Conclusion de la troisième partie

1Le passage de Diodore qui mentionne l’expédition d’Épaminondas en Égée affirme que le peuple donna un avis favorable au projet naval. La Béotie ayant toujours eu une petite flotte, cette décision marqua un changement important dans la politique du Koinon. Comme Éphore le souligne, la Béotie disposait de bons ports. Ceux situés en face de l’Eubée avaient certainement une grande importance pour la politique navale, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ils étaient tournés directement vers l’Égée. En outre ces ports étaient de grande dimension et pouvaient ainsi accueillir une large flotte. Enfin, les liens créés avec l’Eubée permettaient de protéger le canal et de surveiller les mouvements des navires et, le cas échéant, il était possible d’utiliser les côtes eubéennes pour le mouillage. Cette coopération permettait aussi de contrer toute action hostile de la part des Athéniens. Le manque de données archéologiques concernant les sites portuaires de cette partie de la Béotie n’affaiblit pas cette reconstitution. Comme nous l’avons vu dans la première partie, les ports anciens sont généralement assez mal connus. De plus, il est possible que les installations portuaires dont Diodore fait mention n’aient jamais été construites ou qu’elles aient été bâties en bois, ne laissant évidemment guère de trace.

2Pour développer une politique navale importante, les Béotiens ne pouvaient pas compter uniquement sur leurs ressources. Il fallait donc utiliser un vaste réseau de contacts. Les relations avec l’Eubée étaient certainement fondamentales, comme l’étaient aussi les contacts avec la Macédoine. Mais les découvertes épigraphiques ont montré la volonté de la Confédération béotienne de créer un réseau plus ample, qui comprenait des Grecs et des non‑Grecs. Les savants ont souvent cherché à rattacher ces textes à la politique navale, mais nous croyons que le rôle de cette politique ne doit pas nous faire perdre de vue le contexte politique général de l’époque. Les liens de proxénie pouvaient servir aussi pour le développement de la marine, comme les honneurs pour Athaneos de Macédoine et Timéas Lakôn le font penser ; mais les liens de proxénie peuvent aller au‑delà de ce contexte et être utiles pour des raisons différentes.

3Épaminondas partit donc pour l’Égée, mais il n’entendait pas provoquer les Athéniens sur la mer. Il ne semble pas que les Béotiens utilisèrent leur flotte dans des actions militaires. Ils avaient démontré leur supériorité militaire lors de la bataille de Leuctres, mais ils devaient aussi devenir maîtres de la mer pour obtenir l’hégémonie en Grèce. Or, leur force navale restait limitée, au moins si on la comparait à celle des Athéniens. Le projet d’Épaminondas était certainement ambitieux mais assez réaliste : la Béotie devait se doter d’une grande force navale, mais elle devait aussi agir prudemment, sans causer une réaction de la part d’Athènes. Le but du voyage de la flotte était principalement démonstratif et propagandiste : n’ayant jamais été une puissance navale remarquable, la Confédération béotienne cherchait à démontrer sa force et ses intentions politiques pour l’avenir, afin d’être reconnue comme hègèmôn. Les Athéniens furent probablement frappés par la nouvelle politique béotienne, mais ils ne cherchèrent pas à arrêter la démonstration de puissance qu’ils pouvaient constater (comme le montre l’attitude du stratège Lachès). Cet événement marqua néanmoins la mémoire collective, au point que les orateurs pouvaient le rappeler vingt ans après pour évoquer le danger constitué par les Béotiens. Mais finalement, aucune action concrète ne fut accomplie par la flotte béotienne. Le seul résultat remarquable peut avoir été la prise de conscience chez les alliés d’Athènes du fait que les Athéniens n’étaient désormais plus la seule force navale présente en Égée ; cette constatation peut avoir favorisé la politique hostile de Byzance et la défection de Kéos, malgré le silence des sources sur une relation de cause à effet à cet égard.