 192,45, long. 4,60) et à l’ouest sans doute par e61 (192,07, long. env. 4,30 m). Un autre espace, k204, a été identifié à l’est du mur e78, contre la face est duquel se trouve une installation en djuss (e79, max. 192,24), sorte de petite plate-forme avec une cavité centrale, et un sol en terre associé (e80, max. 192). Les limites de cet espace, se prolongeant à l’est sous la section en k193, n’ont pas encore été dégagées, mais on voit déjà apparaître, sur la surface actuelle, des alignements de fragments de briques et de pierres. Respectivement parallèles à e78 et prolongeant e69, ces murets pourraient être les sommets des murs est et nord-est du locus k204. Alternativement, k204 pourrait entourer k203 aussi vers le nord.
14D’aspect très irrégulier et très érodés, les murs e69, e78, et e75 sont bâtis à partir de fragments de tabuk, de pierres et fragments de rochers et de terre. Ils sont construits sans fondations – avec peut-être l’exception du mur e75 – et reposent directement sur le sol e59, qui ne se poursuit pas au-delà. Nous n’avons pu retrouver aucune trace de briques ni d’enduit pour lier ces matériaux hétérogènes. Par ailleurs, dans une position correspondant à celle du mur e75, fondé sur le sol e34, a été identifié un amas d’argile compacte (e62, cote max. 192,72), qui pourrait être interprété comme le reste, très érodé, de l’élévation du mur dans la phase suivante. Rien de semblable toutefois n’a été constaté pour les autres murs. Dans cette situation, on peut se demander si k203 est à considérer comme une pièce, ou un espace fermé, ou bien s’il s’agit d’une sorte de cour. L’état actuel des murs rend cette hypothèse vraisemblable mais, par ailleurs, l’absence de tannour et d’autres dispositifs à feu fait penser à un local fermé – bien que le sol e59 porte bien vers son centre quelques traces de rubéfaction. Le mur e61, à la limite ouest, est particulièrement érodé et perturbé par une fosse, son orientation étant donnée par une file de petites briques cuites. Il se trouve à proximité de la face est du mur NA e33, tout en ayant une orientation différente, et il est possible que, dans sa partie nord, il y ait eu une porte ouvrant vers l’ouest. Un sol en fragments de briques cuites (e44, max. 192,10) est installé, dans cette direction, sur le sommet du mur NA e33. Au coin entre les murs e78 et e75 il y avait probablement une autre porte, vers le sud-est, permettant aussi de passer dans k204.
15Le matériel céramique retrouvé dans ce contexte, en assez petite quantité, est uniquement d’époque RT, bien qu’ici les jarres grossières bitumées à l’intérieur semblent finalement moins fréquentes. Nous avons retrouvé sur le sol e59 une série de petites bouteilles appartenant sans doute à la typologie d’époque classique, quelques outils en fer, comme une lame de faucille, et une série de boules d’argile en grande quantité et de formes diverses, avec un trou central, que nous avons interprétées comme des pesons. Une tombe en pleine terre e81 (cote 191,90), située dans l’espace au nord de e69, pourrait avoir été creusée depuis ce sol. À la différence des autres tombes RT, toutefois, le corps est orienté est-ouest, avec la tête à l’est, bras et jambes repliés. Le mobilier était constitué d’une petite bague ouverte en bronze. Nous ne pouvons pas exclure que cette sépulture soit à dater de la fin de l’âge du Fer.
Le niveau néo-assyrien : k199, k200, k201 (fig. 2, 6 et 7)
16Dès les premières opérations, nous avons remarqué, dans la partie ouest du k192, une vaste zone particulièrement claire et compacte. Au cours de l’avancement de la fouille, nous avons pu l’interpréter comme une série de sols utilisés à l’époque RT (e20, e32, e44), perturbés par les fosses des tombes islamiques. Nous y avons reconnu la suite vers le sud-est du grand mur en briques crues (e33, cote max. 192,54) qui fermait la cour dallée k199 dans cette direction et mesurait plus de 3,50 m de large. Ce mur, constitué de briques carrées de 40 cm de côté, était orienté nord-ouest - sud-est, et il avait été fortement érodé et coupé par des fosses, du nord vers le sud, surtout dans sa partie sud, juste avant la limite sud du locus. Au moins deux niveaux d’utilisation de ce mur ont été repérés pour l’époque néo-assyrienne.

Fig. 6 – Chantiers E et G, plan des structures néo-assyriennes
La phase NA2
17Comme nous nous y attendions, nous fondant sur le modèle stratigraphique relevé pendant la fouille de la partie nord de la cour k199 dans le chantier E, nous avons retrouvé, associé à la face est du mur, dans sa partie nord, sous les couches RT, un premier sol en terre et djuss, très compact (e41, cote max. 191,92, cf. fig. 4), sur une surface par ailleurs assez limitée. Vers le sud, ce sol, marqué par des foyers, disparaissait suivant la pente, progressivement recouvert et remplacé par les sols e59 et autres structures du locus k203 (RT). Le sol e41 n’a pratiquement pas livré de matériel et il n’était associé à aucun tannour ou installation artisanale, contrairement à d’autres dans le chantier E, mais la suite de la fouille a confirmé le bien-fondé de notre interprétation : en effet, ici aussi le remplissage qu’il scellait, e42, est constitué de terre meuble et de sable provenant de la pente occidentale du tell vers l’Euphrate (chantier D), et il couvre le sol originel en briques cuites de la cour k199 (e43, briques de 40 × 40 cm, cote max. 191,58). Dans la couche e42, pratiquement stérile et sans aucune inclusion, on a par ailleurs retrouvé non seulement des fragments de lames d’obsidienne et de céramique Halaf, provenant de l’occupation chalcolithique qui se trouve dans ce secteur, mais aussi deux fragments de tablettes cunéiformes d’époque Hana, des documents juridiques portant un sceau royal, qui appartiennent clairement à la tradition bien attestée à Terqa. Ces fragments doivent également provenir des couches du Bronze Moyen II-III attestées dans le chantier D, remontés au moment du remblai accumulé sur le sol dallé de la cour k199. L’étude de la face ouest du mur e33, dans la partie qui devrait être parallèle à la limite occidentale du palais, là où on s’attendait à trouver éventuellement un couloir ou un passage, a par contre livré une structure différente, sans doute une pièce orientée nord-est - sud-ouest, k201 (fig. 2, 4 et 7). La pièce est limitée, au sud, par le mur e50, qui arrive contre e33, tandis que sa limite nord n’est pas encore connue. Le mur e50 (cote 192,22) avec ses fondations, appartient à une phase de construction postérieure à celle du mur e33, puisqu’il coupe le conduit en briques cuites (e49, cote 191,39) ainsi qu’un sol en briques crues (e60, cote 191,40), de la phase NA1 (cf. k200). Le sol de k201 présente une caractéristique qui démontre l’appartenance de cet espace à une autre phase : en effet, le sol e54 (cote max. 191,96) – une sorte de « tapis » en briques cuites de deux modules différents –, est intrusif dans la face ouest du mur e33, lequel semble avoir été rétréci dans son épaisseur, à partir de ce niveau. Au sud du mur e50, dans le locus k200, nous avons mis au jour un autre sol en terre (e53, cote 191,74). Pendant la phase NA2, l’espace de la grande cour dallée a donc changé d’aspect, perdant son sol en briques cuites ; mais un autre local a été aménagé de la même façon, avec une orientation opposée à la précédente.
18L’accumulation et l’érosion ultérieure des couches RT n’ont guère laissé de matériel céramique dans ce secteur. Deux tombes en pleine terre (e74, cote 191,71 et e82, cote 192,56), retrouvées dans la partie nord-est de k192, intrusives dans la couche e42 mais sans être associées au sol dallé, scellées par les couches RT, pourraient provenir d’un sol néo-assyrien de la phase NA2 ou postérieur. La tombe e82, explorée seulement en partie, a livré un mobilier intéressant : un vase métallique en bronze, et un bandeau composé de plaquettes de bronze, sans doute cousues ensemble à l’origine (voir article de P. Poli dans cet ouvrage).

Fig. 7 – Chantier G, vue des structures néo-assyriennes. À gauche, la cour dallée k199 ; à droite la salle k201
La phase NA1
19Le premier sol associé au mur e33 est le sol en brique cuites e43 (cote 191,58), comme nous avons pu le constater dans la section de la fosse qui coupe le mur vers le sud : le mur et le sol entrent donc dans la section presque à la même cote, montrant le niveau important de l’érosion vers le sud. Nous n’avons pas pu retrouver pour le moment le mur perpendiculaire à e33, qui devait fermer la cour k199 au sud, mais il est possible qu’il soit près de la section sud, et que le mur e75 (RT) en suive déjà l’orientation.
20Dans le locus situé à l’est du mur e33 (cour dallée k199), nous avons dégagé l’ensemble du sol en briques, là où il n’était pas couvert par des sols d’époque plus récente. En nettoyant la face du mur e33 nous avons pu retrouver, tout le long de son extension, les restes, assez bien conservés, d’un décor peint sur la plinthe, sur une hauteur d’une trentaine de centimètres (voir article de P. Poli). Il s’agit d’une frise avec des éléments géométriques répétitifs, comme des lignes obliques et des cercles, mais aussi avec des parties plus figuratives, comme une représentation de végétaux. On a pu identifier plusieurs couches de peinture, correspondant sans doute à des réfections progressives, rendues nécessaires par sa position même, près du sol (fig. 8 et 9). Le décor est constitué de lignes noires sur un fond blanc, comme celui que nous avions déjà rencontré dans la partie orientale de la salle de réception au nord-est de la cour k199, et qui datait de la phase NA1. Ici aussi, le décor peint a été conservé dans la mesure où il avait été recouvert de terre à l’occasion du rehaussement des sols, pendant la phase NA2.
21Dans la partie à l’ouest du mur e33, qui pourrait correspondre à l’espace entre le palais et l’enceinte, ou bien à des locaux couverts entourant la cour k199, nous avons mis au jour un sol en briques crues (e60, cote 191,40), auquel est associé le conduit e49. Par la suite, ces deux constructions ont été coupées et recouvertes par les celles de la phase NA2, le mur e50 et le sol e53.
M. Gr. M.-R.

Fig. 8 – Chantier G : détail des peintures murales in situ

Fig. 9 – Chantier G, dessin des peintures murales
CHANTIER E NORD
Introduction (fig. 10)
22Deux nouveaux secteurs de fouille ont été implantés au nord du palais (chantier E). Le premier locus, k195 (réunion de k186 et k194), a été ouvert au nord-ouest du palais assyrien, plus précisément sur la partie sommitale du tell marquée par la présence du point géodésique. Il s’étendait sur 25 m du nord au sud, et 20 m d’est en ouest. Deux autres espaces de travail, k188 (10 × 10 m), situé sur la pente du tell au nord-est du palais et, plus au nord, k202 (10 × 20 m), ont été ouverts dans le but de continuer à dégager les structures architecturales du palais néo-assyrien et de terminer l’étude de la construction romaine découverte lors de la mission de 2002 (fig. 1)2. En outre, des opérations ponctuelles ont été réalisées dans k198 et k191 dans le but de clarifier la stratigraphie des phases NA1a, NA1b et NA2.

Fig. 10 – Chantier E Nord, plan général
Le niveau islamique
23Vingt-deux tombes, toutes d’époque islamique, ont été découvertes. Elles sont intrusives dans les niveaux plus anciens, romains et néo-assyriens. Elles sont orientées est-ouest, tête tournée vers le sud-ouest. La tombe e31, intrusive dans la couche e27 (k187/91), présente la particularité d’être recouverte d’une structure en bois. Nous en avons retrouvé quelques vestiges, ainsi que deux pieux destinés à soutenir la couverture en bois. Aucun matériel n’était associé à ces tombes, à l’exception d’un bracelet en fer placé sur l’avant-bras droit du squelette de la tombe e54.
Le niveau romain : k188, k195, k202 (fig. 11-12)
24Dans les loci k188 et k198, zone située au nord du palais, des structures appartenant à un niveau d’habitat d’époque romaine ont été mises au jour, sans doute en lien avec les restes du bâtiment dégagé durant la mission de 2002 (MK7). Plusieurs locaux ont été identifiés sur une surface qui atteint environ 200 m 2 et recouvre les loci k198, k98, k99, k100, k101, k102, k188 et k202. Cette occupation s’organise autour de plusieurs espaces ouverts, caractérisés par des structures à caractère domestique, telles que des dispositifs à feu. Deux niveaux de sol ont été repérés : e15 et e92, dans k188, respectivement équivalents à e81 et e94 dans k202. Le niveau de sol le plus ancien, e92 (cote 194,32 dans k188) et e94 (cote 194,04 dans k202) semble avoir été vidé de tout son mobilier. Il joint les murs e57, e85 et e10, ce dernier étant percé d’une porte ouvrant un passage nord-sud. Durant la phase la plus récente (e15 dans k188, à la cote 194,50 et e81 dans k202, à la cote 194,30), des modifications et des ajouts ont été apportés à l’architecture, tandis que les murs plus anciens, e10 et e57, étaient réutilisés, ainsi que e85 qui est alors percé d’une porte. Ces différentes constructions sont orientées selon un axe nord-ouest - sud-est, orientation différente de celle des structures néo-assyriennes. Du premier niveau de sols, seuls des foyers et des vestiges importants de djuss sont encore visibles, alors que différentes installations sont associées aux sols e15 et e81 : un tannour (e20), deux foyers (e22 et e66), un bassin en djuss (e70), deux puisards constitués de jarres bitumées (e51 et e80) et une petite plate-forme (e83). Nous avons aussi retrouvé des éléments d’architecture en djuss, comme par exemple une base de colonne, ainsi que du matériel de nature domestique (deux pilons en silex et en basalte), ainsi que quelques objets de très belle facture, comme un alabastre en albâtre, un fragment de figurine zoomorphe et une plaquette en terre cuite décorée datée de l’époque parthe. L’ensemble des structures de cette époque délimite plusieurs espaces, souvent de petites dimensions, et nous révèle un système de circulation complexe. Cinq tombes islamiques (e86, e101, e102, e103 dans k101 et e95 dans k202) sont intrusives dans ces deux niveaux de sols.

Fig. 11 – Chantier E Nord, plan du niveau romain tardif
25Dans le locus k198, le sol e53 (cotes 196,20 et 195,90), localisé en partie sur le sommet de la construction e16, est caractérisé par une terre rubéfiée, ainsi que par la présence d’os d’animaux et de tessons lités. Le sol e74 (cote 195,66) est associé à différentes structures romaines, notamment e65 et e90, mais a peut-être aussi été utilisé en lien avec le mur néo-assyrien e16. Une gouttière (e55), aménagée sur le sommet de la construction e16 récolte l’eau de pluie et la conduit jusqu’au niveau du sol e74, grâce à un système constitué de deux jarres bitumées emboîtées l’une dans l’autre.

Fig. 12 – Chantier E Nord, vue du locus k188, niveau romain tardif
Les niveaux néo-assyriens : k195, k198 (fig. 10, 13 et 14)
26La construction e16, que nous avons interprétée comme une tour ou comme une grande plate-forme, a été mise au jour dans le locus k195. La partie nord-est de k187 a été élargie et renommée k198, afin d’en rechercher la limite orientale. Il s’agit d’un massif de briques crues de construction soignée, de forme quadrangulaire, et mesurant 30 m de longueur du nord au sud et 17 m d’ouest en est (fig. 1). La hauteur totale de sa section orientale s’élève à 4 m, fondations comprises (altitude 196,55-192,74), et ses briques sont régulièrement orientées nord-ouest - sud-est. La partie de la construction située directement au sud du point géodésique n’a pu être fouillée, mais sa présence autour de ce point peut être supposée d’après les briques crues que l’on peut voir dans la section méridionale, 10 m au sud du point géodésique et dans toute la section orientale, à 5 m à l’est de ce même point.
27La construction e16 a été repérée directement sous la couche de surface e3 (cotes 196,84-196,42), formée de terre argilo-limoneuse et poussiéreuse et contenant de nombreux petits galets, équivalente à la couche e26 (cotes 196,75-196,20) et, dans k198, à la couche e59. Le sommet de e16 a été perturbé par de nombreuses tombes d’époque islamique (e14, e18, e19, e28, e34, e35, e37, e47, e49, e54, e56, e62).
28Bien que la limite occidentale de la construction e16 n’ait pas pu être fouillée dans son ensemble, on peut constater qu’elle a été en partie construite sur le mur occidental du palais, daté de la phase NA1a, et orienté différemment, selon un axe nord-est - sud-ouest. Toutefois, les résultats obtenus dans le sondage k191 et dans un ancien secteur de fouille, k108, montrent que cette construction doit être datée de la phase NA1b, et qu’elle fonctionnait avec la rampe e72 mise au jour pendant la campagne précédente dans la pièce située immédiatement au nord de la salle de réception officielle du chantier E (fig. 1 et 10). Aménagée durant la même phase, cette rampe permettait un accès rapide depuis le palais et la grande cour dallée jusqu’au sommet de la plate-forme, offrant une vue d’ensemble sur la vallée de l’Euphrate et la steppe environnante.

Fig. 13 – Chantier E Nord, vue de la plate-forme e16 depuis l’est

Fig. 14 – Chantier E Nord, vue de la plate-forme e16 depuis le sud
29À l’angle nord-ouest du locus k195, la structure de la plate-forme e16 se prolonge vers le nord par un mur e88. Un sondage à l’angle de leur jonction a montré qu’il s’agissait d’un espace non bâti, avec un remplissage compact où on a pu identifier au moins deux couches différentes de remplissage de terre argilo-limoneuse et sableuse, de couleur verte et charbonneuse, e52 et e71. Ces strates contiennent une très grande quantité de céramique néo-assyrienne, souvent fine, à pâte rose beige et rouge polie, mais on y trouve aussi un peu de céramique romaine. L’érosion a emporté les limites nord et est de cet espace.
30Dans le locus k198 (espace de fouille de 5 m sur 10 m), la plate-forme e16 présente une avancée de 5 m vers l’est, mais nous n’avons pas pu en déterminer avec précision la limite orientale en raison de l’érosion de la pente du tell et de l’intrusion du niveau d’habitat romain. On peut toutefois remarquer que les sols d’époque romaine e53 et e74 s’appuient directement contre la face est de la plate-forme e16 (voir fig. 11).
31Au sommet de la construction e16, on distingue dans la brique crue trois formes parallèles (e50), espacées d’environ 3 m et occupant un espace total de 9,40 m sur 2 m. Le chaînage des briques, les joints et l’orientation des assises de ces formes quadrangulaires présentent les mêmes caractéristiques que celles de l’ensemble de e16. Toutefois, la différence de couleur de la brique et la présence de ces formes très géométriques laissent à penser qu’il s’agit de l’empreinte laissée par des superstructures différentes ou bien par le comblement soigné de trois pièces d’une phase plus ancienne. Il pourrait aussi s’agir de l’empreinte laissée par un édifice composé de trois pièces parallèles et allongées, maintenant disparu, et qui aurait été construit sur le sommet de la plate-forme.
Le locus k191 (fig. 10)
Phase NA2
32Le sondage k191 (3,80 m sur 2,50 m) a été réalisé à l’angle des murs MK7 e96 et e16 afin d’étudier les relations stratigraphiques entre les murs MK7 e96 et MK11 e16. La fouille a été reprise ici à la cote d’altitude de 193,71 (e8). Plusieurs couches de remplissage de terre argilo-limoneuse, de couleur verte, se succèdent (e8, e17) contenant une quantité importante de céramique exclusivement néo-assyrienne (céramique à pâte rouge polie ou beige rose). Les fondations du mur MK7 e96, que l’on peut dater de la phase NA2 et qui avaient été aménagées sur le mur e23 (= e91), ont été dégagées à une cote d’altitude de 192,87-192,74. Un sol de la phase NA2 e24, souligné par la présence d’une couche charbonneuse et des vestiges de djuss, est associé aux murs MK7 e96 et MK11 e16, à une cote de 192,74. Il est aussi associé au mur e23/e91, plus ancien (phase NA1). Ce niveau de sol NA2 trouve son correspondant, e67 dans k108, à la même cote d’altitude, où il est construit sur la surface de la rampe d’accès à la terrasse e16.
33Dans l’angle sud-ouest du k191, nous avons constaté que le mur MK7 e96 de la phase NA2 prenait appui sur la construction e16, leurs briques n’étant pas imbriquées et le chaînage des assises étant différent. Le mur MK7 e96 est une reconstruction du mur e91, de la phase NA1a. L’absence d’un sol NA1b dans cet espace peut s’expliquer par le fait que le secteur situé en contrebas du côté oriental de la terrasse e16 n’était plus utilisé durant la période NA1b.
Phase NA1
34Sous ce niveau de sol, une couche de remplissage (e25) contenant exclusivement de la céramique néoassyrienne beige rose, rouge polie et de la céramique fine à pâte beige polie, recouvre le niveau des sols de la phase NA1a, e32 et e29, situé à une cote d’altitude de 192,50-192. Ces sols, identifiés à la limite du sondage, correspondent, dans le locus k191, à une plate-forme (e29) construite en briques cuites colorées, rose et beige-jaune. Les briques sont posées sur deux couches de préparation de sable vert, e33 et e36. La plate-forme e29, constituée de deux lignes parallèles de briques, est délimitée au nord et au sud par des briques de couleur différente, rectangulaires et de plus petites dimensions. L’organisation de cette structure rappelle le remplissage de briques cuites mis au jour entre les rails en pierre du système de chauffage découvert dans la salle de réception officielle du palais, dans le chantier E. La couche e32 est un niveau de sol composé avec soin avec de la terre beige très compacte, semblable à de la brique, sans aucune inclusion naturelle ni anthropique. Elle est associée au mur e91 de la phase NA1a. L’ensemble des couches e32, e33 et e36 recouvrait un niveau d’argile pure. Cet ensemble – le sol e32, la plate-forme e29 et le mur e91 – doit clairement être daté du début de la phase NA1, au moment de la fondation du palais, et il est possible qu’il définisse l’angle sud-ouest d’une autre grande cour du palais, comparable à k199.
Le locus k108 (fig. 10)
Phase romaine
35Nous avons repris la fouille dans le locus k108, au sud du sondage k191, limité au nord par le mur MK7 e96, afin d’étudier le remplissage joint aux murs MK7 e96 et e123, de la phase NA2, et de clarifier la situation stratigraphique de cette zone, caractérisée par la présence de la rampe datée de la fin de la phase NA1.
36Le premier niveau, la couche e40 (cote 194,54), est un remplissage caractérisé par la présence de céramique romaine et d’objets en basalte. Cette importante couche de terre cendreuse et rubéfiée est associée au sol e43 (cote 194,22), sur lequel sont installés le tannour e44 et le foyer e45. Ce niveau de sol romain, de nature domestique, a réutilisé des murs datant des phases NA2 (MK7 e96), et NA1a (MK7 e123).
Phases NA2 et NA1
37Il apparaît que les niveaux néo-assyriens ont été remblayés à l’époque romaine par une épaisse couche de terre compacte, e46 (194,20-193,35) contenant uniquement une grande quantité de briques cassées, sur lequel repose le niveau d’occupation romain. Cette couche e46 couvre un niveau de sol NA2 e67 (192,74), associé à une plate-forme construite en briques crues non alignées, e75 (192,99) ainsi qu’à deux foyers e68 et e73. Ce niveau de sol NA2 est installé sur la rampe e72 de la fin de la phase NA1, qui s’appuie contre les murs plus anciens e91 et MK7 e123 et monte vers l’ouest ouvrant un accès à la grande plate-forme e16. S. S.
LE CHANTIER D
Introduction (fig. 15)
38Au terme de la campagne 2005, nous avions démontré que le niveau Halaf Récent, attesté dans tout le chantier D, avait été précédé par une autre occupation, aussi mise en évidence dans un sondage, dans la partie nord de k171. Le matériel mis au jour avait permis de mettre en valeur l’importance de l’installation halafienne sur le site de tell Masaïkh. Pour cette année, nos objectifs étaient d’abord de poursuivre la fouille dans de nouveaux secteurs, afin d’atteindre les niveaux chalcolithiques et de trouver les structures d’habitats associées, puis d’affiner l’étude du mobilier pour préciser les parallèles observés entre notre assemblage et celui des grands centres halafiens. Les fouilles ont été réalisées dans trois loci différents, k190, k189 et k171 qui seront présentés ici dans l’ordre de la stratigraphie.
Le locus k190 (fig. 15)
Le niveau néo-assyrien (fig. 16)
39Le dégagement de la couche superficielle e6 (cote 190 env.) nous a permis de retrouver les blocs de maçonnerie d’époque néo-assyrienne (e10, cote 189,85) qui avaient été interprétés comme des éléments d’un glacis à l’extérieur de l’enceinte. Cette structure est posée sur un radier de cailloutis épais de 0,15 m et lié à la chaux (e16, cote 189,67) et elle est constituée de plusieurs assises en briques crues avec un pendage est-ouest. La berme est nous montre que sa partie sommitale n’est épaisse que d’une assise, alors que la stratigraphie de la berme sud rend compte d’une situation différente : à cet emplacement, elle est épaisse de 6 à 7 assises. Au cours de son démontage, nous avons retrouvé l’organisation compartimentée du glacis, déjà observée lors de la campagne 2004 : des remplissages de terre argileuse assez meuble, séparés par des murs de briques crues, vestiges vraisemblables d’une occupation antérieure correspondant à la phase NA0.
Le niveau paléobabylonien (fig. 16 et 17)
40Le dégagement du sol e80 dans la partie nord-ouest a fait apparaître un niveau de remplissage de terre (e76, 188,77-188,18) contenant plusieurs céramiques entières de dimensions assez conséquentes ; parmi elles, deux sarcophages (e74 et e78) et deux tombes à double jarre (e77 et e81), très perturbées – les ossements étaient très fragmentés et le matériel associé particulièrement pauvre. Le seul mobilier découvert, en dehors de tout contexte clair, provenait du remplissage des fosses : il se composait de quelques tessons et d’une figurine d’époque Halaf.
Le locus k189 (fig. 15)
41À l’extrémité sud du chantier D, le locus k189 reprend en partie un ancien secteur de fouille et s’étend à l’ouest, jusqu’aux limites du mur en pierres sèches MK9D e93. Cet emplacement a été choisi car sa faible altitude par rapport au reste du tell permettait d’atteindre rapidement les premiers niveaux Halaf, et parce qu’il offrait une connexion stratigraphique avec la tranchée alpha où des tessons de la même époque avaient été observés pour la première fois à tell Masaïkh.

Fig. 15 – Chantier D, plan général

Fig. 16 – Chantier D, vue du locus k190

Fig. 17 – Chantier D, vue des tombes paléobabyloniennes
Le niveau paléobabylonien
42Le premier niveau archéologique atteint (e27, 188,73-188,59) marque la fin de l’occupation paléobabylonnienne dans ce secteur et recouvre un sol (e33, 188,59) en djuss associé à un mur en briques crues (e31), dont il ne reste que les fondations. Ce sol comporte peu de matériel. Il est installé au sommet d’une couche de remplissage (e32, 188,59-188,16) faite de terre assez meuble et contenant des tombes à jarre très perturbées (e40, 188,21-187,89). Une telle configuration semble systématique dans la stratigraphie du chantier D. Dans la partie ouest, a été dégagé un aménagement isolé et directement posé sur les couches inférieures d’époque Halaf (fig. 18). Il s’agit d’une plate-forme rectangulaire (e66, 187,77), bâtie en terre crue, dans laquelle est encastrée une large cuvette ovale en terre cuite (e60, 187,80-187,15), et surmontée de deux gros blocs calcaires (e59) à peine dégrossis. Faute de matériel associé, il est difficile de proposer une interprétation pour cet ensemble. Seuls la forme et le décor bitumé extérieur de la cuvette favorisent une attribution à la première installation paléobabylonienne sur le site.
Le niveau Halaf (fig. 18)
43La couche e46 (187,90-187,75) marque la transition entre les niveaux d’époque paléobabylonienne et les premiers niveaux Halaf Récent. Elle se distingue par l’augmentation et la concentration de tessons polychromes, de bols de type Dalma Ware et d’outillage microlithique en silex et obsidienne. Les premiers sols Halaf Récent (e48 et e71) ont été atteints à une cote de 187,75. Le sol e48 se singularise par une texture très compacte et peut être interprété comme un espace fermé, peut-être l’intérieur d’un habitat. Il est perforé par une fosse riche en matériel varié, notamment des fragments de vases zoomorphes et une figurine féminine représentée assise (sans la tête) de 10 cm de haut (fig. 19). Il est séparé du sol extérieur e71 par une ligne de cailloutis (e61) doublée par une banquette en terre crue (e70) de forme circulaire. Ce sol e71 se caractérise par une texture plus meuble composée de limon argileux avec des inclusions de charbons.
44Plusieurs dispositifs à feu délimités par des murets en terre crue (e65, e72) et des fondations de murs très arasés (e63, e64) sont associés au sol e71. L’occupation Halaf s’interrompt environ 2 m en deçà du grand mur en pierres sèches MK9D e93. À cet endroit, le sol e71 présente un fort pendage est-ouest en direction du mur : il est progressivement recouvert par un limon verdâtre très épuré correspondant aux rejets des crues de l’Euphrate.

Fig. 18 – Chantier D, vue du locus k189

Fig. 19 – Chantier D, figurine d’époque Halaf in situ
Le locus k171 : le niveau Halaf (fig. 15)
45Deux niveaux Halaf avaient été mis en évidence au cours de la campagne précédente : un premier sol (MK10D e88) attribué à la phase Halaf Récent (187,65-187,45), et un second (MK10D e78) à une altitude inférieure d’environ un mètre (186,62), auquel étaient associées des structures en pisé. Pour ce dernier, une datation à une époque ancienne du Halaf Récent, ou même du Halaf Moyen, avait été suggérée, d’après le matériel mis au jour, notamment en raison de la qualité moins riche et élaborée des décors et motifs des céramiques. Au cours de cette campagne, nous avons repris les fouilles dans la partie nord du locus, afin de préciser nos observations quant à l’existence de ces deux phases. Un premier sol en terre et djuss (e2) a rapidement été mis en évidence à une cote de 187,65.
46Le matériel associé a confirmé l’appartenance à la phase Halaf Récent et de transition vers l’Obeid : nombreux tessons polychromes d’excellente facture, fragments de céramique hybride, tessons de type Dalma Ware, microlithique et un scellement de forme octogonale portant une empreinte à motifs géométriques. Un deuxième niveau de sol Halaf a été observé à une côte de 186,60. Il se trouvait sous la couche de remblai volontaire (e7) composé d’argile très compacte mélangée à du djuss. Cette interprétation s’appuie sur la quantité et l’hétérogénéité du matériel retrouvé au sein de cette couche. Les formes présentes dans ces niveaux plus anciens sont pratiquement les mêmes que celles du niveau plus récent mais la qualité stylistique des motifs et décors céramiques est beaucoup plus simple et monochrome, comme on l’avait déjà remarqué lors de la campagne précédente. On note toutefois un inversement des proportions entre la céramique commune et à vocation culinaire, et la céramique fine peinte. Les tessons de type Dalma Ware et hybrides sont absents mais le mobilier apparaît plus riche qu’à la phase suivante, en ce qui concerne le matériel de mouture en basalte et de matériel microlithique. Enfin, nous pouvons souligner la découverte d’un panier en fibres végétales bitumées, posé sur ce sol et protégé par un grand bol retourné. En l’absence d’indices décisifs quant à la présence d’un habitat, ce niveau rend toutefois compte de la poursuite d’activités domestiques à proximité immédiate.
B. R.
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
47Le programme de fouille de cette année à tell Masaïkh nous a permis de dégager une surface importante du palais assyrien, et d’améliorer notre connaissance générale de l’occupation coloniale d’époque pré-impériale. Au sud du chantier E, la partie connue du palais, l’ampleur de la structure architecturale et la qualité du décor de la grande cour dallée ont été mises en évidence par les résultats de la fouille du chantier G, tant à l’époque de la fondation du bâtiment (NA1) que pendant l’époque suivante (NA2), après le retour de la ville dans le giron de l’administration impériale assyrienne. Nous avons aussi pu confirmer l’interprétation stratigraphique générale présentée pour la succession des phases de construction. La modification de la structure du palais à la phase NA2 correspond largement à nos hypothèses ; par contre, dans l’espace à l’ouest de la grande cour, le remaniement du bâtiment lors d’une phase plus ancienne, que nous appelons NA1b, présente des aspects moins prévisibles avec, en particulier, l’ajout d’une salle élégamment dallée (k201), qui semble avoir eu une fonction de prestige. Cette innovation, qui s’insère dans un environnement qui nous semblait largement dégradé, au profit des quartiers du bâtiment qui se trouvent dans le chantier F, demande donc une explication et peut-être une modification de notre interprétation générale. Naturellement, l’avancement de la fouille, clarifiant la nature de cet espace et ses relations avec le reste du palais et l’enceinte, apportera des éléments nécessaires à une meilleure compréhension des événements à l’époque de la phase NA2.
48Les fouilles dans le chantier Nord ont exploré une très vaste surface située sur le sommet de la butte la plus élevée du tell, qui est manifestement composée des ruines de l’acropole assyrienne. On avait supposé que devaient s’y trouver les autres quartiers d’habitation, d’administration et de stockage propres à ce type de bâtiment palatial, mais nos travaux de cette année ont montré qu’il s’agit d’une unique structure en briques crues, une sorte de plate-forme ou de « tour » de grandes dimensions, sans doute annexée à l’enceinte, dont la nature et les fonctions restent à déterminer. Il est clair que sa hauteur l’associe à des fonctions militaires et administratives, facilitant l’observation et le contrôle des rives du fleuve, et aussi du tracé du canal qui coupe la terrasse justement à la hauteur du site. Par ailleurs, on ne peut exclure non plus des raisons moins économiques pour ce changement, comme par exemple la création, dans le palais, d’un quartier plus agréable et raffiné, avec vue sur l’Euphrate et profitant d’une meilleure aération. Une motivation religieuse pourrait aussi être évoquée, en comparaison, par exemple, avec la position de la « ziggurat » dans le complexe architectural plus tardif de Khorsabad. La construction de cette aile du palais, pendant la phase NA1b, est le résultat d’une réflexion architecturale précise, qui a demandé le remaniement de tout le quartier au nord du bitanu, et l’abandon de l’articulation et de la communication originaires des espaces, voulues au moment de sa fondation. La « tour » a apparemment été conservée aussi pendant la phase NA2, mais seulement la poursuite des fouilles dans ce secteur pourra éclairer sa position dans le cadre de la nouvelle administration et des nouvelles fonctions assignées alors aux espaces NA1.
49Un aspect annexe mais très important de la fouille dans le chantier E Nord a été l’approfondissement de l’étude des limites occidentales du palais et de la ville. Bien que connue et fouillée depuis longtemps, cette structure restait pour nous assez problématique, dans la mesure où l’orientation des briques, que nous avions constatée à plusieurs reprises, ne convenait pas à la forme du tell, telle qu’elle a été définie par les prospections et par les études géomorphologiques. En effet, le tell est souvent décrit comme une fondation carrée en bordure d’un paléoméandre de l’Euphrate, avec le côté ouest presque parallèle au fleuve, qui en aurait détruit l’angle nord-ouest au cours d’inondations particulièrement désastreuses. De plus, il n’y aurait pas de ville basse. Or, notre travail topographique continuait à indiquer que les angles formés par l’enceinte dans sa partie vers l’ouest n’étaient pas de 90° mais plus aigus, donnant ainsi une forme trapézoïdale au tell.
50Une prospection magnétique réalisée cette année dans les champs au sud et à l’extérieur de l’enceinte, pour vérifier justement la forme ancienne du tell, a confirmé l’absence d’une « ville basse » dans cette zone, soulignant le caractère particulier mais inexplicable de cette ville assyrienne. Sur la base de nos propres relevés, les comparant avec l’étude d’une image SPOT, et observant de près les parties du tell qui auraient dû être coupées par le fleuve, nous sommes arrivés à la conclusion qu’en réalité tell Masaïkh n’a jamais été une ville carrée. Sa forme actuelle dérive de l’ajout d’une ville basse de forme rectangulaire, entourée sur trois côtés par une enceinte, au tell ancien de forme ovale, situé au sud-ouest du site. Ce tell, formé sur la bordure de la terrasse holocène par les restes des occupations d’époque Halaf et Transitionnelle Obeid (HUT), puis du Bronze Moyen, a été ensuite recouvert par l’acropole néo-assyrienne. De cette façon s’explique le développement plutôt arrondi du tracé de cette enceinte autour du palais le long du côté ouest, suivant les courbes du tell ancien, ainsi que le caractère orthogonal et la régularité de l’habitat de la « ville basse » situé à l’est. L’image fournie par la prospection magnétique du tell est compatible avec ces conclusions, qui permettent aussi d’éliminer le problème de l’absence d’une « ville basse » à tell Masaïkh. Maintenant, nous savons où il faut rechercher ce quartier.
51La recherche des niveaux néo-assyriens à partir de la surface a permis d’ouvrir à nouveau le dossier concernant l’occupation du tell à l’époque classique romaine tardive. Dans le chantier E Nord nous avons complété l’exploration d’un quartier d’habitation, qui présente des caractéristiques différentes du village fouillé en 2004 dans le chantier F. Les fouilles du chantier G ont aussi donné des résultats intéressants, confirmant la durée dans le temps de cette occupation, l’évolution de la qualité et des fonctions des différentes parties de l’habitat, pour lesquelles nous devons encore établir les phases de la succession ainsi que les relations chronologiques respectives.
52Dans le chantier D, la fouille des niveaux Halaf, si elle ne nous a pas permis de retrouver les vestiges des habitations ou des tholoi, a fourni un matériel céramique abondant, et tout particulièrement une figurine de femme nue, assise sur un siège, de facture assez belle. Nous avons par ailleurs continué l’étude du tracé du mur en pierre qui soutenait la partie occidentale du tell à l’époque Halaf, qui semble ne coïncider que partiellement avec la bordure ouest actuelle. D’autre part, nous avons également fouillé une quantité importante de tombes en jarres d’époque paléobabylonienne, dont certaines présentent un matériel céramique qui pourrait nous amener à abaisser la date de l’occupation du tell au début du Bronze Moyen II. Tenant compte aussi de la découverte des tablettes d’époque Hana trouvées dans un remplissage du Fer II dans le chantier G, il est possible maintenant d’avancer que l’occupation du Bronze Moyen II a été importante et continue, se prolongeant jusqu’au Bronze Moyen III, lorsque Terqa est devenue la capitale du bas Moyen-Euphrate.
53Tous ces résultats donnent une nouvelle valeur et une confirmation plus solide aux interprétations que nous avions déjà avancées sur l’histoire de la région, et sur le rôle spécifique de tell Masaïkh dans son contexte ; ils ouvrent aussi de nouvelles interrogations et de nouvelles perspectives de travail et de recherche. Il reste évident pour nous que seule l’étude du site archéologique dans le contexte de leur territoire et de leur milieu naturel, économique et politique, peut fournir les éléments nécessaires pour comprendre son histoire, la continuité de ses traditions et de ses structures sociales, ainsi que les changements et les crises qu’il a connus. Toutefois, nous nous rendons compte aussi de l’importance de la documentation offerte par tell Masaïkh en particulier pour les périodes qui ne sont pas attestées ailleurs dans la région, et nous estimons nécessaire de continuer à fouiller le site de façon intensive, dégageant les structures de l’acropole pendant leurs différentes phases de construction, mais commençant aussi l’exploration de la ville basse, pour le moment connue seulement par quelques sondages.
M. Gr. M.-R.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Masetti-Rouault M. Gr.
2003 « Rapporto preliminare sui lavori della missione nel sito di Tell Masaïkh nel 2002 (MK07) », Athenaeum, Studi di Letteratura e Storia dell’Antichità 91, p. 559-575.
2006 « Rapporto preliminare sui lavori della missione nel sito di Tell Masaïkh nel 2005 (MK10) », Athenaeum, Studi di Letteratura e Storia dell’Antichità 94, p. 749-756.
2007 « Rapporto preliminare sui lavori della missione nel sito di Tell Masaïkh nel 2006 (MK11) », Athenaeum, Studi di Letteratura e Storia dell’Antichità 95, p. 913-918.
Notes de bas de page
Auteurs
EPHE Ve section et LESA, Paris (MasettiRouault@aol.com)
Université Lumière Lyon 2 et université catholique de Louvain (sabrina.salmon@univ-lyon2.fr)
Université Lumière Lyon 2

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