Mari : rapport préliminaire sur la 40e campagne (2003)
p. 159-180
Texte intégral
VIE DE LA MISSION
1L’arrivée à Damas s’est faite à partir du 11 septembre 2003. Les derniers membres de l’équipe ont quitté la maison de fouille le 31 octobre au matin et les vols vers la France ont eu lieu les 3 et 4 novembre.
2Un premier groupe de sept personnes s’est installé à tell Hariri le 15 septembre et les premiers travaux ont débuté le 17 sur le grand chantier L ; la réouverture des autres chantiers s’est faite au fur et à mesure de l’arrivée des autres membres. Les obligations universitaires de deux des membres ont entraîné soit une arrivée très tardive, soit même une absence d’une semaine.
3Le chef de mission lui-même s’est absenté entre le 27 septembre à midi et le 28 à midi pour recevoir à Alep une distinction qui lui a été remise par le ministère du Tourisme. En outre, par deux fois, selon une pratique déjà ancienne, les 25-26 septembre et les 5-6 octobre, il a fait une conférence à Deir-ez-Zor et conduit deux groupes de touristes (Clio-Adonis) à Doura-Europos et à Mari, afin de récolter des fonds destinés aux travaux de restauration.
4Antoine Cavigneaux, épigraphiste de la mission, a passé le mois de septembre au musée de Damas pour étudier les textes trouvés lors des campagnes 1998-2002 ; il a profité de ce séjour pour venir à Mari du 27 septembre au 1er octobre afin de prendre connaissance des premiers documents trouvés lors de la présente campagne.
5Enfin, une équipe de cinéastes documentaristes de la société Alphaline Productions a séjourné à Mari entre le 23 et le 26 septembre au soir, afin de réaliser un film sur Mari1.
6Seul Dominique Beyer est resté en Syrie après la campagne pour étudier, dans les musées de Deir-ez-Zor et de Damas, les empreintes de sceaux-cylindres retrouvées lors des campagnes précédentes. Il est rentré à la mi-novembre.
L’ÉQUIPE
7Du fait de la réduction des moyens financiers, au maximum de ses effectifs l’équipe a compté 14 membres :
archéologues : D. Beyer, P. Butterlin, J.-L. Montero Fenollós, B. Muller-Margueron, M. Schneider ;
archéologue stagiaire : J. Chanteau ;
intendance, enregistrement : en l’absence de M. Jean-Marie, ces travaux ont été répartis entre les différents membres de l’équipe ;
épigraphiste : A. Cavigneaux ;
dessin : A. Horrenberger ;
dessin du matériel céramique : Kh. et Kh. al Mojadie ;
architectes : N. Bresch, Fr. Laroche-Traunecker, E. Devaux ;
architecte/restauration : M. Bendakir ;
archéomètre : T. Ibrahim.

Fig. 1 – Plan du site avec emplacement des chantiers fouillés en 2003.
Le domaine archéologique de la cité de Mari est divisé en 15 zones rectangulaires – 250 m en abscisse et 500 m en ordonnée – numérotées de I à XV ; chaque zone est subdivisée en carrés de 10 m de côté, 25 d’ouest en est, désignés par les lettres de l’alphabet (sauf I), et 50 du sud au nord, numérotés de 1 à 50. Un carré de fouille est donc désigné par un chiffre romain donnant la zone, puis une lettre de l’alphabet (excepté I) associée à un numéro de 1 à 50 ; chaque carré est alors subdivisé en 4 quadrants : NO, NE, SO et SE, de façon à faciliter l’enregistrement des faits de fouille et des objets. Tout l’enregistrement repose sur ce carroyage. Les grands secteurs de recherche sont définis par une lettre A, B, C,… (chantier A,…), qui se surajoute au système précédent pour faciliter les localisations, mais qui ne servent jamais à l’enregistrement.
LES OBJECTIFS (fig. 1)
8Les objectifs de la 40e campagne se situent dans le droit fil des résultats obtenus lors des précédentes.
Poursuite de l’étude des niveaux inférieurs de la Ville I
9Au chantier L principalement, les recherches devaient être élargies par l’extension des sondages de 2001 et 2002 ainsi que du dégagement horizontal dans la moitié occidentale du chantier à partir de la phase 3 déjà étudiée. Les objectifs dans la moitié orientale étaient de mettre en évidence l’évolution du quartier, de préciser la nature et le fonctionnement des installations artisanales ainsi que l’organisation de la phase 5, et de commencer la fouille de la phase 62.
Poursuite de l’étude la Ville II
10Une extension de la fouille vers le sud du secteur du palais (chantier P) était programmée pour établir la jonction entre le quartier ouest de la Porte et la salle aux Piliers.
11Par ailleurs un élargissement des recherches au niveau du temple de Ninhursag (chantier G) devait permettre de comprendre les rapports entre cette phase architecturale, le secteur des fours retrouvés en 2001 et l’aménagement du carrefour de la Voie Sacrée et de la rue de la Maquette avec la chaussée absorbante.
Analyse des niveaux inférieurs du Grand Palais Royal
12Il s’agit des premiers niveaux du palais que l’on rencontre avant d’atteindre le niveau d’arasement du palais P-0 de la Ville II et les rares restes du Palais Fantôme.
Questions d’urbanisme
13Celles-ci, auxquelles devait être portée une attention particulière, concernent tous les chantiers.
LES CHANTIERS ET LEURS RESPONSABLES
Au chantier L, Pascal Butterlin, Béatrice Muller-Margueron et Juan-Luis Montero Fenollós se sont partagé les recherches avec l’aide de Julien Chanteau et de Tristan Ibrahim.
Au palais P-quartier Nord (Ville III/Ville II), Malou Schneider a poursuivi ses travaux.
Au chantier G, Dominique beyer a repris l’étude du secteur des grands fours.
OPÉRATION DE MISE EN SÛRETÉ DES TESSONS MIS EN RÉSERVE
14À la veille de l’invasion de l’Iraq par les troupes américaines, en accord avec la direction générale des Antiquités et des Musées de Damas, il avait été décidé de transférer en urgence au musée de Deir-ez-Zor les tessons des vingt dernières campagnes conservés pour étude dans la maison de fouille, afin de les mettre à l’abri d’éventuels prédateurs.
15L’opération, faite hors saison de fouille, avait été réalisée dans l’hiver 2002-2003 par les soins de Mathilde Gélin, membre de la mission de Doura-Europos et pensionnaire scientifique de l’Ifpo, Damas. Elle a donné son temps et son énergie dans une opération ingrate et je l’en remercie bien vivement.
16En raison de l’urgence, les sacs de tessons avaient été simplement déposés en vrac et dans le plus grand désordre dans la réserve du musée affectée pour partie au matériel de Mari. Il fallait envisager le retour de ce matériel dans la maison de fouille, le musée de Deir-ez-Zor n’ayant pas la capacité de le stocker.
17Une évaluation de la situation a été effectuée dès le 18 septembre et, ce jour-là, le petit matériel non enregistrable par le musée en raison de son aspect par trop lacunaire, mais conservé dans la maison de fouille pour des études comparatives ou en vue d’une étude globale, était rapporté à Mari. Trois transferts par camion (un 15 t), Pick up et Peugeot 406 break ont été nécessaires les 8, 13 et 19 octobre pour rapatrier la totalité des tessons et du petit matériel.
18Il convient de rappeler que, outre les tessons des dernières campagnes de Mari, la maison de la mission héberge les tessons recueillis à tell Ramadi (campagne dirigée par D. Beyer en 1991), ceux de Mashnaqa (fouilles D. Beyer 1993-1997), les tessons de tell Faq’ous (campagne Margueron 1978), les récoltes réalisées lors de prospections de la vallée du Khabur par J.-Y. Monchambert (1989) et celle provenant de l’étude de la basse vallée de l’Euphrate par B. Geyer et J.-Y. Monchambert effectuée entre 1982 et 1987.
19Je tiens à signaler que cette affaire a clairement mis en évidence qu’il fallait adopter une nouvelle politique en matière de stockage de ce type de matériel.
20D’autre part, si quelques crédits ont été trouvés en 2002 pour assurer l’évacuation des tessons, il n’en a été accordé aucun, malgré les promesses de la Commission des fouilles, pour leur réintégration dans la maison de fouille en 2003. Cette opération a donc été réalisée sur les crédits de fouille qui avaient été déjà fortement diminués : les opérations sur le terrain s’en sont trouvées très affectées. Il ne semble pas que les autorités françaises responsables de l’archéologie aient une claire conscience de l’importance des découvertes scientifiques obtenues grâce à Mari, ni des enjeux français ou internationaux en cours en matière d’archéologie orientale.
NOUVELLES DONNÉES SUR LA VILLE I : LE QUARTIER ARTISANAL (CHANTIER L)
21À la fin de la campagne 2002, l’existence de cinq phases avait pu être définie dans les niveaux supérieurs de la Ville I à l’emplacement du chantier L, ouvert sous le secteur de la Ville II considéré comme étant un souk, entre le temple d’Ishtar et le chantier F.
22En 2003, la recherche s’est développée sur le plan horizontal dans la moitié occidentale où l’on a pu définir des éléments de la phase 3 et le début d’une phase 4 (carrés VII W 50, VII X 49 NE-SE, VII X 50, VII Y 49-50)3 ; sur le plan vertical, la moitié orientale a été explorée avec élargissement de la fouille pour chacune des phases – 3, 4 et 5 – jusqu’aux limites du chantier, de façon à permettre de connaître les phases 3, 4 et 5 de manière aussi large que possible (fig. 2, 3, 4)4.
23Les nouvelles données stratigraphiques sont désormais synthétisées en niveaux (« couches architecturales ») ; A : phases 1 et 2, insuffisamment cohérentes pour que s’en dégage une organisation ; B : vestiges ponctuels encastrés dans C ; C : phases 3 à 5.
Un niveau architectural particulièrement bien conservé (niveau C)
24C’est là le premier acquis d’importance de cette campagne : la mise en évidence d’un niveau d’architecture particulièrement bien conservé, ce qui contrastait fort avec les observations fournies par les phases 2 et 3 (niveau architectural A)5 où les restes, plus souvent fondations que murs au-dessus des sols, ne permettaient aucune analyse sérieuse de cette architecture des débuts de la Ville I.
25Cette fois, les murs subsistent sur une hauteur variant entre 1,50 m et 1,80 m. Toutes les bases ont été atteintes pratiquement au même niveau et l’existence d’un empattement de fondation mis en évidence. Des portes, pourvues à l’occasion de seuils de pierre ou de crapaudines, facilitent la compréhension du fonctionnement et donnent une image précise du mode de vie.
26Deux unités différentes, situées dans la moitié orientale du chantier, ont été étudiées : une unité d’habitation et un atelier métallurgique. La poursuite de l’exploration devait amener à préciser l’intégration urbaine de ces unités et l’organisation du quartier. De plus, l’évolution de ces deux ensembles a pu être suivie durant trois phases (5, 4 et 3), au cours desquelles le niveau d’utilisation s’est élevé d’environ 1,50 m, ce qui a permis l’exceptionnelle conservation des murs.
27Il faut noter que la nature de la brique des débuts de Mari, argileuse et légèrement sableuse, avec éventuellement quelques petits gravillons, mais presque totalement dépourvue de fibres végétales, rend la recherche des murs très lente et que la présence d’un enduit est particulièrement difficile à déceler ; la définition de lignes de reprise ne peut se faire que si on suit les briques et les assises une par une, ce qui entraîne ipso facto la destruction d’un éventuel enduit. Nonobstant ces difficultés, les résultats obtenus peuvent être considérés comme très sûrs, car ils ont été analysés et discutés par tous les membres de l’équipe.

Fig. 2 – Chantier L, Ville I : phase 3
Organisation de la grande unité architecturale du niveau C (phases 3-5)
28L’unité d’habitation est tout à fait remarquable (fig. 56) : on avait déjà entrevu, sur d’autres parties ou sur des niveaux différents du chantier L, ainsi que dans d’autres secteurs de la Ville I explorés précédemment (Pec et Espace 4), les traits majeurs de l’architecture de ce quartier de la Ville I, lors d’une analyse architecturale des résultats obtenus en 2002.
29L’unité est formée d’un grand bâtiment rectangulaire (8 m sur 4,20 m d’emprise au sol, espace intérieur 7 m sur 3,20 m) avec des murs épais de 50 cm ; sa grande longueur est orientée du sud-ouest au nord-est et la façade, avec la porte (largeur 70 cm), placée à proximité de l’angle nord, est dirigée vers le nord-ouest. Devant la façade s’ouvre un espace plutôt trapézoïdal, à ciel ouvert et dont la forme est dominée par le plan triangulaire du quartier ; de part et d’autre de cette cour se distribuent des dépendances de taille diverse, au moins deux vers l’ouest, deux ou trois vers l’est, leur portée ne dépassant pas 2 m, leur longueur variant de 2,50 à 4 m env. La limite septentrionale n’est pas connue et il est même difficile de savoir si la partie nord du loc. 403/404/423 était couverte ou à ciel ouvert, l’organisation générale permettant d’envisager un espace abrité, mais le sous-sol formé de couches de gravillons faisant songer à une zone d’absorption des eaux de pluie.

Fig. 3 – Chantier L, Ville I : phase 4
30Rien n’indique la présence d’un étage sur le bâtiment principal – ni escalier, ni strate d’effondrement significative ; les caractéristiques techniques de la construction ne conduisent pas cependant à l’exclure définitivement, en raison de l’épaisseur des murs porteurs, de la portée et de la régularité du plan.
31Au total, cette unité apparaît comme celle d’une habitation formée d’un bâtiment principal, lieu de séjour – couchage, réception, etc. – et de dépendances où l’on trouve les tannour et sans doute les réserves.
L’atelier métallurgique et les produits de cette activité
32Au sud de l’unité d’habitation s’étend un espace voué aux activités métallurgiques (cf. fig. 5) : de forme trapézoïdale, il est long de plus d’une dizaine de mètres dans le sens nord-est - sud-ouest, sa largeur variant de 4 à plus de 6 m ; son angle méridional est situé hors de la fouille. Du côté ouest, il est amputé par une petite pièce (2,50 m sur 2,50 m) rattachée à une unité située plus à l’ouest ; au nord-est, une pièce de 4 m sur 2,50 m au moins forme la partie protégée des intempéries, le restant de l’espace apparaissant comme étant à ciel ouvert, ce qui n’exclut pas la possibilité de couvertures partielles et légères par endroits. L’accès se faisait par la rue de direction nord-ouest - sud-est du côté oriental : une porte large de quelque 80 cm, pourvue du côté rue d’un seuil dallé, donnait sur l’espace de travail par l’intermédiaire d’un couloir de direction nord-est - sud-ouest, long de 4 m et certainement couvert, comme l’indique le dédoublement du mur le long de la face nord-ouest ; au terme de la face sud-est de ce couloir ouvrait une porte précédée d’un seuil dallé qui donnait accès à une pièce abritée.
33L’espace de travail était parsemé d’un grand nombre de foyers, parfois de forme ovale très allongée (fig. 6), d’autres circulaires et plus petits, à l’occasion remplis de pierre ou de cailloutis, parfois encerclés dans un bourrelet d’argile ; des résidus de combustion subsistaient encore dans certains de ces foyers, souvent très rougis et durcis par le feu. Il est vraisemblable qu’ils n’ont pas tous fonctionné en même temps et qu’ils témoignent d’une longue durée d’utilisation de cet espace pour cette activité métallurgique ; les grandes masses de terre charbonneuse formant des strates successives et serrées, parfois très épaisses sur une hauteur voisine du mètre, vont dans le même sens ; ces terres ont d’ailleurs envahi la rue en la comblant sur une épaisseur remarquable (environ 2,50 m).

Fig. 4 – Chantier L, Ville I : phase 5
34Dans le matériel recueilli, on notera de nombreux résidus de cuivre ou de bronze, des scories, des fragments de tuyère et de creusets.
Les transformations de ces unités au cours des phases 5, 4 et 3 (niveau C)
35La construction de ces ensembles marque les débuts de la phase 5 ; un niveau de chantier a pu à plusieurs reprises être détecté : c’est alors que se dégage la pensée architecturale des auteurs de ces édifices. La fouille a montré la permanence du principe d’organisation de ces unités au cours de trois phases principales. La description qui vient d’en être donnée s’applique précisément à la phase 5, celle de la construction dont le niveau s’établit autour de la cote 172,80. Pour une raison que nous ignorons, une élévation du niveau du sol assez importante et artificielle donne naissance au sol principal de la phase 4 qui s’installe à 173,50 environ ; un nouvel exhaussement porte la surface d’utilisation de la phase 3 à 173,80 en moyenne (fig. 7). Chacune de ces étapes – 4 et 3 – est marquée par des modifications qui n’affectent jamais le parcellaire, ni le bâti global du bâtiment principal, mais seulement les dépendances.
36Ainsi, en phase 4, les dépendances nord-est de l’unité d’habitation semblent s’agrandir aux dépens de l’espace à ciel ouvert par l’adjonction du loc. 410. Une séparation a peut-être divisé l’espace interne de la maison en deux parties, à moins que ce mur ne représente qu’un renforcement enfoui de la base primitive du bâtiment qui se trouve alors devenir la fondation de l’édifice.

Fig. 5 – Chantier L, Ville I : phase 5, restitution de l’unité d’habitation au nord et de l’atelier métallurgique au sud

Fig. 6 – Chantier L, Ville I : phase 5, foyer de métallurgie VII Y 49 SO 70 vu vers le nord-est

Fig. 7 – Chantier L, Ville I : crapaudines superposées VII Y 49 NO 72 et NO 83 dans la grande pièce de la maison (loc. 331, phases 3 et 4), vue vers le nord-ouest
37La phase 3 pourrait voir l’aménagement d’une pièce couverte dans l’espace de l’atelier de métallurgie alors que l’ancienne dépendance qui ouvrait sur le couloir d’accès semble avoir été rattachée à une unité qui s’étend vers le sud-est. Du côté de l’unité d’habitation, un mur transversal pourrait indiquer que toute la partie septentrionale a été amputée au profit d’une unité qui s’étirait vers le nord : l’ignorance où nous sommes de l’organisation au-delà de la limite de fouille ne permet pas de se prononcer de façon définitive.
L’installation intrusive et la lacune stratigraphique entre les phases 3 et 2 (fig. 8)
38Entre le petit côté nord-est de la maison et la rue, la fouille a rencontré une situation stratigraphique compliquée dont on démêlait mal les liens avec l’environnement, jusqu’au moment où il devint évident qu’il s’agissait d’une intrusion : une sorte de grand coffre, de 5 m sur 3 m environ, dépourvu d’ouverture, dans un premier temps ; ensuite, à l’intérieur de celui-ci une partition a été pratiquée en même temps que le mur sud-ouest – et peut-être aussi ceux du nord-ouest et du nord-est – était doublé du côté intérieur, ce qui donnait dans cette situation finale un coffre de 2,50 m sur 1,50 m. Plusieurs jarres étaient posées, intactes, dans la section rétrécie de ce coffre.
39L’existence de quatre dalles de gypse installées dans la maçonnerie, à chacun des angles du coffre d’origine7, éclaire à la fois la chronologie de ces aménagements et, sans doute, leur fonction comme l’indiquent les vases tous retrouvés dans le coffre de seconde phase (donc déposés après le rétrécissement opéré). Ces dalles sont manifestement destinées à soutenir un poteau dans chacun des angles ; si la hauteur de ces poteaux nous reste inconnue, ceux-ci servaient certainement à supporter une sorte de couverture en bois installée sous le niveau du sol d’usage à partir duquel ils ont été enfouis. L’ensemble se trouvait donc sous terre : silo peut-être, ou plutôt aménagement destiné à garder au frais des denrées, comme les jarres pourraient le faire penser8.

Fig. 8 – Chantier L, Ville I :
l’inclusion de la phase disparue 3-2 retrouvée dans les niveaux des phases 4 et 3 entre le petit côté nord-est de la maison et le mur bordant la rue
a – Plan
b – « Coffre » en sous-sol avec jarres en place découvertes en 2002
40Mais cette inclusion est aussi source d’une information essentielle sur la stratigraphie. En effet, la phase 2, au contact de la phase 3, montre clairement que des murs passent au-dessus de cette installation enterrée : nous avons donc là l’indication d’une lacune stratigraphique, puisque le niveau du sol à partir duquel cette installation a été introduite n’a pas été retrouvé. C’est donc qu’entre la phase 3 et la phase 2 a existé au moins une phase qui a été éliminée lors de l’aménagement de la phase 2 : rien cependant ne prouve qu’il n’y en ait pas eu plusieurs. Il nous suffit de savoir qu’il n’y a pas continuité, mais rupture entre les phases 3 et 2.
41À l’appui de cette conclusion, on peut constater que l’organisation architecturale des phases 5-3 est totalement différente de celle de la phase 2, que peu de murs sont en concordance entre les deux phases (sauf ceux qui délimitent le parcellaire) et que des bâtiments semblent avoir occupé la rue, toutes choses qui dénotent une transformation radicale du mode d’occupation9.
Les tombes
42Quatre inhumations très différentes les unes des autres ont été retrouvées dans les zones fouillées.
L’une (VII X 50 NO T-1) se présente comme l’inhumation très simple, en pleine terre, d’un adulte doté pour tout mobilier d’une céramique, pauvreté qui contraste fort avec d’autres tombes de ce secteur ; sans doute s’agit-il d’un individu d’un niveau social inférieur ; la fosse pourrait avoir été creusée à partir du sol de la phase 4.
Une autre tombe (VII X 49 NE T-1) a donné un individu adulte assez désarticulé, peut-être à la suite d’une perturbation apportée à sa tombe lors de l’aménagement de la phase 5, car la fosse semble appartenir à la zone de contact des phases 5-6 ; le mobilier comportait un grand bol et quelques perles, ce qui dénote une fois encore un individu de niveau social inférieur.
La troisième tombe (VII W 50 SE T-2)10, venue de la phase 2 et installée dans l’épaisseur de la couche de comblement 3-2, offre la particularité d’être construite et de se présenter comme un caveau double dont seule la chambre occidentale était occupée par un adulte ; celui-ci était accompagné d’un très riche mobilier céramique, de deux toggle-pins, de colliers de perles de grande finesse et surtout de deux sceaux-cylindres11 dont l’un dans le style de Fara d’une très belle venue, mais dont on ne peut assurer qu’il a été fabriqué à Mari même ; il s’agit donc d’un personnage au statut social élevé, assumant sans doute des tâches administratives.
La quatrième inhumation (VII Y 49 SE T-3)12 est apparue immédiatement sous le sol de la phase 4 de la pièce annexe de l’atelier de métallurgie ; dans une fosse très petite avait été installé en pleine terre un individu adulte, de sexe vraisemblablement féminin, en position fléchie contractée sur le côté gauche avec, devant lui, le corps d’un enfant. Cette fois le mobilier était particulièrement riche : outre des vases, un bol de bronze, une toggle-pin en cuivre ou en bronze, une coiffe en argent, un collier de dix-sept perles fusiformes en lapis-lazuli de taille dégressive, des perles en argent et un bracelet formé d’une double chaînette d’or sans doute réunie à partir de perles biconiques en or sur âme de bitume. La qualité du travail de la chaînette est en tout point remarquable par sa finesse et montre le très haut degré de technicité atteint par les bijoutiers de la Ville I de Mari13. Devant cette qualité on est un peu étonné que la tombe soit installée sous le sol d’une dépendance d’un atelier de métallurgie.
43Ces tombes donnent aussi une idée de la richesse de certaines catégories de la population de Mari Ville I.
Les ânes de la phase 4, leur signification et le goulet d’érosion
44En 2002, on avait retrouvé, gisant sur le sol du loc. 406 – phase 4 – le squelette d’un âne et, à proximité immédiate, l’empreinte d’une roue14. La campagne de 2004 a partiellement répété cette découverte.
45Sur le sol de la phase 4 de la grande maison, la fouille a mis au jour un second âne étendu sur le flanc gauche à proximité du mur sud-est, la tête en partie relevée sur une irrégularité du sol formé d’un effondrement de briques ; devant la porte, et presque dans le passage, se trouvait le corps d’un individu d’assez petite taille (1,57 m)15 ; tout autour étaient répandues des céramiques cassées. L’absence de fosse, le corps étendu sur le dos et les bras en désordre ne permettent pas d’y reconnaître une inhumation : ce jeune individu a manifestement été surpris par la mort en même temps que l’âne qu’il était, peut-être, en train de charger (fig. 9).
46Ainsi dans deux pièces, distantes de moins de 6 m, d’une même unité d’habitation, deux ânes et une jeune personne ont été surpris par la mort au même instant : l’impression domine que l’on se trouve en présence d’un accident grave – un tremblement de terre ? – qui a provoqué la mort de ces individus et les a immédiatement enfouis sous l’effondrement des murs des édifices : c’est parce que les corps ont été ainsi ensevelis qu’ils ont été préservés jusqu’à la fouille.
47Cet accident a mis fin à l’existence de la phase 4. Mais il se pourrait qu’un autre phénomène de nature météorologique ait suivi cet épisode : devant la maison, un ravinement s’est profondément enfoncé dans le sol de l’espace extérieur en se dirigeant vers le nord ; la fouille n’a pu repérer son point d’aboutissement, mais il a fallu manifestement engager des travaux de restauration et installer des murs de soutènement noyés devant la maison pour installer la phase 3. En tout état de cause, l’explication proposée pour la présence de la roue et de l’âne lors de la dernière campagne ne peut être conservée : il est certain qu’il n’y avait pas de charrette dans la pièce et la présence de la roue et des outils de bronze (gouge et ciseau, voir ci-dessous) sur un même sol dans un espace restreint fait bien davantage songer à un atelier de charron16.

Fig. 9 – Chantier L, Ville I : âne et individu chargé de vases surpris par l’effondrement de la grande pièce de la maison, vus vers le sud-est
Le matériel
Le matériel céramique17
48Le matériel recueilli hors des tombes est en majorité céramique. Dans cette catégorie, le fait majeur est le nombre très élevé des petits bols que l’on a retrouvés partout, dans tous les niveaux et dans tous les contextes ; la quantité est telle que l’on peut s’interroger sur leur fonction. De petites jarres sphériques à bec droit sont aussi bien représentées : il s’agit vraisemblablement de récipients d’un usage identique aux « gargoulettes ».
49Nous avons récolté un très grand nombre de fragments de tuyaux ajourés en terre cuite ; un lien doit être certainement établi entre ces tuyaux et les fonctions artisanales de ce quartier ; cependant aucun n’a été retrouvé en place. On sait qu’ils ont parfois été utilisés comme filtres aux extrémités de canalisations ou de conduites d’évacuation – c’est-à-dire comme des crépines –, mais ici aucune trace des systèmes d’évacuation n’a été repérée. On les utilisait donc plutôt à l’air libre.
50La fonction des nombreux supports de jarres, généralement fragmentaires quand ils étaient de grande taille, entiers lorsqu’ils étaient petits, paraît évidente, mais c’est plutôt le nombre assez restreint des jarres sphériques, en dehors de la série déjà mentionnée, qui pourrait poser un problème : la correspondance se fait assez mal.
Le matériel lithique
51Moins riche qu’on ne pourrait s’y attendre, il est représenté par de très belles lames de type couteau ainsi que par des lames de faucille ou éléments de tribulum, lustrées et portant encore des traces de bitume.
Le matériel métallurgique
52Hormis les toggle-pins et le bol en bronze trouvés dans les tombes, quelques beaux objets ont été recueillis, parfois sous forme fragmentaire – tiges, extrémités d’outil, ciseau ou spatule, pointes, etc. –, mais parfois aussi intacts. On notera en particulier des aiguilles à chas, dont une en très bon état, d’une trentaine de centimètres de long, et surtout un lot d’outils mis au jour à proximité de l’âne dégagé en 200218.
53Ce lot comportait une très belle gouge, peu creusée, avec une tige à section carrée et un ciseau de même facture, une lame de poignard avec des rivets, une autre lame en moins bon état et deux toggle-pins soudées à cette dernière : ce matériel, et en particulier les deux outils et le poignard, sont dans un état remarquable et témoignent d’une maîtrise parfaite dans la fabrication d’outils de cuivre ou de bronze. Associé à ce lot, un bloc provenant d’une série de coulées successives – sans doute cinq – représentait sans doute la réserve métallique du fondeur. Faut-il établir un lien entre cette cache et la catastrophe qui a marqué la fin de la phase 4 ? Ce n’est nullement impossible, mais cette découverte accentue encore la fonction métallurgique de la Ville I, puisque si un atelier – de charron ? – existait à proximité, c’est dans la maison voisine, de nature apparemment domestique et qui ne comporte aucune autre trace de métallurgie, que la découverte a été faite.
La terre crue
54Cette rubrique est essentiellement représentée par le grand nombre de balles de fronde, généralement en terre crue, parfois en terre durcie, très rarement cuite, qui ont été retrouvées un peu partout dans ce quartier et jusque dans un mur ! En revanche, on ne note aucune pointe de flèche. Doit-on considérer que l’on est en présence d’un centre de fabrication de projectiles pour fronde ? Il est peut-être raisonnable d’y voir une activité complémentaire du fait de la présence de la matière première et de la possibilité de durcir à l’occasion les balles dans un feu finissant.
La terre cuite
55Si les figurines animales sont rares et toujours fragmentaires (elles paraissent représenter des bovinés et un équidé19), en revanche les figurines humaines sont pratiquement absentes. Les roues de char, quant à elles, sont, à l’instar des campagnes précédentes, très nombreuses et posent un réel problème étant donné l’extrême rareté d’éléments de chars retrouvés : un seul fragment cette année : cette inadéquation conduit à se demander si ces « roues de chars » n’avaient pas aussi une autre fonction.
Conclusion
56L’intérêt de cette étude d’un quartier domestique de la Ville I de Mari n’est plus à démontrer (fig. 10) ; seul exemple actuel d’une ville du tout début du IIIe millénaire dont l’activité est fondée sur la métallurgie associée à d’autres artisanats (voir par exemple le grand nombre de fours de potiers retrouvés dans le niveau supérieur de L, en Pec et à proximité du rempart), elle met en lumière les mécanismes d’échange et certaines fonctions urbaines immédiatement après les débuts de la révolution urbaine du IVe millénaire, lorsque la cité apparaît définitivement comme le moteur de la vie économique et de l’organisation sociale.
J-Cl. M.

Fig. 10 – Chantier L : vue d’ensemble vers le sud-ouest à la fin de la campagne
57Les découvertes concernant la Ville II ont été concentrées dans les chantiers G (zone des temples) et P (zone des palais des Villes II et III). Les résultats portent aussi bien sur l’architecture et l’organisation des ensembles monumentaux – temples ou palais –, que sur des aménagements d’installations artisanales ou sur la stratigraphie des trois villes de Mari.
J.-Cl. M.
NOUVELLES DONNÉES SUR LA VILLE II : SECTEUR DES TEMPLES. LE CONTACT VILLE I/VILLE II (CHANTIER G)
58Les diverses opérations ont été d’importance et de durée inégales :
Tranchées en IX A 44 sud et IX A 43 est ;
IX B 46 ouest : étude du mur ouest du Lieu Très Saint (LTS) de Ninhursag ;
IX B 45 : reprise de l’étude des couches profondes ;
Zone des fours : étude de l’environnement en VIII Z 45 NE, VIII Z 46 NE-SE, VIII Z 47 SE, IX A 46 NO, IX A 47 SO.
Tranchées en IX A 44 sud et A 43 est
59L’exploration des couches profondes dans le secteur des dépendances de Ninhursag s’est poursuivie cette année-là en direction du sud, vers le carrefour de la Voie Sacrée et de la rue de la Maquette, au sud de la grande salle aux banquettes du temple de Ninhursag III (fig. 11-a)20.

Fig. 11-a – Chantier G : tranchée en IX A 43-44 pour établir la liaison entre VIII Z 44 et la Voie Sacrée
60Au sud du long mur de cette salle, passant partiellement sous ce mur, le niveau sous-jacent, avec plusieurs phases, montre un nouveau mur, d’orientation nord-ouest - sud-est lui aussi, formant limite d’une longue salle rectangulaire (sol à 175,50) complétée, au sud-est, par une pièce plus petite. Cet ensemble apparaît bien cohérent et soigné (fig. 11-b), mais l’étroitesse de la tranchée nord-sud établie dans la partie est de IX A 43 ne permet pas encore de démêler la succession des différentes phases architecturales, surtout au sud, où des murs plus modestes, et parmi eux un mur incurvé, viennent compliquer les données. On remarquera que dans cette extrémité sud se retrouve la couche d’érosion rouge repérée ces dernières années en plusieurs endroits : le long de la façade de Ninni-zaza, dans le carrefour des deux rues et à l’extrémité sud-est du temple de Ninhursag, niveau III.
IX B 46 ouest : étude du mur ouest du Lieu Très Saint de Ninhursag
61Un travail très ponctuel, par grattage des leben en surface (modules de 25 × 50 et 25 × 30 ou 40 cm), a permis de vérifier le tracé assez particulier de ce mur dégagé par André Parrot : un mur nettement plus large au sud qu’au nord, avec une face externe orientée très nettement nord-est - sud-ouest.
Le carré IX B 45
62La fouille de 1998 n’avait pas donné à comprendre les couches profondes, où la présence de nombreux blocs de gypse de toutes tailles, à proximité des murs rencontrés, donnait une impression d’incohérence.

Fig. 11-b – Chantier G : ensemble des murs de la tranchée IX A 43 est, vue vers le nord

Fig. 12 – Chantier G : sondage profond en IX B 45
a – Plan schématique, niveaux II et III
b – Dans la partie occidentale, la canalisation de pierres remontant à la Ville II et le réseau des murs appartenant à une phase récente de la Ville I. Vue vers le nord
63On sait maintenant que ces pierres appartiennent à des travaux de canalisation postérieurs (fig. 12), mais peut-être avec remploi de pierres provenant d’un mur plus ancien. Les murs de leben ont été réexaminés et complétés, et il apparaît qu’ils pourraient être mis en relation avec les murs repérés précédemment dans le sondage profond du LTS. L’ensemble devrait appartenir à une phase récente de la Ville I.
64Un sol cendreux (174,70) et de nouveaux murs, au fond de ce sondage, qu’accompagnent plusieurs tannour, sont les témoins d’un nouveau niveau.
La zone des fours : VIII Z 45 NE, Z 46 NE-SE, Z 47 SE, IX A 46 NO, A 47 SO
65Il s’agissait pour l’essentiel d’étudier l’environnement immédiat des fours dégagés en 2001 et 2002, et plus précisément à l’avant des fours, au nord-est. Deux murs (9 et 10) du niveau Ninhursag III ont été éliminés et la fouille a pu progresser sous le couloir I. Plusieurs installations ont été mises au jour : deux sortes de bacs rectangulaires jumelés (fig. 13), aux parois construites en briques cuites ou en pierres de gypse et dont l’intérieur était soigneusement revêtu d’un enduit, bitume ou djuss selon les cas.
66Ces installations étaient accompagnées d’une de plate-forme rectangulaire de leben, d’env. 3,40 × 2,50 m (fig. 13-14), vraisemblablement aménagée en deux temps, avec, partiellement conservé, une sorte de muret grossier de gypse.
67À peu de distance de l’entrée des deux fours VIII Z 46 SE 9 et 10, et du troisième21, NE 6, dont on ne connaît pas encore grand-chose, ces installations sont vraisemblablement en relation avec les activités des fours. Les bacs peuvent avoir servi aux préparatifs de l’argile nécessaires aux activités du potier. La destination de la plate-forme, avec son muret de pierres, est moins évidente.
68L’impression générale est d’un abandon du secteur en activité : ces diverses installations ne sont pas en bon état. Parmi le matériel recueilli, on compte des pièces de céramique, coupes, bols pour l’essentiel, en grand nombre, tout comme dans et autour des fours. Mais ces céramiques ne semblent pas venir directement de la production des fours. Aucun loup de cuisson n’a été identifié parmi ces monceaux de céramiques. En revanche, la nature des couches rencontrées, grasses, cendreuses, évoque davantage des activités culinaires. De très nombreux ossements d’animaux témoignent de la consommation de viande. Dans l’hypothèse d’installations liées à la construction de l’aire sacrée de la Ville II, ce secteur est-il devenu un dépotoir, alimenté en particulier par les repas donnés aux dieux comme aux hommes ?

Fig. 13 – Chantier G : zone des fours. Les installations annexes vues vers le sud-ouest

Fig. 14 – Chantier G : zone des fours. Les deux premiers fours et la plate-forme à l’arrière-plan. Vue vers le nord
69En VIII Z 45 NE et VIII Z 46 SE, au sud-ouest du four SE 10, une opération ponctuelle a concerné le raccord entre les deux murs 6, 7 et 8 du niveau Ninhursag III. Un état ancien du mur 7 a été mis en évidence, avec enduit, ce qui montre que l’implantation des deux ou trois fours a respecté un mur préexistant. Le mur 6 également possède une phase ancienne, antérieure même à celle du mur 7.
70On ajoutera à ce rapport sommaire sur les travaux du chantier G l’évocation d’un autre sondage ponctuel, en IX A 49, destiné à étudier la jonction entre la Haute Terrasse et le temple aux Lions (Julien Chanteau) : le contact entre les deux édifices semble simplement matérialisé par une mince couche de mortier, et non pas par un enduit, ce qui montre la relative homogénéité de l’ensemble temple-terrasse.
D. B.
VILLE II : LES PALAIS P-1 ET P-0 (CHANTIER P-QUARTIER NORD)
Les nouveaux espaces du palais P-1/P-0 et les activités artisanales
71La fouille de la porte du palais s’était, au cours des dernières campagnes, étendue vers l’ouest et le point extrême atteint ne se trouvait plus qu’à une vingtaine de mètres au nord de la salle aux Piliers qui avait été fouillée entre 1980 et 198722. Il a semblé intéressant de réunir ces deux secteurs de fouille, même s’il subsiste des îlots non étudiés à l’est de la salle au Piliers et de la bande de jonction réalisée cette année, de façon à mieux comprendre la façon dont cette salle du palais P-0 avait été ajoutée dans le plan général de la phase P-1. La jonction a donc été effectuée, sous la conduite de Malou Schneider, grâce à la fouille des carrés III P 8 et III P 7 (fig. 15).
72Du nord vers le sud ont été ainsi définis quatre loci, de façon encore incomplète certes, mais qui permettent déjà d’entrevoir le type d’organisation de ce secteur du palais. Deux pièces de 4 à 5 m de large et dont la limite orientale n’est pas connue, sont bordées au nord par une salle très allongée, peut-être un couloir, et à l’ouest sans doute par deux pièces de même nature que les premières ; cependant le contact avec l’extension septentrionale de la salle aux Piliers définie en 1987 n’est pas pour le moment très clair.
73Le contact avec l’angle nord-est de la salle aux Piliers se fait selon les mêmes modalités que ce qui a été observé dans la partie sud-est en 198023, à savoir que les murs de la phase P-1 (sans doute plus anciens dans ce secteur comme dans le reste du palais) ont été laissés en place et que le mur périmétral de la salle nouvelle a été construit en suivant l’alignement des murs anciens à une distance de quelques dizaines de centimètres, l’espace intermédiaire étant vraisemblablement comblé par de la terre.
Une nouvelle installation de type « siège »
74La découverte d’une nouvelle installation du type généralement identifié comme sanitaire doit être considérée comme particulièrement intéressante (loc. 21) [fig. 16]. Les rapports de fouille n’en font pas toujours état avec suffisamment de détails parce que la fonction semble assurée ; or il apparaît qu’il faut reprendre le dossier de façon très précise24. En effet, on ne voit pas très bien dans le cas présent pourquoi il pourrait s’agir de latrines, alors que la fonction, qui a déjà été proposée, d’une installation étroitement liée à une activité artisanale pourrait bien répondre à la situation retrouvée. En effet le sol des loc. 22 et 23 était parsemé de déchets d’activités artisanales sans doute variées. Une étude approfondie de ces débris est en cours et apportera sans doute des informations précieuses sur cette question qui ne peut pas être développée dans ce rapport.
J.-Cl. M.
75La nécessité de passer au travers de quelques strates comportant des traces des étapes les plus anciennes du palais de la Ville III pour étudier les restes du palais de la Ville II, a donné des informations et des documents sur la dernière phase urbaine de la cité.

Fig. 15 – Chantier P-quartier Nord, niveaux P-0/P-1 (Ville II), jonction entre le quartier de la Porte (fouilles 2002) et la salle aux Piliers (fouilles 1987)

Fig. 16 – Chantier P-quartier Nord, installation artisanale de type « siège » du loc. 21, niveau P-0/P-1 (Ville II)
DONNÉES COMPLÉMENTAIRES SUR LA VILLE III : LE GRAND PALAIS ROYAL (CHANTIER P)
Restes des phases anciennes du palais du début du IIe millénaire (fig. 17)
76Sous la conduite de Malou Schneider, la fouille est repartie des restes très érodés du palais fouillé par André Parrot avant la guerre de 1939-1945. Les deux carrés de fouille occupaient une partie de l’habitat des esclaves de la Maison des Femmes, une petite section du couloir 112, le couloir 114, une partie de la salle 115, ainsi qu’une bande nord-sud de l’angle nord-est de la cour 106. Le sol plâtré final et les dallages ont été repérés et remis au jour ainsi que diverses installations incomplètes, peu compréhensibles parce que trop tronquées, qui souvent reposaient pratiquement directement sur les murs arasés du palais P-1/P-0, ou sur des fragments épars et disjoints du Palais Fantôme (palais intermédiaire).
Documentation complémentaire sur l’organisation des canalisations
77Rappelons qu’il s’agit de conduites d’évacuation des eaux de pluie qui, à la suite de diverses réfections, sont assez nombreuses dans cette région du palais. Cette fois c’est la conduite d’alimentation de l’Iggum25 retrouvé, en 1987, dans l’angle nord-est de la cour 106, qui a pu être suivie : elle vient de la cour 131 en passant sous la porte 131/114. Il est apparu aussi qu’il s’agissait d’une installation assez tardive dans l’histoire du palais, qui pourrait peut-être servir de point de référence pour dater d’autres systèmes.

Fig. 17 – Chantier P, remise au jour des pièces 112, 114, 115 et de l’angle nord-est de la cour 106 du palais du début du IIe millénaire
Tablettes et scellements fragmentaires
78Dans ces couches, quelques tablettes ont été retrouvées, ainsi que, surtout, des fragments de scellements : quelque 26 tablettes entières ou fragmentaires26 et 55 scellements. Si la récolte des tablettes est bien moindre que celle des années précédentes, les scellements sont quant à eux plus nombreux et intéressants. On notera la découverte de deux tablettes fragmentaires dans le mur 114/106, manifestement introduites lors d’une réparation opérée dans le mur à la suite du passage d’une canalisation.
J.-Cl. M.
RECHERCHES DIVERSES SUR L’ARCHITECTURE
Les fondations du Grand Palais Royal
79L’existence, sous les longs murs nord-sud qui bordent les cours 106 et 131, de fondations faites d’une terre homogène et particulièrement dure a donné l’occasion de reprendre un ancien dossier inachevé. En effet ces fondations, réalisées lors de la construction du Grand Palais, sont tout à fait inhabituelles ; passées inaperçues en 1964 lorsqu’elles ont été touchées pour la première fois, leur existence s’est imposée d’abord par l’analyse des résultats de cette fouille puis, par la suite, grâce à des observations sur le terrain, en particulier lors des fouilles conduites sous la salle 116 en 1980 et, en 1987, sous la salle du Trône du palais du début du IIe millénaire27. Des prélèvements ont été effectués pour des analyses, qui devraient livrer la composition de cette terre et la façon dont elle a été mise en œuvre.
Le contenu des murs
80Depuis des années, la mission de Mari s’intéresse au contenu des murs et plus particulièrement des briques qui les composent. Des études ont déjà été publiées à ce propos28. Cette année j’ai procédé au tamisage d’une partie du mur 12/14 du palais phase P-1, soit un volume de 3,4 m3 ; ce mur s’était effondré à la suite du travail de sape d’un sillon d’érosion dans un secteur où nous n’avions pas pu intervenir dans la campagne de sauvegarde. Ce mur présente un intérêt particulier parce que, s’il est encore en usage lors de la phase P-1, il date en réalité de la construction du palais lors de la reconstruction générale de la Ville II, sans doute au DA III et toutes les inclusions appartiennent donc à une phase antérieure, vraisemblablement datée de la Ville I. La maille du tamis choisi était de 1 cm : plus de 12 kg de matériaux ont été recueillis : fragments de tabuk et de briques plus ou moins cuites, morceaux de plaques de bitume, morceaux de plaques de plâtre, esquilles d’os et morceaux de coquillages, galets et un grand nombre de tessons en majorité atypiques (3,6 kg) mais une centaine (1,15 kg) pourvue d’une caractéristique morphologique précise ou, parfois, d’un motif décoratif.
81Les études pour déterminer les dates de ce matériel sont en cours, mais il semble d’ores et déjà qu’il s’agit bien de formes datant de la Ville I et, ce qui est particulièrement frappant, c’est qu’il s’agit de tessons usés et non de fragments de céramiques brisées lors de la fabrication des briques pour servir de lest, comme cela a parfois été pratiqué.
Problèmes liés à l’utilisation des blocs de gypse dans la Ville I
82Une étude sur les blocs de gypse utilisés en fondation du rempart de la Ville I devrait conduire à une estimation des moyens techniques mis en œuvre lors de la construction de la cité. Elle a été engagée mais elle est encore incomplète et il conviendra de la poursuivre29. En attendant, il est intéressant de remarquer que nombre des blocs atteignent ou dépassent 5 tonnes, même si la moyenne est nettement en dessous. Se posent alors le problème du lieu d’origine de l’extraction, des modalités de transport et de la manipulation pour la mise en œuvre de ces blocs.
J.-Cl. M.
ÉTUDE SUR LA FAISABILITÉ D’UNE RECHERCHE SUR LES INTERACTIONS ENTRE LES OSSEMENTS HUMAINS ET LE MILIEU
83Les travaux de Tristan Ibrahim, géologue de formation et doctorant en biogéochimie, ont particulièrement porté sur cette question. Son projet de recherche vise à mesurer la fiabilité de l’application d’une méthode biogéochimique nouvelle – l’étude des teneurs en baryum et en strontium de la fraction minérale d’ossements humains comme marqueurs alimentaires – à des problèmes archéologiques.
84Le projet se propose de tester la fiabilité d’une méthode ; il ne peut donc être limité au seul site de Mari, mais celui-ci apparaît comme un bon point de départ. Les premiers tests ont porté sur le matériel issu des réserves de la mission provenant des campagnes antérieures et sur le matériel mis au jour lors de la présente campagne. Si le matériel plus anciennement recueilli n’apporte pas toujours les conditions souhaitées et ne sera en conséquence que partiellement exploitable, en revanche les ossements découverts en cours de fouille apparaissent comme tout à fait adaptés pour une telle étude.
85Celle-ci aurait pu être poursuivie, mais est restée sans lendemain.
J.-Cl. M. (d’après le rapport de T. Ibrahim)
CONCLUSION
86La 40e campagne a donc apporté nombre d’informations sur la Ville I, qui ouvrent des horizons nouveaux sur la civilisation du monde oriental au début du IIIe millénaire : c’est bien souvent à une révision des concepts habituels qu’il faut procéder et à une réinterprétation des premiers temps de la civilisation urbaine.
87Mari apparaît en outre comme un site particulièrement propice à des sujets de recherche portant aussi bien sur l’architecture que sur la technologie.
88Parmi les acquis d’importance on notera :
la réapparition d’une unité architecturale complète ayant connu trois phases en Ville I ;
la très forte probabilité pour qu’un tremblement de terre ait mis fin à la phase 4 du chantier L ;
la forte probabilité pour que l’on ait retrouvé au chantier L un atelier de charron30 ;
le lot de tablettes dans le palais de la Ville III ;
la mise au jour d’une nouvelle installation de type « toilette-siège » dégagée dans le palais de la Ville II.
89Une mention particulière doit être faite sur le contact stratigraphique entre la Ville I et la Ville II dans le secteur des temples (chantier G) : celui-ci, qui présentait des difficultés, semble s’éclaircir.
90Les fouilles réalisées en Pec (1994), dans le palais P-Espace 4, devant la porte du palais de la Ville II, dans différents sondages (J, H), avaient clairement mis en évidence que les dernières strates de la Ville II ne dépassaient pas une altitude de 174,50/175,00 environ et que partout on constatait un nivellement du tell à ce niveau, point de départ de la reconstruction de la Ville II. Il avait paru logique d’étendre cette conclusion à l’ensemble du tell que l’on imaginait rasé à une hauteur uniforme, pour établir un socle assurant une base surélevée et pratiquement plane pour la nouvelle cité.
91Cependant dans la zone des temples, ce schéma ne paraissait pas convenir, d’une part parce que le sol de la rue de la Maquette, équipé d’une chaussée absorbante comme celle de la maison du Souk, se trouvait pratiquement 1 m plus haut que celle-ci, que la nature des couches et des constructions sous le niveau du temple de Ninhursag de la Ville II ne semblait pas correspondre aux restes retrouvés jusqu’à maintenant dans la Ville I et en particulier parce que l’on ne retrouvait pas le niveau d’arasement qui marque le sommet de la Ville I vers 174,50, mais plutôt vers 176,60/176,70.
92Un réexamen de l’ensemble de la documentation et en particulier des données stratigraphiques a permis de trouver la solution : en réalité, dans le secteur des temples, le niveau d’arasement de la Ville I a se situe vers 176,50, soit près de 2 m au-dessus du restant de la cité, et la Ville II ne commence réellement qu’à la hauteur de la cote 177,00.
93Les reconstructeurs de la Ville II ont donc volontairement laissé proéminent le secteur religieux, certainement pour lui permettre de dominer l’ensemble de la cité, mais peut-être aussi dans le souci de toucher le moins possible aux édifices religieux. Toujours est-il que le socle qui forme le substrat de la Ville II se trouve ici un mètre et demi (ou plus) plus haut que celui du secteur de la maison du Souk et qu’il n’existe aucun comblement, à l’exception de ceux réalisés pour la voirie qui établit le niveau de la cité : ce dernier se trouve un demi-mètre plus haut que le niveau du palais P-3, et un mètre plus haut que le sol de la rue de la maison au Souk.
J.-Cl. M.
Notes de bas de page
1 Ce film, intitulé « Mari, aux origines de la ville », est sorti à l’automne 2006 dans la série Dans le secret des pierres, destinée aux chaînes câblées (Voyages) et à France 5. Ce film a été présenté au festival du film archéologique (ICRONOS) de Bordeaux du 24 au 27 octobre 2006, ainsi qu’au festival du film archéologique de Nyon (Suisse) du 19 au 24 mars 2007, où il a obtenu le Prix du public.
2 En réalité, la phase 6 se révélera être le niveau de fondation et de préparation à l’importante phase architecturale 3-4-5, qui représente le niveau C.
3 À Béatrice Muller et Pascal Butterlin se sont joints, au début de la campagne, Juan-Luis Montero Fenollós pendant une dizaine de jours et Julien Chanteau jusqu’au 7 octobre. Tristan Ibrahim a aidé, avec Anne Horrenberger, à la fouille des tombes.
4 À l’issue de la campagne de 2003, des ébauches de synthèse ont déjà été proposées : cf. Margueron 2004, p. 96-97 et p. 108-110. Margueron 2008b, en particulier p. 426 ; Butterlin 2008a ; Muller 2008.
5 Le niveau B, arasé, n’est représenté que par deux inclusions s’enfonçant dans le niveau C.
6 Voir, en plus du plan, l’essai de restitution dans Margueron 2008b, fig. 6 p. 430.
7 Début du dégagement en 2002, voir ici fig. 9, p. 144 du rapport préliminaire de cette campagne – la situation stratigraphique n’avait pas encore été comprise à ce moment-là.
8 À proximité, à la phase 2, la petite installation de leben VII Y 49 NE 74 abritait, elle aussi, une jarre encore en place, peut-être avec une fonction similaire.
9 Butterlin 2008a, en particulier p. 294 et fig. 1 p. 298.
10 Plan et assemblage céramique donnés dans Muller 2008, p. 464 et fig. 3 p. 470.
11 Étude de Beyer 2007, p. 232-234 (VII W 50 SE 64 et 67).
12 Inventaire et illustration du mobilier et des parures (excepté la chaînette en or, cf. Margueron 2004, pl. 80 p. 540) dans Muller 2008, p. 463-464 et fig. 7 et 8 p. 471.
13 Nicolini 2006, p. 345 ; Nicolini 2010, no 149 p. 309-310 et pl. 496 p. 314 ; mention dans Margueron 2004, p. 108 ; pl. 80 p. 540.
14 Cf. dans cette livraison p. 143.
15 Selon Joyce Nassar, qui a soutenu une thèse en anthropologie biologique à l’université de Bordeaux I en 2010 sur Les espaces funéraires suburbains de Mari (Moyen-Euphrate, 2900-1760 av. J.-C.) : analyse archéo-anthropologique, il s’agit d’un adulte de 20 à 49 ans dont le sexe n’a pas pu être déterminé.
16 Butterlin et Margueron 2006, en particulier p. 319-323 ; Butterlin 2008a, p. 295-296.
17 Margueron 2004, fig. 76 p. 105 (J.-Y. Monchambert).
18 Butterlin et Margueron 2006, fig. 5 p. 322 ; Butterlin 2008a, fig. 3 p. 300.
19 Margueron 2004, fig. 78-5, 78-6, 78-8, p. 107 (I. Weygand).
20 Voir en particulier le plan schématique illustrant le rapport de 2001, ici p. 125.
21 Noté NE 6 dans Beyer et Laroche-Traunecker 2006, p. 305, note 4 ; il devient NE 18 en 2004, cf. ici, rapport de 2004, p. 192-193.
22 Margueron 1983, p. 17-18, fig. 6 p. 28 et pl. VI p. 35 ; Margueron 1984, p. 34-38 et fig. 28 à 33 ; Margueron 1987a, p. 30, et fig. 21 à 24 p. 29-32 ; Margueron et al. 1993, p. 24, fig. 20 p. 23 et fig. 24-25 p. 27.
23 Margueron 1983, p. 17-18, fig. 6 p. 28 et pl. VI p. 35.
24 C’est ce qui a été fait dans Margueron 2008a.
25 Margueron et al. 1993, p. 21 et fig. 21 p. 25.
26 Étude en cours, cf. Cavigneaux et Colonna d’Istria 2009, p. 51-60 pour les tablettes.
27 Parrot 1965 ; Margueron 1983, p. 17-18 et fig. 6 p. 28 ; Margueron et al. 1993, p. 30-34.
28 Margueron 1995.
29 Margueron sous presse b (Mélanges E. Pecorella [†]).
30 Butterlin et Margueron 2006, en particulier p. 319-323 ; Butterlin 2008a, p. 295-296.
Auteurs
EPHE IVe section, Paris (jean_claude.margueron@sfr.fr)
Université de Strasbourg et UMR 7044 (beyer@umb.u-strasbg.fr)
Université Paris I, UMR 7041 – ArScAN (Pascal.Butterlin@univ-paris1.fr)
Université de La Corogne et UMR 8140, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (fenollos@cdf.udc.es)
UMR 7041 – ArScAn, université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense (jean_claude.margueron@sfr.fr)
Musée alsacien, Strasbourg (marie-louise.schneider@strasbourg.eu)

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