Le tirage au sort dans la vie publique des cités de l’Asie Mineure romaine
p. 215-236
Résumés
Dans les sources épigraphiques publiques des cités d’Asie au Haut-Empire, le tirage au sort apparaît rarement comme une procédure pour la désignation à des fonctions publiques. Il est en revanche densément attesté, à Aphrodisias et à Éphèse, au centre d’une pratique festive des élites civiques consistant dans la distribution de lots d’argent selon cette méthode, essentiellement en faveur des bouleutes ou des membres de la gérousie. L’enquête révèle que des pratiques similaires devaient couramment avoir lieu à Milet ou à Argos en Achaïe. Ces pratiques étaient inscrites, comme à Éphèse, dans le calendrier officiel des activités des bouleutes. Les capitaux gérés par les gérousies ou les Conseils à la suite de fondations ainsi que les lots distribués au fil de l’année pouvaient représenter des montants importants. Les dons privés à cet effet correspondent ainsi à des pratiques « évergétiques » en circuit fermé au sein des groupes élitaires, caractéristiques de leur style de vie.
In public epigraphic sources stemming from cities in the province of Asia during the High Empire, the drawing of lots only rarely appears as a procedure for appointment to public office. In contrast to this institutional procedure, at Aphrodisias and Ephesus, the drawing of lots is widely attested to be at the heart of a festive practice by civic elites, consisting in the distribution of money prizes, essentially in favor of councillors or members of the gerousia. The survey reveals that similar practices must have been commonplace in Miletus and Argos in Achaia. They were included in the official calendar of the activities of the councillors. The capital provided by foundations and managed by the gerousia or councils, as well as the prizes distributed throughout the year, could represent substantial amounts. Private donations for this purpose thus correspond to closed-circuit benefactions within elite groups, characteristic of their lifestyle.
Texte intégral
1Dans la vie publique des cités d’Asie Mineure à l’époque romaine, le tirage au sort apparaît au fil de l’enquête comme une procédure secondaire dans le domaine institutionnel pour des désignations à des fonctions, à l’exception d’une poignée de prêtrises importantes ou de rôles subalternes1. Ce que l’historien perçoit le plus clairement et qui témoigne donc d’une visibilité délibérée de la commémoration dans le paysage épigraphique, d’époque antonine et sévérienne essentiellement, forme un contraste avec cet usage sérieux : la récolte d’attestations est en effet bien plus substantielle à propos de la distribution de lots tirés au sort à des membres d’organes institutionnels d’accès contrôlé et éventuellement soumis à une cotisation, tels que le Conseil de la cité ou la gérousie. Tandis que le recrutement du Conseil était basé, de plus en plus nettement, sur des critères censitaires, les gérousies, liées aux gymnases, admettaient des membres volontaires sur critère d’âge. Il n’est d’ailleurs pas indifférent pour notre propos de relever que ce mode de recrutement du Conseil conduisit à délaisser l’ancienne procédure du tirage au sort parmi les tribus civiques2. Outre leur rôle politique dans la cité – les gérousies étant notamment actives dans l’octroi d’honneurs comme l’indique leur mention régulière aux côtés du Conseil et du peuple (dêmos) dans cette procédure –, la participation à ces organes civiques conférait des avantages symboliques mais aussi matériels, comme l’attestent par exemple les tentatives d’usurpation de la qualité de géronte connues dans une inscription de Mylasa (Carie, province d’Asie) récemment publiée3. Les distributions basées sur le tirage au sort en faveur de gérontes et de conseillers comptent ainsi parmi les avantages, appelés philanthrôpa dans l’inscription de Mylasa, repérables dans quelques cités grecques d’époque impériale.
2Ainsi, au-delà des formes classiques de l’enquête institutionnelle sur des bases épigraphiques, cette micro-pratique de la vie publique, sans rien avoir de central dans la vie quotidienne de ces institutions et de leurs membres, est-elle également révélatrice des mécanismes et des valeurs qui articulaient le fonctionnement de ces sociétés civiques. Aboutissant à un renforcement concret et symbolique de la position dominante des élites locales dans des activités para-institutionnelles, elle n’est pas triviale. Elle invite à réfléchir au mode d’exercice du pouvoir local : réunions festives fermées, gratifications, échanges de bons procédés, constituent aussi la texture du quotidien des participants les plus actifs aux gouvernements locaux, tout autant que les sujets plus classiquement étudiés comme la prise de décisions à l’égard de la vie collective ou la sélection des responsables locaux. Un trait particulier de ces groupes élitaires mérite d’être clairement énoncé, car il permet de contextualiser plus exactement ces pratiques inscrites dans la vie publique : les termes d’élites, ou de notables, dans les cités étudiées, sont employés faute de mieux et pour éviter de longues périphrases, car ils désignent, à Éphèse par exemple, au Conseil, 450 personnes ; à Aphrodisias, 200 ; dans les gérousies, à Hiérapolis et ailleurs, plusieurs centaines de personnes4. Ces groupes comptent donc à la fois des membres très fortunés, permettant à leurs descendants d’espérer entrer au Sénat romain, mais aussi des individus dont le mode de vie devait être beaucoup plus simple.
3Cette étude traitera dans un premier temps du recours au tirage au sort pour la sélection à des fonctions dans la vie publique. Nous nous intéresserons ensuite au tirage au sort dans la vie agonistique, puis dans les bienfaits émaillant la vie civique, autrement dit dans des événements publics à tonalité joyeuse ou festive dont on verra qu’ils concernaient, au premier plan, les groupes élitaires. Alors que l’enquête réalisée révèle de manière explicite l’importance du tirage au sort de lots d’argent à Aphrodisias et secondairement à Éphèse, tandis que les autres cités ne font pas connaître aussi directement ou densément ce type de bienfait, je relèverai quelques documents laissant à penser qu’il s’agissait d’une pratique récurrente dans des cités d’Asie Mineure occidentale et quelques cités de Grèce. Je reviendrai enfin sur la visibilité de cette micro-pratique dans les sources et dans l’espace public, ainsi que sur son positionnement, moins singulier qu’il n’y paraît, dans le cadre général des pratiques dites évergétiques.
Le tirage au sort comme principe de désignation à des fonctions publiques
4Peu attesté en Orient, le tirage au sort pour la désignation à des responsabilités locales paraît être réservé à des fonctions ponctuelles et le plus souvent secondaires. Son utilisation dans les cités de la partie occidentale de l’Empire est bien connue par l’étude que lui a consacrée Frédéric Hurlet en 20195. Dans les cités de statut romain, les chartes municipales et coloniales conservées en Bétique constituent une remarquable source de renseignements. Pour les cités grecques de l’époque impériale, il est possible que nous ignorions des étapes de l’élection des magistrats où le tirage au sort aurait été utilisé (par exemple pour organiser le vote des tribus, subdivisions du corps civique), dans la mesure où aucune loi locale n’est conservée. Malgré ces observations, la minceur du bilan ne paraît pas être liée seulement à l’état des sources.
Fonctions civiles mineures
5Dans le corpus des cités d’Asie Mineure6, les dogmatographes, formant une commission de rédacteurs des décrets votés par le Conseil et l’assemblée du peuple, également connus à Aizanoi, Éphèse, Mytilène, Temnos et Hiérapolis, sont connus pour avoir été tirés au sort à Akmonia, à Iasos, à Assos et à Kymè sans que l’on puisse affirmer qu’il s’agisse de pratiques durables ou usuelles dans ces cités7. Le cas d’Akmonia, le mieux documenté, n’offre ainsi que trois attestations, concentrées dans la deuxième moitié du ier s. La mention de l’intervention des dogmatographes ne subsiste pas, comme il est logique, quand les décrets sont simplement résumés au moment de leur transcription épigraphique, ce qui constitue le cas le plus fréquent. Selon Fritz Gschnitzer, le recours à ces « rédacteurs de décrets » était une innovation d’origine romaine8 ; il relève également la rareté de cette mention en dehors de la province d’Asie. Du point de vue de la participation civique, la documentation épigraphique permet d’identifier dans ces fonctions quelques personnes en voie d’élévation sociale ou établies durablement à la tête des affaires de leur cité : à Akmonia la famille de Philippos Praxias fils de Philippos, dogmatographe en 68, dispose de la citoyenneté romaine vingt ans plus tard ; M. Iunius Lupus, dogmatographe en 64, est « archonte pour la deuxième fois » en 689 ; à Iasos j’ai eu l’occasion de retracer le parcours personnel du dogmatographe Alexandros III descendant d’Alexandros, devenu citoyen romain sous le nom de Q. Servaeus Alexandros et honoré dans sa cité une vingtaine d’années plus tard10. Le tirage au sort de ces dogmatographes, qui devaient être membres du Conseil de la cité, tendrait à suggérer dans ces cas qu’un caractère durable de la fonction de bouleute existait déjà, par la possibilité de retrouver dans des fonctions attribuées par le hasard des personnes honorées ou connues par ailleurs. Dans les deux phénomènes institutionnels que constituent le recrutement des conseillers (où justement la part du sort diminue) et la mise en place de comités de rédacteurs de décrets sélectionnés par le sort parmi ces mêmes conseillers, il est difficile de trancher entre une évolution oligarchique propre aux sociétés civiques de la fin de l’époque hellénistique d’une part, et une influence romaine ou même une réglementation instaurée par le pouvoir romain – sous forme d’une charte provinciale ou dans des réponses à des problèmes au cas par cas dans les cités – d’autre part. En l’occurrence, le rôle relativement mineur des dogmatographes est difficilement corrélable à une éventuelle volonté romaine délibérée de contrôle sur les processus législatifs des cités, à la différence d’une possible attention particulière sur les conditions de recrutement des bouleutes11.
6La fonction de mastigophore est également ponctuelle et réservée, quant à elle, à des individus d’une extraction sociale modeste12. Dans la fondation de Démosthénès d’Oinoanda (Lycie), en 124, les mastigophores, chargés « de veiller au bon ordre dans les théâtres » et « munis de boucliers et de fouets », sont « choisis » par l’agonothète « parmi les citoyens » : τὴν δὲ αἵρεσιν γείνε[σ]θαι … ἐκ τῶν πολειτῶν. Le mode de désignation n’est pas clairement mentionné et ne relève pas nécessairement d’un tirage au sort. Même si ce moyen paraît pratique, la désignation pouvait être réalisée selon un ordre dans une liste préétablie, notamment si l’on considère que la mastigophorie était une liturgie personnelle, ainsi que l’indiquait Aurelius Arcadius Charisius à la fin du iiie s.13 ; ou encore, tout simplement, l’agonothète avait totale liberté pour désigner qui il souhaitait, si l’on considère que plutôt qu’une simple tâche pénible, la mastigophorie pouvait comporter pour les hommes du peuple qui étaient retenus quelque gratification, et qu’ainsi l’agonothète renforçait des liens personnels avec des obligés14. Dans un document presque contemporain, la première lettre d’Hadrien à l’association des technites dionysiaques datée de 134, il était en revanche prévu que dans les concours sacrés des mastigophores seraient tirés au sort15.
7Un document de Dolichè, en Thessalie, semble-t-il du milieu du ier s. av. J.‑C., jette peut‑être un peu de lumière sur la désignation à de telles fonctions subalternes, éventuellement par tirage au sort, d’hommes du peuple auxquels les liturgies personnelles ne pouvaient sans doute pas toujours être demandées à titre gratuit, sous peine de mettre en péril leur subsistance. Il est ainsi question d’un dédommagement pour un service dont les citoyens étaient redevables sur la base d’un tirage au sort par tribu civique, par roulement de trois mois16. C. Iulius Démosthénès d’Oinoanda prévoit également un dédommagement d’un montant de 3 deniers, mais cette fois à l’intention des plus riches dans la cité – au sens large puisqu’il s’agit de 500 personnes –, pour les bouleutes et ceux qui auront été tirés au sort en plus des bouleutes (parmi la catégorie particulière des sitométrouménoi) pour arbitrer les épreuves des concours qu’il instaure17.
Fonctions religieuses et participation à des fêtes
8Quelques fonctions religieuses pouvaient également être attribuées par tirage au sort, à l’instar des néopes de Samos au début de l’époque impériale18. Le cas le plus remarquable est celui des prophètes de Didymes, sanctuaire dépendant de la cité de Milet : le prophète servait pour une année et était tiré au sort parmi des candidats proposés par les cinq dèmes. Il arrive que des inscriptions mentionnent la désignation du prophète « sans tirage au sort » : il est possible que dans ce cas les cinq dèmes aient proposé le même candidat19. Il s’agit de la fonction civique la plus prestigieuse pour laquelle, dans les corpus épigraphiques, l’attestation d’un tirage au sort est conservée.
9Le tirage au sort était également utilisé pour déterminer la participation à des cérémonies religieuses, comme c’est le cas dans la fondation de Tib. Iulius Myndos de Hiérapolis en Phrygie, sous Hadrien. Le notable devait être accompagné par trente bouleutes tirés au sort pour l’accomplissement des rituels prévus et financés par son don au Conseil de 4 500 deniers, dont les revenus seraient utilisés pour la fête20. Cette pratique, sans doute récurrente, est également connue dans la fondation de G. Vibius Salutaris à Éphèse pour sélectionner des membres des institutions civiques prenant part aux fêtes prévues par le fondateur (voir infra, tabl. 2.1, n° 1‑3, avec des indemnités prévues pour les fonctions cultuelles à accomplir par certains participants). Le tirage au sort fut utilisé dans le cadre semi-officiel de villages et par des responsables locaux bien plus modestes que les personnages cités précédemment : ainsi dans la vallée du Caÿstre pour une fête instituée par un ancien prêtre de Déméter et dont la procession, avec les magistrats du lieu et des hommes tirés au sort, devait s’achever à son domicile, sa vie durant21.
Les recuperatores
10Un dernier usage du tirage au sort était directement commandé par les procédures de l’administration judiciaire romaine. Le premier édit de Cyrène prévoyait le mode de désignation des jurys provinciaux pour les procès criminels (mais Julien Fournier attire l’attention sur le fait que le jugement des affaires criminelles dans les provinces orientales par ce type de jury n’est pas attesté par ailleurs)22. De manière plus régulière, le tirage au sort pouvait intervenir pour la désignation des commissions de recuperatores intervenant dans des affaires civiles. Cette procédure de désignation est attestée par une inscription de Pinara, datée d’après la provincialisation de la Lycie23. La constitution de la liste des jurés de la province reposait sur des critères censitaires et d’âge, ainsi que, pour une partie des affaires, de possession de la citoyenneté romaine24. Parmi les informations procurées par différentes sources et commentées par Julien Fournier, il convient de relever que comme la fonction de mastigophore décrite plus haut, celle de recuperator était considérée par les juristes romains comme un munus personale25, évidemment bien plus prestigieux. L’inscription de Pinara mentionne un type particulier de largesses : le versement de 5 000 drachmes à chacun des quatre systêmata (le terme est largement restitué, l. 22) parmi lesquels étaient tirés au sort les jurés26. Cette sélection par le sort est attestée en Occident, dans la loi des municipes flaviens, au niveau municipal27. À Pinara en revanche, il s’agit bien d’une cour provinciale, agissant au niveau du conventus28.
Une dévalorisation du tirage au sort en contexte institutionnel ?
11Comment interpréter ces attestations rares et dispersées du tirage au sort à l’époque impériale ? À l’exception du prophète de Didymes, le recours au tirage au sort pour des fonctions que l’on peut qualifier de subalternes demeure contingent. Dans le cas de liturgies personnelles ou patrimoniales, il pouvait être utile, mais alternativement à d’autres modes de désignation, comme le montre également le cas égyptien : parmi les gymnasiarques d’Hermoupolis Magna, on relève ainsi que certains seulement sont désignés comme « ayant été tirés au sort »29, pour une fonction qui est exercée une partie de l’année ; le collecteur d’impôt pouvait être « tiré au sort sur le registre des fortunés », euschêmones en grec, d’après un papyrus daté de 177 provenant du Fayoum30.
12Mais une certaine souplesse prédominait et l’on peut penser que le tirage au sort, comme le tour de rôle préétabli31, étaient évités quand on voulait donner de l’éclat à l’exercice d’une fonction. Sous le règne d’Hadrien, le proconsul d’Asie, dans son édit sur l’aqueduc de Laodicée récemment publié par Francesco Guizzi, ordonne que pour assurer la « sécurité permanente du service de l’eau », « la cité choisisse au moment des assemblées électorales parmi les hommes les plus fortunés des épimélètes pour chaque année, au nombre de deux », « qui se préoccuperont avec honnêteté et empressement de la surveillance, n’ayant en vue que l’utilité publique32 » : cette formulation générale offre une diversité de procédures possibles. Les élites locales – il s’agit des euschêmonestatoi, le même terme que celui utilisé en Égypte dans le papyrus précédemment cité – n’étaient ainsi pas brusquées dans l’image qu’elles avaient d’elles-mêmes et qu’elles s’attachaient à donner à leur communauté : elles apparaissaient encore sous le jour de personnalités dévouées au bien public. Le tirage au sort est possible, mais on sait que la désignation par une élection (dans le Conseil ou à l’assemblée) était également envisageable33. Au passage, dans l’un et l’autre cas, ces indications apportent incidemment des preuves sur la tenue de listes d’individus classés sur critères censitaires dans un village en Égypte, dans une cité en Asie.
Le tirage au sort dans les pratiques publiques et festives des élites
L’appariement des lutteurs et des pancratiastes
13Ces attestations éparses dans le domaine civique traditionnel demeurent secondaires, dans la documentation conservée comme dans l’importance alors prêtée au tirage au sort, par rapport à l’intervention du tirage au sort dans des pratiques que l’on peut qualifier de festives. Dans le monde des élites civiques et de leurs occupations, le tirage au sort était bien présent par sa place dans la vie agonistique, pour la désignation des couples de lutteurs et de pancratiastes devant s’affronter aussi bien au quotidien dans l’entraînement au gymnase que lors des concours qui comprenaient ces épreuves, qui pouvaient être de portée locale ou régionale (concours thématites) ou « internationale » (concours stéphanites, sacrés, isélastiques).
14L’intérêt des amateurs de compétitions pour les pronostics et la comparaison des mérites respectifs des adversaires était sans doute réel hier aussi bien qu’aujourd’hui. Aussi le tirage au sort pouvait-il faire l’objet d’un grand intérêt, et même d’une observation fiévreuse : il avait en effet lieu en public, sous la supervision des hellanodices ou des agonothètes34. Quand un nombre impair de concurrents se présentait, celui qui n’était pas apparié ne luttait pas et attendait le tour suivant de la compétition ; « ne pas avoir été laissé de côté » (ἀνέφεδρος) enjolivait la victoire finale, et cette circonstance était célébrée dans les inscriptions commémorant ces victoires, avec la mention du nombre de tours de compétitions qu’un lutteur ou un pancratiaste avait dû mener à bien35. Il arrivait aussi qu’un athlète fasse renoncer les autres devant sa supériorité constatée après un ou deux « tirages au sort », ce qui était également célébré dans les inscriptions36. Signe de l’importance attachée à cette étape des compétitions, ce tirage au sort était évoqué dans des types monétaires sur les monnaies de bronze émises par les cités, par la représentation de la kalpis37.
15Nous sommes ici pleinement dans le monde des notables, selon des mécanismes sociaux différents de ceux du sport contemporain. Les vainqueurs des concours les plus prestigieux pouvaient en effet être admis au Conseil des cités où ils l’avaient emporté dans des concours sacrés, victoire qui pouvait également leur valoir le droit de faire une entrée dans leur cité d’origine avec un faste particulier et ritualisé, dans le cas des concours dits isélastiques ; les jeunes garçons vainqueurs pouvaient également, une fois leur carrière achevée, se tourner vers la vie civique38. Les athlètes victorieux faisaient donc bien partie du monde des notables civiques. Enfin, le choix des types monétaires locaux relevait également de la responsabilité des magistrats ou du Conseil local, bien que l’on ignore le détail de la procédure. De manière très concrète et par différents prismes, ces « tirages au sort » suscitaient particulièrement l’intérêt des élites locales, qui souvent participaient au financement de ces concours, y assistaient au premier rang dans les édifices qui accueillaient les épreuves sportives ou pouvaient voir des jeunes gens de leur milieu y participer39.
Les loteries
16La documentation épigraphique rend plus visible une autre pratique publique, à la fois ludique et cohésive, concernant en tout premier lieu le monde des élites locales : il s’agit des distributions d’argent par klêros, à la suite d’une loterie ou d’un tirage au sort. Nous allons analyser, car il est possible dans les deux cas de faire une mise en série et quelques observations quantitatives, les attestations provenant d’Aphrodisias, la fameuse cité libre de Carie qui sut défendre et conserver ses privilèges fiscaux et juridiques dans l’empire jusqu’au milieu du iiie s. au moins, et d’Éphèse, capitale de l’Asie, deux cités prospères où cette pratique est bien attestée mais de manière fort différente40.
Aphrodisias
17Dans cette cité, six inscriptions font connaître des distributions d’argent, essentiellement aux membres du Conseil, et dans cinq cas sur six par le recours à des fondations, donc de manière régulière et répétée dans le temps, à un rythme annuel41. Le type de distributions le plus prisé était toutefois celui qui donnait lieu à des tirages au sort de lots : quinze inscriptions font connaître ce type de bienfaits. Il s’agit toujours de fondations, c’est-à-dire que le bienfaiteur prévoyait un capital dont les revenus annuels serviraient à une loterie.
18D’un point de vue chronologique, les attestations sont concentrées à la fin du iie et au début du iiie s. J’émettrais volontiers l’hypothèse que la pratique ostentatoire de ce bienfait par M. Ulpius Carminius Claudianus42, grand bienfaiteur de la cité à l’époque d’Hadrien et d’Antonin le Pieux, dont le beau-père était procurateur impérial et dont le fils fut sénateur romain, conduisit ses contemporains et les concitoyens des générations suivantes à adopter ce type de comportement public, dont la commémoration, au moins, possède un caractère local. Ce faisant, M. Ulpius Carminius Claudianus ranimait peut-être une tradition locale ou du moins s’inspirait d’exemples locaux antérieurs, puisqu’Aristokratès Molossos, à l’époque augustéenne, avait précédemment mis en place des klêroi (tabl. 1, n° 1), sur lesquels nous sommes bien renseignés grâce à une autre inscription qui détaille son don pour des diadoseis (sans employer le terme klêros, mais le rapprochement est certain), qui devaient se tenir à trois reprises dans l’année, l’une au mois Xandikos le 19, l’autre lors des premiers spectacles d’été, le troisième au mois d’Hyperbérétaios le 19 également43.
19Les bénéficiaires des klêroi sont connus dans quatorze inscriptions sur quinze. La plupart des documents mentionnent plusieurs corps bénéficiaires. On trouve de la sorte, une fois le peuple, douze fois le Conseil (peut‑être treize, si comme il est probable le Conseil est le destinataire dont le nom manque dans l’inscription n° 15), trois fois la gérousie, trois fois les néopes. Dans les fondations de Salutaris à Éphèse et de Démosthénès à Oinoanda, les intérêts attendus pour financer les activités prévues par le bienfaiteur s’élèvent à 9 % d’une part, 7,5 % d’autre part. On peut ainsi dans dix inscriptions connaître le montant du capital de la fondation, ou l’extrapoler à partir des revenus connus, en partant d’une estimation à 8 %44. Par ailleurs, les inscriptions 9 et 10 faisant connaître plusieurs fondations d’un montant égal, je supposerais volontiers que le montant manquant dans l’inscription 15 est également de 5 000 deniers. Le capital, connu ou extrapolé, reçu pour les seuls klêroi destinés au Conseil est donc le suivant, à partir des inscriptions 5, 7 (sous forme de créances45 ?), 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14 et 15 : 110 695 deniers, incluant la donation de l’inscription n° 14, remarquablement élevée – mais sans que l’on dispose du montant de la largesse de M. Ulpius Carminius Claudianus, qui ne devait pas être négligeable. Une remarque supplémentaire doit être faite : le montant inhabituellement faible de l’inscription 8 laisse penser qu’il est connu uniquement parce que l’honorandus a été honoré par le Conseil et le peuple pour ses autres mérites ; mort avant l’âge, il était issu d’une grande famille de la cité et se distinguait dans la pratique de la sculpture. Il paraît donc probable que de petits montants étaient régulièrement légués au Conseil, sans faire l’objet de commémorations pérennes.
20Cette somme n’est qu’une fraction des fondations administrées par le Conseil. La gérousie, dans les attestations conservées, reçut un capital de 5 000 deniers, là aussi largement sous-estimé mais il est indéniable que le Conseil était le principal destinataire de ce flux de capitaux, provenant de familles très fortunées ou qui se trouvaient sans descendance. Nous sommes donc contraints d’examiner ce chiffre comme une hypothèse basse ; il faut également considérer qu’à la fin du iie s. et au début du iiie, on peut estimer que les fondations étaient globalement solides pendant plusieurs dizaines d’années, si l’on en croit par exemple le nombre connu de célébrations de quelques concours46. Les fondations administrées par le Conseil, dans l’intérêt des conseillers eux-mêmes, avaient par ailleurs chance de compter parmi les plus pérennes : les notables qui siégeaient dans cet organe et devaient, à tour de rôle, se trouver chargés d’administrer les fondations, avaient l’expérience de ce type d’affaires47. Ces 110 000 deniers rapportaient donc à eux seuls au Conseil, pour des loteries, au moins 9 000 deniers par an, si ces fondations étaient administrées avec soin. Le relevé de cette documentation communique une autre information : le nombre de conseillers à Aphrodisias, au début du iiie s., aurait été de 200 (inscription 12)48, avec sans doute un fonctionnement largement viager et héréditaire. Au gré de plusieurs loteries annuelles, il y avait donc un minimum de 45 deniers par an disponible par conseiller.
21Que penser de ce montant ? Le commentaire habituel sur les loteries ou les distributions estime que le montant distribué est symbolique : si l’on considère chaque document un à un, c’est souvent le cas, mais pas toujours. Par ailleurs, le dossier aphrodisien donne l’occasion de réfléchir sur une estimation basse et globale des montants disponibles, ce qui les rend plus significatifs. Quelques considérations macroéconomiques sur les revenus des élites dans l’Empire romain, proposées par Walter Scheidel et Steven Friesen dans un article de 2009, permettent de préciser un peu les perspectives49. Dans cette étude, le groupe « décurional » est estimé à 130 000 personnes à l’échelle de l’Empire ; cependant, si l’on estime qu’il y avait 2 000 cités dans l’Empire, 200 000 constitue à mon avis un minimum (dans l’Orient romain, les boulai étaient généralement plus importantes que celles de l’Occident romain ; un certain nombre de petites cités, d’un autre côté, comptaient une cinquantaine ou une soixantaine de bouleutes). La fortune moyenne proposée dans les estimations de Scheidel et Friesen est de moins de 150 000 sesterces. La variabilité de ces fortunes était de toute façon très importante : certains riches Aphrodisiens, à l’instar d’un M. Ulpius Carminius Claudianus, pouvaient dépenser des dizaines de milliers de deniers au cours de leur vie en bienfaits pour leur cité et en même temps assurer à leur fils un capital suffisant (assuré aussi par le patrimoine de sa première épouse) pour qu’il entre au Sénat romain ; d’autres, parmi les 200 du Conseil d’Aphrodisias, devaient avoir une fortune beaucoup plus modeste. Scheidel et Friesen proposent enfin un revenu moyen inférieur à 9 000 sesterces par an pour les membres du groupe décurional. Revenons aux 6 deniers (24 sesterces), mentionnés dans l’inscription n° 1250 (l’autre montant attesté, distribué individuellement, étant de 10 deniers : inscription n° 5). Cela représente 1/375e des revenus annuels moyens dans le modèle Scheidel-Friesen. Cela n’est pas anodin, puisqu’il s’agit environ de l’équivalent d’un revenu quotidien, pour les bouleutes les moins fortunés d’Aphrodisias. Le minimum total de 45 deniers annuels disponibles par bouleute, pour des loteries, était encore moins ridicule, si l’on considère qu’il s’agit seulement d’un des types de bienfaits adressés à ce groupe (un facteur multiplicateur de 3 ou 4 pour la somme totale disponible, à augmenter encore si l’on considère, d’évidence, que tous les conseillers n’étaient pas intéressés par de tels événements, me semblerait demeurer très prudent). Si l’on était assidu aux loteries, des occasions plaisantes qui marquaient en même temps l’appartenance à un groupe prestigieux, les chances de gain étaient ainsi loin d’être insignifiantes. Comme on le voit dans le tableau, le nombre de bénéficiaires variait le plus souvent entre 25 et 40 personnes, soit jusqu’à 1/5e du Conseil, si l’on se base sur un montant des lots conventionnellement de 6 deniers. Dans le cas d’Aphrodisias, l’abondement régulier du trésor du Conseil par des dons finançant des loteries donne ainsi lieu à une redistribution inverse, en circuit fermé, qui n’est pas seulement symbolique.
Tabl. 1 – Les loteries attestées par les sources épigraphiques à Aphrodisias. Le point d’interrogation indique que le chiffre est estimé.

Éphèse
22La situation à Éphèse est apparemment différente, d’après une première analyse du même type de documentation. Comme le montre le relevé des fondations attestées pour des loteries (tabl. 2.1), les sommes distribuées sont en effet minimes, à l’exception toutefois de celles concernant les membres de la gérousie (tabl. 2.1, n° 2) ; il s’agit des loteries ayant lieu, à côté des distributions, lors des processions organisées dans la fondation de G. Vibius Salutaris sous Trajan. Une seule autre fondation pour des loteries est connue (tabl. 2.1, n° 4). Le tirage au sort se trouve également utilisé pour attribuer des dîners ou des lots pour accompagner le déroulement d’une fonction publique, la néopie (tabl. 2.2). Les néopes d’Éphèse donnaient ainsi régulièrement de l’éclat à leur fonction par l’invitation « de tous les conseils » avec tirage au sort des convives. Au début du iiie s., l’un d’entre eux s’illustra au contraire en recevant à la fois le Conseil, tous les synédria – il s’agit des néopes, des chrysophores et des courètes51 – ainsi que 1 040 citoyens52. Cette pratique est tellement courante que l’on trouve, dans les inscriptions 6 et 7, l’expression très ramassée « ayant tiré au sort tous les conseils », qui fut expliquée par Josef Keil et Louis Robert53.
23À la différence du cas aphrodisien où les limites de la documentation proviennent de la perte inévitable des pierres au fil du temps, on se heurte sans doute ici à un véritable mur documentaire dû à l’absence de gravure des documents à l’origine des revenus permettant la mise en œuvre de loteries : l’apparente parcimonie éphésienne en matière de loteries, dans le relevé des attestations individuelles où seule l’inscription 4 mentionne, pour une somme très modique, une loterie pour les conseillers sous une forme comparable à Aphrodisias, doit en effet être mise en perspective avec un décret du milieu du iie s. qui prévoit que chaque 20 du mois, le Conseil procédera aux loteries prévues à partir de ses revenus. Je reviens sur ce document dans la section suivante. Les loteries revenaient donc bien à un rythme récurrent, mensuel, pour les bouleutes.
24Enfin, pas davantage qu’à Aphrodisias, on n’observe un caractère « démocratique » de ces loteries. Elles concernent toujours le groupe constitué avec lequel le bienfaiteur se trouve en relation du fait de ses fonctions. L’exception des 8 333 deniers distribués par G. Vibius Salutaris au peuple n’est qu’apparente : cette disposition ne fut peut-être jamais mise en œuvre, car elle fut annulée en 107 au plus tard54. Christina Kokkinia y voit de manière très convaincante un effet de la politique impériale telle qu’elle est attestée dans une lettre de Pline le Jeune, légat en Bithynie-Pont quelques années plus tard55 : Trajan réprouve la tenue de distributions (les loteries entraient dans cette catégorie) lors desquelles « un nombre excessif de personnes » était réuni et recommande de « réunir personnellement des amis connus ». Il réprouve aussi la réunion quasi per corpora, « comme par corps constitués », lors de ces occasions. La constitution de fonds bouleutiques spécialement dédiés par le biais de fondations permettait d’éviter les interdictions édictées par Trajan. Les rassemblements pour la célébration de la néopie à Éphèse ou les tirages au sort et distributions par exemple connus dans l’inscription en l’honneur de M. Ulpius Carminius Claudianus à Aphrodisias correspondaient en revanche bien aux pratiques visées par Trajan, et qui se perpétuèrent néanmoins.
Tabl. 2.1 – Fondations d’Éphèse ayant donné lieu à des loteries.

* Dans le cas de l’inscription n° 4, le reste des intérêts du capital remis au Conseil servira à financer le sacrifice public (l. 27‑29). Le tirage au sort n’est pas mentionné (le verbe imprécis λαμβάνειν est utilisé), mais il peut être déduit de la mention de 124 bouleutes et prêtres (Éphèse comptant 450 bouleutes).
Tabl. 2.2 – Financement ponctuel d’une loterie au cours de la néopie.

25À ces attestations dans un cadre politique, j’ajoute pour être complète, relativement au dossier éphésien, les fondations en lien avec le souvenir des défunts et la protection des tombes56. Il est intéressant de relever la diversité sociale des groupes bénéficiaires de ces fondations.
Tabl. 2.3 – Loteries en lien avec le souvenir des défunts et la protection des tombes.

L’institutionnalisation des loteries à l’occasion de « réjouissances » dans les cercles élitaires des cités
26On assiste donc à l’époque impériale à une institutionnalisation de loteries au sein de l’élite civique. À Éphèse, un décret du Conseil du iie s. organise ainsi une séance spéciale le vingtième jour de chaque mois, pour « que soient distribués aux bouleutes les anagraphai et tous les lits à banqueter, à l’exception des lots ; car il convient que les lots soient donnés par tirage au sort à ceux qui sont présents et consentent »57. L’inscription d’Aphrodisias prévoyant les diadoseis d’Aristoklès Molossos, qu’une seconde inscription qualifie de klêroi, éclaircit peut-être la procédure ; elle spécifie en effet, l. 39‑42, que « l’inscription (anagraphê) de ceux qui sont allongés au banquet (kataklithentes) se déroule au jour prévu à l’avance (prothesmia), tandis que les diadoseis se tiendront toujours le jour suivant à partir du lever du soleil »58. Le vocabulaire est étroitement parallèle à celui du décret du Conseil d’Éphèse.
27Les anagraphai d’Éphèse (peut-être des jetons pour des distributions), ainsi que la place pour des lits à banquets, peuvent donc être attribués in absentia, à la différence de la réception de lots. Notons que dans sa fondation funéraire, C. Stertinius Orpex avait prévu que les distributions qui auraient lieu à l’agora tétragone ne concerneraient que les individus présents (voir supra, tabl. 2.3, n° 10)59. On devait donc assister à la séance du Conseil, à Éphèse, d’après les dispositions de ce décret, pour être en droit de recevoir son lot ; le décret laisse peut-être comprendre que l’absentéisme avait commencé à être trop voyant, certains des 450 bouleutes d’Éphèse s’entendant entre eux pour retirer leur lot, quand ils étaient tirés au sort à partir de la liste préétablie des bouleutes60.
28Cette institutionnalisation est également attestée à Argos, en Achaïe61. Une stèle de calcaire publiée en 1909, découverte dans la cour d’une maison à Argos, enregistre les activités du Conseil sur une période d’environ quatre mois. La première colonne s’étend du 30 août au 7 septembre ; la colonne II du 26 octobre au 4 novembre. Sur 18 jours enregistrés, le Conseil a eu à discuter l’emploi de 380 000 sesterces (95 000 deniers), ce qui paraît considérable eu égard à la pauvreté souvent alléguée des cités grecques d’époque impériale (cette somme correspond à une portion du budget de la cité ; elle est différente des fonds constitués par des fondations affectés à un usage précis, en faveur du Conseil, étudiés ici). Mais ce qui nous concerne ici se trouve à la ligne 25, sous la date du 28 octobre, à laquelle il est noté : κλῆρ(ος) Κορ(νηλίου) Μαικία. L’éditeur de l’inscription a noté : « il semble que Cornelius Maecias [un magistrat de la cité par ailleurs connu par une estampille sur une tuile de l’Héraion : IG IV 546] avait légué une partie de ses biens à la ville, ou que la boulè avait eu à juger un différend entre ses héritiers ». Pierre Charneux, en 1991, a restitué le sens qui nous intéresse : « κλῆρος (…) n’est pas nécessairement l’héritage : le mot s’est employé aussi, comme διανομή, au sens de “distribution d’argent en vertu d’une fondation” (cf. L. Robert, RPhil 56 [1930], p. 27 = Opera Minora II, p. 1127 ; J. et L. Robert, BullÉpigr [1971], 647) »62. Ces revenus, sous forme de distributions classiques ou de tirages au sort, sans doute plus fréquents que ne l’est le terme klêros dans l’épigraphie, venaient accroître les diadomata dont pouvaient bénéficier les membres du Conseil63.
29Un dernier indice vient suggérer que des loteries étaient fréquemment organisées en faveur des membres du Conseil, dans d’autres cités que celles évoquées jusqu’à présent. Un calendrier de Milet comporte ainsi des célébrations d’empereurs et de la mémoire de personnes privées ; le nom de ces dernières désigne des fonds qui permettent la distribution (aucun terme précis n’est spécifié, ni les destinataires), à une date prévue, de 12 deniers64. D’autre part, d’autres inscriptions, fragmentaires également, commémorent des fondations devant produire un intérêt de 12 deniers pour les bouleutes pour des distributions (dianomê) à un jour prévu et qui portera le nom de la personne en l’honneur de laquelle la fondation est prévue – soit le fondateur lui-même, soit un proche de cette personne dans l’inscription la moins fragmentaire qui nous soit parvenue65. En l’occurrence, 3 000 deniers ne peuvent produire, à un taux estimé de 8 %, que 240 deniers par an, ce qui permet de satisfaire 20 bouleutes. Il paraît donc très probable que la distribution ait été organisée sous la forme d’un tirage au sort. Les fragments du calendrier laissent ainsi apercevoir une fréquence élevée, au fil de l’année, de ces événements, qui n’est pas sans rappeler le cas aphrodisien.
30Dans le cas d’Éphèse, ces klêroi sont prévus après l’époque de Trajan : le secrétaire du peuple qui a introduit le décret au Conseil est en effet un rejeton d’une famille influente d’Éphèse, connue sur plusieurs générations. Il était lui-même fils et petit-fils de grands-prêtres d’Asie et fut actif sous Antonin le Pieux ou Marc Aurèle66. Quant au compte rendu du Conseil d’Argos, il est estimé appartenir au iie ou iiie s. (le iie s. me paraissant plus vraisemblable). Dans le même temps, dans l’épigraphie argienne, on ne connaît qu’une référence générale à un bienfaiteur ayant procédé à des dianomai (il pouvait s’agir, pour certains de ces événements, de klêroi, comme le montre par exemple l’inscription honorifique pour M. Ulpius Carminius Claudianus [tabl. 1, n° 2], qui comporte les deux types de bienfaits, l. 33). Nous avons vu que le calendrier de Milet fut gravé à l’époque sévérienne. Le contexte social et politique du milieu et de la fin de l’époque antonine et de l’époque sévérienne correspond donc à l’apogée de ces pratiques au sein des groupes élitaires dans les cités.
31Ces tirages au sort institutionnalisés et intégrés au calendrier bouleutique possèdent une tonalité festive, plus volontiers évoquée dans les tirages au sort prenant place dans un contexte funéraire. Les gérontes tirés au sort recevront sur son monument funéraire trois deniers, εἰς εὐωχίαν, en souvenir de C. Stertinius Orpex ; à un niveau social inférieur, les membres de l’association des teinturiers de pourpre « se réjouiront » à Hiérapolis, au souvenir de M. Aurelius Aigillos et de ses deux frères (εὐφρανθῶσι). Dans la vallée du Caÿstre, l’accent est également mis sur « les réjouissances (lors d’un banquet) dans la maison (du bienfaiteur) », εὐωχεῖσθαι ἐν τῇ οἰκίᾳ αὐτου67.
Loteries, habitus épigraphique et évergétisme
32La documentation fait donc ressortir les loteries avec distribution d’argent au sein des Conseils, en tout premier lieu, et, moins souvent, en faveur des gérousies ou autres corps constitués des cités. En ce qui concerne les boulai, ces réunions joyeuses pour une loterie partagée dans un groupe vraisemblablement de plus en plus fermé socialement, même s’il ne s’apparentait pas strictement à un ordo, n’ont peut-être pas reçu l’attention qu’elles méritent pour deux raisons. À l’instar de celui des « confréries joyeuses »68, leur but est bien éloigné du sérieux que l’on peut être enclin à prêter aux activités liées à la gestion des cités. De plus, le vocabulaire des inscriptions honorifiques peut conduire, peut-être délibérément, à surestimer la centralité du « peuple » des cités dans les dépenses privées pour la collectivité : dans le corpus lycien, des inscriptions indiquant des distributions « pour la cité » ou « pour la patrie »69 laissent en réalité planer le doute sur l’identité du destinataire réel des largesses : le peuple70, ou des groupes plus restreints ? Comme je l’ai signalé, à Éphèse comme à Aphrodisias où les distributions pour les bouleutes et membres d’autres cercles dans la cité sont bien connues, les distributions pour le peuple en général demeurent bien plus rares, sans qu’il y ait de raison identifiable liée à la transmission des sources et ses hasards. Parmi les documents analysés, l’un est particulièrement révélateur de la construction d’un discours euphémisant le rôle des élites vis-à-vis du peuple des cités et montre l’importance de relire avec un regard plus sociologique et critique la masse documentaire dont on dispose sur le thème des bienfaits, si l’on veut saisir le fonctionnement réel des mécanismes du pouvoir : comme l’a relevé Angelos Chaniotis, la dédicace par M. Aurelius Hermès d’une somme de 80 000 deniers pour des klêroi destinés à la boulê se trouve placée sur une base représentant le dêmos de la cité (tabl. 1, n° 14) ; il relève une « Diskrepanz zwischen der Rhetorik der öffentlichen Epigraphik und der Realität, die aus anderen dokumentarischen Quellen hervorgeht »71. L’analyse de la rhétorique publique en ce qu’elle construit un discours éthique sous-jacent dans les relations de pouvoir au sein des cités et supposément performatif constitue un type d’enquête différent72 ; elle n’autorise pas à éluder la recherche sur l’exercice réel du pouvoir. Il n’y a d’ailleurs pas lieu de supposer que le dêmos, dans un sens institutionnel mais aussi comme la frange du corps des citoyens n’appartenant pas aux plus fortunés de la cité, ignorait ces pratiques ou qu’elles lui étaient dissimulées73 : les tirages au sort de lots d’argent parmi des groupes prédéfinis et à la tête des cités constituent un élément apparent et congruent de leur structure politique. De ce point de vue aussi l’inscription de Thespies de l’époque de Marc Aurèle faisant connaître l’inscription de quatre-vingts néoi et de leurs parents parmi les bénéficiaires des « distributions bouleutiques » est tout à fait remarquable74. Elle marque un élargissement de la gratification habituellement réservée à une élite de fonction à un groupe élargi, pour un mérite concret, en reconnaissance d’un engagement militaire.
33Ces pratiques de gratification étaient en effet dotées d’une visibilité dans l’espace public. Dans les sociétés de plus en plus oligarchiques de l’époque impériale, il est possible de supposer que cette dernière était recherchée. Pour Patrice Hamon, « Ces bouleutes forment bien, dans les cités grecques de l’époque impériale, une caste de privilégiés et surtout une compagnie de commensaux : c’est avant tout cette convivialité, en particulier dans le cadre prestigieux du bouleutèrion, premier édifice du paysage urbain, qui les distingue de la masse des citoyens ordinaires »75.
34Dans le cas d’Aphrodisias, le rassemblement du Conseil ou des autres corps concernés pouvait avoir lieu devant la statue honorifique du fondateur, « hors les murs » donc du bouleutêrion lui-même et à la vue de la communauté civique. Le décret éphésien laisse l’interprétation ouverte. À Aphrodisias, ce petit attroupement, sans doute en dehors, donc, du bâtiment du Conseil, ne passait pas inaperçu dans la vie locale, et appartenait aux activités sinon quotidiennes, du moins récurrentes, des conseillers de la cité. Dans ce contexte, le tirage au sort, par le suspense auquel il donne lieu, confère à la distribution d’argent un aspect à la fois amusant et distinctif76. À Éphèse en revanche, une plus grande culture de l’absentéisme semble avoir régné, si bien que certains fondateurs ainsi que le secrétaire du peuple T. Flavius Iulianus à propos de la séance du 20 du mois77 prévoient que les lots ne doivent être donnés qu’aux présents, ou sur les lieux mêmes du tirage au sort.
35Ces loteries s’inscrivent ainsi dans un contexte général où « non seulement les bouleutes reçoivent plus que les autres dans les distributions générales, mais encore il est des dianomai qui leur sont spécifiquement réservées », ainsi que l’écrit André Balland78 – une remarque toujours valable, même si l’on a voulu récemment démontrer79 que les distributions visaient à acheter une sorte de paix sociale dans les cités et à justifier auprès du peuple le pouvoir des plus riches, alors que ce que le dêmos perçoit demeure plus rare et moins important, même en Lycie, que ce que reçoivent les différents groupes à la tête des cités. Les associations d’Éphèse comme de Hiérapolis ne manquaient pas de dupliquer ces pratiques, à leur modeste échelle, selon les modalités bien connues d’adoption de pratiques valorisées à l’échelle civique dans les groupements volontaires qui fourmillaient dans le tissu social des cités. Ces événements contribuaient à illustrer et renforcer les hiérarchies en place ; la plus grande visibilité à Aphrodisias, dans l’espace public, ne permettant pas de présumer une discrétion délibérée ailleurs.
36La distribution parmi les plus fortunés de la cité de diverses prébendes constitue ainsi une dissonance dans le cadre herméneutique habituel de la « pression évergétique » pesant supposément sur les notables en faveur de « la cité »80, vocable bien trop général et qui peut désigner, ou non, le peuple de la cité, comme nous venons de le signaler. Les schémas dits « évergétiques » en circuit fermé parmi les élites locales sont en réalité loin d’être rares ; les remarques qui suivent ont une valeur prospective, dans la mesure où l’écran interprétatif de l’évergétisme, largement produit par les sources elles-mêmes, a relégué au second plan des préoccupations historiennes d’autres flux financiers ou d’avantages en nature internes aux élites locales81. Ce type de bienfaits peut ainsi être mis en série avec d’autres, utiles in fine au bienfaiteur (pas seulement d’un point de vue symbolique) ou, à nouveau, à un cercle élitaire dans la cité, distingué soit par ses fonctions publiques, soit par son mode de vie. Je songe notamment aux bienfaits « économiques » ou « commerciaux », comme ceux de Licinius Priscus Juventianus de Corinthe construisant des logements pour les athlètes des jeux isthmiques et en tirant l’occasion de profits personnels par la location des boutiques qui s’y trouvent dans l’intervalle de ces concours82. Je citerai également un certain nombre de bienfaits édilitaires, l’intervention sur les bâtiments du Conseil ou sur les gymnases profitant avant tout et quotidiennement non pas « à la cité », comme le disent les inscriptions, mais aux groupes fréquentant ces bâtiments. Les interventions sur la voirie, les égouts, l’adduction d’eau, étaient en revanche, d’après les sources, le plus souvent financées par l’argent public. Pour revenir au sujet du tirage au sort, les loteries pour les bouleutes et les gérontes ne témoignent donc pas seulement d’une infiltration des pratiques ludiques au cœur même des organes institutionnels de la cité, de plus en plus intenses d’après les sources à l’époque antonine mais peut-être déjà occasionnelles à la basse époque hellénistique83. Dans des groupes où le recrutement ouvert était de moins en moins de mise, il s’agit aussi d’une pratique festive de gratification des élites locales, permettant à l’occasion d’améliorer le quotidien de conseillers plus riches que leurs concitoyens mais néanmoins pas toujours fortunés, et d’énoncer ouvertement un discours élogieux de cette redistribution en sens inverse, en même temps que de la normaliser. Les loteries aphrodisiennes, comme celles d’Éphèse le 20 du mois, procurent un exemple éclatant d’un événement relativement fréquent au sein d’une cité oligarchique ou aristocratique, où ce type d’investissement dans la solidité, la cohésion et le maintien du groupe à la tête de la cité constituait un élément du style de vie de l’élite locale, euphémisé sous la forme d’un « bienfait » concernant toute la collectivité lorsqu’il est connu à l’occasion d’une inscription honorifique votée par le Conseil et le peuple.
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Notes de bas de page
1La recherche a porté sur les opérations désignées comme κλῆρος (et les termes dérivés) ou associées au verbe λαγχάνω. On verra toutefois qu’un tirage au sort se cache de temps en temps derrière les termes désignant des distributions au sens large (διάδοσις ou διανομή), et que le vocabulaire institutionnel ne tranche pas toujours sur les modes de désignation des détenteurs de certaines fonctions, laissant selon les cas supposer une élection, un choix, ou un tirage au sort. – Sauf mention contraire, toutes les dates sont ap. J.‑C.
2Brélaz 2013, p. 397. Sur le Conseil : Heller 2009 ; sur la gérousie : Giannakopoulos 2013 ; Bauer 2014.
3Marek, Zingg 2018, p. 154‑157 n° 12 (AE, 2018, n° 1637).
4Voir n. 48.
5Hurlet 2019.
6Si l’on élargit la recherche d’un point de vue géographique, on relève la désignation par tirage au sort des trois proèdres de l’assemblée validant le décret du Conseil et de l’assemblée sur les terres publiques en 159 à Gazoros en Macédoine (I.Philippi2, n° 544) ; de même au Conseil de Derriopos, dans la même région (en 95, IG X, 2, 2, n° 300).
7Sur les dogmatographes : Gschnitzer 1994, p. 285‑287 ; Fernoux 2011, p. 238‑239, selon qui il s’agit d’une fonction purement technique.
8Gschnitzer 1994, p. 285‑286 (l’auteur évoque également le cas des proèdres mentionnés ci‑dessus n. 6) ; les dogmatographes expressément tirés au sort sont attestés dans les cas suivants : I.Iasos, n° 248 ; Kymè : SEG 32, n° 1243 (ἔγραψαν τρεῖς οἰ λάχοντες) ; I.Assos, n° 28 ; Akmonia : fondation testamentaire de T. Flavius Praxias, IGR IV, n° 661 ainsi que AE, 2006, n° 1426 (= SEG 56, n° 1490) et 1427 (= SEG 56, n° 1489) ; Giannakopoulos 2013, p. 20‑22 en particulier sur les dogmatographes dans le dernier texte.
9Philippos fils de Praxias : AE, 2006, n° 1426, l. 34 (remarque de H. Pleket, SEG 56, n° 1490) ; T. Flavius Praxias auteur de la fondation pour ses affranchis et leurs descendants, pour l’entretien éternel de son tombeau : IGR IV, n° 661. M. Iunius Lupus : comparer les deux inscriptions d’Akmonia AE, 2006, n° 1426 (de 68) et 1427 (de 64).
10Dogmatographe dans I.Iasos, n° 248, honoré dans I.Iasos, n° 96 : Pont 2016, p. 244, 254 et trad. d’I.Iasos, n° 248 p. 255‑256.
11Voir Heller 2009 ; Coudry, Kirbihler 2010, § 57 et 60‑61 sur le cas de Temnos connu par Cicéron, Pro Flacco, 18, 43, sur un possible recrutement censitaire du Conseil, dans ce passage où sont également cités des rédacteurs de décrets.
12Brélaz 2005, p. 171‑182 ; sur les Démosthéneia, p. 174‑175 (Wörrle 1988 [SEG 38, n° 1462]), sur les l. 63‑65.
13Dig., L, 4, 18, 17. Voir Brélaz 2005, p. 174‑175.
14À notre connaissance les liens de relation verticale dans les sociétés civiques de l’Orient romain (la relation « patron »/« clients » renvoyant à un type de relations sociales certes comparable, mais dont la formalisation diffère) sont moins bien étudiés que dans les provinces occidentales, et mieux connus pour les franges supérieures de la société romaine : voir par exemple Saller 2002. L’importance de ces liens, euphémisés parfois sous le nom d’« amitié » comme on le voit par exemple chez Plutarque, est ainsi sûrement sous‑estimée.
15Voir Strasser 2010, p. 599‑600 : Μαστειγοῦν ἀγωνιστὴν εἰ δεήσαι, κεκληρωμένοι μὲν πρὸς τούτῳ ἔστωσαν μαστειγοφόροι, προσίτωσαν δὲ κατὰ δύο, ᾗ ἂν τάξει τύχωσιν λαχόντες πρῶτοί τινες καὶ δεύτεροι, κἂν δεήσει, τρίτοι· δεῖ μὲν γὰρ εἶναί τι ἐπηρτημένον δέος τοῖς ἀγωνισταῖς. « Question du fouet à donner aux concurrents : au besoin, qu’à cet effet des porteurs de fouets aient été désignés par le sort, et qu’ils interviennent par deux, dans l’ordre que le sort aura fixé : la première paire, puis la seconde et, si c’est nécessaire, la troisième. Il faut, en effet, que les concurrents aient à craindre la menace d’une sanction, etc. » (Lettre, I, l. 28‑30 ; trad. J.‑Y. Strasser).
16Tzafalias, Lucas 2012 (SEG 62, n° 367) ; voir Brélaz 2021, p. 35‑36.
17Wörrle 1988, l. 38‑39. Sur les 500 et l’indemnité comme juge (κριτικά), Wörrle 1988, p. 124‑126.
18IG XII, 6, 1, n° 192, l. 1‑2 : ἔτους — — τῆς τοῦ] Σεβαστ[οῦ ἀπ]οθ̣[εώσεως οἵδε νεωποῖαι εὐσ]ε̣βεῖς κληρωτοί·
19Références et explications dans Fontenrose 1988, p. 46‑47.
20Ritti 2001. Le tirage au sort désigne également hiéroi et hiérai dans les fêtes d’Andania en 23 (l. 116‑118 et 130‑132) et tient une place importante pour l’ordonnancement de la procession et la place qu’y occupent les jeunes filles hiérai (κα/θώς κα λάχωντι, à la différence des hiéroi : καθώς κα οἱ δέκα διατάξωντι), l. 29‑32 (Greek Ritual Norms, n° 222). À Dion en Macédoine les responsables de banquets en l’honneur de Zeus Hypsistos, en 251‑252, sont sélectionnés chaque mois par tirage au sort (SEG 53, n° 596).
21G. Vibius Salutaris : I.Ephesos, n° 27, voir Rogers 1991, p. 39‑79 ; Caÿstre : Contoléon 1892, l. 10‑14 : τοὺς κληρωθέντας εἰς τὴν πομπὴν ἄνδρας μετὰ τῶν ἀρχόντων προθύοντας εὐωχεῖσθαι ἐν τῇ οἰκίᾳ αὐτου διὰ παντὸς τοῦ βίου.
22Oliver, Greek Constitutions, n° 8 ; voir l’étude par Fournier 2010, p. 25‑26.
23TAM II, n° 508, l. 21‑22 ; voir Fournier 2010, p. 30 et 34, notamment p. 30 n. 82 pour la datation. Cette inscription fait partie du corpus relatif aux dianomai étudié par Kyrousis 2019 (cat. n° 13). En Cyrénaïque, l’album provincial comptait d’abord 215 personnes, avant d’être réduit sous Auguste qui tripla le cens exigible (Fournier 2010, p. 34 et 36). Larsen 1943, p. 254‑255 (qui interprète les juges en question comme des juges étrangers) estime à 25 ou moins le nombre de juge dans chaque systêma, en relation avec la largesse qui est faite à d’autres officiels de la Ligue lycienne qui reçoivent chacun 200 deniers du même personnage. Dans son commentaire, il normalise cette gratification comme une rémunération pour leur travail.
24Fournier 2010, p. 34‑36.
25Dig., L, 5, 13, 2‑3 (Ulpien) et 4, 18, 1, 4 (Arcadius Charisius).
26τὴν τῶν ξενοκριτῶν δ̣[ιαλά?]χεσιν, l. 26‑27.
27Hurlet 2019, p. 193‑194.
28Fournier 2010, p. 38.
29Drew-Bear 2020, p. 214 n° 9 l. 19 (en 267), p. 216 n° 10 l. 14 et p. 222 n° 14 l. 21 avec cette précision : « étant gymnasiarques conformément au tirage au sort effectué par le très puissant Conseil et annoncé publiquement le [‑] du mois de Pauni ».
30BGU I, n° 194 (TM, n° 8955), l. 5‑7 : ἀντὶ Ὤπεως Ἐνούπεως κλη[ρ]ωθ(έντος) ἐκ τῆς τῶν εὐσχημόνων γραφῆς εἰς πρακτορίαν ἀργυρικῶν τῆς κώμης.
31Dig., L, 7, 5, 5, Hadrien à Clazomènes. Le vote est alors une procédure « dérogatoire » : Hurlet 2019, p. 193.
32Guizzi 2019 (cf. M. Sève, BE, 2020, n° 102).
33Comparer avec Philostrate, Vies des sophistes, 536, sous Trajan, pour un ambassadeur de Smyrne ; Athènes, IG II2, n° 1100, époque d’Hadrien, pour un syndikos (Fournier 2007, p. 19‑21) ; voir le cas des irénarques étudié par Brélaz 2011, en particulier p. 607.
34Lucien, Hermotimos, 39. Ce passage évoque également le tirage au sort pour l’entraînement quotidien à la palestre.
35Robert 1949 ; Brunet 2010, avec rassemblement des attestations.
36Robert 1949, sur μετὰ πρῶτον κλῆρον στήσας τοὺς ἀνταγωνιστάς ; voir Strasser 2021, n° 107.
37Gaebler 1929 ; Robert 1949, p. 111‑112 : description d’une monnaie de Byzance, sous Sévère Alexandre (désormais RPC VI, n° 906, https://rpc.ashmus.ox.ac.uk/coins/6/906, consulté le 17/04/2023) : « trois athlètes ont tiré de l’urne leur boule ; deux d’entre eux la tiennent dans la main, cependant que le troisième, sa boule dans la main droite, s’en va vers la droite », soit parce qu’il y a un nombre impair de compétiteurs, ou parce qu’il renonce à la vue de son adversaire ; cependant le RPC décrit ainsi ce type : « three nude athletes each holding globe, the one at l., standing, l., the one at r., advancing, r., the one in the middle standing, l., looking back, holding globe over athlete’s head before him and knee on urn » ; Robert 1968, p. 574 : « ce vase a été décrit simplement comme une cruche à anse, “Henkelkanne”. Ce vase en métal, avec un col étroit, est exactement la “kalpis” de métal précieux dans lequel chacun des athlètes concurrents plongeait la main pour retirer le κλῆρος qui, pour la lutte, la boxe ou le pancrace, l’appariait à un adversaire, cette urne qui figure sur beaucoup de monnaies à types agonistiques et sur des bas-reliefs » ; Crowther 1992.
38Brunet 2010, p. 124 n. 29 avec les références.
39Lucien, Hermotimos, 40. Exemple d’une possible ascension sociale par la compétition (en l’occurrence artistique) : les Thélimytrai de Milet, d’après Capelle 2017 ; le fils d’un magistrat d’Aphrodisias vainqueur du pancrace : I.Aphrodisias 2007, n° 15.364.
40On trouve également mention de klêroi à Nysa (un tribun des soldats ayant fait un legs à la boulê de 7 000 deniers : Radet 1890, p. 233‑234, n° 6).
41Dianomai : I.Aphrodisias 2007, n° 1.158 (au Conseil, fondation de 5 000 deniers) ; n° 12.28 (fondation de 11 000 deniers, pour le Conseil, ?, les tribus et les proklèroi) ; n° 12.1111 (ponctuellement : aux citoyens ; au Conseil ; à la gérousie) ; n° 15.321 (fondation, pour le Conseil) ; n° 12.526 (fondation de 5 000 deniers, destinée au Conseil ; commentaire de Lempidaki 2019). Diadoseis : n° 12.803 (fondation ; aux citoyens). – Le dépouillement a également passé en revue les publications d’inscriptions d’Aphrodisias postérieures à 2007, sans nouveau résultat concernant la recherche de distributions ou de klêroi.
42I.Aphrodisias 2007, n° 12.1111, l. 31‑33 : καὶ τῇ λαμπροτάτῃ δὲ βουλῇ καὶ τῇ ἱερωτάτῃ γερουσίᾳ ἀνατεθεικότα χρήματα εἰς αἰωνίων κλήρων διανομάς : « et qui a consacré un capital à l’illustre Conseil et à la très sainte gérousie pour des distributions de lots éternels ». Ce bienfaiteur a également procédé de son vivant à des distributions « nombreuses et fréquentes aux citoyens vivant dans la polis et sur le territoire », ainsi qu’à « tout le Conseil et à la gérousie ». Étude, datation, stemma familial : Pont 2008C
43I.Aphrodisias 2007, n° 12.803, l. 59‑62. Voir sur ce personnage la notice dans Frija 2010 (https://www.pretres-civiques.org/pretre/aristocl%C3%A8s-molossos, consulté le 17/04/2023). Le terme diadoseis, utilisé dans l’inscription 12.803, n’apparaît pas dans d’autres inscriptions d’Aphrodisias.
44Voir également les remarques d’A. Balland, F.Xanthos VII, p. 181 ; Wörrle 1988, p. 161.
45La formulation est inhabituelle : κατέλιπε τῇ ἱερωτάτῃ βουλῇ εἰς αἰωνίους κλήρους ἐν παραταγῇ χρεωστῶν ἀργυρίου (δηνάρια) ͵βφμε´ τ[ῇ] γενομένῃ ὑπὸ αὐτῆς καταλείψει. Voir Sieberka, Stebnicka, Wolicki 2021, p. 671. Sur un financement possible d’une fondation par abandon de créances, voir F.Xanthos VII, p. 209‑210.
46Voir par exemple les Démosthèneia d’Oinoanda célébrées pour la 34e fois en 260 : SEG 44, n° 1183 et 1184. B. Laum estime la durée des fondations à un siècle ou plus, sauf mauvaise gestion caractérisée (Laum 1914, I, p. 222).
47Les biens-fonds sur lesquels repose la donation de C. Iulius Démosthénès doivent ainsi, aux termes de la fondation, être gérés par l’un des eikosaprotoi (vingt plus fortunés dans la cité, également responsables sur leurs biens du recouvrement du tribut) : Wörrle 1988, l. 15‑16.
48Il me semble que cette précision est récemment passée inaperçue. Voir des estimations du nombre de bouleutes dans d’autres cités d’Orient : Broughton 1938, p. 814, Habermann 2014, ne mentionnent pas cette inscription ; elle est connue d’A. Balland, F.Xanthos VII, p. 212‑213 (voir aussi sur la Lycie p. 190 n. 115) renvoyant à Liebenam 1900, p. 229 n. 5 qui soulève des difficultés de lecture (voir n. 50 ci‑dessous) ; dans le contexte des klêroi d’Aphrodisias maintenant éclairci, le doute ne subsiste guère. Le chiffre de 200 conviendrait tout à fait à la taille d’Aphrodisias, même si un chiffre plus élevé ne saurait être écarté.
49Friesen, Scheidel 2009, p. 76 table 6.
50Le cas de cette inscription est particulièrement intéressant et pose des problèmes de compréhension. Voici le commentaire des premiers éditeurs (Paris, Holleaux 1885, p. 77) : « La somme laissée au sénat est de 1 670 deniers ; les citoyens tirés au sort sont au nombre de 200, et touchent chacun six deniers, soit 1 200. Il reste alors une somme de 40 deniers, dont l’emploi était peut-être déterminé dans une partie de l’inscription qui est perdue ». Il s’agit bien d’une distribution de « lots éternels », donc devant se répéter : l’argent n’est pas simplement distribué une seule fois. Par ailleurs les bénéficiaires ne sont pas simplement des « citoyens » : ce sont bien des bouleutes, comme le montre l’inscription I.Aphrodisias 2007, n° 1.161, qui mentionne deux destinataires de la fondation, à la fois comme administrateurs et bénéficiaires : ἀναθ[έντος] δὲ καὶ τῇ κρατί[στῃ] β̣ουλ̣ῇ καὶ τῷ σ̣[ε]μνοτάτῳ̣ καὶ ἀρχ[αι]οτάτῳ̣ σ̣υνεδρίῳ τῶν χ̣ρυσοφόρων ν̣ε̣ο̣π̣οιῶν εἰς αἰωνί̣ους κλή̣ρ̣ους ἀργύριον. Le chiffre de 200 pourrait correspondre soit au nombre total de bouleutes, soit au nombre des bouleutes qui bénéficieront des lots selon l’hypothèse retenue par J. et L. Robert, BE, 1982, n° 307, sur un nombre plus élevé de conseillers (à moins encore que l’on ne doive comprendre que 1 670 deniers représentent le revenu, et non le capital, de la fondation, ce qui semble être le cas de J. et L. Robert : mais alors il faudrait réviser à la hausse le montant consacré de nombreuses fondations indiquées ici). Il semble donc raisonnable d’interpréter ainsi le texte : sur 200 conseillers, on tirera au sort des noms pour des lots de 6 deniers. Si l’on estime un taux d’environ 8 %, avec un revenu d’environ 132 deniers annuels, on peut supposer qu’il y avait une vingtaine de bénéficiaires de la loterie.
51Voir I.Ephesos, n° 2083.
52I.Ephesos, n° 951.
53κληρώσας τὰ συνέδρια πάντα (inscr. 6 et 7). Voir Robert 1948, p. 59‑63 : « il a fait aux corporations éphésiennes des générosités qui ont été réparties par le sort » ; J. et L. Robert, BE, 1982, n° 307.
54Kokkinia 2017‑2018, p. 240‑243. L’étude de référence sur cet ensemble documentaire, avec le détail des dispositions, demeure Rogers 1991.
55Pline, Lettres, X, 116‑117 : « Quand on prend la toge virile, quand on se marie, quand on entre en fonction comme magistrat, quand on dédie un ouvrage public, la coutume veut que l’on invite la boulè tout entière ainsi qu’un assez grand nombre de personnes du peuple et que l’on donne deux deniers ou un denier à chacun. Je te demande de m’écrire si tu trouves bon que cet usage se répande et dans quelle limite. Pour moi, si j’admets, surtout quand il s’agit d’occasions solennelles, ce droit d’invitation, je crains que ceux qui invitent mille personnes, et parfois même davantage, ne paraissent dépasser la mesure et se rendre coupable d’une espèce de distribution illicite [in speciem διανομῆς] » (voir les commentaires de Fernoux 2011, p. 371‑372, sur le sens du terme species en cette occurrence). Trajan à Pline : « Tu as raison de craindre qu’on ne prête à l’accusation de distribution illicite en invitant non seulement un nombre excessif de personnes, mais aussi en réunissant pour des distributions solennelles des gens comme par corps constitués et non pas personnellement des amis connus. Mais si mon choix a fait appel à ta sagesse, c’est justement pour que tu prisses toi-même les décisions nécessaires à corriger les habitudes de ta province et à fixer les règles qui assureront à cette province une perpétuelle tranquillité » (trad. M. Durry).
56Voir également à Hiérapolis : Ritti, Hierapolis fondazioni, n° 25 : tirage au sort pour un banquet chaque année auprès du monument funéraire de M. Aurelius Aigillos (voir aussi J. et L. Robert, BE, 1971, n° 647) ; n° 34, legs de 200 deniers à l’association des éleveurs εἰς κλῆρον ; n° 36, 200 deniers pour un tirage au sort, d’un lot d’un denier.
57Büyükkolanci, Engelmann 1998, p. 72‑73 n° 9 (SEG 48, n° 1376) : διὰ τὸ κατὰ τὴν λῆξιν τοῖς πα[ρ]οῦσιν καὶ ὑπακούουσιν τοὺς κλήρους δίδοσθαι προσήκειν.
58τῆς μὲν ἀναγραφῆς γεινομένης τῶν κατακλιθέντων ἐν ταῖς προθεσμίαις, τῶν δὲ διαδόσεων ἀεὶ τῇ ἐχομένῃ ἡμέρᾳ ἀπὸ ἡλίου ἀνατολῆς ἀποδιδομένων (Ι.Αphrodisias 2007, n° 12.803).
59I.Ephesos, n° 4123 : οἱ παρόντες, l. 12.
60Cette préoccupation des fondateurs sur la présence des possibles bénéficiaires est également exprimée dans l’inscription n° 11 (SEG 53, n° 1287bis).
61SEG 41, n° 285.
62Charneux 1991.
63Bagnall, Drew-Bear 1974, p. 194‑195, sur I.Kourion, n° 111 ; F.Xanthos VII, p. 30 n. 130.
64Ehrhardt 1984 (SEG 34, n° 1176‑1188 ; I.Milet, n° 944a‑o, après 195 ou après 215).
65I.Milet, n° 945‑950 (ainsi peut-être que 951 et 952) ; voir également SEG 64, n° 1002. Voici la traduction de I.Milet, n° 945 (publié par Ehrhardt 1984, p. 392‑395 [SEG 34, n° 1175]) : « [… de lui] au Conseil de 3 000 deniers, pour un jour qui portera son nom, de sorte qu’une distribution ait lieu à partir des intérêts, pour le Conseil, au mois de Lênaiôn le [‑], de 12 deniers, conformément au décret et à l’acte de fondation dû à Charis et déposé dans le bâtiment des archives ».
66I.Ephesos VII, 1, p. 63 pour le stemma et les références.
67Voir n. 21. Ce vocabulaire signale des réjouissances lors d’un banquet : Schmitt-Pantel 1992, p. 275‑276.
68Bowersock 1999. Sur la « convivialité » propre aux membres des boulai, voir les remarques de Hamon 2005, p. 327.
69TAM II, n° 155 et 284 par exemple.
70Selon l’interprétation de Kyrousis 2019.
71Chaniotis 2005, citation p. 48.
72Van Nuffelen 2021, p. 249‑250 et p. 260, critiquant une approche « à la Bourdieu » et se prononçant en faveur d’une analyse du sens prêté dans les discours aux relations entre peuple et pouvoir.
73Artémidore de Daldis donne ainsi une vision non euphémisée, et sans doute plus conforme à un savoir politique populaire, des avantages de la participation active au gouvernement des cités (Pont 2023).
74I.Thespies, n° 37, l. 16‑17.
75Hamon 2005, p. 327 ; voir aussi p. 324 sur les évolutions architectoniques des bouleutèria et la mise en œuvre d’espaces adéquats (des cours à portiques, notamment) adjoints à la salle du Conseil pour des banquets ou autres types de réjouissances, tels que des apéritifs.
76Voici le commentaire des éditeurs du décret d’Éphèse sur la séance du 20 du mois au Conseil : « Derartiges Verlosen von Geld war in der Kaiserzeit geradezu zu einer Art von Gesellschaftsspiel geworden » (Büyükkolanci, Engelmann 1998, p. 73).
77I.Ephesos, n° 4123 et 2114 ; SEG 48, n° 1376 et SEG 53, n° 1287bis.
78F.Xanthos VII, p. 189‑190, n. 114.
79Kyrousis 2019.
80L’ouvrage de P. Veyne (Veyne 1976), en dépit des critiques notamment méthodologiques qu’il essuya, ouvrit la carrière à cette lecture devenue pour ainsi dire univoque, bien que les interprétations de l’évergétisme divergent entre un comportement propre aux notables ou inséré dans un jeu politique, plus ou moins démocratique ; voir Domingo Gygax, Zuiderhoek 2020 et le compte rendu par Ma 2022.
81Je prépare une étude sur ce sujet.
82Kokkinia 2009.
83Voir ci‑dessus n. 75.

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