Conclusion de la deuxième partie

1La première conclusion à tirer de cette analyse est la présence de la mer dans la politique spartiate. Cette présence ne doit évidemment pas être surestimée : Sparte était surtout une grande puissance terrestre. Mais l’élément marin ne s’imposa pas comme une nouveauté à l’époque de la guerre du Péloponnèse ; les navires étaient déjà utilisés assez régulièrement pendant le v^e siècle av. J.‑C., bien que leur usage fût la plupart du temps limité au déplacement des troupes. La portée du conflit contre Athènes est indéniable pour le développement d’une politique navale à grande échelle, parce que, comme le dit le roi Archidamos dans le discours cité dans la première partie, les Spartiates n’étaient pas prêts, au début des hostilités, à mener avec succès une guerre navale. C’est la nécessité de détruire le réseau athénien qui les força à devenir une puissance navale.

2Du point de vue géographique, la Laconie possédait un nombre assez important de ports, parmi lesquels certains avaient une bonne capacité d’accueil. Aucune installation portuaire de l’époque classique n’a été découverte, mais il n’était pas nécessaire d’utiliser un port aménagé, les trières pouvant facilement être tirées au sec sur une plage. Malgré le silence des données archéologiques, les sources littéraires soulignent l’existence de l’arsenal de Gytheion, dans lequel les navires étaient construits et réparés. La Laconie se trouvait en outre dans une bonne position sur les routes vers les Cyclades et l’Égée orientale, ainsi que vers le sud, la Crète et la Cyrénaïque. Les liens avec les Cyclades pouvaient s’avérer particulièrement importants pour une politique navale visant au contrôle de l’Égée, ou, tout au moins, à contrer les Athéniens dans leur intention de reconquérir l’archè. Les reliefs de Laconie comme le mont Parnon, et ceux des îles permettaient d’avoir une vue dégagée sur des territoires assez éloignés au‑delà de la mer. Il était donc possible d’avoir un réseau de contacts visuels directs avec certaines îles et avec des sites de la côte laconienne.

3Il faut notamment souligner la relation entre différents sites de Laconie, qu’ils soient placés près de la mer ou à l’intérieur des terres. Les recherches menées sur la topographie de la région ont abouti à la découverte du réseau routier qui peut être retracé sur une grande portion du territoire grâce aux vestiges encore existants. La relation visuelle directe entre les sites et la possibilité de communiquer assez rapidement avec d’autres sites plus distants par des routes bien tracées et assez faciles à parcourir, permettaient de faire circuler les informations. Les sites portuaires étaient reliés les uns aux autres soit visuellement soit par des routes, et ils étaient aussi reliés aux principaux axes routiers qui menaient à Sparte. Il était donc possible de contrôler les mouvements des navires se déplaçant le long des côtes. Il faut néanmoins ajouter que les Spartiates ne furent pas capables de résister aux attaques athéniennes menées contre leurs côtes, pendant la guerre du Péloponnèse et après la bataille de Cnide en 394 av. J.‑C. Bien qu’un nombre assez réduit de personnes pût aisément contrôler les routes et communiquer les informations à d’autres sites, la défense effective du territoire demandait probablement un engagement supérieur. Il est probable que la concentration des activités militaires dans d’autres régions du monde grec ait favorisé le relâchement de la surveillance sur le territoire de Sparte, qui n’avait d’ailleurs presque jamais été envahi. Le seul point faible de la région est les sites portuaires qui sont assez petits et non aménagés pour une flotte, à l’exception de Gytheion. Ils ne constituaient pas de bases permanentes, mais ils étaient utilisés comme mouillage lors des opérations. De plus, l’effort spartiate était limité en matière navale, ce qui rendait les petits ports et mouillages suffisants à la politique envisagée au iv^e siècle av. J.‑C.

4En ce qui concerne le commandement de la flotte, notre analyse a permis de clarifier certains points. Le navarque était un Spartiate et aucun élément provenant des sources ne peut faire penser que cette charge était inférieure aux autres types de commandement militaire et que les navarques étaient d’un rang inférieur par rapport aux autres Spartiates. Il s’agissait d’hommes influents, dotés d’une grande expérience militaire et de compétences diplomatiques. La même remarque est valable pour les archontes qui commandaient des escadres qui avaient été détachées du reste de la flotte. Il est aussi possible que l’epistoleus du navarque ait eu le commandement des navires quand le commandant devait s’absenter pour accomplir d’autres missions. Il s’agissait en tout cas des Spartiates, bien que les sources attestent parfois des cas isolés de missions confiées aux Périèques. Il est en revanche possible que le commandement des navires ait été assuré par ces derniers. Le triérarque ne commandait pas les Spartiates, mais les membres de son équipage, et lui‑même devait suivre les ordres de l’archonte ou du navarque. Nous pouvons donc croire que le rôle de triérarque était assuré par des Périèques, ce qui donnerait deux avantages : ne pas priver l’armée de Spartiates et utiliser des hommes qui avaient de bonnes connaissances en matière navale. Les nécessités de la flotte donnèrent certainement plus de visibilité à des hommes qui n’en avaient presque pas auparavant, Périèques et Hilotes notamment. Les sources ne permettent pas d’évaluer la portée de cette nouveauté, mais il est probable qu’elle ait entraîné des tensions entre différents groupes sociaux, les Semblables, affaiblis par l’oliganthropie, devant enrôler de plus en plus d’hommes des classes sociales inférieures tout en essayant de maintenir le rôle de maîtres1.

5La guerre du Péloponnèse entraîna donc le développement de la politique navale, ce qui eut plusieurs conséquences sur le contrôle du territoire laconien et sur la composition de la flotte et des cadres du commandement. Il semble clair que Sparte sut résoudre certains problèmes et devenir une puissance hégémonique sur terre et sur mer. La brève durée de son rôle de prostatès fut due aux contingences historiques et à la difficulté évidente de mener une politique de ce type dans un monde où les luttes entre les cités étaient toujours vivaces et où les ressources en matériau, en argent et en hommes, étaient souvent difficiles à trouver.